Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 

Édition « Aux forges de Vulcain » , 204 pages, mai 2023

 

Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’Enfer.

J’avais beaucoup aimé ‘Une bouche sans personne » du même auteur. On retrouve, ici, ce style si particulier entre oral et poésie, ente gouaille et sérieux, qu’il manie si bien. Je dois à Gambadou l’envie de lire ce roman. Et si j’en juge par les commentaires à son billet, je n’étais pas la seule. On retrouve bien le ton de cet écrivain et même si le sujet est grave, on est pris par ce récit et parfois on sourit. J’ai surtout été très émue à cette lecture. Je vous rappelle le sujet : le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, qui a perdu une main à la guerre, à son retour il retrouve Anna son grand amour et se lance à corps perdu dans la recherche des soldats que les familles recherchent désespérément. Une mère l’engage pour retrouver son fils, Émile, dont elle a perdu la trace. En commençant ses recherches notre enquêteur se rend compte qu’Émile était très amoureux d’une Lucie alsacienne. Tout le livre est construit sur cette recherche d’un amour impossible, que la mère d’Émile nie de toutes ses forces. Cette jeune paysanne n’était pas jugée assez bien pour cette grande bourgeoise. Émile est un poète fou d’amour, et se fiche des jugements de sa mère. Il partira en Alsace pour retrouver son amour mais hélas la guerre va les séparer. Et quelle guerre ! Cette quête permet à l’auteur de se retrouver sur tous les champs de bataille au milieu de toutes les horreurs possibles , d’y croiser un être appelé « la fille de lune », qui aide les mourants abandonnés de tous lors des batailles sanglantes, de parler avec un rabbin qu’on appelle le curé, de croiser des infirmières allemandes plus humaines qu’un horrible médecin français qui sadiquement envoie des charges électriques à tous les malades psychiatriques de peur qu’ils soient des « tire-au flanc » .
Un des moments très fort du récit se passe en Alsace, il y rencontre un père qui a perdu un fils à cette guerre, mais est-il toujours un héros lui qui était, évidemment dans l’armée allemande. Je me suis posée alors, cette question, les femmes française veuves de guerre touchaient une pension, mais qu’en était-il pour les femmes alsaciennes ?

Un très beau livre, merci Gambadou de l’avoir si bien présenté, j’espère, à mon tour, vous avoir donné envie de le lire.

 

Extraits

Début.

 Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L »image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges où de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparé à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.

J’aime bien son style.

J’ai pris un train et j’ai marché jusqu’à un joli petit village qui venait d’inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C’était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J’avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote.

Il me fait rire.

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinematographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Pais s’amusait et s’incouciait. Coco chanelait, André bretonnait, Maurice chevaliait.

Verdun.

 C’est comme ça que je me suis retrouvée avec mon drôle de bricolage et mon volant à la main. À relier Bar-le- Duc à Verdun sur la Voie sacrée. À l’époque on ne l’appelait pas comme ça. On disait simplement « la Route ». Comme s’il y en avait qu’une seule. Une colonne interminable de camions. Des soldats valides dans un sens, estropiés dans l’autre. Et du matériel. Des canons, des obus, de la nourriture, des bêtes, du vin. On conduisait sans jamais s’arrêter ou presque. Cinquante-sept kilomètres entre la civilisation et la barbarie. Cinquante-sept kilomètres où l’on conduisait à longueur de journée, à longueur de nuit, comme des automates fous.

Sentiments des Alsaciens en 1919.

 Mais la première fois que j’y étais était allé, au printemps 1919, je m’attendais à trouver une terre en fête : après tout on s’était battu quatre années pour leur redonner leur dignité. Évidemment ce n’était pas le sentiment général. Parce que, premièrement, il n’avait jamais perdu leur dignité et, deuxièmement tous n’avaient pas été ravis de devenir français. Sans compter que, parmi les morts de chaque village, la plupart s’étaient pris des balles françaises. Allez expliquer à une veuve de guerre que c’était une balle pour la bonne cause :  » On a tué votre mari … Mais,bonne nouvelle, vous êtes de nouveau française, madame ! »

Cet auteur a le sens des phrases justes.

 Il a fini par reprendre : « pensez-vous que l’on puisse mourir en héros si l’ennemi d’hier devient la nation de demain ? ».
 Je lui ai répondu que l’on pouvait mourir en héros en sauvant ces camarades. Il a souri. Tristement, mais il a souri.
En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres.

Le poème final.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
 Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

 


Les éditions de l’observatoire, 404 pages, novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai toujours un sentiment très positif lorsque j’apprends un aspect nouveau sur une période que je croyais bien connaître. Que savait-on du déminage après la seconde guère mondiale ? Que savait-on du traitement des prisonniers allemands en France ?

Grâce à ce roman, j’en ai appris beaucoup sur ces deux sujets, pourquoi est ce que je me retiens de lui mettre 5 coquillages ? Le romanesque est bien construit pour l’intrigue, mais je n’ai complètement cru aux personnages de « Vincent » , ou plutôt Hadrien.
J’explique rapidement l’intrigue : Hadrien, vient se proposer comme démineur à Fabien, un héros de la résistance, il le fait sous une fausse identité, et nous apprendrons que tardivement pourquoi (donc je n’en dis rien !), en revanche, ce que nous savons immédiatement, c’est que, s’il veut devenir démineur, c’est pour se rapprocher des prisonniers allemands, qui seuls peuvent lui expliquer ce qui est arrivé à Ariane son grand amour.

Fabien est un meneur d’hommes et un démineur très doué, il est aussi très humain et il sera le premier à ne pas considérer les Allemands comme de simples nazis à mépriser. Parmi les allemands il y en a deux qui sortent du lot : Lukas, un ancien libraire qui n’a jamais été nazi et Mathias un violoniste très sensible.

