Édition Points, 230 pages, 2019/2022.

Quand j’avais chroniqué Tiotha-Ke du même auteur vous aviez été nombreuses à me dire que vous aviez beaucoup aimé Kukum. Alors, je l’ai lu et comme Eva (parmi d’autres avis positifs) j’ai adoré ce roman.

Michel Jean est un indien Innu et il aime raconter ses origines, dans ce roman il raconte la vie de sa grand-mère. Son destin est incroyable, jeune orpheline irlandaise, elle a été élevée par de pauvres paysans du Québec qui, malgré un labeur de tous les instants, arrivaient juste à survivre. Un jeune indien croise sa route, elle comprend immédiatement qu’elle préfère la vie libre des Innus au labeur ingrat de la ferme. Commence alors la première partie du roman , la plus longue et la plus belle, la vie dans une nature rude mais si belle. Almanda et Thomas seront heureux et pensent pouvoir transmettre ce bonheur à leurs enfants. Seulement les hommes d’une autre civilisation, celle que l’on appelle » la civilisation du progrès » prend possession de leurs terres.

Cette seconde partie est tellement triste, on voit le pays se transformer et surtout la sédentarisation forcée des Indiens. Les ancêtres n’ayant plus rien à transmettre à leurs enfants, l’alcool et le désespoir vont leur ôter la fierté d’hommes sachant vivre dans la nature. Le pire arrivera quand le gouvernement leur enlèvera leurs enfants pour les « éduquer » dans des institutions religieuses. Tout est fait pour détruire leur culture et leur mode de vie, mais aussi leur nombre. Des enfants qui ne parlent plus la langue de leurs parents n’auront pas envie de vivre avec eux, et s’ils épousent un « non-indien » : il n’a plus le droit d’habiter dans la réserve.

Cet auteur est étonnant, car il écrit de façon très douce les pires horreurs et cela ne leur enlève pas leur gravité au contraire. La détermination de sa grand-mère est admirable, elle a réussi à rencontrer le premier ministre pour qu’il fasse construire des trottoirs dans leur ville où des enfants mouraient écraser par des voitures ou des camions faute de pouvoir se mettre à l’abri. Mais elle sera aussi bien malheureuse le jour elle viendra voir sa fille et ses petits enfants qui habitent dans un immeuble moderne. Ils ont planté leur tente face au bâtiment et tout le monde s’est moqué d’eux. Elle pense alors aux moqueries que ses petits enfants ont dû supporter.

Un très beau roman que je conseille à ceux et celles qui ne l’ont pas encore lu.

 

Extraits

Début.

Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleu selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuami ?

La chasse et l’amour.

Cette perpétuelle quête avait quelque chose de grisant. Il est difficile de deviner si un endroit est propice à la trappe. Il faut tenter sa chance et espérer. J’ai appris pendant ces semaines de grande chasse avec Thomas à ménager mon énergie et à poser toutes sortes de pièges. Nous vivions en symbiose et chaque soir nous nous retrouvions dans la tente. Il y avait une forme de candeur dans cet amour pourtant cela ne l’a pas empêché de durer.

Un choix de vie libre.

 Il m’arrivait encore de penser de temps en temps à ma tante et à mon oncle. Chaque heure du jour, où que je sois, quoi que je fasse, je savais où ils étaient et ce qu’ils faisaient. En choisissant la vie en territoire, j’avais choisi la liberté. Certes celle-ci avait un coût et entraînait des responsabilités envers les membres de son clan. Mais j’avais enfin le sentiment de vivre sans chaînes.

Début de la déforestation.

Quand nous tombions sur une coupe à blanc, Thomas, d’ordinaire si calme, semportait.
– Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent même l’esprit de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ?
Thomas avait raison. Mais son raisonnement était celui d’un Innu qui sait qu’il reviendra toujours sur ses pas. Le bûcheron, lui, marche droit devant sans regarder derrière. Il suit le progrès.

Changement de vie.

Coupés du territoire, nous avons dû apprendre à vivre autrement. Passer directement d’une vie de mouvement à une existence sédentaire. Nous n’avons pas su comment faire et, encore aujourd’hui on ne sait pas toujours. L’ennui s’est infiltré et a distillé son amertume dans les âmes. Ceux qui avaient des maisons s’y sont enfermés, les autres ont monté leurs tentes devant le lac. Le premier hiver à Pointe-Bleue à été terrible. Le vent survolait la surface gelée et s’engouffrait dans le village de cabanes et de tentes. Le gouvernement a distribué des subsides aux familles pour leur permettre de vivre. Nous serions morts de faim, car il n’y avait pas assez de gibier autour de la réserve pour tout le monde. Les Innus sont passés de l’autonomie à la dépendance. Nous n’en sommes jamais tout à fait sortis.

J’aime bien ce mot.

L’eau de la rivière puait la pulpe de l’usine de papier, où François- Xavier, le mari de Jeannette travaillait. Cela lui rapportait un bon salaire et lui permettrait de nourrir sa famille. Jeannette rêvait de quitter son édifice à logements.

La visite chez sa fille qui ne vit pas dans la réserve .

 La rumeur de notre présence s’était répandue comme une traînée de poudre. Les voisins sortaient la tête des fenêtres. D’autres habitants plus loin venaient en auto. Toute la ville voulait voir les sauvages. Les curieux commentaient nos vêtements, qu’ils trouvaient étranges, nos cheveux longs, nos tentes. Nos manières réservées passaient pour farouches leur méfiance nous effrayait. La couleur de nos peaux tranchait trop avec la blancheur de cette ville.
 Nous sommes repartis le matin à l’aube. Ce qui m’a brisé le cœur, ce ne sont pas ces regards ombrageux – je n’en avais que faire. Mais le malaise des enfants de Jeannette devant cette famille embarrassante m’a chavirée. Je le comprenais et c’est ce qui me faisait le plus mal. Après notre départ, ces enfants devraient vivre avec les quolibets et les moqueries. Même en ville ce n’était pas facile d’être inquiet.

