Édition Acte Sud Babel . Traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier.

Quel livre ! Et quel écrivain ! Bien sûr depuis « L’immeuble Yacoubian » on savait que Alaa El Aswany était un écrivain indispensable à notre compréhension de l’Égypte, mais il va plus loin dans ce roman et il nous montre comment l’islam et la violence des forces de l’armée corrompue font bon ménage, et ont fait couler une chappe de plomb brûlante sur la si grande envie de changement de la jeunesse égyptienne en 2011.
L’auteur suit la destinée des composantes de la société égyptienne, elles ont en commun les manifestations de la place Tahrir. Il peut s’agir de jeunes qui croient et qui participent à ce qu’ils pensent être une révolution. Ou des cadres du régime qui vont mettre en place une répression aveugle et sans pitié. Répression bénie par un Cheick qui sous couvert du Coran bénéficie des largesses financières du régime et qui est prêt à adapter les sourates du Coran pour justifier les conduites les plus barbares des militaires.
On suit, par exemple, Khaled un jeune méritant, originaire d’un milieu très simple et qui réussi brillamment ses études de médecine. C’est lui ou plus exactement son père qui terminera ce roman. Je pense qu’hélas la fin est romanesque alors que la lectrice que je suis, aurait tant voulu que dans la vraie vie, tous les les pères des jeunes tués à bout portant sur la place Tahir, réussissent leur vengeance.
Khaled est amoureux de Dania fille du général Alouani qui est le principal acteur de la répression. Sa femme se pique de religion donc nous suivons l’hypocrisie du Cheick Chamel, c’est peut être le personnage le plus horrible car voir la religion bénir toutes ces horreurs c’est, comme toujours, insupportable. Mais à la première place de l’horreur, il y a aussi une femme qui tient les média et achète des témoignages pour pourrir la réputation des jeunes de la place Tarhir. Dans ce roman choral, on suit aussi Mazen et Asma, qui paieront très cher leur enthousiasme pour les manifestations. Asma sera sauvée de la première répression grâce à un ancien aristocratique chrétien Achraf qui sortira de sa dépression grâce à l’amour d’une femme et grâce aux jeunes révolutionnaires qu’il va aider de toutes ses forces. Asma partira en exil après avoir été torturée par des militaires et subi ce qu’on appelle « un test de virginité » qui n’est ni plus ni moins qu’un viol : mise entièrement nue devant des soldats hilares, les jeune filles sont pénétrées par des hommes pour vérifier qu’elles sont bien vierges sinon elles ont considérées comme des putains !
À travers ce roman, c’est toute la société égyptienne que nous voyons traverser ces événements. La difficulté des rapports amoureux, la reproduction des rapports sociaux, la corruption à tous les niveaux, l’horreur de la répression et l’hypocrisie de la religion. Et si l’on retrouve parfois l’humour de l’auteur, c’est un humour triste et parfois tragique.
Un roman éprouvant certes, mais que l’on doit lire, c’est le moins que l’on puise faire pour soutenir le combat de cet écrivain et sauvegarder la liberté dans notre pays . En effet, ce livre est interdit en Egypte et dans de nombreux pays arabes. Ce roman n’aide pas à prendre confiance dans la nature humaine.

Citations

Les relations sexuelles du général avec son épouse

Son corps c’est tellement avachi et rempli de graisse qu’elle pèse plus de cent vingt kilos. Elle a un ventre énorme en forme de demi-cercle, protubérant au niveau du nombril et se rétrécissant vers le bas, sur lequel pendent deux seins fatigués. Ce ventre unique en son genre, presque masculin, serait capable d’annihiler définitivement le désir sexuel du général Alouani sans les films pornographiques auxquels il a recours pour exciter son imagination. Son Excellence a dit une fois à ses amis :
– Si tu te trouves obligé de manger pendant trente ans le même plat, tu ne peux pas le supporter sans lui ajouter quelques épices.

L’intégrité du général chef de la sûreté .

Nous devons reconnaître que le général Alouani n’a jamais profité de sa situation pour obtenir un quelconque privilège pour lui-même ou pour la famille… Par exemple si Hadja Tahani l’informe que sa société tente d’obtenir un terrain dans un gouvernorat, le général Alouani s’empresse de téléphoner au gouverneur :
– Monsieur le Gouverneur. Je voudrais vous demander un service. 
Le gouverneur lui répond immédiatement :
– À vos ordres Monsieur. 
À ce moment-là, le général déclare d’un ton résolu :
– La société Zemeem vous a présenté une demande d’attribution d’un terrain. Cette société appartient à mon beau-frère. Hadj Nasser Talima. Le service que vous pouvez me rendre, Monsieur le Gouverneur, c’est de traiter à Nasser comme tous les autres entrepreneurs. S’il vous plaît, appliquez la loi sans faire de faveur.
 Après un silence, le gouverneur lui répond alors :
-Votre Excellence nous donne des leçons d’impartialité et de désintéressement.
Ce sur quoi le général l’interrompt en lui disant :
– Qu’à Dieu ne plaise. Je suis égyptien et j’aime mon pays. Je suis musulman et je n’accepte rien de contraire à la religion.
 Après cela, lorsque le terrain était concéder à la société Zemzem, le général Alouani ne ressentait aucun embarras. Il s’était adressé au responsable pour lui demander de ne pas lui accorder de faveur. Que pouvait-il faire de plus ?

