Éditions de Minuit, 744 pages, septembre 2025

Ce roman (cadeau de ma sœur, un grand merci) a reçu de multiples récompenses, dont le prix Goncourt 2025. Vous en avez donc, tous et toutes entendu parler, Keisha a déjà écrit un billet et bien d’autres sont à venir, j’en suis certaine, voici celui d’Athalie puis celui de Sandrine. J’avais déjà croisé cet auteur avec un livre que j’avais trouvé remarquablement bien écrit mais dont la fin m’avait découragée tant elle était violente : Histoire de la nuit.

Surtout, que l’idée de lire un énième roman familial ne vous fasse pas peur, si certes, sa famille est bien le point d’origine de son écriture, Laurent Mauvignier va tellement au delà du genre. La maison vide, héritage familial mais dans laquelle la fratrie actuelle n’a aucun souvenir, sert de fil narratif au roman . Deux drames connus ont bouleversé cette famille : La grand-mère Marguerite effacée de toutes les mémoires et qui a été tondue à la libération, et le suicide du père du narrateur. La seule femmes dont on célèbre la mémoire est Marie-Ernestine à qui le superbe piano de la maison vide était destiné. Du côté des hommes, il y a d’abord Firmin l’arrière-arrière grand père qui a conforté la richesse de la famille Proust, autour du hameau ajoutant au domaine familial, fermes, maisons à louer, bois et une scierie, puis Jules « héros » de la guerre 14/18 , héros entre guillemets car il semblerait que son exploit soit surtout une légende, en tout cas, c’est lui qui aurait dû remplacer Florentin Cabanel, le professeur de piano, dans le cœur de Marie-Ernestine, il n’est que le père de Marguerite, et enfin, Arsène, le mari de Marguerite qui lui fera deux enfants avant d’être prisonnier en Allemagne, une fille et le père de l’auteur.

Tout le drame se joue là : Marie-Ernestine aurait voulu connaître une vie différente où la musique aurait joué un rôle important, mais elle a dû se contenter de Jules qui meurt très vite, lui laissant une petite Marguerite, elle n’arrive pas à aimer la fille de Jules ni même à s’intéresser à cette enfant. Elle s’enferme pour passer des heures sur son piano en interdisant à sa fille de venir l’écouter. Cela va être pour l’auteur l’occasion d’écrire une scène d’une rare violence où tout se mêle : l’humiliation, la force d’un soldat nazi, et la déchéance de la fille qui annonce, ainsi, son sort à la libération.

Mais que serait cette histoire sans le projet de l’auteur ? Créer pour lui, sans doute, mais surtout pour nous, des personnages qui finissent par exister à force de nuances dans l’analyse psychologique de chacun d’entre eux. Il est vrai que l’on ne saura pas si la scène est réelle, la scène pendant laquelle le marbre de la fameuse commode dans laquelle il se désespère au début de ne pas trouver la croix de la légion d’honneur de son arrière- grand-père, aurait été brisée, mais peu importe, cette scène et les personnages sont présents dans notre imaginaire, comme les passages plus célèbres de la littérature : la colère de Grandet contre Eugénie qui a donné ses louis d’or à son cousin, le suicide de Madame Bovary, et tant de scènes que l’on pourrait piocher dans « la recherche du temps perdu » .

Pour le style, vous l’avez certainement entendu plus d’une fois, ces longues phrases font penser à celles de Proust. Je pense que dès qu’un auteur n’écrit pas dans un style lapidaire du 20° et 21° siècle on pense à Proust, pour moi il a surtout un style très personnel qui lui appartient. Et cela, il le met au service de son expression littéraire.

Je viens d’une famille où les femmes ont toujours pris leur destin en main et cela depuis au moins quatre générations, je trouve que j’ai beaucoup de chance. Je pensais cela en lisant ce roman qui a été un réel choc et une fois refermé, je n’ai eu qu’une envie le relire pour retourner dans les méandres de ces vies gâchées par le poids des convenances sociales et le poids des deux guerres tellement bien racontées. Quand la grande Histoire traverse des familles dont l’équilibre était plutôt dans l’apparence que dans de réelles valeurs, tout peut voler en éclats. J’espère que vous n’aurez peur ni de la catégorie « roman familial », ni des longues phrases, ni des 744 pages, et que comme moi vous lirez avec passion ce roman totalement atypique : de la très grande littérature.

Extraits

Début

Fouillé – j’ai fouillé partout où j’étais pour ainsi dire, sûr de la retrouver les yeux fermés ; j’ai fouillé partout où j’étais certain qu’elle se cachait, puis dans les endroits où j’étais convaincu que je ne la trouverai pas mais où je me suis raconté qu’elle aurait pu échouer par je ne sais quel coup de hasard, me doutant bien qu’il était impossible qu’elle y soit, sans que personne l’y ait mise – et depuis quand aurait-elle atterri là ?.

La femme effacée.

 D’elle, il n’y avait rien parmi les écrins, les dentelles, les bijoux. Rien -absolument. Et c’est de ce rien que paradoxalement sa présence a fini par s’imposer avec une force presque plus aveuglante que celle, pourtant puissante, mais auréolée de la douceur des vieilleries de brocantes, surlignée par ses objets de mon arrière-grand-mère, Marie Ernestine. Ses babioles à elle, Marie Ernestine, dominent tout dans le tiroir de la commode et laissent comme dans une alcôve qui lui était réservée depuis toujours, un peu de place à ce petit-fils que sans nul doute elle la beaucoup aimé et beaucoup plaint, mon père.

La femme de Firmin.

 Sa femme, l’ombre, préposée aux confitures ou aux chaussettes à repriser, baissait les yeux, et acquiesçait à la parole d’évangile de son époux, mais elle savait tirer profit de l’obscurité dans laquelle chacun avait l’habitude de la tenir. Enfermés pour mieux construire, silencieuse et industrieuse, en véritable fourmi obstinée, son espace de liberté – un réduit, comme on dit des pièces minuscules même sans fenêtres ni perspectives-, mais un espace réel, concentré sur sa nécessité, espace dans lequel elle savait rire sous cape des prétentions de son mari, sachant l’infléchir sur certaines de ces décisions avec une telle abnégation que c’est à elle que revenait le mot final dont, son mari, en bon ventriloque se croyait l’auteur.

Marie Ernestine trahie par sa tante.

 Elle essaie de saisir ce qui vient de se dire avec la grand’tante, essaie de concentrer en deux ou trois moments significatifs l’intégralité de ce qu’elle vient de vivre, mais toujours, elle finit par conclure que la vieille dame n’est une hypocrite qui n’a jamais cru en elle, comme elle ne le prétendait que par vanité et pour s’attirer les bonnes grâces de monsieur Cabanel, lui dont maintenant elle n’avait même pas semblé se souvenir. Quand Marie-Ernestine lui avait rappelé qu’elle et lui avait soutenu ensemble son talent, ses dons, Caroline n’avait répondu qu’avec un geste d’agacement et d’incrédulité, comme si elle n’avait pas aimé qu’on lui rappelle un désagrément -un simple, inconfort plutôt- et avait évacué la question d’un simple. 
Un autre biscuit ?
 sans y prêter plus d’attention, comme si le professeur de piano n’avait été qu’une illusion dont la vieille dame était revenue et dont elle avait fait le deuil.

La trahison du professeur de piano.

 Il l’accompagne jusqu’au coupé et dit que peut-être tout est mieux comme ça, parce que, vous savez, c’est tellement dur la musique, le piano, tellement dur, tout ça, ça rend tellement seul de se pencher tous les jours sur ses touches, vous avez la vie devant vous et la vie c’est le plus important, l’art, vous savez, tout le monde en rêve mais personne ne veut payer le prix pour cet enfer ; votre père vous a peut-être sauvée d’un choix, dont vous ne mesurez peut-être jamais combien il vous aurait coûté peut être que vous devriez le remercier – et Marie Ernestine dit
OUI, sans doute oui 
et soudai. elle le regarde et
 Je suis heureuse de voir que votre épouse va mieux, c’est bien.
(Et la fin du chapitre)
 Alors qu’on entend le coupé qui démarre, le cheval qui s’éloigne, elle ne voit pas, elle ne le sait pas et ne le saura jamais, mais Florentin Cabanel se retrouve seul avec lui-même et c’est lui, sans doute, qui mesure davantage le choix qu’il vient de faire et qui comprend aussi combien ce choix, probablement, il le regrettera toute sa vie.

Le poids des secrets .

 Il faut peut-être préciser : cette histoire là, c’est l’ombre pâle de l’atavisme qu’on m’a dressé comme portrait de famille depuis l’enfance, et surtout depuis le suicide de mon père. Ce qui m’occupe l’esprit, ici, c’est comment ces histoires qui ont été obstinément tues ont pu traverser l’opacité du silence qu’on a voulu dresser entre elles et moi, pour arriver à se déposer dans ces lignes qui me donnent l’impression de les avoir menées à bon port et de pouvoir m’en libérer.
.
 Car des secrets se répandent en nous comme s’ils avaient été énoncés depuis toujours par ceux-là mêmes qui précisément font d’eux des secrets. Ce n’est pas que ces derniers se trahissent et disent sans s’en rendre compte ce qu’ils veulent taire, non, c’est qu’ils ne sont pas seuls : ils ont des amis, des voisins, de la famille, des gens comme des ombres qu’ils ont chargés du devoir de dire, l’air de rien, ce qu’eux font profession de taire. Et c’est ainsi qu’un siècle plus tard, les rumeurs virevoltent encore dans les plis des rideaux, derrière les fenêtres des voisins, qui accumulent vos secrets de famille et savent les colporter aux générations à qui l’on voulait les taire, comme le pollen se transporte dans l’air, essaimant au plus loin de son lieu d’origine.

Destin d’une femme sans homme.

 Ce que veut dire, une vie sans homme, c’est dans le regard fiévreux des hommes qu’une femme seule l’apprend. Une femme seule ne sera jamais qu’une proie sur laquelle chaque homme aura le droit de se jeter quand bon lui semble ; les filles seules ne deviennent jamais des femmes, non, ce sont des « filles », elles finissent tôt ou tard dans le lit d’hommes, qui n’auront pas un regard pour elle une fois qu’ils auront obtenu, le pire de ce qu’une femme peut se résoudre à donner, car ces hommes sont des vauriens qui quittent leur foyer le temps d’une heure ou deux à la tombée de la nuit, pour s’encanailler chez ces filles perdues, qui sont la honte parmi la honte des femmes ; ces hommes mariés et pères de famille s’en retournent, leur bestialité assouvie, chez eux, l’air sournois, puant l’eau de Cologne et les droits froissés, le liqueur de porto, de genièvre, et ils ne se retournent pas pour consoler la fille seule qu’ils laissent derrière eux, trop contents d’avoir posé sur un bout de table, trois misérables sous pour mieux revenir un de ces soirs, entre chien et loup, quand ils savent que les vieilles ne seront plus derrière leurs rideaux pour observer leur petit manège.

Passage que j’ai apprécié nous sommes le 17 avril 1913.

 C’est le portrait de son père,
disent-elles toutes les deux, le répétant deux ou trois fois, comme si c’était la plus belle nouvelle du monde. Marie Ernestine scrute la peau rougeâtre et les yeux gonflés de l’enfant ; elle pense à la souffrance de l’accouchement, à Jules et à sa joie, elle pense qu’en effet, le bébé lui ressemble à lui ; elle regarde l’enfant avec une dureté qui la surprend elle-même – maintenant la guerre peut commencer.

