Éditions du Seuil, 151 pages, août 2024.
lu sur un mur de Chiraz
Vous pensiez me tuer, Vous nous avez ressuscitées
Je regarde assez peu la Grande Librairie, le plus souvent parce que j’oublie, mais ce soir là deux auteurs que je voulais lire étaient invités : Kamel Daoud pour Houri, et Delphine Minoui pour ce roman. Le soir de cette émission pendant laquelle cette autrice franco-iranienne racontait son admiration pour les jeunes iraniennes du mouvement « femme, vie, liberté » qui, au péril de leur vie, arrachent leur voile et le brûlent, une femme en arrière plan passait son temps à remettre le sien !
Badjen veut dire aujourd’hui la jeune fille qui ose rejeter « les bonnes mœurs musulmanes », mais le premier sens est presque « prostituée ». Cette jeune fille, Badjen (c’est le nom que lui a donné sa mère) est élevée dans une famille classique iranienne et elle ressent immédiatement que sa naissance a été un malheur pour son père pour qui la femme n’est que source de problème . Sa mère est celle qui lui permettra de se construire, car si celle-ci semble accepter la domination de son mari, en cachette de celui-ci, elle donne à la vie de sa fille la force de s’opposer. La différence entre les deux générations, c’est le courage de la jeunesse qui osera tout et le fera de façon ouverte.
Le roman est très facile à lire et explique très bien de quoi le voile est le symbole : il s’agit de ne pas attiser la convoitise des hommes et de garder la femme dans une attitude de soumission. Il y a une énergie dans ce récit qui le rend « presque » agréable à lire. Pour le côté sombre, car ces jeunes filles sont très souvent blessées ou même tuées par la police, le film « les graines du figuier sauvage » complète très bien cette lecture. Et dans ce film aussi c’est l’adolescente qui lutte le plus naturellement contre l’oppression patriarcale .
Une lecture nécessaire et si simple qui s’adresse à la jeunesse, celle de notre pays ou la liberté des filles existe encore et je l’espère pour toujours.
Extraits
Début poème .
T’entends leurs cris ?Tu les entends t’applaudir alors que t’as encore rien fait ?Froussarde ! Très même pas cap.Même pas cap de grimper sur la benne.
Début du texte .
J’ai 16 ans.Aucun cri ne sort de ma bouche.Je me parle à moi-même depuis ce corps qui ne m’a jamais appartenu.J’ai 16 ans. Je pèse 47 kg et je mesure 1,59 m.Je les entends hurler « vas-y ma fille ! » et je repense au premier cri :– Dieu c’est une fille !Ce cri d’avant ma naissance.Le cri fondateur.Originel.Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de maman.
L’avortement et l’islam.
On dit que ce sont les détails qui tuent. Moi c’est mon grand-père qui a failli me tuer.Pendant que la gynéco aidait ma mère à se relever, il avait pris tous les hommes de la famille en aparté pour planifier ma sentence prématurée. – Un avortement ! Il faut à tout prix envisager un avortement !L’islam, religion d’état, interdit l’avortement.Sauf qu’en Iran tout se négocie même la religion.Mon grand-père affirmait connaître un médecin dont la cave servait de clinique clandestine, ni vu ni connu.– Un homme de confiance, avait-il insisté.Il l’avait contacté en urgence par texto.Cinq minutes plus tard la réponse s’affichait sur son portable. Deux lignes expéditives confirmant la possibilité d’une intervention illicite moyennant un prix très juteux, nettement supérieur à la somme escomptée. (…)Mon grand-père lui avait raccroché au nez renonçant à contre cœur à mon assassinat trop coûteux.
Sa mère .
Plus tard je l’ai souvent entendu dire en parlant à ses copines :» On ne veut pas finir comme la Syrie. »Ou encore :« La révolution nos parents l’ont déjà expérimentée, et on a vu ce que ça a donné ! »Et elle s’est remise à faire ce qu’elle avait toujours fait : contourner les interdits plutôt que les envoyer balader. Une vie de concessions, de compromis de soirées clandestines, de défilés de mode underground, d’alcool frelatés, livré dans des sacs poubelles et de programmes satellitaires captés grâce à de petites paraboles camouflés sur le toit … Des arrangements tolérés au compte-gouttes par mon père, tant qu’ils étaient soigneusement tus pour ne pas entacher la réputation familiale.La seule audace que maman ait gardé de 2009, c’est ce foulard vert qu’elle porte de temps en temps, surtout les jours de cafard.Elle répète que « le vert, c’est l’espoir ».c’est tout ce qu’il lui reste.Avec moi.