Édition Les Escales. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Le portrait du père violent et dominant sa famille de toute ses colères et de ses mots assassins est criant de vérité. Il s’agit certainement d’une part de l’enfance de l’autrice qui par se livre se libère du poids de son enfance à Bari capitale des Pouilles italiennes. On sent tout le poids de la souffrance des femmes italiennes qui subissent leur sort avec courage. La petite Rosa vit dans l’amour de sa mère et la terreur que son père éclate d’une colère incontrôlée. Elle s’éveille à la sexualité dans un quartier où règne la prostitution. Elle reproduira , hélas le schéma familial et son Marco s’avèrera un homme dur et violent. Mais à la différence de sa mère elle réussira à s’en séparer.
Le roman décrit bien la pauvreté des villes du Sud de l’Italie et la difficulté de mener une vie correcte quand la misère vous tient dans ses filets. C’est vraiment le meilleur aspect du roman.
Mais je suis peu sensible au côté « rédemption par l’écriture », cette impudeur me gêne surtout dans la deuxième partie quand on voit cette jeune femme s’accrocher à un homme qui ne lui apporte rien. L’écrivaine n’a pas réussi à m’intéresser , mais cela vient du peu de goût que j’ai pour l’auto -apitoiement sur son propre sort. C’est sans doute vrai que c’est compliqué de ne pas reproduire le schéma parental mais cela ne justifie pas pour autant le fait d’en faire le récit. Je sauve de ce roman toute la première partie de son enfance à Bari dans les quartiers miséreux, on vit au plus près de ces familles qui cherchent par tous les moyens de s’en sortir. C’était mon dernier roman italien proposé par mon club de lecture, j’ai lu de bien beaux romans même si celui-ci m’a moins intéressée.

Citations

J’aime bien ce passage :

 Il s’est bien habillé pour l’occasion il a plaqué ses cheveux en arrière pour dégager son front large et il porte un parfum agréable, nouveau. Moi aussi, j’ai fait un effort, j’ai sorti une vieille robe à fleurs qui me serre un peu, je me suis coiffée et j’ai mis des chaussures neuves. Sans véritable raison, en réalité. Peut-être que les amours terminées méritent encore une belle tenue.

Alors que son père vient d’être cruel avec son amoureux :

Ne t’inquiète pas Rosa. S’il t’aime il ne se laissera pas impressionner par les discours de papa, m’as-tu dit. 
T’en souviens-tu maman ? Moi, très bien, de même que de la douceur de ta main qui me caressait les cheveux d’un geste prudent et léger ; peut-être avais-tu peur que je te repousse. Tu parlais toujours avec une émotion qui te ramenait aux mêmes sujets : le mauvais caractère de papa,  » Il est comme ça on y peut rien », le sort inéluctable du quartier, « C’est comme ça, on ne peut pas le changer « . Tu tressais les fils de notre destin dans un mouvement circulaire auquel on n’échappait jamais

 


Édition Liana Levi. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman est à la limite du conte , à la fois réaliste et onirique. Il raconte l’arrivée dans un pauvre village Sarde de réfugiés venant d’un bateau et sauvés par des humanitaires. Personne n’est tout bien ni tout mal dans ce récit, c’est pourquoi je dis qu’il est réaliste, mais il y règne aussi une atmosphère finalement positive comme dans un rêve, le rêve que les hommes puissent vivre heureusement ensemble, c’est pourquoi je le qualifie d’onirique.
Cela ne veut pas dire que ce récit n’est pas profond et ne fait pas réfléchir. La narratrice, une des femmes du village est très vite intriguée par ces gens qui arrivent de si loin, et elle n’est pas la seule. Elle croit pouvoir les aider et avec des amies : elles veulent leur « faire du bien ». Ce qui est amusant c’est que ces pauvres gens se croyaient arrivés en Europe alors qu’ils sont en Sardaigne dans un village isolé loin des images qu’ils avaient en tête.
Comme dans tout conte, il y a une morale, les gens du village pensaient tout leur donner, mais l’arrivée de ces immigrés leur permettra de voir ce qui ne marche pas dans leur village. C’est un échange et avec un questionnement sur l’aide humanitaire qui est très intéressant. Beaucoup de questions sont abordées dans ce roman , l’isolement des villages ruraux, la fuite de la jeunesse, l’agriculture rentable au dépend des potagers personnels….

Aucune solution simpliste n’est offerte aux lecteur et la vie va continuer tout aussi imparfaite qu’avant. Au passage, ces gens auront appris la tragédie de ceux qui sont obligés de fuir leur pays. L’écrivaine mélange avec bonheur la religion chrétienne avec l’Odyssée d’Homère, tout est prétexte à nous faire saisir la relativité des comportements humains . Elle nous régale de poésies et de citations de poètes.

Je ferai un reproche à ce livre, on se perd dans les personnages malgré leur liste au début du livre, j’ai dû sans arrêt m’y reporter.
C’est avant tout un livre qui fait du bien et où le malheur ne nous rend pas totalement triste alors que rien n’est gommé, on comprend toutes les horreurs mais la vie avec « les hommes de bonne volonté » est la plus forte.

 

Citations

Le sens de l’accueil des Sardes.

Nous ne sommes pas comme les Napolitains qui vous imposent leur compagnie même si vous n’en voulez pas et vous pourchassent vous parlent, vous invitent à parler. Nous, les Sardes, nous sommes accueillants, mais si nous devinons que vous souhaitez rester seuls, seuls nous vous laisseront, à jamais.

Des immigrants déçus.

 Mais certains des envahisseurs aussi, une fois qu’ils eurent compris que c’était bien dans ce village sarde oublié de Dieu et des hommes, ravitaillé par les corbeaux, qu’on les avait envoyés, ne voulurent plus rien avoir à faire avec nous, déçus d’avoir risqué leur peau pour échouer ici.
 Non, leur place n’était pas ici. 
Ils avaient entendu dire que l’un de nos traits distinctifs, à nous Européens étaient le goût du shopping, et qu’ici les vitrines scintillement de partout. Où étaient donc toutes ces boutiques ? Il n’y avait rien chez nous de ce à quoi ils s’attendaient. Nous n’en valions pas la peine

L’homosexualité .

 Une fois l’humanitaire du sex-shop raconta que son père avait coutume de dire : « mieux vaut un fils mort qu’un fils pédé. » L’un avait donc pour géniteur un assassins potentiel, l’autre était musulman, et dans son pays les homosexuels étaient arrêtés et parfois pire. Leur amour ne semblait pas promis à une fin heureuse et cela nous causait du chagrin, un déchirement comme toujours quand un amour est impossible.
 Tout ceci nous faisait réfléchir au fils du Tailleur qui ne revenait jamais au village parce qu’il avait un fiancé, mais qui s’en ouvrait sans problèmes au monde entier. Son père en avait plus honte que s’il avait été délinquant, mais un jour que nous nous plaignons de nos enfants avec de profonds soupirs, comme le font souvent les parents entre eux, quand ils se lâchent le Tailleur fit cette sortie : « Mon fils, lui, au moins s’est fait tout seul et il est devenu célèbre alors que les vôtres ont eu beau courir le monde vous devez encore les entretenir. »

Aimer l’humanité ou les personnes.

 Le père Efix se moquait des autres comme d’une guigne et en cela il se révélait bien différent de la Dévote, de Gilles, et du Professeur qui ne faisaient jamais de favoritisme et beaucoup plus critiquable puisqu’il était prêtre. Mais nous nous sentions proches de lui, qui aimait des personnes et non toute l’humanité. Il fallait être un saint pour aimer toute l’humanité. 

La Vierge Marie par le père Efix.

 « Marie doit s’être sentie très seule, elle aussi, disait le père Efix. Quelle que soit la manière dont les choses se sont vraiment passées son enfant aurait pu rester son père. Mais il en va de même pour toutes les femmes enceintes, les circonstances de la conception ne comptent plus, le mâle s’efface. Le père s’il apparaît, le fera plus tard, et demeura un père putatif.
 Il aimait énormément Joseph et le tenait en grande estime. Quelle largesses de vue avait été la sienne, lui qui avait accepté de s’unir avec une femme gravide, peut-être victime d’un viol. Certes, un ange lui était apparu qui lui avait dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ton épouse. » Comment le croire ? Et si c’était une hallucination ? Mais Marie avait le cœur pur et cela lui suffisait.


