Édition Grasset, 407 pages, janvier 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Dans toute l’Europe, les nazis ont trouvé des auxiliaires zélés pour les aider à se débarrasser des Juifs, des voisins avides de s’approprier leurs biens et leurs entreprises. L’antisémitisme n’était pas une exclusivité allemande ou polonaise. Il était partout

 

J’ai lu plusieurs critiques sur ce roman, qui soulignaient la gêne que certains lecteurs pouvaient éprouver à cause du mélange roman/réalité sur fond des tragédie dues au nazisme. Il est certain que les essais où les témoignages sur cette période ont une valeur incontestable. Je reconnais à ce livre de m’avoir fait connaître, « l’International Tracing Service ». Et j’imagine bien l’intensité des sentiments des différents chercheurs qui manipulent des journées entières des documents qui sont des bribes de souvenirs de ces différents meurtres de masse. Le roman suit une jeune femme qui a d’abord été mariée à un Allemand dont elle a un fils qu’elle adore. Son mariage s’est effondré sur son questionnement du passé de son beau-père officier de la Wehrmacht, qui est outré de l’exposition sur les crimes de cette armée dans les territoires de l’Est. L’auteure a inventé deux histoires, l’une sur un enfant polonais qui a été rapté sur la voie publique pour être adopté en Allemagne. L’autre sur un jeune juif qui a participé à la révolte de Treblinka et qui a ensuite chassé les anciens nazis responsables de la shoah. La fragilité des souvenirs, un papier griffonné rapidement, un mouchoir brodé par des femmes, une poupée de chiffons sur laquelle est brodé un numéro, doivent tellement émouvoir les personnes qui les reçoivent, ils savaient que leurs parents étaient morts à Auschwitz, à Treblinka, à Buchenwald où dans tout autre camp de la mort, mais recevoir un dernier petit signe de ce parent est quelque chose d’inestimable.

Cela permet de découvrir plusieurs aspects, certains connus d’autre moins. J’ai retrouvé l’antisémitisme violent de certains Polonais, la façon dont les anciens nazis ont réussi à se refaire une vie bien tranquille dans certains pays, le rapt d’enfants au physique aryen pour les faire adopter dans de bonnes familles du troisième Reich, la façon dont les organismes internationaux ont eu du mal à donner les informations aux descendants de la shoah , de tout cela il faut évidemment bien se souvenir, et Gaëlle Nohant amène bien tous ses sujets avec une belle sensibilité.

Il reste donc la partie romanesque, c’est vrai que c’est gênant, l’histoire d’amour d’Irène, est même un peu ridicule face à ce que le lecteur vient de lire. Il reste que tout est romanesque, et vient de l’imagination de l’écrivaine qui a découvert cet organisme qui l’a beaucoup marquée, elle veut nous le faire partager. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle sait, qu’ écrire sur un tel sujet assure un succès certain à son roman. Tant mieux pour elle, et après tout, tant mieux pour l’effort de mémoire, mais il faut se souvenir que rien de cela n’est vrai sauf l’organisme International Tracing Service dont le site est ouvert à tous .

 

Extraits

Début.

 Chaque matin elle vient par les bois. À mesure qu’elle traverse l’opacité des arbres et la nuit, Irène sent que la forêt dépose en elle quelque chose d’ancien qui se recrée sans cesse, une poussière de fantômes et d’humus. Elle roule dans le rayon jaune des phares et peu à peu glisse des ténèbres vers la lumière.

C’est si vrai.

 Le dernier coup de feu tiré il faudrait retrouver tous ses gens là, les aider à rentrer chez eux et déterminer le sort de ceux qu’on ne retrouverait pas.
 -Pour celui qui a perdu un être cher, ces réponses là, c’est vital. Sinon la tombe reste ouverte au fond du cœur. Tu comprends ?

Des enfants volés par les nazis.

– Les enfants volés étaient l’enjeu d’une bataille féroce entre les Allemands, le gouvernement militaire américain et les représentants de leur pays d’origine, résume l’historienne. Pour simplifier, les Allemands ne voulaient pas les rendre. Beaucoup de parents d’accueil étaient attachés à ces mômes. Pour d’autres, ils représentaient une main d’œuvre gratuite. Quant aux Américains, ils ne voulaient pas indisposer l’Allemagne fédérale leur nouvelle alliée dans la guerre froide. Et répugnaient à envoyer ces enfants grossir les rangs du bloc de l’est.

L’après guerre.

 – La Pologne a souffert le martyre, objecte Irène Chez vous l’occupation a été d’une violence inouïe. Pour autant, vos Résistants se comptaient par centaines de milliers ! En France, juste après la guerre, on préférait oublier le régime de Vichy et se raconter qu’il n’y avait eu que des Résistants..
 Stefan acquiesce, chaque pays impose un roman national. Le choix de ses héros et de ses victimes est toujours politique. Parce qu’il entretient le déni et étouffe les voix discordantes, ce récit officiel n’aide pas les peuples à affronter leur histoire.


Édition Albin Michel,406 pages, septembre 2022

Traduit de l’anglais par Marina Boraso

 

Quel livre  ! Quelle famille ! Embarquez-vous, avec ce roman, dans une lente déambulation dans le passé, de 1870 à nos jours, pour retrouver non pas « le temps » mais la mémoire d’Edmund de Waal descendant de la famille Ephrussi et céramiste connu. Il a hérité de son oncle une collection de « netsukes ». Ce sont de très petites sculptures venant du Japon qui servaient à bloquer une pochette qu’autrefois le Japonais portait à sa ceinture quand il était habillé de façon traditionnelle. Ce sont de tout petits objets mais souvent merveilleusement sculptés et expressifs. C’est en suivant l’histoire de cette collection qu’Edmund de Waal va raconter l’histoire de sa famille.
Celui qui l’a constituée, Charles Ephrussi, est un très très riche dandy de la fin du XIX ° siècle, collectionneur d’art, il est certainement l’homme qui a inspiré Proust pour construire le personnage de Swann. Dans cette première période, on se croit dans l’oeuvre de Proust qui a effectivement connu Charles Ephrussi. Cette période en France est marquée par un antisémitisme de « bon ton » mais cela n’empêche pas les juifs de faire des affaires et de vivre assez bien. On voit la construction près du parc Monceau de merveilleuses maisons , dont la demeure des Camondo qui est un des musées parisiens que j’aime visiter. (La famille Camondo finira à Auschwitz.)

Ensuite, nous irons à Vienne du temps de la grandeur des Ephrussi, les banquiers les plus riches de l’Europe avec les Rothschild . Leur fortune vient d’Odessa et s’est faite avec le commerce du blé. La collection de Charles a été un des cadeau de mariage pour Emmy et Viktor qui ont construit le palais Ephrussi sur le Ring à Vienne. C’est une période faste de presqu’un siècle. La famille est immensément riche et se sent heureuse à Vienne. Cette période est passionnante, l’empire s’effondre après la guerre 14/18 et la famille est pratiquement ruinée mais il se relèveront. L’antisémitisme autrichien est virulent, alors que l’empereur avait décidé de protéger les juifs. Les juifs des pays de l’est qui ont été victimes de pogroms avant la guerre se sont réfugiés en Autriche et en Allemagne, l’antisémitisme en était d’autant plus fort, (l’accueil en grand nombre de gens fuyant la misère et les persécutions est un problème brûlant d’actualité en Europe aujourd’hui). D’un côté il y avait ces riches banquiers et de l’autre ces miséreux que l’on méprisait. Comme l’Autriche a du mal à se relever de la guerre et a perdu sa grandeur, il est facile de chercher des boucs émissaires. Les enfants dont la grand-mère de l’auteur se souviennent bien d’avoir jouer avec ces petits Netsukes.
Et puis, il y a le nazisme et la famille est entièrement spoliée aussi bien leur banque que leurs biens immobiliers et leurs collections. Les Netsukes seront sauvés par une domestique, Anna, qui va les cacher dans son matelas et les rendra à la famille après la guerre. Elle est bien la seule à avoir voulu protéger les biens de la famille et pourtant l’histoire ne connaîtra que son prénom.
La famille est maintenant éclatée entre le Mexique, les USA, l’Angleterre et le Japon. Nous suivons la collection de Netsuke qui est repartie au Japon avec Ignace. Cette partie sur le Japon permet de comprendre d’où viennent ces petites statuettes. La vie au Japon sous la domination américaine est rapidement évoquée, on voit à quel point le démarrage de l’économie a été difficile au début et puis a fini par s’envoler.

