Éditions Grasset, 414 pages, janvier 2025.

Deux livres du même auteur à suivre, c’est un hasard mais qui montre aussi que j’aime beaucoup lire les romans de cet auteur dont voici la liste que vous trouverez sur luocine,

Il m’arrive parfois d’avoir de légères réserves, cela vient aussi du choc qu’avait représenté pour moi, « le Testament français », ensuite j’ai trouvé qu’il se répètait un peu, mais cette critique est injuste car si chaque roman de cet auteur était le premier que je lisais de lui , je lui attribuerais à chaque fois 5 coquillages. Ce que je fais pour celui-ci.
On pourrait sous titrer ce roman « les multiples vies de Lucien Baert », l’ouvrier communiste de Douai. Car cet homme va connaître un destin très particulier, tout cela à cause d’un voyage que le partit communiste organise en 1939 en URSS, pour contrecarrer la propagande capitaliste qui dit que les ouvriers russes sont malheureux, très pauvres, et vivent sous la botte d’un dictateur Joseph Staline. La Russie de l’époque sait parfaitement organiser des voyages de propagande où des convaincus pas trop curieux voient ce qu’ils veulent bien voir. (Ma génération a bien connu cela avec les retours émerveillés des convaincus de la Chine maoïste en pleine révolution culturelle !) .

Lucien rate son train dans une gare isolée de Russie, ses amis repartent sans lui, commence alors sa seconde vie, celle d’un supposé espion français dans les geôles de Staline, comme la guerre est déclarée on envoie des « volontaires » que l’on sort du goulag se faire tuer sur le front. Au milieu des horreurs de cette guerre, un soldat russe comprend que tant que cet homme gardera une identité française, il ne sortira jamais du goulag , il lui propose de changer d’identité s’il meurt avant lui. Lucien commence alors une troisième vie sous l’identité de Matveï Belov condamné politique . Lucien-Matveï est pris par les allemands , torturé, puis repris par les soviétiques de nouveau torturé et remis au goulag pour y finir sa peine. lorsque le rapport Kroutchev dénonce les crimes de Staline le régime du goulag s’allège un peu, malheureusement pour lui , il participe à une révolte donc est condamné à quelques années de plus. Enfin libéré, il commence une vie de « russe ancien prisonnier » dans la Taïga avec Daria un femme qu’il sauve d’une mort atroce . Ensemble, ils mènent une vie simple et sont presque heureux . Mais son passé français le hante et Daria le pousse à retrouver ses racines. il parvient à se sauver sur un navire français. L’indifférence des touristes occidentaux qu’il cherche à aborder à Léningrad est caractéristique de l’égoïsme des touristes qui ne veulent en aucun cas l’aider. Il parvient finalement à fuir l’URSS grâce à un capitaine d’ un navire français.

Commence alors une troisième vie, cette d’un transfuge des camps qui va éclairer les intellectuels français sur la réalité soviétique. Après une période d’engouement, peu à peu Lucien Baert n’intéresse plus personne et lui sent qu’il perd pied dans ce monde si futile, il devient infréquentable et pour tout dire un peu fou. Il retournera en Russie pour y finir sa vie auprès de Daria sous le nom de Matveï Belov et connaitra l’horrible période où son pays est livré aux mafia qui ne cherchent qu’à s’enrichir par tous les moyens.

Cette traversée dans un demi-siècle de nos deux société est une plongée dans un désespoir sans fond, sauf sans doute la sincérité de gens simples qui ne veulent plus d’idéologie et qui essaient de se construire un monde heureux à leur portée sans illusion sur les valeurs humaines. La description de l’intelligentsia française est sans complaisance et malheureusement assez réaliste, la colère de Lucien à une de leur soirée est méritée mais va l’enfoncer un peu plus dans son isolement.

En refermant ce roman , je me suis demandé ce qui était préférable pour l’auteur : la force brutale des Russes ou l’hypocrisie lénifiante des intellectuels français . Je ne sais pas si ce roman répond à cette question mais en tout cas depuis , elle me hante et comme la force des Russes est de nouveau aux portes de l’Europe , elle me fait aussi très peur.

 

Extraits.

Début du prologue.

 Écrasé sous le fardeau de sa vie un homme un fleur la miséricorde. Dieu le conduit à un amas où sont déposés les croix des destins. Le malheureux jette la sienne, en soulève une autre : non trop lourde  ! Et celle-ci. ? Ah, pleine d’échardes ! La troisième, la suivante, encore une … Enfin, au coucher du soleil, la croix qu’il choisit lui paraît lisse et légère.
  » Je la prends, elle ne pèse rien ! »
 » C’est celle que tu portais ce matin », lui répond Dieu .
J’ai pensé à ce vieux conte en feuilletant un carnet qui, à travers la Russie répertoriait des dizaines de noms : les futurs héros d’un documentaire conçu par Stas Podlaski, un cinéaste « franco-polonais » a-t-il spécifié. Des amis communs m’ont demandé de jouer les guides.

Début du roman.

 L’homme surgissait au soir, avançait sans hâte, mais ne se laissait pas approcher. Plus d’une fois, Matveï eut envie de le rejoindre, d’engager la conversation. La distance entre eux se réduisait, le vagabond semblait sur le point de se retourner. Et, soudain, il disparaissait au milieu des arbres.
 » C’est dans ma tête, tout ça. Je suis crevé, je dors peu, alors je vois ce fantôme qui me tient compagnie… » se disait Matveï, s’efforçant de chasser une idée insidieuse : l’inconnu qui le précédait était… Son double !

La vision des prison russe en 1930 par les « bons » communistes français.

Elle cite le témoignage, dans « L’Humanité » , de Marie-Claude Vaillant Couturier qui vient de visiter Moscou : » Les condamnés en URSS touchent un salaire et peuvent tout acheter, sauf des boissons alcoolisées. Ils peuvent se payer une chambre individuelle, ils lisent, écrivent, voient des films, font de la musique… »

Les russes anciens prisonniers de guerre.

 Il est envoyé non pas dans le camp où il était emprisonné avant la guerre, celui de l’Oural, mais plus à l’ouest, à la construction d’une voie ferrée à travers la taïga et les marécages.
 Les raisons de poursuivre cette vie n’existent plus. Les moyens d’en finir sont abondants et le nombre de prisonniers qui se suicident le surprend. Souvent, ce sont d’anciens militaires qui ont eu le malheur comme lui d’avoir été arrêtés par les Allemands. Il connaît le verdict de Staline : « Je n’ai pas de soldats fait prisonniers. » Donc, capturé, on doit lutter et mourir.

Ce que savait l’Amérique du système totalitaire soviétique.

 C’est à Boston qu’il fait un constat stupéfiant : un universitaire qui n’a jamais mis le pied en Russie est plus renseigné qu’un prisonnier ayant passé de longues années derrière les barbelés. Ce professeur lui parle comme s’il s’adressait à un étudiant un peu lent à comprendre. Julia traduit :  » J’ai consacré mon doctorat au phénomène totalitaire et permettez-moi de vous signaler que dès les abus dès le début des années 30, les économistes américains, ignorant tout des camps soviétiques, en ont démontré la probable existence. Ils ont analysé le commerce des matières premières et les prix plus bas, qu’un simple « dumping », pratiquer par l’URSS. Cela supposait une main-d’œuvre quasi bénévole ou, plutôt, une masse d’ouvriers sans salaire. Bref un réservoir d’esclaves ! »
 Lucien s’empresse de partager cet avis : c’est vrai un prisonnier ne coûtait pas cher, travaillait douze heures par jour et mourait vite, ce qui évitait les éventuels frais médicaux et, plus tard, le paiement d’une retraite.
 L’érudition de ces « soviétologues » l’embarrasse : si grâce aux calculs financiers, on peut déduire l’existence des camps, a-t-on besoin des témoins comme lui ?

La fracture entre l’ancien prisonnier de Staline et des intellectuels parisiens.

 Toujours muet, il sait qu’aucun témoignage ne pourra ébranler les jugements paresseux qui circulent dans ce salon. Un récit s’égrène en lui : ses camarades des unités disciplinaires, les attaques qui ne laissaient que quelques survivants. Des visages qui disparaissaient avant qu’on puisse retenir leurs traits, des aveux dont le souvenir continuait à résonner en lui, sans qu’il sache qui les avait prononcés. Et d’autres visages, impossibles à reconnaître car trop défigurés par les blessures comme celui de Martveï Bélov. Et les débris des corps qui s’enlaçaient, mêlant leurs entrailles. Et ce cri « Pour la Patrie pour Staline ! », sortant des poumons de ceux qui haïssaient Staline mais qui, se jetant à l’assaut n’avait que ce cri pour défier la mort.
Ses mots silencieux expriment un constat qu’il pourrait adresser aux invités  : si vous êtes tranquillement assis dans ce beau salon, c’est grâce au jeune Altaï qui refusait de tuer ses semblables, même s’ils étaient allemands. Et aussi grâce à un soldat qui avant de mourir m’a offert son identité. Vous pouvez mener vos causeries d’intellos, désigner les ennemis du progrès, jouer à vos petites révolutions culturelles ou sexuelles, écrire dans vos journaux qui censurent tout ce qui ne vous plaît pas. Oui, c’est grâce à ce disciplinaire au visage arraché que vous pouvez boire, manger, fumer vos clopes qui endorment toute vérité gênante et puis aller copuler, à deux ou à plusieurs puisque la vie vous doit cela. Mais vous n’êtes pas des gagnants, non car vous êtes très laids. D’une laideur incurable ! En vivant, en mentant, en baisant comme vous le faites, on vit sans aimer… Donc on ne vit pas !