Édition Gallimard NRF – Traduit de l’italien par Danièle Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

« Le voilà donc, se dit Ilaria le familialisme amoral. » Et la famille était la sienne. Son père, l’illettré éthique. Dysfonctionnement, privilège et favoritisme vus comme des moteurs évidents de la société.

J’ai déjà lu et apprécié les deux premiers romans de cette écrivaine italienne que Dominique m’avait amenée à lire . Eva dort (mon préféré) et Plus haut que la mer . Je me souviens bien de ces deux romans ce qui est un gage de qualité pour moi. Comme dans ses précédents romans Francesca Melandri, mêle l’histoire de l’Italie à une histoire d’une famille fictive pour nous la rendre plus humaine. Le reproche que je fais à ce dernier roman, c’est qu’elle a voulu cette fois couvrir une très large période de l’histoire italienne et que son roman est donc très dense voire un peu touffu.

La famille d’Iliaria Profeti est compliqué car son père, Attilio Profetti a eu deux épouses , trois enfants d’un premier mariage et un fils avec sa maîtresse qu’il a fini par épouser. De son passé, éthiopien, sa fille Iliaria n’aurait rien su si un jeune éthiopien du nom de son père n’était venu un jour frapper à sa porte lui apprenant de cette façon que son père était le grand père d’un jeune immigré en situation irrégulière. Ce sera un autre aspect du roman le parcours semé de souffrances à peine inimaginables, d’un jeune éthiopien, qui sans le recours à un ressort romanesque aurait été renvoyé en Ethiopie et à une mort certaine. L’inventaire de tous les thèmes abordés vous donnerait sans doute une impression de « trop », mais l’auteur s’en sort bien même si, parfois, j’ai eu besoin de faire des pauses dans ma lecture.

  • L’interdiction du divorce en Italie et les doubles vies que cela entrainait.
  • L’engagement dans le mouvement fasciste d’un jeune diplômé.
  • Le parcours d’un prisonnier italien aux USA pendant la guerre 39/45
  • L’injustice d’une mère qui dévalorise un enfant au profit d’un autre.
  • Le parcours des immigrés arrivés clandestinement en Italie.
  • Les théories racistes reprises par le mouvement fascistes.
  • La corruption en politique.
  • La construction à Rome.
  • Les marchands de sommeil.
  • Les malversations de Berlusconi.
  • Et le plus important la guerre en Éthiopie menée par les fascistes Italiens avec son lot d’horreurs absolument insupportables.

Et peut-être que j’en oublie, mais on comprend sans doute mieux quand je dis que ce roman est touffu, car L’écrivaine veut aussi montrer que tout se tient . En particulier, que de ne pas avoir voulu regarder en face le passé fasciste entraîne de graves conséquences sur les choix politiques actuels en Italie. Elle a pour cela créé le personnage d’Attilio Profetti, un homme à qui tout sourit dans la vie. « Tous, sauf moi » c’est lui. Il sait se sortir de toutes les situations car il a de la chance. Sa première chance : avoir été l’enfant préféré de sa mère, Viola qui en sous main oeuvre pour la réussite de son fils adoré jusqu’à dénoncer anonymement un supérieur dont une grand-mère est juive ! Ensuite, il sait grâce un charisme indéniable aider les supérieurs militaires à gagner du terrain dans la guerre coloniale en se faisant aider par une partie de la population éthiopienne. Cela ne l’empêchera pas de participer aux actions les plus horribles de la conquête comme le gazage des derniers combattants avec le gaz moutarde et ensuite de les brûler au lance flamme. Il a su partir à temps du parti Fasciste et se refaire une dignité dans la politique d’après guerre. Et finalement, comme tous les politiciens de cette époque, il a vécu et bien vécu de la corruption.

Sa fille, Ilaria, se sent loin de tout cela sauf quand elle comprend que l’appartement qu’elle occupe, cadeau de son père, est certainement le fruit de la corruption.

Le personnage le plus intègre, c’est le frère aîné d’Attilio, Othello, qui a été prisonnier pendant la guerre . On voit alors un fait que je n’ignorais complètement. Les Américains ont demandé à partir de 1943 aux Italiens, de combattre pour eux. La situation était complexe puisque l’Italie était alors en partie occupée par les Allemands, donc l’autre partie s’est déclarée alliée des États Unis. Les prisonniers italiens qui ont accepté ont eu une vie très agréable et ont retrouvé leur liberté. Othello qui n’était pas fasciste n’a pas réussi à comprendre comment il pouvait après avoir combattu pendant deux ans les Américains et les Anglais devenir leur allié. Il paiera cette décision au prix fort, d’abord le camps de prisonniers devient très dur et ensuite en revenant il aura l’étiquette fasciste, ce qu’il n’avait jamais été, contrairement à son frère qui lui a réussi à faire oublier son passé. Et il ne pourra pas faire carrière comme ingénieur alors que lui avait eu tous ses diplômes (son frère non !)

Voilà un roman dans lequel vous apprendrez forcément quelque chose sur le passé italien. Quant à moi je n’oublierai jamais les pages sur la guerre en Éthiopie (même si je n’ai pas noté de passages sur cette guerre tout est trop horrible !).

 

Citations

Le frère d’Ilaria ,accompagnateur d’excursions pour voir des gros poissons sur son bateau à voile.

 Puis il y a ceux qui à la fin veulent une réduction parce que le rorqual est resté trop loin ou que les cabrioles des dauphins n’étaient pas assez spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont pas danser des claquettes comme dans les dessins animés. Ce sont en général des pères qui passent toute excursion à accabler leur malheureuse famille de leurs connaissances sur les manœuvres de bateaux à voile, en gênant sans arrêt le travail d’Attilio. Il gagnerait sûrement de l’argent en écrivant un livre sur les expressions de la navigation à la voile dites au petit bonheur par ses passagers, en commençant par « borde la grand-voile ». Ils croient ainsi restaurer leur autorité sur leur progéniture adolescente qui, en réalité, nourrit déjà un sévère mais juste mépris pour eux.

Scène tellement plausible en Éthiopie actuelle.

 Un matin alors qu’il était avec elle, un policier s’approcha de lui et murmura à son oreille  » : « Rappelle-toi qu’elle elle s’en va, mais que toi tu restes. » Le jeune homme ne traduisait pas la phrase à la journaliste. Mais il lui demanda : « Laisse-moi partir avec toi. » Elle regretta beaucoup, mais non, malheureusement elle ne pouvait pas l’emmener au Danemark. Elle lui donna pourtant son adresse mail et lui dit une dernière fois «  »Amaseghenallõ » avec un sourire qui était l’orgueil de l’orthodontie occidentale. 

Visions de Rome.

 Piégés dans leur voiture les Romains se défoulaient en klaxonnant. Ailleurs, cette cacophonie aurait terrorisé et fait fuir au loin les étourneaux, mais ceux de Rome y étaient habitués. Massés en de frénétiques nuages noirs face aux magnifiques couleurs du ciel, ils bombardaient de guano les voitures bloquées. « Voilà ce qu’est devenue cette ville pensa rageusement Ilaria, une beauté démesurée d’où pleut de la merde. »
Celle qui avait été une des plus belles places de la nouvelle Rome capitale grouillait maintenant de rats gros comme des petits chiens, de dealers et de toute substance chimique et végétale, de putains dont à la différence de celles du bon vieux temps (« Bouche de la vérité », « Mains de fée », « La Cochonne »), personne ne connaissait le nom : elles restaient dans les recoins de stands mal fermés le temps d’une pipe, puis elle disparaissaient remplacées par d’autres encore plus droguées et meurtries.

Régime éthiopien .

 En Éthiopie les journalistes sont mis en prison quand ils ne sont pas assassinés, de même que quiconque protestent contre la corruption et les déportations dans les villages tribaux ; pourtant les occidentaux disent que l’Éthiopie est un rempart de la démocratie. Et pourquoi le disent-ils si ce n’est pas vrai ? Parce que l’Éthiopie leur est indispensable dans la guerre contre les terroristes.

