Édition Sabine-Wespieser

 

Après « Avant que les ombres s’effacent » , voici ma deuxième rencontre avec cet auteur. Et ce récit a été encore un vrai plaisir de lecture, au moins pour les trois quart, j’avoue avoir été moins intéressée par le personnage de Laura qui termine l’histoire de cette étonnante famille italienne, romaine, plus exactement. D’un côté la famille maternelle représentée par une comtesse qui est la quintessence de la noblesse catholique italienne. Le talent de l’auteur c’est de nous la rendre drôle même quand elle tyrannise toute sa famille ; il faut dire qu’elle a eu beaucoup de mérite de garder à flot cette famille car son mari qui ne pense qu’à ses maîtresses a dilapidé toute la fortune la sienne et presque toute celle de sa femme. Il fallait « paraître » et organiser des réceptions pour le gotha romains et cela « la comtesse » sait le faire mieux que tout le monde à Rome. Sa fille, Elena va épouser Giuseppe, un enfant d’une vieille famille juive romaine, le pendant de la comtesse, c’est Zia Rachele qui est la bonté même . Grâce à Giuseppe on découvrira le sort des juifs sous le fascisme et leurs difficultés, même s’ils ont survécu, à oublier leur peur. Dans cette grande maison vit aussi un concierge tout dévoué à Rachele et toute la famille. Ce sont des juifs non pratiquants, mais la soeur de Giuseppe partira vivre en Israël, même si toute sa famille cherche à l’en dissuader, elle partira quand même mais deux ans après l’avoir annoncé.

J’ai moins aimé le personnage de Laura la fille d’Elena et de Giuseppe qui va d’errance en errance sans que l’on sache bien pourquoi, elle permet à l’auteur de décrire les années noires de l’Italie , celles des attentats et des engagements politiques hasardeux. Laura risquera même d’y être mêlée de plus près qu’elle ne l’imaginait en fréquentant son professeur spécialiste de la littérature russe. Elle ne rêvait que d’une aventure sexuelle et sera fort déçue de ne pas parvenir à ses fins. Les rapports de Laura et de sa famille en particulier sa jalousie vis à vis de sa soeur m’ont carrément ennuyée. Dommage, car j’étais bien avec tous les autres membres de sa famille.

Ce qui fait le charme de cet auteur c’est son style et son humour et c’est sans doute plus facile d’avoir de l’humour sur des événements moins tragiques ou plus lointains que les attentats qui ont endeuillé l’Italie des années de jeunesse de Laura .

 

Extraits

 

Début.

« NONNA » ADÉLAÏDE, la grand-mère maternelle de Laura, autrement nommée la « comtessa », qui tenait à ce titre de noblesse hérité du défunt père des enfants -le seul apport conséquent de celui-ci à leur union, selon les dires de la vieille dame-, descendant d’une longue lignée d’aristocrates désargentés .

Un bilan de vie séquelle raconte avec humour.

Au delà de la crainte de lier les dernières années que Dieu lui concédait de vivre avec un tire au flanc libertin et de l’imposer qui pis est, à ses enfants et petits-enfants, elle n’avait nulle envie d’exposer aux yeux d’un inconnu sa nudité chiffonnée – elle n’était pas si décatie non plus. En dernière analyse, si elle n ‘avait connu, bibliquement parlant, que le père de ses enfants, se faire secouer tel un prunier par un érotomane, au moment de se mettre au lit en quête de sommeil bien mérité, ne lui manquait pas le moins du monde, sauf à tisser une liaison qui viendrait l’aider à redorer les lustres ternis au fil des ans…. On n’était jamais à l’abri d’une bonne surprise, n’est ce pas ?

Humour.

 Non par conviction républicaine, si tant est qu’il eût jamais une conviction dans la vie, hormis l’entrecuisse des femmes ….

J’adore cette grand mère .

 Elle avait des principes auxquels elle n’aurait dérogé pour rien au monde, comme laisser choir dans sa gorge quelque breuvage que ce fût qui n’eût transité par de la porcelaine de Limoges ou du pur cristal taillé de Murano, le rebord dûment doré à l’or fin.

Le passage par les psychologues (Leur fille, Laura, demande à ses parents d’aller voir un psychologue )

 … sans s’imaginer un instant qu’avec son mari, ils ouvraient la boîte de Pandore et engageaient leur fille sur une voie tordue de plusieurs décennies, où elle irait de gourou à gourou dans une éternelle insatisfaction. L’un lui laisserait entendre qu’elle était un haut potentiel intellectuel, normal d’être incomprise de la majorité des êtres humains, de niveau plutôt moyen, voire médiocre ; l’autre la traiterait comme une servante, la rabaisserait plus bas que terre, ramassant les miettes dès qu’elle ferait mine de changer de boutique, mais tous lui expliqueraient la nécessité vitale de payer à prix d’or leur écoute, de la budgétiser au même titre, si ce n’est en priorité, que se nourrir et d’avoir un toit sur la tête.


Édition Héloïse d’Ormesson 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un livre surprenant pour un premier roman d’une jeune écrivaine, il est composé en trois parties dont l’intérêt est allé en diminuant (pour moi !).

La première partie est à deux voix : celle du père et de la mère d’Isor une enfant qui ne parle pas et dont aucun médecin ne peut dire exactement ce qu’elle a. On retrouve dans cette partie le désarroi des parents d’une enfant « pas comme les autres ». Sa mère sent que cette petite fille, sa fille, a des capacités qu’elle ne veut (ou ne peut) pas montrer, comme si elle avait peur du monde. Son père est souvent plus agacé par sa fille mais finit par trouver un lien avec elle à travers les DVD, ensemble ils regardent des reportages animaliers ou des films en langue étrangère. Elle imite très bien les animaux ou semble parler chinois ou arabe. Alors qu’elle ne dit pas un mot en français.