Différence entre les hommes et les femmes.

 Bien sûr, on avait aussi beaucoup blâmé, monsieur Claude, mais davantage pour sa faiblesse, d’avoir cédé à la perversion de Paulette que pour sa responsabilité dans l’affaire, parce que comme tous les hommes, il avait été facile de le détourner du droit chemin, il était une victime des deux « petites salopes », car bien que mieux née que Paulette, Marguerite était une pimbêche depuis tellement longtemps qu’on avait pu enfin trouver une prise pour démontrer combien elle était mauvaise – ça se voyait, je ne disais rien mais, à son âge, cette suffisance qu’elle a toujours eue, ma fille me le disait, à l’école, elle n’avait pas d’amies, et prenait tout le monde de haut – quelle honte pour une famille si bien.
 Bien sûr, personne n’avait pensé à se souvenir que Marguerite était à peine sortie de l’enfance quand ça avait commencé ; personne ne s’était soucié de son âge, de ce que monsieur Claude avait été son patron et qu’il avait été celui de Paulette, qu’il avait eu du pouvoir sur elle deux, non, personne n’a songé à y redire. C’était elle, venue de sa famille de vauriens, puis c’était Marguerite, la pimbêche en train de mal tourner – monsieur Claude est un homme et les hommes sont des enfants n’importe quelle catin les retourne et cette pauvre madame Claude qui travaille tout le jour dans sa boutique n’a rien vu, pensez-vous, on fait confiance.et voilà qu’on héberge le loup et quand il est trop tard, le troupeau a été décimé, et le loup s’est enfui depuis longtemps.

Page 618, je lis cela et je me dis, Bravo monsieur l’écrivain.

C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale, que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure, à partir de faits vérifiés, de gens ayant existé, mais dans les histoires sont tellement lacunaires et impossibles à reconstituer qu’il faut leur créer un monde, dans lequel, même fictif, ils auront chacun eu une existence. C’est cette réalité qui se dessine qui deviendra la seule, même si elle est fausse, car la réalité vécue s’est dissoute et n’a aucune raison de nous revenir ; le récit que j’en fais est comme une ombre déformée trahissant la présence d’une histoire dont je capte seulement l’écho, la vibration dans l’image tremblante d’une fiction et d’un roman possible.


Édition folio (473 pages -écriture petits caractères) (mai 2006 première édition en 1972)

Traduit de l’anglais par Sylvie Servan-Shreiber

Une amie est venue passer un petit Week End avec moi, et m’a offert ce roman, quel plaisir de lecture, et cela ne m’étonne pas que ce soit elle qui m’ait offert ce livre, elle adore tout ce qui vient de Grande Bretagne et adore les civilisations étrangères. Un grand merci pour ce plaisir partagé.

Je suppose que vous êtes nombreuses à avoir déjà lu ce roman, je rappelle la trame narrative : Mary Mackenzie se marie avec Richard attaché militaire en Chine, nous sommes en 1903. Son voyage est très long (et un peu long à lire aussi), mais dès qu’elle arrive en Chine, la façon dont elle décrit ce pays rend son récit passionnant, tellement plus que son mariage. Elle aura une petite fille mais son mari est si peu présent, qu’elle vit un grand amour avec un chef militaire japonais dont elle attend un enfant. Son mari la chasse et lui enlève sa fille.

La deuxième partie du récit se passe au Japon car son amant avait suivi le parcours de sa maîtresse et elle peut vivre dans une petite maison , elle aura un fils Tomo qui comble de l’horreur, lui sera retiré par son mari. La voilà seule au Japon où elle arrivera à mener une vie indépendante le cœur déchiré par l’absence de son enfant.

Ce que je viens de dire n’est qu’une toute petite partie de l’intérêt du roman. L’auteur a lui même une double origine : japonais et anglaise, il raconte très bien à la fois la culture écossaise, britannique et les civilisations d’Asie, chinoise et japonaise. Le roman mélange les lettres que Mary a envoyées à sa mère et son journal intime, elle décrit la misère en Chine et le monde des délégations étrangères. On est si loin du regard habituel des colonisateur dominants, ou de touristes attirés par l’exotisme, Mary sait voir la misère et la décrire, et s’étonner des pouvoirs exorbitants de l’Angleterre ou de la France. Comme celui de pouvoir s’attribuer une partie du territoire chinois. Elle raconte aussi ses rencontres avec du personnel des différentes ambassades. Mais la partie la plus intéressante se passe au Japon. Ce pays y est décrit de 1905 à 1942. Elle va réussir à survivre en se débrouillant pour travailler dans ce pays . Elle commence par travailler dans un grand magasin en vendant des robes à la mode anglaise pour des femmes qui ont envie de s’occidentaliser. Mais très vite, un peu trop pour elle, les Japonais, arrivent à fabriquer eux mêmes sans avoir besoin des services d’une femme occidentale qui de plus a été répudiée par son mari britannique et qui a été la maîtresse d’un Japonais . Tout cela se sait, et on s’en sert contre elle à chaque fois qu’on a envie de se débarrasser d’elle. Elle va finir par bien gagner sa vie et se trouver une maison ancienne au bord de la mer. Elle arrive à comprendre ce pays dont elle a réussi à apprendre la langue et sent combien ce pays est traversé par des tensions nationalistes très dangereuses surtout pour les pays voisins. Elle rencontrera des personnalités étonnantes comme cette noble qui refuse la place traditionnelle de la femme et qui voudrait que les Japonais sache que leur empereur est un homme et pas un Dieu. Elle a fait de la prison car elle a OSÉ regarder l’empereur au lieu de se prosterner à son passage. Ah l’art des courbettes … je vous ai recopié le passage o ù elle le raconte. Mais il y en a tant dans ce roman, de détails de la vie des puissants et des petites gens

Evidemment en 1942, elle est obligée de partir et le roman se termine, et sans rien vous dévoiler de l’intrigue sachez qu’il sera de nouveau question de ses deux enfants. Et que la turpitude de son mari est encore pire que ce qu’elle avait imaginé. Quel roman je suis certaine de relire certains passages juste pour le plaisir !

En 2011 Choup avait fait un billet avec plus de réserves que moi.

Extraits

Début.

 J’ai été malade hier pour mon anniversaire, alors que je n’avais pas eu le mal de mer pendant la traversée de la baie de Biscaye*, ni même à Malte pendant cette tempête. C’est un peu bête d’avoir été malade sur une mer aussi petite que la mer Rouge, mais quand je suis montée au coucher du soleil sur le pont – pour échapper au gémissement de Mme Carswell – le second est venu s’accouder près de moi et il m’a dit que je n’avais pas supporté les lames de fond de Somalie.
(La baie de Biscaye que les français appellent le golf de Gasconne)

Mariage à partir d’une photo.

 Je me suis demandé pourquoi j’allais en Chine épouser Richard, et je n’ai trouvé aucune réponse, rien qu’une impression désespérante de vide absolu. Je ne voyais même pas son visage, comme si ma mémoire se refusait, à présenter son image. Ce qui est affreux, c’est que même maintenant quand j’essaie d’imaginer ses traits, je n’y arrive pas. Nous n’avons pas échangé de photographies. Je ne possède qu’un petit instantané de lui dans les Highlands, debout à côté du cheval qu’il venait de monter. Mais c’est surtout le cheval que l’on voit bien.

Concessions en Chine.

 Mon hôtel est dans la concession française. Je n’avais jamais entendu parler des concessions et c’est le vice-consul venu à ma rencontre, qui m’a expliqué de quoi il s’agissait. Apparemment, les grandes puissances ont pris des morceaux de Chine et y ont établi leurs propres lois, les autochtones ne pouvant y pénétrer que comme des étrangers, ce qui semble assez bizarre.

Les règles.

 Je me suis réveillé ce matin avec un mal de tête et dans cet état, que les femmes doivent supporter.

 Habitudes vestimentaires.

 Il y a aussi un grand étalage de bijoux qui frisent presque la vulgarité, quoique je me sois rendu compte, en rendant visite à la famille de Richard, à Norfolk, que c’était une habitude convenable en société pour le dîner dans les campagnes anglaises. Ils s’habillent très ordinairement dans la journée, ils se transforme en paons le soir. Moi, je me sentais comme une faisane écossaise, mais je n’avais évidemment pas ma belle robe en soie bleue ce jour-là.

Vie sexuelle d’une dame anglaise.

 Je me demande si Richard n’a guère envie de me voir le matin parce qu’il ne tient pas à se souvenir de la nuit et de sa visite dans ma chambre. Je ne tiens pas non plus à me le rappeler.

Dans l’ambassade russe.

 Je suis allée à la légation russe mais pas pour rencontrer leur ambassadeur qui est en ce moment à Vladivostok. Notre hôte était le premier secrétaire, un comte qui porte assez de médailles pour avoir fait dix guerres, même s’il n’a pas l’air d’être le genre à avoir jamais pris part à un combat. Comme Marie m’en avait prévenue, la conversion était parfaitement inintéressante et les hommes ont bu trop de vodka, qui est leur whisky, mais semble insipide. J’étais en train de me demander quel intérêt, il pouvait bien y avoir à en boire, quand Richard m’a emmenée très subitement, parce que comme Marie me l’a expliqué par la suite, nos collègues russes étaient tout à coup un peu trop détendus

les mains de l’impératrice de Chine.

 Ce n’était pas une main ordinaire, mais un éblouissement de griffes en or. J’avais entendu parler de ses étuis à ongles mais les voir pour la première fois m’a quand même donner un choc. Ils avaient au moins trente centimètres de long sinon plus sur les doigts principaux, et même si l’or en était aussi fin que possible, ces étuis protégeant des ongles qui n’ont jamais été coupés devaient être affreusement lourds. L’impératrice ne peut rien faire toute seule à cause d’eux. Elle doit être nourrie, habillée, servie en tout et en permanence par les dames de la cour ; elle doit même se coucher sans ôter ses étuis à ongles. Je suis resté une minute ou deux à me poser des questions à leur propos, les yeux rivés sur ces mains qui reposaient à nouveau sur ses genoux, comme les nervures repliées d’un éventail. Chacune des bouchées qu’elle avale doit être mise dans sa bouche par quelqu’un, et l’impératrice qui règne sur le plus grand nombre de sujets sur terre après le roi Édouard est aussi dépendante qu’un infirme sans bras. Il ne faut donc sans doute pas s’étonner qu’elle se conduise de temps à haute comme une démente.

Le théâtre japonais.

 J’ai vraiment beaucoup aimé ce théâtre, où, tandis qu’un acteur était sur le point de s’éventrer sur scène, avec à l’arrière-plan un décor en papier de cerisiers en fleur, les gens de la loge voisine pouvaient être complètement absorbés par la nécessité de faire passer le hoquet du grand papa, visiblement du à une trop grande consommation d’alcool de riz.

Les courbettes.

 Je commence à en savoir long sur les courbettes japonaises. On pourrait écrire un livre sur l’art des courbettes, qui est soumis à des règles encore plus strictes que la composition florale. Il y a des courbettes pour ceux qui vous sont socialement égaux, selon les circonstances de la rencontre, il y en a pour les supérieurs, pour les domestiques, pour les commerçants, et même pour les conducteurs de tramway. Il y a des courbettes, des hommes aux femmes toujours légères, et celles des femmes aux hommes, toujours très profondes. Plus une collection impressionnante de courbette aux femmes entre elles, qui sont un langage en elle-même. Sans prononcer un seul mot, une dame peut vous placer exactement au rang qu’elle estime être le vôtre et vous ridiculiser parfaitement si vous n’avez pas compris le statut qui vous était assigné, ce qui est généralement le cas, pour les nouveaux venus dans ce pays qui est le plus poli au monde.