Berlusconi et la pertinence sémantique du verbe voler …

 « Moi j’ai confiance en lui dit Anita quelqu’un d’aussi riche n’a pas besoin de voler. « 
Atilio ressentit une de ces nombreuses pointes d’irritation provoquées par sa femme qui ponctuant ses journées. Comme si en politique l’essentiel était de ne pas voler ! Et puis, que signifiait exactement cette expression présente dans toutes les bouches à la télé, dans les journaux, dans les dîners ? Lui, par exemple avait-il volé ? Non. Il avait pris mais seulement à ceux qui lui avaient donné. À ceux qui étaient d’accord. Comme d’ailleurs était d’accord Casati, l’homme dont il était le bras droit depuis des dizaines d’années. Et Anita aussi  : vivre dans cet immeuble liberty avec vue sur la Villa Borghèse ne lui déplaisait surement pas. Bref, ils étaient tous d’accord sur le peu de pertinence sémantique du verbe « voler ».

La visite de Kadhafi à Berlusconi .

 Il est accompagné de deux gardes du corps des femmes comme toujours. Elles ont des corps massifs moulés dans des treillis, des lèvres étrangement gonflées, un double menton. Elles cachent leur regard derrière des lunettes encore plus noires que leurs cheveux et identiques à celles de leur patron. Qui l’est dans tous les sens du terme, disent les gens bien informés. Dans les cercles diplomatiques, on raconte que les fameuses amazones du colonel font partie du vaste harem d’esclaves sexuelles qu’il choisit lui-même parmi les étudiantes libyennes, avec de sombres menaces contre les parents qui envisagent de s’y opposer, pour des pratiques telles que le « bunga bunga ».  » Drôle d’expression, pense Piero, jamais entendu en Italie. » Il l’a entendue à Tripoli en accompagnant Berllusconi lors de sa première visite il y a deux ans, celle du fameux baise-main. L’ambassadeur italien en Libye lui avait expliqué qu’il s’agissait d’une pratique de groupe incluant le sexe anal, de très loin le préféré de Kadhafi.

Rapport d’enquête au sénat italien (on pourrait le dire pour d’autres pays).

 La coopération italienne n’a pas été un instrument de grands développement pour les pays du tiers-monde, mais simplement une occasion de prédation, de gaspillages et de bénéfices pour les entreprises italiennes, protégées et garantie par l’État aux dépens du contribuable. L’ aide aux pays tiers était un résultat marginal, s’il tant est qu’il y en ait eu. Le secteur des grands travaux a été le secteur des vols.

L’Italie et son passé fasciste.

 Et tout ce qui, à tort ou à raison était associé au fascisme était considérés comme un corps étranger, une parenthèse, une déviation du vrai cours de l’histoire de la patrie celui qui reliait l’héroïsme du Risorgimento à celui de la Résistance. L’Italie était un ancien alcoolique qui, comme tout nouvel adepte de la sobriété, ne voulait pas être confondu avec le comportement qu’il avait eu lors de sa dernière et tragique cuite. Elle ne désirait que les petits progrès quotidiens du bien-être moderne qui germait comme les pissenlits de mars sur les décombres.

Le mépris de classe.

 « Récapitulons donc, lança Edoardo Casati pour finir, je vous offre un bon salaire et d’excellentes perspectives de carrière ; en revanche je ne vous offre pas ma gratitude et encore moins ma confiance. Celle-ci se donne entre pairs, et nous deux, nous ne le sommes pas. Vous êtes le fils d’un chef de gare, moi j’ai dans les veines le sang de sept papes. Vous comprenez bien que ni vous ni moi ne pourrons jamais l’oublier. » 

Les bordels en temps de guerre.

 Au bordel de Bagnacavello maintenant, il y avait beaucoup de femmes d’origine moins populaire : veuves de soldats au front, fille de parents exterminés tous les deux par un seul bombardement orphelines des ratissages nazis. La tenancière les avait toutes accueillies dans un esprit d’œcuménisme, sans distinction. Et on peut dire bien des choses horribles sur la guerre, mais pas qu’elle enlève du travail aux putains.

On peut imaginer ce genre de propos de quelqu’un qui lit « Physiologie de la haine » de Paolo Mantegazza.

« Vous êtes jeune et compétent. Mais vous avez encore beaucoup de choses à comprendre. Il y a des peuples qui ont l’esclavage dans le sang. D’autres comme le peuple italien ont la civilisation dans le sang. Et nul ne peut changer ce qui coule dans ses propres veines. »

Le train des enfants

Édition Albin Michel . Traduit de l’italien par Laura Brignon

J’avais lu l’an dernier ce roman sans le mettre sur Luocine, et je ne sais pas pourquoi, en revanche je me souvenais très bien de cette lecture. Et j’ai retrouvé mes mêmes sensations . Ce roman, raconte un fait historique : les Italiens, sous la houlette du parti communiste, ont organisé après la deuxième guerre mondiale, le transport d’enfants du sud de l’Italie vers les région du nord plus riche. Nous suivons le destin de Amerigo Esperanza petit garçon de six ans au début du livre qui doit prendre ce train.

Cette première partie est très belle, nous voyons ce voyage à travers les yeux d’un enfant qui souffre de se séparer de sa mère et dont la compréhension de ce qu’il se passe ne dépasse pas ce qu’un enfant de sept ans peut comprendre. C’est drôle et émouvant. Il est très attaché à sa mère mais souffre de la faim et ses conditions de vie, sont plus proches de la survie. Il trouve dans le Nord des gens accueillants et qui, surtout, lui révèlent son don pour la musique. Son retour chez lui est brutal, car il y retrouve la misère et sa mère vend son violon pour le nourrir. Trop malheureux il repart vers sa famille d’accueil. La deuxième partie on le retrouve adulte lors de la mort de sa mère.

Cette deuxième partie, fait que j’ai quelques réserves sur ce roman. Pour éviter un roman trop long, Viola Ardone suggère plus qu’elle ne nous raconte comment s’est passé le reste de la vie d’Amerigo Benvutti (on comprend, alors, qu’il a pris le nom de sa famille d’accueil) qui est aujourd’hui un violoniste connu. On comprend aussi que sa mère a eu un autre fils et même un petit fils. Amerigo décidera d’aider ce petit garçon. Le petit violon vendu par sa mère dans son enfance jouera un rôle important dans l’épanouissement de la personnalité d’Amerigo Esperanza-Benvutti. La personnalité de sa mère est difficile à cerner complètement. Quand l’enfant est petit, il aime sa mère mais sait qu’elle est incapable d’exprimer le moindre sentiment affectueux. On croit comprendre aussi qu’elle ne veut accepter la charité de personne, ce qui explique qu’elle n’a pas voulu que son fils reçoive le courrier de sa famille du Nord. Tout cela le petit ne peut le comprendre mais l’adulte lui pardonnera car on voit qu’il a essayé de l’aider financièrement.

Malgré ces réserves, je ne peux que recommander cette lecture qui permet de mieux connaître les difficultés de l’Italie du Sud d’après guerre.

 

Citations

 

Le jeu de l’enfant .

 Je regarde les chaussures des gens. Si elles sont en bon état, je gagne un point ; si elles sont trouées, je perds un point. Pas de chaussures : zéro point. Chaussures neuves : étoile bonus. Moi, des chaussures neuves je n’en ai jamais eu, je porte celles des autres et elles me font toujours mal. Maman dit que je marche de travers. C’est pas ma faute. C’est à cause des chaussures des autres. Elles ont la forme des pieds qui les ont utilisées avant moi. 

La leçon de vie du chef mafieux.

 Mon petit gars. il m’a dit, les femmes et le vin c’est pareil. Si tu te laisses dominer, tu perds la tête, tu deviens un esclave, et moi j’ai toujours été un homme libre et je le resterai.

Fin du livre : le destin de son neveu.

Je lui ai offert mon violon, celui que tu as fait en sorte que je retrouve. Il est exactement à la bonne taille pour lui, on verra s’il a envie d’apprendre. Il pourra le faire ici sans avoir à s’échapper, sans avoir à troquer ses désirs contre tout ce qu’il a. 

 

 

 

Le choix

Édition Albin Michel traduit de l’Italien par Laura Brignon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Une femme sans mari est comme une moitié de ciseaux : elle ne sert à rien.