J’ai trouvé triste mais très bien décrite leurs démarches auprès du corps médical pour comprendre et aider leur fille. Tant de parents témoignent des mêmes errances quand ils veulent comprendre pourquoi leur enfant ne réagit pas comme tous les autres. Ils décident donc de s’en sortir seuls. Isore grandit et un jour elle veut faire ses propres découvertes, nous sommes dans la deuxième partie quand elle rencontre Lucien un vieil homme avec qui elle se sent bien. Dans la deuxième partie nous entendons la voix de Lucien, et je n’ai vraiment pas compris grand chose à cet amour absolu de Lucien pour Isore. Ce que la petite n’a jamais donné à ses parents (la communication) elle le donnera à cet homme qui partagera son secret avec elle : l’éloignement en Italie de sa fille Anellia ou Ani. Enfin, dans la troisième partie (un grand n’importe quoi – toujours pour moi) grâce à une correspondance fournie , Isor raconte à ses parents sa nouvelle vie en Sicile avec Aniella. Bref cette enfant qui n’a jamais eu aucune autonomie, n’a jamais parlé peut écrire est capable de se rendre seule en Sicile pour retrouver et vivre avec la fille de Lucien .

Une déception, après un bon début, pour ce roman qui visiblement plaît beaucoup. Cette toute jeune écrivaine a le temps pour écrire des romans qui, peut-être, me plairont davantage.

 

Extraits

Début .

 Mère 
Mon poussin, ma toute petite, moi qui t’ai formé au rythme des secrets de mon ventre, je t’ai vue finalement grandir en dépit de tout. Detoutes ces choses incompréhensibles et qui t’étaient contraires.

Florilège d’avis divers et variés sur leur fille,( j’en cite 2 sur 10).

Alexandre Petit (interne) ORL : » L’hypothèse d’un syndrome rare touchant les canaux lacrymaux n’est pas exclue : votre fille sécréterait trop de larmes. On a relevé un cas similaire en Birmanie il y a deux ans ».

 

Docteur Amandine Blanc, psychiatre : » Partez donc un peu en vacances, prenez du temps pour vous cela devient UR-GENT ! Isor a besoin de voir sa famille unie et heureuse. On continue de se voir tous les deux jours ? »

 


Édition Robert Laffont, 361 pages, février 2024.

 

J’ai failli arrêter la lecture de ce roman au premier chapitre, j’ai eu beaucoup de mal à croire au coup de foudre qui y est décrit : une jeune fille de 17 ans, croise sur un trottoir de son village, un jeune homme très sale mais son sourire lui soulève le coeur. Et paf ! elle est amoureuse et lui aussi et cela pour toute la vie. Evidemment la famille de la jeune Victoria est très dysfonctionnelle, sa mère sa tante et son cousin son morts dans un accident de voiture. Son père est muré dans un silence douloureux, son oncle revenu blessé de la guerre est complètement aigri et se déplace dans un fauteuil roulant , son frère Seth est la méchanceté incarnée. Son grand amour s’avère être un Indien, dont elle aura un enfant. Et lui sera assassiné par le frère de son amante et un ami de celui-ci .
Dans la deuxième partie, on voit cette jeune Victoria accoucher seule dans la montagne et confier son bébé à une jeune femme qui est en train de pique niquer dans une clairière avec son mari et son propre bébé. Ensuite on suivra Victoria d’abord dans son retour dans son village qui doit être inondé par un barrage hydraulique, elle acceptera l’argent du gouvernement pour déménager et reconstruire une ferme dans une autre vallée. Elle sera aidée pour déménager ses merveilleux pêchers par un ingénieur agronome. La vie reprend donc des couleurs pour elle, il lui restera à retrouver son fils. Mais non, je ne vous dévoilerait pas la fin.

L’histoire s’étale de 1948 à 1971, et permet à l’auteur d’évoquer les différentes tragédies ou seulement différentes façon de voir le monde qui ont traversé les USA pendant cette longue période : le retour des hommes blessés pendant la deuxième guerre mondiale, le racisme contre les indiens, la protection de la nature, la guerre du Vietnam , le poids de la religion, la place des femmes …

À aucun moment, je n’ai pu croire croire à « l’héroïne inoubliable » que me promettait le « Sunday Express », pas plus qu’à son abruti de frère Seth qui est le diable incarné. Il y a tant de rebondissements (souvent très invraisemblables) dans ce récit que cela peut peut-être plaire à un certain public, je n’en sais rien. L’évocation de notre « mère  » nature est tellement américaine ! Bref une énorme déception pour un livre que je vais très vite oublier.

À ne lire que si vous voulez bien que je divulgâche ce roman

Lorsque Victoria a accouché seule dans sa cabane dans la forêt, elle réussit à réanimer son bébé puis part et se retrouve dans une clairière où un couple pique nique et la femme donne le sein à un bébé. Elle dépose son nouveau né sur la banquette arrière de la voiture. Cette femme avait elle même accouché, à l’hôpital deux jours avant dans des conditions terribles et n’aura pas d’autres enfants, or son mari voulait avoir deux fils.. Attendez, ! ce n’est pas fini, par le plus grand des hasards le couple n’avait pas encore déclaré la naissance, ils vont donc déclarer la naissance de jumeaux…

 

Extraits

Début .

 Le garçon ne payait pas de mine.
Du moins à première vue
 » Excusez-moi, dit-il, portant des doigts sales à la visière d’une vieille casquette rouge. C’est par là la pension ? »
Aussi simple que ça. Une question banale posée par un inconnu crasseux remontant la Grand-Rue, juste au moment où j’arrivais au croisement avec la rue North Laura.