 


Édition Folio, 280 pages, (et une centaine de pages de notes) , août 2022, paru la première fois, en 2019, au Éditions Gallimard

Les derniers mots de cet essai sont, pour moi, comme un clin d’œil complice :
 Écrit à Saint-Énogat
Cent ans plus tard
Entre le jusant et le flot.
Je dois cette lecture à un de vos blogs (et à mon anniversaire cadeau de mon fils)et j’espère à mon tour donner envie de lire cet essai. En 1919, le jury Goncourt se réunit deux écrivains sont pressentis pour recevoir le prix : Roland Dorgelès pour « Les croix de bois » et Marcel Proust pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » . 1919, la grande guerre est à peine terminée , et tout le monde pense que le prix récompensera Roland Dorgelès ce valeureux ancien combattant qui a su si bien rendre l’esprit patriotique et l’horreur de la guerre. Mais à la surprise générale Proust l’emporte, l’éditeur de Dorgelès en est si furieux qu’il mettra ceci sur la couverture des « Croix de bois » « Prix Goncourt – 4 voix sur 10 » .
Se déchaîne alors une cabale incroyable, Thierry Laget, analyse d’abord les les obstacles au succès de Proust, les raisons de son succès et les conséquences . Je ne savais pas qu’au départ les Frères Goncourt, avait décidé de couronner une jeune écrivain . Proust a alors 48 ans. La guerre est si proche que l’opinion publique reprochera au jury de couronner un « planqué ». La somme non négligeable 5000 francs était dans l’esprit de beaucoup destiné à récompenser un écrivain pauvre, ce que n’était pas Proust.
Mais toutes ces raisons ne sont rien par rapport à la personnalité de cet auteur, considéré comme un dandy superficiel, fréquentant uniquement les salons pour rencontrer les gens de la noblesse, son homosexualité qu’il avait pris grand soin de cacher ne plaide pas en sa faveur, évidemment.. Et que dire de son style « illisible » pour tant de gens.
S’il a eu ce prix, c’est qu’en 1913, juste avant la guerre Proust n’a pas pu présenter « un amour de Swann » et que certainement le jury du Goncourt a deviné plus que vraiment compris que Proust était un auteur d’un grand talent littéraire. Un des membres du jury, Léon Daudet, mettra toute son énergie pour que le roman de Proust soit récompensé.
Les conséquences de ce choix seront incroyables, à lire certaines diatribes contre Proust on se rend compte que les réseaux sociaux n’ont rien inventé. C’était si facile de se moquer de cet homme qui n’était que politesse, raffinement et de plus déjà très malade, il ne pouvait guère répondre à ses détracteurs qui le plus souvent n’ont pas lu son oeuvre. Thierry Laget dit qu’il faudra attendre 1959 pour que l’opinion publique se retourne enfin complètement.
Et aujourd’hui ! ! tout le monde reconnaît enfin son talent, on le lit, on l’apprécie, et on peut comprendre son humour, la finesse de ses analyses sociologiques, et surtout son apport si original pour comprendre comment fonctionne la mémoire.
Comme tant d’autres parmi vous, j’aime cet auteur depuis longtemps, je trouve parfois que c’est un peu long à relire, mais je ne m’y ennuie jamais car j’y retrouve toujours de nouveaux détails. Cet essai m’a intéressée car je n’avais pas imaginé à quel point il avait pu être raillé de son vivant. Le jury, de cette année là, a eu du courage et de la clairvoyance. Quand on voit la liste des illustres inconnus qui ont reçu ce prix avant lui , Marcel Proust est le seul que la postérité a retenu. Lire cet essai si bien documenté permet aussi de relativiser les emballements médiatiques, il n’y avait pratiquement personne pour défendre Prouts en 1919 et il n’y a plus personne aujourd’hui, pour penser que Dorgelès est un meilleur écrivain que lui !.
Keisha a raison, c’est elle qui m’a tentée , merci.

Extraits

Début.

Le 15 février 1897 commence chez Drouot la dispersion de la collection des frères Goncourt. Trente-trois vacations suffisent à peine pour écouler le trésor accumulé en cinquante ans et, jusqu’à l’été, la corne d’abondance du Grenier d’Auteuil se déverse dans les salons de l’hôtel des ventes : meuble de Boulle, terres cuites de Clodion, sanguines de Fragonard, pastels de Watteau, estampe de mœurs d’après Greuze ou Boucher – « la Bouquetière galante, la Charmante Catin, les Hasards heureux de l’escarpolette »-, porcelaines de Saxe, tapisserie des Gobelins, de Beauvais, d’Aubusson, album japonais, coquilles d’œufs, ivoires, éventails, et des reliures de maroquin rouge, de veau fauve, des exemplaires des chefs-d’œuvre de la littérature romantique et naturaliste – Balzac, Hugo, Flaubert Zola-….

Un monde disparu .

La table chez Drouant est ronde, mais Hennique ne la fait point tourner. Il disparaîtra à la Noël de 1935, le même jour que Paul Bourget, si bien que sa mort, relégué au dernier plan, ne donnera lieu qu’à des entrefilets. Comme tous les naturalistes, il aimait les récits de funérailles : les siennes ne seront racontés par personne.

Une critique de 1919 qui rejoint souvent celles que j’entends encore aujourd’hui.

« La revue de Paris » du 15 juillet, sous la plume de Fernand Vandérem (qui avait « spécialement demandé » les derniers livres de Proust aux éditions de la NRF, sans attendre de recevoir le service de presse) , commence par un « éreintement carabiné » évoquant un roman « éléphantiforme », une « minutie qui dépasse en raffinement les pires tortionnaires de la psychologie », un « style, d’une correction presque toujours absolue, mais offrant des enchevêtrements, des puzzles tels que les plus aguerris s’y reprennent à deux fois sur chaque phrase » et des « négligences allant par endroit jusqu’au rabâchage ».

Opposition droite gauche .

Mais il est moins question de lui et de son livre que de ce que l’on voudrait que l’un et l’autre soient. Le prix Goncourt offre une occasion de poursuivre sous le rubrique littéraire, une lutte qui se déroule ordinairement dans les travées de la Chambre, dans les meetings, dans les échauffourées entre les Camelots du roi et Jeunes Gardes révolutionnaires. Mais, surtout, il permet à chacun de déclarer son allégeance à un parti.
La traditionnelle opposition entre gauche et droite étouffée pendant la guerre pour cause d’ « union sacrée », se réveille avec la paix.

Dans « Clarté » journal dirigé par Henri Barbusse.