La recherche d’Edmund de Waal est très intéressante, même si c’est parfois un peu lent, sans aucune surprise le moment le plus douloureux c’est le nazisme en Autriche et la façon dont après la guerre, les Autrichiens, contrairement aux Allemands, n’ont pas voulu analyser leurs responsabilités dans l’extermination des juifs. Evidemment les réparations pour la famille Ephrussi est totalement ridicule ! La grand mère de l’écrivain, Elisabeth, a recherché les biens de sa famille et comme c’est une juriste elle a su parfois arracher quelques tableaux à une administration autrichienne très peu coopérative. J’adore cette femme remarquable qui a lutté toute sa vie, pour suivre des études universitaires à Vienne, et qui a réussi à arracher son père aux Nazis. Emmy, sa mère, s’est sans doute suicidée.

C’est un livre assez long et très fouillé, je m’y suis sentie très bien, surtout n’imaginez pas que l’antisémitisme est l’aspect le plus important de ce roman, même si mes extraits ont tendance à le montrer, c’est un sujet auquel je suis très sensible . J’ai été triste de refermer ce roman et de laisser cette famille continuer sa vie, je l’espère de façon heureuse

 

Extraits

 

Le début.

 Je pars à la rencontre de Charles sous le soleil d’une après-midi d’avril. La rue de Monceau est une longue rue parisienne coupée par le boulevard Malesherbes, qui monte tout droit vers le boulevard Pereire, où se dressent des immeubles de pierres chaudes une succession d’hôtels particuliers aux façades rustiquées qui jouent discrètement avec des motifs néoclassiques, petits palais florentins décorés de têtes sculptées de caryatides et de cartouches. Voici celui je cherche, juste après le siège de Christian Lacroix. Je découvre accablé qu’il est occupé aujourd’hui par une compagnie d’assurances médicales.

Les frères Goncourt.

C’est dans les salons de Paris que Charles se fait remarquer pour la première fois. Edmond de Goncourt, romancier, diariste et collectionneur connu pour sa plume acerbe, le mentionne dans son Journal, dégoûté que des personnages tels que lui puissent y être conviés. Il note que les salons sont désormais « infestés de juifs et de juives  » et qualifie les jeunes Ephrussi de « mal élevés » et d' »insupportables ». Il insinue que Charles omniprésent, n’a aucune conscience de la place qui est la sienne ; recherchant le contact à tout prix, il est incapable de masquer ses aspirations et de s’effacer au moment opportun.

L’influence japonaise en 1870 à Paris.

 Voilà une évocation saisissante de ce que signifie être un étranger au sein d’une nouvelle culture, remarquable seulement par votre mise ultra-soignée. Le passant jette un second coup d’œil, et votre déguisement ne vous dénonce que parce qu’il est trop complet.
 Cela trahit également le caractère d’étrangeté de cette rencontre avec le Japon. Bien que les japonais fussent très rares à Paris dans les années 1870 – quelques délégations, des diplomates et un principe de temps à autre -, l’art de leur pays était omniprésent. Tout le monde se précipitait sur les « japonaiseries ».

Drumont.

 Cependant les Ephrussi se pensent indéniablement chez eux à Paris, ce qui n’est pas l’opinion de Drumont. Celui-ci déplore en effet de voir « des juifs vomis par tous les ghettos, installés maintenant en maîtres dans les châteaux historiques qui évoquent les plus glorieux souvenirs de la vieille France…des Rothschild partout  : à Ferrières et au Vaux-de-Cernay .. Ephrussi à Fontainebleau à la place de François 1er « . L’ironie de Drumont devant ces aventuriers sans sou rapidement enrichis, qui se piquent de chasse à courre et s’inventent des armoiries, se change en colère vindicative lorsqu’il juge le patrimoine national souillé par les Ephrussi et leurs pareils.

1914.

La situation ne manque pas de cruauté. Les cousins français, autrichiens et allemands, les citoyens russes, les tantes britanniques -toute cette consanguinité redoutée, cette mentalité nomade soi- disant dénuée de patriotisme- se trouvent contraints de prendre parti. À quel point une famille peut-elle se diviser ? Oncle Pips est mobilisé superbe dans son uniforme à col d’astrakan, et devra se battre contre ses cousins français et anglais.

Deux voix discordantes dans le concert pro-guerre à Vienne.

Schnitzler, en revanche, exprime son désaccord. Le 5 août, il écrit simplement : « Guerre mondiale. Ruine mondiale. » Karl Kraus, lui, souhaite à l’empereur une « agréable fin du monde ».
 Vienne est en fête. Par groupes de deux ou trois les jeunesse se rendent au bureau de recrutement, un petit bouquet fixé à leur chapeau. La communauté juive est d’humeur optimiste. Les juifs, affirme Josef Samuel Bloch, « sont non-seulement les plus fidèles champions de l’empire, mais aussi les seuls Autrichiens inconditionnels ».

Vienne après la guerre 14/18.

Vienne qui compte près de deux millions d’habitants, a cessé d’être la capitale d’un empire de cinquante-deux millions de sujets pour faire partie d’un minuscule pays de six millions de citoyens. Il lui est impossible de s’adapter à un tel cataclysme. On débat intensément sur la viabilité de l’Autriche en tant qu’état indépendant, d’un point de vue tant économique que psychologique. L’Autriche paraît incapable de faire face à pareil amoindrissement. Les conditions de la « paix carthaginoise » dures et punitives définies par le traité de Saint-Germain-en-laye en 1919, prévoient un démembrement de l’empire. Il ratifie l’indépendance de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Yougoslavie, et de l’État des Slovènes, Croates et Serbes. L’Istrie et Trieste ne font plus partie de l’empire, amputé également de plusieurs îles de Dalmatie. L’Autriche-Hongrie devient l’Autriche un pays de 750 km de long. Des réparations sont exigées. L’armée réformée rassemble trente mille engagés. Pour citer une boutade de l’époque, Vienne ressemble à un « Wasserkopf », chef hydrocéphale d’un corps atrophié.

Sa grand-mère Elisabeth Ephrussi.

 Je sais qu’Elisabeth n’avait pas vraiment le goût des objets -netsukes ou porcelaine- pas plus qu’elle n’aimait des complications de la toilette. Dans son dernier appartement, elle avait un mur tapissé de livres alors que les bibelots, un chien en terre cuite chinoise et trois pots à couvercle, n’occupaient qu’une petite étagère. Elle m’encourageait dans mon travail de céramiste et m’envoya même un chèque pour m’aider à financer mon premier four, mais cela ne l’empêchait pas de trouver assez drôle que je gagne ma vie en fabriquant des objets. Elle n’aimait rien tant que la poésie, ou l’univers des choses, dense, défini et vivant, est transformé en chant. Elle aurait détesté le culte dont j’entoure ses livres.

Le jour de l’Anschluss.

 Dans toute la ville, on défonce les portes et les enfants se cachent derrière leurs parents et se réfugient sous les lits ou dans les placards, essayant d’échapper au bruit pendant qu’on arrête et qu’on moleste leurs pères et leurs frères avant de les pousser dans des camions, pendant que l’on abuse de leur mère ou de leur sœur. Dans toute la ville des gens font main basse sur ce qui devrait leur appartenir sur ce qui leur vient de droit.
Il n’est pas question de dormir, on ne songe même pas à aller se coucher. Quand ces hommes s’en vont, quand ces hommes et ces garçons finissent par partir, ils promettent qu’ils reviendront et il est clair qu’ils disent vrai. Ils emportent le collier de perles qu’Emmy porte autour de son cou et ses bagues. L’un d’eux s’arrête pour lancer un gros crachat à leurs pieds. Il dévale l’escalier à grand bruit, hurlant jusque dans la cour. Un homme prend son élan pour taper dans les débris à coups de pied, puis ils sortent sur le Ring par la grande porte, l’un d’eux tenant sous le bras une grosse pendule.

L’émotion du petit fils (l’auteur) .

 Le palais Ephrussi, la banque Ephrussi ont cessé d’exister à Vienne. La ville a été « nettoyée » de cette famille.
 C’est pendant ce séjour que je me rends aux archives juives de Vienne – celles qu’Eichmann avait saisies- afin de vérifier certains détails sur un mariage. Cherchant Viktor dans un des registres, je découvre un tampon rouge officiel par-dessus son prénom : « Israël ». Un décret a imposé aux juifs un changement de nom. Quelqu’un a passé en revue tous les prénoms de la liste des juifs de Vienne pour y apposer ce tampon : « Israël » pour tous les hommes, « Sara » pour toutes les femmes.
 Je me trompais la famille n’a pas été effacée, elle a été recouverte. Et c’est cela finalement qui me fait pleurer.

L’après.