Un autre personnage sera important Saskia, très jeune fille juive, qui revient des camps et est persuadée qu’elle pourra retrouver facilement la propriété de ses parents. C’est là un autre thème du roman que j’ai déjà lu, à quel point à la sortie des camps on faisait une différence entre les juifs et les résistants qui avaient servi la France, pourtant les deux revenaient bien des mêmes camps ! Et à quel point ils ont eu du mal à récupérer leurs biens.
Saskia a été inspirée à l’auteure par une femme juive qui lui a raconté son retour : l’appartement où ses parents avaient toujours été locataires était loué et on lui a demandé pour le récupérer de payer les arriérés des loyers depuis que ses parents avaient été raflés !

Le récit est très précis dans la description des différentes mines et les dangers mortels qu’il y avait, à les désamorcer. L’auteure explique aussi à quel point le traitement des deux débarquements : Normandie et Provence, connaît une postérité différente. Pourtant le débarquement de Provence a été un succès et un succès français ! Elle rappelle aussi la volonté de de Gaulle de ne pas laisser au privé le soin de la reconstruction, il avait de mauvais souvenirs de ce qu’il s’était passé dans le nord après la guerre 14/18. Les entrepreneurs privés s’étaient enrichis au détriment de la qualité de la reconstruction. La pression immobilière dans cette région attise pourtant bien des convoitises de promoteurs privés..

Historique également, le travail si pénible du déminage que les Français et les Allemands ont fait ensemble. L’évolution des sentiments des uns et des autres est bien analysé, au début les Français emplis d’une haine justifiée le plus souvent , ne voient dans cette main d’oeuvre captive qu’une façon de se venger des récentes horreurs vécues, quitte à ne pas respecter la convention de Genève concernant le statut des prisonniers de guerre, mais peu à peu l’Allemagne étant vaincue et les Allemands n’ayant plus peur de la gestapo, leur humanité et leur efficacité vont changer le regard que les démineurs vont porter sur eux.

Une toile de fond historique parfaite, une réserve sur l’aspect romanesque , mais je reconnais que tous les livres historiques sur ce sujet existent depuis longtemps et que je ne les ai pas lus. Alors un grand merci Claire Deyat.

 

Aifelle est un peu plus critique que moi. Kathel  exprime les mêmes réserves que moi, sur l’aspect romanesque mais souligne le sérieux du travail historique sur le déminage.

 

Extraits

Début .

S’il retrouvait Ariane, Vincent n’oserait plus caresser sa peau. Ses mains avaient atteint des proportions qu’il ne reconnaissait pas. Dures, les doigts gonflés, leur enveloppe épaisse, rugueuse et sèche ;elle s’étaient métamorphosée. La corne qui les recouvrait était si aride que, même lorsqu’il les l’avait, longuement, soigneusement, elles ne s’attendrissaient pas.

Après la guerre, le déminage.

 Fabien donnait du sens à leurs missions. En libérant la terre de ces pièges mortels, ils se sauvaient eux-mêmes, se rachetaient, se délivraient de la culpabilité. Car tout le monde se sentait coupable : d’avoir trahi, menti, volé, abandonné, de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas s’être engagé dans la Résistance – ou dans la résistance de la dernière heure -, d’avoir tué un homme, plusieurs, d’avoir survécu là où tant d’amis étaient tombés. Chaque homme portait en lui cette part de culpabilité, immense en ces temps troublés et dont il devait pour continuer d’avancer, sinon se débarrasser, au moins s’arranger. Fabien savait suggérer à ces hommes que le déminage pouvait leur apporter la rédemption que, sans se l’avouer, ils n’osaient plus espérer.

Les différentes sortes de mines.

 Il y avait donc sur la plage ses engins effrayants, gigantesques, que les démineurs appelaient des sarcophages ou des tombeaux ; ils promettaient comme eux un passage certain vers l’au-delà, seulement ceux qui trépassaient en passant par ces sarcophages-là étaient moins bien conservés que les pharaons d’Égypte
Ces monstres de plus de mille quatre cent kilo d’acier et d’explosifs s’étalaient dans le sable comme des otaries mécaniques et prenaient leurs aises. Impossible à soulever. Les Allemands partis, les mines sarcophages persistaient à leur place par leur pénible force d’inertie et la garantie de destructions impitoyables .

Le retour des juifs.

 « Tenez, et ne faites pas d’histoires ».
 Personne n’avait envie d’entendre. Pourtant ce qu’elle avait raconter, ce n’était pas des histoires, mais l’Histoire avec un grand H et toutes ses minuscules, l’Histoire comme elle peut être dégueulasse, l’Histoire qui ne va pas dans le sens du progrès, ni de l’idée que l’on voudrait se faire de l’humanité, l’Histoire qui n’aurait jamais dû admettre cette enfer, l’Histoire qu’il ne faudra jamais oublier.
 Lorsqu’elle avait entendu cette exhortation désespérante pour la première fois, elle ne savait pas à quel point elle la suivrait partout. Leur histoire n’intéressait personne. Celle des résistants, oui, la leur leur, non. On voulait des héros pas des victimes.

Le regard des soldats allemands.

Ce regard qu’on ne voulait pas croiser sous peine d’être foutu mais qu’on devait affronter sous peine d’être suspect. Ce regard – à lui seul le symbole du projet nazi- qui examinait, évaluait, disséquait, méprisait, jugeait, triait, sélectionnait, ce regard qu’on n’oubliait pas, ce regard de mort qui faisait détester les yeux quand c’est par les yeux pourtant qu’on se parle de première abord, quand les yeux sont ceux qui sauve toutes les espèces vivantes de leur part sombre ; ce regard haineux dénaturait la vocation du regard, et canalisaient la part la plus hostile de l’être humain. Alors oui, on pouvait penser que tous les Allemands étaient les mêmes, car la diversité des corps des traits s’effaçait sous le corset de l’uniforme, du képi, et du regard qui commandait tout le reste.

