Pendant les derniers mois de l’année 2015, il a été beaucoup question de relecture, j’ai mis sur ma liseuse tous les classiques que je veux relire. J’ai choisi de relire « Madame Bovary » (que vous connaissez tous et toutes) car j’ai été passionnée par un débat sur France Culture, animé par Alain Finkielkraut, lors de son émission « Répliques » du 28 novembre 2015. Étaient invités : Suzanne Julliard qui vient de publier une anthologie de la prose française ordonnée par genres ( des orateurs aux critiques) et le comédien Fabrice Luchini.
Suzanne Julliard affirmait que, si la langue de Flaubert était travaillée à la perfection, elle n’était en aucun cas poétique. Ma relecture très attentive me place dans son camp. Pourtant Luchini et Finkielkraut étaient tellement passionnés que j’aurais aimé qu’il en soit autrement. J’ai lu « Madame Bovary » plusieurs fois, mais toujours dans des cadres scolaires puis universitaires. Je me souviens combien, au lycée, j’avais été agacée par cette Emma qui me ressemblait si peu, toujours à rêver sa vie au lieu de la vivre.
Et puis, sont parvenus jusqu’à moi, sans pour autant que je relise cette œuvre, les débats menés par les féministes de notre époque accusant Flaubert, d’avoir fait une héroïne avec des yeux de « mâle dominant » occidental. Je trouvais ce débat stérile, et je ne voulais pas m’y intéresser. J’ai repris ce roman avec des préjugés favorables pour ce qui est considéré, à juste titre, comme un monument incontournable de la littérature française. Et de nouveau, Emma m’a prodigieusement énervée, mais je ne comprends absolument pas les propos des critiques féministes, car les hommes sont d’une nullité crasse, seul Charles grâce à son amour sans faille pour sa trop jolie femme, a une présence plus sympathique que l’ensemble des personnages.
C’est un livre désespérant, car personne n’est habité par un sentiment positif pour ce qui fait le sel de la vie, les joies intellectuelles ou les satisfactions physiques. Emma les rêvait dans la réalisation d’un amour passionné, et finalement, étant donné le cadre monotone de sa vie qui peut lui donner tort ? Elle vit à travers ses romans, mais nous blogueuses et plus rares blogueurs, ce sont pour nous aussi de moments délicieux que ceux passés parmi nos lectures. Je vais sans doute résumer le drame d’Emma a bien peu de choses, mais si elle s’était réalisée dans la société autrement que comme la femme de Charles Bovary, Flaubert n’aurait eu à se mettre sous la dent que la série de portraits d’hommes aussi peu reluisants que, Homais, le pharmacien qui se croit savant alors qu’il est tout juste scientiste borné, Rodolphe, le jouisseur, L’heureux l’usurier escroc, Léon le pâle amoureux arriviste et j’en passe.
C’est donc un roman désespéré et je suis vraiment contente de n’avoir pas à l’expliquer à la jeune génération. À la relecture, je me disais sans cesse combien je préfère la lecture de Maupassant autrement plus humain que ce Flaubert qui s’est si bien corseté pour écrire son chef d’œuvre, qu’il ne laisse aucune chance à la vie pour se faufiler à travers les interstices de nos rêves et nos délicieux fantasmes.
Citations
Poésie ? Charles amoureux et heureux
Et alors, sur la grande route qui étendait son long ruban de poussière, par les chemins creux où les arbres se courbaient en berceaux, dans les sentiers dont les blés lui montaient jusqu’aux genoux, avec le soleil sur les épaules et l’air du matin à ses narines, le cœur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente, il s’en allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mâchent encore après dîner, le goût des truffes qu’ils digèrent.
Emma et la recherche du bonheur
Avant qu’elle se mariât, elle avait cru avoir de l’amour ; mais le bonheur qui aurait dû résulter de cet amour n’étant pas venu, il fallait qu’elle se fût trompée, songeait-elle. Et Emma cherchait à savoir ce que l’on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d’ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres.
La vie de couple
La conversation de Charles état plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie.
Solitude (poésie ?)
Comme les matelots en détresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.
Phrase célèbre
Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.
Cruauté de Flaubert envers les femmes
L’aplomb dépend des milieux où il se pose : on ne parle pas à l’entresol comme au quatrième étage, et la femme riche semble avoir autour d’elle, pour garder sa vertu, tous ses billets de banque, comme une cuirasse, dans la doublure de son corset.
Remarque à méditer sur l’amour
Mais le dénigrement de ceux que nous aimons toujours nous en détache quelque peu. Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains.
Une belle réaction d’Emma
Vous profitez impudemment de ma détresse monsieur ! je suis à plaindre, mais pas à vendre !
Victoire d’Homais, dernières phrases du roman
Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans pouvoir réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il fait une clientèle d’enfer ; l’autorité le ménage et l’opinion public le protège.
Il vient de recevoir la croix d’honneur
Merci beaucoup pour ce post, et notamment la référence à l’émission radio que je vais m’empresser d’écouter, ainsi que les citations bien choisies. Un livre de plus à rajouter sur ma PAL !
Je pensais que tout le monde avait lu ce roman. Il est une référence pour tant de discussions autour de la littérature, comme le prouve l’émission qui j’espère vous interessera autant que moi.
