Édition NRF Gallimard

Je savais que je finirai pas tourner la fameuse page : celle où les terroristes rentrent dans la salle de « Charlie-hebdo ». J’ai commencé de nombreuses fois ce livre, lu et relu cette insoutenable attente de l’horreur absolue. Celle où des hommes habillés de noir sont passés devant tous les amis de Philippe Lançon en criant « Allah Akbar » et en tirant à chaque fois une balle dans la tête d’hommes sans défense. Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wollinski, Elsa Cavat, Franck Brinsolaro, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Frédéric Boisseau, seront assassinés de cette façon. Ce livre repose maintenant dans ma bibliothèque et à chaque fois que le regarde, je me souviens du pas à pas de la reconstruction de Philippe Lançon qui est revenu parmi les vivants, avec l’horreur au fond de lui et la souffrance physique comme compagne. Il raconte le quotidien d’un rescapé et le combat de sa chirurgienne pour qu’il puisse d’abord survivre, puis se nourrir et finalement ne plus baver. Il le raconte avec une grande honnêteté sans jamais être ennuyeux. C’est un livre qu’il faut lire pour ne jamais oublier et rester toujours « Charlie », c’est à dire être vigilant face à la montée de l’islamisme. Car son combat raconte cela aussi, la lâcheté des intellectuels français face au terrorisme quand celui-ci n’est pas d’extrême-droite mais d’origine musulmane.

(Merci à la personne qui a mis un commentaire sur Babélio, ce qui m’a permis de ne pas oublier Bernard Maris .)

PS Je n’ose pas mettre des coquillages à ce genre de livre car il se situe tellement au-delà de toute notation.

 

Citations

Une qualité rare et précieuse

Un détail qui me rend Nina admirable est qu’elle n’arrive nulle part les mains vides, et que ce qu’elle apporte correspond toujours aux attentes ou aux besoins de ceux qu’elle retrouve. En résumé elle fait attention aux autres, tels qu’il sont et dans la situation où ils sont. Ce n’est pas si fréquent.

C’est une raison pour moi d’aimer l’hôtel (que je préfère à l’hôpital !)

J’ai dormi seul à la maison, dans des draps qu’il était temps de changer. Je suis obsédé par les draps frais, ils accompagnent mon sommeil et mon réveil, et l’une des choses qui me font regretter mes hôpitaux, c’est qu’on les changeait tous les matins.

 

Avant !

Le 7 janvier 2015 vers 10h30, il n’y avait pas grand monde en France pour être « Charlie ». L’époque avait changé et nous n’y pouvions rien. Le journal n’avait plus d’importance que pour quelques fidèles, pour les islamistes et pour toutes sortes d’ennemis plus ou moins civilisés, allant des gamins de banlieue qui ne le lisaient pas aux amis perpétuels des damnés de la terre, qui le qualifiaient volontiers de raciste.

 

Ses parents

Ils avaient quatre-vingt-un ans et ils allaient bénéficier pendant quelques mois de cet extravagant privilège, redevenir indispensables à la vie de leur vieux fils comme s’il venait de naître.

La Suède

À cette époque, en partie du fait de Borg, le tennisman qui dominait le circuit à peu près autant que l’Everest, les Suédois avaient la côte dans mon imaginaire. C’étaient des gens grands, blonds, et discrets, et, s’ils gagnaient à la fin comme les Allemands, ils n’étaient pas aussi désagréables qu’eux. Ils ne nous avaient pas occupés. Ils n’avaient pas exterminé les Juifs. Ils n’avaient pas les arbitres dans leurs mains. Ils ne répandaient pas leurs ventres et leurs cris sur les plages espagnoles. Leur langue était aussi peu compréhensible, mais personne n’était obligé de l’apprendre à l’école. Les Suédois étaient mes bons allemands, les grands blonds qui me complexaient sans être antipathiques.

Mon époque aussi .

J’appartenais à cette époque récente, prétendument bénie, où la plupart des médecins n’expliquaient rien à leurs patients et ou une quantité non négligeable de professeurs prenaient pour des imbéciles les élèves qui subissaient leur manque de pédagogie, de sympathie et de patience.