 


Éditions Quai Voltaires, 435 pages, septembre 2011

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Je suis ravie de m’être plongée encore une fois dans un roman de Richard Russo. La dernière page terminée, j’ai quitté à regrets les habitants de cette petite ville américaine, avec qui j’ai passé des soirées et beaucoup de temps. Pourtant tous les personnages sont loin d’être sympathiques. Ils ne sont ni pires ni meilleurs que la moyenne des humains mais on croit reconnaître à travers eux, tellement de gens qu’on connaît plus ou moins. La trame narrative n’est certainement pas le plus important et elle est un peu touffue. D’un côté il y a la famille Grouse, le père insuffisant respiratoire, la mère qui fait le malheur de sa fille Anna, et le petit fils Randall. Cette famille est liée à la famille Wood car les deux femmes sont sœurs , Milly est veuve et vit avec sa fille Diana cousine d’Anne et épouse de Dan, le grand amour secret d’Anne mais elle a épousé Dallas Younger un alcoolique joueur pas méchant mais totalement imprévisible. Celui-ci aide sa belle sœur, Lorraine, veuve, elle aussi, à élever sa petite fille. Et il y a le policier l’agent Gaffney et son frère Rory , deux brutes malhonnêtes.
Il me reste à vous présenter Wild Bill « le demeuré  » dont tous les garçons se moquent. On apprendra au cours du roman les raisons de son retard mental et cela expliquera en partie le caractère renfermé de Mather Grouse le père d’Anna .
Tout ce petit monde se retrouve chez Harris qui tient un « dîner » sorte de troquet où on peut se restaurer. On peut boire (beaucoup), manger (rapidement) parier sur les chevaux, jouer au poker et surtout parler de tout et de rien. Harris protège Wild Bill des moqueries et des coups qu’il peut donner ou recevoir. C’est certainement le personnage le plus sympathique du roman, il semble être au courant de tout mais ne dit jamais rien. Le roman se passe en deux moment : au retour d’Anna avec son fils de 10 ans , elle veut revivre son amour avec Dan qui est en fauteuil roulant et marié avec sa cousine. Douglas son ex-mari aurait peut-être envie de se rapprocher d’elle mais il en est incapable. On comprend peu à peu que le père d’Anne trouvait sa fille si belle qu’il aurait voulu une autre vie pour elle et qu’il est à l’origine de ce qu’il s’est passé pour Wild Bill.

Dans la deuxième partie, Anne finalement n’a pas réussi à quitter sa mère devenue veuve ni cette ville où elle n’est pas heureuse. Randall revient, il a arrêté l’université et fuit la conscription et la guerre du Vietnam . Le passé va rattraper tous les personnages, mais je ne peux en parler sans dévoiler la fin qui n’est d’ailleurs pas le moment le plus réussi du roman.

Si je raconte tout cela , c’est surtout pour m’en souvenir car je pense que j’oublierai assez vite l’intrigue, en revanche, je garderai en mémoire la toile de fond : une petite ville américaine qui perd sa principale industrie, des tanneries qui ont pollué les cours d’eau de la ville. Cette activité industrielle explique le nombre de gens malades dans cette ville et autour. La jeune nièce de Douglas sera atteinte de leucémie et elle ne sera pas la seule ! Et je n’oublierai pas non plus les caractères nuancés des personnages , l’aigreur des femmes mariées mais pas très heureuses , la difficulté de rester honnête dans une usine où tout le monde truande un peu, l’humour de l’auteur et enfin comment le destin se referme sur vous si vous n’avez pas le courage de fuir cet endroit.

J’ai préféré « le déclin de l’empire Whiting » et « Retour à Martha’s Vineyard » disons que pour ce roman l’intrigue, est difficile à suivre mais l’ambiance est parfaitement réussie.

Lire aussi l’avis de « je lis je blogue » et de Keisha .

Extraits.

 

Début.

 

 La porte de derrière du Mohawk grill donne sur une ruelle qu’ils partagent avec le collège. Lorsque Harry ouvre le gros verrou de l’intérieur pour laisser la lourde porte pivoter vers l’extérieur, Wild Bill est là, qui l’attend nerveusement dans la pénombre grise de l’aube. Impossible de deviner depuis combien de temps il fait les cent pas, à guetter le bruit caractéristique du verrou, mais il semble encore plus agité qu’elle l’accoutumée.

Le poker.

 Harry n’a pas besoin de demander qui a gagné. En général, c’est John, l’avocat qui gagne et il conserve ses gangs ses gains jusqu’à ce qu’il aille à Las Vegas, deux fois par an habituellement. Là c’est Vegas qui gagne.

Scène de couple aux urgences.

 « Regarde toi pauv’ naze » dit-elle.
Bien qu’elle ne parle pas fort, sa voix aiguë porte admirablement dans la salle bondée.
 « Regarde-toi toi-même, si tu peux le supporter ! »
– t’es même pas assez intelligent pour t’apercevoir que t’es un pauv’naze. Tout le monde te reluque, pauv’ naze. »
 Il se trouve que c’est vrai. Mais l’homme à la serviette de plage ne se laisse pas démonter. Il insulte sa compagne en utilisant une injure qui évoque une partie de son anatomie. Malgré cet échange virulent aucun des deux n’est véritablement en colère. Seul leur langage est inflationniste. Cela fait si longtemps qu’ils se traitent de tous les noms que les mots sont devenus incapables de stimuler la passion. À cet instant, ils sont plus proches de l’humour que de la fureur.
  » Tu verrais que t’es qu’un pauv’naze si t’étais pas si fier de toi. T’as jamais une trique si grosse et qui dure si longtemps.
– Ah si je pouvais avoir une femme qui la mérite. »
Elle ignore cette pique.
 » J’vois pas pourquoi t’es si fier, d’abord. Y a pas beaucoup de types qui ont une quéquette pas plus grosse qu’une alliance.
– Au moins j’ai une alliance. Tu pourras jamais en dire autant. »
 C’est assurément la meilleure réplique de ce duel et la femme réagit comme s’il lui avait décroché un direct.
 « Qu’est-ce que tu dirais si je lui filais une claque à ta petite quéquette qui te sert à rien, pauv’naze ? »

Compétition de malheurs de deux sœurs.

 En vérité, en enterrant son époux, Milly avait acquis un avantage déloyal sur sa sœur étant donné que l’une et l’autre prenaient énormément de plaisir à entasser sur leurs frêles épaules tous les malheurs que la vie pouvait leur imposer. Désormais, Mme Grouse avait repris la main car elle pouvait mettre à son crédit un mari décédé et une fille divorcée. Mais elle était trop bonne pour profiter d’un avantage injuste, et les deux sœurs étaient d’accord pour dire que chacune devait porter une lourde croix.

 


Éditions Buchet-Castel, 234 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je sais que j’ai lu un ou deux billets qui étaient élogieux à propos de ce roman-essai, en particulier chez Sandrine . Je le dis d’emblée, je lui attribue un très grand coup de cœur. Et pourtant … j’en ai lu des romans sur la guerre 39/45 ! Et même sur ce sujet particulier, « les malgré nous », j’ai aussi beaucoup lu d’articles et d’essais.

Mais ce roman est unique, aussi bien pour la forme que pour le fond. Pour une fois la quatrième de couverture qui parle de la construction d’un puzzle de la part de Joël Egloff pour nous faire comprendre la vie de sa famille de Moselle pendant cette guerre, est exacte. Chaque pièce de ce puzzle permet de construire l’histoire de sa famille, en particulier de son père enrôlé dans l’armée allemande, tellement bouleversée par la grande Histoire. Celle qui a fait que cette région, française jusqu’en 1870, sera allemande jusqu’en 1918, puis de nouveau française jusqu’en 1941, allemande jusqu’en 1945 et française jusqu’à aujourd’hui.

L’auteur le dit plusieurs fois, les habitants se sentent souvent menacés et puisent leur force dans les liens familiaux et leur langue le « platt » qui ressemble à l’allemand sans en être tout à fait. L’engagement de son père dans l’armée allemande s’est joué à quelques mois près, il a en effet 13 ans au début de la guerre mais en 1943, il en a 16 et les allemands ont perdu tellement d’hommes qu’ils recrutent des soldats de plus en plus jeunes. Son fils cherche à comprendre pourquoi il ne s’est pas caché mais les exemples de familles déportées parce que leurs fils ont refusé de s’engager ont dû peser lourd dans la balance de la décision de son père.