Le coup de foudre.

 En quittant la ferme ce matin-là, j’étais une fille ordinaire un jour ordinaire. Si je n’étais pas encore capables d’identifier quelle nouvelle carte s’était dépliée en moi, je savais que je n’étais plus la même en rentrant à la maison. Je ressentais ce que devaient ressentir les explorateurs dont on nous parlait à l’école, lorsqu’ils apercevaient un rivage lointain et mystérieux dans une mer qu’il croyait sans fin. Devenu le Magellan de mon voyage intérieur, je m’interrogeais sur ce que je découvrais. La tête posée sur la large épaule de Will, je me demandais d’où il venait, qui il avait quitté, et s’il arrivait à un vagabond de rester longtemps au même endroit. 

Les femmes.

 Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.

L’amour…

 Une fille de dix sept ans peut être idiote, surtout si elle ignore tout du pouvoir extraordinaire de l’amour jusqu’à ce qu’il la submerge telle une crue soudaine. Mais mon intuition selon laquelle Will était proche et ma certitude de le trouver en train de m’attendre dans la propriété voisine où Ruby-Alice recueillait ses étranges créatures étaient parfaitement fondées.

Fin de son amoureux pas de son amour .

 Et pourtant… Je connaissais la vérité : le monde était trop cruel pour protéger un garçon innocent ou pour évaluer ce que l’on ait ou non capable d’endurer ; Will avait trouvé la mort au fond de Black Canyon parce qu’il était resté pour m’aimer. 

La survie dans la nature .

 Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.

Édition Calman Levy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Pour une fois, on peut résumer rapidement le sujet. Une musicienne ne supporte plus Paris et l’ambiance de son quartier où vivent de nombreux artistes, et part vivre dans le Finistère proche de la mer.

Je reconnais une qualité à ce roman qui a d’ailleurs reçu le prix Renaudot, c’est dire si je ne suis pas dans l’air du temps avec mes deux malheureux coquillages, qu’elle aurait pu ramasser sur les plages qu’elle découvre à côté de sa location. Cette écrivaine est très honnête et après un coup de cœur pour la maison qu’elle a louée sans même la voir, elle ne nous chante pas le refrain trop connu de la vie idyllique en Bretagne authentique. Elle aura froid dans une maison mal construite, elle n’arrivera pas à changer sa bouteille de gaz, faire ses courses s’avérera très compliqué voire impossible sans voiture, ses propriétaires sont mesquins et malhonnêtes, et puis … il pleut beaucoup, tout le temps en vérité, et le taux d’humidité monte à 98 pour cent .
L’autrice se plaît à nous d’écrire par le menu la psychologie des différents personnages qui ont traversé sa vie. Je ne sais pas si c’est le milieu dans lequel elle vit mais la plupart d’entre eux font face à des histoires horribles. Le suicide y est monnaie courante. Sa meilleure amie a même enterré son propre frère pour cacher sa mort à ses parents !

Alors tout ce petit monde n’a qu’une solution : la drogue.

Quand on sait les ravages que fait le trafic de drogue en France c’est terrible de lire que des gens qui vivent bien loin des quartiers où les dealers font la loi permettent à ces gens de vivre et de terroriser des populations qui, elles n’ont pas les moyens de se droguer au chaud entre amis dans des appartements historiques où les seuls problèmes de voisinage sont des gens qui, parfois, font la fête trop tard le soir .

bref mon jugement moral me fait rejeter ce roman, et visiblement cela ne l’empêchera d’être encensé par la critique.

Extraits

Début.

 La plupart des gens sont seuls, ou se sentent seuls, ou ont peur de l’être. Peut-être est-ce pour ça que certains se comportent de manière vraiment merdique. Mais je ne me demande plus jamais pourquoi les gens font ce qu’ils font.

Après un mois de pluie, je me demande si elle pensera encore cela la réponse est non).

 À la sortie de la petite gare, en sentant la moiteur dans l’air et en voyant les palmiers sur le terre-plein du parking, elle a eu l’impression de débarquer dans un autre coin que le Finistère, différent de ce qu’elle avait imaginé, pas tropical mais presque avec cette averse malgré le soleil, quelque chose d’étrangement chaud, humide, enveloppant, et elle a su qu’elle allait être bien ici.

La banalisation de la drogue ( dans des quartiers éloignés de ce qui en rend d’autres si violents).

Quelle idiote d’avoir acheté un gramme avant de partir. Pour quoi faire, elle songe en remportant son téléphone qui n’a pas fini de charger. Quel intérêt d’avoir seulement un gramme ici alors qu’après ça donne envie de continuer à taper pendant des jours. Tout cela pour quoi, parce que celle du dealer de Mathieu le week-end dernier était meilleure que celle de la fois d’avant qui avait un goût de kérosène ?


Édition Gallimard NRF

Voici donc le troisième roman de cet auteur japonais qui manie avec tant de grâce la langue française. Il est aussi le troisième roman d’une trilogie dont je n’ai lu que le premier tome « Âme brisée » après avoir beaucoup aimé sa réflexion sur la langue « Une langue venue d’ailleurs« . J’ai moins aimé ce roman car j’en connaissais tous les ressorts mais c’est pourtant un bon roman construit autour d’un instrument de musique d’exception : un violoncelle Goffriller. Un jeune virtuose japonais, Ken Mizutani, est formé à la musique occidentale à Paris avant la deuxième guerre mondiale. Hélas la guerre le rattrape et avant de partir mourir dans ce conflit qu’il ne comprend pas, il connaîtra une nuit d’amour avec une luthière française qui exerce au Japon, Hortense Schmidt. Dans les romans une nuit suffit à faire un enfant, donc Pamina, leur enfant, sera aussi luthière mais à Paris et le célèbre violoncelle arrivera dans l’atelier e celui qui avait réparé le violon brisé du premier roman,  » Âme brisée »..