 Très peu de juifs choisiront de retourner à Vienne. Sur les 185000 juifs d’Autriche au moment de l’Anschluss, seulement 4500 y reviendront, tandis que 65459 ont trouvé la mort.
 Après la guerre personne n’a eu répondre de cela. En 1948 la république démocratique d’Autriche instaurée à l’issue du conflit a accordé l’amnistie à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en a fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo


Les éditions de l’observatoire, 404 pages, novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai toujours un sentiment très positif lorsque j’apprends un aspect nouveau sur une période que je croyais bien connaître. Que savait-on du déminage après la seconde guère mondiale ? Que savait-on du traitement des prisonniers allemands en France ?

Grâce à ce roman, j’en ai appris beaucoup sur ces deux sujets, pourquoi est ce que je me retiens de lui mettre 5 coquillages ? Le romanesque est bien construit pour l’intrigue, mais je n’ai complètement cru aux personnages de « Vincent » , ou plutôt Hadrien.
J’explique rapidement l’intrigue : Hadrien, vient se proposer comme démineur à Fabien, un héros de la résistance, il le fait sous une fausse identité, et nous apprendrons que tardivement pourquoi (donc je n’en dis rien !), en revanche, ce que nous savons immédiatement, c’est que, s’il veut devenir démineur, c’est pour se rapprocher des prisonniers allemands, qui seuls peuvent lui expliquer ce qui est arrivé à Ariane son grand amour.

Fabien est un meneur d’hommes et un démineur très doué, il est aussi très humain et il sera le premier à ne pas considérer les Allemands comme de simples nazis à mépriser. Parmi les allemands il y en a deux qui sortent du lot : Lukas, un ancien libraire qui n’a jamais été nazi et Mathias un violoniste très sensible.

Un autre personnage sera important Saskia, très jeune fille juive, qui revient des camps et est persuadée qu’elle pourra retrouver facilement la propriété de ses parents. C’est là un autre thème du roman que j’ai déjà lu, à quel point à la sortie des camps on faisait une différence entre les juifs et les résistants qui avaient servi la France, pourtant les deux revenaient bien des mêmes camps ! Et à quel point ils ont eu du mal à récupérer leurs biens.
Saskia a été inspirée à l’auteure par une femme juive qui lui a raconté son retour : l’appartement où ses parents avaient toujours été locataires était loué et on lui a demandé pour le récupérer de payer les arriérés des loyers depuis que ses parents avaient été raflés !

Le récit est très précis dans la description des différentes mines et les dangers mortels qu’il y avait, à les désamorcer. L’auteure explique aussi à quel point le traitement des deux débarquements : Normandie et Provence, connaît une postérité différente. Pourtant le débarquement de Provence a été un succès et un succès français ! Elle rappelle aussi la volonté de de Gaulle de ne pas laisser au privé le soin de la reconstruction, il avait de mauvais souvenirs de ce qu’il s’était passé dans le nord après la guerre 14/18. Les entrepreneurs privés s’étaient enrichis au détriment de la qualité de la reconstruction. La pression immobilière dans cette région attise pourtant bien des convoitises de promoteurs privés..

Historique également, le travail si pénible du déminage que les Français et les Allemands ont fait ensemble. L’évolution des sentiments des uns et des autres est bien analysé, au début les Français emplis d’une haine justifiée le plus souvent , ne voient dans cette main d’oeuvre captive qu’une façon de se venger des récentes horreurs vécues, quitte à ne pas respecter la convention de Genève concernant le statut des prisonniers de guerre, mais peu à peu l’Allemagne étant vaincue et les Allemands n’ayant plus peur de la gestapo, leur humanité et leur efficacité vont changer le regard que les démineurs vont porter sur eux.

Une toile de fond historique parfaite, une réserve sur l’aspect romanesque , mais je reconnais que tous les livres historiques sur ce sujet existent depuis longtemps et que je ne les ai pas lus. Alors un grand merci Claire Deyat.

 

Aifelle est un peu plus critique que moi. Kathel  exprime les mêmes réserves que moi, sur l’aspect romanesque mais souligne le sérieux du travail historique sur le déminage.

 

Extraits

Début .

S’il retrouvait Ariane, Vincent n’oserait plus caresser sa peau. Ses mains avaient atteint des proportions qu’il ne reconnaissait pas. Dures, les doigts gonflés, leur enveloppe épaisse, rugueuse et sèche ;elle s’étaient métamorphosée. La corne qui les recouvrait était si aride que, même lorsqu’il les l’avait, longuement, soigneusement, elles ne s’attendrissaient pas.

Après la guerre, le déminage.

 Fabien donnait du sens à leurs missions. En libérant la terre de ces pièges mortels, ils se sauvaient eux-mêmes, se rachetaient, se délivraient de la culpabilité. Car tout le monde se sentait coupable : d’avoir trahi, menti, volé, abandonné, de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas s’être engagé dans la Résistance – ou dans la résistance de la dernière heure -, d’avoir tué un homme, plusieurs, d’avoir survécu là où tant d’amis étaient tombés. Chaque homme portait en lui cette part de culpabilité, immense en ces temps troublés et dont il devait pour continuer d’avancer, sinon se débarrasser, au moins s’arranger. Fabien savait suggérer à ces hommes que le déminage pouvait leur apporter la rédemption que, sans se l’avouer, ils n’osaient plus espérer.

Les différentes sortes de mines.

 Il y avait donc sur la plage ses engins effrayants, gigantesques, que les démineurs appelaient des sarcophages ou des tombeaux ; ils promettaient comme eux un passage certain vers l’au-delà, seulement ceux qui trépassaient en passant par ces sarcophages-là étaient moins bien conservés que les pharaons d’Égypte
Ces monstres de plus de mille quatre cent kilo d’acier et d’explosifs s’étalaient dans le sable comme des otaries mécaniques et prenaient leurs aises. Impossible à soulever. Les Allemands partis, les mines sarcophages persistaient à leur place par leur pénible force d’inertie et la garantie de destructions impitoyables .

Le retour des juifs.

 « Tenez, et ne faites pas d’histoires ».
 Personne n’avait envie d’entendre. Pourtant ce qu’elle avait raconter, ce n’était pas des histoires, mais l’Histoire avec un grand H et toutes ses minuscules, l’Histoire comme elle peut être dégueulasse, l’Histoire qui ne va pas dans le sens du progrès, ni de l’idée que l’on voudrait se faire de l’humanité, l’Histoire qui n’aurait jamais dû admettre cette enfer, l’Histoire qu’il ne faudra jamais oublier.
 Lorsqu’elle avait entendu cette exhortation désespérante pour la première fois, elle ne savait pas à quel point elle la suivrait partout. Leur histoire n’intéressait personne. Celle des résistants, oui, la leur leur, non. On voulait des héros pas des victimes.

Le regard des soldats allemands.

Ce regard qu’on ne voulait pas croiser sous peine d’être foutu mais qu’on devait affronter sous peine d’être suspect. Ce regard – à lui seul le symbole du projet nazi- qui examinait, évaluait, disséquait, méprisait, jugeait, triait, sélectionnait, ce regard qu’on n’oubliait pas, ce regard de mort qui faisait détester les yeux quand c’est par les yeux pourtant qu’on se parle de première abord, quand les yeux sont ceux qui sauve toutes les espèces vivantes de leur part sombre ; ce regard haineux dénaturait la vocation du regard, et canalisaient la part la plus hostile de l’être humain. Alors oui, on pouvait penser que tous les Allemands étaient les mêmes, car la diversité des corps des traits s’effaçait sous le corset de l’uniforme, du képi, et du regard qui commandait tout le reste.

 


Édition folio mai 2023, 355 pages, paru en 1947

 

Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie

Les livres se suivent sur Luocine et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont de valeurs inégales !

L’épidémie du Covid et ma volonté de faire découvrir ce roman à mon petit fils qui est en seconde et n’aura aucun cours de français pendant un trimestre m’a conduit à relire ce roman classique. (Professeure malade non remplacée ! )

Je trouve que ce livre a encore sa place dans la formation intellectuelle des jeunes lycéens. Camus posent des questions qui sont encore d’actualité et la tension romanesque me semble bien menée. Enfin, pour savoir si ce roman plaît encore à la jeunesse actuelle, je laisserai Rémi en juger.

Tout le monde sur la blogosphère a, je suppose, lu ce roman : Camus imagine que la peste s’abat sur la ville d’Oran, et il décrit les réactions des différents personnages qui sont représentatifs d’une population « ordinaire » d’une grande ville. Le chroniqueur de cette Peste, on le saura à la fin c’est le docteur Rieux, impliqué dès le début dans la lutte contre ce qui, au départ, est une épidémie, puis sera appelée « la peste ».au chapitre 4.

