On a si peu de raison de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, ou Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end.
J’ai lu beaucoup d’avis positifs sur ce roman qui me tardait de découvrir. J’avais bien aime « leurs enfants après eux » et donc j’avais hâte de me plonger dans cette lecture. Ce ne fut pas chose aisée, car plusieurs fois j’ai laissé tomber la lecture pour y revenir et finalement je suis ravie de m’être accrochée à cette histoire.
Nicolas Mathieu ne juge pas ses personnages, ils les laissent grandir et évoluer dans la région qu’il connaît bien autour de Nancy. Hélène et Christophe sont de la même petite ville, l’une a été une élève brillante et fait une carrière exceptionnelle dans un cabinet d’audit. L’autre après avoir été un hockeyeur reconnu (et la coqueluche des lycéennes) est resté dans sa ville et est commercial pour une boîte d’aliment pour animaux de compagnie.
Aucun des deux n’est vraiment heureux, Christophe voit sa femme qui l’a déjà quittée partir loin de son lieu de vie et donc le séparer de son petit garçon Gabriel qu’il adore. Hélène n’aime plus son mari et après avoir fait une dépression (dans ce milieu on dit » burn-out ») a demandé de revenir vivre près de son lieu de naissance. Son cabinet d’audit est chargé de réorganiser la région « Grand- Est » qui résulte de la fusion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. C’est une femme de dossiers et qui connaît parfaitement son affaire, elle espère devenir associée dans son cabinet d’audit.
À travers leur enfance, l’auteur décrit la classe moyenne qui s’en sort tant bien que mal, plutôt mal pour le père de Christophe à la tête d’un magasin de sport. Des vacances à la Grande Motte pour Hélène et ses parents, et un été à l’île de Ré avec son amie de coeur dont le père a les mains baladeuses.
Ils sont adultes maintenant et le travail d’Hélène nous permet de plonger dans les rouages de l’administration et le roman est alors très intéressant et très bien documenté. C’est pour moi la grande réussite de ce livre. On sent très bien d’où viennent les cadres qui ont entouré Emmanuel Macron. D’ailleurs si je me souviens bien , on lui a reproché d’avoir usé et abusé de cabinet de conseils. L’auteur n’en fait nullement une caricature, mais on sent très bien que ces hommes très compétents sont peu solubles dans la réalité française et laisse une place confortable au Rassemblement National de Marine Le Pen.
Christophe et Hélène auront une histoire commune qui leur fera du bien même si elle ne dure pas très longtemps.
C’est un roman sérieux et bien construit mais je m’y suis souvent ennuyée, mais, paradoxalement, à cause de ses qualités. Comme l’auteur veut rester objectif et ne pas embraquer son lecteur dans des jugements trop facile, cette neutralité empêche l’empathie de s’installer entre moi et ses personnages. Mais quand je vois le nombre de passages que j’aimerais retenir je me dis qu’il y a beaucoup d’excellentes choses dans ce roman et de trois je suis passé à quatre cooquillages.
Citations
Début.
La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qu’il attendait, de toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut.Hélène était pourtant une femme organisée.
Le problème du couple.
Depuis qu’ils étaient revenus vivre en province, Philippe semblait considérer qu’on n’avait plus rien à lui demander. Après tout, il avait laissé tombé pour elle un poste en or chez Axa, ses potes du badminton et, globalement, des perspectives sans commune mesure avec ce qui existait dans le coin. Tout ça, parce que sa femme n’avait pas tenu le coup. D’ailleurs, est-ce-qu’elle s’était seulement remise d’aplomb ? Ce départ forcé restait entre eux comme une dette. C’est en tous cas l’impression qu’Hélène avait.
Une quadragénaire qui va mal.
Pourtant, sur le papier elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans « Elle », un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elles se trimballait sans le savoir.
Les illusions de l’amour .
Elle avait eu quinze ans, et comme n’importe qui, sa dose de lettres et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l’avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t’aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l’intimité d’une chambre à coucher. À présent Jenn était grande. Elle savait à quoi s’en tenir. L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
L’amour c’étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l’autre bleu dans la salle de bain.
Le point de vue des parents.
Ils sont pris dans cette tenaille des parents qui encouragent leurs gosses et sans bien que chaque pat accompli les laisses un peu plus loin derrière. Sur le quai de la gare, ils voient le train rapetissé au loin et prendre de la vitesse. Parfois c’est plus fort qu’elle, Mireille a envie de mettre un coup d’arrêt à cette épouvantable accélération.
L’adolescence .
L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille mais ce qui existait, l’enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon est la ouate, les vacances à la Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On y reviendra plus.