 

 


Édition Grasset, 427 pages, août 2023.

J’avais laissé cet auteur avec « L’ami de jeunesse » au milieu de ses études d’histoire à la Sorbonne (un roman qui m’a fait éclater de rire). Comme il a bien fait de les entreprendre et sans aucun doute en tirer le plus grand profit, car voici un roman historique qui m’a absolument enchantée. Je sais que j’ai été tentée par ce roman par un blog que je suis (je mettrai un lien dès que je saurai de qui il s’agit). Voici déjà Sandrine, Athalie et Keisha.

L’histoire se passe en 1367, dans la région de Toulouse. La peste de 1348, a ravagé l’Europe et une grande partie du monde, et ceux qui y ont réchappé, se tourne vers la religion pour retrouver l’espoir. Plusieurs thèmes se croisent dans ce récit, la peste et la mortalité qu’elle a engendrée, les doctrines religieuses qui traversent cette époque et qui n’ont pas intérêt à être traitée d’hérétiques, l’inquisition qui n’hésitent jamais à brûler tous ceux qui pourraient menacer l’autorité de l’église et du pape, quitte à les sortir de leur tombeau et envoyer sur le bûcher leur cadavre, la vie dans les couvent et dans les béguinages, les dissensions entre les franciscains et les bénédictins , et par dessus tout cela l’ombre d’un penseur dominicain le grand maître Eckhart, dont les sermons ont troublé tant de chrétiens à l’époque.

Le roman commence au couvent de Verfeil, dirigé par frère Guillaume. Deux moines, Antonin et le frère Robert, y sont religieux et amis, alors qu’il n’y a pas d’hommes plus différents : Antonin est cultivé et vient d’une famille aisée, Robert ne sait pas lire et est très frustre. Pourtant ces deux là sont amis et leur amitié guidera toute l’intrigue romanesque. Guillaume décide d’écrire ses mémoires et pour cela envoie Antonin et Robert chercher à Toulouse du vélin de qualité et de l’encre. Cela nous vaut des passages très intéressants sur le tannage des peaux. Malheureusement l’inquisiteur de Toulouse qui surveille de près, et cela depuis longtemps le frère Guillaume comprend le projet et arrête les deux amis Antonin et Robert. Il décide d’enfermer Robert et ne lui rendra la liberté que si Antonin trahit son supérieur.

Les mémoires du frère Guillaume nous font revivre le grand maître Eckhart dont il a été le principal disciple. Ils ont, tous les deux, séjourné en Allemagne et vécu dans un béguinage où vivait une certaine Mathilde dont le Maître Eckhart aurait été très proche. En exergue, du roman nous avons une prière de Mathilde où l’on sent toute l’exaltation de cette jeune femme (certains diraient la foi)

Couvre moi du manteau de ton long désir,

Laisse mon corps nu mourir au froid du monde …

Elle sera brulée vive pour hérésie comme appartenant à l’hérésie « les frères du libre esprit ». Et les théories d’Eckhart y ressemblent fort. Si j’ai bien compris, la théologie n’est pas mon fort, mais il faut reconnaître qu’Antoine Sénanque rend ces théories assez claires. Beaucoup de croyants cultivés avaient envie de se passer de la hiérarchie de l’église pour retrouver Dieu. Voilà le danger, que des esprits deviennent libres pour retrouver en eux-mêmes leur part de Divin.

Les mémoires de Guillaume nous font revivre aussi les ravages de la peste et toutes les erreurs commises pour la soigner. Mais le pire c’est l’horreur de l’inquisition, je retrouve intacte quand je lis des récits à propos de l’inquisition mes colères d’adolescente. Les guerres de religion, l’inquisition, la gestapo font partie de mes cauchemars d’enfant. Et dans tout cela il faut sauver Robert des griffes de l’inquisiteur et c’est un suspens très bien mené, je le dis souvent pour pouvoir complètement profiter du récit je suis allée lire l’épilogue pour savoir qui avait survécu à cette tragédie. Je ne vous en dis rien car je respecte nos différences.

Ce roman est passionnant, bien écrit, et il vous embarquera pour plusieurs jours dans un passé fait de violence mais aussi d’amitié sur les routes entre Toulouse , Albi et Avignon.

 

Extraits

Début.

Languedoc, Monastère de Verfeil. 11 février 1357
– On se gèle les couilles, frère Antonin.
 – Ce ne sont pas des paroles de moines.
– Ce ne sont pas les paroles qui font le moine, mais la vérité … et la vérité c’est qu’on se gèle les couilles.
– Il fait effectivement très froid.
– « Effectivement très froid… » . C’est sûr on n’a pas été élevé dans les mêmes et étables, frère Antonin. Maudit froid d’anglais. 
– Je dirais plutôt « froid de Franciscain ».
– Ces merdeux .
– Arrête, Robert. 
– Heureusement, Dieu ne les protège pas plus que nous et donne bonne récompense à leur leçon de misère. Hiver maudit mais juste, on dit qu’ils crèvent comme des sauterelles, sous la bénédiction de leur chère mère nature, cette cargne…

La vocation !

 Son père ne lui avait pas donné le choix. À douze ans il l’avait traîné chez les frères et en guise d’au revoir avait scellé sa vocation par ces mots : « Comme tu es bon à rien, tu seras bon à Dieu. »

L’explication du titre.