Les villes japonaises.

Il m’arrive de rêver à ce merveilleux pays fleuri qu’évoquaient pour moi ces livres sur le Japon que vous me donniez à lire à Pékin. Je ne dis pas ça par méchanceté, Marie, mais vos voyages dans ce pays ont dû avoir lieu au moment de la floraison des cerisiers, et vos excursions partir des meilleurs hôtels. Je me souviens de votre extase à propos de Nikko, où je ne suis pas encore allée, mais il n’est pas possible que les villes vous aient paru belles. De mon point de vue qui est probablement partial, surtout quand je pense à Osaka, les villes japonaises sont les plus laides que je connaisse. Tokyo à du charme, mais à part le palais impérial avec ses grandes douves, il n’y a pas grand-chose à voir. De tous les côtés, en partant d’un centre au magasin de briques rouges, s’étendent à perte de vue ce qui semble être des kilomètres (quand on est dans un tramway qui cahote) de petites maisons grises à deux étages au toit de tuiles grises, avec pour seules décorations d’énormes poteaux surchargés de fils électriques et téléphoniques. Les allées sont plus agréables, étroites et serpentantes, et j’aime assez la mienne, mais ce n’est franchement pas beau.

La modernisation du Japon.

 Même parmi mes élèves masculins à l’intelligence plutôt faible, apprendre ne concerne que les choses pratiques, et rien d’autre et par « pratiques » on entend fabriquer au Japon le moindre objet, depuis des taille-crayons jusqu’aux énormes paquebots, de façon à ne bientôt plus dépendre des pendre du monde extérieur, sauf pour les matières premières. Quand je suis rentré chez Mazukara, nous importions presque tout notre tissu d’Europe, et quand j’en suis partie, tout venait de fabriques locales, jusqu’à des imitations de tartan écossais ! C’est la vitesse à laquelle se fait ce changement qui est presque effrayante.

La façon dont une femme japonaise doit parler à un supérieur homme.

 

Bien peu de femmes occidentales s’embarrassent de telles subtilités, mais je les ai offertes en allégeance à un gras serviteur de la loi, lui expliquant que j’étais une pitoyable femme venue de Tokyo qui n’avait d’autre choix que de se jeter humblement à ses pieds, en espérant qu’il daignerait résoudre son problème.


Éditions Flammarion, 497 pages, Aout 2025.

Traduit de l’anglais par Dominique Goy-Blanquet

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un roman historique comme je les aime, qui emporte le lecteur dans un lointain passé, et qui le ramène à la force du courant qui traverse l’Histoire jusqu’à aujourd’hui. Nous suivons, comme l’indique l’image de la couverture, l’histoire d’une goute d’eau : celle qui aurait annoncée le déluge, en tombant sur la tête du roi sanguinaire et érudit, Assurbanipal et qui a détruit la civilisation des Assyriens, goutte d’eau qui se retrouve dans la Tamise qui sert d’égout à ciel ouvert au XIX siècle aux Londoniens, puis dans le Tibre au XX° siècle dont la Turquie veut détourner l’eau à son profit, et enfin aujourd’hui dans une Tamise à peu près propre et qui devenue un lieu d’un habitat luxueux pour la nouvelle bourgeoisie londonienne.

Mais le thème c’est aussi la légende de Gilgamesh, dont un jeune londonien Artur, originaire des bas-fonds de la ville a réussi à lire le récit sur des tablettes venant de Mésopotamie. Arthur (roi des égouts et des taudis) sera un des personnages de ce récit, jeune enfant très intelligent, il a le malheur de naître dans la misère la plus totale. L’auteure décrit avec un grand talent le Londres de cette époque et l’accident le plus improbable que représente le destin d’Arthur qui pourtant s’inspire d’un personnage réel, sortir de la misère à cette époque était plus que hautement improbable.

Enfin le destin des Yézidis est raconté d’abord en 1850 lorsqu’ils sont chassés de leur terre natale par un massacre organisé par des fanatiques, quelques survivants se retrouvent en Turquie, et puis comme on le sait en 2014 Daesh les poursuit sans pitié et leur sort n’est qu’une succession de crime de masse, de viols, de femmes réduites en esclavage .

Toutes ces destinées se retrouvent dans l’Angleterre aujourd’hui à travers une famille très riche, dont le père collectionne les antiquités, et dont la nièce est une ingénieure spécialiste de l’eau. L’auteure sème dans son roman des indices qui traversent les époques ; les tablettes de la bibliothèque d’Assurbanipal, permettent au jeune Arthur de découvrir la légende de Gilgamesh, elles sont de nouveau vendues par Daesh qui a pillé les musées en Irak. Le père d’Arthur qui est un alcoolique violent était aussi un menuisier de talent et la commode qu’il a construite pour un bourgeois du XIX ° siècle et qui ne lui a jamais été payée est maintenant une des plus belles pièces de la collection du riche Londonien. Et si, en fouillant la Tamise devenue propre, on trouve des ossement de tortue c’est parce que la reine Victoria a lancé la mode du consommé de tortue pour les riches nobles et riches anglais.

Un bon roman historique avec une fin qui est troublante mais vous en jugerez par vous même. J’ai une petite réserve, je pense que ce roman aurait gagné à être plus rapide, c’est un peu lent et trop touffu, l’auteure a sans doute trop voulu tout dire et tout nous expliquer.

 

 

 

 

Extraits.

Début.

 Chant du Tigre, dans l’ancien temps.
 Longtemps après, quand l’orage aura passé, chacun parlera des ravages qu’il a laissés derrière lui, alors que personne, pas même le roi, ne se souviendra que tout cela a commencé par une seule goutte de pluie.

Cruauté des puissants.

Mais Assurbanipal ne tuera pas son vieux maître. Il n’a jamais eu le goût de mener la charge sur un champ de bataille, préférant commander les massacres, démolitions, pillages et viols, assis en sécurité sur son trône -ou comme souvent, dans la quiétude de sa bibliothèque. Il a maintes fois supervisé le sac d’une cité et condamné sa population entière à la famine, ne leur laissant d’autre choix que de dévorer les cadavres de leurs proches ; écrasé les villes, réduit les temples en poussière, répandue du sel sur les champs fraîchement labourés ; écorché les chefs rebelles et pendu leurs partisans à des pays poteaux, nourri de leur chair, les oiseaux du ciel, les poissons des eaux profondes ; ensanglanté à coups de chaîne les mâchoires de ses rivaux qu’il a enfermés dans des chenils ; profané les tombes des ancêtres de ses ennemis si sauvagement que même leurs fantômes ne pouvaient reposer en paix -tous ces actes et bien d’autres, il les a dirigés depuis sa salle de lecture. Il ne va pas se salir les mains. C’est un roi érudit, un intellectuel qui a étudié les présages célestes et terrestres.

La Tamise en 1840.

 Tout l’indésirable, on le jette dans le fleuve. Orge usée des brasseries, pulpe des moulins à papier, viscères des abattoirs, rognures des tanneries, effluent des distilleries, chutes des teintureries, vidange des puisards et décharge des chasse d’eau (les inventions nouvelles dont jouissent les riches et les privilégiés) se diverse dans la Tamise, tuent les poissons, tuent les plantes aquatiques, tuent l’eau.

Les Yezidis.

La haine est un poison versé dans trois coupes. La première, c’est quand les gens méprisent ceux qu’ils envient -parce qu’ils veulent les avoir en leur possession. Tout cela, c’est de l’orgueil démesuré ! La deuxième, c’est quand ils haïssent ceux qu’ils ne comprennent pas. C’est de la peur. ! Et puis il y a la troisième, espèce.-quand les gens haïssent ceux qu’ils ont fait souffrir ?
 -Mais pourquoi ?
 – Parce que le tronc se souvient de ce que la hache oublie
 – Qu’est-ce que ça veut dire
 – Que ce n est pas le malfaisant qui porte les cicatrices, mais celui qu’il a blessé. Pour nous autres, la mémoire c’est tout ce que nous possédons. Si tu veux savoir qui tu es, tu dois apprendre les histoires de tes ancêtres. Depuis des temps immémoriaux, les Yézidis ont été incompris, diffamés, maltraités. Notre histoire n’est que souffrance et persécution. À soixante douze reprises, on nous a massacrés. Le Tigre a pris la teinte rouge de notre sang, le sol s’est desséché de notre chagrin -e t ils n’ont toujours pas fini de nous haïr..

Cette écrivaine sait décrire des ambiances.

 

Londres est drapée ce matin dans un suaire de brouillard. Il règne dans ses rues et ses parcs une quiétude insolite, un silence pesant qui se referme sur lui-même, comme une bourse fermée par des cordons bien serrés. Même si les cloches de l’église voisine viennent de sonner dix heures, on croirait plutôt que le crépuscule est déjà là. Ni gris ni blanc, l’air est d’un ocre sirupeux qui verdit par endroits. Des particules de suie et de cendre voltigent, tandis que les poêles domestiques au charbon et les cheminée d’usine vomissent des panaches de fumées chargées de soufre, encrassant les poumons des Londoniens à chaque inspiration.

Humiliation du père.

 Arthur sent que son père peut faire toute la lèche possible à ces deux messieurs si élégamment vêtus, en gilet brodé et cravate de soie, il n’a aucune chance. Ils l’observent avec un dédain manifeste, leurs yeux n’expriment que du mépris. D’en être témoin attriste le garçon. Personne n’aime voir ses parents dévoiler leurs faiblesses à d’autres. Leurs échecs, c’est notre affaire privée, un secret qu’on préférerait garder pour soi : quand ils s’affichent en public, livrés en pâture à tous, nous ne sommes plus les enfants que nous étions naguère.

La pauvreté.

 Si la pauvreté était un lieu, un paysage hostile dans lequel on tomberait accidentellement ou par une poussée délibérée, ce serait une forêt maudite – un bois sauvage, humide et lugubre suspendu dans le temps. Les branches vous happent, les troncs vous bloquent le passage, les ronces s’agrippent à vous, résolues à vous empêcher de partir. Même si vous parvenez à surmonter un obstacle, il est aussitôt remplacé par un autre. Vous vous arrachez la peau des mains en vous efforçant de dégager un chemin alternatif, mais dès que vous tournez le dos aux arbres, ils resserrent les rangs derrière vous. La pauvreté mine, votre volonté, peu à peu.

Les villes et les rivières.

 New york, Vienne São Paulo, Sydney, Pékin, Moscou. Toronto… Il existe des fleuves perdus presque partout sur la planète. Peu d’étrangers savent que Tokyo était autrefois une ville lacustre. Ça reste un endroit incroyable, bien sûr, mais ils ont comblé une centaine de cours d’eau et de canaux pour construire des routes ou simplement les dissimuler sous la chaussée. Ou bien prenez Athènes. Vous y étiez tous les deux cet été. Et bien cette ville aujourd’hui, malgré toute sa splendeur, n’a pas le moindre cours d’eau. Mais en fait, historiquement Athènes pouvaient se vanter d’avoir non pas un, ni deux, mais trois fleuves.