Portrait peu flatteur.
Elle connaissait vaguement le premier, un jeune type déjà chauve qui portait des Church’s et une veste cintrée. Aurélien Leclerc. II prétendait occuper le poste de dircom adjoint. Les mauvaises langues assuraient qu’il n’était en réalité qu’adjoint du dircom. Quoi qu’il en soit, il avait fait Sciences Po. Il ne fallait en général pas attendre dix minutes avant qu’ils le rappelât.
L’informatique et une municipalité.
Après tout, elle n’avait jamais eu besoin que de cent cinquante heures pour remettre à plat l’épouvantable imbroglio des services informatiques de cette ville, un bordels digne d’un roman russe ou l’argent et l’énergie se perdaient dans d’invraisemblables circuits de décisions qui superposaient pas moins de trois organigrammes distincts. Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. Quand on pensait que les habitants confiaient leur numéro de carte bleue à ce système digne des soviets pour payer la cantine des gosses ou leur carte de résident, ça laissait songeur.
Sortir de son milieu social.
Quand ses parents font l’apologie de la simplicité, lui donne ses cousins en exemple, quand ils critiquent les ambitieux, les parvenus, ceux qui exhibent leur réussite, quand ils vantent le mérite des bosseurs, des manuels, des bricolos, des débrouillards, de ceux qui passent entre les gouttes, mamailleurs et autres contrebandiers du jour le jour. Quand ils lui disent on va t’envoyer à la campagne, ça t’apprendra à vivre, quand ils mettent l’article défini devant un prénom, le Dédé, la Jacqueline, le Rémi, alors Hélène sent un câble se tendre en elle. D’instinct, sans savoir, elle refuse tout cela en bloc. Chaque signe de cette manière d’être la gifle. Elle préfère encore crever que vivre comme ça, modeste et à sa place. Elle a la grosse tête. Une petite bêcheuse.
La création du grand Est.
Car avant que n’advienne ce Grand Est qui devait faire la fortune des cabinets de consulting en général et d’Elexia en particulier, les anciennes régions disposaient naturellement de leurs propres organisations, lesquelles résultaient d’années d’usage , de replâtrages divers et de particularismes indigènes. Surtout, au sommet de chacune des dites organisations trônait un chef qui n’entendait pas céder sa place. Au départ, nul n’avait jugé utile de solliciter une expertise extérieure pour pour mener à bien cette fusion ordonnée depuis Paris, les ressources étant évidemment disponibles en interne. Mais après si mois de réunions improductive, de coups fourrés entre comités directeurs, et face à la menace une reprise en main par l’autorité administrative,le recours à un tiers avait fini par s’imposer.Hélène débarquait donc en pleine guerre picrocholine et trouvait dans chaque organisme où elle intervenait des équipe irréconciliables et une poignée de cadres au bord de la crise de nerf
Le monde des cabinet d’audit.
Depuis qu’elle est rentrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costume bleu qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démonter à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait le faire mieux, accompagner les service du RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés aux gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.
Il m’attend… j’ai lu tous ses autres romans et nouvelles (qui sont peu nombreux d’ailleurs), et j’ai tout aimé ! Je trouve ton avis très intéressant, je crois que c’est la première fois que je vois évoquer ce bémol sur cet aspect trop « objectif » du texte, au dépens de l’émotion.
Mais ça ne parle que de moi, j’ai besoin d’être en empathie avec les personnages, ici on ne peut pas car l’auteur met une barrière entre eux et nous. Mais c’est assumé et très intéressant aussi.
Bon, pas folichon on dirait, mais tu me donnes envie de découvrir l’auteur.
(et pourquoi connemara? ne me dis pas qu’ils écoutent tout le temps cette chanson? ^_^)(et je l’ai en tête)
Zut j’ai oublié le pourquoi du titre . Le couple était dans la même prépa et c’est une chanson de fête dans les classes préparatoires. Tu n’as pas encore lu cet auteur? il est sur beaucoup de blogs je pensais sue le tien aussi. En cherchant sur Babelio j’ai retrouvé que cette chanson obsédante est dans la tête de Christophe le personnage qui est resté et ses amis un peu(beaucoup) beauf
C’est vrai que les citations montrent le très bon niveau d’écriture… J’aime beaucoup ce qu’écrit Nicolas Mathieu, ce n’est pas mon roman préféré, mais il pointe bien les travers du recours aux cabinets de conseil, mais pas seulement cela. j’adore la citation qui contient « … un dressing, et même la santé » dans cet ordre ! :)
je me souviens d’une remarque de ma belle-mère quand nous lui avons annoncé l’arrivée d’un troisième enfant chez nous « mais elle a déjà tout, une fille un garçon, une maison … » . Elle c’était moi, pas son fils chéri !
