Édition Cambourakis. Traduit du norvégien par Marina Heide
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
J’aurais un peu tendance à écrire encore une histoire de vieux qui perdent la tête. Mais ce serait un peu méprisant pour un roman qui est assez original et qui a reçu moult récompenses dans son pays. Tout d’abord, il se passe en Norvège et les liens entre les différents personnages sont assez exotiques pour la Française que je suis. Je me sens tout à coup très latine et j’ai envie de parler fort, d’éclater de rire et de me moquer des gens, ce qui ne se fait pas du tout en Norvège . La retenue, le respect entre voisins (jusqu’à les ignorer complètement en dehors du « bonjour » obligatoire), le respect des choix des enfants et surtout ne pas les encombrer avec le passé des parents, tout cela m’a semblé si loin de moi. Et par voie de conséquence cette histoire tragique me semblait comme aseptisée.
Et pourtant, tout au long du récit, on découvrira le tragique passé de Simon ancien médecin : il a été avec sa famille caché pendant la guerre car ils étaient juifs. Cet enfermement pendant quatre ans dans un très petit espace et le silence imposé aux enfants pour ne pas alerter les voisins, Simon pensait que cela ne le concernait plus et il n’a jamais voulu en parler avec ses propres enfants qui apparemment ne savent rien de son passé. Sa femme, Eva, a aussi un lourd secret : elle a abandonné son premier enfant qu’elle avait eu trop jeune.
Ils sont vieux maintenant et Simon s’est enfermé dans un silence que rien ne peut rompre. Eva sent que l’abandon de cet enfant lui revient de façon très forte en mémoire. Nous sommes avec elle tout le temps ; elle analyse avec rigueur tout ce qui se passe dans leur quotidien. Dès le départ on sait qu’ils ont été amenés à se séparer de Marija une femme de ménage lettonne. Enfermé dans ce silence tellement pesant, ils ne veulent ni ne peuvent en dévoiler la cause à leurs enfants, car cela a un rapport avec ce passé qu’ils ont tu. . Eux, ne comprennent pas pourquoi cette femme qui était devenue l’amie de leur parents – et dont la présence auprès d’eux les rassurait – a été licenciée du jour au lendemain. Le quotidien d’Eva est fait de visite dans un cimetière, dans une église, de retour dans son passé et celui de son mari, mais surtout de sa volonté de comprendre et briser le silence dans lequel Simon s’est enfermé.
C’est une lecture triste et réaliste. On ne peut s’attacher à aucun personnage , mais cela n’empêche pas que ce roman se lise facilement, comme Eva on voudrait tant que Simon sorte de l’état dans lequel la vieillesse l’a enfermé peut être à cause du poids de tout ce que ni lui ni sa femme n’ont réussi à dire à leur entourage.
Citations
Le passé .
Il y a quelque chose qui ne cesse de m’étonner chez la fille que je vois sur ce portrait de moi-même : le temps ne semble pas avoir laissé son empreinte sur elle. Comme si, au moment du cliché, il n’y avait pas de passé. Pas de passé derrière cette jeunesse, on dirait. À croire qu’il existe une démarcation entre tout ce qui arrive et tout ce qui est arrivé, une démarcation claire et nette, comme un mur derrière lequel se retranche le passé, oublié.
Le vieillissement .
Je regarde mon visage dans le miroir de la salle de bains, constate que j’ai le coin des lèvres qui tombe. Ça a toujours été comme ça, ou est-ce que c’est arrivé avec le temps, je crois que ça s’est fait progressivement. Les plis de l’amertume, voilà comment on appelle les rides en haut du menton, plus elles se creusent plus mon menton semble petit.
La femme de ménage (rien de très original !).
Marija me disait qu’elle aimait faire le ménage. Elle se glissait dans les maisons et les appartements avec la clé qu’on lui avait remise ou qu’il attendait caché quelque part, et elle faisait le tour des pièces avec un aspirateur et une serpillière. En général, il n’y avait personne, aucune instruction. Peu de ces endroits étaient crasseux en réalité mais elle s’appliquait toujours autant. Les gens qui habitaient là, elle les entrevoyait à peine, ils ne laissaient derrière eux qu’un cheveux quasiment invisible dans le lavabo, un torchon en boule dans la cuisine, une paire de baskets dans l’entrée. Et bien entendu, son salaire laissé dans une enveloppe sur la cheminée ou sur la table, ou dans de rares cas comme chez nous directement sur son compte en banque. Il lui arrivait de trouver une pièce de monnaie laissée volontairement quelque part ou une peau de banane tombée du sac poubelle une sorte de test m’expliquait-elle.
L’abandon de son bébé .
J’aurais voulu l’abandonner dès le premier jour, mais quelqu’un ma mère ou mon père je crois, avait estimé que maintenant que je m’étais mise dans cette situation, je devais prendre mes responsabilités. Aussi étais-je là, avec lui. Lui me réclamait, mais je ne voulais pas de lui.
Par moment peut-être quand il dormait ou me regardait sans rien exiger, je pouvais éprouver un certain apaisement, oublier un instant la honte et la colère, le découragement. Une nuit qu’il était malade, je l’avais contre moi, le médecin avait dit que je devais le prendre, le garder dans mes bras. Il s’endormait, sursautait, se rendormait. Quand il s’est réveillé, nous nous sommes regardés. Une seconde, j’ai cru qu’il allait sourire, un frémissement au coin de la bouche.Aussitôt, je l’ai remis dans son lit. Par peur, sans doute, peur que ça change quelque chose, qu’il se faufile à l’intérieur, trouve une place dans mon cœur et s’y installe pour de bon. Que je ne puisse plus ignorer son existence, ses exigences, ses cris. Je l’ai laissé hurler.
Tu ne donnes pas trop envie, même si ça a l’air intéressant de connaitre ces histoires;
Mon billet reflète exactement mon ressenti mais tu sais aussi que nous n’avons pas toujours les mêmes goûts.
euh là j’ai un peu l’impression qu’on va parler de moi, je passe mon tour
Euh … je cherche à comprendre ce commentaire, tu peux passer pour ce livre.
Je ne lis jamais de littérature norvégienne, alors pourquoi pas ? Et puis les mystères et secret du passé, j’aime assez ça.
Il est dans ton deuxième ou troisième lieu de fournisseur de livres … le premier étant Saint Lunaire , n’est ce pas ?
Mon premier fournisseur de livre n’est pas encore à St Lu mais va bientôt l’être, puisque je vais effectivement commencer mon bénévolat dans peu de temps, pour avant tout mettre en avant certains romans etc :) Donc de ce fait, j’irai effectivement moins à la bib de Dinard.
bravo pour e bel engagement au service de la lecture.
Je sors d’une lecture difficile, pas envie de me replonger dans un livre triste…
Je suis un mitigée, à voir si je tombe dessus au hasard de mes découvertes.
moi je suis mitigée d’autres le sont moins