 François avait donné l’exemple d’une vie de pauvreté et d’amour, Dominique avait inspiré la sainte Inquisition qui convertissant les indécis par le feu. 
La voix de François parlait au cœur des hommes égarés, celle de Dominique à leurs cendres. C’est la sienne qui portait le mieux.
La promesse du bûcher avait repeuplé les églises et redressé les erreurs théologiques. On avait simplifié les débats et prier et les bonnes âmes qui s’interrogeaient sur une religion purifiée et libérés de l’autorité du pape de méditer leurs erreurs dans le silence l’isolement. Conseil à suivre. 
 Le monastère avait servi de forteresse aux cathares assiégés par les chevaliers français. Ces pierres avaient été baptisées par le sang des renégats qui prétendaient a une pureté impie.

J’aime l’humour de cet écrivain .

Les peaussiers turcs avaient envahi la périphérie des villes où on les prélevait en temps d’épidémie comme victimes expiatoires en compagnie des usuriers juifs. Les bûchers réunissaient ces pêcheurs et réconciliaient leurs croyances dans les flammes. Depuis les années de peste, ils s’en allumaient partout. Les prophètes des rues appelaient à une grande purification car les dernier jours de la terre étaient proches. Il était écrit qu’aucun juif ni aucun Turc ne connaîtrait la fin du monde en Europe, tant on les massacrait pour les priver d’apocalypse.

Eckhart

Il s’arrêtait pour goûter les parfums et prolongeait de longues pauses de les paysages. Il n’exigeait aucune prière, aucun rituel. Il me demandait de laisser faire la nature, de la laisser prier pour nous et pour le monde car sa beauté était action de grâce. C’était la première leçon du maître, Antonin, voir dans la nature une action de Dieu

Humour macabre .

Eckhart ne mesurait pas l’inquiétude du pape devant la montée des hérésies qui touchait l’Allemagne et le pouvoir de plus en plus souverain qu’il déléguait à son archevêque. Eckhart pensait que l’on devait corriger l’hérétique par la parole, l’archevêque suggérait qu’on lui tranche d’abord la gorge avant de l’écouter.

Pourquoi la haine de l’inquisiteur à propos d’ Eckhart ?

 Tous ceux qui prétendaient que l’Église était inutile, qui méprisaient le pape, les moines, et les sacrements. Tous ceux qui ne comptaient que sur leur propre force spirituelle qui se sentait capables de Dieu, tous ceux-là étaient fils d’Eckhart.
 L’inquisiteur avait pour suivit les insoumis qu’on accusait de posséder les écrits du maître. Il avait brûlé des centaines de pages de ses sermons mais il n’avait pas eu accès aux bibliothèques des grands du royaume, ni à celles des intellectuels et des universitaires qui en gardaient des copies. l’enseignement d’Eckhart était à présent une hérésie de riche.


Édition Stock janvier 2024

 

En 1720, le roi de France, Louis XV, a décidé que la Louisiane serait une terre française, et pour cela il faut peupler cette région, donc y envoyer des femmes : c’est le thème de ce gros roman de 550 pages. Le premier envoie fut une catastrophe car les femmes ne voulaient pas partir et ont résisté jusqu’au bout. Les autorités s’y prennent donc autrement et réussissent à convaincre des femmes de s’embarquer à Lorient sur un navire appelé « la Baleine », direction la Louisiane, le mariage et surtout la procréation car il s’agit avant tout de peupler cette région de bons petits français.

Le roman commence à la Salpêtrière, où sont retenues prisonnières, pour des raisons les plus diverses, de très jeune filles. Nous allons y rencontrer connaître les héroïnes du roman : Geneviève la plus âgée, dont les parents qui cultivaient les vers à soi en Provence, ont tout perdu dans un incendie, Pétronille qui a une tâche blanche sur le visage et dont les parents se sont débarrassés , Etiennette et Charlotte deux orphelines élevées à la Salpêtrière . Les conditions de vie dans cet asile pour jeunes filles et jeunes femmes sont absolument horribles et on comprend qu’un ailleurs les ait tentées.

La deuxième partie c’est le voyage, on peut imaginer l’horreur de cette traversée sous le regard sévère des bonnes sœurs, heureusement sujettes au mal de mer ce qui donne un peu de liberté aux passagères. Pendant le voyage des liens se créent, une histoire d’amour avec un marin et des liens amoureux entre Charlotte et Etiennette. Un abordage de pirates puis, enfin, plus mortes que vives, leur arrivée en Louisiane

Troisième partie : le destin de ces pauvres filles qui sont mariés à des rustres pour la plupart et qui vivent dans des conditions très hostiles : une nature difficile à supporter et des populations indiennes qui voient d’un mauvais œil ces gens qui leur volent leur terre.
L’autrice a recherché sérieusement ce qu’elle a pu trouver dans les archives de ces faits historiques et à partir de là elle a construit une intrigue romanesque. Autant la toile de fond historique m’a intéressée autant le romanesque m’a semblé plaqué et je n’ai pas du tout adhéré aux personnalités qu’elle a choisies de mettre en scène. L’intrigue amoureuse entre Charlotte et Geneviève n’est pas passionnante et les tourments psychologiques de la pauvre Charlotte m’ont quelque peu lassée. Comme ces femmes ont la sympathie de l’autrice, elles sont « évidemment » proches des Indiens (les Natchez) et s’offusquent du sort qui leur ait réservé et elles essaient d’être « gentilles » avec le esclaves noirs.

La description de la situation des Natchez de leurs révoltes et finalement de leur extermination par les Français m’a beaucoup intéressée .

Une déception pour ce roman dont j’attendais beaucoup, car je n’avais encore rien lu sur ce sujet. La quatrième de couverture annonce une série télévisée à partir de ce livre, je pense que cela peut donner de belles images et peut être que le romanesque passera mieux.