Proust est  » l’homme bien élevé, bien habillé, bien pensant, l’homme qui ne s’est pas aperçu de la guerre, et qui continue son dix-neuvième siècle, en 1919″, « le dernier des Scudéry », « un céladon », « un snob, attentif, respectueux, bête comme de la pommade ». Lefebvre cherche dans les « Jeunes filles », une phrase à « montrer » à son lecteur : « Rien. Aucun style. Une fontaine dans un jardin de fleurs artificielle. Et impossible de l’arrêter. Il n’y a pas de robinet. Seule ressource : fuir. Parlons cru : M. Proust n’écrit pas. Et son genre est à gifler. »

L’académie Goncourt aujourd’hui.

( L’académie Goncourt) Elle a d’ailleurs laisser (le prix) celui-ci bourgeonner et se ramifier – en dépit des dernières volontés de son fondateur- et elle prime désormais par délégation ou en franchissage, en toute saison et en tout lieu -Pologne, Serbie, Tunisie, salon du livre, lycée, maison de retraite – la biographie, la nouvelle, les premiers romans. Elle compose enfin à son usage personnel des sélections à répétition, multipliant puis divisant à chaque étape le nombre des prétendants, déclenchant des la fin du printemps un compte à rebours qui doit durer jusqu’à l’automne, comme pour le lancement d’une fusée ou d’un pétard à mèche.

À propos du vote des femmes .

Emile Bergerat, écrivain « de gauche » livre à ce sujet le fond de sa pensée dans ses « Notes quotidiennes » : l’ennemi c’est le féminisme, soit la masculinisation du sexe faible, qui doit rester faible selon la loi de la nature et qui a sa tâche propre dans la besogne humaine ».


Édition Michel Lafon, 424 pages, août 2024

Olivier Norek a su me faire apprécier des romans policiers , ce qui est une forme d’exploit étant donné mon peu de goût pour le genre, et sans en avoir retenu toutes les nuances de l’intrigue je me souviens bien de « Code 93, Territoire et Surtension » , cette fois il m’a embarquée dans cette guerre avec un réalisme et un soucis du détail qui a rendu cette lecture très difficile et angoissante.

La Finlande était un était indépendant depuis 1918, mais l’URSS vivait très mal l’indépendance de ce petit pays et en 1939, déclenche la guerre et pense écraser la Finlande en quelques jours . Cela rappelle étrangement l’invasion de l’Ukraine aujourd’hui – « L’opération militaire spéciale »-. Cette guerre durera plusieurs mois appelée « la guerre de l’hiver » et se soldera par un traité avec l’Union Soviétique qui prendra une partie du territoire russe et dans cette guerre l’armée rouge a perdu près de quatre cent mille hommes, les Finlandais soixante dix mille, mais jamais l’armée rouge ne réussira à enfoncer les lignes de résistance de la petite armée finlandaise.

L’auteur dit qu’il avait entendu parler d’un héros finlandais Simo un tireur d’élite autour duquel une légende s’est tissée dans les rangs de l’armée russe , on l’appelait « Bellaya Smert » c’est à dire « La mort blanche ». Nous allons donc suivre son parcours et c’est peu dire qu’il mérite l’admiration. Mais c’est un homme modeste qui sait que l’ensemble des soldats finlandais, vivants ou morts sont à admirer, c’est grâce à eux que le pays a résisté, grâce à eux, et à la stupidité de l’armée soviétique. Comme la guerre ne devait durer que quelques jours, Staline a envoyé à la mort des divisions peu préparées vêtues en tenue d’été, et avec quelques jours de nourriture. Et comme le grand Staline avait envoyé au goulag ou à la mort tous les cadres de son armée, il les a remplacés par des commissaires politiques qui étaient prêts à fusiller sur place tous les hommes qui hésitaient à aller à la mort.

Grâce à ce récit, l’image de la Finlande apparaît, des gens fiers de leur mode de vie, et aussi un pays si difficile à vivre avec un climat qui ne pardonne aucune négligence.

Le style de cet écrivain est efficace et va toujours à l’essentiel, certains récits prennent vraiment aux tripes, ces pauvres soldats envoyées à la mort sur des lacs gelés et qui tombent dans une eau qui les tue immédiatement, m’ont bouleversée.

On le sait les Finlandais ne sont pas au bout de leur peine, l’Allemagne Nazie viendra les envahir puis après 1945 les soviétiques reviendront à la charge. On peut comprendre qu’aujourd’hui la Finlande se méfie de son grand voisin.

L’attitude des gouvernement français et anglais n’est vraiment pas à leur honneur. La façon dont l’armée rouge a été tenue en échec en Finlande a permis à l’Allemagne nazie d’imaginer qu’elle pouvait facilement envahir la Russie, ce qu’elle fera des 1941.

Un roman historique très important à lire en ce moment où Poutine essaie de rejouer la grandeur de la Russie sur le dos de l’Ukraine.

 

Extraits

Début prologue 1

La lumière pleut sur ses yeux fermés, sur son corps allongé au cœur arrêté.

Début prologue 2

Longtemps, la Finlande appartient à personne.
Pendant des siècles, elle fut une partie du royaume de Suède. Et pour un siècle encore, elle passa sous la souveraineté de la Russie. Elle dut attendre 1917 pour gagner son indépendance.

Début du roman

« Un peu avant l’enfer
dans une forêt de Rautjärvi,
village de Finlande.
Aux herbes écrasées, aux branches cassées, aux empreintes enfoncées dans la terre et dont la partition racontait aussi bien qu’un fléchage le chemin de ceux qui les avaient laissées, sans un bruit, Simo lisait la forêt.

Vision lucide

– Vous insinuez que la Russie s’est tirée dessus ?

– Ce qu’elle ne reconnaîtra jamais. Aucun pays ne souffrirait d’être vu comme à l’initiative d’une guerre surtout s’il attaque un État indépendant, neutre et relativement inoffensif comme le nôtre. Et Staline à beau avoir en horreur l’Occident, il en redoute l’opinion.

Le personnage de Simo

 On chanta malgré tout, on s’enivra jusqu’à l’oubli, mais pour Simo, Noël passa comme une journée ordinaire.
 Il partit seul, le lendemain à l’aube, fit de même les deux jours suivants et tua cinquante et un Russe de plus, au fusil, de loin, ou à la mitraillette les yeux dans les yeux.

L’armée rouge pas si russe que cela.

Ukrainiens, Roumains, Géorgiens Mongols, Turcs, Azéris, Kazakhstan, Tadjikistan, Uzbeks, Biélorusses, Arméniens…Aucun n’avait souhaité partir en guerre. Et forcer un homme revient à fabriquer un insoumis.