Nous sommes à Martorana, en Sicile dans les années 60, et l’histoire connaîtra un épilogue en 1981. Ce roman est une illustration tragique d’une loi italienne incroyable qui ne sera abolie qu’en 1980 qui voulait que : lorsqu’un violeur accepte d’épouser la femme qu’il a violée, il n’y ait alors aucune suite pénale pour lui, et l’honneur de la femme sera rétablie ! !

La partie la plus importante du récit se passe avant le viol et décrit avec une minutie passionnante l’adolescence d’une jeune fille qui a la tête remplie des interdits de sa mère pour rester sans tâche jusqu’à son mariage. Pour cela, elle a tout accepté : arrêter ses études, se marier avec un homme aveugle qu’elle ne connaît pas et surtout résister au sale petit voyou qui se prend pour un Don Juan irrésistible. Malheureusement, celui-ci est riche et réussit à organiser son enlèvement et à la violer. Les rapports entre elle et ses parents montrent une toute jeune fille qui voudrait à la fois s’extraire de son milieu, ne pas accepter les clichés de sa mère sur les femmes, mais en même temps essayer de s’adapter à la vie qu’on lui propose, qu’elle imagine comme la seule possible. J’ai bien aimé le personnage du père qui semble être un homme effacé et inconsistant, mais qui, dès le début, soutient sa fille Pour sa mère, il lui faudra pour pendre conscience du drame de ses deux filles, le choc du procès. Elle admirera alors le courage d’Olivia et soutiendra enfin, Fortunata l’aînée pour divorcer du mari qu’elle lui avait imposé, pour que sa fille retrouve son honneur car elle était enceinte, du fils du maire qui ne voulait pas l’épouser contrairement à cet homme qui, pendant quatre ans, lui fera vivre un véritable enfer, elle a perdu son bébé à la suite des coups qu’elle reçus. Au début du roman, la mère essaye de faire entrer à toute force dans la tête d’Oliva tous les préjugés sur le comportements des filles : elles ne doivent pas courir, elles ne doivent pas regarder les garçons, elles ne doivent pas faire d’études et surtout, surtout rester sans tâches. Elle a si peur, cette mère qui n’est pas originaire de Sicile qu’elle en devient méchante. Je trouve ce point de vue intéressant car je pense que si les femmes sont des victimes dans les civilisations traditionnelles, elles le doivent avant tout aux préjugés des mères ou à leur peur. (Je n’oublie pas que l’excision pour parler du pire est fait par des femmes sous l’ordre des mères)

C’est un roman qui se lit facilement, l’histoire est un peu trop exemplaire pour mon goût. L’autrice (il faut que je rajoute ce mot à mon vocabulaire puisqu’il a gagné contre auteure que je lui préférais !) raconte bien les histoires et sait captiver son lectorat. La photo choisie pour la couverture du livre reflète bien le roman, on sent toute la peur de la femme âgée qui pourrait être la mère d’Olivia devant la beauté de sa fille.

Citations

La peur de la jeune adolescente.

 Je ne sais pas si le mariage, je suis pour, je ne peux pas finir comme Fortunata, qui s’est fait mettre enceinte par Musiciacco pendant que je mangeais des pâtes aux anchois chez Nardina. C’est pour ça que je cours tout le temps dans la rue : l’air expire le garçon est comme celui d’un soufflet qui aurait des mains et pourrait toucher ma chair. Alors je cours pour devenir invisible, je cours avec mon corps de garçon et mon cœur de fille, je cours pour toutes les fois ou je ne pourrai plus, pour mes camarades qui portent des chaussures fermées et des jupes longues, qui ne peuvent marcher qu’à petit pas lents, et puis aussi pour ma sœur qui est enterrée chez elle, comme une morte mais vivante.

L’honneur des hommes et des femmes.

 Don Vito est devant le café de la place au milieu d’un groupe d’hommes, ils commentent les tenues des femmes en prenant garde à ne pas se faire entendre par leurs maris. Je le vois rire, il a une belle bouche et des yeux couleur de mer, mais il a comme un chagrin sur son visage. J’imagine qu’il est obligé de faire ce cinéma pour ne pas apporter de l’eau au moulin des langues-coupantes qui l’appellent « moitié d’homme » dans son dos. Les hommes souffrent eux aussi :leur honneur réside dans les femmes qu’ils ont prises, l’honneur des femmes réside dans leur chair même. Chacun défend comme il peut ce qu’il possède.

Débat dans la réunion organisée par un sympathisant communiste.

 – » Donc si j’ai bien compris, la femme doit rester à la maison et obéir à la volonté de son mari. Vous êtes d’accord ? Les dames ici présentes partagent cet avis ?
– Moi je pense que ce n’est pas juste » intervient femme entre deux âges. L’assemblée se retourne pour la regarder.  » Ce n’est pas juste, mais c’est nécessaire, précise-t-elle. Dans la rue, les filles doivent être accompagnées, parce que si elles sont seules, les gens se demandent où elles vont. Les hommes sont en chasse, c’est leur nature, et les agneaux se font manger par le loup.

La gentillesse de son père.

« Tout à l’heure tu m’as demandé ce que je fais. Eh bien voilà, conclut-il une fois son tri achevé quand tu trébuches je te soutiens »

Et c’était dans la loi.

« Article 544 du code pénal :  » pour les délits prévus par le chapitre premier et par l’article 530, le mariage, que l’auteur du délit contracte avec la personne offensée, éteint le délit, également pour les personnes ayant contribué au même délit ; et, s’il y a eu condamnation, l’exécution et les effets pénaux cessent « 
– Qu’est ce que ça veut dire ? Parle simplement, Pippo, lui enjoint mon père.
– Ça veut dire : après le mariage, délit éteint pour la loi, honneur réparé pour la fille.


Édition Stock. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 Le temps de la mémoire n’est jamais linéaire. 

Il y a des choses qu’on regarde mais que l’on ne voit pas. Malgré les traces qu’elles laissent.

Ce roman est la preuve que, quel que soit mon désir d’objectivité (qui, en réalité, n’est pas du tout mon désir premier !), je peux apprécier dans un livre ce que je déteste dans un autre : Michela Marzano, dans un genre que l’on pourrait classer dans « l’autofiction- biographique-historique » nous raconte son frère, homosexuel, ses parents en particulier son père député de la gauche italienne et surtout son grand père qu’elle croyait royaliste alors qu’il a été un des premiers fascistes et membre important du gouvernement de Mussolini , elle ignorait tout du passé de son grand-père, et c’est un choc pour elle car elle pensait qu’à l’image de son père sa famille avait toujours été du bon côté de l’Histoire . Comme je ne savais rien de la « défascisation » en Italie, son livre est devenu passionnant. Je me faisais une opinion fausse du fascisme et de la Shoah . Si au début de la prise de pouvoir par Benito Mussolini, celui-ci n’était pas antisémite, il l’est devenu par la suite et a fait promulguer des lois leur enlevant tous leurs droits et a organisé leur déportation.

Michela Marzano m’a fait découvrir le mot « anamnèse » contraire à l’amnésie et qui fait qu’elle vit totalement encombrée par le passé. C’est devenu une maladie mentale qui l’a rendue anorexique et à avoir des comportement suicidaires. Ce genre de récit impudique me gêne d’habitude, mais elle a su me le faire accepter, et surtout j’ai compris que, pour se confronter à ce père tyran domestique , elle n’avait pas le choix. Car cet homme a une conduite incroyable avec sa femme et ses enfants .

Ce livre foisonne d’informations sur l’Italie et je remercie cette écrivaine de s’être donné la peine d’être aussi précise dans ses recherches historiques. On comprend, aussi, ses souffrances, en particulier sa peur d’être mère et de transmettre à un enfant tout ce qui l’a rendu malade. Rien, sans doute ne la consolera de n’avoir pas eu la force d’être mère, mais elle enrichit d’une autre façon l’avenir de son pays grâce à ce livre.

Elle écrit aussi bien en français qu’en italien. En italien elle a choisi comme titre : »Stirpe e Vergogna » qui décrit la honte de sa lignée et en français le titre « Mon nom est sans mémoire  » insiste plus sur l’amnésie de sa famille par rapport à l’engagement de son grand-père auprès de Benito Mussolini dont il donnera pourtant le prénom à son fils en quatrième position. Cela contribuera à l’absence de mémoire de sa famille et au silence de son père.

