Éditions Acte Sud, 412 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

 

S’embarquer dans un roman de Richard Powers, c’est toujours un moment de lecture exigeant, je le savais depuis la lecture que je n’ai jamais oubliée  » Le temps où nous chantions » . L’auteur a besoin de temps pour installer son sujet mais aussi à l’image de la vie, de complexité , mais quand on se laisse prendre alors tout s’éclaire et on vogue avec lui sur tant de questions qui traversent notre actualité.

Ici, nous sommes avec trois voix, une est en italique , celle d’un homme immensément riche grâce aux nouvelles performances des technologies connectées, à chaque fois qu’il prend la parole le texte est en italique : Todd Keane est atteint d’une maladie dégénérative du cerveau et il raconte sa réussite dans le monde de l’intelligence artificielle, son enfance, son amitié avec Rafi un jeune noir surdoué et les ravages de sa maladie actuelle.

Rafi ce jeune noir a été élevé dans une famille qu’on dit aujourd’hui « dysfonctionnelle » : son père qui certainement était très intelligent pousse de façon violente son fils à dépasser tout le monde à l’école, ses parents se séparent et sa mère se remarie avec un homme qui la frappe et sera à l’origine de la mort de sa sœur. Rafi ne vivra que, par et pour, la littérature. Il rencontre Todd au lycée puis à l’université, leur amitié se renforce grâce à leur passion pour les jeux de stratégie, les échecs d’abord puis le jeu de Go. Il tombera amoureux d’une artiste extraordinaire polynésienne qui cherchera à l’aider à écrire sa thèse.

Je pense qu’un lecteur plus attentif que moi pourrait lire ce roman comme une illustration des différents coups du jeu de Go. Il se termine par un vote de pierres blanches et de pierres noires qui y fait beaucoup penser.

Il y a aussi une troisième voix très importante, celle de l’Océan, portée par une femme d’exception, Evie, plongeuse émérite qui est à la fois émerveillée par l’océan et effrayée par ce qui lui arrive aujourd’hui.

Tous se retrouvent à Makatea, île de la Polynésie française . Les compagnies minières française y ont exploité le phosphate sans se soucier du bien être de la population ni de la préservation de la nature.

Nous sommes donc au cœur de la littérature et de la poésie grâce à Rafi, au centre de la création de l’IA et toutes ses dérives avec Todd , bouleversés par les révélations sur le mal être de la planète, tout cela sur un petit rocher au milieu du Pacifique, avec une population qui a toujours accueilli les étrangers avec des colliers de fleurs, même ceux qui, comme les français en 1917 , ont exploité les hommes et les ressources naturelles de façon éhontées .

J’ai beaucoup aimé ce roman , mais j’ai vraiment eu du mal au début à m’immerger dans cette histoire : trop de personnages, trop de temporalités , comme je le disais au début, partir dans un roman de cet auteur c’est vraiment faire un effort de concentration que je n’ai pas réussi à faire au début. Mais le dernier tiers du roman, quand j’ai compris ou Richard Powers voulait m’embarquer, m’a complètement séduite.

Extraits.

Début.

Ina Aroita un descendit à la plage un samedi matin enquête de jolis matériaux. Elle emmena avec elle Hariti, sa fille de sept ans
 Elles laissèrent à la maison Afa et Rafi qui jouaient à même le sol avec des robots transformables. La plage n’était pas loin à pied de leur bungalow voisin du hameau de Moummu, sur la petite colline coincée entre falaises et mer de la côte est de l’île de Makatea dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, aussi loin de tout continent qu’une terre habitable pouvait l’être -une poignée de confettis verts, comme les français qualifiaient ces atolls, perdus dans un champ de bleu sans fin.

Un couple parental peu sympathique !

 Mais c’est un jeu de guerre ininterrompu entre eux deux qui a dominé toute mon enfance. Un tournoi mû par le désir autant que la haine, où chacun engageait ses superpouvoirs respectifs. Mon père : la force du maniaque. Ma mère : la ruse de l’opprimée. Enfant précoce je n’avais que quatre ans quand j’ai compris que mes parents étaient pris dans une lutte pour se faire mutuellement autant de mal que possible sans franchir la ligne fatale : juste infliger assez de pures souffrances pour produire cette excitation que seule la rage peut engendrer. Une sorte d’étranglement de l’âme, réciproque et masturbatoire, où les deux parties donnaient généreusement et recevait bienheureusement.

Le sexe et la religion.

 Il y a cent ans, les Makatéens avaient envers le sexe l’attitude la plus saine qui soit. C’était comme l’escalade, la course ou le bodysurf, mais pimenté d’amour. La possession n’était pas un enjeu. On ne pouvait pas plus posséder une personne qu’on ne pouvait posséder la terre, ou le ciel au-dessus de la terre, ou l’océan au-delà du rivage.
Et puis les « Popa’ā » étaient arrivés. Et à présent Didier se signait et s’agenouillait sur le prie-Dieu d’une des deux églises de l’île. Deux églises pour quatrz-vingt-deux habitants ! Une catholique, une mormone, et c’est dans la première que se trouvait le maire, la tête inclinée, priant les anges (parce qu’il n’osait pas croiser le regard de la Vierge Marie dont la perfection l’embarrassait) en disant  : » Ça reste de l’adultère n’est-ce pas ? même si ma femme est d’accord ? »
À sa grande stupéfaction, les anges répondirent :  » C’est de l’adultère de survie ».

Une femme dans un univers d’hommes.

 Evelyne Beaulieu entra à Duke en 1953 , première femme jamais admise en études océanographiques. Elle survécut à quatre ans de cours à Durham et à trois étés de travail de terrain en déployant des trésors de camouflage toujours plus inventifs. Elle dissimulait l’étendue de son expérience de plongeuse, s’abstenait de corriger de nombreuses erreurs de ses professeurs, et riait aux blagues de soudard de ses condisciples mâles. Ce n’était pas si difficile de se faire passer pour ce que les américains appelaient une « bonne camarade ».

En 1957 !

On était en l’an 1957. Pepsi proposait d’aider la ménagère moderne dans la lourde tâche de rester mince. Alcoa lançait un bouchon de bouteille que même une femme pouvait ouvrir « – sans couteau, sans tire-bouchon, sans même un mari ! »

Jusqu’à quand ?

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

La révolution internet.