« «Madame Bovary», ce n’est qu’une pauvre conne de province qui s’emmerde dans la vie qui s’envoie en l’air avec un mec de passage et qui se suicide parce qu’elle comprend tout ça. » : dixit Jean-Bernard Pouy…
Que de mépris dans ce jugement : j’habite en Province , j’aime quand je peux « m’envoyer en l’air » mais j’adore la vie et je ne me suiciderai que si la vie me quitte … et surtout comme Emma j’ai compris une grande partie de la vie grâce aux livres. Et pour moi elle est la moins sotte de tout le roman .
Madame Bovary j’en ai d’excellents souvenirs… Merci pour cette piqure de rappel :-)
moi je n’en avais que des souvenirs mitigés , elle m’agace à passer ainsi à côté de sa vie .
Est ce que tu as vu le résumé qu’en fait Rochefort ? Hilarant et bien vu !
https://www.youtube.com/watch?v=16ubmu7qbJc
c’est vrai qu’il m’avait fait sourire !
J’ai voulu le relire il y a quelques années et je me suis autant ennuyée que la première fois. Peut-être parce que l’époque et le personnage sont très éloignés. Mais la mentalité d’un petit bourg normand est très bien vue. Et tu as raison, Emma n’a pas à rougir de ce qu’elle est, son entourage n’est pas brillant …
Je ne me suis pas ennuyée mais elle m’agace , je le redis avec toi le personnage le plus critiqué par Flaubert c’est Homais la bêtise scientiste que l’on retrouve dans « Bouvard et Pécuchet » que je trouve très ennuyeux (avec quelques bons moments) Emma trouve quelques excuses et a quelques bons moments.
J’aime beaucoup ce roman, Flaubert propose des pages d’un lyrisme brûlant !
« Lyrique » mais se moquant toujours du lyrisme , dans madame Bovary c’est toujours à double détente. Si tu écoutes l’émission de Finkielkraut tu seras sans doute plus du bord de Luchini que de Suzanne Julliard.
je ne l’ai jamais trouvé sotte et c’est sans doute pour cela que je supporte la prose de Flaubert que je trouve un peu lourde à mon gré
Emma j’aime la voir jeune fille avec ses rêves et je suis d’accord pour dire que les hommes qu’elle rencontre sont tout sauf d’un haut niveau !! ah le pharmacien veule et mauvais et son bel étalon fade et sot ….le pauvre Bovary en apparaîtrait presque comme sympathique
tu me donne envie de le relire ou plutôt d’ailleurs de l’écouter un de ces jours
la langue est superbe même si elle n’est donc pas poétique , j’ai pensé à toi et à tes re-lecture en lisant celui-ci
Une lecture qui remonte à la fin du collège. Je n’avais pas les armes critiques et un vécu de lecteur suffisant pour appréhender les subtilités de ce roman. J’avais juste gardé en mémoire la façon de travailler de Flaubert et son fameux gueuloir.
le gueuloir explique le côté parfait des phrases , on a souvent dégouté de jeunes lecteurs avec des romans lus trop tôt . Et parfois c’est le contraire : on les a ennuyés avec des œuvres trop fades.. compliqué!
Ah Mme Bovary ! J’en garde un souvenir précieux ! Je l’ai étudié en licence de lettres et grâce à un professeur extraordinaire qui nous lisait des passages du roman avec un grand talent, j’ai adoré ce livre ! Je ne le relirai pas (pas encore) parce que je garde ce souvenir merveilleux en tête… Ton article est très intéressant Luocine !
Les études universitaires sont plus adaptés à Flaubert que le lycée . Je suis contente de t’avoir rappelé de bons souvenirs
Etudié au lycée (bof) puis relu adulte (aaaaaaaah trop bien). Pas poétique pour un sou, à mon avis. Tu devrais lire maintenant Gemma Bovery pour te détendre.
Et j’en ai marre de rentrer les captcha, à chaque fois on me dit wrong cpatcha, cela fait une semaine qu’on me fait le coup!
je vais essayer de l’enlever, mais tu sais, j’ai vraiment eu des attaques de robots très embêtantes
Je ne sais pas ce que j’en penserais si je devais le relire aujourd’hui…
L’avantage des « re »lectures c’est qu’on n’est pas obligée de les faire. Sans pression académique, on se sent plus libre de ses impressions.
Moi, c’est justement cette double entente qui me fait jubiler, ( la scène des Comices, je rigole toute seule !) et puis, elle a des excuses Emma à ne pas pouvoir vivre sa vie, elle prend ce qu’elle a sous la main, la pauvre ! Ses rêves sont formatés, il est vrai, mais c’est bien la peinture d’une époque « corsetée » !
J’ai aimé ton billet et ton analyse, ton retour sur ce livre en tentant de faire abstraction de ce qui accompagne forcément une lecture comme celle-ci, avec laquelle on n’est plus vierge… J’avoue ne pas garder non plus un souvenir transcendé de ce livre, et dans le genre, je te rejoins, je préfère le ‘Une Vie’ de Maupassant, par exemple…
Je suis bien d’accord avec toi .la relecture est enrichissante à défaut d’être convainquante