Category Archives: Roman Historique


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères. 


Édition Michel Lafon, 424 pages, août 2024

Olivier Norek a su me faire apprécier des romans policiers , ce qui est une forme d’exploit étant donné mon peu de goût pour le genre, et sans en avoir retenu toutes les nuances de l’intrigue je me souviens bien de « Code 93, Territoire et Surtension » , cette fois il m’a embarquée dans cette guerre avec un réalisme et un soucis du détail qui a rendu cette lecture très difficile et angoissante.

La Finlande était un était indépendant depuis 1918, mais l’URSS vivait très mal l’indépendance de ce petit pays et en 1939, déclenche la guerre et pense écraser la Finlande en quelques jours . Cela rappelle étrangement l’invasion de l’Ukraine aujourd’hui – « L’opération militaire spéciale »-. Cette guerre durera plusieurs mois appelée « la guerre de l’hiver » et se soldera par un traité avec l’Union Soviétique qui prendra une partie du territoire russe et dans cette guerre l’armée rouge a perdu près de quatre cent mille hommes, les Finlandais soixante dix mille, mais jamais l’armée rouge ne réussira à enfoncer les lignes de résistance de la petite armée finlandaise.

L’auteur dit qu’il avait entendu parler d’un héros finlandais Simo un tireur d’élite autour duquel une légende s’est tissée dans les rangs de l’armée russe , on l’appelait « Bellaya Smert » c’est à dire « La mort blanche ». Nous allons donc suivre son parcours et c’est peu dire qu’il mérite l’admiration. Mais c’est un homme modeste qui sait que l’ensemble des soldats finlandais, vivants ou morts sont à admirer, c’est grâce à eux que le pays a résisté, grâce à eux, et à la stupidité de l’armée soviétique. Comme la guerre ne devait durer que quelques jours, Staline a envoyé à la mort des divisions peu préparées vêtues en tenue d’été, et avec quelques jours de nourriture. Et comme le grand Staline avait envoyé au goulag ou à la mort tous les cadres de son armée, il les a remplacés par des commissaires politiques qui étaient prêts à fusiller sur place tous les hommes qui hésitaient à aller à la mort.

Grâce à ce récit, l’image de la Finlande apparaît, des gens fiers de leur mode de vie, et aussi un pays si difficile à vivre avec un climat qui ne pardonne aucune négligence.

Le style de cet écrivain est efficace et va toujours à l’essentiel, certains récits prennent vraiment aux tripes, ces pauvres soldats envoyées à la mort sur des lacs gelés et qui tombent dans une eau qui les tue immédiatement, m’ont bouleversée.

On le sait les Finlandais ne sont pas au bout de leur peine, l’Allemagne Nazie viendra les envahir puis après 1945 les soviétiques reviendront à la charge. On peut comprendre qu’aujourd’hui la Finlande se méfie de son grand voisin.

L’attitude des gouvernement français et anglais n’est vraiment pas à leur honneur. La façon dont l’armée rouge a été tenue en échec en Finlande a permis à l’Allemagne nazie d’imaginer qu’elle pouvait facilement envahir la Russie, ce qu’elle fera des 1941.

Un roman historique très important à lire en ce moment où Poutine essaie de rejouer la grandeur de la Russie sur le dos de l’Ukraine.

 

Extraits

Début prologue 1

La lumière pleut sur ses yeux fermés, sur son corps allongé au cœur arrêté.

Début prologue 2

Longtemps, la Finlande appartient à personne.
Pendant des siècles, elle fut une partie du royaume de Suède. Et pour un siècle encore, elle passa sous la souveraineté de la Russie. Elle dut attendre 1917 pour gagner son indépendance.

Début du roman

« Un peu avant l’enfer
dans une forêt de Rautjärvi,
village de Finlande.
Aux herbes écrasées, aux branches cassées, aux empreintes enfoncées dans la terre et dont la partition racontait aussi bien qu’un fléchage le chemin de ceux qui les avaient laissées, sans un bruit, Simo lisait la forêt.

Vision lucide

– Vous insinuez que la Russie s’est tirée dessus ?

– Ce qu’elle ne reconnaîtra jamais. Aucun pays ne souffrirait d’être vu comme à l’initiative d’une guerre surtout s’il attaque un État indépendant, neutre et relativement inoffensif comme le nôtre. Et Staline à beau avoir en horreur l’Occident, il en redoute l’opinion.

Le personnage de Simo

 On chanta malgré tout, on s’enivra jusqu’à l’oubli, mais pour Simo, Noël passa comme une journée ordinaire.
 Il partit seul, le lendemain à l’aube, fit de même les deux jours suivants et tua cinquante et un Russe de plus, au fusil, de loin, ou à la mitraillette les yeux dans les yeux.

L’armée rouge pas si russe que cela.

Ukrainiens, Roumains, Géorgiens Mongols, Turcs, Azéris, Kazakhstan, Tadjikistan, Uzbeks, Biélorusses, Arméniens…Aucun n’avait souhaité partir en guerre. Et forcer un homme revient à fabriquer un insoumis.

L’envoyé de la Stavka

 Directement envoyer par la Stavka par le train de ravitaillement, arriva le camarade commissaire Fiodor Komarov, nouvel officier politique qui avait, comme lettre de recommandation et gage de compétence, le fait d’avoir supervisé l’organisation des goulags et du quasi millions de travailleurs forcés qui y étaient détenus.

Dialogue entre le commissaire politique et le commandant militaire.

 Et qu’as-tu commandé au ravitaillement ?
– Des armes et des munitions, comme chacune des deux cent quarante autres unités, j’imagine. 
– Nous en avons déjà pour plusieurs guerres, objecta le militaire. As-tu au moins demandé des vêtements chauds et de la nourriture ?
– Que crois-tu ? Que j’allais me plaindre ? Dire au Kremlin que nous avons froid et faim ? Souligner discrètement que nous sommes arrivés mal préparés ? Non merci. Par contre, j’ai demandé des portraits de Staline. Chaque unité doit en arborer un par espèce pour notre Chef suprême, et il nous en manque.
– Une telle requête aura bel effet dans ton dossier. Mais sur le terrain…
– Je crains davantage Celui pour qui l’on se bat , que ceux contre qui on se bat. Et tu devrais aussi .

Le tireur d’élite.

Profitant de la déroute, Simo alignait ses cibles et touchait au torse. Infailliblement. Il avait, quelques jours plus tôt, manqué un tir à la tête et avait laissé au soldat survivant le temps d’abattre trois hommes avant d’enfin pouvoir le descendre. Depuis cet instant, Simo avait abandonné la tête pour préférer viser le torse, qui offrait davantage de surface, remplaçant le panache, s’il y en avait seulement, par l’efficacité. Parfois le coup n’était pas immédiatement mortel mais dans cet hiver artique au froid impitoyable, au sein d’une armée russe qui préférait réquisitionner de nouveaux soldats plutôt que de soigner ses blessés, une simple cheville brisée attirait déjà la curiosité de la Camarde.