L’envoyé de la Stavka

 Directement envoyer par la Stavka par le train de ravitaillement, arriva le camarade commissaire Fiodor Komarov, nouvel officier politique qui avait, comme lettre de recommandation et gage de compétence, le fait d’avoir supervisé l’organisation des goulags et du quasi millions de travailleurs forcés qui y étaient détenus.

Dialogue entre le commissaire politique et le commandant militaire.

 Et qu’as-tu commandé au ravitaillement ?
– Des armes et des munitions, comme chacune des deux cent quarante autres unités, j’imagine. 
– Nous en avons déjà pour plusieurs guerres, objecta le militaire. As-tu au moins demandé des vêtements chauds et de la nourriture ?
– Que crois-tu ? Que j’allais me plaindre ? Dire au Kremlin que nous avons froid et faim ? Souligner discrètement que nous sommes arrivés mal préparés ? Non merci. Par contre, j’ai demandé des portraits de Staline. Chaque unité doit en arborer un par espèce pour notre Chef suprême, et il nous en manque.
– Une telle requête aura bel effet dans ton dossier. Mais sur le terrain…
– Je crains davantage Celui pour qui l’on se bat , que ceux contre qui on se bat. Et tu devrais aussi .

Le tireur d’élite.

Profitant de la déroute, Simo alignait ses cibles et touchait au torse. Infailliblement. Il avait, quelques jours plus tôt, manqué un tir à la tête et avait laissé au soldat survivant le temps d’abattre trois hommes avant d’enfin pouvoir le descendre. Depuis cet instant, Simo avait abandonné la tête pour préférer viser le torse, qui offrait davantage de surface, remplaçant le panache, s’il y en avait seulement, par l’efficacité. Parfois le coup n’était pas immédiatement mortel mais dans cet hiver artique au froid impitoyable, au sein d’une armée russe qui préférait réquisitionner de nouveaux soldats plutôt que de soigner ses blessés, une simple cheville brisée attirait déjà la curiosité de la Camarde.

Le froid.

 Par moins cinquante et un degrés, une température qui n’a jamais été encore atteinte dans l’histoire du pays, il suffisait simplement d’arrêter de marcher au de s’écarter un instant du feu pour geler en quelques secondes. Les Lottas passaient d’une tente à l’autre pour distribuer du papier journal dont les soldats s’entouraient les jambes et le torse avant de passer leurs combinaisons. Combattre le froid, et en souffrir remplissaient une bonne partie de leurs pensées. Ils se blottissaient les uns contre les autres, reléguant l’odeur insupportable, la saleté, les infestations de punaise de lits, les poux et les démangeaisons qui rongeaient la peau jusqu’au sang, au rang de désagréments légers. Par ce temps arctique, même les unités les plus valeureuses ne s’autorisaient qu’une seule heure de patrouille avant de rentrer avant d’éviter les nécroses, et si Simo bravait depuis l’enfance les rigueurs hivernales, en ces tout premiers jours de l’année 1940, deux heures en extérieur étaient sa grande, très grande limite .

La France de 1940 rappelle celle d’aujourd’hui ;

 – Stockholm et Berlin nous demandent d’accepter les closes de Staline. Paris et Londres nous demandent d’attendre et nous promettent l’envoi de soldats .
– Je sais bien, Anselme. Dalladier en assure quarante mille et Chamberlain près de cent mille. Mais ils arrivent quand ces hommes ? Pour l’instant, la seule chose que fait la France c’est de me mettre en une de ces journaux. Des promesses des promesses … Je ne vais pas charger mes canons de promesses ! Les minutes passées à attendre leurs soldats ne sont pas faites de secondes, mais de nos morts.

La gloire de la France

 En 1946 alors que la France de l’après-guerre devait se reconstruire, elle demanda sans la moindre gêne à la Finlande le remboursement de quatre cent mille francs pour le matériel envoyé, fusil, canon et mitrailleuses, dont la plupart n’étaient arrivés que bien après la fin de la guerre.

 

 

Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.


Édition Québec Amérique, 183 pages, février 2024

 

« Le roitelet » et « le jour des corneilles » font partie de mes meilleures lectures de l’an dernier, j’ai reçu ce livre en cadeau et je l’ai lu avec tristesse et aussi un grand plaisir de la langue.

La tristesse vient du thème même de ce roman, six enfants et leur père vont accompagner la fin de la vie de leur mère atteinte d’un cancer dont elle ne peut pas guérir. La présence de plus en plus forte du cancer qui mine toutes les forces de leur mère imprègne tous le texte. Le bonheur que l’on sent quand même surtout grâce à l’amour qui relie tous les membres de cette famille et aussi leur voisin la ferme Bertin, mais aussi grâce à l’observation de la nature, du ciel la nuit, des fleurs dans les jardins, des animaux …

Souvent l’écrivain commence ses courts chapitres par un évènement qui fait l’actualité et cela recentre le récit dans la réalité, beaucoup de chansons aussi qui étaient les grands succès de l’époque. Mais ce qui fait tout le charme des récits de cet auteur c’est son style entre poésie et philosophie .

Bien sûr, c’est un très beau livre mais qui m’a aussi envahie de tristesse, et j’ai eu aussi un peu de réserves sur le caractère des enfants. Ils sont trop uniquement gentils . Je pense qu’il ne faut pas lire ce livre d’une traite mais plutôt lire et relire les chapitres qui sont comme des poèmes qui correspondent à notre sensibilité. La langue de cet auteur ne me laisse jamais indifférente.

 

Extraits

 

Début : le premier chapitre.

Un matin de l’été mille-neuf-cent-soixante-cinq, peu après le passage de la benne à ordures, la verroterie des dernières étoiles a cessé de scintiller et la nuit noire du monde a majestueusement cédé sa place aux rayons poétiques et très anciens du soleil. À peine plus tard, le jardin jouxtant la remise avec ses zinnias aussi colorés que des oiseaux, s’est avancé de quelques pieds, le ciel a pivoté sur lui-même dans un petit bruit d’essieu puis j’ai installé en plein milieu de l’allée la vieille caisse à oranges descendue du grenier. Alors, Enzo, le plus vieux de la famille (onze ans) est monté dessus et a lu pour nous son discours très émouvant, écrit très phonétiquement, sur la beauté des êtres et des choses. Ensuite la vie a passé durant quelques heures et nous avons attendu, petits enfants frétillants et attendris que quelques nouvelles fraîches nous parviennent. Finalement le téléphone a sonné et, quand Enzo a décroché, nous nous sommes agglutinés tous les cinq autour du combiné, c’était papa qui de l’hôpital nous annonçait que notre petit frère Zénon, le dernier d’entre nous, venait de naître. À présent que nous étions enfin tous réunis, notre histoire pouvait commencer.

