Éditions Buchet-Chastel, 142 pages, juin 2005.

On s’attache, même aux pires endroits, c’est comme ça. Comme le graillon au fond des poêles.

 

Sur la blogosphère, j’ai lu un billet à propos de « les féroces soldats » qui n’est pas encore dans ma médiathèque, mais celui-ci y était. Cet écrivain a reçu le pris du livre Inter, pour ce court récit, qui fait partie des livres qui me désolent pour le contenu et m’enchantent pour l’écriture.

Dans un style incroyable, mêlant rythme , humour et poésie, Joël Egloff exprime son désespoir de grandir dans une région industrielle totalement polluée. Ce n’est pas une description réaliste, mais cela ne l’empêche pas non plus d’être vraie. Et le seul lieu d’embauche qui assure un salaire stable c’est un énorme abattoir. Donc le personnage gagne « sa vie » parce qu’il sait donner la mort !

Aujourd’hui que cette région n’est plus industrielle, l’air y est peut-être plus sain ? Deviendra-t-elle une région touristique ?

Je ne regrette pas cette lecture et je lirai certainement son récit autobiographique qui raconte le passé de son père dans les « malgré nous ».

 

Extraits

Début.

Quand le vent vient de l’ouest, ça sent plutôt l’œuf pourri. Quand c’est de l’est qu’il souffle, il y a comme une odeur de soufre qui nous prend à la gorge. Quand il vient du nord, ce sont des fumées noires qui nous arrivent droit dessus. Et quand c’est le vent du sud qui se lève, qu’on n’a pas souvent, heureusement, ça sent vraiment la merde, y a pas d’autre mot.

Humour sarcastique.

Pour découvrir le paysage, pour mieux se rendre compte, le plus simple c’est encore d’aller faire un tour au syndicat d’initiative. Là-bas quand c’est ouvert le premier samedi du mois, de dix heures à midi, on peut trouver un petit plan mal photocopié, un itinéraire pédestre qu’ils donnent pour rien en faisant la gueule. 


Éditions Robert Laffont, 270 pages,octobre 2024

Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce roman est un monologue d’une employée de maison qui, dès les premiers mots, parle de la la mort de l’enfant de ses patrons qu’elle veut expliquer à des gens qui l’écouteraient au delà d’une vitre d’un lieu où elle est enfermée. Nous avons donc la description de la vie d’une employée de maison au Chili, une domestique servile qui subit le mépris de classe de ses patrons. Le titre est bien choisi, les patrons n’ont qu’une idée : les apparences doivent être impeccables, propres , beau couple, réussite professionnelle de Monsieur et de Madame, petite fille qui reçoit une éducation élitiste, et une employée discrète et efficace. Derrière cette superbe façade, que de souffrances ! Monsieur et Madame ne s’aiment plus, se détestent carrément, la petite fille ne supporte plus la pression qui s’exerce sur elle, elle est malheureuse et devient méchante en particulier avec l’employée de maison, l’employée ressent très bien le mépris de ses patrons. Ce roman permet de comprendre le statut d’employée de maison. Les patrons se sentent sans reproche, ils la payent plutôt bien, ils l’associent à la fête du nouvel an, ils ont des paroles pleine de compassion lors de la mort de sa mère. Mais elle, Estella Garcia, n’est jamais bien dans la situation, car elle voit tout ce qui va mal dans cette famille, en particulier les souffrances de la petite fille. Elle ne peut jamais être, elle même et doit correspondre à l’image de l’employée discrète et efficace. La routine est cassée par un chien que l’employée aurait voulu adopter, et un braquage dans la belle maison saccagée par des malfaiteurs. Mais rien n’empêche le malheur d’avancer et de tisser un piège dans lequel une enfant de 7 ans trouvera la mort.

Roman surprenant mais qui ne m’a pas convaincue, le personnage est très compliquée à comprendre. Il est plus ou moins évoqué que la situation de domestique au Chili était sans doute plus facile à accepter lorsque les employées étaient des illettrées. Mais Estella est éduquée et comprend sans l’accepter son statut. Elle raconte sa vie et semble n’avoir jamais aimé que sa mère. Elle raconte des épisodes de révolte de son enfance lorsqu’on a voulu la séparer de sa mère. Il semble que sa seule solution c’est de quitter sa région du Sud Chili pour aller travailler à Santiago et accepter ce poste dans une famille de Santiago qui attend un bébé. Mais c’est tellement évident qu’elle ne peut pas accepter cette vie. L’auteure décrit une société très clivée dans laquelle les gens pauvres ont peu de chance de s’en sortir.

Le début du roman est prenant mais la fin est un peu bizarre, l’arrivée des rats, la mort du chien, le père de famille qui confie à l’employée qu’il s’est fait voler ses papiers par une prostituée et qui sera sans doute responsable du braquage de la famille. En réalité trop c’est trop, à force de vouloir démontrer les injustices au Chili, l’auteure charge un peu trop la barque !

 

Extraits

Début.

Je m’appelle Estela, vous m’entendre ? Es-te-la Gar-ci-a.
Je ne sais pas si vous enregistrez, prenez des notes, si il y a quelqu’un de l’autre côté en réalité, mais si vous m’entendez, si vous êtes là, je vous propose un marché : je vais vous raconter une histoire et à la fin, quand je n’aurai plus rien à dire, vous me laisserez sortir d’ici. 

Pour donner une idée du récit .

Ce matin-là j’avais passé la serpillière et ciré, changé les draps et les serviettes, lavé à grande eau l’entrée. Dans quelques heures les invités arriveraient pour dîner. J’aurais aimé être prévenue avant, c’est tout. Laisser la cire pour plus tard, répartir mon énergie. Mais qu’importe mon énergie ? Discrète et obéissante, je suis partie au supermarché. 

La tonalité du roman.