 

Citations

La bonne conscience de gauche

 J’ai la conscience tranquille. C’est ce que je ne me dis, même si, au fond, je ne me sens pas très bien. Mais j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose car, autrement, tout vacille : ma certitude inébranlable d’avoir toujours été du bon côté de l’Histoire, mon petit univers angéliques, la bonne conscience de gauche de mon père, La possibilité de me regarder dans un miroir sans avoir honte.

Antisémitisme italien.

 D’autant qu’en Italie, la persécution contre les juifs n’a été ni soudaine ni imposée par Hitler – comme l’ont prétendu Renzo de Felice et Georges Mosse. Elle s’inscrit parfaitement dans l’héritage de l’expérience coloniale italienne quand en 1936 le Duce chez part en guerre contre le « métissage » dans les colonies, et qu’il prétend que les métis sont une atteinte biologique à l’intégrité de la race, le racisme est déjà bien présent d’abord les Noirs puis les Juifs.

 

J’aurais eu aussi honte qu’elle !

 J’avais tellement honte quand j’étais petite et que mon père trouvait toujours le moyen de caser dans son discours son titre de professeur des universités(..)
Je me souviens nous sommes en vacances en Haut-Adige et mon père veut nous emmener faire un tour en Autriche. Mais à la frontière, l’agent lui dit que sa pièce d’identité est périmée et qu’il ne peux pas nous laisser passer. Mon père est surpris : « Je suis professeur d’économie politique à l’université la Sapienza de Rome ! » dit-il avec fierté. Mais quel rapport ? pensé-je en rougissant. Pourquoi n’arrête-t–il pas de nous mettre tous dans l’embarras ? D’autant que l’agent impassible rétorque tout de suite :  » Je comprends, monsieur le professeur, mais je ne peux quand même pas vous laisser passer.« 

Bataille sur le front italien guerre 14/18.

La onzième bataille de l’Isonzo, en dépit de la prise du haut plateau de la Bainsizza, se conclut par un échec retentissant et coûte à l’Italie 144 000 hommes : morts, blessés ou disparus. En moins d’une semaine !

Jolie expression italienne .

 Il sait parfaitement qu’il s’agit de Rosa Campo, que sa famille est l’une des plus en vue de la ville, et que sa mère, donna Giuseppe a, comme on dit en Italie, « la puanteur sous le nez » ce qui veut dire qu’elle est assez hautaine.

Un mari et père odieux.

 « Tu aimes cette robe ? » demanda un jour ma mère à son mari. Au début de leur mariage, les parents ne roulaient pas sur l’or. Cela faisait des années qu’elle n’achetait rien qu’elle se débrouillait avec ce qu’elle avait déjà, qu’elle faisait des sacrifices et qu’elle cherchait à montrer à son mari qu’elle n’était pas une femme frivole.
« Je te souhaite de ne jamais la porter » répondit mon père glacial. Il était tellement dédaigneux que, ayant assisté par hasard à la scène, je courus m’enfermer dans ma chambre, et pris dans mes bras ma poupée, pour la consoler et lui dire de ne pas pleurer.

Le poids du prénom

« Nomen omen »,le nom est présage, disaient les Romains, convaincus que dans le nom de chaque homme était indiqué son destin.

Toujours son père.

La scène est plus ou moins la suivante : nous sommes en vacances ; mon père est en train de marcher devant, et rapidement ; lorsqu’il se rend compte que ma mère, mon frère et moi, sommes restés en retrait, il nous réprimande en disant que quand on se déplacent en groupe on doit rester « dans le groupe ». Il nous dit :  » Bougez-vous un peu. » Il dit : » Je ne veux pas entendre d’histoires. » La mère et moi commençons donc à accélérer le pas sans dire un mot. Mon frère, lui, ne bouge pas. Mon père crie alors : » Arturo, ça vaut aussi pour toi. » Mon frère réplique : « Pardon, mais qui décide où est le groupe si trois personnes sur quatre ne veulent pas suivre la quatrième ? » Et là, mon père devient fou de rage : » le groupe c’est moi. »

La phrase qui tue !

 Et systématiquement au retour de mon père c’était des scènes et des cris : « Vous êtes des incapables pires que votre mère vous ne ferez jamais rien de votre vie ! »

 


Édition Arthaud. Traduit de l’italien par Béatrice Vierne.

En ce trois octobre, ma meilleure amie a 80 ans et comme cette auteure, elle aime par dessus tout créer des jardins, comme elle, elle lutte aussi contre des maladies graves mais heureusement qui la laisse en vie permettant à ses amis de profiter de son incroyable optimisme . C’est aussi une photographe de talent et j’avais parlé d’un de ses livres sur le pain sur Luocine.

Le titre du livre vient d’un poème d’Emily Dickinson :

« Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin

Tant je redoute ma défaillance.

Pour le moment, je n’ai pas tout à fait la force

De mettre l’abeille dans la confidence »

Pia Pera est connue pour ses livres sur les jardins et elle écrit ce dernier livre en luttant contre une maladie qui va finalement l’emporter. Tout le long des années où elle a senti son corps la trahir, elle a cherché du réconfort auprès des plantes dont elle s’était occupée dans son merveilleux jardins. Elle a aussi cherché auprès de la médecine, si impuissante dans son cas, une guérison qui n’est pas venue. Elle a accepté de trouver dans des médecines non conventionnelles un peu de réconfort, elle a beaucoup espéré hélas, en vain. Elle a trouvé aussi dans les lectures des points d’appui, plus sans sans doute que dans la science médicale. Mais ce qui fait le charme de ce livre qui a tant plu à Dominique -au point de me donner envie de le lire et de l’offrir- ce sont tous les passages sur les merveilles de la nature. Autant elle sent l’inutilité des souffrances qu’on lui impose pour soi-disant la soigner, autant on sent qu’elle se regénère à chaque fois qu’elle peut se fondre dans le paysage qu’elle a su créer.

Comme ce livre suit ses pensées, il fourmille de petits passages merveilleux qui enlèvent la tristesse du propos. Par exemple savez vous qu’à Détroit les habitants créent des jardins potagers et des fermes sur des terrains arrachés aux friches industrielles ou aux barres d’immeubles vidés de leurs habitants par la délocalisation des industries métallurgiques et automobiles. De nombreux jardins sont évoqués que j’aimerais bien aller visiter, et tant de livres que je n’ai pas lus et où elle trouve des propos qui correspondent à son état physique et mental. Car évidemment son corps souffre et trahit la femme active qu’elle a toujours été. C’est triste mais pas tragique car dès qu’elle peut adapter son corps à des plaisirs physiques, on la sent heureuse. Comme ce dernier bain de mer à l’île d’Elbe dans une voiture adaptée. Mais, ce sont les passages sur les plantes qui font tout le charme de ce livre et pourtant ce n’est pas mon sujet de prédilection. Je vous ai recopié le passage sur les rose pour vous donner une petite idée du style de Pia Pera.

Finalement que dire de plus : un très beau livre et un hymne à la vie. Comme le dit la mère de José Saramago

« Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir. »

 

 

Citations

On a envie de s’y promener.

J’ai tenté de raconter comment j’avais transformé une ferme austère en lieu où l’on pouvait, par une transition progressive entre le spontané apparent et le champêtre, entre le fortuit et le délibéré, assez discrète par une transition imperceptible côtoyer des bosquets, des oliviers, un verger, un potager, jusqu’au jardin des buis, derrière la maison. Mon intention avait été d’effacer ou pour le moins d’estomper mes propres traces, tous les indices risquant de laisser deviner un projet, une attention. 

Les plantes et les ruines.

 Ce qui émeut, dans les plantes superbes poussant telle de courageuses pionnières, parmi les ruines archéologiques, ce n’est pas la mort, mais la vitalité.

J’espère que mon amie arrivera à cette sagesse .