On retrouve ici le fanatisme du japon du régime de l’empereur Hito et un peuple prêt à se sacrifier pour toutes les guerres qu’il a entrepris de conduire au nom du nationalisme expensionniste japonais. On retrouve aussi toute la passion de cet auteur pour la musique classique en particulier les suites de Bach, du grand violoncelliste Pablo Casal, mais aussi d’un compositeur moins connu (en tout cas de moi) Elgar qui a écrit ce morceau plein de douleur après la guerre 14/18.

L’auteur aime aussi raconter la minutie du travail de luthier et c’est un grand plaisir de le lire. Mais tout cela on l’avait dans le premier roman, j’ai eu,donc, l’impression de lire une variante d’Âme brisé et pas un troisième tome d’une trilogie. Cela a, un peu, gâché mon plaisir.

Extraits

Début.

Je m’appelle Hortense Schmidt. J’ai trente-six ans. Je suis luthière. J’ai mon atelier dans le quartier de l’École nationale de musique de Tokyo. Mais en raison de l’intensification des bombardements dans la région de la capitale nipponne, je me suis réfugiée, sur le conseil de Ken Mizutani, dans ce hameau de Shinano-Oïwake qui appartient à la commune de Karuizawa où un nombre assez considérable d’Occidentaux vivent « parqués », si j’ose dire, sous l’ordre des autorités gouvernementales.

« Âme brisée » présent dans « Suite inoubliable » .

 On lui raconta alors qu’il était devenu luthier pour réparer le violon de son père musicien amateur ce fameux Nicolas François Vuillaume qui avait été impitoyablement piétiné par un militaire fanatique.

Un de mes étonnements sur le Japon d’après guerre.

En effet, les Japonais, qui tout au long de ces dernières années, partaient volontiers se « suicide collectif » plutôt que de « capitulation » et qui considéraient les Occidentaux avec méfiance, voire hostilité, ont changé radicalement d’attitude à leur égard pour aller jusqu’à les saluer avec de larges sourires. 


Éditions Voix autochtones Seuil 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Elie Mestenapeo est un Innus , c’est à dire un Autochtone qui vivait dans l’immense forêt canadienne. Il a commis l’irréparable : le meurtre de son père, un homme ultra violent qui battait sa femme. Elie est définitivement banni de son clan et fait 10 ans de prison. Sa seule solution c’est de venir à Montréal vivre au milieu des Autochtones qui pour des raison variées deviennent SDF dans cette grande ville. Ils peuvent être Chris, Atikamekw, Anishinabe, Innus, Inuit, Mikmaks, Mohawks tous ont en commun un parcours fait de douleurs, d’alcool, de drogue et de violences subies ou exercées. Ce roman décrit avec une délicatesse surprenante le parcours d’Elie au milieu de ceux qui vont l’aider à se reconstruire. Les horreurs traversées par ces adultes qui, enfants, ont été arrachés à leur famille pour être élevés dans des pensionnat religieux où ils ont connu tant de sévices sont sous-entendues mais jamais décrites.
C’est la force de ce roman, c’est un livre tout en douceur mais c’est au lecteur de supposer (et ce n’est pas si difficile ! ) ce qui s’est passé pour que le père d’Elie devienne alcoolique et si violent. Un jour, le grand père d’Elie lui raconte que son fils était un chasseur remarquable avec lequel il avait un grand plaisir à se promener dans la forêt immense. Mais hélas le gouvernement lui a enlevé son fils, pour le mettre pendant de longues années dans un pensionnat tenu par des frères. Il lui est revenu tellement triste et alcoolique. C’est tout ce que nous saurons sur ce père tué un soir de beuverie par un fils qui le hait profondément. Mais il en veut à sa mère aussi, car elle buvait autant que son père et surtout n’a jamais cherché à le revoir. On comprendra à la fin du roman pourquoi.

À travers l’histoire de son père, j’espère vous faire comprendre comment est construit ce récit, on sait peu de choses sur les difficultés qui ont amené ces êtres à choisir la rue plutôt qu’une vie plus agréable mais on le comprend trop bien. Et aujourd’hui ? ce qui est terrible c’est que ce n’est guère mieux. Les jeunes s’ennuient souvent dans les réserves. Car les territoires des Autochtones se réduit sans cesse , et surtout ce qui faisait la valeur de la transmission c’était le fait de savoir chercher la nourriture dans un lieu hostiles. Aujourd’hui tout le monde fait ses courses au supermarché du coin mais, alors, que peuvent transmettre les pères à leurs enfants ?

L’histoire d’Elie se termine bien, trop peut-être ? pour la réalité mais un peu de bonheur m’a fait du bien.

Ce même jour Kathel faisait paraître un billet sur ce roman

 

Extraits

 

Début .

L’odeur. Toujours pareille. Peu importe les veines dans lesquelles le sang court, son parfum âcre rappelle à ceux qui vivent leur vulnérabilité. Il y avait dans ce cœur trop de haine pour que ça se termine autrement. 
-Tu dis rien maintenant ? Hein ?
Élie soulève le corps et le plaque contre le mur puis approche son visage. Les yeux noirs de son père n’ont plus rien de menaçant.

La vie dans la rue.

 Dix ans de prison vous libèrent à tout jamais de l’emprise du temps qui s’écoule. Et il vit au jour le jour en retournant chaque nuit avec Geronimo au village.
 Les premiers gels frappent sans prévenir, comme une lame enfoncée dans le flanc. Élie se réveille en sursaut au beau milieu de l’obscurité. Le froid mort sa chair et il enfile des vêtements supplémentaires. La fragilité de son abri lui saute alors au visage.