Extraits

Début.

Paris, mars 1720
 Marguerite doit dresser une liste. Elle replie la lettre de l’avocat général, s’efforce de trouver une meilleure posture pour sa jambe raide. Après la pluie de ces derniers jours, la douleur enfle de ses orteils à sa cuisse, bourgeonne jusque dans les articulations de ses mains. C’est l’heure où les filles ont quitté les ouvroirs, où les voix récitant les derniers psaumes se sont tues, où les sœurs officières lui ont remis leurs derniers inventaires. Les atelier sont fermés et les artisans retirés dans leurs logements. On n’entend même plus les prisonnières des loges aux folles.

L’état des prisons en 1720.

 Comme tous les hivers, le système d’évacuation qui longe le mur à l’est de la Salpêtrière à débordé quand les eaux épaisses de la Seine se sont mises à couler trop vite ; la prison trempe dans une odeur aussi solide que de la boue séchée, de la fiente d’oiseau.

Consoler une enfant de la mort de son père.

 Elle envie la tristesse simple, abyssale de sa fille. Hier, en voyant le cercueil pour la première fois, la petite s’est mise à sangloter, et Geneviève lui a raconté une histoire pour l’apaiser. Une fois sous terre, le cercueil se transformerait à nouveau en chêne, ses planches se feraient racines. Un arbre invisible jaillirait et ses branches deviendraient des échelles, hautes et biscornues. Elles mèneraient jusqu’aux nuages.

 

 

 

 

l’abonnement est de nouveau possible sur mon blog (merci à mon fils qui est passé me voir !)

Édition Grasset

Keisha avait suffisamment aimé ce roman pour me tenter. Je suis loin d’être aussi enthousiaste qu’elle, ni que je lis je blogue , ou qu’ Athalie. Sauter de lettre en lettre, garder en mémoire tous les protagonistes des sombres complots qui secouent Florence au XVI° siècle, cela a épuisé mes ressources d’attention et de patience. Ce livre pourrait faire l’objet de plusieurs romans : la vie dans les couvents, la condition des femmes, le statut des ouvriers de la peinture, la montée de la pensée protestante, la répression de l’inquisition, le pouvoir du Pape, la lutte entre les grandes puissances de l’époque : la cour espagnole et la cour du roi de France, et par dessus tout cela, le travail des peintres qui jouent plus ou moins bien contre la censure. C’est trop éparpillé pour moi et contrairement à Keisha, je soupirais à chaque changement de destinataire, je cherchais alors dans quelle histoire j’allais me retrouver, avec la pauvre petite Maria de Médicis qui succombe à l’amour, ou avec Michel Ange avec qui on va parler peinture, mais pas que … non je n’en dis pas plus (il ne faudrait pas qu’en plus, je vous dévoile la fin !) mais c’est lui qui détient une grande partie du mystère de la mort du pauvre vieux peintre Pontormo.

L’enquête sur cette mort est aussi un des ressort du roman, mais cela se complique car cela se mêle à la recherche d’un tableau qui représente une Vénus avec la tête de Marie de Médicis, les multiples ruses pour obtenir et essayer de détruire ce tableau sont semées de cadavres et de tortures en tout genre.

Bref, je me sens un peu seule dans ma déception et c’est certainement due à mon manque d’agilité cérébrale !

Un avis qui rejoint le mien La Petite Liste

 

Extraits

Le début .

S’il savait que je vous écris, mon père me tuerait. Mais comment refuser une faveur si innocente à votre altesse ? Il est mon père mais n’êtes-vous pas ma tante ? Que me font à moi vos querelles, et votre Strozzi, et votre politique ? À la vérité votre lettre m’a causé une joie que vous ne pouvez concevoir. Quoi ? la reine de France me supplie de l’entretenir sur sa ville natale en échange de son amitié ?

Opinion tranchée des bonnes sœurs.

 Voilà pourquoi rappeler à Dieu un peintre sodomite réformé, dont la punition dans cette vie ou dans l’autre était inévitable, ne peut être un crime. C’est au contraire une sainte action qui sera portée au crédit de son auteur à l’heure du jugement 

La condition de la femme, c’est une Reine de France qui parle.

 Si vous épousez le jeune prince de Ferrare, ce sera pour la seule raison de réconcilier votre père avec la puissante famille d’Este. Nous, femmes, sommes les pièces qu’on déplace sur l’échiquier des empires, et si nous ne sommes pas sans valeur assurément nous ne sommes pas libres de nos mouvements. Votre devoir de fille de duc est d’obéir à votre père, votre devoir d’épouse du duc sera de servir votre époux selon son plaisir en lui donnant des enfants en bonne santé 

Conception de l’honneur .

 L’honneur repose uniquement sur l’estime du monde, et c’est pourquoi une femme doit user de tout son talent pour empêcher qu’on débite des histoires sur son compte : l’honneur, en effet, ne consiste pas à faire ou ne pas faire mais à donner de soi une idée avantageuse ou non. Péchez si vous ne pouvez résister, mais que la bonne réputation vous reste.

Le but de la peinture pour les bonnes sœurs.

 La fin du peintre est de mener les hommes à quelque idée vertueuse au moyen d’une représentation convenable, à la façon dont un aliment fait horreur si on le représente sous l’aspect d’une chose abominable, ou bien au contraire fait envie de si on le représente sous l’aspect d’une chose belle et admirable.

 

 

Édition l’iconoclaste

 

Un vrai roman comme je les aime, je suis complètement partie dans cette histoire au point où j’ai dû vérifier si Michelangelo Vitaliani avait vraiment existé, car l’auteur mélange si bien la fiction avec l’Histoire qui a secoué l’Italie au Vingtième siècle que c’est compliqué de faire la part entre le réel et son son imagination. Une petite réserve sur la longueur du roman et le côté invraisemblable de cette histoire d’amour.