Pour le style, l’auteur s’adresse à son père dans un dialogue qui inclut le lecteur sans aucun problème mais cela donne une impression de proximité incroyable, et puis il y a cet humour sarcastique, que j’avais trouvé dans le petit roman « l’étourdissement » , cela fait, parfois, du bien quand la réalité est trop dure. Et, évidemment, l’époque ne manque pas de cruauté. J’ai beaucoup apprécié la grande sensibilité avec laquelle l’auteur parle de tous les membres de sa famille.

Extraits

Début.

 Je voudrais retrouver cette lettre. Elle doit être quelque part dans la maison, c’est sûr. Où pourrait-elle être sinon ?
 Je l’ai eu entre les mains, pourtant, cela fait des années et c’est moi qui l’ai rangée, je ne sais où. Elle était à la cave, auparavant, dans une vieille boîte à chaussures sans couvercle au-dessus de l’armoire à conserves. C’est là qu’elle se trouvait depuis trop longtemps, livrée aux araignées. Je l’avais lue, puis l’avait remontée à l’étage pour la mettre à l’abri de la poussière.

La guerre.

 Trois guerres en moins d’un siècle. La même sinistre partie en trois manches. On en a vu défiler des soldats par ici. Au pas, ou en boitant, le torse bombé ou les pieds devant, plus ou moins fiers, plus ou moins vaillants, selon le sens dans lequel ils marchaient. Et des uniformes, de toutes les couleurs. Des bleu et rouge, des bleu- gris, des gris, des verts, des vert-de-gris. Et puis des noirs, aussi.

La souffrance et le travail.

 Il souffre de sa plaie, mais ce dont il souffre plus encore, en voyant ceux qui s’affairent, c’est de se sentir inutile. Cela lui coûte d’autant plus qu’on ne regarde pas quelqu’un qui travaille en restant là sans rien faire. Je le sais parce que tu me l’as dit, et si tu me l’as dit, c’est que ton père lui-même te le disait aussi, et qu’il tenait de son père, qui le tenait du sien. C’est pour ainsi dire une des lois de la famille. On ne reste pas les mains dans les poches à regarder quelqu’un qui travaille. Il faut aider, autant que possible, et prendre sa part d’effort toujours.

Les réfugiés et la langue.

 Le chemin longe un terril, sur les pentes duquel sont assis trois adolescents qui les surplombent et les observent. Soudain ils se mettent à les traiter de « Boches » puis ils s’enfuient. Alors mon grand-père et d’autres hommes du groupe se lancent à leurs trousses.
 Personne ne sait précisément d’où vous venez. Personne ne comprend vraiment qui vous êtes. Et vous-même le comprenez vous ?

La guerre à nouveau(et humour).

 Et voici le joli mois de mai, ses avions et leurs chapelets de bombes. Ils annoncent que l’ennemi est là, qu’il a contourné les murailles, qu’il a traversé les Ardennes qu’on disait infranchissables. Encore une fois, c’est la même porte qu’il force mais l’effet de surprise est intact. Il faut croire qu’on est bon public.

Chez soi.

« Chez vous », c’est là où sont nés vos parents et les parents de vos parents. « Chez vous », ce n’est ni l’Allemagne ni tout à fait la France. C’est à la fois plus simple et plus compliqué. « Chez vous » c’est là où vous serez en sécurité. Du moins vous le pensez. C’est votre maison, votre jardin, votre village, et votre clocher, ce sont les voisins d’en face et ceux d’à côté, ce sont les mines où vous vous épuisez, ce sont vos champs et vos bêtes cette vieille poutre en chêne qui vous sert de banc les soirs d’été Et par-dessus tout, « Chez vous », c’est votre langue, le « platt », que l’on parle ici depuis des siècles. Voilà votre refuge, votre véritable identité.

Munich aujourd’hui.

 Pourtant, de temps à autre la guerre balbutie encore. Sur le chantier, on a trouvé un stock de munitions que les démineurs ont fait sauter. Ici où là, la terre régurgite encore de vieilles bombes, des obus périmés. À l’autre bout de la ville, près de la gare l’an passé, sur un autre chantier, une bombe a explosé, faisant quatre blessés, comme une bombe à retardement avec un minuteur réglé sur soixante dix huit ans.
 La guerre est patiente, elle sait attendre et ne dort que d’un œil. Elle se tient toujours prête. Pour peu qu’on vienne l’asticoter au bout des dents d’une pelleteuse, la chatouiller de la pointe du marteau piqueur, pour peu qu’on vienne la réveiller, elle ne demande alors qu’à sauter dans ses bottes.

Humour sarcastique.

 On dit souvent des combats qu’ils sont rudes, âpres ou acharnés. Jamais rien de très original.
 D’aucune bataille, je n’ai entendu dire que les combats étaient animés mais sont restés cordiaux. Ainsi, à Wiener Neustadt, tout particulièrement parce que la seule motivation, maintenant, pour bon nombre d’entre vous, c’est de ne pas tomber aux mains des Russes. On ne se bat jamais mieux que lorsqu’il s’agit de sauver sa peau.

 

 


Éditions Emmanuelle Colas, 234 pages, Mars 2024.

Rarement un roman ne m’aura autant touchée, je l’ai aimé de la première ligne à la dernière et pourtant j’ai lu la dernière partie en apnée tant elle décrit l’horreur, mais j’ai eu le courage de ne pas en rater un seul mot.

Le roman cerne trois personnages qui sont tous trois inspirés de personnes réelles, cela sous l’œil au combien bienveillant de l’auteur qui est aussi un personnage du récit.
Le premier personnage est Vitali Klitschko, on le voit au début combattre sur un ring un boxeur qui semblait le vaincre facilement. J’ai vraiment cru que Bruno Doucey était un boxeur ou au moins un amateur des combats de boxe. C’était oublié le talent de certains écrivains qui savent donner une puissance à leur récit tel que l’on se croit dans la réalité.

La seconde est Mira Rai une athlète népalaise, qui a gagné des trails tous plus durs les uns que les autres.

La troisième, Mila, est une enseignante de la ville universitaire de Sartana en Ukraine, elle veut organiser un colloque autour des parcours sportifs exceptionnels et donc rentre en contact avec Vitali qui est maintenant le maire de Kiev et Mira. Hélas la folie russe va s’abattre sur cette région de l’Ukraine et l’auteur nous fera vivre le quotidien des Ukrainiens sous les bombes russes. Il évoquera aussi le crime de guerre qui s’est passé à Marioupol où l’aviation russe a bombardé le théâtre alors que seulement des femmes et des enfants étaient réfugiés à l’intérieur .

Enfin, le dernier personnage est l’auteur lui même qui intervient pour nous dire que tout cela est du roman, et qu’il a puisé dans son imaginaire la force de nous présenter des personnages auxquels nous seront définitivement attachés.

Je me demande si j’ai lu un texte aussi fort sur la guerre en Ukraine, nous respirons avec Mila, nous vivons avec elle ses peurs et ses peines, nous sommes soulagés qu’elle ait pu rejoindre la Grèce où vivent ses parents et son fils. Mais comment se consoler de tous les morts qu’elle a laissés derrière elle, comment refaire vivre la culture et la liberté ? ?

À lire de toute urgence, avant que l’Ukraine ne retourne définitivement sous la botte Russe vendue à Poutine par un Trump qui est fasciné par un dictateur tellement plus efficace que les démocraties européennes.

 

Extraits.

Début

Los Angeles, 26 septembre 2009
En face de lui, ce soir-là, celui que tous surnomment « The Nightmare » . L’homme n’est pas n’importe qui. Vainqueur des « National Golden Gloves » à vingt ans, en 2001, le Mexicano-Americain est précédé de sa réputation. Une pugnacité constante sur le ring. Des coups à terrasser un cheval. Une allonge qui surprend, parce qu’elle provient moins de la longueur des bras que de l’envergure des épaules. 1,93 m de rage, de hargne et de haine. Chris Arreola est de ceux qui préfèrent mourir sur le ring que perdre un combat.

La journée d’une enfant népalaise.

À douze ans, une fille népalaise n’est plus une enfant. Et quand la famille ne peut garantir plus d’un repas par jour, quand la survie de toute une communauté dépend des récoltes et de la bonne santé des bêtes, l’école devient un luxe que peu de paysans peuvent offrir à leurs enfants. Hier elle travaillait avec son père dans les champs, demain elle portera un lourd sac d’orge jusqu’au marché où ses parents espèrent faire de bonnes ventes, et aujourd’hui elle accomplit dans la maison tout ce qui aurait dû être fait les autres jours : ramasser les bouses de vache, les faire sécher en les appliquant contre les murs, nettoyer, ranger, faire bouillir de l’eau, laver du linge couper du bois, balayer devant la porte, et mille autres petites tâches ingrates que sa mère, sa grand-mère, et toutes les générations de femmes avant elles auront accomplies sans jamais se plaindre. 