Les saumons et les hommes.

 Les scientifiques ignorent ce qui pousse des poissons à quitter l’eau douce pour l’océan salé. Ces mondes ne se mêlent pas. Pourtant le poisson retrouve l’exact endroit où il est né comme si cela était inscrit en lui.
 Ce destin à la fois magnifique et tragique a toujours fasciné les hommes. Peut-être parce que, comme les poissons, ils sont souvent eux aussi épris d’un irrésistible désir de partir dans leur jeunesse, pour revenir à leur lieu d’origine plus tard.

 

 

 


Éditions Allary. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Au fond elle voudrait arrêter de mourir.

Cet auteur, médecin, se penche sur les malheurs des gens qu’il soigne. Tout son livre est construit sur une première expérience traumatisante : la mort d’un tout petit enfant car avec le SAMU, il est arrivé 10 minutes trop tard, et cela parce que sa maman, totalement paniquée, a dit habiter le numéro 42 au lieu de 24 . D’où les dix minutes supplémentaires. Ce jour là, devant tant d’injustice ni le médecin ni l’homme n’ont pu reprendre une vie normale. Depuis ce jour, le narrateur, et sans doute l’auteur n’a plus jamais pleuré (mais il a pris beaucoup de kilos !). Ce livre est aussi un plaidoyer pour toutes les femmes, il travaille, en effet, avec un centre d’aide aux femmes maltraitées par leurs conjoints et cela lui donne la conviction que beaucoup d’hommes sont de véritables ordures, ce qui est certain c’est qu’il est beaucoup mieux avec les femmes. Il nous explique aussi que son homosexualité lui vaut la confiance des femmes et le fait réfléchir à la façon dont d’autres médecins hommes se conduisent avec le corps des patientes. À travers différents cas de malades, il aborde beaucoup d’aspect de notre société, évidemment plutôt du côté de ce qui ne va pas. J’ai bien aimé le passage de consacré à une femme atteinte de plusieurs cancers qu’il sait être incurables, elle se fait soigner par un naturopathe qui prend 90 euros la demi heure quand lui est payer 25 euros l’heure et qui oblige cette pauvre femme à manger des légumes cuits à l’eau pour se guérir. Il enrage, mais il reste auprès d’elle jusqu’à la fin.
Une tranche de vie de ce médecin qui nous fait plonger dans la nôtre et celle de nos semblables

Ma seule réserve, c’est sa façon d’écrire, j’avais du mal à être bien dans ses récits et puis je suis allée l’écouter, et là surprise ! il racontait à une journaliste les mêmes histoires, mais il les racontait avec exactement les mêmes mots . Et j’ai alors compris ce qui me dérangeait dans son style, on sent que l’auteur raconte sa version des histoires et qu’il les raconte toujours de la même façon. Je ne sais pas si je me fais comprendre, mais on sent ce médecin sûr de son effet et qui a trouvé un procédé plus qu’un style pour raconter ses différents patients. Mais je pense, aussi, que cela ne gênera pas grand monde pour apprécier ce roman.

Lors de la discussion de notre club, plusieurs lectrices se sont demandé ce qu’il en était du secret médical. Espérons qu’il a obtenu le consentement des patientes avant de raconter leurs histoires, car elles sont parfaitement reconnaissables. (Et personne ne lui a attribué de coup de cœur.)

 

Extraits.

Début.

 C’est un petit cabinet médical. On y accède après avoir traversé un couloir en crépi beige, très beige, puis longé un patio fleuri, très fleuri. Parfois, ça sent les fleurs séchées, parfois rien du tout.
 Treize chaises grises et noires vous attendent dans une salle d’attente qui ne paie pas de mine.

Désespoir du médecin.

 Extirper. Vider. Déloger. Nettoyer. Désobstruer. Et pour quoi ? Pour le plaisir de regarder le corps revenir à la normale. Le sentir sous mes mains retrouver son intégrité. Quel frisson délicieux !
 Car notre ordinaire, à nous soignants, c’est l’échec. Une dépression, ça ne se videra jamais comme un abcès :  » je vais appuyer très fort ici, monsieur Soare, la tristesse va sortir, ça vient bien, je vois un peu de désespérance, j’appuie, encore, j’espère que ça ne fait pas mal ! »

Mme Chahid.

 « À la maison, ça va, mon deuxième fils, il m’a massé les jambes, c’est un bon garçon. J’ai aussi rendez-vous avec le médecin du travail, la dernière fois elle m’a affirmé :  » À trente ans on n’a pas mal au dos », ça tombe bien moi j’ai cinquante huit ans, j’ai tous les examens qui montrent que je mens pas, j’ai la scanner et la IRM. Sinon, j’ai failli vous amener mon deuxième fils, il a pris la pluie hier, mais il n’avait rien aujourd’hui, j’ai trouvé ça bizarre, c’est pas normal quand on a pris la pluie on devrait être malade, alors je vous l’amène si jamais il continue d’aller bien . »

Josette et son naturopathe.

En tout cas, je ne suis pas son naturopathe. Il prend 90 EUR la demi-heure, le cochon ! Josette paie, et puis elle paie, plus elle se persuade de pouvoir guérir de sa saloperie, pour une raison très simple, bête comme chou : il ne lui ferait pas payer une telle somme sans savoir de quoi il parle, le naturopathe, non ? Comme quoi, le cancer n’est pas un drame pour tout le monde.

La mort.

