Édition Bleu et Jaune. Traduit du Croate par Chloé Billon

Merci à Keisha pour cette suggestion de lecture, elle avait su me donner envie et j’ai beaucoup aimé ce roman. Comme Keisha, j’ai recherché les jeunes femmes guitaristes que l’autrice signale à chaque début de chapitre et comme elle, je suis allée de bonheur en bonheur.

 

Ce roman suit cinq femmes qui sont mêlées au destin d’une superbe guitare construite par un luthier extraordinaire : Albert, je n’ai pas réussi à savoir si ce luthier a vraiment existé ou de quel modèle l’écrivaine s’est inspirée. Le récit commence avec une femme qui a planté la graine d’un arbre d’exception : le palissandre. Puis on trouvera celle qui a transgressé les codes de son village pour abattre cet arbre somptueux au creux de la forêt interdite aux femmes. Mais celle-ci a ainsi réussi à sauver sa famille de la faim en ramenant ce bois précieux au village. Nous suivrons ensuite le destin d’une troisième femme qui est appelée l’orpheline car elle est sortie de la forêt sans se souvenir de ses parents. Elle accompagnera Albert dans la fabrication de la guitare en palissandre. L’orpheline accompagnera cette guitare vers un jeune compositeur prometteur, nous suivrons alors le destin de cet homme qui a perdu son inspiration. Il la retrouvera grâce à une femme étrange qui sera notre quatrième femme éprise de liberté et qui recevra cette guitare pour finalement l’offrir à la cinquième femme pour un prodigieux concert. Ce récit est construit comme une composition musicale qui monte vers un moment superbe, avec des reprises et des moments de doutes.
Tout le roman est rempli du rôle des femmes porteuses du pouvoir de donner la vie, l’écriture est superbe et le côté « conte peu réaliste » qui souvent me gêne je l’ai accepté, mais quand même parfois un peu de réalisme m’aurait fait du bien, par exemple, je ne peux pas imaginer comment une femme peut ramener seule un tronc d’un palissandre adulte. Mais je ne dois pas être trop rationnelle pour un livre qui m’ a apporté tant d’autres choses.

L’écriture est à la fois légère et puissante, et nous enveloppe dans une musique douce et pénétrante. C’est un livre en dehors du temps ou seulement le temps des rêves, j’ai eu l’impression de revenir au meilleurs moments de ma vie, celui où pour m’endormir on me racontait des histoires avec des fées et une nature avec laquelle les humains avaient des liens qui permettaient leur survie. J’ai retrouvé ces plaisirs intenses en lisant des livres à mes enfants et à mes petits enfants.
Il me manque une dimension pour bien apprécier ce roman, celle de la composition musicale, car le livre suit visiblement une partition de musique . Les moments se nomment Glissando, Pizzicato, Vibrato.
Un superbe moment de lecture hors du temps !

 

Citations

 

La perte de l’inspiration.

 Sa panne durait depuis l’automne précédent, elle s’était éternisée trop de mois et était à présent devenue son état naturel, le prolongement de ses doigts, il ne savait plus comment s’extirper de ce quotidien de frustration. Il avait l’impression d’être en train de crier au fond d’un puits asséché. Personne ne l’entendait et il mourait de soif

Je suis tellement d’accord.

 Oui, les nuages sont magnifiques, mais tout le reste dans les voyages en avion me tape sur les nerfs. Arriver en avance à l’aéroport, faire la queue, des tapis roulants, enlever ses chaussures et vider ses poches, la nourriture d’avion dans de petits récipients en plastique et l’air froid qui souffle pile sur votre tête, le décalage horaire, les hôtesses de l’air aux sourires artificiels, tout ça est si contre nature si inhumain. Si j’avais le temps, je préférerais voyager en train ou en bateau, lentement.

Travail d’une musicienne classique.

Depuis déjà d’années, j’avais le même emploi du temps, et je m’entraînais au moins six heures par jour. Même pendant les pauses, au restaurant, dans le bus, au cinéma, mes doigts s’agitaient et répétaient toujours les mêmes exercices. Petite fille, déjà, mon professeur m’avait expliqué que le talent ne suffisait pas, et que c’était la discipline qui faisait la différence entre un bon et un excellent musicien.