 La canne à la main, me dis-je, je ne me laisserai plus dominer par personne. Je tiendrais tête. Vraiment, elle me met en joie. Elle favorise ma vocation de despote. J’adore dire aux autres ce qu’ils doivent faire. Il a fallu que je tombe malade pour découvrir à quel point donner des ordres est plus gratifiant, au fond, qu’une pénible autonomie. Au début, je m’obligeais pour des raisons morales, à tout faire toute seule. Maintenant, malade, je peux profiter en secret d’un privilèges suspect sur le plan éthique.

Les roses.

Depuis leur premières apparition, j’appelle les boutons de rose minuscules et serrés, comme des écrins en miniature tantôt ronds, tantôt allongés, avec parfois des pétales disposés capricieusement, par petites Gilles. Chacun d’eux m’inspire une tendresse poignante, mêlée de curiosité envers les nuances, les formes comprimées jusqu’à l’invraisemblable. Et puis enfin, quelque chose transparaît : l’étreinte des sépales se relâche tandis que la fleur pousse afin de s’ouvrir à la lumière. Pour le bouton c’est la capitulation , et alors les rôles s’inversent : on voit la petite couronne de sépales ployer, vaincue, au pied de la fleur triomphante, tantôt dessinée selon des lignes Art nouveau, tantôt fluide comme la tache de couleur d’un impressionniste, tantôt avec des pétales disposées en corolle simple, comme dans un codex enluminé.

Une autre amoureuse de jardin.

Aussi longtemps qu’elle (Vitæ Sackville-West) l’a pu, elle a vécu avec et pour son jardin. Elle n’était pas femme à sacrifier un seul instant pour penser à cette goujate qu’est la mort .

J’ai aimé tant de passages comme celui-ci :

José Saramago, dans son discours pour le Nobel, évoque l’homme le plus sage qu’il est connu – son grand-père maternel, qui ne savait ni lire ni écrire. Pressentant qu’il ne reviendrait pas du voyage qui d’Azinhaga allait le conduire jusqu’à un hôpital de Lisbonne, il a pris congé, en larmes, des arbres de son jardin, les étreignant un par un. quant à sa grand-mère maternelle, elle a déclaré : « Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir.

 

 


Édition la cosmopolite stock. Traduit de l’italien Anita Rochedy
Un roman très agréable à lire, comme un grand bol d’air pur dans la haute montagne. Cet écrivain sait rendre hommage aux paysages qu’il aime tant. Surtout n’attendez pas trop d’histoire de loups car s’ils sont présents dans ces montagne et dans le roman, ils ne sont pas les personnages principaux. L’auteur écrivain se met en scène dans un restaurant où il fait la cuisine « Le festin de Babette » en hommage à la nouvelle de Karen Blixen qui a inspiré à Gabriel Axel un film que je revois de temps en temps toujours avec le même plaisir. Il va rencontre Sylvia avec qui il aimera faire l’amour, mais ce n’est pas non plus le sujet principal du roman, aucune histoire n’est vraiment menée jusqu’au bout ; c’est ce qui m’a empêchée de mettre cinq coquillages au roman. Un peu comme dans la vie, on croise des gens que l’on aimerait mieux connaître, parfois aussi mieux aider mais cela ne se fait pas car nous suivons une autre route. Fausto aimera Sylvia, mais il n’est pas sûr qu’ils restent ensemble, il aidera un montagnard après un accident et nous apprendrons que cet homme a été le mari de Babette (c’est ainsi que l’on surnomme la propriétaire du restaurant) et qu’ils ont eu une fille ensemble, mais rien de plus.
Le vrai sujet de ce roman, c’est l’imbrication de la vie de ces personnages dans une nature qui domine tellement les hommes. Seuls les loups sont réellement libres dans ces montagnes, c’est peut-être le sens du roman.
Un roman qui permet d’oublier le quotidien grâce à ce que la montagne peut apporter aux hommes en quête de beauté liée à l’effort pour y accéder.

Citations

Une avalanche.

 Sylvia retourna alors sur la terrasse pour tenter de voir les avalanches. Elle observa les montagnes face à elle, l’envers, exposé au nord, de Fontana Fredda. Elle réentendit le grondement, l’effondrement, même s’il était plus bas que le premier, et aperçut un souffle de neige contre les rochers. Puis un autre sur une paroi, comme une cascade. Un peu partout la neige s’éboulait, dans les endroits où la pente était trop raide où ceux où elle s’était trop accumulée, elle dévalait en suivant les reliefs de la montagne, ses à-pics et ses glissoires puis faisait halte plus bas. Au bout d’une minute, Sylvia vit une vraie avalanche se détacher dans un couloir. Elle remarqua d’abord l’éclair puis, avec un temps de retard, le coup de tonnerre lui parvint, long et profond. On ne pouvait l’entendre sans éprouver une once d’angoisse. La masse de neige dévala longtemps, se gonfla en s’enroulant et en charriant celle qui était sur son passage, et quand elle finit par s’arrêter elle laissa sur le flanc de la montagne une tache sombre, comme un mur dont le plâtre serait tombé.

La fin de l’hiver .

 En cette fin de saison, la neige cédait déjà vers midi, après quoi, elle se transformait en bouillasse : il lui semblait qu’elle suppliait qu’on la laisse retourner à l’état liquide, baigner la terre et ruisseler au bas de la vallée.

Milan.

 Sur la place du quartier, des coursiers péruviens allaient et venaient, des Arabes désœuvrés étaient assis à des tables dehors, des Africains grands et minces attendaient de récupérer leur linge devant les laveries automatiques. L’humanité était comme la forêt, pensa-t-il plus on descend en altitude et plus elle se diversifie.

La santé des montagnards.

 L’état de santé général de monsieur Balma pouvait être qualifié de catastrophique. Il avait un foie d’alcoolique et les artères épaissies et bouchées, il pouvait faire une ischémie à tout moment, ou pire encore. Il n’avait pas vu de médecin ni fait d’examen sanguin depuis des années. Des histoires de montagnards.
 Il enchaîna sur le pluriel, commença à parler d’ « eux » au lieu de « lui », et dit : Vous savez comment ils sont faits. Avec ce qu’ils mangent, à cinquante ans ils ont plus de gras que de sang dans les veines. Et ils vont pas changer leurs habitudes pour autant 
À croire qu’ils attendaient l’inévitable.

Changement de population dans les refuges.

 À midi, le refuge était un chassé croisé de gens qui partaient et qui rentraient. Fausto a reconnu le salon, les photos d’époque au mur, l’odeur de cuisine et de transpiration et de vieilles boiseries. Quelque chose d’autre avait changé depuis son enfance. Avant, il ne voyait que des hommes d’âge mûr, parlant italien ou français ou allemands, et tous les panneaux étaient traduits dans les trois langue du mont Rose. Désormais le refuge était rempli de jeunes gens, la même humanité qu’on aurait pu trouver dans les grandes métropoles du monde, et les panneaux étaient tout simplement passés à l’anglais.

Édition Flammarion. Traduit de l’italien par Juliette Bertrand.

Ce roman a été écrit en 1961 et il reste encore une référence pour comprendre comment fonctionnait la Mafia sicilienne. (En espérant que les choses aient changé !) Il est si connu ce roman que l’auteur qui a fait une carrière politique est devenu le spécialiste de la Mafia (Un peu trop semble-il à son goût !). J’ai cherché l’explication du titre, je n’ai rien vu d’évident. Je me lance dans une hypothèse, la recherche du coupable peut être devant les yeux de tout le monde, la mafia va rendre les évidences invisibles, comme les yeux d’une chouette qui ne voient rien à la lumière du soleil. Le roman se divise en moments différents que le lecteur doit lui-même relier les uns aux autres. La scène initiale ressemble à une scène de film : un bus part sur la place du village, un homme court pour rattraper le bus, le chauffeur ralentit, ouvre la porte, deux coups de feu l’homme s’écroule. Le bus se vide, les carabiniers arrivent, personne n’a rien vu. Ensuite l’enquête va se poursuivre, le commissaire est un homme du nord, pour qui la vérité et la logique semblent des valeurs fondamentales. Grâce à cette enquête, l’auteur nous montre que la vérité est là devant les yeux de tous. L’homme abattu, l’a été car il ne voulait pas payer l’argent de la corruption. Et, lorsque le commissaire remonte vers cet argent, tout le pouvoir local, mais hélas pour son enquête, également le pouvoir à Rome, commencent à trembler. Et si le pouvoir tremble, le commissaire a beau faire un travail remarquable, tout va redevenir « normal » et personne ne sera inquiété pour ce qui va devenir une banale histoire de passion amoureuse. Le pire des truands aura un alibi suffisant pour que l’enquête s’arrête. Evidemment en 1961, ce roman devait avoir un autre poids qu’aujourd’hui. Le fonctionnement de la Mafia nous est aujourd’hui beaucoup mieux connu, le romancier rappelle que le seul régime qui avait réussi à éradiquer la Mafia c’est le fascisme de Mussolini, et ce sont les Américains qui ont permis à ces bandits de revenir en force. Le charme de ce roman est dans son écriture, surtout à la structure du récit. L’auteur ne semble jamais prendre parti, il nous montre en toute objectivité les faits, il y a un détachement qui rend la situation encore moins acceptable.

