Édition Grasset
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Genre de phrases que j’aimerais retenir :
Pas plus qu’elle n’arrête les guerres, la morale ne désarme la violence.
Cet auteur dédie son livre à son professeur de latin de sixième qui lui a donné la passion de cette langue et de la civilisation romaine. J’ai tant souffert sur les versions latines et je n’ai trouvé aucun charme aux textes de Cicéron (le Pois-Chiche) que j’ai commencé ce roman avec une grande envie qu’il me plaise : enfin un homme érudit allait régler son compte à celui qui avait assombri ma scolarité. Effectivement Cicéron n’en ressort pas grandi, c’est le moins qu’on puisse dire : en se donnant l’air de défendre la République il ne cherchait qu’à se remplir les poches de la pire des façons : Provoquant des guerres civiles pour pouvoir jouer des uns contre les autres, offrant ses services de grands orateurs au plus puissant, passant de Pompée à César puis à Marc Antoine sans aucun scrupule. Ce qui finalement créera sa perte (oui pour une fois je peux raconter la fin, elle est dans tous les livres d’histoire !) c’est la première turpitude qu’il a commise : il sera assassiné à son tour pour avoir exécuté sans jugement des patriciens qui avaient soutenu Catalina.
Pour nous faire revivre cette époque l’auteur crée un philosophe grec, Metaxas, ami de Clodius, qui lui a existé. Cet homme le fait venir pour dénoncer les manœuvres de Cicéron et écrire des discours aussi brillants que ceux du « pois chiche » qu’il déteste de toute ses forces. Rome cette superbe, fascinante et si dangereuse cité va revivre pendant trois cent pages. Comme moi, vous serez touchés par le sort des esclaves, vous serez dégoûtés par les orgies romaines, vous serez étouffés par les complots politiques , vous détesterez Cicéron mais, hélas, vous comprendrez pourquoi la civilisation grecque qui est tellement plus belle n’a pas résisté à l’organisation des armées romaines.
J’ai beaucoup aimé ce roman historique, s’il n’a pas reçu cinq coquillages, c’est que je trouve qu’il demande une culture latine très poussée. Je consultais sans arrête Wikipédia pour m’y retrouver, et au bout d’un moment je confondais tous les personnages, et puis, tant de sang versé a fini par me dégoûter.
Je conseille à toutes celles et tous ceux qui ont été intéressés par la civilisation latine et grecque (et qui malgré cela ont eu de mauvaises notes aux version des textes de Cicéron !) de lire ce roman historique et savourer l’érudition de cet excellent écrivain.
Citations
Portrait d’un centurion romain.
Leur chef s’est approché, de la démarche lourde et pesantes d’un cyclope. Un parfait physique de mauvaise nouvelle. Crotté par le voyage, velu et sombre, on aurait dit le fruit du croisement entre un gladiateur et une femelle ourse. Je pense qu’il s’agissait d’un décurion mais je confonds les grades romain et, s’il en affichait un, la poussière l’avait effacé. Sortait-il d’un grenier ou d’un cachot ? Mystère. Quand il s’est planté devant moi, je me suis levé. Seule la table nous séparait. Surtout ne pas faire mon malin. Face à ce spécimen, même Thémistocle aurait frémi. Je lui arrivait à l’épaule. Son cou et ses bras avaient l’épaisseur de mes cuisses. Sa paupières s’abaissait lourde comme un bouclier pour délivrer, excédée, le plus clair des messages implicites : moi, brave romain, vaillant, résolu, simple et intrépide, vais devoir m’adresser à cette petite chose grecque, pensante, jacassante et raisonnant. Ces bêtes mal dégrossies prennent Athènes pour le satin dont Rome double ses cuirasses.
Rien ne change .
Il me tutoyait, en latin bien sûr. Ce genre d’occupant ne se fatigue pas à apprendre la langue des gens qu’il commande. Ni à employer leurs formules de politesse.
Le mauvais goût romain .
Une cohorte de statues encombrait l’immense atrium où l’on me fit entrer. Les romains en font toujours trop. On se serait cru dans le vestiaire des jeux olympiques. Ou, pire, chez un marchand. Il ne manquait que l’étiquette des prix.
Quel humour : les rapports avec sa femme et la religion.
Avant de m’amener à lui ( au capitaine du bateau), Tchoumi à exigé qu’on se rende dans un petit temple dédié à Poséidon. Je n’avais rien à lui refuser et me suis plié au rituel par gentillesse. Les dieux ne m’intéressent pas. S’ils ont voulu les malheurs des hommes ils sont méchants. S’ils ne les ont pas prévus, ils sont incompétents. S’ils n’ont pas pu les empêcher, ils sont impuissants. À quoi servent-ils ? Nul ne le sait et je n’en fais jamais un sujet de cours. Ces histoires de personnages qui se transforment en taureaux, en cygnes ou en nuages, c’est du Homère, de la fantaisie, de la littérature… De là à discuter les ordres de Tchoumi, il y a un gouffre. Avec un courage de lion, je finis toujours par dire oui.
Rome cosmopolite .
La ville attirait toute la méditerranée. On ne cessait de croiser des burnous, des caftans et des blouses. Dans certaines auberges, personne ne parlait latin, on entendait que de l’hébreu, du grec ou de l’hispanique. Venus du bout du monde, des fleuves de pièces d’or roulaient entre portiques et colonnades, temples et basiliques. Des rues sentaient le safran, d’autres la semoule égyptienne. Où qu’on soit, on était aussi ailleurs.
Le sort des esclaves .
La meilleure chose qui puisse arriver à un esclave est d’entrer dans une écurie de gladiateurs… Mais la plus part des autres, je parle de centaines de milliers d’autres, vivent à la campagne sur les grands domaines de l’aristocratie. Et là, crois moi, c’est l’enfer. On les bat, on les accable de travail, on les humilie et parfois on les affame. L’hiver, il meurt de froid, l’été il grille au soleil. Le sort des gladiateurs les fait rêver.
La richesse.
La richesse « saisit » ceux qui l’observent. Je ne me lassais pas de cette famille installée à la meilleure place du monde pour y camper naturellement jusqu’à la fin de ses jours. Une sorte de grâce émane de ces fortunes venues de loin dans le passé. Rien de nouveau riche dans leur manière, encore moins d’avare, juste une dilapidation naturelle, permanente, légère et désinvolte de fonds perçus comme inépuisables. Leurs héritiers regardent sans émotion l’or filer comme l’eau dans le sable.
Et c’est toujours vrai non ?
. Lyannos, mon banquier, est passé. il a expliqué avec candeur son métier : »J’aide les riches à s’enrichir et les pauvres à s’endetter. «
Portrait de Marc Antoine .
Et je dois dire que l’homme resplendissait. jeune et souriant, il avait le charme du guerrier joyeux qui vous tranche la tête sans malice, massacre un village comme on récolte un champ, n’en fait pas un drame et rentre au bivouac finir la soirée avec ses camarades.
Fin du roman : portrait de Cicéron .
Cicéron avait un défaut impardonnable : chez les autres, il voyait d’abord les faiblesses et les défauts. Ensuite les avantages qu’il en tirerait. Quand on lui arrachait son masque, on tombait sur un autre. Le temps malheureusement ne révélera jamais son vrai visage. Au lieu de rester pour ses éreintements et ses flagorneries, il écrasera la postérité sous le poids d’écrits médiocres qu’il prenait pour de la philosophie. On le citera en modèle. Ce sera son plus grand exploit : sous sa plume, l’Histoire aura été écrite par celui qui a perdu. Ce mensonge incarnera pour toujours la vérité. Que c’est triste ! Que c’est injuste !