Édition Acte Sud, 254 pages, août 2023.

Petite question : suis-je la seule à ne pas aimer lire les livres de cette maison d’édition qui ne peuvent jamais s’ouvrir complètement sauf à casser le dos du livre ?

 

Ceci dit, j’aime très souvent les romans que cette maison édite. Ce n’est pas ma première rencontre avec cet auteur, mais c’est la première fois que j’écris un billet à propos de lui sur Luocine.
Un roman difficile à lire car il faut suivre deux histoires qui n’ont comme point commun que la folie guerrière des hommes. On commence à suivre la survie d’un déserteur dégoûté par les violences de la guerre, celles qu’il a commises, celles qu’il a vues commettre. L’auteur utilise un style très particulier pour exprimer cette violence, il va à ligne à chaque virgule, j’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi. Mais la langue est belle même si elle exprime ce qu’il y a de pire chez l’humain. Le soldat va être confronté à une femme qui a subi aussi le pire de la guerre . Je ne vais pas plus loin dans ce récit qui est terriblement anxiogène comme l’est sans aucun doute la violence de la guerre.
En parallèle, on suit une réunion le 10 et 11 septembre 2001, qui réunit des grands chercheurs en mathématiques pour célébrer Paul Heudebert, un personnage fictif qui aurait écrit des recherches essentielles au camp de Buchenwald. Communiste convaincu, il a choisi de rester en RDA. Il est très amoureux d’une femme qui, elle, est restée en RFA, leur fille Ingrid ira sans difficultés apparentes de l’Allemagne de l’ouest avec sa mère à celle de l’est. Cette partie est écrite de façon classique et nous permet de revisiter la guerre, le nazisme et de la division entre l’Ouest et l’Est, l’effondrement du communisme, puis l’attentat du 11 septembre qui fera tourner court la fameuse réunion. Les explications pour comprendre tous les enjeux du couple Heudebert ne seront dévoiler qu’à la fin du roman et c’est évidemment tragique.
J’ai un peu de mal à voir l’intérêt du mélange des deux histoires. Bien sûr, on comprend ce qu’a voulu faire l’auteur, montrer que la guerre est toujours là et toujours avec les mêmes horreurs. Mais pour moi il s’agit de deux histoires qui n’arrivent pas à se rejoindre.

Un beau roman, pas toujours facile à lire, mais on y revit tellement de problèmes de notre époque, c’est aussi un bel hymne aux mathématiques mais sans lien évident avec l’autre sujet

 

 

Extraits

Début.

II a posé son arme et se débarrasse avec peine de ses galoches dont l’odeur (excréments, sueur moisie) ajoute à sa fatigue. Les doigts sur les lacets effilochés sont des brandirons secs, légèrement brûlés par endroits ; les ongles ont la couleur des bottes, il faudra les gratter à la pointe du couteau pour en retirer la crasse, boue, sang séché, mais plus tard, il n’en a pas la force ; deux orteils, chair et terre, sortent de la chaussette, ce sont de gros verts maculés qui rampent hors d’un tronc sombre, noueux à la cheville.

Dieu pour le soldat.

 Il continue à marcher,
 Seigneur c’est bientôt le jour de la Passion,
 tu as honte quand tu penses à Son Nom -le fusil contre toi tu traverses Sa nature,
toute chose chante Ses louanges et fleurit Sa gloire,
il traverse les buissons, écoute les ailes qui claquent les branches qui remuent.

Style et mise en page …

 l’enfance parvient à te faire oublier la guerre et la faim,
 l’enfance rôde, c’est un monstre comme un autre,
 tu t’allonges sur la chaleur de la grande pierre plate du seuil.
Il réussit à fermer les yeux sans qu’apparaissent des visages torturés aux bouches sanglantes et aux cernés,
 ton corps, après l’eau, après le soleil, perd l’odeur électrique, de graisse et de sang, que la guerre a donné,
 haut dans le ciel les oiseaux et les avions tournent.

Le camp de Gur.

Que je fasse des mathématiques fascine mes camarades d’internement (on n’est pas détenu, ici, on est « interné » : nuance que mon niveau de français ne me permet pas réellement de saisir). Pour passer le temps, je lance des problèmes simples comme le ferai un prof de math – les quatre-vingts camarades de baraquements (Espagnols, Allemands, Juifs de toute ‘Europe) s’amusent à essayer de les résoudre. Ici on garde le papier (rare) pour les lettres : les maths, c’est sur les murs, avec des morceaux de pierre ou de charbon !

Un moment d’humour.