J’ai aussi compris qu’il n’existait pas de mots pour tout dans ce monde. Et je ne parle pas de mourir ou de vivre , je ne parle pas de phrases comme :  » La douleur n’a pas de mots. » Ma douleur, elle, avait des mots, mais pendant que je râlais la cuvette des toilettes, les moisissures de la baignoire, ou que j’épluchais un oignon, je ne pensais pas avec des mots. Le fil qui unissait les mots et les choses s’était debout et il restait juste le monde, c’est tout. Un monde sans mot.


Éditions Joelle Losfeld, 144 pages,

 

En lisant ce roman , je me disais mais j’ai déjà lu cette histoire, mais où ? L’attentat à Roubaix d’un café populaire fréquenté par des Algériens, c’était déjà dans le précédent roman de Michel Quint  : « Apaise le temps« . Et sur Luocine, on trouve aussi « En dépit des étoiles » .

J’apprécie beaucoup la sensibilité de cet écrivain, il sait la faire partager à ses lecteurs. Son personnage principal est l’enfant d’un homme qui exerce sans beaucoup de conviction le métier d’agent immobilier. Nous sommes donc face à deux moments dans ce récit, l’enfance du narrateur élevé par un père célibataire et sa vie aujourd’hui de montreur de marionnettes. Un tout jeune homme dans le coma sera le lien entre ces deux moments de vie, car René, le montreur de marionnettes vit avec Daisy une infirmière dans un service pour enfants, et demande à son compagnon de faire sourire les enfants malades grâce à son talent de marionnettiste. Cette fois Louis, n’a pas de cancer, mais il est dans le coma à la suite d’une bagarre dans son lycée, car il a voulu défendre une « beurette ». Avec ses marionnettes Louis lui raconte sa vie et surtout son grand amour pour Halva, une jeune fille métissée d’origine algérienne et d’un pied noir. Elle est la fille d’Aïcha le grand amour de son père.

Et voilà , nous retrouvons le thème du précédent roman, de quel côté était son père lors de la guerre d’Algérie qui a traversé la France dans les années 50, le petit enfant élevé dans un quartier populaire de Paris a bien du mal à comprendre pourquoi il n’a pas de mère et pourquoi les amis de son père sont violemment rejetés par les anciens amis que lui aimait beaucoup. Nous comprenons vite que des affaires louches en rapport avec l’OAS tournent autour de son père et expliquent les différentes ruptures de son père. Il coupera tous les liens avec ces gens malfaisants en revenant vivre à Lille.

Aîcha son mari et sa petite fille Halva, les y rejoindront . Douce période de Bonheur jusqu’à l’attentat qui coûte la vie au mari d’Aïcha.

Il reste au romancier à raconter les retrouvailles avec la mère de cet enfant et à expliquer les ruptures de son père avec les femmes qu’il a aimées. Parce que dans ce parcours de vie, il y a bien « l’espoir d’aimer » pour le père comme pour le fils.

Je suis sensible à cette façon de raconter notre pays et son histoire, mais j’ai trouvé que, dans ce roman, l’auteur utilisait trop de cordes sensibles : les enfants, qui meurent du cancer à l’hôpital , l’adolescent dans le coma pour s’être opposé à des voyous racistes, les parents (riches bourgeois) du jeune qui ne viennent pas lui rendre visite, le dévouement des infirmières, sa mère qui s’engage dans le FLN par amour d’un bel Algérien qui « baise » mieux que le père de l’enfant (j’utilise ce mot car sa mère revendique sa vulgarité) , son père complètement dévoué à son fils .

Bref, j’ai des réserves et pourtant j’ai été touchée par cette lecture.

Extraits.

Début.

Sait-on jamais où commence l’irréparable… ? Quel mot, quel geste, quelle miette de vie oubliée au bord d’un jour sans date, au revers d’une nuit perdue, finit par peser plus lourd qu’un destin arrêté par les dieux … ? À quel moment insidieux notre histoire se confond avec celles des peuples, des nations, les guerres et la barbarie, et les instants d’humanité… ? Quand est-ce qu’on ne s’appartient plus … ? On reconnaît trop tard nos minuscules fatalité pour en jouer ou les éviter, et le reste est vanité. 

Tristesse des souvenirs d’enfant.

On n’avait pas de voiture, papa trouvait ça inutile, le métro c’était mieux, et puis il aimait pas conduire… Le zinc aussi, je l’ai pas mal conservé en mémoire, plus haut que moi, où mon père buvait des Cinzano et où je m’appuyais, au niveau de grosses roses sculptées dans le corps du comptoir, en attendant qu’il ait fini de s’engueuler politique avec le patron et des types, sans voir les femmes fardées qui me faisaient goûter leur verre tout sucré. Pauvre marmot, tiens bois , c’est un fortifiant meilleur que l’huile de foie de morue, qu’elles disaient.

Les activités de son père .

Une fois papa a déboulé me récupérer en pleine opération. Il a serré la main au chef FPA ,vous donnerez mon bonjour à M. Papon…Par la suite, j’ai appris qu’il gérait désormais pour la préfecture de police une partie des garnis dont on faisait valser les locataires. Pardi , un homme serviable , mon papa … !

 


Éditions de l’Olivier, 263 pages, septembre 1997.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’apprécie beaucoup la personne qui a mis cet auteur au club de lecture, j’ai voulu jouer le jeu et donc, j’ai de nouveau lu un roman de son auteur fétiche. Nous retrouvons un Paul dépressif, gravement cette fois, car il est interné dans une clinique psychiatrique à Jérusalem, nous retrouvons Anna sa femme victime d’un accident, elle aura la main coupée dans un accident de ski nautique, nous retrouvons la tondeuse à gazon, et la haine de l’auteur pour les religions, ici le judaïsme.

Donc le roman peut s’installer, Paul va divorcer d’Anna qu’il a beaucoup aimée, il est le jumeau d’un Simon diabolique et extrémiste juif qui va le manipuler et le faire mourir dans la clinique psychiatrique. Entre temps, il sera amoureux d’une superbe météorologue ce qui nous vaut de belles scènes érotiques.