Les cultes et traditions yézidies

 Grandma dit qu’une vieille femme yézidie, une voisine qui lui est chère a émigré avec ses enfants en Allemagne où la famille s’est établie dans les années 1990. La femme a été troublée et attristée d’apprendre que les gens là-bas remplissaient une baignoire d’eau et s’essayaient dedans pour se savonner. Elle ne pouvait pas croire qu’il y ait des gens assez insensés pour plonger dans de l’eau propre sans être lavés auparavant.
 Grandma dit qu’on devrait aussi rendre hommage au soleil et à la kune qui sont des frères célestes. Chaque matin à l’aube, elles monte sur le toit pour saluer la première lueur, et quand elle prie elle se met fasse au soleil. Quand vient le soir, elle s’adresse une pierre à l’orbe de la nuit. On doit toujours marcher sur la terre avec émerveillement, car elle est pleine de miracles qui n’ont pas encore eu de témoins. Quant aux arbres, il ne faut pas penser seulement à ce qu’ils sont au-dessus de sol, mais aussi à ce qui reste invisible dessous. Oiseaux, rochers, touffes d’herbe, bouquets d’ajoncs, et même les plus minuscules insectes doivent être chéris.

Archéologie.

Travailler à une fouille archéologique incite à la modestie. Vous trimez dans la chaleur et la poussière armé d’une brosse et d’une truelle au fond d’un trou, avançant par millimètres à travers des dépôts millénaires. La frontière séparant l’instant présent du passé lointain se dissout et voilà que vous basculez dans un monde enfui qui bizarrement, bien que mort et enterré, revient à la vie. Vos perceptions changent : elles vous font comprendre la vulnérabilité de tout ce qui semble robuste et majestueux- palais, aqueduc, temple-, mais aussi la résilience de tout ce qui parait petit et insignifiant -un anneau, une pièce en bronze, un bréchet…Rien n’est dérisoire pour un archéologue. Même la découverte la plus banale est extraordinaire.

 

Éditions livre de poche, 517 pages (avec la post-face qui explique d’où vient ce roman), mai 2023.

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Je dois cette lecture à « Caudia-Lucia » et je l’en remercie. Mes coquillages disent beaucoup du plaisir que j’ai eu à lire ce roman. La guerre d’Espagne a fait partie de mes premières lectures qui m’ont marquées dans ma jeunesse. Hemingway et « Pour qui sonne le glas » Malraux et « L’Espoir », qui m’avaient donné une vision simple de l’engagement du bon côté de cette guerre. Et puis, il y a eu George Orwell qui définitivement m’a fait douter du rôle des communistes pendant cette guerre. Mais je n’avais jamais rien lu sur l’après guerre et la répression franquiste. Almueda Grandes va raconter trois ans de terreur : 1947, 1948, 1949 en Andalousie, et l’épilogue en 1960, le moins qu’on puisse dire c’est que son point de vue n’est pas simpliste.
Nino, un petit garçon de 9 ans, au début du roman, vit dans une maison-caserne où son père est garde civil. Ce qui correspond à gendarme ; avec tout ce que cela veut dire quand il s’agit de maintenir l’ordre dans une dictature.
Ce que j’avais mal imaginé, c’est que l’implantation des gens qui avaient voté pour le front populaire était massive dans les régions rurales pauvres, et si la victoire militaire a été incontestable, elle n’a pas pu changer les mentalités pour autant. Durant ces trois années, la guérilla dans les montagnes était encore très active soutenue par une population qui était horriblement choquée par les méthodes de répression de l’armée ou des gardes civiles.
L’auteur a choisi comme narrateur un petit garçon, Nino, qui devra sa prise de conscience à un homme qui vit seul dans la montagne, cet homme, Pepe el Portuges lui apprendra tout ce qui est important pour prendre ses propres décisions et ne jamais avoir de réaction trop manichéennes. Bref, à devenir quelqu’un de bien dans un pays fasciste, de bien et de vivant donc faire attention à ne pas se jeter dans des actions irréfléchies. C’est tellement facile de juger, surtout sur les apparences, alors que pour mener à bien une lutte, il faut parfois savoir se cacher sous de fausses identités.

Les dialogues entre le jeune Nino, et celui qui lui semble vieux, mais qui est juste un adulte, Pepe el Portuges, sont des moments forts de ce roman. La prise de conscience de ce qui se passe autour de Nino, sous-tend tout ce récit, la lectrice que je suis, a suivi avec un intérêt, toujours proche de la surprise, le dévoilement des différents acteurs de cette narration. Je sais que c’est une fiction, qui mêle personnages réels et créations romanesques, mais je pense que ce roman doit être très proche du vécu de la population espagnole de cette époque. Les moments de détente arrivent avec les relations amoureuses : les femmes espagnoles ont du tempérament !

Les femmes qui vivent dans la terreur que leur mari, fils ou frère soient assassinés d’une balle dans le dos par des gardes civiles ou de face par les militants communistes cachés dans la montagne, sont des personnages qu’on n’oublie pas : leurs pleurs ou leurs cris résonnent longtemps dans la mémoire du lecteur après avoir refermé ce roman.
Ma seule difficulté mais qui n’est pas un reproche est venu des noms espagnols : je devais tout le temps faire un effort pour savoir qui était qui, d’autant que pour se cacher les personnages ont plusieurs noms !

Je vous encourage à lire ce roman , je serai bien étonnée qu’il ne vous plaise pas.

Extraits.

Début.

(je ne compte plus les débuts météorologiques des romans, mais je trouve celui-ci réussi, non ?)
 Les gens prétendent qu’en Andalousie il fait toujours beau temps, mais dans mon village en hiver on mourrait de froid.
 Les gelées se présentaient traîtreusement, avant la neige. Lorsque les jours étaient encore longs, lorsque le soleil de midi chauffait toujours et que nous descendions les après-midi jouer à la rivière, l’air devenait soudain cinglant et plus limpide. Puis le vent se levait, un vent aussi cruel et délicat que s’il était fait de verre, un verre aérien et transparent qui descendait en sifflant de la montagne sans soulever la poussière des rues.

Souvenirs de la guerre civile.

 Rubio, malgré son nom qui signifie « blond » avait les cheveux bruns, une cascade de boucles sombres aussi brillante que des gorgées d’huile, lui arrivant à la taille. C’est certainement pour cette raison, ou parce que c’était encore une enfant, ou parce qu’à douze ans elle avait déjà de grands yeux, un long cou, un nez fin et des lèvres on ne peut plus pulpeuses, qu’on ne le lui avait pas tondu la tête à la fin de la guerre, en même temps qu’à sa mère, à ses sœurs aînées, à ses belles sœurs, à ses tantes et à ses cousines. La ferme où elle habitait alors s’appelait toujours la ferme des Rubio même si plus un homme n’y habitait. Ils étaient tous morts, et certains, disait-on c’était exilé en Amérique. Mais Filo, elle, était restée. Elle s’était promenée le lendemain dans le village, les cheveux pleins d’échelles à moitié tondue. C’était elle qui s’était mise dans cet état avec les ciseaux de la cuisine, pour que personne ne puisse douter de ses opinions, ou pour ne rien devoir à ces fasciste soudain transformés en coiffeurs. La seule chose qu’elle récolta fut de se retrouver assise sur une chaise, au centre de la place pour finir de se faire tondre tout à fait.

Les discussions chez son père, garde civil et sa mère au fort tempérament.

 » Encore un de vos exploits, lançait ma mère qui ne ratait jamais une occasion de rappeler cela ouvertement, allez mettre en prison une femme tout simplement parce qu’elle est fidèle !
– Elle n’est pas en prison pour cette raison, Mercedes, mais pour avoir fait de la propagande subversive.
– De la propagande subversive ? Dire que tu couches avec ton mari c’est faire de la propagande subversive ça ? Et le faire cocu, c’est quoi alors ? Collaborer avec Franco ? Eh bien, dis donc … tant de curés et tant de messes, pour en arriver là …
– Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
– Eh bien, je ne me tairai pas. Je n’en ai pas envie, voilà ! La seule chose qu’a faite Rosa a été de dire qu’elle était enceinte de son mari, un point c’est tout. Et tu trouves que c’est une raison pour l’envoyer en prison, peut-être ? Être fidèle et aimer son mari, et coucher avec lui, c’est une raison pour se retrouver en prison, Antonino ? » Insistait ma mère. Et mon père n’osait pas lui répondre ce qui encourageait encore plus sa femme : » Et elle a très bien fait… d’abord de dire la vérité et ensuite parce que… ça… c’est sûr qu’on vous aurait entendu vous gausser et traiter Cencerro de cocu, alors que c’était même pas vrai… »

La répression franquiste.

 Ces derniers pouvaient raconter l’histoire à leur manière, et fêter l’anniversaire des années de paix qui avait lieu tous les mois d’avril, en évoquant les églises incendiées, les curés éventrés, les bonnes sœurs violées, la terreur des hordes marxistes qui avaient précipité leur intervention sacrée et salutaire. À Madrid, il y aurait toujours des gens pour croire que la guerre s’était terminée en 1939 mais dans mon village c’était différent. Dans mon village, les hommes s’enfuyaient dans la montagne pour sauver leur peau et les autorités poursuivaient les femmes qui tentaient de gagner leur vie en vendant des œufs, celles qui ramassaient du spart dans la forêt, qui le travaillaient et même celles qui vendaient des asperges sauvages le long des chemins. Car pour celles-ci tout était interdit, tout était illégal, tout devenait un délit et la survie de leurs enfants relevait du miracle. Voilà comment cela se passait dans mon village, où l’on pouvait se faire tirer dans le dos n’importe quand pour avoir donné à manger à son enfant, à son père, à son frère. C’était suffisant pour légaliser n’importe quelle mort, cela transformait n’importe qui en dangereux bandit, en féroce ennemi public même si celui-ci n’avait jamais eu le moindre fusil entre les mains. C’était la loi, et c’était une loi injuste, une odieuse loi, une loi atroce et barbare, mais c’était la seule et unique loi. Et les gardes civils ne craignaient pas de l’appliquer.

Ce que Jules Verne a apporté à Nino.

 En outre, les romans de Jules Verne me donnaient souvent le prétexte de poser des questions sur tout ce que j’ignorais, en histoire, en géographie, en physique, à propos des sextants, des ballons aérostatiques, des sous-marins, des routes maritimes, des exploits des découvreurs, des expériences dans les laboratoire, de tout ces savants fous et sages à la fois qui, après beaucoup d’erreurs, parvenaient au plus grande découverte de leur vie. Ainsi ces livres allaient me conduire vers d’autres livres, d’autres auteurs que j’allais découvrir avec la même avidité. 

Pour vous expliquer pourquoi je me suis un peu perdue dans les noms.

Lors des premières élections démocratique, José Moya Alguira , alias Pepe el Portugais, alias Francisco Rojas, alias Juan Sanchez, alias Miguel Monterro, alias Jorge Jorge Martinez, alias Camilo occupa la tête de liste que présenta le parti communiste espagnol dans la province de Jaén, où mon nom se trouvait en dernier.

 

 

 


Éditions Acte Sud Babel, 600 pages, mars 2022

Traduction de l’Allemand par Rose Labourie

 Bien entendu, il y avait des réticences. Car au fond, tout le monde était pour l’énergie éolienne, pas vrai -mais tant qu’à faire, pas sur le pas de sa porte.

 

 

S’il y a une chose que j’ai apprise à Unterlruten, c’est que chacun habite son propre univers dans lequel il a raison du matin au soir

 

C’est chez Keisha que j’avais noté ce titre mais comme il faisait déjà partie du mois de littérature allemande de l’an dernier , je suppose déjà que vous êtes nombreux comme Sacha,et Je lis je blogue, à l’avoir apprécié. À mon tour, je vais essayer de vous tenter, car ce roman est devenu au fil de ma lecture un véritable coup de cœur, même si, au début, j’ai eu un peu de mal à suivre le fil narratif à cause du nombre de personnages. (J’avais un peu oublié la lecture de Nouvel an de cette auteure, j’avais bien aimé mais moins que ce celui-ci.)