Le livre est divisé en cinq parties, un peu comme une pièce de théâtre avec une montée de l’angoisse au fil des statistiques du nombre de morts. Et souvent les chapitres sont consacrés à tel ou tel personnage et à ses réactions face à l’épidémie.

Camus a, lui-même, déclaré que ce roman lui avait été inspiré par la deuxième guerre mondiale qu’il venait de vivre en s’engageant fortement dans la résistance. On peut donc lire ce livre en analysant les réactions de chacun face à un évènement traumatisant qui touche l’ensemble de la population. Et justement nous venons de vivre une épidémie qui nous a valu un confinement de l’ensemble de la population. Et la menace Russe est à nos portes avec la guerre qui touche un pays européen.

De la même façon que les autorités d’Oran mettront beaucoup de temps à voir les signes avant coureurs de la peste, rappelez vous des messages de la haute autorité médicale à propos du Covid  : simple gripette, les masques sont pour les professionnels de santé, et surtout la certitude que si les Chinois sont très atteints c’est qu’ils sont tellement moins en avance que nous pour les soins médicaux, vous vous souvenez de tout cela bien sûr, alors vous ne serez pas étonnés des tergiversations de l’administration d’Oran pour reconnaître le danger de l’épidémie.

Et, puisque Camus fait un parallèle avec la guerre et la montée du nazisme en Europe, qui a vu clairement dans la volonté de Poutine d’annexer l’Ukraine ce qui semble si évident aujourd’hui, la volonté de recréer l’empire soviétique.

Camus reprend dans ce roman des thèmes qui lui sont chers et auxquels les jeunes peuvent être sensibles : avec Tarrou la lutte contre la peine de mort, avec les prêches du prêtre Pandelou qui révoltent tant Rieux (et rappelle la colère de Meursault dans « L’Étranger ») car expliquer la peste comme un juste châtiment des fautes humaines est inacceptable pour le médecin qui voit des hommes bons ou mauvais souffrir de la même façon, la difficulté de communiquer et de s’exprimer sans quiproquo possible à travers le personnage de Grand, les bonheurs simples des hommes lors du bain de mer…

Je n’avais pas remarqué la première fois que j’ai lu ce roman à quel point « L’étranger » et « la peste » reprennent les mêmes thèmes et les mêmes personnages. Le docteur Rieux est un double de Meursault si on lui adjoint Tarrou, Cottard ressemble à Raymond Sintes, le vieil homme qui crache sur les chats est aussi perdu que Salamano à la mort de son chien lorsque les chats ont disparu. et on retrouve aussi le moment heureux du bain de mer.

La grande différence avec l’étranger, c’est que la proximité de la mort unit les hommes dans une lutte qui ressemble fort à celle que Camus a été amené à conduire dans son groupe de résistance. C’est la raison pour laquelle je trouve « La Peste » moins désespéré que le son précédent roman. Il se dégage un véritable humanisme et une confiance dans les capacités des hommes ordinaires (bien loin de l’idée que l’on se fait d’habitude de l’héroïsme) pour lutter contre un danger mortel ce qui fait du bien en périodes difficiles.

Pourquoi est ce que je ne mets pas cinq coquillages à ce grand classique ? Parce que je le trouve trop démonstratif à mon goût d’aujourd’hui , en revanche j’ai encore beaucoup apprécié la tension romanesque provoquée par la montée en puissance de l’épidémie. Et enfin une dernière remarque, Camus décrit une ville algérienne avec des quartiers pauvres mais sans arabes, étrange, non ?

 

Avis de Rémi (élève de seconde)

J’ai apprécie « la Peste » d’Albert Camus, car on voit l’évolution de cette maladie et cela me fait énormément penser à la pandémie du Covid 19. Les réactions des personnages sont, sur certains points, semblables aux réactions des français (officiels ou ordinaires) pendant la pandémie .

 

Extraits

Début.

Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194. , à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

 l’opinion publique.

« L’opinion publique, c’est sacré : pas d’affolement, surtout pas d’affolement »

 

La peste, la guerre.

Quand une guerre éclate, les gens disent :  » ça ne durera pas c’est trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer.  » 

Difficulté de convaincre l’administration.

– Sincèrement, dites moi votre pensée, avez vous la certitude qu’il s’agit de la peste ?,
– Vous posez mal le problème. Ce n’est pas une question de vocabulaire, c’est une question de temps.
– Votre pensée, dit le préfet , serait que, même s’il ne s’agit pas de la peste, les mesures prophylactiques indiquées en temps de de peste devraient cependant être appliquées ?
– S’il faut absolument que j’aie une pensée , c’est en effet, celle-ci.

La peine de mort

Vous n’avez jamais vu fusiller un homme ? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d’avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non ! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné ? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine ? Savez-vous qu’à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du coeur et qu’à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou où l’on pourrait mettre le poing ? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n’ai pas bien dormi depuis ce temps là. Le mauvais goût m’est resté dans la bouche et je n’ai pas cessé d’insister, c’est-à-dire d’y penser.

L’adaptation humaine.

Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance mais ils n’en ressentaient plus la pointe .

Héroïsme .

Eh bien, moi, j’en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l’héroïsme, je sais que c’est facile et j’ai appris que c’était meurtrier. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on vive et qu’on meure de ce qu’on aime 

la fin.

Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses et que, peut-être, le jour viendrait où pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.

 


Édition Gallimard NRF juin 2023 . 202 pages

Encore un roman sur l’extermination des Juifs et aussi des Tziganes organisée par les Nazis, mais bien aidés par en Hongrie par les « Croix Flêchées ». Ce qui rend ce livre lisible malgré les horreurs que l’on connaît mais qui sont tellement difficiles à lire c’est que les deux fillettes qui ont fui l’extermination se soutiennent et vivent dans un zoo où les animaux sont tellement plus faciles à vivre que les humains ivres de sang. La petite juive Sheindel, et le petite Tzigane Izeta se sont retrouvées dans le zoo de Budapest et aident les animaux à survivre à la guerre. Elles sont aidées par un soldat Dumitru de l’armée rouge originaire de Roumanie, qui est vétérinaire. Leurs rapports avec les animaux permettent d’alléger l’horreur de cette lecture. Et puis, après la guerre, les deux petites sont séparées, l’une ira vivre en Israël, l’autre retrouvera les Tziganes en Europe. Et Dumitru ira au goulag où sa mère va mourir. Il en reviendra et s’occupera de chevaux, Sheindel le retrouvera mais, en revanche, Izeta et elle n’arriveront pas à se rejoindre. La dernière partie du roman voit l’arrivée d’un journaliste, Frédéric qui a des points commun avec le correspondant de guerre et auteur, Jean Hatzfeld. Il suit la guerre en Croatie puis en Bosnie, cette région à de nouveau connu une guerre civile avec son lot de pillages, de bombardements, de viols et d’exterminations.

Ce roman se lit facilement même s’il raconte la partie la plus noire de l’humanité . Mais j’ai une réserve, qui vient sans doute que j’ai vraiment beaucoup lu sur ce sujet et que, et le mélange de la vérité historique et de l’imaginaire n’a pas très bien fonctionné (pour moi). En peine guerre de Bosnie, le narrateur reprend une histoire de zoo, mais cette fois, le journaliste dit clairement que c’est une fiction qu’il a inventée car la réalité était trop horrible. Alors qu’en est-il pour la vie des deux petites filles dans le zoo de Budapest pendant la guerre ?

Extraits

Début.

La scène se répétait, rien n’allait et il faisait un froid de canard. Muni d’une fourche qu’elle maniait avec peine, une fillette incitait des dromadaires à sortir de leur stalle, sourde à leurs blatèrements que les murs renvoyaient en écho. Ils refusaient de quitter le fond, qu’ils ne cessaient de longer dans une bousculade exaspérée.

Images terribles qui doivent hanter tous les descendants des juifs d’Europe centrale.

 À cet instant un cortège surgit dans la rue Király. En tête des miliciens coiffés de leurs calots verts marchaient d’un pas trop impulsif pour être cadencé. Derrière, un premier rang de femmes ; les suivait une foule d’hommes, le plus souvent cravatés, et encore des femmes silencieuses avec leurs enfants. Des hommes vêtus d’habits religieux marchaient en petits groupes, il y en a qui s’étaient bandé la tête d’un tissu pour dissimuler des blessures ou simplement la nudité de leurs joues qu’ils avaient sans doute été obligés de raser en guise d’humiliation. Ils avançaient au rythme des militaires hongrois et des gendarmes allemands fusils à la main Tous ne portaient pas l’étoile jaune, ils levaient les mains à hauteur d’épaule, rien dans leur comportement ne trahissait la panique. La marche n’était troublée que par les cris des miliciens. Sur les trottoirs, on chuchotait, les passants s’arrêtaient sauf ceux qui filaient pour ne plus voir.

