Édition l’Olivier, 158 pages, octobre 2023
Je n’ai jamais été chez moi chez moi.
J’ai encore oublié de noter la blogueuse qui m’a tentée mais elle se reconnaitra, je l’espère ; Voici le billet de « mot à mot » et celui de Anna-yes Mon biblioblog. C’est un livre qui raconte un rejet de la vie familiale incroyable, si fort, que l’autrice-narratrice a non seulement rejeté son milieu social -ses parents appartenaient à la classe ouvrière du Canada dans une ville petite (pour le Canada) grande pour la France : Kitchener, dans l’Ontario 230 000 habitants, mais elle a aussi, renié sa langue, l’anglais, son nom de famille pour trouver sa liberté de penser et d’écrire en français. Elle a donc vécu au Québec et est devenue traductrice en trois langues car elle parlait aussi l’espagnol. J’emploie le passé car Lori Saint-Martin est morte à Paris en 2022, c’est assez tragique que cette ville qu’elle a tant aimée soit aussi la ville qui l’a vue mourir.
J’ai voulu lire ce livre car j’aime bien le sujet de l’apprentissage des langues, et son cas est très particulier : elle n’a pas appris le français, elle a fait de cette langue sa langue d’élection. On peut l’écouter parler, elle est effectivement totalement à l’aise en français avec quelques traces d’accent québécois mais très légères. Je pense que lorsqu’elle arrivait à Paris, elle devait immédiatement prendre les intonations françaises.
Tout ce qu’elle dit sur la richesse que cela procure d’avoir plusieurs langues m’ont semblé très juste, surtout venant d’une anglophone qui pourrait visiter le monde entier en ne parlant que sa propre langue. Mais j’ai moins compris la violence du rejet de son milieu d’origine. Sa mère, même trop grosse et habillée en polyester de couleurs vives, ne mérite pas selon moi autant de rejet. Elle a sûrement mal aimé sa fille, mais elle l’a laissé aussi faire ce qu’elle voulait. D’ailleurs à la fin , elle le dit elle-même, c’est grâce à sa mère qui voulait parler anglais à ses petits enfants qu’elle élèvera ses propres enfants dans les deux langues le français avec leur père québécois, et l’anglais avec elle.
J’écris ce billet quelques jours après avoir fini le livre et je me rends compte qu’hélas, je garde plus dans mon souvenir le rejet de son milieu que le charme de savoir plusieurs langues.
Je trouve assez étonnant qu’elle ait réussi à surmonter son malaise de l’adolescence en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage du français et pas dans l’anorexie qui lui tendait les bras si on comprend ce qu’elle subissait à table. Je me souviens aussi des différents professeurs de français qu’elle a eus, un homme seulement et de cette femme qui pendant tout son cours leur faisait réciter les conjugaisons des verbes ! Méthode au combien active, mais le plus bizarre, c’est qu’elle avoue avoir plus appris avec ce prof qu’avec celle, sympathique et vivante qui essayait de les faire parler ! Paradoxe intéressant !
Une femme remarquable qui a un nombre de récompenses incroyables pour ses traductions, elle a traduit de l’espagnol au français également et voulait découvrir l’allemand qui était la première langue de Kitchener qui s’est d’abord appelé Berlin. Mais la vie s’est arrêtée brutalement et elle n’en a pas eu le temps. Malgré mes réserves, je conseille ce roman à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à l’apprentissage des langues et au passage d’une culture à une autre.
Extraits
Début .
Je voudrais que chaque page de ce livre soit la première page. Commencer par partout. Ça commence par partout, je pense. Tout me semble être le début.Mon nom n’est pas le nom de mon père.Ma vie n’est pas la vie de ma mère.Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour que ma mère ne puisse pas me lire.Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour pouvoir respirer alors que j’avais toujours étouffé. Je raconte ici l’histoire d’une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs.
Sa mère .