Rappel du propos de ce roman : il se passe à notre époque, dans un village rural de l’ex-RDA. Le village doit prendre position à propos d’un champ d’éoliennes. C’est bien connu, tout le monde, ou presque, est pour les énergies renouvelables, mais de là, à voir de son jardin un parc d’éoliennes, il y a de la place pour une belle tragédie à la sauce des rancœurs rancies d’un village de campagne. L’auteure utilise un procédé qui a déçu certains lecteurs, elle passe d’un habitant à un autre, en reprenant à chaque fois, le fil de son histoire. Cela donne l’impression que le récit n’avance pas, et qu’elle se répète. Il faut aussi faire un effort pour retrouver qui est qui dans cette histoire, mais le schéma du village avec les noms des propriétaires de chaque maison que l’on trouve au début du roman aide bien à se repérer. Le fait d’aller de personnage en personnage ne permet pas, vraiment, de mieux comprendre l’intrigue mais de se rendre compte qu’aucun protagoniste de ce conflit n’est exactement ce que les rumeurs pensent de lui. Tout tourne autour d’un antagonisme violent et très ancien entre Gombrowsky, dont la famille possédait une grande ferme avant qu’elle soit transformée en une sorte de kolkhoze par le régime communiste. Ce personnage n’oubliera jamais le rôle de l’autre antagoniste : Kron, qui est venu brûler la ferme de ses parents en 1946. Gombrowsky réussira à devenir le principal acteur de la coopérative d’état, puis, lors de la réunification à faire revivre la coopérative à son profit. Kron continue à le poursuivre de sa haine alors qu’il fait vivre toute la région. Il faut maintenant savoir où sera implanté le parc éolien.

Ce village se trouve assez proche de Berlin, et donc des gens qui ne comprennent vraiment rien aux luttes ancestrales du village, fuient la ville pour effectuer un retour vers la nature, ils viennent troubler les disputes haineuses des habitués de Unterleuten (nom bien trouvé « parmi les gens ») Il y a d’abord le défenseur des oiseaux avec sa jeune femme uniquement occupée à allaiter et bercer un bébé qui l’épuise. Lui, il a toujours tout faux, ne doute jamais, et se trompe toujours. Ensuite il y a Linda, une femme énergique qui n’a peur de rien et qui sans le vouloir va être une actrice importante du drame qui va se jouer. Enfin il y a un homme très riche qui a acheté les terres que convoitait Kron. Chaque personnage tire sur les liens qui étouffent toute vie sereine possible jusqu’au drame final qui ne résoudra rien : les nouveaux arrivants repartiront et le village continuera avec des éoliennes mais sans les deux principaux ennemis. On peut faire confiance à leur génie pour s’en créer d’autres. On est au cœur même de l’âme humaine dans un moment très précis : l’adaptation d’un pays ex-communiste aux lois du marché capitaliste. En particulier dans la détestation des habitants d’un village de celui qui était « le riche » et qui ensuite a toujours réussi à rester « le riche ». Il va le payer très cher. Car finalement il avait fait le vide autour de lui, c’est une sorte de tyran domestique et sa vie familiale est une catastrophe et malgré (ou à cause de) sa réussite professionnelle, il n’aura que des obligés et aucun ami sur qui compter.

Pour moi, ce livre est à l’échelle d’un village, une illustration de beaucoup des comportements de nos sociétés. Je dois aussi dire qu’il y a beaucoup de remarques très bien vues, vous n’en trouverez qu’une partie dans mes extraits, il vous reste donc à lire ce roman pour profiter du grand talent de cette auteure.

Extraits.

Début.

 « L’animal nous tient à sa merci. C’est encore pire que la chaleur et les odeurs. » Jule leva les yeux. « Je n’en peux plus.
– Ça ne sert à rien de s’énerver chérie. » Gerhard s’efforçait de donner à sa voix un ton assuré. Plus Jule cédait à l’hystérie, plus il se cramponnait à la raison. « Quand on déteste quelqu’un, tout ce qu’il fait nous dérange.
– Tu veux dire qu’il faudrait que j’essaie d’aimer l’animal ?.Et que comme ça, ça ne poserait pas de problème qu’il détruise notre vie ?
– Je veux dire que tu ne dois pas te faire des nœuds au cerveau. En t’énervant, tu ne fais de tort qu’à toi-même.
C’était un combat perdu d’avance Jule s’était recroquevillée sur elle-même et mise à pleurer, si bien qu’il ne lui resta plus qu’à s’asseoir près d’elle et à passer un bras autour de ses épaules.

Courrier administratif.

 Linda sentit sa bonne humeur retomber, une chute de température interne. Les courriers administratifs ne signifiaient jamais rien de bon. L’État n’envoyait pas de lettres pour remercier ses citoyens de respecter la loi, de bien payer leurs impôts, ou de se passer d’aides sociales L’État était comme un faux ami qui se manifestait uniquement quand il voulait quelque chose. Encaisser de l’argent, infliger des sanctions, prononcer des interdictions. La vue de la lettre lui est nouait l’estomac, mais Linda n’était pas du genre à fuir l’adversité.

Phrase intéressante.

 Les chasseurs focalisent, les proies ont une vision panoramique.

L’art du portrait

 Il avait trimé toute sa vie pour que sa femme et sa fille vivent confortablement. En guise de remerciement, Elena lui donnait l’impression d’être un mauvais époux. Et Püppi n’avait attendu qu’une chose : que le mur tombe pour pouvoir enfin quitter « ce trou perdu d’Unterleuten ». Elle habitait Freiburg, où elle avait fait, aux frais de Gombrowski, des études aussi longues que pédantes à « l’université la plus loin de vous de tout le pays ». Comme avec son doctorat en « je sais tout sur tout » elle n’avait décroché qu’un poste d’assistante à mi-temps, Gombrowski lui avait acheté un appartement. Malgré tout, elle avait le culot de tordre du nez à l’idée Elle avait le culot de tendre du nez à l’idée que cet argent était gagné par des moissonneuses batteuses et des machines à traire.

Le marxisme et l’agriculture.

Les campagnards le savaient depuis le début la RDA était un régime qui ne tenait pas la route. Le parti auquel il fallait soudain obéir aux doigts et à l’œil venait des villes. Les cadres dirigeants formés à Moscou, ne connaissaient rien à la vie rurale et encore moins à l’agriculture. Ulbricht et consorts tentaient de compenser leurs lacunes par l’application des théories marxistes léninistes. Mais la nature n’était guère réceptive aux idées communistes. Elle avait ses règles propres. De génération en génération, les paysans avaient appris à extorquer ces fruits à la terre sableuse. Ils vivaient à la campagne, avec la campagne, et pour la campagne. Les slogans politiques, ils s’en lavaient les mains. Le vieux Gombrowski n’était pas aimé partout. Mais si son exploitation devait être engloutie dans une coopérative agricole gérée par des crétins finis, autant être avec lui plutôt qu’avec ses politicards des villes qui n’était pas capable de faire la différence entre le blé et l’orge.

Les pères écolo modernes.

 Gerhard se promettait d’être un père moderne qui, au restaurant, s’indignerait à voix haute que la table à langer se trouve dans les toilettes des femmes.

La météo et les paysans.

D’ici une bonne heure Gombrowski regarderait le toit de la cabane à outils par la fenêtre de sa chambre pour voir si la pluie était tombée. Si les tuiles étaient rouges claires comme ce jour-là, il jurait parce que le blé serait trop sec. Si pour une fois il avait plu, les pommes de terre seraient trempées, ce qui était aussi une raison pour jurer. Depuis que les hommes ne croyaient plus en Dieu, ils se plaignaient constamment du temps qu’il faisait. Et quoi qu’il arrive, la météo ne trouvait jamais grâce aux yeux d’un agriculteur.

L’écologie.

La protection de la nature, c’est un business impitoyable. Subvention de l’Union européenne, emplois, agriculture bio. Sans oublier le tourisme.

Les tableaux dans les salles d’attente.

Aux murs étaient accrochées plusieurs reproductions de Magritte. Meiler n’avait jamais compris pourquoi les médecins et les juristes se sentaient obligés d’imposer leurs goûts artistiques à leur client. Encore récemment, il avait changé de dentiste parce qu’il ne supportait plus, en attendant la consultation, d’avoir sous les yeux des toiles qu’un quelconque barbouilleur amateur, sans doute le dentiste lui-même ou sa femme, avait bombardé de gros pâtés de peinture. En comparaison, Magritte était un moindre mal. Pourtant, Meiler se demandait bien ce que maître Söldner cherchait à dire des achats fonciers, contrats de mariage et ouverture de testaments en accrochant dans sa salle d’attente un homme avec un chapeau melon et dont le visage était caché par une pomme.

Humour et c’est tellement bien observé.

 Quand Meiler pensait à la nouvelle génération, il voyait une armée de jeunes gens au bras droit tendu pas pour faire le salut fasciste, mais pour se prendre en photo avec leur smartphone.


Éditions Alisio Hitoire, 204 pages, septembre 2024

Traduit de l’allemand par Tina Calogirou

 » Dimanche nous étions à Pompéi. Bien des malheurs se sont produits dans le monde mais il en est peu qui aient procuré tant de joies aux générations suivantes. »

Goethe 1787
Un grand merci à Dominique qui a si bien parlé de ce livre, je l’ai immédiatement acheté pour l’offrir, mais je l’ai lu avant et avec quel plaisir !
Et, de plus, cela me permet de participer au mois de la littérature allemande.
Gabriel Zuchtriegel est « Directeur du parc archéologique » de Pompéi , il nous promet « un voyage dans les rues de la cité antique « . Il s’agit bien d’un « voyage » pas d’une « promenade » car son récit nous entraîne dans toutes sortes de réflexions : réflexions sur le métier d’archéologue et sur la vie à Pompéi en 79 avant JC .
Une de ses constatations à propos de l’antiquité est aussi étonnante que vraie. Jusqu’au 20° siècle (inclus) les spécialistes de l’antiquité étaient les êtres les plus érudits et les plus respectés de notre civilisation, aujourd’hui, la disparition dans les lycées du latin et du grec en est la preuve, les archéologues comme lui, sont, au mieux, considérés comme des doux rêveurs au pire, comme des gens inutiles tout justes bon à dépenser l’argent des contribuables pour des projets tellement peu rentables.
On voit aussi combien Pompéi a été , et cela depuis longtemps, un lieu de pillage de façon presque systématique. Même certains musées ( il cite un musée américain) sont peu regardants sur la provenance d’œuvres visiblement pillées.
Et puis … il y a cette catastrophe liée à l’explosion du Vésuve l’auteur le raconte très bien et on comprend pourquoi cette ville est ainsi restée presque momifiée sous son cercueil de cendres.
Grâce à cette catastrophe et l’oubli de cette ville jusqu’au XVII ° siècle, les archéologues ont affiné leur connaissance de l’antiquité romaine.
Pour l’auteur, pour comprendre ce monde ancien, il faut d’abord sortir du nôtre, et aller vers une société du tout religieux. Ce n’est pas si facile, mais sinon on risque de faire des erreurs à propos des différentes statues ou fresques qui sont autant d’intermédiaires entre nous et les Dieux. et souvent n’y voir qu’une incitation à la débauche sexuelle.
L’auteur raconte aussi, combien il faut être patient pour amener devant le public une découverte qui, pour l’archéologue a été extraordinaire, comme ce char conservé presque parfaitement, mais que de temps entre la découverte et son exposition ! On est bien loin de l’immédiateté du monde d’internet.
J’ai été aussi très sensible à ce qu’il dit à propos des découvertes de la réalité des petites gens à Pompéi, évidemment on connaît bien les hommes célèbres de Rome , mais la chambre de 16 mètres carré où vivaient au moins trois esclaves, en apprend beaucoup plus sur la réalité de la société que « la guerre des Gaules » de Jules César.
Bref ce voyage m’a enthousiasmée et je voudrais bien le partager avec vous.

