Traduit du russe par Sophie Benech.
Merci Dominique pour cette découverte.
C’est un petit bijou ! Comme Dominique, je regrette que l’auteur ne se soit pas davantage étendu sur l’histoire de Tatania Gnéditch. Cette femme a traduit de mémoire (848 pages en édition poche !) le Dom Juan de Byron. Son talent est tel, qu’elle a réussi à attendrir un des bourreaux de la Tchéka qui lui a fourni, papier crayon , et une édition de Byron pour qu’elle puisse finir son travail.
Ce récit trop bref, rend compte de la passion des russes intellectuels broyés par le régime soviétique, mais également fascinés par la littérature. Un petit bijou , et il faut parfois peu de mots pour être bouleversée ; l’image de Tatania dans sa minuscule cellule sans lumière de la Loubianka qui se fait rabrouer,et injurier par son gardien car elle se lève parfois, de sa table de travail au lieu de rester assise pour finir sa traduction, est définitivement fixée dans ma mémoire.
L absurdité du régime soviétique peut se lire dans les très longs livres de Soljenitsyne mais aussi dans les raisons qui ont valu à cette femme, en 1945, 10 ans de condamnation au goulag.
« A la demande d’un diplomate anglais, elle avait traduit en huitains anglais un poème de Véra Imber « le méridien Poulkovo », destiné à être publié à Londres. Après l’avoir lu, le diplomate lui avait dit : « Si vous travailliez pour nous , vous pourriez faire beaucoup pour les relations entre la Russie et l’Angleterre ! ».
Ces paroles l’avaient profondément marquée, l’idée de voyage en Grande Bretagne avait commencé à la hanter, et elle considérait cela comme une trahison. Elle avait donc retiré sa candidature au Parti. On comprend fort bien que les commissaires-interrogateurs n’aient pas ajouté foi à cette confession hallucinante, mais on n’avait pas réussi à trouver d’autres chefs d’accusation . Elle avait été jugée(cela se faisait à l’époque) et condamnée à dix ans de camp de redressement par le travail pour « trahison de la patrie », selon l’article 19, qui stipule que l’intention n’a pas été concrétisée. »
Elle reviendra du camp , sera professeur de traduction, et patagera son intimité avec des êtres incultes qu’elle a connus en camp , mais, peut-être qu’au delà de la littérature , ils l’ont aidée à survivre dans ce milieu où tant d’autres ont laissé leur vie.
« Son « mari de camp » , Grégori Pavlovitch (Égor), était alcoolique au dernier degré et jurait comme un charretier. Extérieurement, Tatania l’avait civilisé, elle lui avait appris, par exemple, à remplacer son juron préféré par le nom d’un dieu latin. À présent, il accueillait les élèves de sa femme en disant : « On boit un petit coup, les gars ? Et si, elle veut pas elle a qu’à aller se faire phébus ! »
Vraiment un tout petit livre pour une très grande émotion.