Je n’ai pas réussi à m’intéresser à cette histoire si ce n’est aux descriptions très réalistes des phénomènes météorologiques. Il y a aussi de très belles scènes érotiques, je dois le dire si cela peut vous motiver à lire ce roman .

Comme le rendez-vous du club aura lieu avant que je fasse paraitre ce billet, j’espère pouvoir vous expliquer pourquoi cet auteur plaît tant aux lectrices de mon club.

Sur mon blog cela fait le quatrième roman de cet auteur : (les accommodements raisonnables 22 février 2021) (Une vie française 2 septembre 2024) (Si ce livre pouvait me rapprocher de toi 6 septembre 2024)

 

Extraits.

Début.

J’ai enterré trop de chiens pour feindre d’ignorer ce qui m’attend. Tout n’est plus désormais qu’une question de temps, de patience. Autrefois, je me vantais d’aimer la compagnie des mouches. Désormais, je trouve leur empressement déplacé quand je les vous, fébriles, téter mon épiderme.

La belle famille.

Plus tard, une fréquentation plus assidue de ma belle famille devait me révéler que mon premier jugement avait été le bon. Les Baltimore n’étaient pas véritablement antisémites, mais, pour autant, ne se cachaient pas de leur défiance vis-à-vis de tout ce qui n’était pas blanc, occidental et chrétien.

L’indispensable tonte de gazon.

J’ai toujours aimé tondre les pelouses. C’est une de les douces perversions. Pour tromper mon angoisse et tandis qu’Anna se reposait sous la véranda, je décidai donc de me livrer à cette activité. Je ne possédais alors, qu’une modeste machine autotractée, qu’il fallait en réalité pousser comme un damné….

Anna, sa femme.

Aujourd’hui, avec le recul, je dirais de ma femme qu’elle savait souffrir en silence et tourmenter les autres par ses propos. Elle était, certes, intransigeante, mais possédait aussi cette qualité rare qui me fascinait, à laquelle je tenais plus, que tout et qui me faisait oublier le reste : Anna était incapable de simuler. Qu’il s’agît de plaisir ou de bonheur.

L’humour.

Au fil de mes voyages, j’ai découvert que les Québécois étaient des Français bien élevés. Là-bas rien ne semblait grave. Pas même d’être chauve. Un proverbe ne disait-il pas : » le Seigneur est juste, le Seigneur a donné un cerveau aux justes, et juste des cheveux aux cons. » ?

 


Édition Zulma, 241 pages, septembre 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

J’avais tellement aimé « La vérité sur la lumière » je savais que je lirai celui-ci, comme tous les autres romans de cet auteur . Il se trouve qu’à mon club de lecture j’ai proposé un thème : « Au bonheur des langues », et ce roman a, évidemment, toute sa place dans ce thème. Le personnage principal, narrateur, Alba est une linguiste professeur d’Université qui s’intéresse en particulier aux langues qui sont parlés par si peu de locuteurs qu’elle risque de disparaître. J’ai souvent pensé au livre que j’ai tant aimé « la poésie du Gérondif » de Jean-Pierre Minaudier. Elle est aussi traductrice, et relectrice des romans qui paraissent en Islande. Toutes les remarques sur la langue islandaise (et elles sont nombreuses) , montrent que cette langue est incroyablement difficile à apprendre et aussi à écrire, un moment la narratrice se demande si cette langue ne fera pas un jour partie des langues qui vont disparaître.

La façon dont l’auteure construit son intrigue me plaît beaucoup. Car il s’agit bien d’un roman et pas d’un essai sur la traduction ou la langue islandaise, cela sert d’arrière plan à son intrigue qui est comme une esquisse posée sur un décor. Et quel décor ! pour des raisons que nous comprendrons peu à peu, Alba a acheté une maison isolée dans la campagne islandaise, elle décide d’y planter des arbres. Dans le petit village qui est à côté de chez elle, elle découvre un épicier incroyable qui l’aide à trouver des artisans pour remettre sa maison en état. Grâce à lui, elle découvrira une famille d’émigrés qui a bien du mal à s’adapter à la rudesse du climat islandais. Un adolescent jouera un rôle important dans ce roman, il permet au lecteur de comprendre à quel point il est difficile pour des gens qui viennent de pays ensoleillés de se plaire en Islande, quant à la langue c’est un véritable casse-tête. Alba va mettre ses compétences aux services des émigrés qui ne parlent pas la langue et des liens plus forts vont se tisser avec Danyel l’adolescent qui fait tout pour rester dans ce pays qu’il ne veut plus quitter.

Et il y a aussi son père qui est une présence si affectueuse pour sa fille et qui grâce à son meilleur ami qui est un amoureux des arbres aide sa fille dans le choix des arbres à planter, dans sa propriété ? Et il y a sa sœur, qui commence toutes ses phrases par « Et » .
Et moi ? je ne vous ai encore rien dit de l’intrigue, Alba, a eu une relation d’un étudiant dont elle dirigeait la thèse . Cet étudiant a écrit un recueil de poèmes racontant son amour désespéré, on se rend compte que c’est pour cela qu’Alba a démissionné de son poste à l’université.

Tout me plaît dans ce roman, l’arrière plan linguistique, la description de la nature mais par dessus tout la richesse des personnages, son père, l’ami de son père, l’épicier du village, son voisin qui ne sera pas un allier pour elle et j’allais oublier l’incroyable humour de l’auteure. J’aime aussi la façon dont elle parle des gens sans donner l’impression de les juger , et de ne pas faire son intrigue le centre même de son récit, c’est un peu comme si elle nous offrait une super balade dans ce pays qui est aujourd’hui une des destination préférée des touristes français .

Mais lisez aussi l’avis de Géraldine qui n’a pas aimé du tout.

 

Extraits

Début.

Iss
L’avion s’élance sur la piste et décolle, la tête penchée vers le hublot, j’aperçois une femme qui sort de son domicile en banlieue et pousse vers la voiture ses deux enfants chargés de leurs cartables, elle est étonnamment proche, étonnamment nette, puis l’appareil s’élève à grande vitesse dans les airs et tout rapetisse, je vois le sol soigneusement quadrillé et la ville en contrebas qui se mue en un chapelet de lumières scintillantes.