Le froid.

 Par moins cinquante et un degrés, une température qui n’a jamais été encore atteinte dans l’histoire du pays, il suffisait simplement d’arrêter de marcher au de s’écarter un instant du feu pour geler en quelques secondes. Les Lottas passaient d’une tente à l’autre pour distribuer du papier journal dont les soldats s’entouraient les jambes et le torse avant de passer leurs combinaisons. Combattre le froid, et en souffrir remplissaient une bonne partie de leurs pensées. Ils se blottissaient les uns contre les autres, reléguant l’odeur insupportable, la saleté, les infestations de punaise de lits, les poux et les démangeaisons qui rongeaient la peau jusqu’au sang, au rang de désagréments légers. Par ce temps arctique, même les unités les plus valeureuses ne s’autorisaient qu’une seule heure de patrouille avant de rentrer avant d’éviter les nécroses, et si Simo bravait depuis l’enfance les rigueurs hivernales, en ces tout premiers jours de l’année 1940, deux heures en extérieur étaient sa grande, très grande limite .

La France de 1940 rappelle celle d’aujourd’hui ;

 – Stockholm et Berlin nous demandent d’accepter les closes de Staline. Paris et Londres nous demandent d’attendre et nous promettent l’envoi de soldats .
– Je sais bien, Anselme. Dalladier en assure quarante mille et Chamberlain près de cent mille. Mais ils arrivent quand ces hommes ? Pour l’instant, la seule chose que fait la France c’est de me mettre en une de ces journaux. Des promesses des promesses … Je ne vais pas charger mes canons de promesses ! Les minutes passées à attendre leurs soldats ne sont pas faites de secondes, mais de nos morts.

La gloire de la France

 En 1946 alors que la France de l’après-guerre devait se reconstruire, elle demanda sans la moindre gêne à la Finlande le remboursement de quatre cent mille francs pour le matériel envoyé, fusil, canon et mitrailleuses, dont la plupart n’étaient arrivés que bien après la fin de la guerre.

 


Édition livre de poche, 469 pages, avril 2022

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour

 

En lisant ce livre, j’ai pensé à la révélation que fut pour moi « Racine » de Alex Haley. Je n’avais avant cette lecture de ma jeunesse que l’image de tortures infligées aux esclaves, mais s’ils avaient de bons maîtres la vie était supportable. Bref , ce qu’une petite fille qui a lu « la case de l’Oncle Tom » peut avoir dans la tête. « Racine » a eu pour effet de relier l’esclavage à l’Afrique et faire comprendre l’aspect absolument insupportable de la privation de liberté pour tous ceux qui vivaient ce statut. Le remarquable travail de Yaa Gyasi a rajouté plusieurs éléments, d’abord elle décrit très bien ce qui s’est passé en Afrique, au Ghana fin XVIII° jusqu’à la fin de la traite négrière. L’esclavage était, il est vrai, une coutume tribale, les vainqueurs ramassaient les vaincus et ceux ci étaient réduits en esclavage mais ils vivaient relativement»bien ce statut qui pouvait s’inverser. Quand les Portugais, les Hollandais, les Français et surtout les Anglais ont voulu acheter ces hommes et femmes, les habitants de ces pays y ont vu un commerce lucratif. Ils n’ont jamais eu l’idée de ce qui attendait ces pauvres gens quand ils les livraient ainsi aux Blancs. Yaa Gyasi ne les excuse pas pour autant, sans la collaboration des populations locales, jamais la traite négrière n’aurait pu s’installer de façon aussi massive et efficace. Le traitement des esclaves en Amérique est présenté dans toute son horreur mais l’aspect nouveau dont je n’avais pas encore entendu parler, c’est après l’abolition de l’esclavage, la façon dont les autorités pouvaient arrêter des Noirs dans la rue pour des prétextes incroyables : « il a regardé une femme blanche », » il n’est pas descendu de trottoir pour laisser passer un Banc », et même aucun prétexte, et les condamner au travaux forcés dans les mines. Enfin, elle décrit toutes les inégalités qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, le dernier personnage Marcus, qui fait de brillantes études, remarque que les Noirs font de la prison pour possession de haschisch, alors qu’il voit ses amis (blancs) étudiants de toutes les grandes Universités fumer la même substance, très librement, à toutes les soirées !

La construction du roman suit une famille originaire du Ghana – anciennement Côte de l’or- à travers quatre siècles. Une partie de la famille restera au Ghana et cela nous permet de vivre de l’intérieur les conflits entre les Ashantis et les Fantis, le poids des malédictions et des coutumes. C’est certainement compliqué de vivre dans ce pays mais rien n’équivaut à l’horreur de toutes les discriminations que connaîtront la branche familiale qui est partie comme esclave sur un bateau négrier. C’est un récit foisonnant, chaque chapitre est consacré à un descendant de Maame, L’une Effia épousera un négrier anglais, et sa descendance sera marquée par le poids de cette tragédie, Esi demi sœur d’Ffiaa partira comme esclave et nous permet de connaître à travers sa descendance le sort des Noirs aux USA. Le roman se termine par la rencontre de Marjorie ghanéenne et Marcus américain, ils visitent ensemble le lieu d’où partaient les esclaves : le fort de Cap Coast , et réunissent donc les deux branches de leur famille respective .

C’est une lecture indispensable, (évidemment je ne donne là que mon avis) car il permet de ne rien oublier de cette tragédie qu’a été l’esclavage et de comprendre aussi la méfiance légitime des Africains vis à vis des Européens encore aujourd’hui. J’ai une réserve cependant le découpage du roman, de personnage en personnage, donne parfois une impression de répétitions qui ne m’a pas gênée plus que ça, mais qui rend la lecture moins fluide.

 

Extraits

Début.

 La nuit ou naquit Effia dans la chaleur moite du pays fanti, un feu embrasa la forêt jouxtant la concession de son père. Il progressa rapidement, creusant son chemin pendant des jours. Il se nourrissait d’air ; il dormait dans les grottes et se cachait dans les arbres ; il brûla, se propagea, insensible à la désolation qu’il laissait derrière lui, jusqu’à ce qu’il atteigne un village ashanti. Là, il disparut. se fondant dans la nuit.

Du côté des futures esclaves.

 L’enfant avait été conçu avant le mariage d’Afua. Pour la punir, le chef du village l’avait vendue aux marchands, Afua l’avait raconté à Ezy à son arrivée dans le cachot, quand elle croyait encore qu’il y avait eu une erreur, que ses parents allaient revenir la chercher.
En entendant Tansi parler ainsi, Afua recommença à pleurer, mais personne ne sembla y prêter attention. Ces larmes étaient une sorte de routine. Elles étaient versées par toutes les femmes. Elles tombaient jusqu’à ce que le sol se transforme en boue. La nuit, Esi rêvait que si elles pleuraient toutes à l’unisson la boue se transformerait en une rivière qui les emporterait vers la mer.