Tchernobyl.

Il aurait aimé que son père revienne, qu’il rentre à la maison, fatigué mais sûr de lui, qu’il leur dise : Ce n’est rien les enfants, une simple brèche qui a été colmater, un incident technique que les ingénieurs du département de l’énergie atomique sont en train de régler. Soyez tranquilles, vous n’avez rien à craindre.
Mais ce lundi 28 avril, tandis que la nuit tombeur Kiev, Vladimir Rodionovitch Klitschko n’est pas encore rentré et n’a donné aucune nouvelle. 

Féminité.

Il n’en reste pas moins que ce corps là trahit , une fois par mois, quand le sang coule entre ses cuisses. Mira en a honte. Les taches. La gêne. Le manque d’intimité. Les bandes de tissu qu’il lui faut laver dans un ruisseau deux fois par jour. Le regard des guérilleros de son âge. Cette impression soudaine de souillure, de dégringolade, comme si les femmes redevenaient périodiquement inférieures aux hommes.

La création littéraire.

Le débat est vieux comme le monde de l’écriture. En matière de création littéraire, on pense communément qu’il faut maîtriser son sujet, connaître à fond ce dont on parle ou se fonder sur une expérience vécue, crédible, avérée, des faits que l’on relate. Personnellement, je ne le crois pas. Je n’ai jamais enfilé de gants de boxe et les seuls rings que je connaisse sont ceux que j’ai vus à la télévision, Quant à l’ultra-rail, autant dire qu’il est devenu pour moi un horizon inaccessible puisque je serai, en l’état, bien incapable de courir en montagne. Mais cela ne m’empêche pas d’écrire. 
Je me souviens de ce que Varlam Chalamov écrit au seuil de ses « Souvenirs de la Kolyma  » :  » L’écrivain est l’espion de ses lecteurs ». Alors, disons que, faute de mieux, j’espionne simultanément deux mondes qui me sont en grande partie étranger. 

Le moral de vainqueur de Mira après le séisme du Népal.

Maintenant, Mira remonte un à un les coureurs qui se trouvent devant elle. Elle ressent à nouveau la densité de l’effort : le sang qui pulse dans ses veines, son souffle régulier et profond, ses jambes qui répondent à l’appel des pentes. Chaque coureur qu’elle dépasse est un enfant sorti des décombres, chaque spectateur sur le sentier un secouriste venu sauver des vies. Pierre après pierre, elle remonte les « stūpas » qui se sont effondrés les caims qui ont roulé à terre, les temples qui menacent ruine.

L’horreur de la guerre.

Suis remontée à l’appartement alors que beaucoup dormaient encore dans la cave. Électricité revenue, j’ai mis mes appareils en charge. Une douche, la première depuis trois jours. Maintenant, l’eau ruisselle sur mes cheveux, le long de mes seins amaigris par ces premières semaine de guerre, la fatigue et le chagrin. Peut-on laver l’empreinte de l’horreur ? Faire disparaître les traces ce la peur ?
L’eau tourbillonne avant de s’échapper par la bondé. Mes pensées aussi tournent sur elles-mêmes mais elles ne connaissent aucune échappatoire. Le théâtre de Marioupol, où plus d’un milliers de personnes ont trouvé refuge. L’avion qui survolé la ville. La bombe larguée sur la coupole. Des victimes, par centaines. Des mères de famille, des enfants, des vieillards. Et Elpida, mon amie.

 

 

 


Édition Zulma, 241 pages, septembre 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

J’avais tellement aimé « La vérité sur la lumière » je savais que je lirai celui-ci, comme tous les autres romans de cet auteur . Il se trouve qu’à mon club de lecture j’ai proposé un thème : « Au bonheur des langues », et ce roman a, évidemment, toute sa place dans ce thème. Le personnage principal, narrateur, Alba est une linguiste professeur d’Université qui s’intéresse en particulier aux langues qui sont parlés par si peu de locuteurs qu’elle risque de disparaître. J’ai souvent pensé au livre que j’ai tant aimé « la poésie du Gérondif » de Jean-Pierre Minaudier. Elle est aussi traductrice, et relectrice des romans qui paraissent en Islande. Toutes les remarques sur la langue islandaise (et elles sont nombreuses) , montrent que cette langue est incroyablement difficile à apprendre et aussi à écrire, un moment la narratrice se demande si cette langue ne fera pas un jour partie des langues qui vont disparaître.

La façon dont l’auteure construit son intrigue me plaît beaucoup. Car il s’agit bien d’un roman et pas d’un essai sur la traduction ou la langue islandaise, cela sert d’arrière plan à son intrigue qui est comme une esquisse posée sur un décor. Et quel décor ! pour des raisons que nous comprendrons peu à peu, Alba a acheté une maison isolée dans la campagne islandaise, elle décide d’y planter des arbres. Dans le petit village qui est à côté de chez elle, elle découvre un épicier incroyable qui l’aide à trouver des artisans pour remettre sa maison en état. Grâce à lui, elle découvrira une famille d’émigrés qui a bien du mal à s’adapter à la rudesse du climat islandais. Un adolescent jouera un rôle important dans ce roman, il permet au lecteur de comprendre à quel point il est difficile pour des gens qui viennent de pays ensoleillés de se plaire en Islande, quant à la langue c’est un véritable casse-tête. Alba va mettre ses compétences aux services des émigrés qui ne parlent pas la langue et des liens plus forts vont se tisser avec Danyel l’adolescent qui fait tout pour rester dans ce pays qu’il ne veut plus quitter.

Et il y a aussi son père qui est une présence si affectueuse pour sa fille et qui grâce à son meilleur ami qui est un amoureux des arbres aide sa fille dans le choix des arbres à planter, dans sa propriété ? Et il y a sa sœur, qui commence toutes ses phrases par « Et » .
Et moi ? je ne vous ai encore rien dit de l’intrigue, Alba, a eu une relation d’un étudiant dont elle dirigeait la thèse . Cet étudiant a écrit un recueil de poèmes racontant son amour désespéré, on se rend compte que c’est pour cela qu’Alba a démissionné de son poste à l’université.

Tout me plaît dans ce roman, l’arrière plan linguistique, la description de la nature mais par dessus tout la richesse des personnages, son père, l’ami de son père, l’épicier du village, son voisin qui ne sera pas un allier pour elle et j’allais oublier l’incroyable humour de l’auteure. J’aime aussi la façon dont elle parle des gens sans donner l’impression de les juger , et de ne pas faire son intrigue le centre même de son récit, c’est un peu comme si elle nous offrait une super balade dans ce pays qui est aujourd’hui une des destination préférée des touristes français .

Mais lisez aussi l’avis de Géraldine qui n’a pas aimé du tout.

 

Extraits

Début.

Iss
L’avion s’élance sur la piste et décolle, la tête penchée vers le hublot, j’aperçois une femme qui sort de son domicile en banlieue et pousse vers la voiture ses deux enfants chargés de leurs cartables, elle est étonnamment proche, étonnamment nette, puis l’appareil s’élève à grande vitesse dans les airs et tout rapetisse, je vois le sol soigneusement quadrillé et la ville en contrebas qui se mue en un chapelet de lumières scintillantes.

Les colloques des linguistes.

« Quel est le nombre minimum de locuteurs nécessaires pour sauver une langue et quel en est le coût ? (Ce sont des sujets que nous abordons à chacun de nos colloques sans jamais parvenir à la moindre conclusion).

Une linguiste cherche à acheter une maison.

Je ralentis à la vue de deux perdrix des neiges immaculées sur l’accotement. « Berangur » est le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ce lieu désolé où l’on est à découvert, et comme la pensée fonctionne par association, je pense aux adjectifs « berskjaldaďur », vulnérable, et « ber » nu.

La vie dans un village d’Islande.

C’est par la boulangerie qu’on accède à la supérette de Karla Dis dont un coin est occupé par l’agence bancaire où la caissière tricote, sur sa chaise, derrière une paroi en verre. Le motif qu’elle réalise semble identique à celui des productions artisanales locales et des chandails vendus à l’épicerie, des chevaux qui piaffent. Je suppose qu’elle tricote lorsqu’il n’y a pas de clients à la banque et qu’elle s’occupe ensuite de vendre ses ouvrages dans la boutique.

De l’autre côté de la rue, un magasin de la Croix-Rouge pique ma curiosité. Il est « Fermé » comme l’indique le panneau lumineux qui clignote au-dessus de la porte. À en juger par la vitrine, c’est à la fois une brocante, une librairie d’occasion et une feuille d’occasion et une boutique de vêtements de seconde main. Une feuille scotchée sur la porte mentionne qu’il est ouvert le mercredi et que :  » Nous prenons TOUT ce dont vous souhaitez vous débarrasser, lampadaires, images d’anges, vases, commodes, services à café, robes, livres … »

Le silence et les Islandais.

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

La ponctuation.