Les colloques des linguistes.

« Quel est le nombre minimum de locuteurs nécessaires pour sauver une langue et quel en est le coût ? (Ce sont des sujets que nous abordons à chacun de nos colloques sans jamais parvenir à la moindre conclusion).

Une linguiste cherche à acheter une maison.

Je ralentis à la vue de deux perdrix des neiges immaculées sur l’accotement. « Berangur » est le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ce lieu désolé où l’on est à découvert, et comme la pensée fonctionne par association, je pense aux adjectifs « berskjaldaďur », vulnérable, et « ber » nu.

La vie dans un village d’Islande.

C’est par la boulangerie qu’on accède à la supérette de Karla Dis dont un coin est occupé par l’agence bancaire où la caissière tricote, sur sa chaise, derrière une paroi en verre. Le motif qu’elle réalise semble identique à celui des productions artisanales locales et des chandails vendus à l’épicerie, des chevaux qui piaffent. Je suppose qu’elle tricote lorsqu’il n’y a pas de clients à la banque et qu’elle s’occupe ensuite de vendre ses ouvrages dans la boutique.

De l’autre côté de la rue, un magasin de la Croix-Rouge pique ma curiosité. Il est « Fermé » comme l’indique le panneau lumineux qui clignote au-dessus de la porte. À en juger par la vitrine, c’est à la fois une brocante, une librairie d’occasion et une feuille d’occasion et une boutique de vêtements de seconde main. Une feuille scotchée sur la porte mentionne qu’il est ouvert le mercredi et que :  » Nous prenons TOUT ce dont vous souhaitez vous débarrasser, lampadaires, images d’anges, vases, commodes, services à café, robes, livres … »

Le silence et les Islandais.

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

La ponctuation.

Je me demande tout de même parfois si l’auteur n’a pas oublié des virgules ou si c’est un choix stylistique délibéré. Pourquoi recourir à la virgule ? L’enseignante en moi répondrait : pour sortir de sa torpeur et respirer. Regarder autour de soi. Décider de la prochaine étape du voyage.

Je suis toujours ravie de lire ce genre de faits sur les langues.

 Autrefois les femmes de la province de Jiangyong dans le sud de la Chine parlaient entre elles le « nüshu », une langue comprise d’elles seules, hermétique pour les pères, les époux et les fils. Cet idiome s’écrivait en vers, sept idéogrammes par ligne, parfois proches de maximes telles « Qui a une sœur à ses côtés ne saurait désespérer ».

Apprendre l’islandais.

J’hésite à lui signaler que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée d’enseigner à des gens qui ont fui leur pays dévasté par la guerre, et qui rêvent pour la plupart de vivre ailleurs, une langue minoritaire dotée d’un système complexe de déclinaisons et de conjugaisons, une langue où « comprendre » quelqu’un et « divorcer » s’expriment en recouvrant au même verbe -« skilja »- , une langue qui n’est parlée que dans le troisième pays le plus venteux de la planète.

Les poèmes des réfugiés .

J’ai emporté 
une bouteille d’eau 
et mon téléphone
la mer est salée comme des larmes.
(D16 ans)
J’ai emporté 
l’essentiel 
une bouteille d’eau 
mon téléphone 
j’abandonne 
ma maison 
la tombe de maman 
mon chat
le poirier du jardin
la mer est salée comme les larmes 
(Version corrigée par l’éditeur)

 


Édition Denoël, 373 Pages, octobre 2022

Un roman historique et … d’amour, nous fait revivre l’Espagne de 1925 à 1939. Il est raconté par un vieil homme qui vit à Paris, en 2000 .

C’est un roman très touffu car il couvre une très longue période avec beaucoup de personnages.

En 1925, Juan Ortega est un jeune gitan qui, fils et neveu de toréador, a une autre passion : la cuisine. Dans la première partie, il vit chez son oncle Ignacio et sa famille, mais Ignacio est amoureux d’une danseuse de Flamenco : Encarnacion . Cette première partie permet d’évoquer le talent des toréadors et des dangers de la corrida.

Ignacio emmène le très jeune Juan avec lui à Madrid car il décide de quitter sa femme qu’il n’aime plus. Et là, c’est l’énorme choc pour Juan, il tombe immédiatement amoureux d’Encarnacion la maîtresse de son oncle . Alors va commencer pour lui ce rôle qu’il jouera toute sa vie : le petit gitan très fier mais toujours en arrière plan et qui doit protéger l’amour d’ Ignacio et de la danseuse de flamenco.

C’est la partie la plus longue et la plus riche du roman. Car à Madrid l’auteure décrit bien la rencontre avec tous les intellectuels madrilènes en particulier un certain Federico Garcia Lorca ,ce poète qui transforme tout ce qu’il vit en une langue magnifique. Ignacio a arrêté la tauromachie pour s’essayer à l’écriture et se donner tout entier à son amour. Mais dans un retour désespéré pour braver la mort dans une dernière corrida, et avant d’avouer à Encarnacion qu’il veut refaire sa vie avec une nouvelle conquête, il y trouvera la mort.

Juan peut-il enfin aimer Encarnacion ? Non, car celle-ci ne semble pas l’aimer et lui préfère son beau poète qui pourtant lui n’aime que les hommes. Pour corser les relations amoureuses, il y a la petite sœur Carmen qui est follement amoureuse de Juan mais celui-ci ne la voit que comme une petite fille et de toute façon n’a d’yeux que pour sa sœur.

Dans cette partie, on voit la montée des dangers pour la toute jeune république espagnole avec le moment le plus terrible l’assassina de Federico Garcia Lorca, victime de sa liberté de paroles et de mœurs, d’après cet auteur il aurait été victime d’une vengeance d’une haine entre familles de Grenade, certains se seraient reconnus dans des pièces de théâtre où il s’est moqué de l’étroitesse d’esprit de certaine familles voisines de la sienne.

