Traduit de l’anglais (États-Unis) par Eric Chédaille.
Je dois à Keisha un certain nombre de nuits et de petits déjeuner très éloignés des côte de la Manche, avec ce roman de 987 pages qui fait rouler l’imagination dans les grands espaces de l’ouest américain. J’aimerais comprendre pourquoi les français aiment à ce point changer les titres. En anglais l’auteur a appelé son roman « The Big Rock Candy Mountain », en 2002 le livre est publié aux éditions Phébus, sous le titre traduit exactement de l’anglais « La bonne Grosse Montagne en sucre ». Et maintenant, il revient avec ce titre raccourci, pourquoi ? Dans l’ancien titre, on croit entendre la voix de Bo, le personnage principal, qui fait déménager sa famille tous les 6 mois pour les convaincre d’aller rechercher la fortune sur une « bonne grosse montagne en sucre » . Bref, je m’interroge !
Je suis restée trois semaines avec Bo, Elsa, Chet et Bruce. J’ai trouvé quelques longueurs à cet énorme roman, mais n’est-ce pas de ma part un phénomène de mode ? Je préfère, et de loin, quand les écrivains savent concentrer ce qu’ils ont à nous dire. Je reconnais, cependant, que, pour comprendre toutes les facettes de cet « anti-héros » Bo Wilson, mari d’une extraordinaire et fidèle Elsa et père de Chet et de Bruce, il fallait que l’auteur prenne son temps pour que le lecteur puisse croire que Bo soit à la fois « un individu montré en exemple par la nation toute entière » et un malfrat violent recherché par toute les polices sans pour autant « être un individu différent » : ce sont là les dernières phrases de son fils, Bruce qui ressemble fortement au narrateur (et peut-être à l’auteur), il a craint, admiré, détesté son père sans jamais totalement rompre le lien qui l’unit à lui.
Cet homme d’une énergie incroyable, est toujours prêt pour l’aventure, il espère à chaque nouvelle idée rencontrer la fortune et offrir une vie de rêve à sa femme. Il y arrive parfois mais le plus souvent son entreprise fait naufrage et se prépare alors un déménagement pour fuir la police ou des malfrats. Elsa, n’a aucune envie d’une vie dorée, elle aurait espéré, simplement, pouvoir s’enserrer dans un village, un quartier un immeuble, entourée d’amis qu’elle aurait eu plaisir à fréquenter. C’est un personnage étonnant, car elle comprend son mari et sait que d’une certaine façon, elle l’empêche d’être heureux en étant trop raisonnable. Son amour pour ses enfants est très fort et ils le lui rendent bien. Cette plongée dans l’Amérique du début du XXe siècle est passionnante et l’analyse des personnages est fine et complexe. C’est toute une époque que Wallace Steigner évoque, celle qui a pour modèle des héros qui ont fait l’Amérique mais qui s’est donné des règles et des lois qui ne permettent plus à des aventuriers de l’espèce de Bo de vraiment vivre leurs rêves. Jamais dans un roman, je n’avais, à ce point, pris conscience que la frontière entre la vie de l’aventurier et du bandit de grand chemin était aussi mince.
Citations
Justification du titre
Il y avait quelque part, pour peu qu’on sût les trouver, un endroit où l’argent se gagnait comme on puise de l’eau au puits, une bonne grosse montagne en sucre où la la vie était facile, libre, pleine d’aventure et d’action, où l’on pouvait tout avoir pour rien.
Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas
Henry était pondéré, inoffensif, réticent même à annoncer sans ambages qu’il venait pour la voir elle et non son père, au point qu’il s’était montré capable de passer une demi-douzaine de soirées au salon à converser avec Nels Norgaard sans adresser plus de dix mots à Elsa. Il était posé, incapable d’un mot dur envers quiconque, gentil, si digne de confiance mais si dépourvu de charme. Comme il était dommage, songea-t-elle une fois en soupirant, que Bo, avec son aisance insolente, son intelligence, son physique puissant et délié, ne possédât pas un peu du calme rassurant d’Henry. Mais à peine commençait-elle à se laisser aller à cette idée qu’elle se reprenait : non, se disait-elle avec une pointe de fierté, jamais Bo ne pourrait ressembler à Henry. Il n’avait rien d’un animal de compagnie, il n’était pas apprivoisé, il ne supportait pas les entraves, en dépit de ses efforts aussi intenses que fréquents.
la famille déménageait tous les ans parfois quatre fois par an
Longtemps après, Bruce considérait cette absence de racines avec un étonnement vaguement amusé. les gens qui vivaient toute leur vie au même endroit, qui taillaient leur haie de lilas et repiquaient des berbéris, qui changeaient de carrée en ronde la forme de leur bassin de nénuphars, qui déterraient les vieux bulbes pour en mettre de nouveaux, qui voyaient pousser et un jour ombrager leur façade les arbres qu’ils avaient plantés, ces gens-là lui semblaient par contraste suivre un cheminement incertain entre ennui et contentement.
L’amour
L’amour est quelque chose qui fonctionne dans les deux sens, dit Elsa d’une voix douce. Pour être aimé, il faut aimer.