Le cheick Chamel , humour grinçant de l’auteur.

 

 

Comme nous l’ordonne le Coran, le cheick Chamel parle constamment des bienfaits que Dieu a répandus sur lui, il possède trois luxueuses voitures noires ainsi qu’une voiture de sport qu’il conduit lui-même lors de ces promenades familiales. Ce sont toutes des Mercedes, qu’il préfère aux autres marques pour leur solidité et leur élégance, et également parce que le directeur de la société Mercedes en Égypte, qui fait partie de ces disciples, lui accorde toujours des prix spéciaux. Parmi les bienfaits que Dieu accorde aux cheick Chamel, il y a celui d’habiter une grande villa au Six-Octobre. Chacune de ses trois épousent y occupe un étage avec ses enfants tandis que le cheick réserve le quatrième étage pour la dernière épouse toujours vierge dont il jouit licitement avant de lui donner congé de la meilleure façon, en respectant tous les droits que lui accorde la loi de Dieu en matière d’arriéré de dot, de pension alimentaire, etc. On raconte que le cheick Chamel a déchiré -dans le respect de la loi divine- l’hymen de vingt-trois jeunes filles. Il n’y a là ni faute ni péché car cela ne contredit pas la loi de Dieu. Le cheick dit toujours aux hommes qui sont ses disciples :
– Mes frères, si vos moyens financiers et votre santé vous le permettent, je vous conseille d’avoir plusieurs épouses pour vous mettre à l’abri du péché et pour mettre à l’abri les jeunes filles musulmanes.

Interprétation des manifestations de la place Tahir par le religieux.

Excellence, que dites-vous aux manifestants ?
 Le visage plein de colère, le cheikh Chamel répondit :
– Je leur dis que ceci est un complot maçonnique organisé par les Juifs pour détourner les musulmans de leur religion. Je dis à mes enfants qui sont sur la place Tahir : vous êtes laissé fourvoyer par les fils de Sion. Demandez pardon à Dieu et repousser une sédition qui risque de plonger notre pays dans un bain de sang. Vous, les jeunes retournez chez vous. Ce n’est pas cela, La voie du changement. Vous détruisez l’Égypte de vos propres mains. Revenez à Dieu, revenez à Dieu.

L’amertume d’une participante à la révolution

Les Égyptiens se sont laissé influencer par les médias parce qu’ils en avaient envie. La plus grande partie des Égyptiens est satisfaite de la répression. Ils acceptent la corruption et y participent . S’il y en a qui ont détesté la révolution depuis le début, c’est parce qu’elle les mettait dans l’embarras. Ils ont commencé par détesté la révolution et ensuite les leur ont donné des raisons de la détester. Les Égyptiens vivent dans une république « comme si ». Ils vivent au milieu d’un ensemble de mensonges qui tiennent lieu de réalité ils pratiquent la religion de façon rituelle et semblent pieux alors qu’en vérité ils sont complètement corrompus.

Conception de l’information en Égypte d’après l’armée.

Notre peuple est ignorant et ses idées sont arriérées. La plupart des Égyptiens ne savent pas penser par eux-mêmes. Notre peuple est comme un enfant : si nous le laissons choisir par lui-même , il se fera mal . Le rôle de l’information en Égypte est différent de ce qu’il est dans les pays développés. Votre mission , en tant que professionnels des médias, est de penser à la place du peuple. Votre mission est de fabriquer les cerveau des Égyptiens et de former leurs idées . Après une période de mise en condition efficace , les gens considèrerons que ce que disent les médias est vrai .

17 Thoughts on “J’ai couru vers le Nil -Alaa EL ASWANY

  1. J’ai adoré ce livre, j’adore cet auteur, c’est un conteur fabuleux qui ne se contente pas de nous raconter une histoire, il dénonce…

  2. je n’ai pas lu et je ne connais pas l’auteur sauf de nom alors c’est noté pour une lecture dans les mois qui viennent 5 coquillages c’est plutôt rare !

  3. J’aime beaucoup l’écouter à la radio quand il parle de ses livres et de son pays, mais je ne suis pas encore passée à l’étape lecture.

  4. Un auteur indispensable à lire et à entendre ! Je n’ai pas encore lu ce titre là mais vu qu’il est en poche, il sera sur ma prochaine liste de librairie !

  5. Je note, car manifestement ce roman est intéressant et permet de comprendre les choses au-delà de ce qui nous est parfois imposé par les médias. Mais je vais attendre une période plus je ne sais pas quoi ou moins je ne sais pas quoi pour affronter la dureté de ce récit !

  6. ça fait des années que je veux lire cet auteur… tu confirmes !

  7. Bonjour Luocine, je compte. bien lire ce roman un de ces jours, Je n’ai pas encore été déçue par cet écrivain qui sait si bien décrire la société égyptienne. Bonne après-midi.

    • bonne fin d’après midi Dasola
      tu auras bien du plaisir à lire ce roman.
      PS j’ai du mal à aller sur ton blog, car il m’impose des cookies.

  8. Maggie on 5 septembre 2021 at 17:46 said:

    Il faut absolument que je le lise…

  9. Pas lu depuis l’immeuble Yacoubian, une bonne idée de roman, surtout que mon dernier voyage avant covid était l’Egypte (et je viens de vérifier, il est dans ma bibliothèque).

  10. Pingback: Alaa El Aswany, J’ai couru vers le Nil – Lettres exprès

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