 On n’a rien vu venir. Ni Rafi, ni moi, ni personne. Prédire que les ordinateurs allaient envahir nos vies ? OK. Mais prévoir qu’ils allaient faire de nous des êtres différents ? Saisir dans toute son ampleur la conversion de nos cœurs et de nos âmes ? Même les plus éclairés de mes collègues programmant « RESI » ne pouvaient s’en douter. Bien sûr, ils prophétisaient les versions portatives de l’Encyclopédia Britannica, les téléconférences en temps réel, les assistants personnels qui pourraient vous apprendre à écrire mieux. Mais imaginer, Facebook, WhatsApp, TikTok, le bitcoin, QAnon, Alexa, Google Maps, Les publicités ciblées fondées sur des mots-clés espionné dans vos mails, les likes qu’on vérifie même aux toilettes publiques, le shopping qu’on peut faire tout nu, les jeux de farming abrutissants mais addictif qui bousillent tant de carrières, et tous les autres parasites neuronaux qui aujourd’hui m’empêchent de me rappeler comment c’était de réfléchir, de ressentir, d’exister à l’époque ? On était loin du compte.

 

 


Éditions Actes Sud, 258 pages, mars 2025.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une déception pour cet auteur dont j’ai tant aimé « La Rivière » et un peu moins « La constellation du Chien » . Ce roman raconte l’enfance de Firth élevée par sa mère une traductrice de poètes Chinois anciens et qui s’est réfugiée avec sa fille de 6 ans dans une maison, à peine plus confortable qu’une cabane au bord d’un lac dans le Vermont. La narratrice est cette Firth maintenant adulte qui se souvient au gré des poèmes traduits ou écrits par sa mère de son enfance. Elle même attend un enfant et c’est ce qui la pousse à revenir sur son passé. Les revenus de cette étrange famille vient des pommes (d’où le titre) et la récolte du sirop d’érable. Sa mère se lie d’amitié avec une artiste locale Rose, qui gardera la petite fille au décès de sa mère.

Plusieurs fils tissent ce roman, celui auquel j’ai été le moins sensible : les poèmes de la poétesse chinoise des temps anciens, je n’ai pas pu déceler si c’est un personnage réel ou une création littéraire du romancier. J’ai trouvé les poèmes d’une platitude totale, mais je suis rarement sensible à la poésie traduite. Grâce au métier de sa mère on découvre une des raisons de leur installation dans cet endroit reculé. Hayley est une traductrice reconnue et encore célèbre dans le monde universitaire, elle accepte une invitation à un colloque et se fait descendre en flamme par la « féministe » de service qui trouve que cette poète chinoise de la dynastie des Tangs est l’incarnation de la soumission de la femme. Elle se promet de ne plus jamais répondre à aucune invitation. L’autre raison de cette fuite, elles le doivent au père de Firth, un homme qu’elles ont dû fuir car il était de venu violent à cause de la drogue.
Mais le thème principal c’est le retour vers la vie « naturelle » et l’amour qui lie cette mère à sa fille.

Adulte la fille aura du mal à aimer mais elle est enceinte d’un homme qui s’épile entièrement … vous vous demandez pourquoi je vous donne ce détail, la raison en est simple , je me suis demandé pourquoi l’auteur nous a donné ce détail.
C’est un roman « gentil » qui ne fait pas de mal mais que je n’ai pas trouvé très intéressant.

 

Extraits

 

Début

Début du prologue

 Le dossier se trouve dans un petit coffre en bois d’érable qui, pendant des années a servi de soc à une lampe dans l’angle de ma bibliothèque. Le coffre appartenait à ma mère. Hayley. Je me souviens que la boîte avec son assemblage à queue d’aronde contient d’autres souvenirs : le titre de propriété donne cabane dans le Vermont ; un ruban pour attacher les cheveux ainsi qu’un petit bouquet de fleurs de mariage en soie qui n’est pas celui de son mariage ; de la cire pour planches de surf ; un stylo plume ; un bracelet tout simple en jade. Un. petit rouleau de papier avec la silhouette d’un héron au milieu de bambous et quelques mots en chinois tracés à l’encre dans un coin.

Début du roman

 Ma mère faisait partie du mouvement des néoruraux. Elle avait cette idée : s’installer avec moi, sa fille de six ans , dans une cabane au milieu d’une pommeraie en déshérence à quelques kilomètres d’une large rivière du Vermont.

Le sirop d’érable.

La saison boueuse, mi-mars, qui est aussi la saison des sucres, quand les nuits sont glaciales et que les arbres font des bruits grinçants de vieux gonds, avant le dégel, avant que les ruisseaux ne grossissent, que la neige ne fonde et que la sève n’irrigue les érables. Comme nos voisins nous avons procédé à l’entaillage. Nous avons entrepris de récolter l’eau légèrement sucrée en accrochant des seaux aux troncs, à l’ancienne. Nos voisins, eux, utilisaient des tubulures en plastique courant d’un arbre à l’autre et formant une horrible toile 

Le féminisme totalitaire dans les universités américaines.

 – À l’heure du féminisme, pourquoi devrait-on lire d’anciens poèmes chinois qui mettent en avant le regard masculin ?
– Quoi ?
– Je sais a murmuré maman. J’étais abasourdie. J’ai répondu :  » Ils ne mettent pas en avant le regard masculin. Li Xue est une femme. À tous les égards. Ces poèmes sont écrits par une femme, l’une des plus grandes poétesses de la dynastie Tang. Elle a rétorqué :  » Bien sûr mais ne pensez-vous pas que malgré ses grands talents de styliste, elle ne fait que représenter et renforcer un fantasme masculin ? À savoir : se tenir à la fenêtre et pleurer en attendant que son homme rentre à la maison  ?  » Un truc comme ça je n’en revenais pas. Je voyais que tout ça était préparé que c’était le but de cet entretien elle m’a mené à cet endroit et vlan. »

Extrait du poème : Nuages noirs.

Les nuages noirs s’accumulent sur la montagne Tsu
Les vagues blanches déferlent sur la rivière. 
Une paire d’ailes de cormorans filent vers l’aval,
Font la course aux ténèbres. 
….

 

 


Édition Phébus

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour résumer ce très court roman, je dirai que l’auteur réunit les tensions qui ont traversé le Nord et Roubaix au moment de la fin d la guerre d’Algérie. Il faut pour cela plusieurs composantes : l’OAS, le FLN, le MNA, les Harkis et un intellectuel de gauche qui veut alphabétiser les travailleurs algériens. En 2023, est ce que toutes ces tensions qui ont été parfois payées par la mort peuvent être apaisées ?

Abdel est professeur de français, il est né d’un père français et d’une mère arabe et il a connu le harcèlement scolaire. Il s’en est sorti grâce à la culture et les livres qu’il trouvait dans une petite librairie au centre de Roubaix.

La libraire, Yvonne, décède d’un AVC et fait de son plus fidèle client sont légataire universel. Hériter d’une librairie, c’est surtout hériter de dettes et de soucis mais Abdel ne refuse pas cet héritage et fait le projet de monter une exposition des photos d’Yvonne pour montrer le Roubaix de sa jeunesse. Celle-ci a effectivement pris des photos de sa ville jusqu’à l’assassinat de son père dans un café où il faisait de l’alphabétisation. Assassiné par qui ? FLN ou OAS ? Le drame de cette femme, lié à ces conflits, est aussi un ressort du roman, on comprendra pourquoi elle ne s’est jamais mariée et pourquoi elle s’est enfermée dans la solitude d’une librairie.