Nous sommes avec un homme qui va mourir, il longtemps vécu et terminé sa vie en 1986, dans un couvent . Le père responsable de ce couvent, Vicenzo, est aussi le gardien d’un très lourd secret que le romancier mettra du temps (trop peut-être ?) à nous dévoiler. La chronologie est quelque peu bousculée mais nous suivrons l’enfance misérable de Mimo que sa mère a confié en 1916 à un individu sans coeur Zio. Le père de Mimo était sculpteur et Zio aussi . Le roman se situe en Ligurie dans un village Pietra d’Alba.

De ce lieu, le romancier met en lumière les oppositions de l’Italie de cette époque. La famille noble, les Orsini, qui ont un château et les pauvres comme Zio et les deux enfants dont il a hérité, bien malgré lui ,de la charge. Alinéa (Vittorio) et Mimo.

Celui-ci va s’avérer un artiste de grand talent, cela nous vaut de très belles pages sur la création artistique d’un sculpteur. Dans ce petit village, il va faire la connaissance de Viola la cadette des Orsini, le destin de ces deux enfants est intimement lié, ils découvrent qu’ils sont nés le même jour et se déclarent jumeaux cosmiques. Viola est une enfant surdouée qui retient tout ce qu’elle lit et veut devenir une savante. Un jour elle grandira pour devenir une très belle jeune femme mais pas Mimo qui est atteint de achondroplasie c’est à dire qu’il ne fera jamais plus d’un mètre quarante.

C’est un roman touffu, il s’y passe beaucoup d’évènements liés à l’histoire de l’Italie. La montée du fascisme est bien rendu, car si Mimo ne s’occupe pas de politique, il en est un témoin privilégié. La famille Orsini est toujours aux manettes du pouvoir et manipule tout le monde, les deux frères de Viola, le brutal fasciste qui a su retourner sa veste juste à temps et le prélat à l’air si doux tiennent dans leurs mains le destin de Mimo et Viola. L’amour de Mimo pour Viola est impossible mais également très beau. Elle sera victime de sa beauté, de sa richesse et surtout de son intelligence, ce roman décrit bien la condition des femmes de cette classe en Italie à cette époque. C’est un roman à la gloire des femmes italiennes et à leur courage, la révélation finale en est un superbe symbole.

Tout au long du roman on parle aussi de ce que Vicenzo doit garder bien caché dans des souterrains sous son église, je peux vous le dire, car on le sait assez vite, il s’agit d’une sculpture de Mimo, mais on ne sait qu’à la toute dernière page (ou presque) pourquoi il fallait la dissimuler à tous les regards.

J’ai passé des heures merveilleuses avec ce roman et j’ai beaucoup regardé la Pieta de Michelangelo et consulté Wikipédia pour vérifier les faits historiques. Si vous ne l’avez pas encore fait lisez le vite, dépaysement garanti. Mais sachez quand même qu’Athalie a beaucoup plus de réserves que moi et et que « mot à mot » est bien d’accord avec elle.

 

 

 

 

Extraits

 

Début.

 Ils sont trente-deux. Trente-deux à habiter encore l’abbaye en ce jour d’automne 1986, au bout d’une route à faire pâlir ceux qui l’empruntent. En mille ans rien n’a changé. Ni la raideur de la voie ni son vertige. Trente-deux cœurs solides -il faut l’être quand on vit perché au bord du vide-, trente-deux corps qui le furent aussi dans leur jeunesse. Dans quelques heures, ils seront un de moins.

Le marbre et la sculpture.

 Il fronça les sourcils. Son regard alla du marbre à moi, de moi au marbre, puis il écarquilla les yeux. – Oh non, non. non Mimo. Zio va te tuer il y a un chefs-d’œuvre dans ce bloc.
– Je sais. Je le vois.
(Et 10 jours plus tard)
 Je ne me relevais pas aussitôt admirant l’ours, qui se dressait au dessus de moi. Il émergeait du bloc de marbre à mi-hauteur, une patte appuyée sur la pierre comme pour s’en arracher, l’autre tendue vers le ciel. Sa gueule pointait aussi, ouverte en un grognement que sa tête légèrement penchée, rendait moins menaçant. Je n’avais sculpté que la moitié supérieure du bloc, à partir de la taille, de plus en plus en détails. Si bien que l’œil du spectateur, partant du bas du socle jusqu’au sommet du museau, entreprenait un voyage de la brutalité à la délicatesse, de l’immobilité vers le mouvement. On dira ce qu’on veut de mon travail, mais je crois qu’il y avait là quelque chose du divin, dans cette genèse de marbre qui n’était d’abord rien, un condensé d’angles et de néant, puis se brisant, donnait naissance dans un jaillissement de blancheur à un monde violent, tendre, tourmenté une oursonne abandonnée qui en saluait une autre.

L’Italie.

 Ce n’est pas pour rien qu’un Italien, Mercalli, donna son nom à une échelle de destruction, celle de l’intensité des tremblements de terre. Une main démolit ce que l’autre a bâti, et l’émotion est la même.
 l’Italie, royaume de marbre et d’ordures. Mon pays

Jolie façon de raconter.

 Je dois beaucoup aux femmes dite « perdues », et mon oncle Alberto était le fils de l’une d’elles. Une fille courageuse qui se couchait sous les hommes, au pont de Gênes, sans colère ni honte. C’était la seule personne dont mon oncle parlait avec respect, une ferveur confinant à la vénération

L’après guerre en Italie.