Juan se réfugie à Paris et devient cuisinier dans le restaurant « le catalan », ce moment de sa vie est presque heureux et permet d’évoquer la période du front populaire et le soutient aux républicains espagnols .
Il retrouvera Encarnacion le temps de l’aider à franchir la frontière en 1939. Mais ils seront séparés , il faut attendre l’année 2000 et son retour à Madrid pour que le roman d’amour trouve sa fin, dont je ne vous dirai rien.

J’ai des réserves sur ce roman, dont j’ai beaucoup aimé l’arrière plan historique mais dont les différentes histoires d’amour ne m’ont pas convaincue et m’ont empêchée d’adhérer aux personnages. J’ai souvent trouvé que les intrigues amoureuses encombraient le récit, je retiendrai, pourtant, l’effervescence prérévolutionnaire en Espagne et la perte des illusions quand la jeune République Espagnole ne sait, ni se défendre contre ceux qui veulent la détruire de l’extérieur, ni de ses ennemis intérieurs : les divisions et les illusions idéologiques des républicains.

 

Extraits

Début du prologue 6 février 1939

7 heures du matin col de Lli
 Avant de reprendre le chemin de la montagne, le petit groupe se tourna une dernière fois vers la silhouette du ma de Can Barrière, qui s’effaçait sous la pluie glacée. Ils savaient que cette bâtisse leur survivrait et que les larmes qu’ils avaient versées entre ses murs épais murs de pierre rejoindraient et celles d’autres tragédies oubliées elle aussi.

Début.

Tu te tiens bien droit et tu dis rien sauf si on te pose une question . T’as bien compris Juan ?
Ils avaient quitté la route principale et s’étaient engagés sur un chemin cahoteux qui traversait les champs déjà grillés par le soleil andalou. Les roues de la carriole grinçaient à chaque pas du robuste bidet qui la tirait, langue pendante vers une hacienda nichée sur une colline de Pino Montano couverte de vignes et d’oliviers. Dans les champs les affaneurs, ces gagne deniers venus de Galice ou de la plaine, levaient tête au passage de l’attelage. De leurs yeux plissés sous les rayons d’un soleil bas se happaient la fatigue et l’envie.

Le goût de la mort .

 Quelques jours après l’enterrement à Séville de son célèbre cousin, et alors que tous le pays et le « mundillo » fermé de la tauromachie étaient encore sous le choc, en habit de deuil mais le regard sec, Maria Ortega avait pris Juan par les épaules
– Mon fils, lui avait-elle dit d’une voix tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega c’est porter dans son sang le courage et la mort.

J’ai beaucoup de mal à croire au coup de foudre.

Sa première rencontre avec Encarnación eut un caractère d’étrangeté absolue. Il n’avait jamais vu tant d’amour ni une femme si émue. Pourtant, malgré toute l’affection qu’il portait à Igncio, il fut envahi par la plus insolite et la plus contradictoire des émotions : une forme de honte mais aussi la certitude qu’il n’était coupable de rien. En un regard, il tomba amoureux d’Encarnación

Vision de New York 1930.

 Il vit défiler dans un chaos organisé et puant des façades hétéroclites mêlant styles gothique et barres de fer assemblées par de gros boulons. Les rues étaient encombrées de calèches, d’omnibus, d’automobiles au moteur pétaradant est de files de piétons pressés. Juan eut le sentiment effrayant que cette turbine urbaine aurait pu avaler une marée humaine dans l’indifférence la plus totale. Une ville brutale, moderne, enfumée et gigantesque, une fourmilière dont la nature était exclue, une métropole tentaculaire à l’activité incessante : voilà quelles furent ses premières impressions. 

Le « duende ».

 le « duende », « ce pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe n’explique » pour reprendre les mots de Goethe sur Paganini Le « duende » unit sur le fil l’extase de la beauté et la possibilité de la mort.

Éducation d’un gitan espagnol.

Mon fils, lui avait-elle dit d’une vœux tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega, c’est porter dans son sang le courage et la mort.

Le toréador et la corrida.

Le public accourait à chacune de ses corridas pour le voir combattre les bêtes, tant avec la hantise qu’avec le désir secret de voir les cornes déchirer ses chemises et son sang couler sur le sable, se mêlant à celui du taureau. 

Paroles de Federico Garcia Lorca :

Dans mon recueil « Impressions et paysages », je dis que la poésie existe en toute chose. Dans le laid, dans le beau, dans le dégoûtant ; le plus difficile est de savoir la révéler, réveiller les lacs profonds de l’âme. Ce qu’il y a d’admirable chez un esprit, c’est sa capacité à recevoir une émotion, à l’interpréter de bien des manières, toutes contraires les unes aux autres.

Les gitans et les artistes militants.

Juan, seul représentant de la misère andalouse était tétanisé par leur prise de parole. Les gitans qui vivaient en marge de la société espagnole ne s’étaient jamais impliqués dans les conflits idéologiques de leur pays. Ils formaient un refuge collectif intérieur, clos et régis par les seules lois et traditions ancestrales. Pourtant le jeune homme n’avait jamais accepté que la noblesse d’un gitan puisse consister également à subir les injustices de la vie avec humilité. Il connaissait le quotidien des pauvres gens, celui des journaliers qui vendaient leur sueur et leur corps pour quelques pièces. Celui des mères démunies face à leurs enfants affamés. Il aurait voulu hurler la douleur du peuple et faire comprendre à ces jeunes excités à quel point ils étaient privilégiés. Leur démontrer que le seul fait d’avoir la liberté de penser était un luxe. À plusieurs reprises, il eut le courage d’intervenir dans les discussions, mais ses paroles furent vite balayées par la verve de ces artistes qui, sans jamais avoir connu le spasme d’un ventre vide, se targuaient de savoir qu’éduquer le peuple était plus essentiel que de le nourrir.

Amoureux au premier regard et certitudes des danseuses de flamenco.