Le sourire de l’homme blanc.

 Avant qu’Esi ne parte, l’homme qui s’appelait « Gouverneur » lui sourit. C’était un sourire bon, plein de compassion, sincère. Mais pendant le reste de sa vie, dès qu’elle verrait un sourire sur un visage blanc, Esi se rappellerait celui du soldat avant qu’il ne l’emmène dans ses quartiers, et elle se souviendrait que lorsque les hommes blancs souriaient, cela signifiait seulement que d’autres malheurs étaient à venir.

Parabole sur les affaires pour l’achat d’esclaves.

 – Ce que tu ne veux pas entendre, Quey, c’est le troisième oiseau la femelle. Elle reste silencieuse, écoute les mâles qui chantent plus fort, encore et toujours. Quand ils ont chanté a perdre la voix, alors, et alors seulement elle prend la parole. Alors, et alors seulement elle choisit celui dont elle a préféré le chant Pour le moment elle attend, les laisse se disputer : qui sera le meilleur partenaire, qui lui donnera la meilleure semence, qui se battra pour elle dans les moments difficiles.
« Quey, ce village mène ses affaires comme cet oiseau femelle. Vous voulez payer plus pour les esclaves, payez plus, mais sachez que les Hollandais paieront plus également et aussi les Portugais,et même les pirates. Et pendant que vous tous proclamez que vous êtes meilleurs que les autres, je reste tranquillement dans ma concession à manger mon « fufu » et à attendre que les prix atteignent le niveau j’estime juste. Maintenant, ne parlons plus affaires. »

La vie en Afrique du temps de l’esclavage .

 C’est ainsi qu’on vivait ici dans le bush : manger ou être mangé. Capturer ou être capturé. Se marier pour être protégé. Quey nierait jamais dans le village de Cudjo. Il ne serait pas faible. Il faisait le commerce des esclaves, et cela imposait des sacrifices.

Le bateau négrier.

 La mère de Ness, Esi, était une femme robuste et grave qui ne parlait jamais de choses heureuses. Même les histoires qu’elle racontait à Ness pour l’endormir parlaient du « Grand Bateau ». Ness s’endormait avec des images d’hommes jetés dans l’Atlantique comme des ancres qui n’étaient reliées à rien : ni patrie, ni peuple, ni valeur. Dans le Grand Bateau, disait Esi, ils étaient entassés dix l’un sur l’autre, et quand quelqu’un mourait au-dessus de vous, son poids pesait sur la pile comme un cuisinier pressant de l’ail .

Harlem et la drogue.

 « Les hommes blancs ont le choix. Ils peuvent choisir leur travail, choisir leur maison. Ils font des bébés noirs puis ils s’évaporent comme s’ils n’avaient jamais été là, comme si toutes ces femmes noires avec lesquelles ils avaient couché ou qu’ils avaient violées, elles étaient tombées enceintes toutes seules. Les hommes blancs peuvent aussi décider pour les Noirs. Ils les vendaient autrefois maintenant ils les envoient juste en prison, comme ils ont fait avec mon papa, et les privent de leurs enfants. Tout cela me brise le cœur mon fils le petit fils de mon papa, de te voir ici avec ces p’tis gosses qui se baladent dans Harlem et connaissent à peine ton nom encore moins ton visage. Tout ce que je peux dire c’est que c’est pas comme ça devrait être. Il y a des choses que tu n’as pas apprises de moi des choses que tu tiens de ton père même si tu l’as pas connu, les choses qu’il avait apprises chez les Blancs. Ça me rend triste de voir que mon fils est un drogué après tout ce que j’ai manifesté et ce qui me rend encore plus triste c’est de voir que tu penses que tu peux t’en aller comme ton papa. Continue à vivre comme ça et l’homme blanc n’aura plus besoin de faire quoi que ce soit. Il n’aura pas besoin de te vendre ou te mettre dans une mine de charbon pour te posséder. Il te possède juste comme ça et il verra que c’est toi qui l’as fait. Il dira que c’est ta faute. »

 

 


Édition points, 193 pages, mars 2024

 

J’aime bien cet auteur et je trouve que ses livres sont agréables à lire, on trouve sur Luocine : Loin des bras en 2009, Prince Orchestre en 2012, L’enfant qui mesurait le monde en 2017, Tu seras mon père en 2022.

Le sujet de celui-ci est très original : raconter la vie de Jésus en prenant en compte sa conception. Si, ce que nous a appris le catéchisme est vrai, Jésus n’est pas né de l’accouplement de Joseph et Marie, il est donc un « Bâtard » un « Mamzer » en hébreux et sa mère une femme qui a eu des rapports hors mariage, une « Sota » . Un des grands intérêts de ce court roman, c’est de nous faire découvrir la dureté des lois religieuses juives. Les docteurs, gardiens de la loi, sont d’un rigorisme incroyable, ils justifient toutes leurs positions en disant que le peuple « élu » doit être fort et pur. Il faut donc chasser tous les impurs, tous ceux qui ne suivent pas la loi, mais aussi les faibles : handicapés ou malades. Ce sont aussi des dogmes fondés sur la peur terrible de les enfreindre , car la condamnation , ne s’applique pas qu’à vous (le fautif) mais à toute votre descendance sur 5 ou 6 générations.

Toute la réécriture de la vie de Jésus par Metin Arditi, prend comme point de vue celui d’un Mamzer, (bâtard) qui a vécu dans sa propre famille ce rejet terrible pour l’époque. Il a été tendrement aimé par son père Joseph et sa mère Marie, et est donc très attaché à la religion juive de ses parents. La seule chose qu’il souhaiterait c’est d’humaniser ces lois si dures qu’elles rejettent hors de cette religion des gens qui n’ont eu, en somme, que des comportements trop humains. Face à l’adultère, il propose que l’on applique aux hommes la même dureté que pour les femmes : on pense alors à cette phrase « que celui qui n’a pas pêché lui jette la première pierre ». Il ne veut pas que l’enfant bâtard soit jugé pour la « faute » de ses parents, il conteste la loi du talion. Il refuse que les infirmes ou lépreux soient rejetés hors de la communauté. Il souhaite que les populations étrangères puissent devenir juives à leur tour. Pour avoir la force de prêcher tout cela, il s’appuie sur une phrase de l’ancien testament : « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

À travers cette façon de lutter contre les lois sclérosantes de la religion juive se dessine l’arrivée des valeurs chrétiennes. Jésus va donc s’adresser aux exclus de la religion juive et peu à peu, ses paroles d’amour et consolatrices vont convaincre une foule de malheureux.

Certains aspects de sa vie sont plus difficiles à expliquer : les miracles, le fils de Dieu, la résurrection, mais l’auteur ne s’en sort pas si mal.