La traductrice a été un peu ennuyée, je pense, avec l’imparfait du subjonctif, c’est -à ce que je crois savoir- un temps normalement employé en italien, mais en français, beaucoup moins, surtout à l’oral, et sans doute jamais dans des commissariats.

Citations

Le capitaine Bellodi

S’il continuait à porter l’uniforme, qu’il avait endossé dans les circonstances fortuites, s’il n’avait pas quitté le service pour la profession d’avocat à laquelle il se destinait, c’était parce que le métier qui consistait à servir les lois de la République, et à les faire respecter, devenait de jour en jour plus difficile. Il n’en serait pas revenu, l’indicateur, s’il avait su qu’il avait en face de lui un homme, carabinier et, de plus, officier, qui considérait l’autorité dont il était investi comme le chirurgien considère son bistouri : un instrument donc on ne doit user qu’avec précaution, avec précision, en toute sûreté, qui considérait la loi comme née de l’idée de la justice et tout acte découlant de la loi comme lié à la justice. Un homme pratiquant un métier amer et difficile, en somme.

Discours d’un député

« On m’accuse d’être en rapport avec des gens appartenant à la mafia, et, par conséquent, avec la mafia. Mais moi, je dois vous dire que je ne suis pas encore arrivé à comprendre ce qu’est la mafia, si elle existe, et je peux, en toute conscience de bons citoyens et de bons catholiques, vous jurer que je n’ai jamais connu de ma vie un seul mafieux. » À quoi, du côté de la Via loumia, à l’extrémité de la place où les communistes avaient l’habitude de ce grouper quand leurs adversaires tenaient un meeting, on entendit répondre par une simple question, très claire :
« Et ceux qui sont avec vous, qu’est-ce que c’est ? Des séminaristes ? »
 Là-dessus un éclat de rire s’était propagé dans toute la foule tandis que le député faisait comme s’il n’avait pas entendu la question et commençait à exposer un programme pour l’assainissement de l’agriculture.

Une scène que l’on imagine si bien au cinéma

Au milieu de son sommeil, la sonnerie du téléphone était arrivée jusqu’à sa conscience par ondes successives et désagréables. Il avait saisi l’appareil avec l’impression que sa main, tandis qu’il faisait ce geste, se trouvait à une distance incommensurable de son corps. Tandis que de lointaines vibrations, que des voix lointaine parvenaient à son oreille, il avait tourné l’interrupteur, réveillant de la sorte, irrémédiablement, Madame : certainement, elle ne récupérerait pas de la nuit un sommeil qui ne descendait jamais que parcimonieusement sur son corps inquiet. Brusquement, ces lointaines vibrations, se fondirent en une seule voix, également lointaine, mais irritée, mais inflexible, et Son Excellence se trouva hors de son lit, pieds nus et en pyjama, en train de faire des courbettes et des sourires comme si courbettes et sourires pouvaient s’infiltrer dans le microphone. 
Madame le regarda d’un air de profond dégoût. Elle lui tourna le dos, un dos splendide et nu, mais non sans lui avoir chuchoter : « Pas besoin de frétiller, il ne te voit pas. » Et, réellement, il manquait à son Excellence qu’un moignon de queue au derrière pour mieux exprimer toute sa soumission.

Débat à la chambre

Le sous-secrétaire reprit la parole. Il dit que, sur les faits qui s’était déroulés à S. et sur lesquels portaient les interpellations, il n’avait rien à dire, l’enquête judiciaire étant en cours, mais que, de toute façon, le Gouvernement considérait ses faits comme s’apparentant à la criminalité courante et repoussait l’interprétation que leur donnaient les députés qui l’interpellaient. Le gouvernement repoussait fièrement et dédaigneusement l’insinuation que la gauche faisait dans les journaux, à savoir que les membres du Parlement ou même du gouvernement auraient le moindre rapport avec la prétendue mafia. Laquelle, d’après le gouvernement, n’existe que dans l’imagination des socialistes et des communistes.

 

Édition Notabila . Traduit de l’italien par Lise Chapuis. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deux enfants d’un quartier de Palerme se soutiennent pour vivre et rester joyeux malgré la pauvreté dans laquelle ils vivent. Mimmo et Cristofaro passent leur temps à éviter tous les pièges que tend la vie aux miséreux. Mais Cristofaro est en grand danger car son père lui cogne dessus tous les soir comme le dit l’auteur « Il pleure la bière de son père ». Dans ce quartier de Palerme personne ne peut garder une quelconque intimité car tout se sait, puisque tout s’entend même le nombre de coups que reçoit le malheureux Cristofaro. Le héros du quartier c’est Toto le voleur insaisissable qui court si vite qu’il laisse sur place tous ceux qui veulent le rattraper, en se faufilant dans les ruelles qu’il connaît mieux que tout le monde.

Il est amoureux de Carmela la prostituée et un moment de bonheur semble arriver quand il organise son mariage avec elle et ainsi donne un père à Céleste l’enfant qui n’a pas de père. Lorsque sa mère reçoit ses clients, Céleste passe ses journées à lire ses livres de classe sur le balcon du domicile de sa mère. Elle s’instruit aussi en regardant par le trou qu’elle a réussi à creuser dans le volet de la chambre, et connaitre la longueur de le « bite » de chaque père du quartier lui permet de tenir à distance tous ceux qui auraient aimé la mépriser.

 

Mais évidement quand la misère vous colle à la peau le drame n’est pas loin, et ce livre ne pouvait pas finir par un « Happy-End » de mauvais goût .

En vous racontant l’histoire, je passe à côté de l’essentiel : le style extraordinaire. Giosué Calaciura réussit à nous entraîner dans les rues Palerme . Nous sentons physiquement les odeurs, le rythme de chacun, les peurs des uns et des autres. Toutes les scènes sont à la fois précises et oniriques. Le passage où l’auteur décrit l’odeur du pain qui envahit les rues est un moment délicieux. Les courses éperdues de Toto pour échapper aux policiers sont époustouflantes : on court avec lui. Toute la vie est scandée par la sirène du ferry qui annonce son arrivée – avec les marins clients de Carmela- et la sonnerie de son départ -qui invite ceux qui veulent fuir Palerme à monter à bord. Ce n’est pas facile de décrire la misère sans la rendre si glauque et si violente qu’elle nous fait peur où si lointaine qu’elle ne nous touche pas. L’auteur la connaît bien, cette misère, et sait nous la faire vivre presque physiquement, l’horreur est là, la violence aussi mais les moments de bonheur aussi. Bref c’est l’humanité dans sa totalité. Bravo monsieur Giosué Calaciura.

Vous pouvez aussi lire le billet de « lire au lit » qui en dit beaucoup de bien

 

Citations

La prostituée

À l’entrée, elle rencontra le client paralysé qui, ne voulant pas être reconnu, était resté là à attendre que la foule s’éparpille ; pour le tranquilliser, elle promit de lui faciliter une sortie discrète en attirant sur elle tous les regards et les méchancetés. Lorsqu’elle ouvrit la porte d’entrée de l’immeuble chaussée de ses claquettes bleues, couverte seulement de son peignoir bleu enfilé après le travail, et qu’elle se présenta dans la lumière du dimanche après-midi, elle apparut à tous très belle et exempte de toute faute. Les femmes même qui, par habitude, se signaient chaque fois qu’elle la voyait, se figèrent, le bras levé à la hauteur de « au nom du Père », pressentant dans leur geste le blasphème de ne pas avoir reconnu, au milieu de ses cheveux déliés des étreintes de la luxure, le visage de la Vierge au Manteau. Alors elle reprirent leur signe de croix non pour demander le châtiment et pour participer au pardon

Le père violent

Au Borgo Vecchio tout le monde savait que Cristofaro pleurait chaque soir la bière de son père. Après le dîner, assis devant la télévision, les voisins entendaient ses hurlements qui couvraient tous les bruits du quartier. Ils baissaient le volume et écoutaient. Selon les cris, ils pouvaient deviner où il le frappait, à coups de poing secs, précis. À coups de pied aussi, jamais au visage. Le père de Cristofaro tenait à l’honneur de son fils : personne ne devait voir l’outrage des bleus.