Allons, tu e trop jeune pour souffrir comme ça à ton âge, il est inconvenant de t’effondrer parce qu’un garçon t’ignore. Tu verras. Plus tard, quand tu danseras en public, il y aura tant de grands hommes à tes pieds que tu en oublieras Juan, puisqu’il est assez sot pour ne pas te voir aujourd’hui. 
Pourtant, Carmen sentait bien qu’il n’y aurait jamais personne d’autre ; elle restait convaincue que Juan était l’homme de sa vie et qu’il lui ouvrirait un jour son cœur et ses bras

Prémices de la guerre d’Espagne.

Depuis quelques mois, la déception grandissait en Espagne, et les républicains semblaient complètement dépassés par l’instabilité du régime parlementaire, la grève générale et les conflits incessants au sein de leur parti. S’ils s’étaient assuré le soutien du peuple, qui les avait portés à la tête du pays en 1931, plus personne désormais ne contrôlait cette force qu’ils avaient mise en branle et qui se divisait en groupuscules disparates. Dans les municipalités socialistes, la « guardia civil » , le corps de police traditionnel qui, depuis 1932, devait collaborer avec la « guardia de asalto » , la garde d’assaut mise en place par le gouvernement de gauche, avait décidé de ne plus intervenir pour maintenir l’ordre face à l’escalade de la violence.

Douleur et amour .

L’amour est une projection vers l’autre. Il dure tant qu’on n’est pas déçu, et tant qu’on ne s’ennuie pas. Et puis il disparaît beaucoup plus lentement qu’il n’est apparu. La défaite de l’amour, on ne l’accepte pas. On se bat, on se raccroche à ce qui nous a fait aimer . Voilà pourquoi l’amour fait mal : parce qu’on s’est trompé. En fait, aimer c’est peut-être avant tout s’aimer soi-même. 

 


Édition Calman Levy, 356 pages, février 2024

 

Cela fait longtemps que je n’avais pas lu un roman d’une traite avec un grand plaisir. Cette écrivaine a un grand talent pour éclairer, à sa façon, l’étrange histoire d’un tableau de Klimt : « Portrait d’une dame » . Tableau peint en 1916, retouché par le peintre lui même en 1917, volé en 1997, et qui, réapparaît mystérieusement en 2019. Camille de Peretti invente une histoire passionnante qui à défaut d’être vraie est parfaitement romanesque et respecte tout ce qu’on connaît de l’arrière plan historique. Je trouve deux grandes qualités à ce roman : l’inventivité de l’écrivaine, cette histoire de tableau repeint par l’artiste qui ne le faisait jamais, puis ce tableau volé et redonné sans que, jamais, on n’ait su qui était à l’origine du vol, ni de la restitution, méritait bien un roman , la deuxième grande qualité c’est le sérieux de la reconstitution historique en arrière plan de cette histoire.

On voit d’abord Vienne avant la guerre 14/18, c’est la grande capitale européenne celle de Stefan Zweig et d’une classe dirigeante qui ne doute pas de son pouvoir. Commence alors le roman, une jeune bonne toute fraîche de 16 ans est employée par une très riche famille avec comme mission de « coucher » avec le fils de famille.

Nous allons suivre le destin de cette jeune femme qui élève seule son fils en Autriche, scène de misère que l’on connaît si bien et puis la grippe espagnole fera d’Isidore, son fils, un orphelin.

Aux USA nous allons suivre un certain Isidore Ferguson, cireur de chaussures avant la crise de 29. Ce jeune homme, très intelligent comprendra la bourse et tombera fou amoureux d’une très riche héritière d’une entreprise de dentifrice. Grâce à son esprit et à ses relations avec les riches hommes d’affaire, il s’enrichira au moment où tant d’hommes d’affaire feront faillite.

Nous revenons à notre époque, une prostituée, Michele, veut qu’Isidore devenu immensément riche reconnaisse Pearl comme sa fille, pour qu’elle puisse faire ses études à Columbia. On suit ensuite Pearl comme avocate d’affaire à New York et dans le monde superficiel des riches Newyorkais fils de familles riches.

Et le tableau dans tout cela ? Toute ma difficulté c’est de ne pas vous dévoiler l’intrigue si bien ficelée ! La mère d’Isidore s’appelait Martha et elle est le sujet du tableau. Et Pearl lui ressemble si fort qu’un ami étudiant de Pearl qui a lu l’article sur le vol du tableau croit reconnaître son amie.

C’est une histoire bien menée, on peut y croire et comme on n’a pas l’explication de la disparition et le retour du tableau celle-ci a le mérite d’être une belle histoire bien racontée.

 

 

 

Extraits

 

Début

-Pour que ça brille faut cracher.
Le môme ouvrait de grands yeux ahuris. Il devait avoir dans les douze ans, le teint livide sous la crasse qui macula son visage.
– Cracher sur leurs chaussures, tu te fous de moi ?
Isidore ne se démonta pas.
– Faut cracher, je te dis, ils adorent ça. 

Annonce du futur krach boursier de 1920.

Pas plus tard qu’hier, je discutais affaires comme tu m’as demandé et il y a un des réguliers qui m’a dit comme ça en riant « Si les cireur de chaussures en savent autant que moi, c’est qu’il est temps de me retirer ! » Je lui ai demandé ce que ça voulait dire il m’a répondu qu’il y avait trop de monde qui s’intéressait à la Bourse et qu’il ne fallait pas croire aux miracles, que plus ça montait plus la chute serait vertigineuse, je me souviens très bien qu’il a dit ce mot « vertigineuse » 
Isidore eut un haut-le-coeur. 
-…. et que les gens en général ne comprenaient rien aux affaires mais que s’il y avait trop de monde dans la barque, la barque finirait par couler… »

Moteur de vie pour Isidore.

Il n’était peut-être pas de ces hommes supérieurs qui impressionnent par leur intelligence, leur charisme ou leur force, mais il avait peur. Peur depuis que sa mère, dans une chemise toute trempée de sueur était morte une nuit dans un meublé miteux de Leobendorf. Peur des autres garçons à l’orphelinat, peur dans la grande ville de Vienne, peur sur le bateau qui l’avait débarqué à Ellis Island, peur dans les rues de New York son bidon de cirage à la main, peur de finir comme un chien. Et aujourd’hui il avait peur de perdre Lotte parce qu’il pensait qu’il ne méritait pas un tel bonheur.