Un tout petit roman qui se lit facilement et qui fait revivre une période de cette région peu souvent évoquée et racontée par un écrivain que j’ai trouvé plus objectif que dans un précédent roman « En dépit des étoiles ». Il n’y a pas de gentils et de méchants quand un pays se déchire où même se libère du colonialisme. Les armes de ceux qui sont convaincus d’être dans le bon sens de l’Histoire peuvent être terribles et souvent mortelles.

 

Citations

 

Nombre de romans débutent par des remarques météorologiques .

La petite librairie ne quitte l’ombre de l’hôtel de ville de Roubaix à aucun moment du jour. Et aucune saison ne fait exception. Que règne cette canicule moite du Nord, le temps frileux de brumaire où un hiver de diamant, le soleil effleure à peine sa façade. Le printemps, l’été ne sont ici une idée étrangère, une nécessité acquittée en douce par la nature, comme les demoiselles en fleurs se doivent d’ôter vite fait leurs maillots mouillés à la plage sous une serviette mal nouée. Si on leur aperçoit le saint-frusquin l’espace d’un éclair, c’est bien diable.

Dialogue avec Saïd un algérien qui a subi un attentat et qui reste très marqué Abdel est agrégé de lettres.

– Tu vois les traîtres et les harkis, je les ai tous ! Abdel glisse son bras sous le sien, il va le raccompagner.
– Nous sommes tous des traites, Saïd. Tu devrais rajouter mon nom.
 Saïd en reste écarquillé presque offusqué
– Ah non toi t’es le chef des mots !

Abdel parle de lui.

Alors, on se retrousse les manches, monsieur le coupé en deux, monsieur cul entre deux chaises, arabo-européen ! Se moquer de lui-même le requinque, comme au matin de l’oral à l’agreg, La Fontaine au programme, des suées de trac, au point de penser comme les petits caïds qui lui criaient au collège avant de le torgnoler « le crouille a la trouille », et puis il s’est moqué de lui-même lui le raton des champs allait écrire une nouvelle fable « le ras bibliothèque », et il s’est présenté devant le jury avec le poil sec.

Les luttes fratricides entre Algériens.

 Et ainsi de suite, avec une étonnante connaissance des appartenances politiques il ramenait en désordre le gâchis, les vieux règlements de comptes, la réalité tragique d’avant la fabrication du mythe mensonger et unique d’une Algérie unie pour son indépendance sous la seule bannière du FLN
A l’époque tous les cafés des Algériens à l’Épeule, à la Potinnerie, tu savais d’avance si tu pouvais entrer si tu donnais ta cotisation au FLN ou au MNA. Acheter des cigarettes, jouer au tiercé, regarder le foot sur la grosse télé suspendue, c’était permis pour tous, mais boire un thé, non… Ou alors accompagné d’un Français. Un d’ici et Georges faisait l’écrivain public de temps en temps. J’allais avec lui en plus que je faisais les vitres dans dans des usines que j’ai rencontré des algériens ouvriers dedans La Lainière, Masurel, les peignages, les tissages, les filatures…

 

Édition Gallimard . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Si j’avais eu quelques réserves pour le premier roman que j’avais lu de et auteur : « l’enterrement de Serge » ; celui-ci m’a vraiment beaucoup plu. Surtout parce qu’il dit de façon très claire que Proust n’appartient pas aux intellectuels mais à tous ceux et toutes celles qui veulent bien se donner le mal de le lire.

Clara est coiffeuse, dans le salon « Cyndi coiffure » , Madame Habib en est la propriétaire et Nolwenn la deuxième employée. Un jour un bel homme oublie son livre au salon, Clara qui est malheureuse en ménage espère que cet homme reviendra chercher son livre. Il ne revient pas et Clara commence à lire « la recherche du temps perdu ». Ce n’est pas une lecture facile mais Clara s’accroche et peu à peu elle s’empare de ce texte qui va à tout jamais changer sa vie.

Ce qui est bien fait dans ce roman, c’est le cheminement de Clara vers l’oeuvre de Proust qui peu à peu transforme sa perception de la vie. Les citations de Proust parsèment ce roman et permettent de retrouver des passages connus de Proust, Clara commence à bien connaître les personnages de la recherche. J’admire le travail de Stéphane Carlier d’avoir ainsi rendu accessible l’oeuvre de Proust. Et je trouve que d’avoir situé son roman dans un petit salon de banlieue de Châlon sur Saône est une très bonne idée. D’abord pour montrer qu’il n’y a pas de frontières sociales pour aimer cette oeuvre, et en plus un salon de coiffure c’est vraiment le lieu des potins de la ville un peu comme la salon de la Verdurin en son temps. Carlier se permet alors des petites remarques humoristiques qui montrent son talent d’analyste de notre société.

Je garde en souvenir un petit livre qui m’avait (dans un tout autre genre) beaucoup touché de Joseph Czapski « Proust contre la déchéance »

Le roman de Stéphane Carlier est un très bel hommage au plus grand des romanciers français du 20° siècle.

Citations

Bien vu.

Il y a Nolwenn, l’autre employée du salon. Sa figure n’a pas vraiment de contours et change rarement d’expression. Qu’elle raconte que sa belle sœur a fait une fausse couche ou qu’elle tende un petit un petit cadeau à Clara pour son anniversaire, ses traits restent neutres, ils ne s’animent que lorsqu’elle regarde des vidéos sur son téléphone. Un grand sourire fend le bas de son visage quand elle voit un chimpanzé promener un porcelet en laisse ou un jeune golden retriever s’essayer à gravir la première marche des escaliers.

L’apport de Proust.

Avec Proust, elle a l’impression de tout voir. Forcément, puisqu’il lui montre le monde visible dans ces détails infinis et un autre, derrière, caché mais vaste et puissant, qui impose sa loi, sa volonté aux premiers la réalité psychique, psychologique des êtres. Et ce n’est pas tout. En l’initiant au principe de la mémoire involontaire, comme s’il posait ses mains sur ses épaules il la faisait légèrement pivoter, il enrichit son point de vue en y ajoutant une dimension qu’elle avait ignoré jusque là, celle du temps. Le passé, en surgissant dans le présent ne s’y prolonge-t- il pas ? Le souvenir n’a-t-il pas plus d’existence que l’épisode qu’il relate ? Pourquoi semble-t-il qu’à mesure qu’on vieillit on se souvienne de mieux en mieux ?

Ce nom mythique.

  Avant, ce nom mythique était pour elle comme celui de certaines villes – Capri, Saint-Pétersbourg, où il était entendu qu’elle ne mettrait jamais les pieds. 