Extraits

 

Début.

Je ne savais pas qu’à Pompéi, des visiteurs étaient régulièrement victimes de crises cardiaques, certaines à l’issue mortelle, jusqu’à ce qu’une collaboratrice expérimentée me le fasse remarquer discrètement, quelques semaines après ma prise de fonction de directeur de ce site de l’unisson, en avril 2011. Depuis le service médical d’urgence de la ville antique a été renforcé. Sur 600 interventions par an en moyenne, environ 20 % sont dues à des problèmes cardio-vasculaires. Si la chaleur est la principale cause invoquée, est-ce la seule raison ?

 

Humour.

 A quelle catégorie Stendhal aurait-il appartenu ? Certainement pas à celle des collectionneurs ; toute sa vie, il fut un nomade instable ne laissant guère la place à l’accumulation – fût-elle matérielle ou spirituelle. Une autre catégorie de visiteurs, assez importante à en croire l’étude, comprend celle et ceux qui vont au musée pour faire plaisir à leur conjoint. À celle-là non plus, Stendhal n’appartient pas, pas plus qu’à celle des visiteurs qui se rendent dans un musée pour en utiliser les toilettes publiques (et qui forment donc eux aussi une catégorie à part entière, très restreinte fort heureusement !)

Cet auteur me fait rire.

 J’ai trouvé fascinant d’imaginer l’Acropole -dont il a été conservé une inscription bannissant les bouses de vache du sanctuaire (on ignore au demeurant comment les ruminants étaient amenés à s’abstenir) comme un îlot à la pureté préservée par toutes sortes d’interdictions, de règles et de barrières architecturales dans une ville débordant d’immondices et de puanteur.

Condition de l’esclave affranchi.

Les Vettii étaient deux esclaves ayant été affranchis, une pratique courante dans l’Empire romain. D’une part, la perspective de la liberté devait inciter les esclaves à servir fidèlement leurs maîtres, seuls décisionnaires en matière d’affranchissement de l’esclavage. D’autre part, avec le temps l’esclave pouvait devenir un fardeau pour son maître qui devait alors subvenir à ses besoins, même si l’esclave ne pouvait plus travailler. L’affranchissement était à double tranchant : les affranchis.  » liberti » en latin, se voyaient offrir une liberté qui pouvait mener à une vie de sans-abri et à mourir de faim. L’esclave « libre » n’ayant plus de maître pour assurer sa subsistance.

La passion des archéologues.

 Aujourd’hui encore, ma femme taquine en me rappelant qu’un jour, après le travail j’ai refait le trajet de Rome à Gabies en Vespa juste pour vérifier le profil d’un seul tesson pour lequel j’avais trouvé un nouvel élément de comparaison. Lorsque notre fille est née. en 2008, nous venions de rentrer à Berlin : tous les soirs, dans notre petit appartement du quartier de Kreuzberg, elle s’endormait au son des clics de la souris de mon ordinateur, sur lequel je transformais les 600 dessins réalisés au crayon en graphiques vectoriels.
 C’est sans doute ce genre d’activité qui valent aux archéologues d’être considérés par le monde entier comme des hurluberlus, des êtres bizarres qui s’enthousiasment pour un tesson de poterie ou qui s’indignent de l’imprécision de la datation d’un collègue. Pourquoi cela nous met il dans cet état ? La réponse est là aussi à chercher dans le « moteur » qui nous anime. Et qui reste souvent inaccessible au monde extérieur – par notre propre faute.

Une clé pour comprendre l’antiquité.

 En réalité, il est impossible de comprendre l’art et la culture antique si on ne les envisage pas comme des éléments d’un monde ou littéralement tous les aspects de l’existence étaient structurés par des rites religieux. Le rite faisait office de langue à part entière, qui structurait tous les domaines de la société dont la grammaire et le vocabulaire étaient indissociables de ce qui est véhiculé au sein de cette société.

 Pour nous ce n’est pas seulement la « langue » du rite antique qui est difficile à déchiffrer ; pour les enfants d’une époque où les rites n’ont plus guère de signification, c’est aussi sa grammaire qui nous fait presque entièrement défaut. Comprendre des rituels antiques, c’est un peu comme apprendre à jouer du piano quand on est sourd et muet.

Le quotidien en archéologie (et humour).

 

Dans la couche de cendres qui a comblé la cour de la villa au-delà des murs de Pompéi, il y avait ce char prêt à être attelé, en ce jour fatidique de 79 après J-C. L’emplacement exact de chaque pièce, aussi petite soit-elle, a donc été documentée avec précision à l’aide d’un scanner laser. C’est important non seulement pour pouvoir ensuite reconstituer et exposer le char, mais aussi pour comprendre comment il fonctionnait exactement, de la suspension jusqu’au rembourrage du siège. Des aspects banals de la vie quotidienne antique, mais qui sont souvent bien plus mystérieux pour nous que la philosophie et l’art de l’époque. Nous savons quantité de choses sur les réflexions philosophiques qui occupaient Sénèque, mais étonnamment peu sur le mécanisme qui l’empêchait de se faire meurtrir le postérieur lors d’un trajet en char.

L’oubli et l’histoire.

 Envisagée ainsi l’histoire de Pompéi et aussi un éloge de l’oubli. Sans oubli, il ne saurait y avoir de redécouverte, sans disparition il n’y a point de magie de la mise au jour de la conservation. Au fond, sans oubli, il n’y a pas non plus d’histoire, car l’histoire revient toujours à choisir ce que l’on raconte et ce que l’on élude, c’est-à-dire que l’on oublie. Imaginons un instant un monde sans oubli : le passé ne serait pas révolu, mais resterait pleinement là, présent, actuel.
 Il me semble que cela ne s’applique pas seulement à Pompéi, mais aussi à chacun et chacune de nous. Personne ne maîtrise ce qui fut et ce qui sera. En revanche, le mélange de souvenirs et d’oubli avec lequel nous envisageons notre histoire dépend de nous 


Éditions Météores 57, 184 pages, Mars 2025.

 

L’homme s’emporte face aux enfants des mines qui, à mains nues creusent la terre à la recherche des métaux rares qui lui permettent de signer avec son smartphone des pétitions contre l’exploitation des enfants dans les mines.

C’est Keisha  qui m’avait donnée envie de lire ce roman, et je l’en remercie sincèrement. Je n’étais pas certaine de me retrouver dans cette lecture, et bien j’avais complètement tort (ou presque). Je rappelle le propos en 110 chapitres qui font chacun moins de deux pages, Sébastien Bailly décrit la vie de l’Homme. Je dirai de l’Homme né dans les années 60/70 et qui meurt aujourd’hui. On retrouve forcément, son mari, son frère, son petit-fils, car l’auteur sait ratisser large quand il parle d’une période de la vie. Mais comme le dit le titre « Parfois l’Homme », votre mari, votre fils ou vous-même échappez peut-être à la sagacité de l’auteur, mais franchement ça m’étonnerait. J’ai adoré les trois quart du livre mais quand il décrit la maturité et surtout la vieillesse, c’est moins drôle et on sent très bien qu’il n’a pas encore été vieux (tant mieux pour lui). Le procédé est devenu, pour moi, redondant et j’ai peiné à le lire attentivement la petite dizaine de derniers chapitres.

Que cette remarque ne vous empêche pas de lire ce livre, surtout si vous êtes confronté à un adolescent, c’est tellement jouissif.

J’espère que mes extraits vous donneront envie et que vous profiterez de son humour qui est souvent « génialissime » comme dit mon petit fils quand ce n’est pas « nullissime » (toujours le sens de la nuance des ados) .

Extraits.

En exergue du premier chapitre.

 Où l’homme pousse un premier cri, découvre son prénom, commence éventuellement à se poser quelques questions essentielles, et grandit. Naturellement. Vaille que vaille.

Début .

 L’homme naît dans une pièce à carreaux de faïence, à l’éclairage brut au néon, sa mère jambes écartées dans la position la moins pudique qui soit, le père la main broyée au rythme des contractions et dans l’autre un caméscope, un téléphone, un appareil pour immortaliser l’évènement parce qu’il faut garder une trace et trouver quelque chose à faire, quand on est le père. 

Le jeune.

 La poésie. Des mots. Des mots les uns derrière les autres. Des mots qui se répondent et qui disent le monde. L’homme écrit un poème. Cela lui arrive très jeune, parfois, où plus tard. Il s’arrête au bout de deux vers, ne trouvant pas de rime au premier, où noircit toute sa vie des carnets et peut-être même publie un recueil à compte d’auteur qu’il offre un Noël à ses petits enfants gênés

Le mal être du grand adolescent.

Comment tenir un journal intime si rien ne se passe ? Son journal à la date du 27 septembre restera laconique. Mieux vaut ne rien écrire que des platitudes affligeantes, des banalités lénifiantes, des poncifs navrants. Si la vie est faite d’une succession sans fin de ces journées ? Il pense au suicide. Au moins il se passerait quelque chose. Mais devant l’impossibilité dans laquelle il se trouverait de noter quoi que ce soit à ce propos post-mortem, il abandonne l’idée aussi vite que celle de profiter de ce moment de calme pour ranger sa chambre. Elle en aurait pourtant besoin. Mais à quoi bon ?

le succès, ou non.

 L’homme est sorti du lot. Il a connu le succès. C’est une croix à porter qui l’écrasera sous la démesure des attentes légitimes, et la peur de décevoir tétanisera les plus faibles. Une poignée, galvanisée par le succès, ne s’arrêtera plus jusqu’à atteindre des sommets inaccessibles au commun des mortels. L’homme est rarement de ceux-là mais leur destin le fera rêver un peu lorsqu’il feuillettera des magazines fait pour cela, l’été. Il découvrira alors les malheurs de ceux qui, croyait-il, avaient réussi mieux que lui : cures de désintoxication, femmes infidèles, kilo superflus. L’homme se réjouira alors que son absence de talent lui ait permis d’éviter la une de la presse people et de pareilles mésaventures.

Pour réfléchir, au temps qui passe.

L’homme se sent meilleur qu’il n’a jamais été, dans la force de l’âge. Il a la vie pour en profiter. Aveugle il ignore que les prochaines versions de lui le regard sous peu avec le même dédain. Comment a-t-il pu être aussi stupide, égoïste, ou superficiel ? Que n’a-t-il fait de meilleur choix, plus avisé, pensés, réfléchis ? Que n’a-t-il su profiter de ce qu’il avait ? Chaque regard en arrière est un couteau planté dans le dos qui pousse vers le précipice ou ce morfondent les espoirs gâchés. Ou quelque chose d’approchant.

Bien observé.

Il s’épile le torse se laisse pousser la barbe, choisit des lunettes de soleil, une gourmette en argent, et le dernier téléphone portable.

Le mariage.

L’homme va se marier. Non qu’il soit obligé : il ne l’est pas toujours. Mais fonder une famille, c’est parier sur l’avenir s’engager. Le mariage est une fête immense, une des rares fois où l’on réunit tous ceux qui comptent, avec le jour de son enterrement dont on profite moins.