L’initiation de Toto, et la corruption de la police

« Tu la vois , cette voiture, là ? Les pneus , les quatre , et puis tu files. »

 C’était l’utilitaire d’un employé de l’hôtel de police en charge des passeports : il n’avait pas encore compris et s’occupait avec un zèle excessif des papiers entachés d’antécédents judiciaires , il entravait le cours naturel des autorisations et délivrances de documents , et faisait de l’obstruction à travers l’intransigeance de la loi et les temps longs de la bureaucratie . Certaines personnes , par contre , avait un besoin urgent de casiers judiciaires immaculés et d’autorisations permettant de mettre en route des dossiers de chantiers et de travaux . S’il n’avait pas compris la manière douce , étant donné qu’il avait renvoyé à l’expéditeur une invitation pour une semaine de vacances tous frais payés avec femme et enfants à l’hôtel de la mer , il allait à présent comprendre la manière forte.

Le vendeur du marché aux puces le plus malheureux

Mais parmi tous ces vendeurs de fortune, le plus synthétique était celui qui vendait la solitude d’une chaussure. L’autre avait été volée par pure méchanceté, parce que c’était la plus belle,brillante, en cuir noir, la paire de chaussures de son mariage, celle qui l’avait accompagné à chaque pas dans toutes les occasions de fêtes et aussi au repas de Noël, même si c’étaient des chaussures d’été.

Édition Gallimard NRF (du monde entier)

Traduit de l’italien par Danièle Valin

 

Quand j’ai chroniqué « le poids du Papillon » Dominique m’avait conseillé de lire ce roman. Comme elle, j’ai parfois des lectures moins enthousiastes de cet auteur par exemple « le jour avant le bonheur » et même « le tort du soldat » m’avaient moins convaincue que ces deux derniers romans. Encore un coup de cœur pour celui-ci. Un des sujets du roman c’est le travail du « passeur » artisan (il refuserait le titre d’artiste) qui doit « exposer la nature » du christ c’est à dire son sexe. Oui, j’ai appris grâce à ce roman que les crucifiés étaient nus sur leur croix. Il existe de rares statues du christ nu.

 

Un sculpteur décide au début du XX° siècle de faire une sculpture du crucifié nu, mais l’église a imposé que l’on cache le sexe sous un pagne de pierre. Notre personnage principal est donc chargé d’enlever le rajout et sculpter le sexe du christ.

Le personnage, – voilà l’autre thème du roman- est un habitant des montagnes mais il doit trouver refuge dans une petite ville de bord de mer car il est devenu bien malgré lui trop célèbre dans son village. Habitant des régions frontalières, il est devenu « passeur », pour « des gens » qui veulent continuer leur périple en Europe. Ces immigrés sont, comme il nous le dit, les nouveaux nomades de notre époque. Il s’acquitte avec succès de cette tâche, en acceptant le prix fixé par deux passeurs du village mais lui rend aux immigrés leur argent dès la frontière passée. Cela se sait et tous les médias s’intéressent à lui. Ses anciens amis se sentent trahis et ne veulent plus de lui dans le village. Il part donc et trouvera ce travail dans une église du bord de mer. C’est pour lui, et pour nous, l’occasion de se confronter au travail du sculpteur sur marbre et de réfléchir au sens des trois grandes religions monothéistes. Tout le livre très court -cet auteur écrit souvent de moins de deux cent pages- est plein d’une sagesse, d’humour et de réflexions qui font sourire parfois, nous troublent souvent. J’ai aimé ce roman , j’espère me souvenir de quelques une des citations que j’ai notées -celle sur Charlot a fait éclater de rire mes amis-. À mon tour de vous en recommander chaudement la lecture.

 

Citations

J’adore ….

Je grave des noms pour les amoureux endurcis qui les préfèrent sur des branches et des cailloux plutôt que sur des tatouages. Ils durent plus longtemps sans pâlir. 

Les frontières dans les montagnes

Ils sont cocasses ces États qui mettent des frontières sur les montagnes, ils les prennent pour des barrières. Ils se trompent, les montagnes sont un réseau dense de communication entre les versants, offrant des variantes de passage selon les saisons et les conditions physiques des voyageurs.

Le personnage principal doit sculpter le sexe du Christ qui a été enlevé et caché par un linge en granit

Il m’apprend que je suis le dernier d’une longue liste d’artistes, confirmés ou non, qui ont été consultés. L’un d’eux a dit que l’enlèvement traumatique de la couverture suffirait déjà à représenter la nudité et son histoire censurée. Ceux qui ont accepté d’essayer ont proposé des solutions bizarre. À la place de la partie détachées, quelqu’un a imaginé un oiseau, plus précisément un coucou, parce qu’il met ses œufs dans le nid des autres. Un deuxième à penser à une fleur. Un jeune artiste a eu l’idée d’un robinet.

Le vin

Le curé continue à m’écouter tout en prenant une bouteille de vin et deux verres. Il remplit le mien à ras bord. C’est l’usage chez les ouvriers. Si on offre du vin, on remplit le verre. Ce sont les riches qui en verse peu. Eux, ils ne boivent pas ils sirotent. Si on en offre à un ouvrier, on en verse jusqu’à ce que le verre déborde.

Vous la portez à droite ou à gauche ?

Il est curieux de connaître celui qui a finalement été chargé de restaurer la gêne. Son père qui était tailleur, l’appelait ainsi quand il prenait les mesures pour un pantalon. Il demandait au client de quel côté, droit ou gauche, il portait la gêne. 

Traverser la place de la gare à Naples

J’observe ce que font les passants pour atteindre la rive opposée du trottoir. Le courant d’automobiles est continu.
Ils font comme ça, ils descendent du bord tandis que le flux s’écoule indifférent à eux. Ils l Ils avancent dans le gué , frôlés et contournés par les voitures comme des rochers qui affleurent. Ils avancent rapidement jusqu’à la berge d’en face. Il ne faut pas croire que la mer Rouge s’ouvre en deux pour eux, mais c’est une mer rouge locale, élastique, qui coule en évitant le peuple en marche. Elle l’incorpore et le repose indemne de l’autre côté. Je regarde sans bouger. Je prends des notes visuelles étonné sur la dynamique du lieu, sans me décider à tenter l’expérience. Il est impératif de ne pas hésiter une fois dans le courant. La mer Rouge s’adapte à l’intrus si son pas est décidé, mais devient coléreuse et impétueuse s’il hésite ou change d’avis.

Charlot

Charlie Chaplin a participé au concours des imitateurs de Charlot et il est arrivé troisième. 

Le prix et la langue des passeurs

Les voyageurs paient comptant, forcé de faire confiance. On utilise un anglais de dix mots, le jargon des déplacements.

Destins d hommes

J’écoute les histoires de destins bizarres, des façons nouvelles de mourir : dans une soute asphyxié par les gaz du moteur, gelé dans le compartiment du train d’atterrissage d’un avion, étouffé dans un camion garé l’été en plein soleil.

Cruauté des hommes

Nous parlons de tout le mal que l’espèce humaine a inventé pour elle-même. Aucun animal ne se rapproche de notre pire. Aucune autre créature vivante n’a imaginé le supplice de l’emballement. L’habileté du bourreau consistait à prolonger l’agonie.

Nous cessons de manger pendant un moment, nous nous regardons, nous baissons les yeux. Il y a peu de temps encore, nous aurions assisté à ces exécution dans la rue sans détourner le regard. Décidé par les autorités : cela suffit à leur donner force de loi.