 

Édition Livre de poche. Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

 

Une bonne idée piochée dans ce roman

Peut-être serait-ce une bonne idée que tout le monde cesse d’écrire pendant deux ou trois ans pour laisser les lecteurs rattraper leur retard

Je dois cette lecture à Athalie et après avoir relu son billet, je comprends pourquoi je suis tombée dans le piège de ce roman. Athalie a complètement raison, l’ego des écrivains qui les mène à courir les plateaux télé et à faire les beaux pour recevoir des prix littéraires est très bien raconté dans ce roman. Mais c’est d’une tristesse ! et cela me donne envie de vomir. Or, une de mes grandes joies, je la dois aux livres écrits par ces êtres si imparfaits. Je crois que je n’ai pas envie d’apprendre qu’ils peuvent être de si petits hommes. Depuis « Bel Ami » ou Rastignac je sais bien que celui qui au départ n’a pas grand chose doit avoir les dents bien longues et très peu de scrupules pour arriver au sommet. Maurice Swift n’a pour lui que d’avoir 20 ans et être un très beau garçon qui plaît aux hommes aussi bien qu’aux femmes. Il va faire un coup de maître en prenant le cœur et l’âme d’un vieil écrivain homo d’origine allemande et qui a commis une vilénie lorsqu’il était jeune homme à Berlin.

Le talent de Maurice, car il en a un, c’est de voler les histoires des autres, avec ce roman il a dévoilé au monde que ce grand écrivain admiré par tous a envoyé à la mort une famille juive, parce qu’il éprouvait une passion amoureuse pour son ami. Passion qui n’était pas partagée puisque ce jeune ami était amoureux de la jeune fille juive qu’il essayait de sauver. Ce roman lance Maurice dans la vie littéraire mais il n’a plus aucune inspiration puisque plus personne ne lui raconte d’histoires. Il se mariera et volera le manuscrit de sa femme, dont il provoquera la mort ainsi que celle de son fils. Ensuite, directeur d’une revue, il volera des idées aux talents inconnus qui lui envoient des nouvelles.

Athalie a aimé la fin lorsqu’enfin le destin va se retourner contre lui, et que ses impostures seront dévoilées. Moi j’étais, déjà, complètement écœuré par le personnage. Je pense que j’aurais voulu que le roman s’arrête à la première histoire, les deux meurtres sont de trop. Le seul moment que j’ai aimé après le premier roman, c’est lorsqu’un grand écrivain Gore, ne cède pas à son charme et lui fait comprendre qu’il n’est absolument pas dupe du personnage.

Si vous voulez perdre toutes vos illusions sur les écrivains, et que vous êtes en bonne forme morale, lisez ce livre. Si vous avez envie de croire que les écrivains ne sont pas pires que les autres humains et que parfois vous vous sentez triste de l’état du monde, passez votre chemin : ce livre ne vous aidera pas à vivre

 

Citations

 

Un moment assez amusant

Cependant, je me souviens qu’il me félicita pour mon dernier succès et ajouta que, bien qu’il n’eût pas lu mon roman parce qu’il ne lisait aucun auteur non-américain, il avait reçu l’assurance de notre éditeur commun qu’il s’agissait d’un texte d’une certaine valeur.
« Je vous en prie, n’en prenez pas offense », me dit-il avec son accent traînant, enfonçant ses doigts boudinés dans sa bouche pour retirer un morceau de petit four logé entre ses dents avant de l’examiner avec l’ intensité d’un analyste médico-légal, puis de s’en débarrasser en l’envoyant d’une pichenette sur la moquette. « Je ne lis pas non plus les femmes et je m’arrange pour le faire savoir dans toutes les interviews parce que cette déclaration m’assure inévitablement un maximum de publicité. La brigade du politiquement correct monte immédiatement sur ses grands chevaux et en un temps record, je me retrouve en vedette de toutes les pages littéraires. »

Humour

Ces livres étaient efficaces mais si douloureusement banals que même le président Regaen en avait emporté un en vacances en Californie vers la fin de son déconcertant règne et déclaré qu’il s’agissait d’un portrait magistral des ouvriers des aciéries américaines, sans se rendre compte que les ouvriers en question forniquaient à qui mieux mieux entre les lignes.

La méchanceté

Ma propre mère, Nina, a commencé comme actrice, vous savez. Elle a ensuite renoncé à cette profession pour devenir une alcoolique, une traînée et une aliénée. Je ne sais pas pourquoi elle n’aurait pas pu faire tout ensemble. Historiquement, les deux carrières ne se sont jamais avérées incompatibles.

L’indignation littéraire

Et tout ce que je peux en dire, c’est que la moitié des romanciers du monde entier ont mis leur grain de sel, ce qui a fourni à chacun d’entre eux les quelques minutes de publicité qu’ils recherchaient. Comme la concurrence est féroce quand il s’agit d’exprimer son indignation !

 

 

 

Édition Jacqueline Chambon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilbert Cohen-Solal.

Un livre d’apparence légère mais qui exhale aussi un parfum de tristesse : Arthur Mineur essaie de se remettre d’une rupture amoureuse en faisant le tour des invitations pour écrivains à travers le monde. Nous suivons donc la tristesse d’un homme amoureux américain qui est souvent maladroit et fait de mauvais choix. Arthur Mineur se raconte lui-même de façon très drôle à l’image de son apprentissage de la langue allemande et la joie d’être,enfin, dans un pays dont l’auteur parle la langue – du moins le croit-il- ses propos se terminent ainsi :

Toujours est-il que Mineur arrive à Berlin et se rend en taxi jusqu’à son appartement provisoire à Wilmerdorf en se jurant de ne pas parler un seul mot d’anglais durant son séjour. Bien sûr, le vrai défi est de parler un mot d’allemand.
Il s’amuse beaucoup et nous fait sourire à propos de toutes ses approximations dans la langue de Goethe, il n’hésite jamais à souligner le ridicule dans lesquelles ses différentes maladresses le mettent souvent. Comme l’image de la couverture  : sa carte magnétique n’ouvrant plus la porte de son appartement, il entreprend de passer par le balcon ! Il scrute avec précision la moindre de ses réactions en particulier sur sa place en tant qu’écrivain. Est-il un écrivain important ? Il n’en est absolument pas certain, d’autant qu’il a vécu pendant longtemps avec un génie de la poésie américaine et qu’il sait bien que lui n’est pas un génie. Et puis il y a cette barre des cinquante ans qu’il doit franchir pendant son périple, on voit alors le problème du vieillissement pour un homme dont la jeunesse a été le principal atout de séduction. La lecture est rendue plus difficile par le changement de narrateur, sans prévenir le lecteur on ne sait jamais si c’est Arthur d’aujourd’hui qui prend la parole ou Mineur l’écrivain connu pour un premier roman et à qui a-t-il donné la parole au dernier chapitre ? je ne peux vous le dire sans dévoiler la fin. Je ne suis pas enthousiaste à propos de ce roman et contrairement aux lectrices du club, je n’aurais certainement pas mis de coup de cœur mais c’est un roman original très agréable à lire.