 


Les éditions noirs et blancs, août 2024, 164 pages.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Traduit du croate et annoté par Marko Despot

 

Un roman totalement déjanté, très drôle et plus sérieux qu’il n’y parait. En 25 chapitres tous annoncés par un court résumé souvent plein d’humour, l’auteur nous emmène en Croatie sur une plage réservée aux nudistes homosexuels où s’échoue un réfugié Syrien. Le chef de la police Krste (je vous laisse prononcer ce nom !) a transformé la prison locale en chambre d’hôtes à la grande surprise de Selim, le réfugié syrien, qui connaît bien les différentes sortes de police et qui n’avait jamais eu des draps propres et un lit confortable dans les différents poste de police où il a déjà séjourné. La petite île attend le dimanche où on va célébrer Sainte Marguerite, dont l’action principale est de permettre aux couples d’avoir des enfants. Je voudrais garder en mémoire toute la galerie des personnages mais vraiment mon préféré c’est le chef de la police qui cherche avant tout à se faire beaucoup d’argent, je n’oublierai pas l’âne qui braie de toutes ses forces à chaque fois qu’un couple fait l’amour L’épisode des cevapcici ou des kebabs est vraiment très drôle et j’adore le résumé de l’épilogue :

Épilogue

Après lequel vous ne vous souviendrez plus pourquoi vous avez lu ce livre idiot au lieu de regarder l’épisode ultime et exaltant de la dix-septième saison de Big Brother

Et bien pour vous distraire et vous rendre la vie légère quelles soient vos difficultés lisez donc ce roman et comme moi vous sourirez . Tout se termine bien, pour les couples amoureux, pour ceux qui veulent des enfants, pour le réfugié Syrien et pour le chef de la police aussi : bref, la vrai vie quoi !

Extraits

Début.

Chapitre un

« Dans lequel un tel parvient à réchapper d’une mer démontée, au moment où le lecteur s’attend à ce qu’il se noué et que cette histoire s’achève avant même de commencer. « 
Ils roulaient les uns sur les autres dans l’obscurité, à l’arrière de la camionnette qui bringuebalait sur des routes cahoteuses. Quand un passager poussait un cri de douleur, le chauffeur l’injuriait depuis sa cabine en lui ordonnant de se taire. Ce devait être un agriculteur : ça sentait les légumes pourris à l’intérieur du véhicule. 

Humour .

Rada lui désigna la peinture de la sainte patronne au-dessus de l’hôtel latéral, qui serait portée en procession dimanche matin à travers la ville. La scène était mal exécutée, mais très expressive : une femme pleine d’assurance, pâle et menue, presque une fillette, piétinait un grand dragon noir aux dents acérées et aux yeux de braise. Nulle fédération de boxe ne les aurait fait combattre dans la même catégorie, personne n’aurait misé sur la victoire de sainte Marguerite, mais elle avait bel et bien vaincu le monstre par le pouvoir de la foi, au grand dam des parieurs.

 

Détail bien vu le nouveau riche navigateur

Il souleva un lourd verre en cristal taillé et but une généreuse gorgée de whisky. Il avait à son poignet un de ces bracelets en corde nautique aux couleurs vives avec une manille en acier inoxydable que portent les plaisanciers et dont personne n’a jamais compris l’utilité. 

Sort des émigrants.

Il lui raconta que, depuis qu’il avait quitté un camp de réfugiés en Turquie pour tenter de rejoindre la France deux ans auparavant, il avait été régulièrement arrêté, roué de coups et reconduit à telle ou telle frontière, comme dans un jeu vidéo où le personnage ne cesse de relever de nouveaux défis pour passer au des niveaux de plus en plus difficile, à moins qu’il ne fasse une erreur et doivent revenir au précédent. Tout cela était désespérant et frustrant, mais il refusait d’abandonner, car il n’avait plus personne au pays.

 


Édition j’ai lu, 312 pages, septembre 2024

Traduit de l’italien par Liliane Guilard 

Ce livre décrit quelque chose que j’avais bien oublié et que, peut-être je ne savais pas vraiment : il fut une époque où on ne pouvait pas acheter un vêtement tout fait : il fallait donc faire appel à une couturière, qui, suivant le statut social des gens qui avaient besoin de vêtements, s’installaient chez les riches ou faisait son travail chez elle pour les plus pauvres. Nous sommes en Italie avant 1900 , et ce qui est saisissant c’est le fossé qui sépare les riches des pauvres. quand je pense qu’aujourd’hui on parle de « fracture social » à cette époque en Italie « un gouffre » sépare la petite couturière des riches nobles ou bourgeois de la ville.

On voit aussi à quel point le statut de la femme rend la différence sociale plus terrible encore. Le maître de maison a tous les droits sur des jeunes femmes sans défense et plane alors sur elles le terrible sort des prostituées.

Tout cela est fort intéressant mais ce qui l’est moins c’est le roman d’amour qui est le second intérêt de ce roman et là, on est dans la romance la plus classique , bien loin du fameux gouffre qui sépare les classes sociales .

Ce roman reste intéressant pour le travail de la petite couturière, beaucoup moins pour l’intrigue, mais finalement cela peut aussi faire du bien de lire une belle histoire d’amour à laquelle on ne croit guère.

Il se trouve que je chronique deux livres qui raconte les rapports entre les riches et leurs employés mais on ne retrouve pas dans celui-ci la force qui existe dans « la petite bonne » . L’horreur est la même mais la façon de raconter tellement différente aplanie par la romance amoureuse qui, cependant, n’est pas totalement à l’eau de rose.

Extraits

Début.