L’autre thème du livre : les animaux .

Quand tu parviens à te tenir immobile dans un endroit sauvage, avec de la chance, tu vois un animal venir à toi, te rendre visite, répondit Sheindel. Rien de comparable avec un animal qui passe par hasard et marque un temps de surprise. Ou un animal à l’affût que l’on observe avec des jumelles en évitant d’écraser des branches sèches sous ses bottes. Un animal qui s’approche de toi à petits pas, le museau frémissant, c’est fantastique pour la simple raison qu’il vient pour toi.

 

 


Édition Gallimard novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Décidemment dans la sélection des nouveautés du club de lecture , il y a beaucoup de livres qui parlent de la Shoah en France. Est-ce un hasard, ou le fait que les souvenirs se réveillent libérés du poids des interdits du venant de ceux qui avaient vécu ou participé à ces terrible évènements ? Violaine Huisman est près de son père quand il décède, elle veut trouver qui était Denis Huisman, que les gens de ma génération connaissent bien pour avoir travailler sur les manuel de philo « Huisman-Vergez » .

Sa quête de mémoire est douloureuse car ce père fantasque a été un mari volage et n’a pas su aider les deux filles qu’il a eues avec un femme bipolaire. Elle se sent la fille de la « folle », elle aime son père mais a peu d’illusions sur ses qualités morales. (Sa mère est l’objet d’un roman que je n’ai pas lu). Le portrait de ce père haut en couleur est bien mené et très agréable à lire, très vite l’autrice se heurte à la difficulté de démêler ce qui est réel de la mythologie familiale dans laquelle les personnages tiennent des positions qui font de beaux récits mais qui ne respectent pas toujours la vérité historique. Une grande partie de sa recherche concerne Georges Huisman, l’ancêtre si glorieux de la famille et auquel la société d’après guerre n’a pas rendu les honneurs ni la place qui aurait dû lui revenir. On revit sa fuite lors de l’invasion nazie et sa peur d’être déporté comme juif. L’autrice nous fait revivre l’épisode du « Massilia » bateau dans lequel se sont embarqués des députés et des membres du gouvernement : Mendes-France, Jean Say entre autre, respectant en cela les ordres de Pétain. Mais tous ceux qui sont juifs seront arrêtés et jugés pour haute trahison. Tout cela est intéressant et a certainement marqué le jeune garçon (le père de la narratrice) qui a dû se cacher et craindre pour sa vie. Mais dans la mémoire familiale et il y a aussi Choute une jolie femme très riche dont George Huisman aurait été très amoureux. Violaine Huisman s’empare de cette histoire et on ne sait absolument pas ce qui relève du roman ou de la réalité.

J’ai aimé lire cette biographie (même adoré la première partie) et la façon que l’auteur a de démêler tous les fils du passé qui arrivent vers elle comme une pelote souvent agressive qui brouillent tellement bien les cartes de la réalité et de la narration familiale. Mais j’ai trouvé en ce qui concerne son grand-père que le mélange historique et fiction littéraire était gênante.

Extraits

Début.

 Te voir avachi. devant la télé en plein après-midi me sidère est me brise le cœur. Je coupe le son. Merci, silence. Le reflet des images diapre les murs comme les vitraux d’une chapelle. Par la fenêtre, à gauche un rayon de soleil dessine autour de ta chevelure un halo d’or. En arrière-plan, des étagères de livres reliés en cuir châtain forme un paysage vallonné, des collines où se dressent en lettres scintillantes tes auteurs-phares.

J’aime cette façon de raconter.

 Tu as la voix qui porte et le ton professoral ; où que tu sois tu donnes un coup magistral, y compris en tête à tête avec ton agonie. Tu peux de but en blanc déclamer un poème de Hugo ou une tirade de Corneille, en philosophie tu es incollable intarissable tu sembles avoir tout lu tout retenu(…)

Un grand talent d’écriture.

 Cette rosette rouge sur le revers de ton veston intrigué énormément les enfants, toutes générations confondues. À quoi ça sert ? Te demandait-on à tour de rôle. À rien mon pauvre amour ! Strictement à rien, sinon à flatter la vanité des vieux croulants comme moi. Ou plutôt si, ça sert à une chose à partir du grade de grand officier, un vulgaire gendarme ne peut pas vous convoquer au poste, c’est le commissaire de police en personne qui doit se rendre à votre domicile pour vous arrêter. Je ne voyais pas en quoi ce privilège t’aurait été utile.

Le rituel de la nouvelle cuisine.

 Le rituel protocolaire des établissements étoilés t’emmerdait au plus haut point, mais tu en raffolais. Tu trouvais la nouvelle cuisine chichiteuse et ces portions mesquines. Quand un serveur entamait le récitatif des produits préparés dans ton assiette, tu accueillais sa sérénade en bâfrant avec une telle voracité que tu avais régulièrement fini avant qu’il ait conclu son cérémonial en nous souhaitant une bonne dégustation.

Son héritage à Paris.

 Paris était le foyer ancestral où j’étais la fille de : la fille de ma mère-la-folle, la fille de mon père, la petite fille d’un grand-père illustre, fût-il injustement oublié. Je m’étais construite ailleurs car à Paris, j’avais l’impression à chaque carrefour de trébucher sur un pavé.

Son père et les femmes.

 Dans ces récits une femme était avant tout incarnée, et son potentiel de séduction primait sur toute autre qualité. Une femme était soit vieille et moche, soit jeune et fraîche. Décidément, mon père n’était pas un féministe tout à fait hors pair !

Vision de Haussman par Georges Huisman.

 Là on l’entend marmonner son courroux sous son inlassable moustache en pénétrant dans ces monuments du second Empire : ces « vandales » qui ont défiguré Paris ! Haussmann -le pire ce qu’on a appelé les « embellissements » de Paris n’est qu’un système générale d’armement contre l’émeute. l’Attila de la ligne droite !

 

 

 


Édition Gallimard juin 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre remarquable pour un homme si injustement oublié : René Blum, le frère de Léon. Il n’avait pas de talent politique mais c’était un amoureux de l’art et de la culture. Il a dirigé les ballets de Monaco dont il a été directeur et propriétaire. Sa troupe jouait en 1940 et 1941 à New-York, il pouvait donc y rester, mais un Blum ne fuit pas son pays quand il est en danger et que l’honneur de son nom est en jeu. Il est donc revenu à Paris, a été arrêté et est mort de façon atroce à Auschwitz, sans doute jeté vivant dans un four crématoire.

Le roman alterne les moments où René est interné et d’autres où on revit son glorieux passé. C’est une très bonne idée de construction car en découvrant tout ce que cet homme a fait pour le monde du spectacle on se dit mais pourquoi est-il tant oublié ? Je ne savais pas, par exemple, que c’est lui qui a convaincu Bernard Grasset de publier un amour de Swann de Marcel Proust dont il était un grand ami.

Les chapitres consacrés à son internement nous permet de croiser des personnalités qui ont tant donné pour la France, en effet René Blum a fait partie de la rafle des notables, des gens qui ont fait la guerre 14/18, sont revenus décorés et ont ensuite servi la France. Mais ces gens sont juifs et cela suffit pour sceller leur sort.

J’ai vraiment eu du mal à retenir mes larmes à la description des enfants qui avaient été arrachés à leur mère et qui arrivent à Drancy, des petits avec leurs doudous qui pleurent chaque nuit en appelant leur mère.

Le roman se termine pratiquement sur les cheminées d’Auschwitz, mais les mots de la fin sont ceux-ci

Son souvenir restera comme celui d’un homme bon, d’un homme d’art et de culture, d’un homme bienveillant, d’un homme intègre, d’un homme au destin tragique. en cela, la mémoire de René restera, même par-delà l’oubli.

Extraits

Début .

En ouvrant la porte il n’exprima aucune surprise. 
En rentrant en France, à Paris, il savait que ce jour adviendrait. Comment feindre la surprise ? Les trois hommes qui lui faisaient face, ils étaient tels qu’il les avaient imaginés, durs sans regard, sans émotion. « Monsieur Blum ? » Lui demanda le premier homme. 

La bataille d’Hernani

 La « claque », des applaudisseurs professionnels rémunérés pour glorifier ou anéantir les spectacles parisiens, avait été d’un renfort salutaire grâce à l’aide financière du baron Taylor, protecteur des arts et précurseur du romantisme. Les applaudissements redoublaient de force face aux huées des conservateurs surnommés également les genoux pour leurs crânes aussi dépourvus de cheveux que l’articulation à la jointure de la jambe et de la cuisse.

