Édition Gallimard
Cet auteur est un habitué de Luocine, il sait me faire rire et aussi m’émouvoir. « Charlotte » est certainement le livre qui m’a le plus touchée, j’ai même pleuré en lisant « Mes souvenirs » adoré « La délicatesse » et été déçue par « Nos séparations »
J’ai beaucoup hésité entre trois ou quatre coquillages, mais en tant qu’habitué de Luocine, David Foenkinos bénéficie d’un préjugé favorable. Dans ce roman, l’auteur nous fait prendre conscience du travail de l’écrivain. C’est très à la mode de parler de l’inspiration et de la difficulté de renouveler son inspiration et c’est pour ce côté « dans le vent » que je suis passée de quatre à trois coquillages. Mais c’est aussi un roman qui traite avec tellement de légèreté et d’humour de la création romanesque et de notre vie de tous les jours, que je lui ai rendu son quatrième coquillage !
L’auteur est donc en panne d’inspiration, et décide d’arrêter la première personne qu’il rencontre pour en faire son personnage de roman . Cela tombe sur Madeleine Tricot, femme assez âgée (on dirait, aujourd’hui, à risques) qui a travaillé dans la mode, chez Chanel, auprès de Karl Lagerfeld . Son roman s’étendra à la famille de sa fille, Valérie, qui a épousé Patrick Martin d’où le titre du roman. L’auteur doit aussi gérer sa séparation. Après quelques années de vie commune, Marie vient de le quitter en lui disant qu’elle préfère vivre seule qu’avec lui. Entre la fiction et la réalité qui passe par la plume de l’écrivain, on assiste surtout à une excellente mise en scène de la création romanesque et du plaisir que doit éprouver tout écrivain à dominer chaque personnage obéissant à sa toute puissance. Mais dans la réalité ? Et bien, oui cela ne se passe pas comme ça, même si on aimerait parfois qu’un écrivain nous anime pour avoir le courage de brûler les rideaux d’un chef pervers et manipulateur ou de mettre toutes ses économies pour aller jusqu’à Los Angeles retrouver son amour de jeunesse. C’est un roman très léger et qui se lit très vite et en plus qui sort le lecteur de la morosité ambiante. Ces quelques allusions aux quotidiens sont bien croquées sans être plombantes. Je suis très sensible l’humour de cet écrivain. Il me donne le sourire même si, comme il le dit dans ce texte, son roman n’est certainement pas écrit pour durer cent ans, il permet de passer une très bonne soirée.
Citations
Sujet de roman
Je m’étais senti excité par mon intuition, mais voilà que j’en étais déjà à écrire sur la nécessité de ne pas recongeler des produits décongelés. Quelques années après avoir obtenu le prix Renaudot, je sentais le frisson du déclin me parcourir le dos.
Humour des notes en bas de page
Certes, en sortant du 17° arrondissement de Paris à 10 heures du matin, j’avais peu de chance de tomber sur une go-go danseuse.
Humour
Ma capacité de séduction ressemblait depuis un moment à un film de Bergman (sans les sous-titres).
Je crois cela aussi
J’ai l’impression qu’on peut tout savoir d’une personne en observant les livres qu’elle possède.
Dialogue avec un ado
– Vraiment, tu n’as pas de passion ? Demandai-je avec désinvolture, m’efforçant d’éviter un ton culpabilisateur.– Moyen.– C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi moyen ?– Ça veut dire j’ai moyen des passions.– D’accord… Et la musique, tu aimes ça ? Les poster… Tu aimes Angel ?– Pas spécialement. J’ai fait des trous dans le mur quand j’étais petit, alors je les cache avec des posters.– Tu écoutes quoi ?– Il n’y a rien qui me vient, là.– Et ton temps libre, tu l’occupe comment ?– Je joue en ligne avec des potes.
Remarque assez juste
–Ah, j’ai compris. Votre roman, c’est pour déterrer les histoires de famille. Tout ce qui fait mal.– Mais non…je n’irai pas contre votre volonté.– C’est ce qu’ils disent tous. Je ne lis pas beaucoup de romans contemporains, mais je vois bien qu’écrire est souvent un moyen de régler ses comptes.
Harcèlement au travail
Ce matin, Desjoyaux l’avait convoqué pour lui proposer un rendez-vous dans trois jours . Quel supplice . Pourquoi ne lui avait-il pas signifié immédiatement ce qu’il voulait lui dire ? Il allait passer les jours suivants avec une boule au ventre . Desjoyaux n’avait rien laissé percevoir dans son regard , un visage suisse. Le degré suprême du harcèlement , c’est façon froide et presque souriante de commettre un meurtre salariale . Il y avait forcément du sadisme dans cette attitude ; il était bien conscient, vu le contexte général, qu’il ferait souffrir un employé en lui annonçant qu’il le verrait trois jours plus tard ; pire, il avait ajouté « impérativement » le voir. Les mots ont un sens. Impératif veut dire que c’est majeur, déterminant ; cela sent la condamnation.
Vérité et fiction : dilemme de l’écrivain
Ainsi, le vrai pareil souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.