Je me demande tout de même parfois si l’auteur n’a pas oublié des virgules ou si c’est un choix stylistique délibéré. Pourquoi recourir à la virgule ? L’enseignante en moi répondrait : pour sortir de sa torpeur et respirer. Regarder autour de soi. Décider de la prochaine étape du voyage.

Je suis toujours ravie de lire ce genre de faits sur les langues.

 Autrefois les femmes de la province de Jiangyong dans le sud de la Chine parlaient entre elles le « nüshu », une langue comprise d’elles seules, hermétique pour les pères, les époux et les fils. Cet idiome s’écrivait en vers, sept idéogrammes par ligne, parfois proches de maximes telles « Qui a une sœur à ses côtés ne saurait désespérer ».

Apprendre l’islandais.

J’hésite à lui signaler que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée d’enseigner à des gens qui ont fui leur pays dévasté par la guerre, et qui rêvent pour la plupart de vivre ailleurs, une langue minoritaire dotée d’un système complexe de déclinaisons et de conjugaisons, une langue où « comprendre » quelqu’un et « divorcer » s’expriment en recouvrant au même verbe -« skilja »- , une langue qui n’est parlée que dans le troisième pays le plus venteux de la planète.

Les poèmes des réfugiés .

J’ai emporté 
une bouteille d’eau 
et mon téléphone
la mer est salée comme des larmes.
(D16 ans)
J’ai emporté 
l’essentiel 
une bouteille d’eau 
mon téléphone 
j’abandonne 
ma maison 
la tombe de maman 
mon chat
le poirier du jardin
la mer est salée comme les larmes 
(Version corrigée par l’éditeur)

 

 


Édition Iian Levi, 234 pages, Aout 2024

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Le droit consiste surtout à savoir vendre son client.

Voilà un auteur qui ne me déçois jamais, vous trouverez sur mon blog « une canaille et demie » et « un voisin trop discret » , encore une fois je vais souligner les qualité de concision de cet auteur. On est si loin des 500 pages minimum des pavés nord-américains. Et pourtant, avec ces 234 pages, Iian Levison en dit beaucoup sur la justice américaine. On comprend bien que, si la justice française n’est pas parfaite, celle de ce pays où les juges et les procureurs sont élus entraînent des dérives dangereuses, que ce grand pays aux 52 états avec des lois différentes font que ce qui est punissable de prison dans l’un est accepté dans l’autre, on voit aussi combien le rôle d’un bon avocat -forcément très cher- peut changer complétement le sort d’un prévenu, et par dessus toutes ces difficultés combien les cadres du pays peuvent être corrompus par l’argent de la drogue. Oui, cet auteur sait nous faire comprendre tout cela et en plus, il ne manque vraiment pas d’humour. Bref je me suis régalée et comme en ce moment je lis la Saga de l’arrivée des paysans suédois aux États-Unis, j’ai pensé que ces gens qui avaient été amenés à quitter leur pays pour travailler dans un esprit de justice et de liberté, seraient bien étonnés de voir le pays qu’ils ont contribué à construire.

Il faut le dire tout de suite, l’intrigue est assez faible, on sait tout de suite que les rendez-vous au Night-club pour donner des conseils juridiques à des stripteaseuses, cachent une arnaque que nous comprenons avant ou en même temps que Justin Skyses, avocat commis d’office dont le rôle consiste essentiellement à négocier des peines pour éviter le procès à ses clients. Les ficelles de l’intrigue ont gêné certains lecteurs, mais, comme je suis peu sensible au suspens, l’histoire elle-même est anecdotique, en revanche ce qui m’a beaucoup plu, c’est la description du système judiciaire américain. Et quand on voit comment leur président actuel a réussi à contourner toutes les condamnations auxquelles sa conduite aurait dû normalement l’amener, on peut en conclure que Ian Levison ne force pas beaucoup le trait.

 

Extraits

Début (j’ai ri)

« C’est un garçon tellement gentil. Tellement doux. Il a toujours été facile. » Par-dessus mon bureau en désordre, Mme Novak me regarde avec ses grands yeux tristes. Son fils vient d’être arrêté, pour la troisième fois, après s’être exhibé dans le bus devant des lycéennes. En l’occurrence, il n’y a pas moyen d’élaborer une défense à proprement parler. Eric apparait sur la vidéo surveillance du bus, et il y a sept témoins dont deux officiers de police. Il nous faut donc plaider coupable et supplier le juge de se montrer clément. Nous présenterons les circonstances atténuantes demain.

Système judiciaire américain.

 Chaque état a pu bénéficier de son propre système judiciaire, donnant ainsi naissance aux États-Unis d’Amérique. Désormais nous avons cinquante systèmes judiciaires, sans parler de celui du gouvernement fédéral. 
Ce qui signifie qu’aujourd’hui, si vous voulez fumer de l’herbe au bord de la Delaware River côté New Jersey grand bien vous fasse, le cannabis étant légal là-bas . Mais la Pensylvanie, de l’autre côté du fleuve possède les lois les plus restrictives du pays en matière de drogue . La notion de délit est donc géographique. Ce ne sont pas vos actes qui caractérisent le crime, mais l’endroit où vous vous vous trouvez. La morale, et toute l’idée de bien et de mal, disparaissent de l’équation.

Perversité du métier d’avocat aux US.

Aujourd’hui j’apprends qu’en Californie les abeilles sont légalement des poissons. Les instances de l’État ont légiféré en ce sens pour permettre d’allouer une partie du budget prévu pour la pêche à l’étude sur la diminution de la population de ces insectes hyménoptères. Très malin, et j’approuve cette façon créative de résoudre un problème, mais en tant qu’avocat j’imagine sans peine qu’une compagnie d’assurances ne tardera pas à refuser les frais d’hôpitaux d’une personne piquée par une abeille sous prétexte que la couverture en question ne prend pas en charge les blessures causées par des poissons. Et l’avocat qui aura enterré cette exception des poissons dans le verbiage contractuel des polices d’assurance sera promu, ce qui montre bien qu’en se tenant suffisamment au courant pour savoir par exemple que « les abeilles sont désormais des poissons » que l’on gravit les échelons dans ce métier. 

Paradoxe.

Je ne dis pas que le système est raciste, mais qu’il vaut mieux être riche et noir que pauvre et blanc. Le système aime plus l’argent qu’il ne hait les Noirs, ce qui est certainement ce que je peux dire de mieux à ce sujet. 

 

 


Édition Gaïa, 1999, traduit du suédois par Philippe Bouquet.

Tome 1, Au pays, 315 pages

Tome 2, La traversée, 267 pages

C’est Sacha qui m’a donné envie de lire cette Saga , et elle était à la Médiathèque de Dinard, mais surprise elle était dans les réserves, c’est à dire en passe de disparaître. C’est incroyable la vitesse à laquelle les livres ne sont plus lus dans une médiathèque qui ne peut évidemment pas tout garder sur ses rayons . Dommage pour cette Saga qui est vraiment formidable, depuis j’ai vu que Patrice avait, aussi, recommandé cette lecture.

J’ai finalement décidé de mettre les tomes au fur et à mesure de mes lectures, les deux premiers m’ont carrément enchantée. Dans le premier, on comprend pourquoi au milieu du XIX° siècle des paysans suédois se sont exilés vers les USA . L’auteur prend son temps pour nous faire comprendre les raisons de la misère de la paysannerie suédoise. La première famille que nous suivrons est celle de Karl Oskar et de Kristina dans la ferme de Korpamoen et leur jeune frère Robert valet maltraité dans une autre ferme. Robert y rencontrera Arvid, qui deviendra son meilleur ami .
Les familles sont nombreuses et les fermes sont loin d’être extensibles, elles permettent de survivre mais il suffit d’une mauvaise récolte pour que le fragile équilibre s’effondre. Oskar est un homme déterminé mais son courage ne suffit pas à conjurer tout ce qui se ligue contre lui, alors quand son jeune frère Robert revient le dos en sang car il a été fouetté par un propriétaire pervers et brutal, vient vers lui et lui dit qu’il veut s’exiler en Amérique, Karl Oskar lui avoue qu’il en a lui même le projet. Il lui reste à convaincre sa femme qui a très peur de partir vers un lieu dont on ne sait rien ou presque. La mort pratiquement de faim de leur fille aînée sera la goutte d’eau qui décidera le couple à partir. Robert et Arvid seront de la partie.