La joie.

 J’entends encore, des décennies plus tard papa répéter cette phrase pour moi si réjouissante,témoignant d’une profonde compréhension de la vie humaine :  » Il y a l’art, mais attention, il y a la rigolade aussi ! ».

Mélange de l’histoire et de la tragédie familiale.

 En octobre, les gens du Front de Libération du Québec ont kidnappé l’attaché commercial du Royaume-Uni, James Richard Cross, et le ministre provincial du Travail Pierre Laporte. Le matin où monsieur Laporte a été retrouvé mort dans le coffre d’une auto, les globules rouges dans les veines de maman ont atteint pour la première fois un taux si bas que l’anémie s’est mise de la partie, et alors en quelques heures à peine notre mère est devenue d’une pâleur franchement effrayante. Nous étions autour d’elle comme des lampions, pleins d’une matière combustible avec une mèche pour jeter si possible un peu de lumière et de chaleur sur ce visage tout à coup si spectrale.

Chapitre 31 : aggravation du cancer et les chansons de l’époque .

 Au début du mois de septembre mille-neuf-cent-soixante-et-onze René Simard a fait paraître à l’âge de dix ans son disque « l’oiseau » et tout le monde est devenu fou de lui. Nous écoutions nous aussi « l’oiseau, Santa Lucia, et Ange de mon berceau » en boucle à la maison, mais notre entrée dans le fan club a été ratée parce qu’en août maman était arrivé dans la phase de crise blastique du cancer, chose qui nous coupait l’envie de chanter et de célébrer. Qu’est-ce que la phase blastique ? Voici la réponse de papa, formulée dans l’atelier, où nous avons été conviés à soir après qu’il eut mis maman au lit. « C’est en gros l’étape où tout se détraque. Les cellules dysfonctionnelles se multiplient, les globules rouges et les plaquettes diminuent drastiquement. Votre mère pour cette raison développe depuis un mois infection par dessus infection, elle saigne pour un rien, éprouve une immense fatigue elle a le souffle court, des maux d’estomac à cause de la rate qui enfle, des douleurs aux os. »

Le style .

 Je crois que ce que maman aimait particulièrement, c’était cette façon bien à lui qu’avait le fermier Bertin de se souvenir des gens ordinaires, et d’accueillir leurs pensées dans le grand palais vert de son esprit, où se mêlaient, aurait-on dit, les nénuphars de l’avenir et les lianes de la mémoire. En esquissant son faible sourire si tendre, elle disait toujours : « il s’émerveille pour un rien : la lune qui se déplace si méthodiquement au ciel, le vent léger qui fait se pencher les herbes des collines, les haricots qui poussent à l’ombre. C’est merveilleux. »

Après…

 Ça se passait au milieu d’un siècle voisin et cependant très différent de celui-ci, en un temps où il leur semblait plus important que jamais de s’intéresser à ces trucs démodés : la gentillesse, la hauteur de vue, l’humanisme. Ils songeaient à leur vie avec humour, ils s’appuyaient fermement sur leur passé, ils traversaient le temps présent en lisant un vieux traité de sagesse pour se donner du courage, ils croyaient en l’avenir, ils aimaient beaucoup se parler des évènements qui les avaient influencés, de ceux qu’ils provoquaient pour faire encore un peu dévier leurs destins, des vies qui n’avaient pas vécues.


Édition Acte Sud, chaque tome contient à peu près 134 pages, donc pour les 5 tomes 650, de 2021 à 2023

Cette auteure me fait apprécier le Japon alors qu’elle même vit au Québec et écrit en français, mais c’est peut être pour cela qu’elle m’est aussi accessible. J’ai mis sur Luocine deux oeuvres d’elle Le poids des secrets et aussi Mitsuba qui fait partie d’une série que je n’ai pas lue en entier. Cette auteure, a besoin de cinq tomes pour cerner complètement son histoire. On peut très bien ne lire qu’un tome qui se suffit à lui même, mais il est vrai que les cinq éclairages différents rajoutent beaucoup à la compréhension des personnages et du récit.

Dans chaque roman, il y a une réflexion, sur la signification des caractères japonais, je ne peux hélas vous les mettre dans les extraits, car mon ordinateur ne peut pas les reproduire, mais c’est pourtant un élément important de la signification de chaque récit. On sent chez cette auteure une envie de nous faire comprendre toute la richesse et la profondeur de la civilisation japonaise.

Le cycle de ces cinq récits portent le nom de « Une clochette sans battant » , c’est le premier objet qu’Anzu a réparé en utilisant ce procédé très célèbre au Japon, les fêlures ne sont pas masquées mais mises en valeur par un procédé particulier, on utilise un fil d’or. Je pense que cet objet et sa réparation est un symbole du récit de cette famille qui fonctionne assez bien alors qu’elle aurait pu se briser tant de fois. Le couple des parents que nous voyons dans « Sémi » a failli se briser sur la révélation de l’infidélité du mari, cette révélation a poussé la mère à tromper une seule fois son mari avec un musicien célèbre. Ce qui va réparer le couple comme le Kintsugi répare les poteries sans cacher les fêlures, c’est le fils tant espéré qui naitra de cette infidélité. Le tome qui est consacré aux parents se passe à travers la mémoire défaillante de la maman qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai trouvé très intéressant comment le Japon s’occupe d’une population vieillissante très nombreuse. Le récit consacré à Anzu l’artiste de la famille et celle qui crée les plus belles pièces de poteries qui sont considérées comme de l’art au Japon. Cette femme est douce mais déterminée et si elle n’a pas la brillance de sa soeur elle a plus de profondeur . Ce tome , « Suzuran » est sans doute celui que j’ai lu avec plus de plaisir. Contrairement à celui qui est consacré à sa soeur « No-no-Yuri », mais la peinture de la jeune Japonaise belle et décidée est aussi très intéressante car on voit le monde des affaires et les mœurs plus que discutables de certains hommes d’affaires américains !