Le destin de la famille Blum.

 La proximité de Strasbourg dans laquelle les juifs pouvaient commercer mais non vivre avait permis à ses habitants d’avoir un confort modeste mais correct. En 1791, les idées neuves de la révolution donnèrent à sa famille une patrie, la France, eux qui en étaient dépourvus depuis toujours. Depuis, les Blum avaient conservé une fidélité immuable à la nation des droits de l’homme et du citoyen.
 Il fallut attendre le règne de Napoléon pour faire du nom de Blum le leur. Depuis toujours, les juifs n’avaient pas de nom fixe et, au gré des générations pouvaient en changer. C’est ainsi qu’en mairie de Westhoffen, le 9 octobre 1808, Abraham Moyse déclara prend le nom de Blum, dont la proximité avec le mot fleur en allemand n’était sans doute pas étrangère à son choix .

La solidarité dans les camps.

Georges Cogniot était le doyen des rouges, ces communistes arrêtés à titre préventif. Les Allemands pensaient ainsi éteindre une menace à venir. Il formait avec deux de ses autres camarades le trio de direction de leur camp. Celui qui fut rédacteur en chef de « l’Humanité » avait souhaité recréer la structure d’une section communiste, la discipline du parti en premier chef, le militantisme en second. Les actions étaient dirigées et coordonnées par la direction. Parmi elles, celle de recevoir pour le camp des Juifs, privé de tout même d’humanité, les colis envoyés par leurs familles. C’est ainsi que Jean-Jacques reçu de la part de son épouse, par le biais d’un prisonnier communiste, couvertures et conservés. Combien de vies sauvées grâce à ses valeureux gaillards prêts à prendre tous les risques pour passer les colis de nourriture aux juifs ? Certains des juifs internés étaient pourtant les patrons qu’ils affrontaient à l’usine à coups de grèves et de tracts. 
Mais pour les communistes, tous les internés étaient des camarades comme les autres patrons aussi bien qu’ouvrir, pas de distinction « en temps de guerre, on se serre les coudes » affirmait George Cogniot.

L’arrivée des enfants à Drancy.

 Personne ne s’attendait à voir arriver des enfants, des tout petits. Ils étaient accompagnés de quelques jeunes femmes qui semblaient être à l’aise au milieu de cette petite foule. Comme tous les nouveaux internés, ils passèrent l’étape de la fouille. Les baluchons furent ouverts, scrutés. Les gendarmes enlèvement tout ce qui était interdit dans le camp, allant jusqu’à confisquer les dessins et peluches gardés jusqu’ici précieusement. La discipline devait s’appliquer. La méchanceté aussi.

Il faut lire ce genre d’article quand on soutient que Pétain a défendu les juifs français .

 Wikipedia à propos de Pierre Masse assassiné à Auschwitz en 1942 et arrêté en même temps que René Blum

 En octobre 1940 lors de la parution de la loi chassant de l’armée les officiers d’origine israélite, Pierre Masse envoie au maréchal Pétain une lettre de protestation lui demandant s’il doit enlever leurs galons à son frère (officier tué à Douaumont en 1916 ) à son gendre et son neveu (officiers tués en mai 1940) s’il peut laisser la médaille militaire à son frère (mort à Neuville-Saint-Vaast) si son fils (officier blessé en juin 1940) peut garder son galon et si « on ne retirera pas rétrospectivement la médaille de Sainte-Hélène à son arrière-grand-père.

 

 


Éditions de l’Olivier

L’expérience concentrationnaire est incommunicable.

C’est c’est une histoire racontée à des sourds par des muets

Quatrième livre de cette auteure sur Luocine, c’est visiblement une écrivaine que j’apprécie sans jamais être totalement enthousiaste , petit rappel : le remplaçant, Ce Coeur changeant, les bonnes intentions.

Ce roman est , une fois encore, agréable à lire mais la construction est surprenante, on a l’impression, certainement fausse, que l’écrivaine écrit au fil des jours sans savoir très bien où elle va et où elle mène son lecteur.
Au départ, il y a un projet assez vague de créer un lieu pour vieillir avec ses amis, un peu comme ses grands-parents, rescapés d’Auschwitz l’avait fait dans une tour du 13°. Elle revisite donc ses souvenirs, très marqués évidemment par le poids de la Shoah, mais aussi, de ce que représente pour elle, le vieillissement. Son livre est comme un kaléidoscope, avec des petites pépites lumineuses mais qui ne se raccrochent pas à un ensemble.
Comme je suis, parfois, un peu comme la vieille femme écossaise qui l’avait interpellée lors d’un colloque en lui demandant de quel droit elle parlait de la vieillesse et de la guerre, elle qui ne l’était pas, vieille, et qui ne l’avait pas vécue, la guerre, en regardant la très joie femme de soixante ans qui a écrit ce livre, je me suis plusieurs fois demandé ce qu’elle connaissait de la vieillesse physique, qui arrive vers 80 ou 90 ans. Et toujours avec mon esprit mal placé, j’ai pensé que cela lui permettrait d’écrire un autre livre dont le sujet serait « la vieillesse physique commence plus tard que je ne l’imaginais ».

Stop, pour mon mauvais esprit ! Cette écrivaine ne saurait totalement me déplaire car nous avons un auteur fétiche commun : Jean Pierre Minaudier. Et puis, lorsque l’on passe plusieurs soirées avec ce livre, en étant parfois , amusée , triste ou le plus souvent étonnée, on ne peut pas être trop sévère. Pourtant, je sais que j’oublierai ce roman, cette longue déambulation dans sa mémoire et tous les gens qui la peuplent.
Sa grand-mère qui lui donne la recette d’un gâteau dans son accent qui la rend si attachante. Sa mère qu’elle a tant aimée et elle qui sait qu’elle porte en elle même la petite fille, l’adolescente, la femme et la mère .

Je ne pense pas qu’elle construira son phalanstère pour vieillir avec ses amis, mas elle a déjà réussi à les réunir dans son livre

 

Extraits

 

Le Début.

 Mes grands parents maternels, Boris et Tsila Jampolski, avaient 65 ans lorsqu’ils ont acheté sur plan, un appartement de deux pièces avec balcon au huitième étage d’une tour dans le XIII° arrondissement de Paris. J’ai écrit leur adresse -194 rue du Château des Rentiers 75013 Paris- sur des enveloppes et des cartes postales pendant près de trente ans.

J’aime cette façon de raconter.

 À 17 ans et un jour j’ai modelé un nouvel idéal en m’inspirant cette fois d’une amie que je trouvais plus jolie, plus intelligente et plus mûre que moi. Je m’achetais les mêmes vêtements qu’elle. Toutefois comme nos morphologies différaient ce qui la sublimait -faisant d’elle tantôt une princesse bulgare tantôt une ballerine de Degas- faisait de moi une brave une brave fille de ferme. Le constat de ce nouvel échec aurait pu mettre fin à ma manie de l’idéalisation. Mais non. J’aimais et j’aime toujours admirer. C’est mon moyen de transport fétiche. Je veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu importe que j’y parvienne ou non, car le plaisir est garanti par le trajet.

La recette de cuisine du gâteau de sa grand-mère.

« Combien tu mets de farine ? » lui ai-je demandé. « Un péï »,a-t-elle répondu. « Et combien de sucre ? » « Un péï. » « Comme la farine alors ? »  » Non, pas comme la farine,. Un péï. » J’ai laissé tomber. Elle a ajouté l’hile, à batti avec le battèr, elle a kisinéï, dans sa kisine, à sa façon qui ne serait jamais la mienne, et j’ai accepté de perdre pour toujours la saveur de mon gâteau préféré. J’ai accepté l’idée que quand elle mourrait, le gâteau mourrait avec elle.

Vieillir.

-C’est quoi, le pire, pour toi dans le fait de vieillir ?
– La douleur. Le mouvement entravé. La fin de la souplesse. La laideur. J’ai j’ai honte de tout, de mes cheveux, de mon visage, de mes mains, de mes pieds (je ne parle pas du reste). C’est comme si je polluais l’espace visuel collectif. Cela me rend malade de timidité. Je ne sais pas comment m’habiller, comment m’asseoir, comment me relever. J’ai l’impression de m’être endormie dans un corps et de m’être réveillée dans un autre.

Je comprends sa mère.

Ce qui ressemble à un paradoxe n’en est pas un : indisponible elle l’était, pour boire un café, se promener bavarder au téléphone. Mais fiable et présente, elle l’était aussi, pour s’occuper des enfants, me conduire en voiture, m’aider à préparer un repas. Autrement dit, si c’était pour le plaisir -le sien en particulier-, c’était souvent non. Si c’était pour se rendre utile c’était toujours oui.