 J’avais sept ans lorsque ma grand’mère a commencé à me confier les finitions les plus simples des vêtements qu’elle confectionnait à la maison pour ses clientes, quand ces dernières ne lui demandaient pas de venir travailler chez elles. De notre famille, il ne restait que nous deux après l’épidémie de choléra qui avait emporté sans distinction de genre mes parents, mes frères et soeurs et tous les autres enfants et petits-enfants de ma grand’mère mes tantes, oncles et cousins. Je suis toujours incapable de m’expliquer comment nous avons réussi à y échapper.

La spécialité de sa grand-mère

La spécialité de ma grand-mère était le linge : trousseaux complets pour la maison, draps, nappes, rideaux, mais aussi chemises pour hommes et femmes, sous-vêtements, layettes pour bébés. À l’époque, seules quelques boutiques haut de gamme vendaient ces vêtements prêts à être portés. 

Le scandale .

Ce qui avait suscité l’indignation de ces messieurs , ce n’était pas la confection des robes, mais le tissu, cette belle soie aux motifs si exotiques sur laquelle nos doigts s’étaient fatigués un mois entier. Pourquoi ? Parce que beaucoup l’avaient reconnu comme provenant d’un célèbre lieu de péché, une célèbre maison de tolérance dont leurs épouses, et à fortiori la reine, n’étaient pas censées soupçonner l’existence. 

Les riches.

La vie m’a appris à respecter les gens riches, quel que soit leur âge, leur caractère, leurs actions. Le fait d’être riches les rendait puissants, plus forts que nous, capables de nous écraser, de nous détruire en un claquement de doigts. Les riches ne devaient pas nécessairement être admirés, notre jugement à leur égard pouvait également être critique, voire plein de mépris. Mais nous ne devions jamais l’exprimer. Et surtout jamais en leur présence. Avec eux, nous devions être respectueux en toutes circonstances.

 

 


Édition Les Avrils, 267 pages, Août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Lors de la discussion de notre club de lecture, beaucoup de lectrices avaient aimé ce roman sauf une, cela m’a intriguée et j’ai voulu en savoir un peu plus. J’aurais moi aussi eu beaucoup de réserves sur ce récit. Pourtant cela avait bien commencé , j’ai bien aimé la description de cette jeune femme « la petite bonne » qui trimballe son seau de ménage pour aller chez ses patrons Le style est particulier mais tout a fait acceptable ce sont des monologues intérieurs des réflexions des trois personnages prennent la forme de vers libres. Je rappelle le sujet : un homme musicien est revenu très handicapé après la guerre 14/18. Sa femme Alexandrine se dévoue pour sa survie, elle embauche une jeune bonne et décide de partir en WE en Normandie . La petite bonne se retrouve donc seule un WE avec Blaise le musicien mutilé.

Pour moi le charme du récit s’est arrêté à une scène bien précise : une gitane à qui Alexandrine refuse l’aumône lui dit de ne pas toucher aux pipes de son mari, bien sur, elle le fait et elle casse une des pipes pendant que son mari casse la sienne en sortant de sa tranchée en 1916. Enfin, pas tout à fait, il est sauvé par un chirurgien qui lui rend la vie mais ni ses mains si ses jambes ! Alexandrine se sent si coupable qu’elle se dévouera corps et bien à ce pauvre Blaise qui ne veut que mourir. Et ce n’est pas tout , l’armée lui téléphone pour lui dire que son mari a été blessé exactement au moment où elle était en train de casser une de ses pipes ! Le téléphone chez des gens en 1916 !

Bref j’ai décroché et repensé à tout ce qui était bizarre dans ce roman, qu’une bonne ne laisse pas son seau chez les propriétaires et qu’elle le trimballe de maison en maison.

Et la pauvre Alexandrine m’a semblé si peu crédible. Bref j’ai failli grâce à l’écriture aimer ce livre et c’était possible car l’opposition entre la situation de la bonne et des bourgeois est plausible , mais c’est aussi tellement plein de clichés . Avec une allusion à le seule famille qui aurait eu plus de compassion pour elle, mais qui a fui la montée de l’antisémitisme, la famille Goldberg.

Si je lui mets trois coquillages (et non deux comme j’en ai eu envie) c’est grâce à la musique car le musicien possède un gramophone et « la petite bonne » découvre la musique classique, ce sont toujours de belles pages quand on peut décrire ce que fait la musique quand on la reçoit la première fois et même ensuite.

Extraits.

Début.

Les cent pas
j’aimerais pouvoir les faire
réellement 
Ici c’est cinq pas dans la longueur 
à peine trois dans la largeur 
et vraiment 
des petits pas
Des traversées 
il en faut quelques-unes
pour arriver à cent
C’est long
mais jamais assez
Malheureusement 
j’ai tout mon temps
pour compter mes pas

Une bonne place.

Elle se souvient de son émotion 
la première fois 
qu’elle avait quitté la ville
Elle avait suivi une famille
– sa meilleure place
quand elle y repense- 
Elle semblait à peine plus âgée que les jeunes maîtres
mais moins bien habillée
coiffée
éduquée
Pendant qu’ils étudiait
le grec
le latin
l’algèbre
la philosophie
elle apprenait à coudre
à repasser
à frotter
l’argenterie
les sols

La tristesse absolue.

Elle découvre son dos
affaissé 
tremblant 
Le dos d’un homme qui pleure
Ce n’est pas si courant
un homme qui pleure
Chez elle un homme
ça prend sur soi 
ça ne gémit pas
ça ne flanche pas

Prédiction de la gitane ne pas casser la pipe …

Avec précaution, elle sortit la pipe et entreprit de l’examiner de près. On sonna à la porte. Prise en faute , elle sursauta et lâcha la pipe qui s’écrase au sol en mille morceaux. 
 Ses amies la trouvèrent en larmes, accroupie dans un coin, tenant dans ses mains le tuyau inutile d’une vieille pipe cassée. Elle la réconfortèrent de leur mieux. Toutes savaient la sensibilité à fleur de peau des unes et des autres, comment un fait insignifiant pouvait prendre une place folle. C’est cette après midi-là qu’elle fut prévenue par un appel du front : Blaise avait été grièvement blessé.