Une autre famille partira avec eux, c’est celle d’un pasteur qui s’oppose au clergé traditionnel, car Danjel Andreasson a vu Dieu et en plus il accueille chez lui tous les réprouvés du village ? On y retrouve Arvid qui a fui son maître violent et surtout la rumeur lancée par une la mère de la fermière qui fait croire qu’il a eu des rapports sexuels avec une génisse. Cette rumeur lui rend la vie impossible et il sera si heureux de mettre l’océan entre lui et ce surnom qui le fait tant souffrir « Arvid le taureau ». Le pasteur a aussi recueilli la prostituée du village et sa fille . Ce personnage nous permet de comprendre toute la rigueur de l’église officielle mais aussi la façon dont d’autres pouvaient facilement s’imposer comme ayant vu Dieu.
Il me reste à vous présenter l’homme qui ne s’entendait plus du tout avec sa femme , un couple terrible où la haine a remplacé l’amour, l’homme partira seul. Nous sommes au début de l’exode des Suédois et tout le tome expose en détail la difficulté de se lancer dans un voyage aussi aventureux : on comprend très bien qu’en réalité la misère fait parfois qu’on n’a pas le choix, et Robert est tellement persuadé que l’Amérique est un eldorado où tout est possible ! Evidemment, on pense à tous les malheureux qui meurent dans les flots de le Méditerranée ou de la Manche , il y a des points communs dans la nécessité absolue de partir et aussi beaucoup de différences.

Le tome se termine sur les quais du de Karlshamm. Et évidemment on veut connaître la suite.

La suite, le tome 2, c’est donc la traversée et j’ai tout autant adoré. 78 Suédois s’entassent sur un vieux navire « la Charlotta » un brick mené par un capitaine taiseux mais bon marin. Le voyage était prévu pour trois ou quatre semaine mais il va durer presque trois mois. Les voyageurs connaîtront une tempête terrible et surtout des vents contraires qui ralentiront l’avancée du bateau. L’auteur décrit très bien le choc pour des hommes et des femmes qui ont passé toutes leur vie à travailler à se voir confiner dans un espace si petit et surtout ne rien faire. On sent aussi toute l’incompréhension entre les marins navigateurs et les paysans si terriens .

La famille de Karl Oskar est éprouvée car Kristina a un mal de mer terrible amplifiée parce qu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’elle va mourir sur ce bateau. Son mari est toujours aussi déterminé mais la santé de sa femme le fera douter.

Robert a décidé d’apprendre l’anglais , et s’oppose pour cela au clan du pasteur : Danjel (l’homme qui a vu Dieu) a persuadé ses ouailles que Dieu leur permettra de parle l’anglais dès leur arrivée car le miracle de la Pentecôte se reproduira pour tous ceux qui ont la foi …

La promiscuité sur le bateau donne des tensions entre les exilés, en particulier entre Kristina et Ulrika l’ancienne prostituée. Et lorsque les gens découvriront qu’ils ont des poux tout le monde accusera « la catin » , c’est pourtant la seule qui n’en a pas ! Le récit du passé d’Ulrika est d’une tristesse incroyable et mérite si peu l’opprobre des gens dits « honnêtes » qui n’ont jamais aidé la pauvre petite orpheline qui a été violée par son patron !

Nous connaissons bien maintenant ce petit monde d’exilés et la description de ce voyage terrible a été si bien raconté, j’ai vraiment hâte de lire la suite et de voir comment ils vont réussir à s’adapter à la vie américaine, j’espère que le pire est enfin derrière eux !

 

Extraits

Début tome 1

 Voici l’histoire d’un certain nombre de gens qui ont quitté leur foyer de Ljuder, dans le Smâland, pour émigrer en Amérique du Nord.
 Ils étaient les premiers à partir. Leurs chaumière étaient petites sauf quand au nombre d’enfants. C’était des gens de la terre, héritiers d’une lignée cultivant depuis des millénaires la région qui laissait derrière eux.

Instruction.

 La plupart des habitants, tant de sexe mâle que féminin, savaient à peu près lire les caractères imprimés. Mais on rencontrait également, parmi les gens du commun, des personnes sachant écrire leur nom ; ceux dont les capacités allaient au-delà n’était pas légion. Parmi les femmes, seul un petit nombre savait écrire : nul ne pouvait imaginer à quoi cela pourrait servir pour des personnes de leur sexe.

Les malheurs des paysans.

 En juillet, sitôt la fenaison, il se mit à pleuvoir en abondance et une partie du foin fut emportée par les eaux. Une fois ce déluge terminé, le reste s’avéra entièrement pourri et inutilisable. Il sentait si mauvais que nulle bête ne voulait le consommer et, de toute façon il n’avait plus aucune valeur nutritive. Karl Oscar et Kristina durent donc vendre une de leurs vaches. Mais ce ne fut pas la fin de leur malheurs : une autre vache mit bas un veau mort-né et un de leurs moutons s’égara dans la forêt et fut la proie des bêtes sauvages. À l’automne, on constata, dans toute la région, que les pommes de terre avaient la maladie : quand on les sortait de terre près d’un tubercule sur deux étaient gâtés et pour chaque panier de fruits sains que l’on rapportait à la ferme on en avait un de pourris au point qu’on pouvait à peine les donner à manger au bétail. Au cours de l’hiver qui suivit, ils n’eurent donc pas de pommes de terre à mettre dans la marmite tous les jours.

Une idée des prix.

 Avec le lait de leur vache, Nils se Märta faisaient du beurre et le vendaient afin de rassembler l’argent nécessaire pour acheter une Bible alors fils, lors de sa communion. Celle qu’ils lui offrirent était reliée en cuir et n’avait pas coûté moins d’un rixdale et trente-deux skillings, soit le prix d’un veau nouveau-né. Mais elle était solide et on pouvait en tourner les pages. Il fallait bien qu’une Bible soit reliée pleine peau, si on voulait qu’elle vous accompagne toute votre existence.

Portrait des maîtres.

 Aron était coléreux et, quand il s’emportait, il lui arrivait d’assener à ses valets des gifles ou des coups de pied ; mais autrement c’était un brave homme assez bonnasse qui ne faisait de mal à personne. La maîtresse était plus difficile : elle battait tant son mari que les servantes, Aron avait peur d’elle et n’osait pas lui répliquer. Mais tous deux, à leur tour, redoutaient la vieille, l’ancienne fermière vivant dans une mansarde. Elle était si vieille qu’elle aurait dû être dans la tombe depuis longtemps, si le diable avait bien fait son travail. Mais sans doute avaient-ils peur d’elle, lui aussi.

Les premiers émigrants.

 Pour ces gens le pays dont il est question n’est encore qu’une rumeur, une image dans leur esprit personne sur place ne le connaît, nul ne l’a vu de ses propres yeux. Et la mère qui les sépare les effraie. Tout ce qui est lointain est dangereux, alors que le pays natal offre la sécurité de ce qui est familier. On conseille et on met en garde, on hésite et on ose, les téméraires s’opposent aux hésitants, les hommes aux femmes, les jeunes au vieux. Et ceux qui sont méfiants et prudents ont une objection toute prête : on ne sait pas « avec certitude » …
 Seuls les audacieux et entreprenants en savent assez long. Ce sont eux qui réveillent les villages endormis, c’est à cause d’eux que quelque chose se met à vibrer sous l’ordre immuable des siècles.

Je ne connaissais pas le mot marguillier ni leur fonction …

 Il demanda conseil à Per Persson, qui était celui de ses marguilliers en qui il avait le plus confiance. Il n’avait pas eu beaucoup de chance avec les autres : l’un s’introduisait dans la sacristie pendant les jours de la semaine et buvait le vin de messe au point qu’un dimanche le pasteur avait été obligé de renoncer à célébrer l’office. Un autre arrivait ivre à l’église et affichait le numéro des psaumes la tête en bas, sur le tableau prévu à cet effet . Un troisième s’était, un matin du jour sacré de Noël, rendu dans un coin de la tribune et avait uriné au vu de plusieurs femmes assises non loin de là.

Conception de la religion.

 Les gens simples faisaient mauvais usage de leurs lectures. Les autorités devaient se montrer vigilantes et sévères sur ce point : si l’on accordait au peuple un savoir nouveau – qui était en soi un bien – il fallait veiller à ce qu’il n’en mésuse pas. C’était le devoir sacré des autorité. Le peuple avait besoin de se sentir guidé par une main paternelle et le premier devoir de tout maître spirituel était d’implanté dans l’esprit de chacun l’idée que l’ordre établi l’avait été selon la volonté de Dieu et ne pouvait être modifiée sans son consentement.

Début tome 2

Le navire
 La « Charlotta » brick de cent soixante lastes, commandé par le capitaine Lorentz, appareilla de Karlshaml le 14 avril 1850 à destination de New York. Il mesurait cent vingt-quatre pieds de long sur vingt de large. Son équipage était constitué de quinze hommes : deux officiers, un maître d’équipage, un charpentier, un voilier, un cuisinier, quatre matelots, deux matelots légers et trois novices. Il était chargé de diverses marchandises parmi lesquelles des gueuses de fonte.
 Il transportait soixante-dix-huit émigrants partant pour l’Amérique du Nord et avait donc quatre-vingt-quatorze personnes à son bord.
C’était sa septième traversée en tant que transport d’émigrants

Sur le bateau opposition paysan marin.