C’est un livre très amusant qui se lit facilement, j’y ai retrouvé mes souvenirs de catéchisme, et j’ai admiré l’esprit de cet auteur. Ce n’est absolument pas une remise en cause de la religion chrétienne, si une religion est critiquée, c’est la religion juive du temps de Jésus. J’ai eu une pensée pour la religion musulmane aujourd’hui : il est si compliqué de donner du sens à des dogmes qui ne suivent pas l’évolution des sociétés. Le respect des lois trop strictes qui empêchent la sensibilité humaine de s’exprimer n’aideront pas à l’expansion de la religion juive, et sera une cause de son rejet, enfin, cela est une autre histoire.

 

 

Extraits

 

Début .

On ajoute deux pas, dit l’enfant.
 Samuel le regarda sans plaisir compter deux pas à partir de la ligne qu’ils avaient tracée sur la terre battue. De toute façon, quand ils jouaient à caillou touché, c’était toujours l’autre qui gagnait. De peu ou de beaucoup, c’était lui. En augmentant la distance au mur, ils en seraient à huit pas. Déjà que l’autre était plus habile … En plus, il le troublait avec ses phrases qui n’en finissaient pas.

Discussion de Jésus et Ézéchiel.

 Et pourquoi demanda Jésus, un autre jour, la représentation était-elle si cruellement punie ?
Était-ce juste de faire punir des générations de descendants pour l’erreur d’un seul homme, comme lorsqu’il est dit :
– » Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point ; car moi, l’éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui fait miséricorde jusqu’en mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. »
 L’erreur était-elle héréditaire ?

Le baptême.

Jésus s’approcha du Baptiseur, et, soutenu par lui s’imergea tout entier dans l’eau de la mer de Génésareth, effleuré par le courant du Jourdain dont l’embouchure se situait une cinquantaine de coudées en amont.
 À l’instant ou il émergea de l’eau, les nuages s’écartèrent un rayon de soleil le frappa et une mouette vint se poser à son côté.
 De la foule s’éleva un long « Oh … » d’émerveillement.
– Es-tu celui qui doit venir ? demanda Jean
 Jésus le regarda en silence, sortit de la mer et se perdit dans la foule.

Remise en cause de la loi du talion.

 Répondre à un bras brisé par un bras brisé, ne serait-ce pas contredire la parole la plus sacrée du Père ? Et cela ne ferait que des perdants.
– Plutôt que de briser le bras de ton voisin, ne préférerais tu pas qu’on l’oblige à labourer ton champ, le temps que tu guérisses ? Je suis convaincu qu’à le voir suer à retourner la terre pour ton compte durant un mois, tu seras si heureux que tu finiras par lui pardonner sa faute.
 L’homme regarda Jésus, l’air intrigué. Cet homme lui suggérait-il sérieusement d’accorder son pardon à celui qu’il avait blessé ? Avait-on jamais entendu une idée aussi absurde ? Elle ébranlait ses convictions les plus profondes !
 Pourtant ce qu’il proposait ne manquait pas de justesse.

Diviser ou réunir les juifs.

C’était l’inverse qu’il souhaitait . Rapprocher les Juifs de leur religion. Redonner aux Lois leur esprit. Appliquer l’injonction du Lévitique :

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

– La religion juive est faite de charité et d’amour. Pourquoi voudrais-je m’en séparer ?


Édition Rivages/noir, 444 pages, août 2016

Traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau

Encore une lecture que je dois à la blogosphère pour faire un cadeau à une amatrice de polars. Mais cette fois-ci je vais l’offrir car dans le genre je le trouve très intéressant. Le titre « Ratline » est le nom qu’on donnait aux filières d’exfiltration pour mettre les nazis à l’abri de la justice, surtout en Amérique latine, mais aussi et cela on le sait moins en Irlande Je raconte rapidement le propos (rassurez-vous, je n’en dévoilerai pas trop !) : un espion irlandais, Albert Ryan qui est le héros de cette histoire se trouve mêler à une enquête de meurtres d’ancien Nazis en 1963, quelques mois avant l’arrivée de Kennedy en visite officielle en Irlande. L’histoire est très embrouillée et très violente, trop pour moi, mais ce que j’ai aimé c’est qu’on découvre l’après guerre 39/45 en Irlande, ce pays n’a pas pris part au conflit car il ne voulait pas aider l’Angleterre son ennemi de toujours, et après la guerre, il a servi de refuges à des anciens Nazis mais aussi aux dirigeants du mouvements autonomistes bretons. J’ai aimé aussi la peinture de l’Irlande avec ses intolérances religieuses, le héros Ryan est protestant et surtout s’est engagé dans l’armée anglais pour lutter contre Hitler. Cela explique à quel point il se sent seul dans son propre pays. On découvre aussi le personnel politique irlandais vu sous un aspect peu sympathique : corruption en tout genre !

La peinture de ces personnages peu reluisants a suffit à mon bonheur de lectrice, ensuite pour l’intrigue, je vous en laisserai juge . J’ai trouvé un peu compliqué de comprendre qui manipule qui. Et je déteste les scènes de tortures, et il y en a beaucoup. Qui est le puissant ? L’ancien Nazi ? le ministre de la justice irlandaise ? les anciens espions anglais qui veulent récupérer l’or des nazis ? le Mossad ? Un vrai panier de crabes où tous les coups sont permis, mais c’est le genre qui veut ça.

C’est Sandrine qui m’avait donné envie de lire et d’offrir ce livre et son billet est beaucoup plus détaillé que le mien car elle aime le genre policier et a su voir en celui-ci une originalité que d’autres romans du même genre n’ont pas. Je suis d’accord avec elle, le principal intérêt de ce roman, c’est l’analyse de l’Irlande d’après guerre, et l’auteur s’appuie sur une recherche historique sérieuse et fouillée.

 

Extraits

Début.

 « Vous ne ressemblez pas à un Juif » dit Helmut Krauss à l’homme qui se réflétait dans la vitre.
 De l’autre côté de la fenêtre les vagues furieuses de l’atlantique lançaient leur écume contre les rochers de la baie de Galway. La maison d’hôte offrait un confort rudimentaire mais c’était propre. Les pensions et hôtels de Salthill, petite ville proche de Galway accueillait en été des familles venues de toutes l’Irlande pour profiter de quelques jours d’air salé et de soleil.

Les divisions des Irlandais.

 « Je sais pas de quoi tu parles. Si ton vieux ne supporte pas la concurrence il n’a qu’à faire ses valises et fiche le camp. » Prenant de l’audace, Lahon se dressa de toute sa hauteur.  » Il aurait dû partir depuis longtemps. On n’apprécie pas trop les gens comme vous par ici.
– Les gens comme nous ? c’est-à-dire ?
Mahon s’humecta les lèvres, déglutition, tira sur sur sa cigarette. « Les protestants, répliqua-t-il, en envoyant sa fumée au visage de Ryan. Surtout quand leur rejeton copine avec les anglais. »

Les autonomistes bretons.