 Cet ajout se révéla aussi néfaste qu’hilarant : au lieu de se cumuler, ces deux forces semblaient soit se conjuguer inutilement, soit s’annuler. Les oublis étaient oubliés deux fois, les bévues doublement répétées. On aurait dit un dessin tracé par deux stylos à bille attachés entre eux par un élastique, des parallèles ne se rejoignant jamais, malgré tous leurs efforts, contraintes par Euclide soi-même.

Emmy Noether.

 Que vous a-t-elle enseigné (Emmy Noether) ? Paul prend alors son air pénétré, qui cache souvent chez lui une réponse ironique, qui en l’occurrence ne l’est même pas : « elle m’a appris que les mathématiques étaient l’autre nom de l’espoir ».

Les mathématiques.

 Les mathématiques sont un voile posé sur le monde, qui épousent les formes du monde, pour l’envelopper entièrement ; c’est un langage et c’est une matière, des mots sur une main, des lèvres sur une épaule ; la mathématique s’arrache d’un geste vif : on peut y voir alors la réalité de l’univers, on peut la caresser comme le plâtre des moulages, avec ses aspérités, ses monticules, ses lignes, qu’elles soient de fuite ou de vie.

26 Thoughts on “Déserter – Mathias ENARD

  1. Pour répondre à ta première question, je n’ai pas eu de problème avec les livres d’Actes sud . Par ailleurs, je n’ai pas encore lu Matthias Enard et je n’ai pas l’impression que ce roman soit idéal pour le découvrir au vu du ton billet. Lesquels as-tu lus et davantage aimés ?

    • ah bon alors c’est moi, les livres se referment sauf si je casse le dos du livre. Le réalisme des violences de la guerre est vraiment très bien raconté.

  2. Je suis mal placée pour dire si les livres publiés dans cette maison d’édition sont plus fragiles que les autres car (1) je maltraite beaucoup les livres papiers et (2) du coup, j’utilise souvent ma liseuse.

  3. Je ne suis pas très attirée par ce qu’écrit Mathias Enard. Je ne pense pas que celui-ci me plairait.

  4. Je suis passée par des hauts (Rue des voleurs) et des bas (Boussole) avec cet auteur, je ne suis donc pas trop empressée de le lire de nouveau.

  5. keisha on 10 mai 2024 at 19:22 said:

    J’ai lu Boussole (bien aimé), et là, ça parle (un peu?) de maths?

    • Mais c’est,pour moi, le problème de ce roman, on assiste à un congrès de mathématiciens, mais je n’ai pas compris le rapport entre ces deux sujets.

  6. Je suis un peu comme toi, ça m’agace vraiment les livres qu’on n’arrive pas à ouvrir complètement et qui sont écrits assez loin sur la page. Un auteur que je n’ai encore jamais lu et qui ne me tente pas plus que cela.

  7. C’est un auteur dont je crains la complexité. Aussi, bien qu’ayant aimé « Rue des voleurs » et « Parlez-moi de batailles… », j’hésite souvent à me lancer dans la lecture de ses titres..

    • Oui, il n’est pas facile à lire avec des procédés de style qui ne me touche pas (aller à la ligne, majuscule ou pas..) et pourtant il écrit très bien . la violence est très bien rendue.

  8. Thaïs on 11 mai 2024 at 12:10 said:

    Le problème pratique concernant le livre est certes gênant mais ne me rebute pas mais ce que tu dis du livre ne m’attire pas vraiment. Désolée.

  9. Du même auteur, j’avais lu avec plaisir  » Le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs  » mais je vois que l’ambiance n’est pas la même et à vrai dire je n’ai pas envie de lire des histoires de cruauté humaine libérée par les guerres… Par contre, Le banquet est sympa

    • Cet auteur a un style d’écriture bien à lui, et c’est déjà une qualité rare. Ce fut une lecture douloureuse pour moi donc je n’ai peut-être pas su la rendre attractive.

  10. Bonjour Luocine, c’est un auteur qui parait difficile d’accès a priori. Je n’ai encore rien lu de lui. Pas très tentée par ses histoires et toi tu ne parais pas d’un enthousiasme délirant. donc Je passe. Bon dimanche.

  11. J’ai toujours eu du mal avec cet auteur plutôt opaque pour moi…

  12. Depuis que j’ai essayé de lire Boussole, je reste sur mon impression, auteur trop pointu pour moi.
    Et comme toi, je n’aime pas du tout de format de cette maison d’édition !!!

    • Trop pointu ? Tu veux dire qu’il te semble difficile à comprendre ? C’est vrai par exemple je ne comprends pas pourquoi ici il mélange la vie d’un homme qui revient de la guerre et un colloque de mathématiciens. Mais il a un très beau style.

  13. C’est vrai qu’il a une écriture exigeante. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas lu.

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