 On en a pour un bout de temps, sur ce bateau. Aujourd’hui, j’ai demandé à un des marins combien il restait. Il m’a répondu qu’il y avait encore aussi loin d’ici, en Amérique que d’Amérique ici ces quasiment tout pareil. J’ai réfléchi un petit moment, je trouvais ça long. Mais il rigolait ce salaud-là et ceux qu’étaient autour ils rigolaient aussi, eux autres, alors je me suis fâché et pendant un moment j’ai voulu lui taper sur la gueule pour lui faire sortir les harengs qu’il a dans le bidon. Mais je lui ai seulement dit que je me fichais pas mal de savoir si c’était encore loin. Un marin qu’a déjà fait le trajet plusieurs fois, il devrait être capable de vous le dire, sinon il a pas à venir faire le malin et se moquer des gens honnêtes. Va pas croire, je lui ai dit que nous autres de la campagne, on est plus bêtes que vous qu’êtes tout le temps sur la mer. On comprend bien quand on se fiche de notre poire.

Le pasteur illuminé.

 Ma chère épouse redoute la langue que l’on parle en Amérique. La peur d’être sourd et muet parmi les habitants de ce pays étranger. Mais je te répète Inga-Lena, ce que je t’ai dit de nombreuses fois : Dès que nous parviendrons dans ce pays le Saint-Esprit se répandra sur nous et nous permettra de parler cette langue étrangère comme si nous étions nés sur la terre d’Amérique.
 Nous avons la promesse de notre Seigneur et nous avons la parole de la Bible que ce miracle interviendra, comme lors de la première Pentecôte.

Les préoccupations de la femme au service du Pasteur illuminé.

 On dit que le Sauveur allait toujours pieds nus, quand il prêchait parmi les hommes. Mais je suppose qu’en terre Sainte le sol est plus chaud qu’ailleurs, puisqu’il y pousse des figues de la vigne et toutes sortes de fruits. On peut comprendre que le Seigneur et ses apôtres n’est pas eu besoin de chaussettes de laine. Mon cher époux attrape toujours mal à la gorge, quand il a froid aux pieds, et il ne se soucie pas de son ventre comme il le devrait : celui-ci ne s’ouvre pas tous les jours, dit-il. Il est pourtant un bon conseil qui fit : Vide boyaux et garde tes pieds au chaud.

Le passé de la prostituée.

 Je me rappelle à peu près de tout depuis que j’ai été placée, après enchères publiques, à l’âge de quatre ans. J’avais perdu mes parents et l’enfant que j’étais devait être confié à quelqu’un qui acceptait de la nourrir et de la vêtir. J’ai été attribuée au couple d’Ålarum, car c’était lui qui demandait le moins pour mon entretien : huit rixdales par an. Le mari a ensuite regretté d’avoir consenti à me prendre pour si peu : je mangeais trop et j’usais trop de vêtements pour huit rixdales par an. Et mon père a adoptif ma fait payer ses regrets. À l’âge de quatorze ans, il a exigé de moi des compensations en nature. Et une gamine de quatorze ans qui était à la charge de la commune avait un moyen très simple de s’acquitter : il suffisait d’écarter les jambes et de se tenir tranquille.

L’inactivité sur le bateau.

 Pendant près des trois quarts de ces interminables journées en mer, la plupart d’entre eux restaient inactifs livrés à eux-mêmes sans rien pour occuper leurs mains. Et ces gens du labeur n’avaient jamais appris comment se comporter lorsqu’on n’a rien à faire.
 Ils étaient désemparés pendant ces heures d’oisiveté et se demandaient, en regardant la mer : qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Cette eau et ces vagues éternellement recommencées ne leur fournissaient aucune réponse. Il ne leur restait qu’à regarder l’horizon. C’est ainsi que s’écoulaient les jours, qui devenaient des semaines qui devenait alors tour des mois.
 Mais il trouvait le temps long et la vie à bord de la « Charlotta » monotone.

La mer et les paysans

 Ils venaient de la terre et allaient vers la terre. La mer n’était pour eux qu’un moyen de transport dont ils se servaient, une étendue d’eau qu’ils devaient traverser pour retrouver la terre. Ils ne l’empruntaient que pour aller d’un pays à un autre et ne comprenaient pas les marins qui n’allaient nulle part, étaient toujours à bord de ce bateau et ne faisaient que sillonner cette mer. Les paysans partaient dans un but précis, les marins allaient et venaient sans but.


Édition Gallimard, 349 pages, décembre 2023

 

Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour.

 

Voilà un roman pour lequel je n’ai aucune hésitation : j’ai tout aimé et jusqu’à la fin, il est écrit dans une langue claire et précise, quel plaisir de lecture !

Cette autrice raconte le destin d’un homme originaire du Cameroun, exactement d’un petit village sur la côte camerounaise, Campo, qui était un village de pêcheurs du temps de l’enfance de sa mère, et qui devient peu à peu une station balnéaire à la mode.

Trois temporalités et trois voix construisent ce récit.

D’abord, celle de son grand-père Zacharias, pêcheur à bord d’une pirogue qui est marié à une femme énergique et très amoureuse de lui, Yalana. ensemble ils ont eu deux filles, Dorothée la mère du personnage principal et Myriam la petite sœur. Ensemble, il verront arriver la coopérative qui va tuer peu à peu la pêche traditionnelle bien aidée en cela par les compagnies d’exploitation forestière, c’est sa vie et ses rêves qui donneront le titre au roman. La deuxième temporalité est celle de l’enfant de Dorothée, Zack vit avec sa mère dans un quartier très populaire New-Bell, sa mère est devenue une prostituée alcoolique. Zack est l’ami d’Achille et ensemble, ils sont à leur façon heureux mais un drame obligera Zack à s’enfuir du Cameroun à 18 ans, sans dire au revoir à ses amis ni à sa mère. Enfin la troisième temporalité, la voix de Zack devenu psychologue en France et marié à Julienne une psychiatre et père de deux filles. Quand ces trois temporalités se rejoignent , c’est à dire, quand, à 40 ans, il revient au Cameroun, tous les drames de son histoires s’éclairent d’un jour nouveau et lui permettront peut être d’être totalement libre de son destin sans rien renier de son passé.

À travers ce récit, tant de thèmes sont abordés, l’économie post-coloniale, et l’exploitation des populations locales, les injustices dans les pays africains, la force des traditions africaines et leur originalité, le racisme même involontaire en France, les difficultés de l’intégration, les conséquences de l’exil . Et par dessus tout , ce roman est un hymne au courage des femmes, car c’est grâce à elles que Zacharias arrivera à se construire, même si certains hommes ont été là pour lui éviter un sort terrible. Il a eu de la chance dans la vie, celle d’être aimé et de pouvoir suivre des études.

Et je n’oublie pas les descriptions de sites naturels qui m’ont fait voyager bien loin de ma Bretagne très humide et trop souvent grise à mon goût. Voilà j’espère vous avoir donné envie de le lire et de partager mon plaisir.

PS Gambadou avec qui je suis souvent d’accord est plus réservée que moi.

 

Extraits

Début.

À l’endroit où le fleuve se précipite dans l’Atlantique, l’eau est ardoise et tumultueuse. Elle s’éclaircit à mesure qu’elle s’éloigne des côtes, en nuances de gris de plus en plus claires, pour finir par refléter la couleur du ciel lorsque celui-ci devient le seul horizon.
 Le Pêcheur s’était lever tôt, comme à son ordinaire. Il s’éveillait avant Yalana et l’attirait doucement à lui. Elle protestait un peu dans son sommeil mais ne se dérobait pas. De dos, elle venait se lover contre lui dans une douce reptation, et son souffle de dormeuse s’apaisait à nouveau.

Les dangers du métier.

 Son père était pêcheur lui aussi, comme tous les hommes de sa famille depuis que le fleuve est l’océan s’épousaient ici. Un jour il était parti et n’était pas revenu. Un mois d’octobre, en plein cœur de la saison des pluies. Dans ces moments là, les pêcheurs savent que les eaux sont tempêtueuses, violentes et traîtresses : les repères se brouillent, les distances sont mensongères, les courants capricieux. Dans les contes pour enfants, le fleuve femelle s’emplit d’une eau étrangère telle une femme enceinte et l’océan mâle ne peut l’accueillir avec sérénité, alors il se met en colère, il enrage, il déborde et les baïnes sont furieuses. Même les plus jeunes savent que la période n’est pas propice à la baignade, qu’il vaut mieux se tenir loin des époux querelleur. La plupart des piroguiers abandonnent leur activité en pleine mer pour revenir à l’agriculture ou à une pêche moins risquée dans le fleuve. La saison des pluies correspond aux récoltes tous les bras valides sont sollicités.

Le passé du narrateur.

 Le passé remonta dans une houle si violente que j’en fus submergé. La vérité, c’est que ma mère était alcoolique et prostituée. Je l’aimais plus que tout au monde, pourtant je l’avais quitté sans un regard en arrière. Toutes ces années, je ne l’avais pas contactée, j’ignorais même si elle était vivante ou morte.

La fin de la pêche artisanale.