Citations

Humour

Mineur n’est pas vraiment connu en tant que professeur, de même que Melville ne l’était pas vraiment en tant qu’un inspecteur des douanes. Et pourtant, les deux hommes occupent respectivement ces fonctions.

Un hommage à la traductrice

Mineur se met à imaginer (tandis que le maire marmonne toujours son discours en italien) qu’on a mal traduit, où – comment dire ?- qu’on a comme « super-traduit » son roman, confié à un poète de génie méconnue (elle s’appelle Giulliana Monti), qui a réussi à faire de son pauvres anglais un italien stupéfiant. Son livre a été ignoré en Amérique, on en a à peine rendu compte, sans qu’un seul journaliste ait demandé à l’interviewer (son attaché de presse lui a dit : « L’automne est une mauvaise période »). Mais ici, en Italie, il se rend compte qu’on le prend au sérieux. Et en automne, de surcroît. Pas plus tard que ce matin, on lui a montré des articles de la « Républica », du « Corriere della Serra », de journaux locaux et de revues catholiques, avec des photos de lui dans son costume bleu, fixant l’appareil du même regard bleu saphir, naturel et inquiet, qu’il avait lancé à Robert sur cette plage. Mais la photo devrait être celle de Giuliana Monti, c’est elle, en fait, qui a écrit ce livre .

L’humour et la sexualité

Mais leurs rapports sexuels n’était pas idéaux : Howard était trop directif.  » Pince-moi là ; oui c’est ça ! Maintenant, touche-moi là ; non, plus haut ; mais non, plus haut ! Non, plus haut, je te dis. » Mineur avait presque l’impression de passer une audition pour une comédie musicale.

Je vois bien la scène

Pendant qu’il patiente, une jeune femme en robe de lainage marron pollinise l’un après l’autre des groupes de touristes, avec les mouvements circulaires d’une sorte d’oiseau-mouche vêtu de tweed. Elle se penche sur un bouquet de chaises, pose une certaine question et, mécontente de la réponse, s’élance à tire-d’aile vers un autre groupe.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Seuil

Un essai ? un roman ? ce qui est sûr c’est que cette lecture a été un peu difficile dans le cadre du club de lecture parce qu’il faut l’avaler en quelques jours et que cette oeuvre ne s’y prête guère elle conviendrait mieux à la flânerie littéraire qui permettrait au lecteur de réaliser le vœu de Bernard Chambaz :

Aux morts pour qu’ils vivent. Aux vivants pour qu’ils aiment

Cette citation extraite de l’oeuvre de Joseph Delteil « les poilus », est le fil conducteur de ce roman, les vivants, dans le texte, ils sont deux, les parents de Martin né en 1976 et on peut aussi y rajouter nous, lecteurs et lectrices. Les morts ils sont très nombreux en dehors des deux principaux Jack London mort en 1916 et Martin mort à 16 ans en 1992, il y a aussi la famille quelque peu compliquée de Jack London et tous les écrivains que Bernard Chambaz convoque dans ce voyage qui retrace un itinéraire possible pour mieux connaître l’auteur, entre autre, de Martin Eden . Le livre se divise en chapitres qui sont autant de lieux évoquant la vie du grand écrivain qui, parfois, dialogue avec Martin, et que l’auteur visite avec son épouse. Je pense que si on ne connaît pas l’œuvre de cet auteur extraordinaire qui s’est battu contre tant d’injustices et qui a produit un nombre d’écrits incroyables, on ne peut pas apprécier ce livre. Beaucoup de gens se sont emparés de sa vie car elle se prête aux scandales et aux révélations sulfureuses même sa propre famille y est allée de différentes versions, comme souvent dans ce cas le plus intéressant et sans doute le plus proche de lui est dans ses livres. Je me souviens bien de ma lecture de Martin Eden, c’est un livre que j’ai lu et relu je crois qu’une grande part de lui est dans ce roman. Cela m’a donné envie de relire les livres qui ont enchanté mon enfance comme « l’appel de la forêt » et « Croc blanc » je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui pourraient être sensibles à ces histoires, eux qui peuvent regarder de si nombreux documentaires animaliers de si grande qualité. Jack London est un écrivain de qualité et un homme privé médiocre, comme le prouve les lettres à ses filles dont l’auteur dit qu’il aurait aimé en faire un grand feu de joie tellement il y apparaît comme mesquin. J’ai retrouvé dans ce livre l’engagement de l’auteur face à la misère du monde capitaliste et la fluctuation de sa pensée politique. C’est souvent le cas lorsqu’un homme connaît la misère populaire, il sait souvent très bien décrire d’où il vient mais quand lui-même atteint un niveau de vie très confortable grâce à ses écrits sa mauvaise conscience le taraude et peut le conduire à des positions paradoxales.

Je ne suis pas enthousiaste pour ce livre, parce que je me suis souvent perdue dans les différents point de vue des chapitres : étions nous avec l’auteur et son amoureuse ? avec leur fils, avec Jack London ? et surtout je n’ai pas compris le dialogue entre Martin et Jack . Est-ce-que cela a enrichi pour l’auteur la connaissance de son fils ? et j’avoue que les constantes allusions aux signes astrologiques me laissent perplexe.

Toutes ces réserves viennent aussi, sans doute, du fait que j’ai lu trop rapidement ce livre pour le rendre au club et avoir l’avis des autres lectrices. et pourtant dans ce livre j’ai lu cette phrase qui me touche beaucoup :

Nous sommes aussi, un peu, les livres que nous avons lus.

 

Citations

 

Une mère au caractère sans tendresse.

Toute sa vie, il restera animé par des sentiments contradictoires, partagé entre l’affection naturelle qu’il porte à sa mère et l’irritation instinctive que ses réactions provoquent (…… )
On garde au fond du cœur des épisodes cuisants auxquels nous donnons, quelquefois, trop de relief. Le plus lancinant quand il y repense n’est pas que sa mère ne lui ait dispensé aucune tendresse, c’est son comportement lors de l’épidémie de diphtérie ou une fièvre carabinée faillit les emporter, sa demi-sœur et lui. Ce jour-là, Flora demanda au médecin si elle pouvait les enterrer dans le même cercueil.

L’enfance de Jack London

Il n’y a pas que les livres dans la vie. Dès ses huit ans, Jack doit gagner sa vie ou plutôt contribuer au budget familial, débitant des pains de glace l’été, balayant les pistes d’un bowling le weekend, livreur de journaux, à pied d’ œuvre pour l’édition du matin et pour l’édition du soir, la nuit noire l’hiver, avant et après la journée d’école où il s’est davantage ennuyé qu’il n’a appris.