Le brouillon et la vie.

À l’école, on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à s’entraîner avant de « faire pour de bon » structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu’une fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncider avec la version définitive.

C’est aussi une de mes idoles.

Cela m’évoque la félicité grammaticale que j’ai éprouvée en lisant ce que Jean-Pierre Minaudier, historien reconverti en linguiste et traducteur du basque et de l’estonien, écrit concernant un suffixe présent dans la langue guarani. Cette particule que l’on ajoute à la fin de l’année permet d’en modifier la modalité, et d’indiquer ainsi différents états d’un même objet ou d’un même être. » En guarani, note-t-il, il y a non seulement un passé, mais un futur et un « frustratif » nominaux. « Chemanékue » veut dire « celui qui était mon époux, « chéménarã » « mon futur époux, et « chéménarãngue » « celui qui devait être mon époux mais ne l’est pas devenu. Je me rappelle avoir été ébahie en entendant cette déclinaison. Le génie de Minaudier n’y était pas pour rien. Avoir l’idée, pour nommer un mode grammatical, de forger le néologisme « frustratif » à fait de lui une de mes idoles.

 

Édition Albin Michel . Traduit de l’anglais par Astrid von Busekist.

Ma cinquième participation « les feuilles allemandes 2023 », organisé par Eva 

Niklas Frank 

Je suis contre la peine de mort sauf pour mon père .

L’an dernier j’avais mis « la Filière » dans le mois de littérature allemande organisé par « Et si on bouquinait un peu », cette fois je mets celui-ci qui m’a absolument passionnée. Vous me disiez dans vos commentaire, à propos de « La filière » que, pour beaucoup d’entre vous, ce livre-ci était une lecture qui vous avait marqués. Je suis entièrement d’accord avec vous, je n’oublierai jamais la qualité du travail de Philippe Sand.

Cet auteur mêle ses recherches personnelles autour du destin de sa propre famille qui est originaire à Lviv (autrement nommé Lwow et Lemberg du temps de l’occupation nazie) et une enquête minutieuse sur deux hommes liés à cette même ville, dans laquelle ils ont tous les deux commencé à étudier le droit : Hersh Lauterpacht et Raphael Limkin.

Philippe Sand enquête également sur le passé du dirigeant Nazi, Hans Frank, et rassemble toutes les preuves dans son rôle sur la volonté d’exterminer tous les Juifs qui étaient sous sa juridiction en Pologne dont les parents et toute la famille des grands parents de l’auteur. La symbiose de son histoire familiale et de l’histoire du Nazisme est d’autant plus intéressante que s’y mêlent aussi les histoires familiales de Lauterpacht et Limkin, deux des éminents juristes qui ont contribué aux procès de Nuremberg.

Toute cette partie du livre est sous entendu par ce débat juridique : quelle notion est la plus pertinente pour protéger un homme contre la barbarie d’un état ?

  • La notion de crime contre l’humanité défendu par Lauterpacht.
  • Où la notion de génocide défendu par Limkin.

Les deux personnalités de ces grands juristes étaient très opposées, Lauterpacht était un important juriste et chercheur en droit de l’Angleterre et un fou de travail, mais il était devenu aussi complètement britannique et ne montrait jamais ses émotions. Il ne voulait surtout pas que l’on puisse l’accuser d’avoir œuvré en tant que juif. Alors que pendant le procès de Nuremberg il apprendra la fin tragique de ses propres parents restés à Lviv. S’il rejetait la notion de génocide, c’est qu’il craignait que cette notion se retourne contre ceux qu’on voulait défendre en les faisant appartenir à un groupe. Pour lui le carcatère humain était plus important que l’appartenance à une communauté juive.

Limkin avait fui aux États-Unis, et sa personnalité est très différente, il a un caractère bouillant et agace souvent les juges par son côté obsessionnel . Il tenait absolument à la notion de génocide car cela permettait de comprendre que les crimes des Nazis n’étaient pas liés à la guerre et avaient commencé bien avant. Lui aussi découvrira ce qui était advenu à sa propre famille pendant le procès de Nuremberg.

Tout est passionnant dans ce livre autant la façon dont Léon, son grand père et Rita sa femme ont survécu et comment sa mère a été arrachée de justesse aux griffes des nazis par une femme remarquable une missionnaire anglaise :Miss Tilney à qui Israël a donne le tire de « Juste ». Comme souvent le petit-fils veut tout savoir et s’est heurté au silence de ses grands parents. La vérité du destin de ces familles étaient trop dure à raconter, de plus plane un certain mystère que la façon dont ils ont fui Vienne séparément, Léon d’abord puis la petite Ruth – la mère de l’auteur- et enfin Rita qui semblait avoir du mal à quitter Vienne pas seulement pour des raisons administratives. L’auteur n’élucidera pas complètement ce mystère.

Le moment le plus difficile à supporter, pour moi, fut ce témoignage à Nuremberg de ce juif qui raconte ce qui s’est passé dans les fosses communes autour de Lviv le récit de ces gens qui étaient tués par balle , vieillards, hommes, femmes, enfant, bébés, et absolument insoutenable. Ce qui rend la lecture possible, c’est la taille des chapitres qui sont assez courts et on peut donc reprendre son souffle.

Quel travail ! Oui c’est un très grand livre qui fourmillent d’informations. J’en donne une au passage : le pape XII est intervenu personnellement pour éviter la peine de mort à Hans Frank responsable de Treblinka et du Ghetto de Varsovie et de sa liquidation, de la mort de tant de Juifs et de Polonais pour lesquels le pape n’a jamais rien dit mais pour cet horrible criminel de guerre il s’est fendu d’une lettre ! ! ! !

Citations

Lauterpacht un progressiste mais pas pour les femmes de sa famille .

 Son fils est heureux du séjour de sa mère mais il fulmina contre la manière dont elle affirmait sa personnalité : il s’opposa avec véhémence à ses « ongles peints », la forçant même à enlever son vernis.
Il était tout aussi hostiles à l’influence qu’elle tentait d’exercer sur sa femme, Rachel, qui avait adopté une coupe de cheveux alors en vogue, à la Louise Books, avec bob et frange. « Enragé » lorsqu’il avait découvert ce nouveau style, Lauterpacht avait insisté pour qu’elle revienne au chignon, déclenchant une forte dispute suivie par la menace de Rachel de le quitter.  : »Je peux et je dois pouvoir préserver ma vie privée sans que tu me rudoies. » À la fin, Rachel avait pourtant cédé : son chignon était bien en place lorsque je l’ai rencontré plus de cinquante ans plus tard .
Des droits individuels, oui mais pas pour la femme ou la mère .

Des horreurs oubliées ?

 En l’espace d’une semaine Źolkiew et Lvov furent et Lvov furent occupés par les Allemands, et les universitaires arrêtés. Parmi les prisonniers se trouvait l’ancien professeur de droit privé autrichien de Lauterpacht, Roman Longchamp de Bérier. Arrêté parce qu’il avait commis le crime d’être un intellectuels polonais, il fut exécuté un jour plus tard avec ses trois fils, durant le « Massacre des professeurs de Lwów ».

Sauvée grâce à un couvent polonais.

 Inka changea de ton : elle s’exprima avec douceur en chuchotant comme si elle approchait d’un dénouement embarrassant.
 » Les bonnes sœurs m’ont dit qu’il y avait une condition à mon séjour parmi elles. Ma famille ne l’a jamais su. » Pendant un moment Inka fut gênée, sur le point de rompre un silence qui avait duré toute une vie.
« Elles ont dit que je devais être baptisée. Je n’avais pas le choix. Peut-être était-ce une chance que je ne sois pas alors plus observante que je ne le suis aujourd’hui .J’avais eu de la chance de grandir dans une famille qui n’était pas très religieuse. »
Soixante-dix ans plus tard, elle était toujours aux prises avec un certain malaise. Inka se débattait encore avec le sentiment d’avoir en quelque manière, abandonné son groupe pour sauver sa propre vie.

Les personnes âgées déportées.

Make était alors âgée de soixante-douze ans, et on ne l’autorisait à voyager vers l’Est qu’avec une seule valise. Escortés à l’ Aspangbahnhof, derrière le château du Belvédère, elle-même et les autres déportés subirent les crachats, les sarcasmes, et les injures des spectateurs qui applaudissaient leur départ. Elle avait pour réconfort de ne pas être complètement seule, puisqu’elle était accompagnée de la mère de Rita, Rose. C’est une image terrifiante que celle des deux vieilles dames sur le quai de l’Aspangbahnhof, chacune s’accrochant à sa petite valise, deux êtres parmi les 994 Juifs viennois en partance pour l’Est.
(…)
Parmi les 1985 personnes à bord de ce train, se trouvaient trois des sœurs de Sigmund Freud : Pauline (Pauli) âgée de soixante-dix-huit ans, Maria (Mitzi) , quatre-vingt-un ans, et Rigina (Rosa), quatre-vingt-deux ans.