 Les nations victorieuses se disputaient la charogne des vaincus. Les tensions de l’année passée se répandaient comme une peste dans tout le pays, obéissant au schéma précis dont j’avais été témoin : revendication de justice suivies d’une répression impitoyable par des groupes à la solde des tout jeunes Faisceaux italiens de combat, créés par un ancien socialiste à Milan.

Un moment d’humour (il n’y en a pas beaucoup).

-J’ai bientôt seize ans. Et je ne vole toujours pas. Je ne serai jamais Marie Curue.
– Quelle importance ? Tu es toi Viola, et c’est beaucoup mieux.
Viola leva les yeux au ciel et sortit sans prendre la peine de refermer la porte de la grange, nous laissant spéculer dur les,énigmatiques vertus du mystérieux Maricuri.

L’arrivée de Mussolini au pouvoir.

 Le 28 octobre de cette année-là, les plus forts d’entre eux, fascistes, squadristes, anciens partisans tentèrent leur chance. Une bande dépareillée marcha sur Rome, bien décidée à intimider le gouvernement en place. Malgré leur succès à réprimer les émeutes socialistes, dont j’avais été témoin, ils étaient mal armés, hésitants et, surtout peu sûrs de leur coup. Tellement peu sûrs que leur courageux chef Mussolini, tremblant dans ces pantalons bouffants d’ancien socialiste et de futur dictateur avait préféré rester à Milan. Il avait jugé plus prudent de ne pas rejoindre la marche, pour pouvoir décamper en Suisse au cas où les choses tourneraient mal. L’ère était à la lâcheté. Et parce que L’ère était à la lâcheté, le gouvernement puis le roi décidèrent de laisser faire au lieu d’envoyer l’armée, pourtant prête à agir. Le planqué de Milan se retrouva du jour au lendemain à la tête du gouvernement ce dont il fut le premier surpris.




Éditions Pocket . traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Auché

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

La mythologie grecque a toujours été, depuis l’enfance, une de mes passions. Et pour une fois, je ne suis pas encombrée par le suspens car, oui, je connais la fin de l’histoire et vous aussi n’est ce pas ? Ce qui peut vous conduire à lire ce livre, ce n’est donc pas si Achille survivra à la guerre de Troie, ni même comment il mourra, tous les épisodes de sa courte vie, on les connaît. Achille celui qui a choisi la gloire et la mort précoce plutôt que la survie et l’oublie pour les générations futures peut-il encore passionner les générations actuelles. Vous toutes, les antidivulgâcheuses qui me surprennent tant malgré votre nombre, je sais comment vous attirer vers ce roman : je trouve très intéressante la relecture d’une autrice américaine à propos de ce personnage grec. J’ai quelques réserves sur ses partis pris , pour elle le personnage d’Achille se définit à travers son amour homosexuel pour Patrocle et elle décrit avec une sensibilité contemporaine cet amour plus ou moins interdit. Elle dit bien que le sexe entre garçons était accepté mais pas pas l’amour. Ça se discute. Ce que j’ai aimé c’est le rôle des dieux et déesses qui interviennent tout le temps dans les histoires humaines, c’est simplifié par rapport à mes souvenirs mais cela rend le roman facile à lire. Ensuite la deuxième partie du roman la guerre, elle même, est aussi horrible que dans mes souvenirs.

J’ai bien aimé retrouver les personnages tels qu’on les connaît : le rusée Ulysse, l’horrible Agamemnon qui n’hésite pas à trancher la gorge de sa douce Iphigénie, les différents rois de la Grèce. Leurs débats sans fin, leur jalousie et leur mesquinerie . Pour résumer mes réserves je dirai que je me suis senti à Hollywood au pays de la culture mythologique grecque (cet avis ‘engage que moi) mais si ce livre permet à une jeune génération de se mieux connaître cette culture, alors, pourquoi pas ! J’ai été loin, très loin du plaisir que m’avait procuré  » L’univers, les Dieux Les hommes » de Pierre Vernant.

 

Citations

Les demi dieux

 Le sang divin coulait différemment dans les veines de chaque enfant né d’un dieu. La voix d’Orphée faisait pleurer les arbres, et Héraclès pouvait tuer un homme en lui tapant dans le dos. Ce qui était miraculeux chez Achille, c’était sa rapidité. Lorsqu’il entama la première passe d’armes, sa lance bougeait si vite que je n’arrivais pas à la suivre du regard.

Discussion à propos de la guerre.

 -Peut-être bien, mais je ne vois pas de raison de le tuer, répondit froidement Achille. Il ne m’a rien fait. 
Ulysse s’esclaffa comme s’il venait d’entendre une bonne plaisanterie.
– Si chaque soldat ne tuait que les ennemis qui l’ont personnellement offensé, Pélides, il n’y aurait aucune guerre, oberva-t-il narquois. Quoique ce ne soit peut-être pas une si mauvaise idée.

Édition Pocket

L’auteur, pour écrire ce roman que j’ai beaucoup apprécié, s’appuie sur l’histoire véridique de Wilhem Furtwängler, pour évoquer le rapport des Nazis avec la musique classique. Il crée des personnages romanesques, nous suivons donc la formation de Christophe Meister excellent musicien et de sa mère Christa grande cantatrice qui déteste le nazisme et sera déportée car elle a un père juif. Tous deux personnages fictifs.

Comme tous les romans qui se passent lors de la montée du Nazisme, j’éprouve une angoisse pour tous les personnages juifs. Quand on sait ce qui va leur arriver, on a envie de leur dire : « fuyez mais fuyez vite ». C’est le cas pour la mère de Rodolphe, Christa qui hélas sera déportée alors qu’elle s’était réfugiée en France.