Les souffrances .

Bientôt, la première nausée est venue. Je me suis concentré sur le mal de cuisse pour la chasser, puis, une fois sa mission accomplie, le mal de cuisse a été chassé par mon pied à vif et ankylosé, jusqu’au moment où la mâchoire électrocutée a bondi en dedans et effacé le pied. La mâchoire croyait régner quand une pelote d’aiguille posée dans la trachée lui est passée devant, se reposant sur ses lauriers de douleur jusqu’au moment où une vieille escarre à l’orée des fesses, datant d’avant l’opération et qui telle la tortue attendait son heure, a fanchi en tête la ligne d’arrivée.

Les présentateurs télé.

Le présentateur Patrick Cohen, qui a trop d’auditeurs pour ne pas confondre son rôle, son personnage et sa fonction, semble surpris, presque indigné par l’huile que l’écrivain jette sur le feu. Il lui dit. « Vous essentialisez les musulmans ». « Qu’est-ce que vous appelez « essentialiser » ? » Dis l’écrivain, qui repère toujours implacablement ce que Gérard Genette appelle le « médialecte », tous ces grands mots que ma profession va répétant sans réfléchir et qui ne sont que les signes d’une morale automatique. Cohen patauge un peu et, comme il aime avoir le dernier mot, attaque. « Au fond, ce que vous racontez, ce que vous imaginez dans ce roman, c’est la mort de la République. Est-ce que c’est ce que vous souhaitez Michel Houellebecq ? « 

21 Thoughts on “Le Lambeau – Philippe Lançon

  1. Un livre fort, oui, et nécessaire. En portant les conséquences de l’acte terrorisme dans la sphère de l’intime, de l’individuel, il le rend bien concret et choquant je trouve, qu’en le voyant rabâcher par les médias.
    Je viens de lire suite au récent billet d’Athalie la BD « Dessiner encore » de Coco, qui y évoque son traumatisme. Dans un autre style, c’est tout aussi fort..

    • Un livre indispensable qui rend la souffrance réelle. Et qui remet le terrorisme à sa place face à une classe politique et intellectuelle souvent très lâche.

  2. Brile on 12 juillet 2021 at 08:42 said:

    Un livre qui montre bien que dans les pires douleurs,innommables ,il y a les mots qui sauvent quand même

  3. Tu as raison, ce livre, comme certains autres, n’ont pas à recevoir de notes. Ils sont essentiels, sublimes, trop puissants pour ça.

  4. Ce livre m’a marquée moi aussi, l’auteur reconstitue son parcours avec une telle honnêteté ! Et quand je le revoie sur mes étagères, je me souviens de la sidération devant l’impensable. Philippe Lançon a réussi à y mettre des mots …

  5. J’ai lu ce livre dans un contexte particulier aussi si, bien entendu, je partage les avis quant aux conséquences du terrorisme, ce qui m’a moi le plus touché c’est le combat de cet homme pour reprendre pied dans la normalité après des dégâts effrayants et inimaginables

    Je l’ai lu alors que j’étais hospitalisée et avec des problèmes post opératoires eux aussi inimaginables, pas question pour moi de faire une comparaison, mais j’ai été en total symbiose avec ses sensations, ses douleurs, ses doutes, ses colères et ses interrogations pour l’avenir
    c’est peu dire que le livre m’a touché, je ne sais pas si je l’ouvrirai de nouveau un jour tellement la sensation de partage est forte

    Je suis totalement admirative qu’il ait trouvé en lui la force de faire ce récit si juste, si fort et si sincère une leçon d’humanité dans ce qu’elle a de plus grand

    • Quel beau commentaire , merci pour ce partage, Dominique. Oui tu as raison je ne le souligne sans doute pas assez dans mon billet que cette reconstruction en dépit de toutes les souffrances physiques et morales est très bien racontée. Moi non plus je ne sais pas si je relirai ce roman qui ne quittera pas ma bibliothèque contrairement à tant d’autres livres.