Ce qui rend difficile le livre : mélange des époques et des lieux

Icefields Parkway -ou la promenade des Glaciers- longe depuis Jasper la rivière Athabasca. En langue crie, on entend tantôt l’herbe éparse tantôt les roseaux que les champs de glace prodiguent à la saison estivale.

Défense de l’assassin du président Garfield

À son procès, l’assassin ne plaida pas la folie mais la volonté de Dieu dont il était l’instrument, convaincu qu’il serait à ce titre innocenté, assurant sa défense avec des arguments spécieux :  » Ce sont les médecins qui l’ont tué. J’ai seulement tiré . »

Londres en 1900…

Avant même d’arriver au cœur des ténèbres, sa première impression de la capitale mondiale et d’une « abjecte pauvreté » bientôt « sans limite ». Jack est saisie par la vision des vieux et des enfants fouillant les ordures dans la boue. …. 
 Dormir est un méchant casse-tête, que ce soit dans une pièce insalubre où s’entassent plusieurs familles, chez des marchands de sommeil qui louent très cher des lits occupés par roulement, dans des logements exigus, sordides des taudis, des galetas, des tanières, parfois sans fenêtre, presque toujours sans lumière.

Une histoire qui lui servira dans ses nouvelles

Un vieux marin lui rapporte son histoire et le hasard une fois encore fait que c’est une histoire pour Jack. Le vieux avait donc frappé un lieutenant qu’il avait insulté, le lieutenant était tombé à la mer, il avait sauté dans l’eau par réflexe, mais j’aurais mieux fait de nous noyer tous les deux, crois-moi, un canot les avais repêchés, on l’avait traduit devant un tribunal, on lui avait enlevé la Victoria Cross gagnée sur les champs de bataille au bord de la mer Noire pour les beaux yeux de la reine, et il conclut d’une voix ferme, laissant Jack sans voix. : « Ne te laisse pas vieillir, mon petit ! Meurs quand tu es encore jeune ! »

Jack en époux

Alors que Bess est enceinte, qu’elle se coltine les tâches ménagères et tape à la machine ses manuscrits, il continue de faire du vélo, boxer, nager, sortir au club avec ses copains, animer des réunions publiques où il retrouve Anna.

 

 

 

Édition Gallimard

Cet auteur est un habitué de Luocine, il sait me faire rire et aussi m’émouvoir. « Charlotte » est certainement le livre qui m’a le plus touchée, j’ai même pleuré en lisant « Mes souvenirs » adoré « La délicatesse » et été déçue par « Nos séparations »

J’ai beaucoup hésité entre trois ou quatre coquillages, mais en tant qu’habitué de Luocine, David Foenkinos bénéficie d’un préjugé favorable. Dans ce roman, l’auteur nous fait prendre conscience du travail de l’écrivain. C’est très à la mode de parler de l’inspiration et de la difficulté de renouveler son inspiration et c’est pour ce côté « dans le vent » que je suis passée de quatre à trois coquillages. Mais c’est aussi un roman qui traite avec tellement de légèreté et d’humour de la création romanesque et de notre vie de tous les jours, que je lui ai rendu son quatrième coquillage  !

L’auteur est donc en panne d’inspiration, et décide d’arrêter la première personne qu’il rencontre pour en faire son personnage de roman . Cela tombe sur Madeleine Tricot, femme assez âgée (on dirait, aujourd’hui, à risques) qui a travaillé dans la mode, chez Chanel, auprès de Karl Lagerfeld . Son roman s’étendra à la famille de sa fille, Valérie, qui a épousé Patrick Martin d’où le titre du roman. L’auteur doit aussi gérer sa séparation. Après quelques années de vie commune, Marie vient de le quitter en lui disant qu’elle préfère vivre seule qu’avec lui. Entre la fiction et la réalité qui passe par la plume de l’écrivain, on assiste surtout à une excellente mise en scène de la création romanesque et du plaisir que doit éprouver tout écrivain à dominer chaque personnage obéissant à sa toute puissance. Mais dans la réalité ? Et bien, oui cela ne se passe pas comme ça, même si on aimerait parfois qu’un écrivain nous anime pour avoir le courage de brûler les rideaux d’un chef pervers et manipulateur ou de mettre toutes ses économies pour aller jusqu’à Los Angeles retrouver son amour de jeunesse. C’est un roman très léger et qui se lit très vite et en plus qui sort le lecteur de la morosité ambiante. Ces quelques allusions aux quotidiens sont bien croquées sans être plombantes. Je suis très sensible l’humour de cet écrivain. Il me donne le sourire même si, comme il le dit dans ce texte, son roman n’est certainement pas écrit pour durer cent ans, il permet de passer une très bonne soirée.

 

Citations

Sujet de roman

Je m’étais senti excité par mon intuition, mais voilà que j’en étais déjà à écrire sur la nécessité de ne pas recongeler des produits décongelés. Quelques années après avoir obtenu le prix Renaudot, je sentais le frisson du déclin me parcourir le dos.

Humour des notes en bas de page

Certes, en sortant du 17° arrondissement de Paris à 10 heures du matin, j’avais peu de chance de tomber sur une go-go danseuse.

Humour

 Ma capacité de séduction ressemblait depuis un moment à un film de Bergman (sans les sous-titres).

Je crois cela aussi

J’ai l’impression qu’on peut tout savoir d’une personne en observant les livres qu’elle possède.

Dialogue avec un ado

– Vraiment, tu n’as pas de passion ? Demandai-je avec désinvolture, m’efforçant d’éviter un ton culpabilisateur.
– Moyen.
– C’est-à-dire ? Ça veut dire quoi moyen ?
– Ça veut dire j’ai moyen des passions.
– D’accord… Et la musique, tu aimes ça ? Les poster… Tu aimes Angel ?
– Pas spécialement. J’ai fait des trous dans le mur quand j’étais petit, alors je les cache avec des posters.
– Tu écoutes quoi ?
– Il n’y a rien qui me vient, là.
– Et ton temps libre, tu l’occupe comment ?
– Je joue en ligne avec des potes.

Remarque assez juste

Ah, j’ai compris. Votre roman, c’est pour déterrer les histoires de famille. Tout ce qui fait mal.
– Mais non…je n’irai pas contre votre volonté.
– C’est ce qu’ils disent tous. Je ne lis pas beaucoup de romans contemporains, mais je vois bien qu’écrire est souvent un moyen de régler ses comptes.

Harcèlement au travail

Ce matin, Desjoyaux l’avait convoqué pour lui proposer un rendez-vous dans trois jours . Quel supplice . Pourquoi ne lui avait-il pas signifié immédiatement ce qu’il voulait lui dire ? Il allait passer les jours suivants avec une boule au ventre . Desjoyaux n’avait rien laissé percevoir dans son regard , un visage suisse. Le degré suprême du harcèlement , c’est façon froide et presque souriante de commettre un meurtre salariale . Il y avait forcément du sadisme dans cette attitude ; il était bien conscient, vu le contexte général, qu’il ferait souffrir un employé en lui annonçant qu’il le verrait trois jours plus tard ; pire, il avait ajouté « impérativement » le voir. Les mots ont un sens. Impératif veut dire que c’est majeur, déterminant ; cela sent la condamnation.