 Josette, elle, s’accroche, donne même le change, tient de petits discours tragiques comme quoi la mort ne l’effraie pas « c’est le terminus du train de la vie, de tout le monde descend ». Mais je sais à quoi elle pense secrètement : il y a encore une chance. Alors elles continuent la guerre.
 C’est indicible, ce qu’elle traverse en ce moment final où le corps et l’existence nous font comprendre qu’il va bientôt falloir rendre les clefs.
 Au fond elle voudrait arrêter de mourir.

 


Édition Actes Sud

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une lecture qui m’a embarquée dans la nature, dans les Pyrénées françaises, à la suite de l’animal détesté par les éleveurs et protégé par les écologistes : l’ours . Je suis d’habitude peu intéréssée par ce genre de lecture, et pourtant j’ai lu avec passion ce roman. Cette écrivaine a un vrai talent pour nous faire vivre les émotions des différents protagonistes de cette histoire. Avec Jules, le montreur d’ours de la fin du XIX°, j’ai eu une peur terrible quand il s’est introduit dans la tanière de l’ourse pour lui voler un petit ourson. J’ai sué sang et eau, avec Gaspard, le berger qui garde les brebis l’été dans les estives, à la recherche des bêtes effrayées par l’ourse, et j’ai aimé la façon dont Alma, la chercheuse en éthologie, pose toutes les questions à propos de la réintégration du plantigrade dans la montagne pyrénéenne.

Vous l’avez compris, il y a trois voix dans ce roman, et ce qui les unit c’est leur attitude vis à vis de l’ours. On comprend à quel point le sort de l’animal, quand on avait le droit de les maltraiter pour leur faire faire des tours qui amusaient les hommes, était une pure horreur. Le berger voit son travail très compliqué par ce prédateur qui se joue si bien des hommes. Pourtant, lui aussi, pense qu’il faudrait trouver un moyen de faire cohabiter les paisibles ovins avec l’animal qui aime tant se nourrir de leur viande. Enfin toutes les questions que se posent Alma sont bien celles que nous nous devrions nous poser. C’est grâce à elle que j’ai découvert la complexité des problèmes pour les bergers et aussi aux écologistes raisonnables de la réintégration de l’ours dans les Pyrénées. Bien sûr, il y a, aussi, un personnage abruti qui ne veut que la mort de l’ourse, mais il est en réalité bien seul, et la romancière ne décidera pas que c’est lui qui a tiré sur l’ourse et l’a finalement tuée, mais nous sommes certains que c’est quelqu’un qui lui ressemble !

 

Bref, la cohabitation des hommes et des animaux sauvages, qu’il s’agisse des loups ou des ours méritait bien un si beau roman. Tout en subtilité.

(Un roman que Lecturissime a aimé, voici le billet d’Aifelle et de Kathel)

 

Extraits

Début.

 Elle s’éloigne lentement de ce pas suspendu, quelque peu léthargique de la sortie d’hibernation. Malgré les restrictions alimentaires et la perte de poids qu’impose le demi-sommeil hivernal, elle lui semble toujours aussi grande, aussi puissante que la première fois qu’il l’a vue, un an plus tôt, sa grosse tête balançant au rythme de ses pas, du mouvement de ses épaules ourlées de fourrure.

Excellente description de la peur dans l’action .

Comme un grand vide dans le ventre soudain, le pouls qui s’emballe, les mains qui tremblent. Il respire à pleins poumons et il glisse d’un coup dans le goulot d’étranglement qui sert de couloir à l’animal, il rampe le plus vite possible, s’aidant de ses coudes. Le souffle court, la conscience aigüe du danger. Et une excitation qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Si elle revient trop vite, il est mort. Si elle revient. Il respire fort, se concentre.

Une amitié de gens de la montagne .

Le vieux lui avait confié ses bêtes, qu’il garderait désormais, les clés de la cabane, les secrets de sa montagne, et puis sa dernière chienne. Et Jean avait beau être d’un monde bourru où on ne dit pas que l’on s’aime, leurs vies étaient liées.

Métier de berger.

Et Gaspar avait peu à peu compris qu’être berger n’était pas réductible à un métier, il s’agissait d’une façon de vivre qui mobilisait des connaissances botaniques, topographiques, météorologiques, vétérinaires à toute épreuve. Jean incarnait une sorte d’homme complet, un danseur qui crapahutait à flanc, un philosophe distillant entre deux jurons des vérités brutes, un marcheur infatigable.

Être berger.

 Monter, c’était s’adonner à une vie de solitude et de frugalité. On ne s’embarrasse de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi la roche, les bêtes, les cieux, les champignons et les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. La communauté des pâtres comptait d’ailleurs nombre de marginaux, d’anarchistes, de rêveurs que le refus de la sédentarité, une réticence à la dictature de la consommation avaient poussé à prendre la montagne comme on prend la route.

La griserie de la montagne .

 Elle comprenait, petit à petit, cette griserie des hauteurs, la difficulté à redescendre. Elle comprenait que ce pût passer avant tout, qu’on pût aimer la montagne à en mourir. Son père n’avait vécu dans le monde des hommes que par défaut, il vibrait pour la verticale des abysses et des montagnes. Et plongeant dans les pas de l’ours, s’immergeant des jours et des nuits dans son territoire, dormant contre la roche, il lui semblait enfin décoder l’énigme qu’avait été cet homme sans cesse dérobé. 

Les enjeux de la réintégration de l’ours.

 L’équipe était prise dans la spirale d’un débat politique qui dépassait les enjeux liés à l’ours. L’animal était un bouc émissaire commode dans une guerre vaine qui opposait les ruraux et les urbains, ou plutôt différentes visions de la ruralité, ceux d’ici et les autres, les éleveurs et le reste du monde ; guerre dont personne ne sortirait gagnant, qui poussait chacun à devenir une caricature de lui-même. Et ce conflit tantôt larvé tantôt ouvert ne reflétait rien de la complexité des rapports de la plupart des gens entretenait avec l’ours : chacun était sommé d’être « pour » ou « contre », le dialogue n’avait plus de place.