J’ai trouvé un peu plus creux le dernier tome consacré au fils « Niré » en fait on connaissait le secret de sa naissance et on sentait bien que les réactions de ce fils iraient dans le sens de la réparation.

Un bilan positif et un grand plaisir de lecture malgré un léger bémol sur deux des tomes.

Extraits

Urushi

Début.

 Je descends du bus et me dirige vers le sentier qui mène chez moi. D’en bas, on aperçoit notre maison aux toits de tuiles grises. Mon sac-à-dos pèse sur mes épaules à cause d’un livre épais que j’ai emprunté à la bibliothèque de l’école.

Réparation de poterie.

Le Kintsugi me séduit toujours. Je contemple la photo d’une vieille assiette ornée de vagues bleues. Dessus serpentent plusieurs longues lignes d’or courbées comme des rameaux. Quelqu’un l’a-t-il laissé tomber par accident ? Ou bien exprès ? Une femme en colère contre son mari l’aurait jeté sur le sol, par exemple. Quelle que soit son histoire l’assiette a été ressuscitée à merveille. Ce n’est pas une simple réparation. Il s’agit d’une création. Un art. Sinon, il suffit d’utiliser une colle forte ordinaire.

Suzuran

Début.

La nuit tombe. J’entre dans mon appartement où il n’y a personne.
 Il fait froid aujourd’hui pour une fin d’avril. Il est déjà huit heures. J’ai faim. En préparant une salade, je réchauffe le curry restant d’hier. Installée à la petite table dans la cuisine, je commence mon dîner tardif. Je n’entends que le tic-tac de la pendule. C’est samedi. Mon fils, chez son père depuis hier, reviendra demain soir

La poterie.

Ces pièces sont cuites sans glaçure. Ce qu’on appelle « yakijimé ». Quand les cendres de bois collent a un objet, leur alcalinité cause une réaction chimique avec le fer de l’argile c’est ce qui donne cette tonalité très particulière.
(…) Pour obtenir la teinte souhaitée, bien sûr, il faut avoir beaucoup de pratique et se fier à son intuition. Quand même, c’est impossible de prévoir exactement le résultat. C’est accidentel comme la vie.

Semi

Début.

 Je me réveille au gazouillis des moineaux. Un instant, je me demande où je suis. Dans notre maison ? Je jette un coup d’œil vers la fenêtre entrouverte. Aussitôt, je reconnais notre chambre à la résidence d’aînés.

No-no-yuri

Début.

 La voiture descend une pente. Les phares éclairent le chemin sinueux couverts de feuilles mortes.
O. et moi venons de dîner dans un restaurant au sommet. Nous avons mangé de délicieux biftecks accompagnés d’un vin rouge chilien exquis en écoutant de la musique jouée au piano. Le restaurant s’appelle nNo-no-yuri. Avec ce nom rustique, je ne m’attendais pas à une telle qualité. Bercée par un air doux, j’ai bu plus que de coutume. Mon amant portait aux nues la beauté de mon visage, ainsi que l’élégance de ma tenue : une blouse plissée et une longue jupe en mousseline. Il s’extasiait aussi sur ma broche et mes boucles d’oreilles ornées de rubis verts véritables que j’ai achetés dans une fameuse bijouterie de Ginza.

L’élégance.

 Je me maquille très soigneusement et me mets du parfum de grande marque achetée à Paris. Je choisis un chemisier et un tailleur jupe en lin de Belgique. C’est l’heure d’aller au bureau. J’enfile mon long manteau de laine et mes bottes noires italiennes. Au travail, je porterai une nouvelle paire d’escarpins légers et chics, italien aussi.

Niré

Début.

 La pluie qui tombait depuis tôt ce matin à enfin cessé.
On est samedi après-midi. Je suis venu en ville acheter de la peinture pour mes deux filles. S’il fait beau demain, elles vont repeindre leurs bureaux.
Je consulte ma montre en sortant de la quincaillerie. Il est cinq heures vingt. Je pense aller voir mes parents à leur résidence. Ils dînent normalement vers six heures et demie. Je pourrai rester un peu. Ma mère souffre de la maladie d’Alzheimer. Depuis quelques années elle ne me reconnaît plus et me considère comme une simple connaissance. Nous nous saluons avec de petits mots polis, presque toujours les mêmes. J’espère qu’elle m’accueillera de bonne humeur aujourd’hui.


Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 


Édition La Table ronde, quai Voltaire, 377 pages, août 2020.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Richard Russo est un auteur qui ne me déçoit jamais, souvent quand je lis vos billets sur cet auteur je me dis encore un roman à lire pour mon plaisir. Pourtant, sur Luocine je n’ai que « le déclin de l’empire Whiting » avec 5 coquillages, bien sûr. Je dois à ce roman une grande première pour moi, la fin que j’avais lu en premier ne m’a rien appris sur l’intrigue, et surtout il m’a démontré que je suis capable de supporter le suspens quand il est dévoilé petit à petit et qu’il rajoute à l’intérêt du livre.

Le roman commence par un prologue assez long où l’on voit des anciens amis étudiants , se retrouver dans une île au large du Massachussets, Martha’s Vinehard, très vite on apprend qu’en 1971, ils y avaient passé quelques jours en compagnie d’une fille dont ils étaient tous amoureux , Jacy.

Ils ont aussi tous les trois été marqués par la guerre du Vietnam, surtout Michael qui avait tiré le numéro 9 ce qui aurait dû ne lui laisser aucune chance d’échapper à la guerre. On comprendra peu à peu, la phrase mise en épigraphe du roman :

Pour ceux dont les noms sont sur le mur

Nous allons donc, peu à peu connaître Lincoln, le propriétaire de la maison sur l’île, Teddy propriétaire d’une maison d’édition qui ne s’est jamais autorisé à écrire « son » roman, Michael le chanteur de rock qui détient une grande partie des réponses que se posent ses deux amis.

Sans déflorer le suspens, car ceci nous l’apprenons très vite, Jacy qui devait se marier avec un homme du même milieu social qu’elle, quelque temps après le premier séjour dans l’îl, a rompu ses fiançailles et a disparu. Son souvenir plane sur leurs retrouvailles dans l’île. L’intérêt du roman, comme toujours chez cet auteur, vient de l’analyse très poussée de trois milieux sociaux nord-américains différents. Le roman joue avec deux temporalités, la jeunesse des étudiants et le WE aujourd’hui.