Vérité et fiction : dilemme de l’écrivain

Ainsi, le vrai pareil souvent improbable. J’avais peur de m’emparer du réel, et qu’on l’estime moins crédible que la fiction. Je redoutais qu’on puisse ne pas me croire, qu’on se dise que toute cette histoire était inventée ; qu’on se dise que je n’étais jamais descendu de chez moi pour aborder la première personne venue. Il m’arrive parfois de dire la vérité, et cela sonne comme un mensonge. Mais je n’y peux rien : la vie est peu plausible.

 

 

j’ai encore une fois trouvé cet auteur sur la blogosphère et je m’en félicite. Il se trouve que je l’ai lu deux fois car j’ai été isolée dans un endroit avec ce seul livre comme lecture possible, alors comme autrefois dans ma jeunesse, j’ai relu ce livre tout doucement pour ne pas le finir trop vite.Et j’ai été très sensible à la langue et par moment une réflexion sur les mots, ceux venant du patois comme « empurgué » qui désigne à la fois la naissance et la mort. Telle une tragédie antique le roman tient en une journée de 1961. Mais finalement la clé du livre est donnée dans un court texte qui lui se passe 2011 et raconte un fait historique peu connu de 1940 dans la ligne Maginot le combat et la résistance de l’armée française à Schœnenbourg . Le roman évoque un petit village d’Auvergne c’est l’époque du remembrement et de l’arrivée de la télévision. Des personnages complexes que l’on ne peut pas juger facilement. Un geste héroïque d’un père qui sait depuis 1940 ce que veut dire la guerre. Et enfin un moment de notre histoire très mal racontée par nos livres d’histoire et très déformée dans notre inconscient collectif : la ligne Maginot. Nous suivons d’abord les pensées d’Albert qui n’a jamais su trouver les mots pour raconter sa guerre à ses enfants. Il sait une chose Albert, il ne veut pas de la modernité que sa femme aime tant. Et le remembrement qui s’annonce signifie pour lui la fin de son monde car il se sent plus paysan qu’ouvrier chez Michelin. Puis les pensées de Gilles, ce petit bonhomme de CM2 qui a trouvé dans les livres sa raison de vivre et qui, ce jour là, est plongé dans « Eugénie Grandet ». En cheminant dans ce roman trop difficile pour lui, il ouvre peu à peu les portes de la compréhension de la vie. C’est merveilleusement raconté. Et puis il y a la belle Suzanne, la mère d’Henry soldat en Algérie né avant la guerre 39/45 et de Gilles né après. C’est la femme d’Albert qu’elle a cessé d’aimer.

Tout le roman tourne autour de l’arrivée de la télévision car l’émission phare de la seule chaîne alors diffusée « 5 colonnes à la une » consacre un reportage aux soldats d Algérie. Henry est interviewé à l’occasion. Sa mère ne manquerait pour rien au monde ce moment de revoir son fils. Les conséquences seront tragiques.
Il y a aussi la mère très âgée qui perd parfois la tête, et la sœur d’Albert qui a choisi la modernité et le communisme.
Voilà donc un moment de vie dans la campagne en 1961 et pour moi la découverte d’un écrivain qui a su évoquer en une seule journée trois guerres, celle de 14/18, le père d’Albert en est revenu victorieux, celle de 39/45 dont Albert est revenu muet et vaincu et celle d’Henry son fils qui risque sa vie même si personne ne comprend très bien ce qu’il fait dans ce pays si lointain. Je sais que ce roman restera gravé dans ma mémoire et que je ferai de nouveau confiance à cet auteur pour m’embarquer dans son univers .

Citations

Explication du titre

In extremis, il réussit à ravaler ses pleurs sous ses paupières et à les manger dans ses yeux. Ça le brûlait tellement qu’au moment où il les rouvrit il crut avoir perdu la vue. Il n’en revenait pas de ce séisme au-dedans, lui qui ne versait jamais une larme, pas même aux enterrements, pas même à l’enterrement de son père. Un homme qui pleure, ça n’avait pas de sens. Sauf parfois les vieux. Il avait déjà remarqué que, à partir d’un certain âge, les hommes n’hésitaient pas à sortir leur mouchoir, pour presque rien. Il se souvenait du père Pelou qu’il avait aidé, il y avait plusieurs années de cela, à retourner la terre de son potager. L’homme avait été une force de la nature mais, après de 80 ans, il n’avait plus un muscle dans les bras et, malgré son grand âge, il devait encore nourrir un fils impotent que le reflux de 14 lui avait ramené comme un un déchet. Incapable de le remercier du service rendu, le vieil homme s’était mis à trembler comme une feuille. C’était son corps tout entier qui pleurait sans pouvoir s’arrêter. Et pourtant Dieu sait qu’il n’avait pas été tendre dans sa vie celui-là, surtout pas avec sa femme, une sainte, qui s’epuisait à s’occuper de leur fils unique condamné à vie dans sa chaise roulante. En vieillissant les hommes pleurent. C’était vrai. Peut-être pleurait-il tout ce qu’il n’avait pas pleuré dans leur vie, c’était le châtiment des hommes forts.

Un fait historique peu connu

Je suis allé plusieurs fois visiter le fort de Schœnenbourg pour écouter ce silence de la plaine. À un moment, il faut renoncer aux mots et donner les chiffres. Seulement 22000 soldats français ont vaincu 240 000 Allemands en Alsace et en Lorraine, et seulement 85000 autres soldats français alpin dans leurs alpins dans leurs champignons de béton ont arrêté près de 650000 Allemands et Italiens. Pas un ennemi n’est passé sur la ligne Maginot, tant que des soldats sont restés à leur poste. Pas un ! Et quand l’armistice entra en vigueur le 25 juin, les soldats ne capitulerent pas pour autant, et continuèrent à se battre comme des chiens ou comme des dieux. Ils voulurent vaincre ici, puisque ailleurs tu t’étais déjà perdu, uniquement pour l’honneur de leur père et surtout pour faire la preuve non pas de leur courage (ils étaient bien trop humbles pour ça), mais de l’efficacité du plus grand projet de fortification jamais pensé ni réalisé, ni égalé en Europe et qui les avait rendu invincibles eux- mêmes. Le muscle de béton avait parfaitement joué son rôle et tenu ses promesses, et même au-delà. Si le haut commandement avait fait son travail au nord, donné les ordres au bon moment, ou si la Belgique avait opté pour un prolongement de la ligne Maginot sur ses frontières à l’est au lieu de préférer la naïve neutralité qui leur a coûté beaucoup plus cher en vies humaines, le cours de l’histoire eût été tout autre.