La guitare.

 Fini le sciage, le ponçage et la découpe. Les sons perçants avaient cédé la place aux chuintements et au vernissage. Il avait commencé par polir toute la surface de la guitare avec un papier de verre très fin, pour en effacer l’empreinte de ses doigts. Puis il avait caressé la guitare au pinceau, lui appliquant un enduit qui renforçait sa fermeté. L’odeur du vernis étouffait le parfum du bois, mais il soulignait sa beauté. Les poils du pinceau, dont Albert affirmait qu’ils étaient faits en queue d’écureuil, se courbaient, laissant derrière eux une trace brillante.

 L’apothéose.

Le chef d’orchestre fit un signe de la main, et je me mis à jouer. Bientôt, la clarinette puis l’orchestre tout entier se joignirent à moi. À un moment, il me sembla que la guitare avait pris possession du morceau et s’était mise à raconte sa propre histoire à travers lui. Le public écoutait, concentré, buvant les notes. L’enfant s’était calmé dans mon ventre, comme s’il écoutait lui aussi attentivement une berceuse. Je pouvais sentir la musique résonner dans mon ventre, mon visage, mes pieds.

 

21 Thoughts on “La Guitare de Pallissandre – Kristina GAVRAN

  1. keisha on 7 septembre 2023 at 10:19 said:

    Oh je suis ravie que tu aies aimé!!! Je suis assez rationnelle mais là je suis tombée sous le charme…

    • le charme d’une écriture adaptée au sujet, tout vient de là je suppose. Oui c’est un très beau livre et j’ai vu Babelio qu’il n’avait que 9 lecteurs, (ce n’est vraiment pas beaucoup) dont toi moi et Inganmic qui l’a connu par toi me semble-t-il.
      Je me demande ce qu’il faut faire pour faire connaître un très bon roman même la blogosphère me semble impuissante.

  2. J’ai beaucoup aimé aussi (merci Keisha !) et comme vous je me suis fait ma « playlist » guitare ! Je regrette presque de l’avoir emprunté en bibli, car c’est un livre que j’aurais aimé gardé. A voir s’il sort en poche…

  3. Vos commentaires aux unes et aux autres sont très élogieux. Le bouche à oreille fonctionne parfois très bien. Ce livre me fais un peu penser aux « Crimes de l’accordéon » d’Annie Proulx. Le fil conducteur ici est également l’instrument de musique qui passe de main en main.

  4. je vais te faire confiance car je ne m’en plains jamais alors je note, j’aime ce type de roman

  5. Oui, il y a un « bouche à oreille » enthousiasmant sur ce livre(si je ne m’abuse, Keisha l’a lu car elle l’a gagné chez nous lors du Mois de l’Europe de l’Est – cela fait vraiment plaisir !)

    • Une bouche à l’oreille limitée car sur Babelio ce roman n’a toujours que 10 lecteurs ce qui est très peu. Babelio est un bon baromètre pour le nombre de lecteurs.

  6. Et bien dis donc, quel enthousiasme ! Je note du coup !

  7. Il n’est toujours pas à ma bibliothèque ; je vais attendre une éventuelle sortie poche ou peut-être en occasion d’ici quelque temps.

  8. Je vais suivre vos conseils à Keisha, Ingannmic et toi, et je le note pour une sortie en poche ou un achat d’occasion…

  9. Voilà qui est très tentant ! Je ne connais pas l’auteure mais tu as piqué ma curiosité !
    Merci
    Anne

  10. Comme il semble faire l’unanimité je n’ai plus qu’à le noter et le trouver !

  11. Beaucoup d’enthousiasme autour de ce livre. Je le note et l’offrirai peut-être à mon fils qui joue de la guitare.

    • quelle bonne idée j’aurais bien aimé savoir ce qu’en pense un ou une guitariste, car l’auteur parle surtout des femmes qui jouent de la guitare

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