Lincoln, est le fils d’un père sûr de toutes ses valeurs et étroit d’esprit, la seule révolte de sa mère aura été de garder sa maison sur cette île où elle a passé de bonnes vacances enfant. Aujourd’hui Lincoln est à la tête d’une agence immobilière, a failli faire faillite pendant la crise des subprimes. Il a réuni ses amis dans cette maison qu’il pense vendre, grâce à lui (ou à cause de lui) la disparition de Jacy l’amènera à soupçonner son voisin, puis son meilleur ami.

Teddy, est le fils de deux enseignants d’anglais, et il a toujours eu beaucoup de mal à s’imposer. Il a été victime d’une chute lors d’un match de basket, les conséquences de cette chute, étofferont l’intrigue du roman.

Michael est leur ami alors qu’il vient d’un milieu social très différent d’eux, en effet tous les trois se sont retrouvés dans une université de la côte Est « Minerva collège », alors que Michael est fils d’ouvrier et n’hésite pas à faire le coup de poing. Il est devenu rockeur et conduit une grosse moto. Il est beaucoup moins simple que son apparence ne le montre.

Quelques personnages secondaires enrichissent le roman, le voisin qui veut acheter la maison et qui se fait un point d’honneur à choquer le voisinage par ses propos outranciers. L’ancien policier alcoolique qui lance Lincoln sur des pistes d’explications à la disparition de Jacy qui vont beaucoup troubler Lincoln et permettre au lecteur de voir les mêmes faits sous un angle différent.

Non, non, je ne dirai rien de la disparition de Jacy, qui quand à elle doit comprendre sa propre famille et son origine biologique, une partie des réponses viennent de sa recherche.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la civilisation nord-américaine. Et Bravo, à cet auteur d’avoir vaincu mon impatience à connaître la fin avant de me lancer dans la lecture. Mais je dois avouer qu’une fois que j’avais toutes les solutions j’ai relu avec un très grand plaisir le roman : on ne peut jamais se refaire complètement !

 

Extraits

Début du prologue (de 35 pages).

 Les trois vieux amis débarquent sur l’île en ordre inversé, du plus éloigné au plus proche. Lincoln, agent immobilier, a pratiquement traversé tout le pays depuis Las Védas. Teddy, éditeur indépendant, a fait le voyage depuis Syracuse. Mickey, musicien et ingénieur du son, est venu de Cape Cod, tout à côté. Tous les trois sont âgés de soixante-six ans et ont fait leurs études dans la même petite université de lettres et science humaine du Connecticut, où ils ont travaillé comme serveur dans une sororité du campus

Analyse des études et des prof à l’université américaine.

 D’après les registres de l’administration, Teddy avait suivi plus de cours dans plus de matières que n’importe quel autre étudiant depuis la création de Minerva Collège. Tom Ford, son professeur préféré, lui avait dit de ne pas s’inquiéter pour ça, mais évidemment Tom Ford était fait de la même étoffe. Se qualifiant de « dernier des généralistes », il occupait la chaire des humanités et dispensait un cours sur les Grands Livres, mais il donnait également des cours « sur des sujets spéciaux » en anglais, philosophie, histoire, art et même en science. En fait, il inventait des cours qu’il aurait aimé se voir proposer quand il était jeune étudiant. Teddy en avait suivi tellement que Mickey disait pour plaisanter qu’il était le seul étudiant diplômé en Fordisme. Teddy avait découvert seulement en dernière année que son mentor était tenu en piètre estime par ses collègues. Il n’avait jamais dépassé le statut de maître de conférences car non seulement il ne publiait jamais rien, mais il voyait d’un mauvais œil ceux qui le faisaient. Leurs ouvrages, affirmait-il, apportaient la preuve de leur manque de savoir et de l’étroitesse de la sphère de l’heure connaissances. Plus que n’importe qui, c’était Tom Ford qui avait donné à Teddy la permission de satisfaire sa curiosité sans attendre en retour des bénéfices de réussite professionnelle. « Un jour » avait-il écrit en bas d’une de ses dissertations de Teddy, « vous écrirez peut-être quelque chose qui mérite d’être lu. Je vous conseille de retarder le plus possible ce jour « .

Compassion et pitié.

 Ses amis, pour peu qu’ils aient un peu suivi ce qui se passait, devaient savoir que Las Vegas avait été l’épicentre de l’ouragan financier des subprimes, mais comme il n’avait jamais laissé entendre que lui-même était menacé, ils avaient dû le croire à l’abri. Aujourd’hui encore, alors que l’agence avait enfin la tête hors de l’eau, il voulait leur cacher qu’ils avaient failli sombrer. Il ne craignait pas qu’ils s’en réjouissent. Au contraire, ils compatiraient. Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette et Lincoln -digne fils de son père, là aussi – ne voulait pas prendre ce risque.

Faire la guerre du Vietnam.

C’était donc ça. Son père, Michael Sr., un vétéran de la Seconde Guerre, avait détesté chaque instant passé sous l’uniforme, mais il était fier, avait-il expliqué à Mickey, d’avoir rempli son rôle.  » Quand on t’appelle, tu y vas. Tu ne demandes pas pourquoi. Ça ne marche pas comme ça. Et ça n’a jamais marché comme ça, mais. Ton pays t’appelle, tu y vas. » Tuyauteur de profession, Michael Sr. était de, de l’avis général un type carré qui n’aimait pas le baratin. Bourru et inculte, assurément, mais un gars bien.

Sourire.

-Vous aimez les animaux ?
– Comme la plupart des flics, je les préfère aux gens. Encore jamais connu un qui mentait.

Le coup de poing.

 Son père, un bagarreur dans sa jeunesse, l’avait mis en garde contre la violence, ses dangers, mais surtout ses plaisirs. Quand vous décrochez un coup de poing, tout ce qui est enfermé en vous se libère, et il n’existe pas de sensation plus agréable.

Fatalité ou Destinée .

 Et comme l’avaient bien compris les Grecs, il n’était pas possible d’interrompre, ni de modifier de manière significative, l’enchaînement des événements une fois que l’histoire avait commencé. 