 

l’abonnement est de nouveau possible sur mon blog (merci à mon fils qui est passé me voir !)

Édition Grasset

Keisha avait suffisamment aimé ce roman pour me tenter. Je suis loin d’être aussi enthousiaste qu’elle, ni que je lis je blogue , ou qu’ Athalie. Sauter de lettre en lettre, garder en mémoire tous les protagonistes des sombres complots qui secouent Florence au XVI° siècle, cela a épuisé mes ressources d’attention et de patience. Ce livre pourrait faire l’objet de plusieurs romans : la vie dans les couvents, la condition des femmes, le statut des ouvriers de la peinture, la montée de la pensée protestante, la répression de l’inquisition, le pouvoir du Pape, la lutte entre les grandes puissances de l’époque : la cour espagnole et la cour du roi de France, et par dessus tout cela, le travail des peintres qui jouent plus ou moins bien contre la censure. C’est trop éparpillé pour moi et contrairement à Keisha, je soupirais à chaque changement de destinataire, je cherchais alors dans quelle histoire j’allais me retrouver, avec la pauvre petite Maria de Médicis qui succombe à l’amour, ou avec Michel Ange avec qui on va parler peinture, mais pas que … non je n’en dis pas plus (il ne faudrait pas qu’en plus, je vous dévoile la fin !) mais c’est lui qui détient une grande partie du mystère de la mort du pauvre vieux peintre Pontormo.

L’enquête sur cette mort est aussi un des ressort du roman, mais cela se complique car cela se mêle à la recherche d’un tableau qui représente une Vénus avec la tête de Marie de Médicis, les multiples ruses pour obtenir et essayer de détruire ce tableau sont semées de cadavres et de tortures en tout genre.

Bref, je me sens un peu seule dans ma déception et c’est certainement due à mon manque d’agilité cérébrale !

Un avis qui rejoint le mien La Petite Liste

 

Extraits

Le début .

S’il savait que je vous écris, mon père me tuerait. Mais comment refuser une faveur si innocente à votre altesse ? Il est mon père mais n’êtes-vous pas ma tante ? Que me font à moi vos querelles, et votre Strozzi, et votre politique ? À la vérité votre lettre m’a causé une joie que vous ne pouvez concevoir. Quoi ? la reine de France me supplie de l’entretenir sur sa ville natale en échange de son amitié ?

Opinion tranchée des bonnes sœurs.

 Voilà pourquoi rappeler à Dieu un peintre sodomite réformé, dont la punition dans cette vie ou dans l’autre était inévitable, ne peut être un crime. C’est au contraire une sainte action qui sera portée au crédit de son auteur à l’heure du jugement 

La condition de la femme, c’est une Reine de France qui parle.

 Si vous épousez le jeune prince de Ferrare, ce sera pour la seule raison de réconcilier votre père avec la puissante famille d’Este. Nous, femmes, sommes les pièces qu’on déplace sur l’échiquier des empires, et si nous ne sommes pas sans valeur assurément nous ne sommes pas libres de nos mouvements. Votre devoir de fille de duc est d’obéir à votre père, votre devoir d’épouse du duc sera de servir votre époux selon son plaisir en lui donnant des enfants en bonne santé 

Conception de l’honneur .

 L’honneur repose uniquement sur l’estime du monde, et c’est pourquoi une femme doit user de tout son talent pour empêcher qu’on débite des histoires sur son compte : l’honneur, en effet, ne consiste pas à faire ou ne pas faire mais à donner de soi une idée avantageuse ou non. Péchez si vous ne pouvez résister, mais que la bonne réputation vous reste.

Le but de la peinture pour les bonnes sœurs.

 La fin du peintre est de mener les hommes à quelque idée vertueuse au moyen d’une représentation convenable, à la façon dont un aliment fait horreur si on le représente sous l’aspect d’une chose abominable, ou bien au contraire fait envie de si on le représente sous l’aspect d’une chose belle et admirable.


Édition Gallimard NRF ; Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Oui, c’est bien pratique que la terre entière soit désormais réduite à un minuscule appareil cellulaire dans lequel est logé la majeure partie de l’humanité.

Un livre qu’il faut absolument lire en ce moment, c’est une plongée dans la vie actuelle d’Israël et dans les réflexions de ses habitants.

Le roman se construit autour d’une histoire d’amour qui s’est brutalement arrêtée à la création de l’état d’Israël, en 1948 entre Rachel et Mano Rubin de très jeunes adolescents. Rachel est aujourd’hui très âgée et Mano vient de mourir.Tous les deux ont refait leur vie sans jamais se revoir. Mano devenu professeur Rubin a été un père tyrannique pour sa première fille Atara, mais plus doux avec sa deuxième fille. Rachel a deux fils, son aîné s’est éloigné d’elle et son plus jeune est devenu juif orthodoxe.

Au décès de son père, Atara a la surprise de l’entendre évoquer d’une voix pleine d’amour d’une certaine Rachel dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle part donc à la recherche de cette femme. Rachel sait pourquoi elle porte ce prénom peu donné. Atara a été mariée une première fois, elle a eu une fille mais elle est tombée amoureuse d’Alex qui est lui même père d’un garçon ensemble ils auront un fils Eden. Rien ne va bien dans la vie d’Atara peut-être parce que le comportement brutal de son père l’a empêchée d’accéder à la sérénité. Elle a l’impression que Rachel peut lui apporter des réponses et veut absolument lui parler alors que son mari qui est obligé d’aller aux urgences de l’hôpital mais finalement il est revenu chez lui, ce qui rassure son épouse et son fils Éden. Malgré l’inquiétude d’Atara, Alex refusera de retourner aux urgences et il va en mourir. Atara se sent coupable et ne sait pas où trouver du réconfort. Elle sent que ses enfants s’éloignent et qu’elle n’a pas su rendre son mari heureux. La transmission des parents aux enfants est un problème qui obsède Atara. Mais aussi Rachel. Il semblerait que les hommes soient plus détachés, mais ils sont aussi des passeurs peut-être plus inconscients.