Mais j’oublie de vous dire le thème principal de ce roman, qui s’appuie sur des sources historiques très sérieuses, à savoir les rapports de Wilhlm Furtwängler avec le nazisme. Dès 1920, il est un chef d’orchestre reconnu et à la tête de l’orchestre de Berlin, il est une gloire internationale. Il n’a jamais été membre du parti Nazi et on le sait aujourd’hui à aidé de nombreux juifs à s’échapper de la persécution nazie. mais en revanche, il est resté en Allemagne jusqu’à la fin et a joué pour les dirigeants Nazis dont leur chef Hitler. Il était de façon évidente une caution pour le régime.

Pourquoi n’est-il pas parti de ce pays dont il détestait le régime ? Sans doute, c’est la thèse du livre, mettait-il la musique au dessus de la politique. Il voulait, aussi, montrer que l’Allemagne avait autre chose à montrer que ces horreurs nazies. Les paradoxes de la dénazification feront qu’il aura beaucoup de mal à se disculper alors que Karajan, nazi convaincu et membre du parti n’aura aucun ennui.

La partie romanesque, permet de raconter beaucoup de choses sur la direction d’orchestre et de rendre plus incarnée la montée du Nazisme. Je n’ai pas du tout aimé la révélation finale et cela ne rajoute rien au roman. J’espérais de toute mes forces que l’auteur n’oserait pas, mais si …

Un bon roman qui fait revivre une période si détestée sous un angle original

 

Citations

Mélange histoire et fiction.

 Le pays est envahi par des uniformes, des bruns des fauves, des oriflammes noir et rouge pendent aux fenêtres, avec cette croix ridicule au centre de chacun. Le nombre d’uniformes augmente chaque jour, depuis les élections. Pareil pour les drapeaux.
Furtwängler fend la foule qui s’est agglutinée autour d’un crieur de journaux. Des policiers patrouillent, raides et sévères dans leur uniformes verts. Les gros aigles de fer sur le front de leurs képis jettent des éclats dans le soleil rasant de la fin de journée. Des SA marchent à leurs côtés, un chien en laisse la gueule bavant dans une muselière.

Hitler.

Furtwängler ne l’avait pas pris au sérieux le mépris est toujours mauvais conseiller. L’homme au physique de garçon coiffeur tient à présent le destin de l’Allemagne dans ses mains qui paraissent fragiles. Il l’éventre, son pays le balafre en tout sens, fait sortir de terre le monde d’en dessous, celui des mauvais génies. Des grues et des bennes vont et viennent. Berlin est devenu un vaste chantier qui patauge dans la boue froide. L’ Allemagne n’est plus à genoux devant l’Europe. Elle accueillera les jeux Olympiques dans un an.

Un chef d’orchestre parle de son art.

J’ai bien connu Nikish, dit il notre père à tous. Il savait faire chanter un orchestre chose extrêmement rare. Il ne se préoccupait que de la sonorité, de la création et de l’accomplissement de cette sonorité. Pour moi, diriger un orchestre, c’est comment s’y prendre pour qu’il ne joue pas seulement de façon rythmique précise, mais qu’il chante avec toute la liberté indispensable à une réalisation vivante de la phrase mélodique. N’oubliez jamais que diriger signifie pouvoir créer librement.

L’espoir humain.

Rodolphe se met à espérer. C’est bête on ne croit jamais vraiment au pire. L’homme est ainsi fait, il n’envisage jamais vraiment le mot de la fin. À moins d’en avoir la certitude absolue.


Édition Les Presses de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Toujours ce club qui me pousse à lire des romans que je laisserais sagement sur les étagères sans mon grand plaisir à confronter mon avis avec celui de mes amies. Evidemment là les dès sont un peu pipés, bien sûr que mon avis est mitigé mais bien sûr aussi que des amatrices du genre (ou amateurs ?) peuvent être plus enthousiastes que moi. Il s’agit en effet d’un roman policier et ce n’est vraiment pas mon genre préféré.

Ce roman surfe sur la période troublée du début de la prise de pouvoir par Bonaparte qui est encore en campagne en 1800 en Italie : Est-il mort, comme le bruit en court à Paris ?

Auquel cas, il s’agit de prendre le pouvoir au plus vite et nous retrouvons nos deux compères, Fouché et Talleyrand qui se jouent de tous ceux qui croient se jouer d’eux.

Sur fond historique sûrement assez proche de la réalité, l’auteur a imaginé un jeune aventurier Armand de Calvimont et une jolie Julie héroïne qui fait tourner bien des têtes. L’auteur n’hésite pas à accumuler les cadavres ni les coups fourrés au point parfois de me faire sourire. Quand nous étions étudiants, nous lisions pour le plaisir de nous envoyer les phrases les plus cocasses de Pardaillan , vous savez du genre « ils sont 100 nous sommes 3, encerclons les ! ».
Bref on ne peut pas croire aux exploits du jeune Armand mais en revanche la duplicité de celui à propos duquel Bonaparte aurait dit

« vous êtes de la merde dans un bas de soie »

est bien rendue.

 

bref à vous de juger et sachez que cela se termine sur un baiser fougueux et une promesse d’une suite avec les mêmes héros.

 

Citations

Genre de phrases qui sonnent bien.

Avec les puissants, surtout quand ils le sont depuis peu, on a toujours tort.

Talleyrand.

Charles-Maurice (Talleyrand) restait un homme de l’ancien monde. Et quiconque avait le tort de s’empresser à le satisfaire se rendait vite compte qu’il n’existait plus que pour le servir.

Dialogue savoureux .

 « George oublie de dire qu’il était médecin à l’époque, coupa la Gaîté, mais que la passion de la bouteille lui a fait couper la mauvaise jambe d’un colonel. Une faute qui a … amputé sa carrière… »