C’est un écrivain qui a une très belle plume.
Nooooooooooooon??? Une remarque d’anthologie (à réserver pour nous les blogueuses inconnues)
Ah, les remarques des belles-mères ! :D
je l’ai commencé mais pas poursuivi car je m’ennuyais totalement dommage
Il a fallu que je m’accroche mais je ne le regrette pas.
Comme toi, j’ai ressenti parfois quelques coups de mou lors de certains passages. Mais au final, j’ai aimé.
Quand je vois le nombre de passages que j’ai notés je sais que ce roman m’a intéressée.
J’ai voulu faire la connaissance de cet auteur dont on disait tant de bien avec ce roman-là. J’ai tenu jusqu’à 80 pages à peu près et j’ai abandonné. Je m’ennuyais trop. J’étais déçue d’être déçue ! (formidable ta belle-mère, une remarque d’anthologie)
ce n’est pas un roman facile, mais cela ne veut pas dire qu’il ne soit pas intéressant . Ma belle mère était une femme de devoir et de principe , et elle ne m’aimait pas beaucoup car elle adorait son fils.
On a beaucoup parlé de ce roman à sa sortie. Je voulais le lire et puis d’autres tentations sont passées avant. Maintenant, je ne sais pas trop. Je vois que tu l’as apprécié même si tu t’es un peu ennuyée…
il n’est pas simple à lire mai sil décrit bien une partie de notre société.
« Passée de 3 à 4 coquillages ». Ça m’arrive régulièrement, quand j’ai un avis mitigé sur un livre, de faire émerger des choses positives que je n’avais pas remarquées au premier abord en écrivant mon compte rendu. C’est une chose que j’apprécie dans cet exercice : ça m’oblige à creuser ce qui m’a plu (ou déplu) dans un livre.
Je suis entièrement d’accord c’est pour cela que je continue à distribuer mes coquillages car cela m’oblige à fonder mon humeur du moment.
J’aime vraiment beaucoup ce qu’écrit Nicolas Mathieu, il ne me reste plus que ses nouvelles à lire. Ce titre est celui que j’ai le moins apprécié, même si il m’avait bien accroché, notamment dans ses descriptions de la classe moyenne et le cynisme des institutions qui réorganisent les régions à coup d’audit … L’engagement de l’auteur pointe derrière ces évocations très réalistes … Du coup, l’histoire d’amour, je n’y ai pas cru, pas du tout …
Je pourrais signer ce commentaire, les cabinets d’audit qui interviennent dans le public et les strates de l’administration sont très bien décrits. Rien que pour cela ce roman vaut la peine d’être lu.
Je n’ai rien lu d’autre que « Leurs enfants après eux » qui m’a d’ailleurs bien plu. Je relirai certainement cet auteur.
C’est un bon écrivain, et même dans ce livre plus difficile à aborder on découvre de bonnes choses.
Je suis une grande fan de l’auteur et j’ai vraiment adoré ce roman même si j’ai peut-être préféré Leurs enfants après eux. Je n’avais pas senti cette distance avec les personnages…
J’ai également préféré « Leurs enfants après eux » et je trouve que la liaison amoureuse n’est pas l’aspect le plus intéressant du livre, mais elle permet d’établir des liens entre les deux personnages principaux, d’aborder les questions de classe sociale qui traversent toute l’œuvre de l’auteur.
J’ai comme toi eu envie de noter beaucoup de passages percutants, Nicolas Mathieu a vraiment un style reconnaissable qui fait mouche.
« Connemara », c’est bien en référence à la chanson de Sardou qui traverse toutes les couches de la population (et est donc une référence commune) mais n’a pas tout à fait la même signification selon les circonstances et les gens.
On est donc d’accord pour ce roman. Il faut un peu s’accrocher mais certains passages sont inoubliables.
Un peu trop sombre pour moi.
Ce n’est pas sombre , c’est très désabusé sur la nature humaine.
Cet auteur ne m’a pas tentée jusqu’à maintenant. Et si tu parles d’ennui, je crois que les choses ne vont pas changer !
Il se veut surtout objectif et donc sans empathie pour ses personnages.
Je fais partie de celles qui se sont ennuyées et ont abandonné. Je me suis sentie à distance des personnages en effet, et si les rouages de l’administration locale/régionale sont bien décrits, cela ne m’a pas passionnée.
on peut parfois ne pas être passionné et quand même être intéressé, c’est le cas ici pour moi.