Traduit de l’italien par Elsa DAMIEN
J’ai commencé la lecture soutenue par vos commentaires à propos de « L’Amie Prodigieuse » . Quand on a beaucoup aimé un roman, on aborde le second tome avec plus de réticences, mais très vite, j’ai été happée par le style d’Elena Ferrante. Voici une auteure qui rend l’Italie du sud tellement vivante ; elle nous fait comprendre de l’intérieur ce que cela veut dire d’être femme dans une société machiste donc violente et de plus dominée par un clan qui ressemble fort à la mafia. Nous retrouvons les mêmes personnages que dans le premier tome, ils ont vieilli et ne sont plus confrontés aux mêmes difficultés. Lila se bat dans son quartier contre un mari qu’elle n’aime pas et contre tous ceux qui veulent la dominer. Elle essaie de vivre comme une femme libre dans un pays où cela n’a aucun sens. Elle est rouée de coups mais ne plie jamais. Elena sort tant bien que mal de sa misère initiale en réussissant brillamment ses études.
Ses amours ne la rendent pas toujours heureuse mais lui permettent de se rendre compte qu’elle a beau se donner beaucoup de mal pour se cultiver, le fossé entre elle et ceux qui sont bien nés est infranchissable. Les liens très forts qui unissent les deux jeunes femmes n’ont pas résisté aux passions amoureuses qui se sont entrecroisées le temps d’un été. Même si Lila lui vole sous son nez son amoureux et malgré sa peine, Elena restera lucide et ne lui enlèvera pas totalement son amitié. Grâce à un jeu d’écriture, (les cahiers de Lila lui ont été confiés) , l’écrivaine peut décrire la vie de cette femme farouche si peu faite pour vivre sous la domination des hommes napolitains.
Raconter les intrigues risque de faire perdre tout le sel de ce roman qui vaut surtout par le talent de cette auteure. Elena Ferrante décrit dans le moindre recoin de l’âme les ressorts de l’amitié, de l’amour et des conduites humaines et donc, comme les grands écrivains, elle nous entraîne d’abord dans une compréhension de l’Italie du sud et puis au delà des frontières terrestres dans ce qui constitue l’humanité dans toutes ses forces et ses faiblesses.
Citations
Portraits des femmes de Naples
Ce jour-là, en revanche, je vis très clairement les mères de famille du vieux quartier. Elles étaient nerveuses et résignées. Elles se taisaient, lèvres serrées et dos courbé, ou bien hurlaient de terribles insultes à leurs enfants qui les tourmentaient. Très maigres, joues creuses et yeux cernés, ou au contraire dotées de larges fessiers de chevilles enflées et de lourdes poitrines, elles traînaient sacs de commissions et enfants en bas âge, qui s’accrochaient à leurs jupes et voulaient être portés.
Le mur infranchissable de l’origine sociale
Je n’avais pas véritablement réussi à m’intégrer. Je faisais partie de ceux qui bûchaient jour et nuit, obtenaient d’excellents résultats, étaient même traités avec sympathie et estime, mais qui ne porteraient jamais inscrits sur eux toute la valeur, tout le prestige de nos études. J’aurais toujours peur : peur de dire ce qu’il ne fallait pas, d’employer un ton exagéré, d’être habillé de manière inadéquate, de révéler des sentiments mesquins et de ne pas avoir d’idées intéressantes.