Édition Acte Sud Babel traduit de l’allemand par Pierre Foucher

la dernière phrase du livre sonne très juste :

Et je me dis que ce Hitler, nous n’en seront jamais quittes : nous y sommes condamnés, à perpétuité.

Au mois de novembre 2019, Eva a lancé le mois de littérature allemande. Et j’y ai découvert deux essais. Le premier, « Un Allemand de l’Est » de Maxim Leo, a été un coup de cœur. J’ai plus de réserves pour celui-ci, dont comme Patrice , je recommande quand même la lecture. Il a fallu que j’attende le dernier chapitre pour en comprendre toute la portée. En février 1964, Horst Krüger se rend à Francfort en tant que journaliste pour couvrir le procès des Allemands qui avaient travaillé à Auschwitz. Il est sidéré de découvrir que des hommes qui, pendant la guerre, ont commis les pires atrocités sont redevenus des Allemands ordinaires. Et c’est sans doute à partir de cette confrontation qu’il s’est efforcé de retrouver qui il était pendant cette période : « un bon allemand, qui a permis le nazisme sans adhérer complètement à cette idéologie ».

La première partie relate son enfance. Son père est un fonctionnaire qui s’élève peu à peu dans la hiérarchie de son ministère. L’ennuie, la routine, la peur du regard des autres caractérisent son enfance. On pourrait même penser que le nazisme a gagné en Allemagne car c’était un pays où les gens s’ennuyaient et n’avaient rien d’intéressant à faire. Il décrit aussi la domination de la noblesse prussienne qui méprise les gens de basses extractions comme son père. Un ami d’origine juive et russe donne un peu de piquant à sa vie de lycéen. Et puis, il raconte aussi l’horrible suicide de sa sœur qui, ayant avalé des produits toxiques, mourra à petit feu à l’hôpital, ses parents n’ayant qu’un souci maquiller le suicide en mort accidentelle.

La deuxième partie du livre raconte sa guerre et sa prise de conscience si tardive qui le fera quitter le front et se rendre aux troupes alliées. On voit alors, ce qui a souvent été décrit, à quel point, jusqu’au bout, certains Allemands étaient fanatisés et voulaient se battre à tout prix et surtout punir tous ceux qui essayaient de fuir le système.

Puis enfin cette troisième partie sur ce procès des bourreaux ordinaires qui est vraiment passionnante et sonne très juste. Rien que pour ce moment il faut lire Hörst Krüger et espérer que jamais un tel régime ne revoie le jour .

 

Citations

Le quartier de ses parents

Les journaux parlaient de combats de rues dans le Wedding et de barricades devant la maison des Syndicats : c’était bien loin de nous, comme à des siècles de distance, de détestables et incompréhensibles cas de désordre. À Eichkamp, j’ai appris très tôt qu’un bon Allemand est toujours apolitique.

La clé du livre

Je suis un fils typique de ces Allemands inoffensifs qui n’ont jamais été nazis mais sans qui jamais les nazis ne seraient parvenus à leur fin. Voilà tout le problème.

Je ne connaissais pas le mot avers

Ivresse et extase sont les mots clés du fascisme, l’avers de sa médaille, terreur et mort son envers, je crois que les gens d’Eickamp aimaient bien, eux aussi, qu’on leur procurât cette ivresse et cette extase. Là était la faille leur site, leur talon d’Achille. Subitement on était quelqu’un. On vallait mieux, on était d’une autre espèce que le reste du monde, on était allemand. Il y avait une grande solennité dans l’air, en ce temps-là, au-dessus de la terre d’Allemagne.

Humour

On ne m’a jamais expliqué, chez moi, d’où viennent les enfants. Mes parents étaient non seulement a-politiques, mais encore a-érotiques et a-sexués. Peut-être cela va-t-il de va t-il de pair.

L’éducation sexuelle

Un soir, sur ma table de nuit, je trouvais un opuscule. J’en fus très étonné car jusqu’ici l’imprimé n’avait joué aucun rôle dans nos rapports. Je compris tout de suite qu’il fallait que quelque chose d’exceptionnel fût en jeu. Je me mis à lire : c’était une brochure d’informations sexuelles rédigée avec précaution, onction, bienveillance. Elle commençait par les graminées et les bourdons, elle passait au soleil pour parler ensuite des merveilles de la force divine avant d’en arriver, enfin, à la force virile et à l’éducation de terrifiant péché mortel de consomption : ça nuisait soi-disant, à la moelle épinière. Mais manifestement je ne voyais pas le rapport : sans doute était-ce un peu trop dévot pour moi, à cette époque-là. Ma mère, dans son désarroi, avait acheté cette brochure catholique chez les Ursulines. Elle ne m’en a jamais parlé, ni moi non plus. D’ailleurs, nous n’abordions pas ce sujet à la maison et si, en ce temps-là, la chose ne m’avait pas travaillé dans mon propre corps, à vingt ans j’aurais pu croire encore à la fécondité de la sueur de nos bonnes. Voilà comment c’était chez nous. La maison du petit-bourgeois allemand boute hors ses murs non seulement l’État, mais encore l’amour. Question – d’ordre purement sociologie : que reste-t-il alors, pour vivre, sans politique et sans sexualité ?