Éditions Folio, 214 pages, février 2023.

Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.

 

Je crois avoir noté toutes celles qui ont dit du bien de ce roman, mais si j’en ai oublié, je les rajouterai : Violette, Keisha, Ingannmic, Eva et enfin, Athalie.  Et je suis ravie d’annoncer que je sors enfin ce titre de ma liste de livres à lire.

 

Je ne peux que rajouter ma voix aux leurs. C’est un roman écrit d’un ton tout en douceur , qui raconte, pourtant, des faits d’une violence absolue : un accident qui rend un enfant de 13 ans aveugle avant d’en mourir.

Mais avant, avec les deux frères jumeaux, Klass et Kees, nous allons remonter le temps, le temps heureux de l’enfance, et des jeux partagés avec un chien, Daan, qui est très attaché à Gerson, le personnage principal de cette histoire. Le père élève seul ses trois fils car sa femme est partie en Italie. Elle envoie quelques cartes aux anniversaires et à Noël.

Le récit commence par leur jeu préféré : « le noir ». Il s’agit de designer un endroit du jardin, ou de la maison, et à partir d’un arbre, en fermant les yeux, essayer de retrouver cet endroit. Un jour, en allant chez les grands-parents, le père et les enfants, dans un éclat de rire, se moquent de Gerson qui affirme que les fleurs des poiriers sont blanches (d’où le titre !), dans un moment d’inattention, le père brule la priorité à une autre voiture, et c’est l’accident terrible qui blesse gravement celui qui était à droite du chauffeur : Gerson.

Après huit jours de coma, et l’ablation de la rate, le médecin ne pourra malheureusement pas lui sauver les yeux. Définitivement aveugle , l’enfant n’a plus envie de vivre.

Voilà le récit mais je ne dis pas grand chose du charme de ce roman triste mais si beau. L’auteur écrit a la hauteur des protagonistes et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette écriture, la voix du petit Gerson est inoubliable et permet d’entrer de plain pied dans le drame de cette famille.

Je crois que je préfère les voix qui disent de façon douce, des choses terribles, pour moi cela rajoute au drame.

Extraits.

Début.

 Nous y jouions, avant. Nous y avons joué pendant des années. Jusqu’à il y a six mois, où nous y avons joué pour la dernière fois. Après, cela n’avait plus beaucoup de sens. Nous commencions toujours dehors, au pied du vieux hêtre devant la fenêtre du salon. Le hêtre était notre point de départ. Nous posions une main sur l’écorce, puis en général c’était Klaas qui lançait le compte à rebours. Klass est l’aîné d’entre nous. Klass a dix minutes de plus que Kees. Gerson a trois ans de moins que nous et est arrivé seul, sans frère jumeau. Il a des frères jumeaux, nous, Klass et Kees.

Vision de l’Italie du père de famille (leur mère est partie vivre avec un autre homme en Italie) .

L’Italie est un pays très laid, a dit Gérard. Il fait torride là-bas, les Italiens sont des gens pénibles et criards, dont le passe-temps favori est de vous renverser sur leurs scooters ridicules, tu dois t’accroupir pour faire caca, tu attrapes une intoxication alimentaire, ou en tout cas une diarrhée carabinée, ils ne parlent que l’italien et refusent de parler anglais ou néerlandais, il y a toujours des feux de forêt, qu’ils allument en général eux-mêmes les trains sont toujours en retard, tout et tout le monde est toujours en retard, les serveurs aux terrasses sont grossiers, à moins de l’enchaîner à ton corps tu te fais piquer ton portefeuille en moins de deux, et quand tu veux visiter un musée, tu peux être sûr qu’il est fermé pour travaux.
 – Tu es déjà allée en Italie ? a demandé Gerson.
– Très peu pour moi. Je ne suis pas fou.

Devenir aveugle.

 Quand je rêve, je vois. Les rêves s’en moquent que je sois devenu aveugle. Je me demande comment ça se passe chez les aveugles ds naissance.

Détail pratique.

 » Gerson pourquoi tes caleçons sont-ils toujours si sales ? »
 Anna. Heureusement que les autres ne sont pas là pour entendre
 « Je suis aveugle, dis- je.
– Et on a toujours des caleçons sales quand on est aveugle ?
 – Je ne vois plus le papier toilette » dis-je , et je suis vraiment content de ne pas le voir c’est la première fois que je suis content de ne rien voir.
 » Tu ne t’essuies plus le derrière ? »
 Elle ne comprend pas. Et elle dit « derrière » un mot typique de grand-mère.
 » Avant, dis-je, avant je regardais toujours le papier toilette après m’être essuyé (j’aurais voulu ajouter « le cul », mais je préfère quand même tourner autour du pot) pour voir si je devais encore m’essuyer une fois avec un nouveau morceau de papier. Ou deux fois. 
– Ah bon

On le comprend si bien, ce petit Gerson.

Je sais que je me suis montré infect le jour de mon anniversaire. Je n’y peux rien, une fois que je commence il n’y a plus moyen de revenir en arrière. Je sens bien que ça rend les autres tristes. Du coup, je deviens encore plus désagréable, sinon je devrais dire que je suis désolé et ça je n’en suis pas capable pour le moment. Une fois que je commence, il n’y a plus moyen de revenir en arrière.

 

 


Éditions Gallimard NRF, 146 pages, mars 2025.

Après avoir lu et apprécié, « le Mage du Kremlin« , je savais que je lirai cet essai dont j’entends parler un peu partout. Le jour où je rédige cet article je vois qu’il a déjà plus de 2500 lecteurs sur Babelio ! C’est donc un phénomène, je n’ai pas lu les critiques de Babelio mais j’en ai entendu quelques unes sur les ondes (je lirai les différents critiques après avoir écrit la mienne pour ne pas être trop influencée). Ce n’est certainement pas un aussi bon livre que le précédent, je suis bien d’accord. Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par les défauts : On a l’impression que l’auteur nous livre quelques moments de ses expériences en politique dans son pays et surtout à l’international. Ce sont de petits flashs sur des moments variés du monde qui nous dirige, il n’y a pas de liens entre eux, sauf à nous faire découvrir que nous sommes gouvernés par des hommes de piètre valeur et qui eux mêmes ont laissé le pouvoir aux puissants de la « Tech », qui à l’image d’Elon Musk sont capables de tout car ils n’ont aucun contre pouvoir. L’auteur nous donne l’impression de vouloir absolument nous dévoiler ce qu’il a vu, pour nous ouvrir définitivement les yeux, comme s’il voulait nous réveiller de notre torpeur bercée aux sirènes des réseaux sociaux et de l’IA.

Mais, car il y a évidemment un « mais » et des raison à autant de succès , certaines de ses idées sont de fulgurantes évidences et devraient effectivement nous alerter. Celle que je retiendrai définitivement, c’est de se rendre compte que toutes les civilisations se sont effondrées, lorsque cela coutait plus cher de se défendre que d’attaquer. Aujourd’hui les démocraties occidentales mettent des sommes sommes importantes dans leurs différents moyens de défense, mais nous sommes menacés par des régimes beaucoup plus pauvres qui peuvent nous détruire avec des moyens tellement moins chers.

Ensuite plusieurs passages m’ont passionnée, même si c’est un peu décousu : la soi-disant gentillesse et amabilité du dirigeant de l’Arabie Saoudite : Mohammed Ben Salmane désigné par ses initiales MBS, la façon dont il a organisé une purge à son arrivée au pouvoir, et dont il a fait assassiner et dépecer le journaliste Kamal Khashoggi , en dit long sur le personnage devant lequel , les dirigeants des démocraties se prosternent .

J’ai beaucoup aimé aussi son analyse sur l’ère Obama et les différentes dérives des démocrates américains.

Mais le plus intéressant c’est évidemment l’analyse même si elle est succincte de la prise de pouvoir par les hommes de la « tech » à travers l’IA .
Certes ce n’est pas le livre du siècle mais il est facile à comprendre et il en dit tant sur notre monde et notre capacité à mettre à la tête de nos pays des gens totalement incapables, la prime revient aux USA avec leur Trump adulé par plus de 50 % de la population américaine. Pour moi il faut lire ce livre, ne serait-ce que pour en discuter.

Extraits.

 

Début.

 Quand les premières nouvelles du débarquement d’Hermán Cortés parvinrent à la capitale de l’Empire aztèque, Moctezuma II convoqua immédiatement ses plus proches conseillers. Quelle attitude adopter face à ces visiteurs inattendus arrivés d’on ne sait où à bord de curieuses citées flottantes ?
 Certains estimèrent qu’il fallait repousser les intrus sur le champ. Il n’aurait pas difficiles pour les troupes impériales de venir à bout de quelques centaines d’impudents qui avaient osé pénétrer sur les terres de la Triple Alliance sans y être invités. « Oui, mais » dirent les autres. D’après les premiers rapports sur les étrangers, ceux-ci semblaient dotés de pouvoirs surnaturels : ils étaient entièrement recouverts de métal, contre lequel se cognaient les fléchettes les plus acérées.

L’homme politique .

 Cela dit, en politique, il n’y a pas que la chute qui soit douloureuse : la vérité est qu’on souffre tout le temps. Il faut être fait pour ça. Comme ses poissons abyssaux, habitués à survivre sous la pression de milliers de tonnes d’eau de mer. 
 Prenez cet homme à la mine un peu hésitante à tabler dans la salle à manger des délégations, au quatrième étage du palais de verre à l’occasion d’un repas offert par la France en l’honneur de la Communauté du pacte de Paris pour les peuples et la planète. Il s’agit du nouveau premier ministre britannique, Keir Starmer : après les extravagances de Boris Johnson et le court mandat du premier chef de gouvernement britannique non blanc de l’histoire, voici cet avocat londonien, sexagénaire, grisonnant, poli, souriant, qui rappelle la phrase sur Louis Philippe  » Il marche dans la rue, il a un parapluie. »
 On ne peut pas dire qu’il ait eu des débuts faciles. Des gaffes, des émeutes, des coupes budgétaires et même un scandale à propos de ses lunettes qui lui aurait été offertes par un généreux donateur Résultat : deux mois après son triomphe électoral le Premier ministre britannique était au plus bas dans les sondages. Le fait est, quoi qu’en disent les populistes, que la politique est un métier parmi les plus difficile. Une activité qui expose en permanence au risque de se ridiculiser, de passer pour un imbécile surtout quand on ne l’est pas.

 

Le chef d’état des USA.

 Aujourd’hui nos démocraties paraissent encore solides. Mais nul ne peut douter que le plus dur est à venir. Le nouveau président américain a pris la tête d’un cortège bariolé d’autocrates décomplexés, de conquistadors de la tech, de réactionnaires et de complotistes impatients d’en découdre. Une ère de violence sans limites s’ouvre en face de nous et, comme au temps de Léonard (de Vinci) les défenseurs de la liberté paraissent singulièrement mal préparés à la tâche qui les attend. 

Le pouvoir.

Goethe raconte l’histoire de ce vieux duc de Saxe, original et obstiné, que l’on pressait de réfléchir de considérer, avant de prendre une décision importante.  » Je ne veux ni réfléchir ni considérer, aurait-il répondu, sinon pourquoi serais-je duc de Saxe ? »

Intelligence et politique.