 L’avènement du Reich était apparu comme un baiser de Dieu. Un cadeau offert, le moyen de parvenir à l’objectif que les Bretons n’avaient pas le pouvoir d’atteindre seuls. Aussi tandis que la France tombait devant l’offensive ennemie, Lainé organisa ses hommes, leur procura des armes fournies par les allemands et prit la tête des opérations.
 Bientôt Lainé se découvrit un talent qu’il ne soupçonnait pas. Ingénieur chimiste de formation, il avait déjà mis à profit son savoir en fabriquant des engins explosifs, mais sa nouvelle vocation surprit tout le monde, à commencer par lui-même : il excellait à soutirer les informations aux prisonniers.

Une autre autonomiste .

– Vous avez collaboré ?
 Elle ramena son regard sur Ryan, ses yeux comme des aiguilles qui lui transportaient la peau. « Appelez ça comme vous voudrez. Moi je me considère comme patriote et socialiste. Les Allemands nous promettaient notre indépendance, notre propre gouvernement nous les avons crus. Nous étions naïfs, peut-être, mais n’est-ce pas l’apanage de la jeunesse ? »

Paroles d’un espion du Mossad.

 La guerre ne finit jamais. Je me bats pour un minuscule territoire entouré d’une douzaine de pays qui veulent le mettre à feu et à sang jusqu’à ce qu’ils ne restent plus aucune trace de nous sur cette terre. S’ils ne se haïssaient pas entre eux autant qu’ils nous haïssent, ils nous auraient poussé dans la mer il y a dix ans.

 

 

 

 


Édition Albin Michel, 395 pages, avril 2024

 

J’écoute très régulièrement les podcasts de Phillipe Collin, et je vous conseille ceux sur Céline, et Léon Blum en particulier mais ils sont tous intéressants. Je savais que je lirai son roman, et j’ai bien aimé mais sans retrouver le plaisir d’écoute des podcasts.

L’auteur a été très intéressé par le barman du Ritz, qui est d’origine juive et qui l’ a caché pendant toute la guerre alors qu’il servait tous les jours les plus hauts gradés de la Wehrmacht. Le roman a trois centres d’intérêt : le Ritz, ses clients et le parcours de Franck Meier le barman.

Le Ritz, cet hôtel de luxe appartient à l’époque de la guerre à Madame Ritz, une femme peu sympathique qui veut avant tout que les clients prestigieux soient bien servis, peu importe la couleur de leur uniforme. Il est dirigé par Monsieur Auzello qui est l’époux de Blanche une très belle femme américaine juive. Je ne sais pas si le fait est exact, mais le barman l’aurait aidée à avoir des papiers lui créant une nouvelle identité chrétienne américaine. L’important dans cet hôtel, c’est le luxe, le luxe des plats, des boissons, des meubles le tout servi par un personnel de grande classe.

Les clients, nous sommes donc avec les gradés de la Wehrmacht certains ont une certaine classe, d’autres sont de véritables porcs comme Goering qui passe son temps à se droguer et à piller les trésors culturels français. Je ne sais pas non plus si c’est exact, c’est au Ritz qu’aurait été fomenté le dernier attentat contre Hitler. Le roman se termine sur le retour d’un client qui avait fait la réputation du Ritz : Hemingway .

Franck Meier, c’est bien lui le personnage principal , sa naissance aurait dû lui couter la vie : son père est un rescapé de pogroms qui est venu vivre à Vienne, il a rejeté la religion juive et n’a pas voulu circoncire son fils. Pour fuir la misère, Franck part aux États-Unis et se forme à la fabrication de cocktails, il est attiré en France dans les années 1900 et commence au Ritz fréquenté alors par des écrivains américains, Fitzgerald, Hemingway. Quand la guerre 14/18 éclate, Franck s’engage dans la légion étrangère , il deviendra français et sa carrière continue. Il ne dira à personne qu’il est d’origine juive mais certainemant cela l’empêchera d’adhérer à l’idéologie nazie, l’écrivain nous le fait connaître grâce aux extraits de son journal, on apprend sa vie personnelle. Il est très sensible à la beauté de Blanche Auzello qui ne se remettra jamais des tortures qu’elle a subies dans les caves de la Gestapo . On découvre aussi son mariage et l’existence de son fils auquel il semble moins attaché qu’à un jeune juif d’origine italienne qu’il a aidé à fuir.

 

L’ambiance est très bien rendue, à la fois les années de luxe de la collaboration et les personnages qui s’affichent sans aucune vergogne au bar avec les Allemands , Coco Chanel, Arletty, Sacha Guitry, Jean Cocteau, tous ces gens profitent aussi d’une nourriture abondante et de l’alcool qui coule à flot. Pendant ce temps là les juifs sont raflés, pillés et les français ont faim. Et quand la victoire des Américains s’annoncent les rats quittent le navire et les vestes se retournent. J’avoue que ce monde là m’intéresse assez peu et parfois même il me dégoûte cela fait partie de mes réserves .

Ma réserve principale vient du parti-pris de l’auteur de centrer tout son roman sur Franck Meier dont l’auteur ne sait pas grand chose à part qu’il soit d’origine juive , donc on ne sait jamais si c’est vrai ou romancé. Cela n’empêche pas que ce livre se lit très facilement et qu’on passe un bon moment au Ritz dont je ne pourrai jamais m’offrir que la vue de la façade .

 

Extraits

Début du prologue

Demain, les troupes allemandes entreront dans Paris. La France est dissoute comme un morceau de sucre dans un verre d’absinthe.

Début du roman.

 

14 juin 1940
« Me voilà coincé dans le nid des Boches. »
 Six heures et demie du soir, et les Allemands se font toujours attendre.
 Ce matin, ils ont défilé sur l’avenue Foch.
 Désormais ils sont là dans les murs dans l’enceinte du Ritz.
 Tous les palaces parisiens sont réquisitionnés par l’armée allemande afin d’y installer des bureaux ; le Ritz, lui, accueillera une centaine d’officiers supérieurs – la crème de la Wehrmacht – et devient « la résidence du gouverneur militaire en France » : si ce titre ne rappelait pas la cruelle humiliation que vient de subir l’armée française, il serait presque prestigieux.

Exil  : l’ambivalence des sentiments.

 L’équipage a largué les amarres, la sirène du paquebot a retentit. Et j’ai soudain été pris d’une immense tristesse en pensant à ma petite mère, l’exil social se paye d’une tristesse éternelle.

Il est vrai que les gens se révèlent dans des moments tragiques.