  6. J’ai bien conscience que c’est un livre à lire, comme tant d’autres, pour ne pas oublier et pour que « plus jamais ça »… Mais j’en serai incapable je pense. Je n’ai pas envie de me mettre trop à mal avec une lecture en connaissance de cause…

    • Pourtant il existe des horreurs auxquelles nous sommes obligés de nous confronter. J’ai eu tellement de mal à tourner les pages de ce livre que je te comprends.

  7. Je ne l’ai pas lu et je ne le lirai pas. Je ne doute pas de sa qualité et de son intérêt, mais ce genre de récit, je ne peux pas.

    • Je comprends j’ai tellement eu du mal à lire des témoignages sur la Shoa mais finalement je les ai lus , un jour peut-être tu liras ce témoignage surtout qu’il est très bien écrit.

    • Je te comprends Aifelle, j’ai gardé ce livre sous le coude un temps assez long pourtant j’avais envie de le lire, je suis soignante donc l’aspect dégâts physiques à l’époque ne me faisaient pas peur, c’était l’aspect post-attentat qui me paralysait
      en fait vu le moment de ma lecture c’est bien l’aspect souffrance qui l’a emporté
      Merci à Luocine de le remettre sur le devant des blogs car c’est un livre à lire et la comparaison avec la shoah est assez juste je trouve

      • Encore une fois merci Dominique, je ne connais pas de gens qui ont regretté cette lecture, en revanche comme toi Aifelle, je connais beaucoup de personne qui ont hésité avant d’ouvrir ce livre. (Et je fais partie de ces gens là)

  8. Merci à Dominique de sa réflexion et de la tienne. Je sais pour l’avoir expérimenté avec d’autres livres que peut-être un jour en effet j’y viendrai … mais en attendant je ne force pas.

  9. Bonjour Luocine
    Heureux de voir que vous ayez trouvé le courage de lire ce livre de votre PAL, que vous aviez commencé à plusieurs reprises… et fini PAR tourner la page.
    J’ai lu avec attention votre billet (petites coquilles dans la 5e ligne de la citation sur la Suède, ou à la 4e ligne de celle sur les présentateurs télé).
    Pour ma part, depuis début 2015, je lis chaque semaine Charlie. Et leur « combat » va bien au-delà de l’islamiste, c’est aussi le soutien à la laïcité, incluant le droit se rire de la religion, de TOUTES les religions, et de rire tout autant de ceux qui ne croient pas en Dieu, d’ailleurs…
    Quand je lis dans une enquête qu’on peut d’ores et déjà constater une différence entre les « jeunes profs » (qui viennent d’entrer dans le métier) et les autres, sur la laïcité par exemple (« la laïcité? Mais c’est traiter toutes les religions sur un pied d’égalité » – c’est ce que répondent davantage les jeunes profs que les profs d’âge « mûr »), je suis effondré…
    Sinon, il vous reste encore, peut-être, à lire le « Une minute quarante-neuf secondes » de Riss, davantage en rage là où Lançon est plutôt littérature classique.

    • Merci pour ce long commentaire et cette analyse pertinente. Oui le concept de laïcité est complexe mais il peut nous réunir tous. Ce que je voulais dire à propos de la dénonciation du terrorisme islamiste, c’est que la gauche est plus véhémente pour les attentats de l’extrême droite que ceux perpétrés par des islamistes. Et c’est vraiment bizarre car ce sont en général des gens qui ne défendent pas les mouvements religieux. Pourquoi ce traitement à part pour l’islam. Et ce que j’apprécie chez Charlie c’est qu’ils sont capables de rire de tout. Pour moi c’est ça la liberté.
      PS je vais corriger les erreurs merci de me les avoir signalés

  10. Mélanie on 19 juillet 2021 at 17:02 said:

    Un livre nécessaire et fort que j’ai bien l’intention de relire un jour. Je ne sais pas comment j’ai réussi à surmonter mon appréhension. C’est sans doute parce que dans les premières pages, Philippe Lançon parle de ce qui a précédé l’attentat au lieu d’ouvrir avec cet événement ; cela apporte aussi un éclairage intéressant sur son travail.

    • Je peux signer ton commentaire sauf que à chaque fois qu’on s’approchait de la date fatidique l’angoisse me reprenait. Oui, c’est un livre indispensable.

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