J’admire tant ce genre de compétences . (Et il a appris en quelque mois un anglais parfait !)

Hersch (Lauterpacht) parlait le français, l’italien, le polonais, et l’ukrainien, avec des notions d’hébreu, de yiddish, et d’allemand.

L’imbrication de l’histoire familiale dans la grande Histoire.

 Lauterpacht qui ignorait tout de ce qui arrivait alors à cette nièce qu’il ne connaissait pas, décida de renoncer à l’alcool et d’entamer un régime. C’était plus par précaution que le résultat d’un conseil médical. C’est en tout cas ce qu’il se disait pendant qu’il continuait à faire son devoir au sein de la Garde Nationale et qu’il réfléchissait au contenu de sa Charte des droits. Il ne savait pas que son père avait été raflé le 16 août. Ce jour là. Il envoya un mémorandum au comité sur les crimes de guerre à Londres, expliquant combien était pauvre la pratique internationale sur la question de la poursuite des crimes de guerre.

La femme qui a sauvé sa mère .

Miss Tilney était une femme bienveillante pas une idéologue faisant le travail classique des missionnaires. Elle ne cachait pas seulement des gens, elle risquait sa vie pour le faire. « Peut-être que les gens ne sont capables de grand héroïsme que s’il croit passionnément à une cause » comme le dit une amie lorsque je lui racontai l’histoire de Miss Tilney. « Un principe abstrait n’est pas suffisant pour faire de vous une héroïne ; il faut de profondes motivations et des émotions aussi. « 

Massacre des Arméniens .

 Qu’en est-il alors, avait objecté l’un de ses enseignants, de la souveraineté du droit des États de traiter leurs citoyens comme ils le souhaitent ? À proprement parler le professeur avait raison : le droit international ne limitait pas le pouvoir des États. De manière tout à fait surprenante, aucun traité ne pouvait empêcher la Turquie de faire ce qu’elle avait fait : tuer ses propres citoyens. La souveraineté n’était pas un vain mot elle était totale et absolue.

Génocide ou crime contre l’humanité ?

Malgré leur origine commune et leur souci partagé de pragmatisme, Lauterpacht et Lemkin étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin. 

Édition Points . Traduit de l’allemand par Nicole Bary

 

Ma quatrième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva 

 

En lisant les avis sur Babelio, j’ai vu que Aifelle avait beaucoup apprécié ce roman, et je suis d’accord avec ce qu’elle en dit.

La filiation et le poids des crimes d’un père sont les thèmes de ce roman. Konstantin et Gunthard Boggosch, sont tous les deux les fils de Gerhard Müller et de Érika Boggosch. Si les deux enfants portent le nom de leur mère c’est que celle-ci découvre horrifiée, que pendant la guerre 39/45, non seulement son mari était un Nazi convaincu mais, de plus, a commis des crimes si monstrueux qu’il a été jugé et pendu en Pologne à la fin de guerre. Le destin des deux frères va totalement diverger, et cela permet à l’auteur d’analyser les différentes façons de se construire avec le poids du passé quand on est allemand. L’ainé, veut absolument croire au passé glorieux d’un père militaire et il refuse de le voir en criminel, quelques soient les preuves à charge. C’est d’autant plus facile pour lui, que ses preuves sont fournies par les Russes qui sont détestés par tous les Allemands. Il y a aussi un oncle à l’ouest qui a entrepris de réhabiliter son frère. Cet aspect est très intéressant car on comprend, alors, combien les Allemands de l’ouest ont été plus enclins à oublier le nazisme que ceux de l’est.
le personnage principal du livre, Konstantin, sera comme sa mère hanté, par le passé de son père. Et surtout ce passé se dressera sur sa route dès qu’il voudra réaliser quelque chose de sa vie. Parce que son père était un criminel de guerre, il ne pourra pas aller au Lycée. Commence alors pour lui, un parcours incroyable, fait de coïncidences trop exceptionnelles, pour moi. Il va fuir en France, car son premier projet est de s’engager dans la légion étrangère. Il rencontre à Marseille un groupe d’anciens résistants pour lesquels il va travailler comme traducteur car grâce à sa mère il parle français, russe, italien, anglais. Un jour, il reconnaîtra son propre père dans une photo prise dans le camp de travail forcé où son employeur et ami a failli mourir.
Trop honteux de cette filiation, il repart en Allemagne et, le jour où, le mur empêchera à jamais les gens de se réfugier à l’ouest, lui, il va à l’est pour retrouver sa mère.
Il sera refusé à l’école de cinéma, toujours à cause de son père. C’est certainement l’aspect le plus intéressant du livre : cette ombre qui empêche à jamais cet homme de faire des choix librement. La description du régime de l’est et des éternelles suspicions entre collègues dans le milieu enseignant est aussi tragique que, hélas, véridique.
En lisant ce livre, j’ai pensé à « Enfant de salaud » de Sorj Chalandon , il est évident que les Français ont laissé plus de liberté aux enfants d’anciens collaborateurs. En Allemagne de l’Est qui est passé du Nazisme au communisme, les traditions d’espionnage individuel et de dénonciations n’ont pas permis aux enfants de Nazi de pouvoir oublier le passé de leur père. Mais on peut aussi se scandaliser de la façon dont à l’ouest on a si vite tourné la page qu’il suffisait de devenir anticommuniste pour faire oublier son passé nazi et antisémite.

J’ai lu avec grand intérêt ce roman, mais j’ai eu du mal à croire aux aventures de Konstantin. Il y a trop de hasards dans ce récit, en revanche la partie où il raconte ses difficultés pour mener une vie « normale » d’enseignant en RDA m’a semblé très proche de la réalité.
Il y a un aspect que je comprends pas, il revient en RDA pour revoir sa mère mais il ne la verra que peu souvent. Il s’offusque que son frère la fasse vivre dans la cave de sa maison, enfin dans un sous-sol, mais il ne la prend pas chez lui.

Ce ne sont là que des détails par rapport à tout ce que j’ai appris sur l’ex-RDA.

 

Extraits.

Première phrase d’un roman allemand . Un petit coup de nature…

 Les jeunes bouleaux semblait chuchoter leurs feuilles étaient violemment agitées, bien que l’on ne sentît pas le moindre vent. Sous le pesant soleil estival de cette fin d’après-midi le blanc cassé des troncs frêles à l’apparence fragile brillait de mille feux.

Les souvenirs .

Avec nos souvenir nous essayons de corriger les échecs de notre vie c’est pour cette seule raison que nous nous souvenons. C’est grâce aux souvenirs que nous nous apaisons vers la fin de notre vie. Ce sont les souvenirs terribles qui finalement nous permettent de faire la paix avec nous-même. Regardez les volumes de mémoires qui paraissent chaque année. Ce sont tous des personnages merveilleux. Des caractères magnifiques, sincères courageux. Intrépides, désintéressés, la justice en personne. Des types dont on aurait aimé être les contemporains. Le problème est qu’ils étaient mes contemporains, et ils n’étaient pas sympathiques. Et ne croyez pas que je veux vous persuader maintenant que mes souvenirs n’en sont plus exacts, plus vrais, plus dignes de confiance. Non, chère mademoiselle, moi aussi je vous raconterai ce qui correspond à l’image que je me fait de moi-même, que je veux faire miroiter aux yeux des autres. Je tairais bien évidemment ce qui me gêne dans ma propre personne. Et pour cela je ne devrais pas faire des efforts particuliers. Ce qui est dérangeant, ce qui ne me plaît pas, je ne devrais même pas le passer sous silence, ce n’est pas la peine. Je l’ai oublié depuis longtemps et même radicalement.

Le poids d’un père .

 Je ne pouvais pas m’installer en France, pas non plus en Angleterre, ou en Italie, ou en Pologne, ou en Union Soviétique, je tomberais partout sur des hommes de la « Résistance », sur des partisans, sur ceux qui avaient combattu Hitler. Je ferais leur connaissance, ils deviendraient mes amis, et un jour ils devraient apprendre que vi gt ans auparavant ils avaient été confrontés à mon père, le « Vulcan » craint de tous. Dans chaque pays je le trouverai sur ma route partout je serais le fils du  » SS Vulcan ».