Elmiger a le sourire modeste, il se cale dans le siège passager. Franck le regarde à la dérobée en tournant boulevard Pasteur. Le directeur lui fait penser à ces hommes qui sur le front des Ardennes se révélaient à l’épreuve du feu. Au départ, ils étaient frêles, discrets, tourmentés. Souvent instituteurs ou clercs de notaire, ils avaient des larmes pleins les yeux et voulaient rentrer chez eux. La trouille au ventre, le casque trop grand sur la tête. Le genre de sous-officier trouillard que tous les soldats fuyaient, persuadés qu’ils portaient la poisse. Puis, contre toute attente, la prudence de leur tempérament leur a permis de survivre. Au fil de la mitraille, une force morale s’est forgée en eux. Ils se sont redressés, ont rajusté la lanière de leur cervelière, ont domestiqué leur peur. Chaque jour qui passait sous les pluies d’obus, ces hommes qu’on avait jugé trop vite se parvient de ce charisme rare qui rassure les autres, jusqu’à conduire les gars au moment de l’assaut.

 


Édition Stock, 317 pages, février 2023

 

Un roman conseillé par ma soeur que je ne suis pas prête d’oublier. Le titre et le sous titre parlent de deux moments de l’histoire des ancêtres de l’écrivain. Pour écrire les deux moments de ce passé, l’auteur se sert de deux narrateurs différents : son père qui lui transmet la tradition familiale autour de l’ancêtre de 1744, le médecin juif, Isaïe Cerf Oulman, et sa grand mère qui lui racontera de façon parcellaire ce qui s’est passé en juillet 1944 qui verra l’arrestation et l’assassinat de 13 personnes de sa famille arrêtées par la police française et tuées par les allemands à Auschwitz ou ailleurs.

Le fait historique, de 1744, occupe les deux tiers du roman, et est très intéressant. Le roi Louis XV est à Metz pour surveiller et motiver ses troupes dans une guerre contre l’Autriche. Après une journée consacrée à la chasse et à l’amour physique, le roi s’empiffre d’un repas très riche, trop sans doute. La nuit, il est pris de douleurs atroces et doit appeler ses médecins qui ne connaissent que deux façons de soigner de l’époque : la purge et la saignée. Et plus la personne est importante, plus on le purge, plus on le saigne .. (heureux les pauvres qui avaient le droit de mourir sans ces horribles pratiques ! !)

La ville de Metz accueille à l’époque une forte de communauté juive, constituée en particuliers des Juifs chassés du royaume de France par le roi Lois XIV. La place forte est dirigée par le descendant de Fouquet, le Maréchal de Belle-Isle qui a pris l’habitude de connaître et apprécier la communauté juive. il avait donc, fait appel à ce grand médecin Isaïe Cerf Oulman qui avait sauvé un de ses lieutenant.

Le roi est très malade et même mourant, le parti des dévots mené par l’évêque de Metz, reprend pouvoir sur ce roi moribond. Cela commence par le renvoi des deux maîtresses du roi, puis par la promesse du roi de construire une cathédrale à Paris plus haute que Notre-Dame, consacrée à Saint Geneviève. Vous savez qu’est devenue cette église Sainte-Geneviève ?

Le Maréchal de Belle-Isle veut absolument sauver le roi en déguisant le médecin juif, pour que personne ne sache que le Roi, a été sauvé par un Juif .

Nous nous retrouvons ensuite en France en 1994, et nous écoutons la grand-mère de l’auteur qui parle de l’horreur absolue : l’arrestation de son père un homme décoré de la légion d’honneur, héros de la guerre 14/18 , qui en 1944 ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant, il est arrêté par la milice en juillet 1944 et ce sera le début des treize arrestations des membres de sa famille. Cette partie est plus difficile à lire, car chargée d’une émotion palpable, d’abord parce que les membres de sa faille ont été arrêtés alors que le mois d’après Paris était libéré ! et puis la façon dont a été traité cet arrière grand-père, battu, alors qu’il était infirme et abandonné sans soin sur une paillasse dans un sous sol est insoutenable. L’auteur cherche pourquoi après 12 autres membres de sa familles ont été arrêtés ce n’est sans aucun doute pas le fruit du hasard, dénonciation ? Carnet retrouvé chez le grand-père ? aveux sous la torture ?

On n’aura pas de réponse, mais peu importe, la famille peut maintenant se recueillir sur le murs du mémorial de la Shoah, celui-là même qui a été tagué récemment. Et aussi au Panthéon où le nom d’Émile Hayem figure comme héros de la guerre 14/18.

La boucle est bouclée : si le Panthéon existe c’est un peu grâce à Isaïe Cerf Oulman, qui a sauvé la vie du Roi Louis XV, vous souvenez que le Roi avait promis de construire une église plus haute que Notre-Dame, le Roi a bien tenu sa promesse, mais celle-ci n’a été terminée qu’après la Révolution de 1789, les Révolutionnaires n’ont pas voulu en faire une église même si le monument est bien sur la Montagne Saint Geneviève, ils en ont fait un Panthéon à la gloire des grands-hommes de France dont le descendant d’Isaïe Cerf Oulman : Émile Hayem .

Si je mets 5 coquillages à ce roman, ce n’est pas pour ses qualité littéraires (il est très bien écrit mais sans effet littéraire particulier), mais parce que je pense qu’à notre époque qui voit l’antisémitisme remonter avec son lot de violence, il faut absolument lire ce genre de livres.

 

Extraits

Début.

En cet ensoleillé matin d’automne 1927, Julien Hayem, accompagné de son épouse Lucie, sortait d’un élégant immeuble haussmannien du 10, avenue de Messine.
Les platanes bordant la large voie s’embrasaient de couleur ocre et feu comme autant de buissons ardents. Ces teintes exubérantes contrastaient avec la mise de Julien en habit de deuil, il portait une redingote noire, un gilet noir, une chemise blanche à plastron, une cravate noire de chez Charvet, un haut-de- forme et une brassière noire. Il arborait son insigne d’officier de la légion d’honneur. En noir elle aussi, couverte d’un chapeau et d’une mantille, Lucie lui tenait le bras, par affection, par émotion, pour garder l’équilibre, également  ; elle approchait des quatre-vingts ans comme son époux.

Le sort du médecin juif en 1744.

 Si, comme Hélian l’avait dit, il s’agissait d’une dysenterie, et si le roi n’était pas trop faible, il saurait le guérir. Mais s’il souffrait d’autres infections malignes, il succomberait de l’assaut des purges et des saignées. En cas de succès, Louis serait officiellement sauvé par un docteur militaire à la retraite du nom de Montcharvaux. En cas d’échec, il devrait répondre, lui, le médecin juif de l’accusation courante pour les siens, d’empoisonnement. La populace se déchaînerait, les quatre cent familles juives de Metz et celles des environs seraient sûrement pourchassés, violentes, assassinées. Dans tout le royaume, les Juifs auraient de nouveau à choisir entre l’exil, la potence ou le bûcher, comme au temps des croisades, de la peste ou de la terrible expulsion du Royaume de France en 1394. Il se devait de réussir.