Les Américains en 1918 et Maginot

Fini, enfin, d’appeler à notre rescousse ces américains si mal élevés qui refusaient que leurs soldats noirs participent aux célébrations de la victoire. Saviez-vous que ce sont les paysans français qui sont allés chercher les soldats noirs dans leur caserne où leurs maîtres blancs les avaient bouclé à double tour. Et, malgré le règlement américain, ces mêmes paysans ont jeté ces esclaves dans les bras de leurs filles pour danser sur les places de tous les villages. Ils ont aimé l’accordéon, ces noirs qui ne connaissaient que le jazz. Pourquoi croyez-vous que la France fut une terre bénie pour les jazzmen qui arrivèrent à Paris au moment où Maginot justement réfléchissait à la façon d’éviter que le massacre recommence un jour ? Le jazz, c’est la musique de l’idéal, le blues, c’est la musique du spleen. Ça jouait du jazz partout, et l’armée cherchait aussi à sa façon à faire écho à cet idéal. Enfin, toutes ces raisons additionnées donnaient une réponse claire, il fallait éviter qu’un jour autant d’hommes meurent pour sauver leur pays. Après tout, ce n’est pas aux hommes de sauver leur pays, c’est au gouvernement. Maginot en était convaincu.

J’aime réfléchir sur les mots

 Mais est-ce que ça pouvait vraiment être ça le bonheur ? Il chercha dans le dictionnaire , qu’il avait aussi emprunté à son frère , l’étymologie de ce mot . Il découvrit que le bonheur n’était pas cet état de béatitude qu’il avait imaginé, le bonheur était un présage, le présage du bien, comme le malheur était le présage du mal. C’était juste une promesse.

Le charme du patois

Albert connaissais aussi le miracle de cette langue ancienne des paysans ou le feu meurt à tout jamais, alors que les hommes s’éteignent pour naître dans la mort. On ne disait pas que quelqu’un était mort, on disait qu’il s’était éteint puis « empurgué ». Le mot oublié remonta en lui pour le consoler. L’Empurgar ! Le seul mot qui désignait en patois la naissance dans la mort, un mot gaulois sûrement, qui n’existait pas en français, le seul mot qui devait apaiser Madeleine en secret.

Le plaisir des livres

Eugénie Grandet était le premier grand roman qu’il lisait, sans savoir que c’était un grand roman. Dès les premières lignes, sa confiance en ce qui était écrit grandit au fur et à mesure de sa lecture. Dans le livre, on ne parlait pas comme chez lui, à part Nanon peut-être, qui parlait un peu comme sa grand-mère. Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s’enchaînent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques. Elles étaient compliquées, même ardues quelquefois et, malgré cette difficulté, il comptait bien aller jusqu’au bout du livre. Les pages étaient encore scellées entre elles et, à l’aide du canif que son père lui avait offert, il coupait les pages les unes après les autres avec un plaisir équivalent à celui d’un explorateur obligé de couper la végétation pour se frayer un chemin dans une forêt épaisse et noire, attaqué lui aussi par les mouches qui se multipliaient dans la chaleur.

Découverte du roman de Balzac et les pleurs d’un homme.

Le cousin d’Eugenie était inconsolable. Gilles, plongé dans un nouveau chapitre du roman, chassait machinalement les mouches qui brouillaient les lignes noire et genait sa lecture. Charles venait d’apprendre la mort de son père. C’était pour l’éloigner du drame que le vieil homme ruiné l’avait envoyé à Saumur, chez son oncle. Il était perdu, le pauvre garçon. Ninon, la bonne à tout faire, et Eugenie cherchaient par tous les moyens à soulager la peine de ce jeune homme si différent de tout ce qu’elles connaissaient , et qui n’arrêtait pas de pleurer. Ça, c’était curieux. Gilles savait qu’un enfant pouvait pleurer, que sa mère pleurait quand elle lisait les lettres d’Henri, mais un homme ! Charles Grandet était un homme déjà. Gilles n’avait jamais vu son père pleurer, ni aucun homme autour de lui, pas même Henri. Alors, de quoi était fait ce Charles qui s’effondrait des nuits entières, comme une fille, écrasé dans ses oreillers ?

 

Voici donc le quatrième roman que je lis et que j’apprécie de Laurent Seksik. Cet auteur a un grand talent pour faire revivre les gens célèbres du début du XX°siècle. Après Einstein, Romain Gary voici donc l’évocation des derniers mois de la vie de Stefan Zweig et de sa jeune compagne Lotte Altmann , madame Zweig. Venant de finir « les joueurs d’échec », j’ai eu envie de mieux comprendre cet auteur. Ce court récit est absolument poignant, on connaît la fin et cette lente montée vers le geste inéluctable : le suicide du couple, est terrible. Surtout celui de la jeune femme qui suit son amour dans la mort mais qui avait la vie devant elle. Le terrible désespoir de cet immense écrivain est très bien décrit ainsi que son incapacité à mener un dernier combat vers l’espoir. Mais on sait aussi qu’il a raison, Hitler et les Nazis autrichiens ont fait disparaître à tout jamais une immense culture dont les intellectuels viennois étaient les représentants les plus éminents : l’Homo-austrico-judaïcus . Mais j’en veux quand même à Stefan Zweil de ne pas avoir tenté de faire revivre cette culture car le nazisme a eu une fin et il n’était plus là pour empêcher l’Autriche d’oublier les apports de cet ancien monde .

 

 

Citations

Les raisons du désespoir de Stefan Zweig

 Lui n’était porteur d’aucune idéologie. Il détestait les idéologies. Il avait simplement cherché les mots pour dire. « Nous avons existé ». Il n’était pas certain qu’il demeurât quelque chose de la civilisation qu’il avait connu. Il fallait avoir grandi à Vienne pour mesurer l’ampleur du meurtre en préparation. Il voulait ciseler une pierre qui prouverait aux générations qu’un jour vécut sur cette terre une race désormais éteinte, « l’Homo-austrico-judaïcus ».

Richesse de la tradition juive

Dans notre tradition , un être humain se définit d’abord par les liens qu’il entretient avec les autres . On ne mesure une vie qu’à l’aune d’une autre vie . Je ne vous demande pas de vous ouvrir à Dieu, sans doute le moment est-il mal choisi de s’en remettre à lui tandis qu’il semble avec tant d’acharnement se détourner de son peuple.

 

Le désespoir de Zweig et la question du poids des écrivains face à la barbarie.

Nul, en aucun coin du monde, n’avait besoin ni des paroles ni des écrits de Stefan Zweig. D’ailleurs, sa voix serait-elle seulement audible au milieu des fracas des armes ? Sa voix chevrotante et plaintive face aux vociférations du Fuhrer, aux hurlements de Goebbels ? Sa voix venue des des abîmes, tirée de de sa souffrance ? Sa voix se perdait dans le souffle du vent.