Ma mère était grosse, mon père était gros, ma sœur était potelée, bientôt grosse. « You’re such à bony thing ! » disait ma mère je m’installais à sa table d’un air dégoûté et je touchais à peine à ses plats. J’avais horreur des viandes bon marché, à la fois coriace et étrangement molle, des pommes de terre et des carottes mijotées jusqu’à la fadeur jaunâtre dans le jus de cuisson. J’avalais un à un les petits pois en boîte chacun avec sa gorgée de lait, comme des aspirines. Malgré les haut-le-cœur, il fallait terminer son assiette.Ne pas gaspiller, l’obsession. Si on reçoit un paquet, on le déballe avec soin, on défroisse ce papier et on le range avec le moindre bout de ficelle, » ça peut toujours servir ». On mange les restes jusqu’à la dernière miette, » c’est passé mais tout de même m ». Pieds qui puent à cause des chaussures bon marché, vêtements choisis sur le présentoir « 2 pour 1 » : deux moches valent mieux qu’un beau.
Le pire c’est d’aller dans ces musées et de ne rien voir.
Mes parents et, je crois aussi, ma sœur, ont vécu et sont morts sans mettre les pieds dans un musée d’art. Je les ai jugés sévèrement pour cette raison. Maintenant je pense aux barrières qui font qu’on n ‘entre pas dans certains endroits même si la porte en est ouverte
Qui est l’autrice ?
Mon histoire, c’est une histoire d’ascension sociale, de honte et d’orgueil, d’une fille qui mène la bataille de sa mère, d’une mère défaite par la victoire de sa fille.
Le titre ;
Who do you think you are ? You’re nobody special. Rengaine de ma mère devant mon désir -insultant, blessant, incompréhensible – d’un ailleurs.
« Pour qui te prends tu ? » la phrase est plus profonde qu’elle n’en a l’air. Si on l’entend vraiment comme une question, et non une rebuffade (« tu n’es pas aussi bonne que tu le penses ») , elle signifie qu’on peut se prendre pour quelqu’un d’autre et se transformer.
Je ne suis pas très tentée, comme souvent lorsque les auteurs se mettent à écrire pour en quelque sorte régler leurs comptes avec leur famille… (ou l’encenser, parfois) Après, quand je surmonte mes réticences, il m’arrive de faire de belles découvertes, mais spontanément, ça ne m’attire pas.
je comprends, moi ce qui m’avait attirée c’est ce changement de langue et c’est ce qu’i y a de plus intéressant dans ce livre : sa passion des langues.
Ce fut une lecture en demi-teinte pour ma part : le propos est intéressant, mais force est de constater qu’il ne m’en reste pas grand chose.
je suis assez d’accord , on l’oublie vite sauf cette volonté de changer de langue
Le sujet de l’apprentissage des langues (et cultures) étrangères me passionne aussi. J’ai eu de nombreux débats à ce sujets avec mes proches.
moi aussi c’est un sujet qui me passionne et c’est amusant de voir combien on est différent face aux apprentissages des langues étrangères et une seule chose e st certaine le cerveau des enfants est le plus apte à apprendre d’autres langues.
Je ne saurai pas te dire qui en a parlé mais je me souviens avoir lu un billet récemment moi aussi. La question de la langue et de ce choix radical m’avaient interpellée. L’aspect règlement de compte me tente moins, peut-être parce qu’il ne me semble pas dénué de snobisme.
snob peut-être pas mais très malheureuse de son milieu social d’origine
Pas très tentée non plus, le sujet de l’apprentissage des langues ne me motive pas assez, surtout si finalement, c’est tout ce que l’on en retient !
Ce n’est que mon avis, évidemment, moi c’est l’aspect qui m’a le plus intéréssée . Le changement de statut social est aussi présent dans ce roman
Je pense que c’est de chez moi que ça vient, je l’ai lu récemment. J’ai retenu surtout l’originalité de sa transition de classe, il ne m’a pas semblé qu’elle réglait ses comptes puisqu’elle a fini par se réconcilier avec sa mère et sa sœur.
je vais mettre le lien, elle ne règle pas ses comptes mais elle déteste tellement son milieu d’origine qu’elel change de langue, c’est rare de faire cela
Intéressant tout de même, et puis ces histoires de langues, ça me passionne
oui intéressant, mais pas passionnant. Et il s’oublie assez vite.
Si elle a rejeté autant de choses, elle a aussi changé de milieu social j’imagine ? C’est plus cela qui m’intéresserait, moi qui fait constamment le grand écart entre ma famille et mes relations…
oui, je comprends ce que tu dis mais pour elle c’est plutôt l’inverse de toi, elle vient d’un milieu très simple qui nie la culture et l’élévation sociale pour aller vers une réussite sociale, intellectuelle passant par un changement de langue et de culture.