L’intérêt de ce roman vient de ce tout ce qu’on découvre de la construction de la société israélienne. Rachel et Mano faisaient parti d’un groupe Lehi (parfois appelé Stern) qui a utilisé le terrorisme pour se débarrasser des anglais en 1948. Leur volonté était d’unir les Arabes et les Juifs contre les anglais, ils ont été pourchassés autant par les anglais que par les arabes, comme si, dès la naissance de ce pays rien ne pouvait se passer sans la violence. Leurs enfants représentent une partie du panel des choix des habitants d’Israël : les croyants qui trouvent dans la foi une réponse à la violence et dans les histoires rabbiniques des messages métaphoriques (que j’ai eu parfois du mal à comprendre), deux des enfants ont choisi de vivre loin de ce pays trop compliqué pour eux l’une aux USA, l’autre en Colombie, Atara cherche dans le respect des traditions architecturales un sens à son pays, un des fils de Rachel rejette sa mère qui est allée vivre dans une colonie dans les territoires occupés. Tous vivent avec un sentiment d’insécurité qui les taraude et plusieurs fois dans ce roman les personnages se posent la question de leur légitimité.

C’est un roman très anxiogène et pourtant il a été écrit avant le 7 octobre 2023, c’est aussi un roman sur la culpabilité et une introspection parfois trop poussée à mon goût sur le rôle des parents vis à vis de leurs enfants

Extraits

Début.

 Debout derrière la porte close, elle se tient immobile. À quoi bon appuyer sur la sonnette ou frapper, puisque de toute façon, la maîtresse de maison a remarqué sa présence.

Leur fils.

 Eden, enfant paradis, qui dès sa naissance, leur a procuré tant de joie, tant de fierté, que lui est-il soudain arrivé, lui qui a montré une résistance inattendue et exceptionnelle, qui a surmonté les entraînements les plus épuisants, exigeant de lui-même chaque jour davantage, qui a pris part à des raids et des opérations militaires dont, bien sûr, il ne pouvait rien dire, il ne leur disait donc rien, ni avant ni après, et seul son regard vide permettait de temps en temps, d’imaginer d’où il revenait – un lieu où il n’y avait ni jour ni nuit ni hésitations ni questions, où seule la mission comptait, plus sacrée encore que la vie humaine.

Les reproches d’un fils.

Il lui en veut comme si elle était toujours une jeune mère suffisamment forte pour donner, réparer, se défendre, et non une vieille dame dont il faut prendre soin. Le jour où il comprendra qu’il y a plus personne à qui demander des comptes, je mourrai, songe-t-elle souvent, ou alors, il ne comprendra qu’à ma mort 

Et c’était écrit avant le 7 octobre 2023.

 « Bon, écoutez, ma petite Atara, lui dit-il avec une expression mielleuse, écoutez-moi bien, je n’arriverai jamais à vendre mes appartements sans la construction d’une pièce sécurisée. À la prochaine guerre, ce sera une question de vie ou de mort. Vous m’accorderez que c’est plus important que l’esthétique. Vous vous souvenez de ces familles, dans le sud du pays, qui n’ont été sauvées que grâce à leur chambre forte ? Et si jamais ça arrivait ici ? Vous voulez avoir la mort d’enfants sur la conscience ? »

Les groupes avant l’état d’Israël .

 Les membres du Lehi étaient tellement isolés que même pour leurs funérailles on les laissait dans une solitude extrême et inexcusable, alors que la dépouille de ceux qui appartenaient à la Hagana recevaient tous les honneurs posthumes et était suivie par les foules manipulées et soumises
 Dans leur réseau on trouvait aussi bien des socialistes et des communistes que des révisionniste ou des mystiques et des révolutionnaires. Ce qui les unissait n’était pas une vision du monde identique, mais une ferveur identique. Chacun avait sa foi, croyait à sa manière en des doctrines différentes, mais quel que fût leur bord, ils étaient tous des jusqu’au-boutistes. C’est ce qui leur attirait les foudres autant de la droite que de la gauche Très peu de gens avaient su à l’époque – et c’était encore le cas, voire pire aujourd’hui-, qui avaient réellement fait partie du Lehi. Personne n’avait eu conscience de l’envergure de leur vision. Ils rêvaient d’une révolution qui mettrait en ébullition à tous les peuples de la région, d’un Moyen-Orient libéré de toute impérialisme et imaginaient des déplacements volontaires et logiques de populations.

Les sentiments d’une ex- pionnière .

 Elle se sent désemparée devant l’extrême changement du paysage donc elle ne reconnaît plus rien. Israël est devenu un endroit surpeuplé, gris, barricadé, qui se cachent derrière des murs et des barbelés -signe qu’il n’a plus foi en sa légitimité. 
Nous avons bien changé, toi et moi, songe-t-elle en regardant son visage fané dans le rétroviseur extérieur. Tout comme on ne peut plus reconnaître en toi le pays que tu étais, on ne peut plus reconnaître en moi l’adolescente que j’étais. Et moi non plus, je n’ai peut-être plus foi en ma légitimité car je me sois présent si vulnérable que même le regard bienveillant de mon fils me brûle la peau