Les chalutiers ratissaient littéralement des bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre (…).
 Lorsque les premiers dérèglements apparurent les pêcheurs firent preuve de bonne volonté, ils travaillèrent davantage. Mais leurs conditions continuèrent de se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rembourser leurs dettes. C’est alors que la coopérative leur fit une dernière proposition : ils devaient travailler gracieusement à bord des chalutiers jusqu’au solde de leurs créances ensuite seulement ils recommenceraient à percevoir un salaire complet.

Les bourses.

 Et j’inventai le reste : mes parents morts tous les deux dans un accident de voiture, le rejet du reste de la famille, puis la chance de bénéficier d’une bourse d’étude grâce à mes résultats scolaires. Le tout se tenait tant que je n’avais pas à faire à des Camerounais. Eux savaient que le gouvernement n’attribuait plus de bourses, celles qui existaient étaient offertes par des organismes internationaux ou directement par des universités occidentales, et les élèves pauvres n’y avaient pas accès, elles disparaissaient dans les réseaux de gosses de riche.

La fuite dans l’exil.

 Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aura fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouver mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlés. Toutes les années, tous les instants, un à un sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyage l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi dans cet éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. 

L’intégration.

Je suis comme beaucoup d’immigrés, à chaque dégradation, délit, crime, chaque fois qu’un fait divers s’étale à la une des journaux, ma première pensée ne va pas à la victime, mais à la personne incriminée. Je pense d’emblée : « Pourvu que ce ne soit pas un Noir. » Il n’y a pas de singularité possible, nous sommes une communauté pour le pire. Les meilleurs d’entre nous, ceux qui se distinguent positivement, sont français, les pires sont ramenés à leur statut d’étrangers. Rien n’est acquis, le premier imbécile venu peut vous dire : « Rentrez chez vous », comme on vous foutrait à la porte. 

 


Édition Acte Sud, 139 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Le sermon sur la chute de Rome » voici ma deuxième rencontre avec cet auteur, dont j’aime tant le style et la façon de raconter.

Deux thèmes s’entremêlent dans ce roman, (encore) la Corse et ses violences si particulières : laver son honneur dans le sang , et le tourisme qui peu à peu ravage la planète. Comme dans le précédent roman Jérôme Ferrari ancre son récit dans le passé historique. Cette fois il raconte la prophétie de la ville sainte d’Harar à qui on avait promis le déclin si un chrétien en ressortait vivant. L’explorateur britannique Richard Francis Burton a réussi cet exploit et la prophétie se réalisera. À l’image de cette prophétie, Jérôme Ferrari décrit les invasions touristiques de tous les plus beaux lieux de la planète , son message : ne laissez aucun touriste revenir d’un lieu que vous voulez garder secret sinon il sera peu à peu envahi et dénaturé, jusqu’à l’actuelle arrivée dans des navires de croisières transportant des milliers de touristes qui se déversent sur les côtes ( regardez bien la couverture du livre !)

La Corse, donc Le narrateur y est professeur et il y compte aussi ses amis d’enfance , il connaît bien les Corses en particulier Philippe qui s’est enrichi grâce au tourisme sans beaucoup travailler. Son propre fils un bon à rien qui trouvera que son honneur est bafoué et pour une bouteille d e vin , il tentera de tuer un homme qui l’a déshonoré – on met son honneur où on peu t !

Tout le plaisir de ce roman vient de l’écriture à la fois précise et souvent drôle , la charge anti-touristes est un peu forte surtout à la fin, car cela monte en puissance, mais qui n’a pas vu ces énormes navires débarquer leurs flots de touristes en continue en submergeant les villes dans lesquelles on aime se promener ne peut sans doute pas lui pardonner son outrance.

J’ai cherché d’où venait le titre du roman, il est inspiré par l’île de North Sentinel dans le golfe du Bengale, dont la tribu autochtone a tué jusqu’à aujourd’hui tous ceux qui ont essayé de s’y rendre, y compris un missionnaire en 2018.

Est-ce qu’il aurait fallu le faire en Corse pour éviter le tourisme actuel ? Les corses avaient des dons pour la violence, mais ils aiment aussi l’argent sans trop se fatiguer ! (D’après ce roman … pas selon mon expérience, je me méfie de la vengeance possible des autochtones ! )

Extraits

Début

 On raconte encore que, dans l’après-midi du 3 janvier 1855, malgré la vénérable prophétie annonçant la ruine de la ville sainte peu de temps après qu’un infidèle l’aurait impunément souillée de sa présence le sultan Ahmad ibn Abu Bakr consentit à ce que le capitaine Richard Francis Burton franchit les portes inviolées de la cité de Harar. Il lui accorda une hospitalité soupçonneuse de dix jours avant de le laisser repartir saint et sauf, privilège dont aucun Européen n’avait joui jusqu’alors. S’il avait pu savoir que Harard tomberait en 1875, alors que lui-même était mort de consommation dix-neuf ans plus tôt dans l’amertume et le regret Ahmad ibn Abu Bakr n’aurait sans doute pas commis l’erreur fatale d’épargner le capitaine Burton et il aurait eu raison.

Prétention et humour

 Le fait désolant que leur premier-né mâle reçoivent systématiquement des prénoms de rois, d’empereurs ou de héros antiques est sans doute un symptôme particulièrement transparent de leur mégalomanie comme de leur absence totale de sens du ridicule : les Romani portant haut, et qui plus est fièrement, l’étendard de l’inculture, ils ignoraient évidemment tout de l’origine exacte des personnages historiques ou légendaires qui rendirent ces noms illustres et ils ne leur parurent jamais étrange comme l’atteste leur grotesque généalogie, qu’un Hector put engendrer un Achille, ou qu’un Hamilcar fût le grand-père de Scipion – ce qui me permet d’affirmer, sans crainte d’un démenti, que l’heureuse séquence Philippe-Alexandre ne peut être que le fruit du hasard ou le résultat d’une intervention de Catalina.

La Corse et le tourisme

 Contre toute attente, alors que les personnes sensées avec toujours fui en été le bord de mer caniculaires et malsain, une folie collective poussait désormais à s’amasser sur les plages des foules de plus en plus compactes d’abrutis extatiques qui venaient ici cultiver leurs futurs mélanomes en s’enduisant de monoï et de graisse à traire sous le soleil brûlant, se faire piquer par les moustiques et les guêpes insatiables, partageaient leurs miasmes et leurs mycoses dans la tiède infusion de la Méditerranée et qui, de surcroît, était prêt à payer pour le faire. Les Romani possédaient évidemment une bonne partie du littoral, et ces étendues stériles de roches et de sable dont personne n’aurait voulu quelques années plus tôt valaient maintenant une fortune.

En1933 , une journaliste vient interroger Pierre-Marie Romani : naissance d’une légende.

 Désormais, il lui fallait seulement, avec l’aide active d’une population qui le vénérait, éviter les gendarmes rêvant de le conduire à la guillotine et supporter les misères d’une vie de réprouve, la solitude des nuits dans la campagne, avec pour seule satisfaction la certitude de n’avoir pas failli. C’est derniers points étaient très exagérés : pour l’heure, les gendarmes ne se souciaient guère de lui et, la plupart du temps, il dormait chez ses parents dans la chambre de son enfance. Le reste était entièrement faux. Mais Pierre-Marie savourant la joie d’être devenu, par la seule force de son récit mensonger, celui qu’il aurait tant voulu être. 

Changement des comportements touristiques.

 

À la fin des années 1990, après s’être exclusivement consacrés au bronzage sur les plages, ils commencèrent à penser – ou plus probablement quelqu’un pensa pour eux- qu’il serait bon de diversifier leurs activités, de se rapprocher de la nature et de s’intéresser aux cultures indigènes et ils décidèrent de partir en quête de l’authenticité que nous étions bien sûr tout disposés à leur vendre.
 Ils se mirent donc à arpenter en masse les chemins de randonnée, troquant avantageusement leur coup de soleil, piqûres d’oursin et hydrocution pour des ampoules, des morsures de punaises de lit, des entorses et des chutes mortelles au fond de ravins oubliés.
 Ils exigèrent de manger local. D’écouter de la musique locale. Ils tenaient absolument à ce que leurs vacances aient du sens.
Nos avant et arrière saison jusqu’ici épargnées, virent débarquer des troupes de retraités lubriques, de sportifs de l’extrême et de jeunes actifs que ne contraignait pas encore le calendrier scolaire.

 

 

L’explication d’un crime pour la policière en charge du crime.

Dans sa longue et épuisante fréquentation du crime, Sévrine Boghossian n’a jamais cessé d’être sidérée face à la disproportion presque systématique entre les actes dont elle était le témoin et les raisons qui les avaient fait advenir, comme si la chute virevoltante d’une feuille d’automne creusait dans le sol un cratère, une disproportion si incommensurable que Séverine Boghossian a toujours eu le sentiment, en découvrant un mobile, non d’avoir obtenu une explication propre à satisfaire aux exigences de la raison mais, bien au contraire d’être à nouveau plongée tout entière au cœur d’une énigme qui revenait la submerger et la faisait suffoquer et qu’elle ne résoudrait jamais


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères.