Édition Plon Feux Croisés . Traduit de l’anglaispar Anouk Neuhoff avec la collaboration de Suzy Borello
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Voici ma première lecture dans le cadre du club de lecture qui a donc repris du service pour ma plus grande joie.
Le thème du mois était : « Les voisins » , ce roman de John Lanchester paru en France en 2013 , raconte la vie des habitants de Pepys Road. Cette rue bordée de maisons particulières a connu le sort de beaucoup de quartiers de Londres, d’abord construites pour la classe moyenne, les maisons sont peu à peu rachetées par de très riches londoniens qui passent leur temps à faire des transformations plus couteuses les unes que les autres, il leur faut être à la pointe de la mode et montrer que rien n’est assez beau pour eux. Nous sommes en 2007 et la City fait couler l’argent à flots continus. Ce roman tout en se focalisant sur un quartier de Londres donne une photo assez précise de l’ensemble de la ville. Plus que les gens qui seront les acteurs de ce roman, c’est la mainmise de la puissance financière qui est analysée aussi bien du côté des vainqueurs que des exclus.
Du côté des vainqueurs (en tout cas au début) on trouve Roger et Arabella Yount , leur seule motivation c’est l’argent, en gagner beaucoup et le dépenser au plus vite . Le roman s’ouvre sur l’inquiétude de Roger aura-t-il droit à sa prime d’un million de livres dont il aurait cruellement besoin pour écluser toutes ses sorties d’argent ? Nous suivrons pendant un an cette famille et leurs deux garçons qui auront, eux, bien besoin de baby-sitter pour qu’un adulte s’occupe enfin un peu d’eux. Je dois avouer que c’est un aspect qui me surprend beaucoup dans la littérature anglaise (je ne sais pas si c’est en partie réel) mais les enfants ont toujours l’air d’épuiser leurs parents qui n’attendent qu’une chose les mettre au plus vite en pension.
Du côté de ceux qui doivent travailler dur pour profiter un peu de cet argent, un ouvrier polonais et nous découvrirons grâce à lui le monde des travailleurs pour qui l’argent ne coule pas à flots. Il aura des amours compliqués et devra résoudre un problème de conscience à propos, encore une fois, de l’argent : il trouve dans la maison qu’il rénove une valise remplie de billets, que va-t-il en faire ?
Pétunia Howe est la personne la plus touchante de ce récit , elle est âgée et a vécu une grande partie de sa vie avec son mari Albert qui était un horrible radin grincheux. Surtout ne croyez pas la quatrième de couverture, elle n’est pas obligée de vendre sa maison pour se soigner. Elle est est atteinte d’une tumeur au cerveau, sa fille Mary viendra l’accompagner pendant sa fin de vie et nous permettra de connaître son fils Smitty qui est un performeur en art contemporain. Cette famille se situe dans la classe moyenne et elle est plus sympathique. Le fils permet quelques passages assez classiques sur l’absurdité des prix en art mais il reste un homme capable de sentiment pour sa famille, Ce roman donne une assez bonne vision de la société britannique avec ceux qui ne peuvent pas y pénétrer comme Quentina qui a fui le Zimbabwe et qui n’a aucun papier. Elle arrive à travailler sous une fausse identité et est employée par la société de surveillance du stationnement à Londres. Étant donné la complication des règles de stationnement, il semble particulièrement difficile de ne pas avoir de contravention.
La famille pakistanaise est riche en personnalités diverses , l’intégrisme musulman frappe à leur porte , en travaillant comme des fous ils arrivent à un niveau de vie correct.
Il reste un pan de la société : les joueurs de foot grâce à Freddy Kamo nous découvrons que là aussi l’argent peut ruisseler mais il est quand même soumis à la santé physique du jeune joueur, une mauvaise fracture et voilà le rêve qui s’écroule.
Le lien entre tous ces personnages, c’est qu’ils sont tous voisins ou travaillent pour des gens de Pepys Road.
Chaque personnage représente un prototype de Londoniens et l’auteur décrit ainsi une ville qui va mal car elle est trop centrée sur l’argent et la consommation. Il arrive à tenir l’intérêt du lecteur car les trajectoires des personnages font craindre une chute ce qui arrivera pour certains d’entre eux. Et puis, il y a ces cartes que tous les habitants de la rue reçoivent avec cette inscription « Nous voulons ce que vous avez ». Qui se cache derrière ces messages anonymes ? Nous avons donc droit à une enquête policière et à un inspecteur très britannique sorti des écoles qui font de lui un homme un peu trop chic pour sa fonction.
J’ai aimé cette lecture car elle donne une bonne idée de ce qui va mal dans la société britannique, même si les personnages sont parfois caricaturaux et les situations un peu convenues, il faut aussi dire que ce livre a vingt ans et que beaucoup de ce qu’il dénonce nous semble des lieux communs aujourd’hui.
Citations
Construction de la rue
La rue en question s’appelait Pepys Road. Elle n’avait rien d’extraordinaire pour une rue de ce quartier. La plupart de ses maisons dataient de la même époque. Elles avaient été construites par un entrepreneur à la fin du XIXe siècle, pendant le boom immobilier consécutif à l’abolition de l’impôt sur les briques.
La famille pakistanaise
Soit Usman traversait bel et bien une phase religieuse, soit -de l’avis d’Ahmed- il jouait la comédie. Dans un cas comme dans l’autre, il faisait tout un foin de sa répugnance à vendre de l’alcool et des magazines avec des femmes nues en couverture. Les musulmans ne devaient pas…, et patati, et patata. Comme si l’ensemble de la famille n’avait pas conscience de cela… Mais la famille avait également conscience des impératifs économiques en jeu.
Madame Kamal mère
Elle engueulerait tellement Usman qu’il y avait de fortes chances qu’il n’en sorte pas vivant. Le monde se rendrait compte que le Pakistan n’avait pas réellement besoin de la force nucléaire puisque le pays disposait déjà de Madame Kamal mère.
L’ouvrier polonais
La pose des étagères était assurée par son Polonais. Bogdan le maçon qu’elle avait tout d’abord employé sur la recommandation d’une amie, et avait désormais adopté. Il travaillait deux fois plus dur qu’un ouvrier anglais, était deux fois plus fiable et coûtait deux fois moins cher.
Se loger à Londres
Zbigniev, Piotr et quatre amis habitaient un trois pièces à Croydon. Ils le sous-louaient à un Italien, qui lui-même le sous-louait à un Anglais qui le louait à la ville, et le loyer était de 200 livres par semaine. Ils devaient faire attention pour le bruit, car si les autres résidents les dénonçaient ils seraient flanqués dehors. En réalité ces jeunes gaillards bien élevés étaient des locataires appréciés dans l’immeuble, dont les autres occupants étaient âgés et blancs. Comme l’un d’eux l’avait un jour glissé à Znigniev dans le hall, ils s’estimaient heureux. : « Au moins vous n’êtes pas des Pakis ».
Manie de riches
Roger avait une manie donc il voulait se débarrasser mais qu’il avait bien conscience de ne pas avoir encore corrigée : il avait tendance à acheter plein de matériel hors de prix dès qu’il envisageait de se mettre à un hobby. C’est ce qui s’était passé avec la photographie, quand il avait acheté un appareil immensément sophistiqué et inutilisable, assorti d’une batterie complète d’objectif, puis pris une dizaine de photos avant de se lasser de sa complexité. Il s’était mis à la gym et avais acheté un vélo, un tapis de jogging et une machine multifonctions, puis une carte pour un « country club » londonien donc il ne se servait quasiment jamais temps il était laborieux d’y aller. Il s’était mis à l’oenologie, il y avait installé un un frigo-cave à vin dans le sous-sol réaménagé qu’il avait rempli de bouteilles coûteuses achetées sur recommandation, mais l’ennui c’était qu’on était pas censé boire ces fichues bouteilles avant des années. Il avait acheté en multipropriété un bateau à Cowes, donc ils s’étaient servis une fois….
Les riches à Dubaï
Ils devaient descendre dans des hôtels hors de prix pour faire ce que faisaient les gens dans ces cas-là et dans ces endroits-là : lézarder au bord de la piscine en sirotant des boissons hors de prix, manger de la nourriture hors de prix, discuter des futurs vacances hors de prix qu’ils pouvaient prendre et du délice que c’était d’avoir autant d’argent .
L’argent à Londres
À Londres l’argent était partout, dans les voitures, les vêtements, les boutiques, les conversations, jusque dans l’air lui-même. Les gens en avaient, le dépensaient, y pensaient et en parlaient en permanence. Tout cet argent avait un côté insolent, épouvantable, vulgaire, mais également excitant, stimulant, insolent, nouveau, bref, différent de Kecskemét en Hongrie, qui lui avait semblé, comme toujours les lieux où on grandit, intemporel et immuable. Pourtant, ces torrents d’argent qui inondaient Londres, elle n’en profitait pas. Des choses arrivaient, mais pas à elle. La ville était une immense vitrine de magasin, et elle était dehors sur le trottoir à admirer l’intérieur.