Je connais ce fait mais cela me fait mal à chaque fois que je le relis .

Brunner le responsable de l’assassinat de tous les miens finit sa vie en policier zélé et efficace de la dictature de Hafez El-Assad.

C’est tellement vrai et ça résonne très fort aujourd’hui.

Profondément patriote et démocrate je savais intimement que lorsqu’une vague antisémite déferlait elle ne s’arrêtait pas aux juifs. Elle irait aussi s’attaquer à notre socle de valeur et à notre démocratie. Dans la tourmente, nous sommes toujours des éclaireurs. Quand un peuple s’attaque à ses Juifs, cela ne s’arrête jamais là, comme en 1306 *, en 1898*, en 1936*. Nous étions bien seuls à la fin de l’année 2000 à tirer la sonnette d’alarme. Nos avertissements ne furent pas entendus ou si peu. Une décennie plus tard la France serait un des pays les plus touchés en Europe par la vague des massacres islamiques qui avaient débuté par les Français juifs pour ensuite meurtrir l’ensemble des Français .
1306 : En juin 1306 , le roi Philippe le Bel promulgue un édit d’expulsion imposant aux Juifs de quitter le royaume de France et annule toutes les créances qui leur sont dues, puis confisque tous leurs biens.
1898 : une vingtaine de députés, tous membres de courants nationalistes (boulangistes, royalistes, déroulédiens…), constituent en un « groupe antisémite » à la Chambre, sous la présidence de Drumont.
1936 : jeux Olympiques de Berlin, personne ne réagit qu’en 1935, sous l’impulsion de Goebbels et de Streicher, des « manifestations spontanées » sont organisées contre les Juifs. Elles aboutissent à la publication des lois de Nuremberg qui privent les juifs de leurs droits civiques et leur interdisent de se marier ou d’avoir des rapports sexuels avec des personnes de « sang allemand ou assimilé » La même année Hitler interdit que des noms juifs figurent sur les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. En 1936 jeux Olympiques de Berlin .
2012 : En trois expéditions, Mohammed Merah assassine sept personnes dont trois enfants juifs et fait six blessés.


Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 

Édition « Aux forges de Vulcain » , 204 pages, mai 2023

 

Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’Enfer.

J’avais beaucoup aimé ‘Une bouche sans personne » du même auteur. On retrouve, ici, ce style si particulier entre oral et poésie, ente gouaille et sérieux, qu’il manie si bien. Je dois à Gambadou l’envie de lire ce roman. Et si j’en juge par les commentaires à son billet, je n’étais pas la seule. On retrouve bien le ton de cet écrivain et même si le sujet est grave, on est pris par ce récit et parfois on sourit. J’ai surtout été très émue à cette lecture. Je vous rappelle le sujet : le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, qui a perdu une main à la guerre, à son retour il retrouve Anna son grand amour et se lance à corps perdu dans la recherche des soldats que les familles recherchent désespérément. Une mère l’engage pour retrouver son fils, Émile, dont elle a perdu la trace. En commençant ses recherches notre enquêteur se rend compte qu’Émile était très amoureux d’une Lucie alsacienne. Tout le livre est construit sur cette recherche d’un amour impossible, que la mère d’Émile nie de toutes ses forces. Cette jeune paysanne n’était pas jugée assez bien pour cette grande bourgeoise. Émile est un poète fou d’amour, et se fiche des jugements de sa mère. Il partira en Alsace pour retrouver son amour mais hélas la guerre va les séparer. Et quelle guerre ! Cette quête permet à l’auteur de se retrouver sur tous les champs de bataille au milieu de toutes les horreurs possibles , d’y croiser un être appelé « la fille de lune », qui aide les mourants abandonnés de tous lors des batailles sanglantes, de parler avec un rabbin qu’on appelle le curé, de croiser des infirmières allemandes plus humaines qu’un horrible médecin français qui sadiquement envoie des charges électriques à tous les malades psychiatriques de peur qu’ils soient des « tire-au flanc » .
Un des moments très fort du récit se passe en Alsace, il y rencontre un père qui a perdu un fils à cette guerre, mais est-il toujours un héros lui qui était, évidemment dans l’armée allemande. Je me suis posée alors, cette question, les femmes française veuves de guerre touchaient une pension, mais qu’en était-il pour les femmes alsaciennes ?

Un très beau livre, merci Gambadou de l’avoir si bien présenté, j’espère, à mon tour, vous avoir donné envie de le lire.

 

Extraits

Début.

 Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L »image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges où de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparé à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.

J’aime bien son style.

J’ai pris un train et j’ai marché jusqu’à un joli petit village qui venait d’inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C’était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J’avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote.

Il me fait rire.

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinematographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Pais s’amusait et s’incouciait. Coco chanelait, André bretonnait, Maurice chevaliait.

Verdun.

 C’est comme ça que je me suis retrouvée avec mon drôle de bricolage et mon volant à la main. À relier Bar-le- Duc à Verdun sur la Voie sacrée. À l’époque on ne l’appelait pas comme ça. On disait simplement « la Route ». Comme s’il y en avait qu’une seule. Une colonne interminable de camions. Des soldats valides dans un sens, estropiés dans l’autre. Et du matériel. Des canons, des obus, de la nourriture, des bêtes, du vin. On conduisait sans jamais s’arrêter ou presque. Cinquante-sept kilomètres entre la civilisation et la barbarie. Cinquante-sept kilomètres où l’on conduisait à longueur de journée, à longueur de nuit, comme des automates fous.

Sentiments des Alsaciens en 1919.

 Mais la première fois que j’y étais était allé, au printemps 1919, je m’attendais à trouver une terre en fête : après tout on s’était battu quatre années pour leur redonner leur dignité. Évidemment ce n’était pas le sentiment général. Parce que, premièrement, il n’avait jamais perdu leur dignité et, deuxièmement tous n’avaient pas été ravis de devenir français. Sans compter que, parmi les morts de chaque village, la plupart s’étaient pris des balles françaises. Allez expliquer à une veuve de guerre que c’était une balle pour la bonne cause :  » On a tué votre mari … Mais,bonne nouvelle, vous êtes de nouveau française, madame ! »

Cet auteur a le sens des phrases justes.

 Il a fini par reprendre : « pensez-vous que l’on puisse mourir en héros si l’ennemi d’hier devient la nation de demain ? ».
 Je lui ai répondu que l’on pouvait mourir en héros en sauvant ces camarades. Il a souri. Tristement, mais il a souri.
En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres.

Le poème final.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
 Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

 


Les éditions de l’observatoire, 404 pages, novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai toujours un sentiment très positif lorsque j’apprends un aspect nouveau sur une période que je croyais bien connaître. Que savait-on du déminage après la seconde guère mondiale ? Que savait-on du traitement des prisonniers allemands en France ?