Trump n’est au fond que l’énième illustration de l’un des principes immuables de la politique, que n’importe qui peut constater : il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique. Le monde est rempli de personnes très intelligentes, même parmi les spécialistes, les politologues et les experts, qui ne comprennent absolument rien à la politique, alors qu’un analphabète fonctionnel comme Trump peut atteindre une forme de génie dans sa capacité à résonner avec l’esprit du temps.
 Que d’entrepreneurs richissimes, de technocrates globaux, d’intellectuels et de prix Nobel a-t-on vus s’infliger des humiliations cuisantes en essayant de transposer leurs triomphes professionnels dans l’arène politique.


Éditions « le bruit du monde », 352 pages, janvier 2025

 

Parfois je me dis que 5 coquillages, c’est bien pauvre à côté du plaisir que j’ai éprouvé en lisant un livre. J’ai savouré cette lecture , proposée par ma sœur, et j’ai ralenti le rythme de ma lecture pour ne pas quitter trop vite la famille de Philippe Manevy. J’ai hâte de savoir ce que Dominique la blogueuse lyonnaise a pensé de ce livre. Car en effet pour tous ceux et celles qui connaissent Lyon le plaisir doit être encore plus fort. L’auteur décrit les différents quartiers de cette ville en particulier les quartiers qui autrefois étaient habités par les ouvriers : la croix rousse et ses « traboules ».

Cet auteur vit au Québec , où il enseigne la littérature, cet éloignement a créé en lui une rupture qui lui a permis de se plonger dans sa vie familiale avec le recul nécessaire pour la faire revivre pour nous. Mais plus qu’un roman familial, cet auteur sait aussi expliquer l’acte d’écrire, et c’est absolument passionnant. Sa famille est-elle plus importante qu’une autre ? non. Est- elle pire ou meilleure qu’une autre ? Non . Peut-elle intéresser un lecteur aujourd’hui ? Oui . Parce que nous nous retrouvons dans l’évocation des différentes personnalité des composantes de cette famille. Bien sûr on ne peut pas dire « c’est bien moi ça » , mais on sent que cet éclairage permet de mieux retrouver en nous ce qui a constitué notre vie. Un peu à l’image de l’œuvre si importante pour lui d’Annie Ernaux, cette grande auteure aujourd’hui prix Nobel a permis de cerner ce qu’était un transfuge de classe sociale, Philippe Manevy à travers une famille d’origine ouvrière à Lyon, construit la généalogie de beaucoup de français : sa grand mère Alice a travaillé dans un des dernier atelier de tissage de la soie toute sa vie, et son grand père était imprimeur. Tout en ne faisant pas un livre sur la condition ouvrière, la présentation de ces deux personnalités ont construit une famille dans laquelle chacun peut reconnaître un bout de la sienne. Chaque chapitre est l’objet à la fois d’une évocation d’un personnage de sa généalogie mais aussi d’une réflexion qui entraîne le lecteur dans des remarques intéressantes. C’est encore plus vrai quand il parle des gens qu’il a, personnellement, connus, les sentiments de ce petit fils avec son grand père sont touchants et finement analysés. Par exemple , pour faire le bonheur de ses parents, sa mère a privé son père du seul endroit où il était pleinement heureux (un chalet dans le cantal, « Mordon ») , Alice la grand-mère qui peut sembler insupportable a toujours tendrement aimé de son mari et réciproquement. L’humanité de l’auteur lui permet d’aller toujours un peu plus loin que les apparences.

Mais si j’ai tant aimé ce livre, c’est bien évidemment pour la qualité de son écriture. Il a un style alerte qui se lit bien et qui fait du bien . J’aime ses phrases et les anecdotes qui parsèment son livre , à vous de juger à travers tous les extraits que j’ai recopiés. J’en ai mis beaucoup mais j’aurais parfois eu envie de recopier des chapitres entiers.

Patrice a bien aimé, peut-être moins enthousiaste que moi.

Extraits.

 

Début.

 Nous avons tous pensé que cette tentative serait la bonne.
 Pendant près de dix ans elle avait tout essayé : la volonté d’abord, puis les timbres de nicotine, la médecine douce, l’hypnose, l’acupuncture et les traitements miraculeux qui arrivaient régulièrement sur le marché. Elle avait tenu quelques jours, quelques semaines parfois durant lesquelles elle perdait patiences au moindre incident se supportait à peine, devenait injuste avec nous et plus encore avec elle-même. Puis elle replongeait et c’était presque un soulagement. Bien sûr, que nous savions que la cigarette risquait de la tuer, qu’il n’était pas raisonnable de continuer ainsi au-delà de quarante ans, mais nous avions aussi le sentiment étrange de la retrouver lorsqu’elle déchirait l’enveloppe plastifiée de son paquet de Peter Stuyvesant, puis fouillait avec fracas les tiroirs de la cuisine pour dénicher le briquet qu’elle avait caché quelque part, jamais très loin.

Oral/écrit.

 Je parle trop, trop vite. Je parle mal. À l’oral, j’ai souvent été maladroit, parfois blessant sans le vouloir : les mots m’échappent et s’éloignent de mon intention première au point qu’il devient impossible de les rattraper sans créer de nouveaux dégâts. Quand j’écris, quand je parviens après de longs efforts à construire une phrase qui me semble sonner juste, j’ai l’impression d’atteindre une vérité intérieure qui depuis longtemps, attendait d’être fixée pour exister vraiment.

J’adore ce passage.

 Quand j’ai publié mon premier livre, j’ai connu le sort de bien des écrivains débutants. Ma mère a acheté des dizaines d’exemplaires pour les distribuer autour d’elle. J’ai reçu des encouragements de la part de membres de ma famille, d’amis, de collègues. Mon nom est apparu dans le journal, avec une faute qui le rendait difficilement reconnaissable. Et comme il y avait aussi une erreur sur le titre, c’était fichu pour la postérité. Je n’étais ni surpris ni franchement déçu, car je vis avec une écrivaine depuis près de vingt ans. Je sais donc que les chemins de la littérature sont défoncés, encombrés de ronces, qu’ils relèvent du marathon plus que de la promenade de santé.

La famille source d’écriture.

 Ordinaires, toutes les familles le sont, pourtant. Les rois et les reines, les héros et les tyrans ont des souvenirs d’enfance qui n’ont d’intérêt que pour eux. S’ennuient lors des déjeuners du dimanche. Disent à leurs parents des paroles blessantes qu’ils ne regretteront pas vraiment. Disent à leurs enfants des paroles anodines qui leur seront reprochées des décennies plus tard. Sont en rivalité avec leurs frères et sœurs pour des motifs futiles et insurmontables. Ne seront jamais suffisamment aimés par ceux qui les connaissent le mieux. Ou jamais de la bonne manière, avec les mots qu’il faudrait. Ou bien ces mots tend attendu arrive trop tard, lorsque tout est depuis longtemps déjà, irréparable.
D’un autre côté, les familles les plus banales peuvent dissimuler des secrets dignes des Atrides, des blessures et des haines qui se transmettent d’une génération à l’autre comme une maladie héréditaire c’est bien que, soudain, la violence explose comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu, que l’on se surprend à vouloir tout détruire dans un mouvement de rage. On est prêt à mettre le feu à cette somme de petits bonheurs patiemment accumulés, trop bien rangés trop propres.

Le poids du passé de la collaboration.

 Ainsi, dans le village de mon enfance, qui avait été une zone de maquis, certains de mes camarades payaient encore pour les actions de leurs ancêtres. Une réprobation muette entourait leurs familles : ils étaient les descendants de ceux qui avaient tiré profitent de la guerre, collaboré avec l’ennemi, ou pire dénoncé. On ne parlait jamais de ces actes, mais ils étaient dans toutes les mémoires, et les petits enfants, les arrière-petits enfants, portaient encore le poids de la honte. Les descendants des héros, eux, affichaient une tranquillité supériorité morale ou croulaient sous le poids d’une couronne trop lourde. À certains, on avait légué la haine, comme cet ami qui refusait d’apprendre d’allemand parce que les boches avaient tué son arrière-grand-mère. (…)
 Moi je suis convaincu d’une chose : notre sens moral n’existe pas dans l’absolu, en dehors des circonstances particulières où nous devrons en faire usage, lorsque la réalité cessera d’être ce milieu invisible dans lequel nous nous déplaçons avec une illusoire facilité, et qu’elle deviendra un mur en apparence infranchissable.

Retour des expatriés.

 Tous ceux qui ont mis des océans entre eux et leurs proches le savent : les retours au pays ne sont pas seulement l’occasion de joyeuses retrouvailles. Ils impliquent aussi une comptabilité impossible : combien de temps consacré à la famille, aux amis ? Dans quel ordre classer oncles et tantes ? Combien de kilomètres suis-je prêt à parcourir pour rejoindre Untel ? Puis-je me dispenser de retrouver cette année ceux que j’avais vus l’été dernier ? Un ami d’enfance cela vaut-il autant qu’un cousin ? Et autant, cela veut dire quoi, exactement : un café ? un après-midi ? un repas ? un week-end entier, plusieurs jours, une semaine ?
 Les expatriés doivent quantifier leurs affections.

Sa mère.

 En faisant les études qui lui ont donné une « bonne situation », en épousant mon père, ma mère est entrée en bourgeoisie. Elle garde pourtant de ses origines une méfiance instinctive pour tout ce qui relève du snobisme ou de l’entre-soi. Elle préfère les brasseries aux restaurants gastronomiques, les simples hôtels aux quatre étoiles, les plages bondées aux domaines privés, et une élégance ostentatoire provoquera invariablement de sa part, ce commentaire assassin :  : C’est m’as-tu-vu ».
Elle fait partie de plusieurs associations caritatives mais a toujours fui les clubs, les dîners mondains, les cercles de notables, tous les lieux inventés par l’élite sociale pour se rassembler à l’écart du monde. Elle aime mieux les repas de famille et les fêtes de village, les réunions enflammées.

Le Québec et la France.

 La glorification de la classe moyenne n’a pas de sente dans mon pays d’origine, alors qu’elle est frappante ici, au Québec, où rien n’est si recherché que de paraître commun, dans la norme : ni plus riche, ni plus intelligent, ni plus cultivé, surtout que les autres. La familiarité vaut même comme stratégie politique : souvenir du « Bonjour tout le monde ! » par lequel François legault ouvrait ses conférences de presque quotidienne au temps de la Covid, comme s’il arrivait à un party de famille, tandis qu’Emmanuel Macron semblait à chacune de ses rares apparitions, rejouer l’appel du 18 juin 1940.

Les films super 8.

 Je n’ai aucun souvenir personnel de « Mordon ». Tout ce que je raconte ici provient de photographies qui commencent à jaunir et de films en super-huit, ces séquences qui, par leur brièveté l’absence de son et le tressautement de l’image, sont la nostalgie même, matérialisée. La bobine est précaire – la plupart des nôtres ont d’ailleurs été détruites, brûlées par le projecteur dans des autodafés involontaires, et nous n’osons plus les regarder. Et il faut imaginer ce qui précède le film, ce qui le suit, ce qui s’y dit : l’image reste, mystérieuse, nimbée d’une lumière jaune et diffuse, mais les voix chères se tues. Le super-huit est de l’ordre du rêve, plus que de la trace.

Son grand père et la conduite .

 Faire des courses avec lui, par exemple, était une véritable épreuve qui commençait sur la route, où il fallait accepter sans broncher son interprétation toute personnelle de la signalisation. II considérait que les flèches dessinées au sol avaient une vocation décorative. Aussi passait-il librement d’une voie à l’autre gratifiant d’un puissant « couillon de la lune » tous ceux qui osaient se mettre sur son chemin.