 


Édition bayard Graphic’, 217 pages, janvier 2024

 

Lorsque j’ai fait paraître mon billet sur « La race des Orphelins » Sacha et Kathel ont dit dans leurs commentaires qu’ils avaient bien aimé cette BD. Mais sans faire d’article, (en tout cas je ne l’ai pas trouvé) . Je viens, moi aussi, vous conseiller cette BD, et curieusement elle m’a fait aussi être moins sévère pour le roman d’Oscar Lalo : si cette BD est agréable à lire, c’est d’abord que c’est un témoignage, il n’y a donc pas le mélange vérité historique et fiction, et puis surtout la mère de l’auteure dessinatrice a été aimée, et quelqu’un a pris soin d’elle et de son adoption dans un milieu aimant et équilibré. L’auteur de « la race des Orphelins » a décrit le cas général, la réaction de la Norvège qui va rejeter ces enfants comme des traces tangibles du nazisme et a refusé de les considérer comme victimes, ils ont été placés dans des orphelinats qui les ont maltraités. Alors, évidemment, chercher à retrouver le point de vue d’un de ces enfants rejetés par toute une société est beaucoup plus difficile et il doit y avoir que peu de témoignages.

Ici, la mère de la l’auteure peut retrouver la famille biologique de sa mère qui l’accueillera et lui expliquera toute l’histoire : c’était difficile pour une jeune fille de 20 ans d’éviter les soldats allemands pendant la guerre. Ils étaient pratiquement plus nombreux que les hommes norvégiens et surtout, cela la mère de l’auteure ne le savait pas, les soldats allemands avaient comme mission secrète d’avoir des relations sexuelles avec des Norvégiennes de type aryen pour avoir des enfants, les Nazis avaient créé un « Lebensborn » en Norvège où la mère de l’auteure est née.

La rencontre, aujourd’hui, avec le père biologique, l’ex-soldat allemand, est beaucoup moins intéressante, sa seule explication est de dire qu’il était très jeune à l’époque. Il sera cependant très ému et en pleurs quand il apprendra le suicide de la femme (grand-mère de l’auteure) qu’il a sans doute aimée. Mais sera incapable d’en dire plus.

J’ai tout aimé dans cette BD, la recherche sur la naissance de cette femme, le traitement des émotions de sa mère, et le dessin rajoute beaucoup aux émotions.

Un exemple


Édition Zulma, 267 pages, janvier 2023

Traduit du persan (Iran) par Christophe Balay

Dans ce roman, durant deux saisons, l’auteure va suivre les méandres des pensées de trois amies iraniennes : Leyla, Shabaneh et Rodja. Elles se sont rencontrées à l’université en spécialité mécanique. Chaque destinée est complexe, Leyla ne se remet pas du départ de son mari Misagh qui est parti au Canada. Elle n’a pas voulu le suivre, ou plus exactement quand elle a enfin compris que la décision de son mari était irrévocable, elle n’a pas pu le suivre. Obtenir des visas en Iran pour un pays occidental c’est très compliqué. Leyla est d’un milieu très riche et elle a mis trop temps à comprendre que son mari pouvait la laisser plutôt que de vivre en Iran. Elle est journaliste culturelle et son parcours permet de décrire les difficultés de la presse iranienne.

Shabaneh est empêtrée dans une histoire amoureuse avec un jeune homme qu’elle n’est pas sûre d’aimer, elle est aussi très sensible au sort de son jeune frère qui est handicapé mental, et qu’elle ne veut pas laisser seul avec leur mère dépressive et qui n’accepte pas le retard mental de son fils.

Rodja veut partir en France à l’université de Toulouse où elle a été acceptée. Grâce à son parcours, on comprend toutes les difficultés pour obtenir d’obtenir un visa (je doute que cela ce soit arrangé ! !)

Les trois destins s’entremêlent, et les pensées d’une fille à propos d’une autre éclairent la personnalité d’une façon nouvelle. La répression en Iran est présente mais ce n’est pas le sujet principal du livre. Par exemple, le journal dans lequel Leyla écrit et qui semble enfin lui apporter un certain bonheur est interdit de publication mais il semble que les journalistes pourront publier un nouveau titre et que la vie ne s’arrête pas. Le système de débrouille est la norme et oblige chacun à s’adapter sans cesse et à jouer avec la censure ou l’absurdité du système.

Rodja n’obtient passes papiers mais elle recommencera ! Shabaneh , c’est plus compliqué va-t-elle se marier juste parce que le garçon insiste et qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut vraiment ?

J’ai aimé cette lecture, mais sans enthousiasme, les pensées de ces trois personnages ressemblent à celles de toutes les jeunes femmes qui cherchent à s’affirmer pour exister . Il y a un aspect exotique car cela se passe en Iran mais sans la répression telle qu’on la raconte aujourd’hui, elles tournent en rond autour de leurs problèmes de couple, de relations à leurs parents, de soirées à organiser …, bref je crois que j’oublierai vite ce roman.

Extrait

Le début.

Je te cherchais, je courais. Sur le carrelage blanc glacial du hall de l’aéroport. Dans un silence de mille ans. À chaque foulée, ma respiration haletante bourdonnait à mes oreilles, de plus en plus fort emplissant ma gorge d’amertume. Les vols internationaux étaient à l’autre bout. Ce n’était pas l’aéroport Imam Khomeini. 

Réflexion de Shabaneh.

 Faire semblant d’être heureuse. C’est la seule chose que je sache faire. On a de l’entraînement dans la maison. Moi, maman, papa. À la maison il n’y a que Mahanqui a l’air d’être heureux pour de vrai. Comment savoir ? Il est incapable d’énoncer une phrase correctement. Peut-être fait-il lui aussi semblant comme nous tous. Comme la fois où maman était si déprimée que papa nous a emmenés faire un petit voyage pour nous détendre. Mahan a vomi tout le long du trajet, en salissant toute la voiture. Où bien la foi ou on est allé à l’école de Manhan pour l’écouter chanter avec ses camarades, aussi dérangé que lui, personne n’y comprenait rien, mais on les a écoutés et applaudis, sourires figés aux lèvres. Ou le jour où maman avait organisé une fête pour célébrer mon admission à l’université et qu’elle avait confié Mahan à grand’mère pour s’épargner la honte devant les invités. Il y a longtemps qu’on fait semblant, on s’échine à mimer un bonheur simple perdu dans une suite tragique de malheur sans fin.

Les femmes iraniennes d’aujourd’hui .

On est des sortes de monstres, Shabaneh. On n’est plus du même monde que nos mère mais on n’est pas encore de celui de nos filles. Nos cœur penchent vers le passé et notre esprit vers le futur. Le corps et l’esprit nous tirent chacun de son côté, on est écartelées.