Grâce à ce roman, j’en ai appris beaucoup sur ces deux sujets, pourquoi est ce que je me retiens de lui mettre 5 coquillages ? Le romanesque est bien construit pour l’intrigue, mais je n’ai complètement cru aux personnages de « Vincent » , ou plutôt Hadrien.
J’explique rapidement l’intrigue : Hadrien, vient se proposer comme démineur à Fabien, un héros de la résistance, il le fait sous une fausse identité, et nous apprendrons que tardivement pourquoi (donc je n’en dis rien !), en revanche, ce que nous savons immédiatement, c’est que, s’il veut devenir démineur, c’est pour se rapprocher des prisonniers allemands, qui seuls peuvent lui expliquer ce qui est arrivé à Ariane son grand amour.

Fabien est un meneur d’hommes et un démineur très doué, il est aussi très humain et il sera le premier à ne pas considérer les Allemands comme de simples nazis à mépriser. Parmi les allemands il y en a deux qui sortent du lot : Lukas, un ancien libraire qui n’a jamais été nazi et Mathias un violoniste très sensible.

Un autre personnage sera important Saskia, très jeune fille juive, qui revient des camps et est persuadée qu’elle pourra retrouver facilement la propriété de ses parents. C’est là un autre thème du roman que j’ai déjà lu, à quel point à la sortie des camps on faisait une différence entre les juifs et les résistants qui avaient servi la France, pourtant les deux revenaient bien des mêmes camps ! Et à quel point ils ont eu du mal à récupérer leurs biens.
Saskia a été inspirée à l’auteure par une femme juive qui lui a raconté son retour : l’appartement où ses parents avaient toujours été locataires était loué et on lui a demandé pour le récupérer de payer les arriérés des loyers depuis que ses parents avaient été raflés !

Le récit est très précis dans la description des différentes mines et les dangers mortels qu’il y avait, à les désamorcer. L’auteure explique aussi à quel point le traitement des deux débarquements : Normandie et Provence, connaît une postérité différente. Pourtant le débarquement de Provence a été un succès et un succès français ! Elle rappelle aussi la volonté de de Gaulle de ne pas laisser au privé le soin de la reconstruction, il avait de mauvais souvenirs de ce qu’il s’était passé dans le nord après la guerre 14/18. Les entrepreneurs privés s’étaient enrichis au détriment de la qualité de la reconstruction. La pression immobilière dans cette région attise pourtant bien des convoitises de promoteurs privés..

Historique également, le travail si pénible du déminage que les Français et les Allemands ont fait ensemble. L’évolution des sentiments des uns et des autres est bien analysé, au début les Français emplis d’une haine justifiée le plus souvent , ne voient dans cette main d’oeuvre captive qu’une façon de se venger des récentes horreurs vécues, quitte à ne pas respecter la convention de Genève concernant le statut des prisonniers de guerre, mais peu à peu l’Allemagne étant vaincue et les Allemands n’ayant plus peur de la gestapo, leur humanité et leur efficacité vont changer le regard que les démineurs vont porter sur eux.

Une toile de fond historique parfaite, une réserve sur l’aspect romanesque , mais je reconnais que tous les livres historiques sur ce sujet existent depuis longtemps et que je ne les ai pas lus. Alors un grand merci Claire Deyat.

 

Aifelle est un peu plus critique que moi. Kathel  exprime les mêmes réserves que moi, sur l’aspect romanesque mais souligne le sérieux du travail historique sur le déminage.

 

Extraits

Début .

S’il retrouvait Ariane, Vincent n’oserait plus caresser sa peau. Ses mains avaient atteint des proportions qu’il ne reconnaissait pas. Dures, les doigts gonflés, leur enveloppe épaisse, rugueuse et sèche ;elle s’étaient métamorphosée. La corne qui les recouvrait était si aride que, même lorsqu’il les l’avait, longuement, soigneusement, elles ne s’attendrissaient pas.

Après la guerre, le déminage.

 Fabien donnait du sens à leurs missions. En libérant la terre de ces pièges mortels, ils se sauvaient eux-mêmes, se rachetaient, se délivraient de la culpabilité. Car tout le monde se sentait coupable : d’avoir trahi, menti, volé, abandonné, de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas s’être engagé dans la Résistance – ou dans la résistance de la dernière heure -, d’avoir tué un homme, plusieurs, d’avoir survécu là où tant d’amis étaient tombés. Chaque homme portait en lui cette part de culpabilité, immense en ces temps troublés et dont il devait pour continuer d’avancer, sinon se débarrasser, au moins s’arranger. Fabien savait suggérer à ces hommes que le déminage pouvait leur apporter la rédemption que, sans se l’avouer, ils n’osaient plus espérer.

Les différentes sortes de mines.

 Il y avait donc sur la plage ses engins effrayants, gigantesques, que les démineurs appelaient des sarcophages ou des tombeaux ; ils promettaient comme eux un passage certain vers l’au-delà, seulement ceux qui trépassaient en passant par ces sarcophages-là étaient moins bien conservés que les pharaons d’Égypte
Ces monstres de plus de mille quatre cent kilo d’acier et d’explosifs s’étalaient dans le sable comme des otaries mécaniques et prenaient leurs aises. Impossible à soulever. Les Allemands partis, les mines sarcophages persistaient à leur place par leur pénible force d’inertie et la garantie de destructions impitoyables .

Le retour des juifs.

 « Tenez, et ne faites pas d’histoires ».
 Personne n’avait envie d’entendre. Pourtant ce qu’elle avait raconter, ce n’était pas des histoires, mais l’Histoire avec un grand H et toutes ses minuscules, l’Histoire comme elle peut être dégueulasse, l’Histoire qui ne va pas dans le sens du progrès, ni de l’idée que l’on voudrait se faire de l’humanité, l’Histoire qui n’aurait jamais dû admettre cette enfer, l’Histoire qu’il ne faudra jamais oublier.
 Lorsqu’elle avait entendu cette exhortation désespérante pour la première fois, elle ne savait pas à quel point elle la suivrait partout. Leur histoire n’intéressait personne. Celle des résistants, oui, la leur leur, non. On voulait des héros pas des victimes.

Le regard des soldats allemands.

Ce regard qu’on ne voulait pas croiser sous peine d’être foutu mais qu’on devait affronter sous peine d’être suspect. Ce regard – à lui seul le symbole du projet nazi- qui examinait, évaluait, disséquait, méprisait, jugeait, triait, sélectionnait, ce regard qu’on n’oubliait pas, ce regard de mort qui faisait détester les yeux quand c’est par les yeux pourtant qu’on se parle de première abord, quand les yeux sont ceux qui sauve toutes les espèces vivantes de leur part sombre ; ce regard haineux dénaturait la vocation du regard, et canalisaient la part la plus hostile de l’être humain. Alors oui, on pouvait penser que tous les Allemands étaient les mêmes, car la diversité des corps des traits s’effaçait sous le corset de l’uniforme, du képi, et du regard qui commandait tout le reste.