Enfin un réveil

Je ne veux plus être allemand. Je veux quitter ce peuple. Je passe en face.
Je sais, il n’y a pas il n’y a pas de quoi se vanter : il est moins cinq et le Reich est en train de se disloquer comme une vieille armoire. Il n’aura tenu que soixante-dix ans. Il y a belle lurette qu’à Yalta on se l’est partagé. Depuis des semaines, à Berlin, les puissants du régime ont sur eux les petites ampoules qu’ils croqueront quand ils auront touché au terme de leur cavalcade infernale à travers l’Histoire : encore quatre semaines.

Prisonnier

Commença alors la merveilleuse et inconcevable liberté de l’état de prisonnier, commença une période de souffrance riche d’espoir. Désormais je ne vivais plus qu’au sein de masses, de foules fatiguées, hébétées, affamées, qu’on poussait de camp en camp, de cage en cage, et pourtant, au milieu de cette grande armée grisâtre de prisonniers, pour la première fois depuis longtemps, je reprenais vie. J’avais le sentiment que les temps à venir seraient les miens, que j’étais en train de me réveiller, de revenir à moi. Hitler vainqueur, jamais ce n’aurait été possible. Maintenant, nous touchons ce fond est riche d’espoir, d’avenir, de chance qui s’offrent. Je vais mal mais je sais que maintenant j’ai des chances d’aller mieux. Ça ira mieux. Pour la première fois de ma vie, je faisais l’expérience de l’avenir : l’avenir, c’est l’espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. L’avenir : jamais, sous Hitler, je n’aurais su ce que c’était.

Auschwitz

On dit qu’à notre époque de lumière il n’y aurait plus de mythe mais chaque fois que j’entends ce nom d’Auschwitz, j’ai la sensation que m’effleure un cryptogramme mythique de la mort en notre temps : danse macabre à l’ère industrielle. C’est ici, à Auschwitz, qu’a pris naissance ce mythe nouveau de la mort bureaucratisée. L’histoire n’accouche-t-elle pas de temps en temps de mythes nouveaux ? Est-ce qu’Auschwitz, ce n’est pas très exactement la vision de Rosenberg : le mythe du 20e siècle

Des hommes ordinaires

Mais je réalise alors que ces bons pépés ne sont pas des assassins ordinaires, des gens qui tuent dans un coup de folie, par dépit amoureux, par plaisir ou désespoir. Tout ça, c’est humain, ça existe. Les gens qui sont ici, ce sont les assassins moderne, d’une espèce jusqu’alors inconnue, les bureaucrates et les ronds-de-cuir de la mort de masse, les comptables et les scribouillards de cette machinerie, ceux qui appuient sur les boutons. Techniciens opérant sans haine ni sentiment, petit rond de cuir du grand Reich rêvé par Eichmann, assassins en col blanc. Ici se manifeste une criminalité d’un genre nouveau ou la mort est acte bureaucratique et où les assassins sont de sympathiques fonctionnaires agissant en toute correction.

15 Thoughts on “Un bon Allemand – Horst KRÜGER

  1. athalie on 13 juillet 2020 at 09:26 said:

    J’avais noté l’essai Un allemand de l’est, mais il n’est pas facile à trouver et il faudrait que je pense à le commander. Je note aussi ce titre, Cette question de la banalité des bourreaux ordinaires est essentielle à comprendre, me semble-t-il. En plus sous la forme d’un témoignage,elle doit être particulièrement pertinente.

  2. Comme Athalie, je suis très intéressée par le sujet, qui me rappelle cet excellent film qu’est « Le labyrinthe du silence »..

    • Oh oui ! excellente comparaison pour la dernière partie de cet essai. Le début c’est une plongée dans l’Allemagne Nazie assez intéressante aussi mais moins passionnante.

  3. un livre lu au moment de sa parution mais que je n’ai jamais oublié, je suis totalement d’accord avec toi et ton billet et en te lisant je repense au magnifique film le labyrinthe du silence qui permet de ne jamais oublié de quoi nous hommes et femmes sommes capables hélas

  4. J’ai revu récemment « le labyrinthe du silence » qui est vraiment un excellent film. Je note cette lecture que je ne connais pas.

  5. Je note les références de ce roman qui avait échappé à mon radar. Je suis sûr que ça va me plaire.

  6. un joli billet qui donne envie! Oui le « plus jamais ça » n’est malheureusement pas garanti…

  7. Un titre qui gagne à être lu !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation