Éditions Robert Laffont/ Versilio, 463 pages, janvier 2025.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Si vous voulez un roman historique bien dépaysant ce roman est pour vous. Il vous plongera dans l’antiquité chinoise du VII ° siècle après JC. Pour rappel, en France nous sommes à l’époque des rois dits « fainéants » car ils n’arrivaient pas à régner assez longtemps pour imposer leur volonté. En Chine, c’est aussi une période troublée qui se terminera par la prise de pouvoir de l’empereur Li Shiming , il va fonder avec son père la dynastie des Tang qui règnera sur la Chine pendant trois siècles, c’est une période d’une certaine prospérité pour cet empire.

Le roman est un un classique du genre « Roman Historique », l’auteur prévient dans une longue préface qu’il respecte les faits historiques , mais qu’il se permet des libertés pour rendre son récit plus vivant. Il a cherché à doter ses personnages de traits de caractère vraisemblables mais dont il ne sait rien. À la fin du livre, il précise les faits historiques et ce que l’on doit à son imaginaire, je trouve ce procédé intéressant et rajoute du poids à son roman.

Nous suivons trois personnages qui ont tous existé : Shiming un jeune homme, presque un enfant au début du roman qui a un courage fou et qui est prêt à tout pour montrer sa bravoure, il tuera ses deux frères pour devenir l’héritier de son père et remplacer l’ancienne dynastie au service de laquelle pourtant sa famille était liée. Mais l’empereur part dans une guerre perdue d’avance, les morts se comptent par milliers et les déserteurs pillent les campagnes.

La deuxième personnage c’est une femme, une princesse qui a été donnée comme épouse à un vieux chef nomade : la princesse Yicheng. Les nomades sont maintenus difficilement en dehors du royaume et vivent bien loin du confort et du raffinement de la civilisation chinoise.

Enfin un paysan Dou Jiande qui deviendra grâce aux hasards de la guerre un bandit respecté une sorte de « robin des bois » au service des plus pauvres.

Même si ce roman est long il est très facile à lire, on suit très bien les trois destinées qui se croisent sans que le lecteur se perde. La rencontre avec Shiming et Jiande se fait une jour de grande festivité : l’empereur vient inaugurer un grand canal et en même temps annoncer son désir de conquérir une région qui correspond à la Coré actuelle, une bousculade a lieu causée par Jiande . Shiming tue grâce à talent d’archer un nombre important de garde pour sauver la vie d’un enfant nomade qui devait être rendu à sa tribut .

Avec Jiande on voit la difficulté du monde paysan, à la merci du climat qui peut détruire leurs récoltes et des soldats déserteurs qui leur prennent tous leurs bien et leur vie en plus . Cela poussera Jiande à devenir hors la loi .

Avec la princesse chez les nomades, on découvre peu à peu une civilisation si éloignée de la sienne et se rend compte qu’on peut être heureux sans les raffinements des palais, des soieries, et de la nourriture sophistiquée.

Avec Shiming , on découvre les intrigues de cour , lui deviendra un homme de pouvoir grâce à ses talents de stratège et son goût pour la guerre.

L’auteur leur donne une vie amoureuse qui pimente le récit, il n’insiste pas trop sur les différentes tortures qui étaient, pourtant, monnaie courante à l’époque ;

Comme je le disais au début un roman historique classique qui permet d’en savoir plus sur une époque peu connue (en tout cas de moi) , j’ai quelques réserves sans que je sache bien expliquer pourquoi. Je pense que je lirai plus volontiers un essai historique sur cette période qu’un roman .

 

Extraits

Début.

 Les empreintes avaient beau, à chaque rafale, s’effacer un peu plus sous la neige, on discernait encore les contours de cinq coussinets, tout en rondeur, très différents des doigts et effilés des loups. Et puis la bête semblait avoir attaqué seule, pas en meute. Quand Shimin le fit remarquer, son père le rabroua :  » Et tu déduis tout ça en un instant, alors qu’on vient à peine d’arriver et qu’on y voit plus rien ? » Il essuyait avec une exaspération croissante son visage où s’accrochait les flocons tombant du ciel sombre. Ses lèvres blanches craquelées tremblaient sous sa moustache couverte de givre, sans qu’on sache si c’était les faits des bourrasques glaciales ou de la rage.

Un paysan enrichi.

Dou Jiande avait grandi au milieu des calculs de son père, de son obsession des petits profits qui, cumulés, en formaient de gros. Il lui semblait que ce père n’avait jamais rien fait qui n’ait été intéressé. S’il rendait une visite à un voisin, c’était pour en tirer les informations utiles. S’il donnait une vieille bêche à une pauvre veuve qui venait de casser la dernière qu’elle avait, c’était en espérant s’en faire une obligée et lui demander un jour quelques services, de l’espionnage par exemple, afin d’apprendre discrètement la situation de telle ou telle famille. S’il laissait son verra saillir la truie d’un autre villageois, il exigeait la moitié des porcelets. Même quand son propre père mourut, il s’arrangea pour des motifs fallacieux pour faire contribuer l’ensemble du village au frais des funérailles. Il aurait eu des moyens de prendre une ou plusieurs concubines. Il ne le fit jamais non par une affection démesurée pour la mère de Jiande, et parce que cela aurait impliqué des dépenses qui lui auraient semblé insupportables. L’hiver, comme beaucoup des villageoises tissaient jusque tard dans la soirée, il envoyait sa femme chez des voisines afin d’économiser l’huile des lampes.

Les nomades et la princesse chinoise.

Le campement des nomades changeait, lui, sans cesse d’emplacement, il occupait une étendue herbeuse après l’autre, déménageant à chaque saison, partant s’installer l’hiver sur des pâturages plus abrités, en bordure de lacs dont l’eau ne gelait pas, gagnant des contrées plus fraîches l’été. Et néanmoins il était toujours identique. Les mêmes tentes, les mêmes chariots, disposés selon le même ordre et toujours entourés, où qu’ils fussent, du même horizon de colline basse. Immuable dans le mouvement. (…)
 Puis Tardu lui avait demandé de devenir sa femme et plus que sa femme sa Kkatun. À partir de là, sa vision sombre et désespérée de la steppe s’était modifiée. Rien n’avait changé, ni les déménagements perpétuels, les paysages lassante, la puanteur, les plaisanteries vulgaires, ni la nourriture insipide ou écœurante, ni l’absence de raffinement. Et cependant tout était métamorphosé. Le fromage grossier était devenu revigorant, la langue rauque des nomades, puissante, leur goût des exercices violents, un signe de vitalité, l’absence de ville un saint refus de l’inessentiel. Yicheng avait honte, à certains moments d’avoir ainsi révisé un si grand nombre de ses perceptions, de ne plus souffrir autant que les premières années, de réussir à s’accommoder de ce qu’elle avait jadis jugé insupportable.
Elle n’avait pas regagné les palais et des jardins de son enfance, elle ne le retrouverait jamais. Mais on pouvait vivre, on pouvait même être heureux sans palais et sans jardins. Elle aimait cet homme, qui se tenait auprès d’elle et venait de l’étreindre 

La haine moteur de la guerre.

 Tulan ne possédait ni la force, ni la détermination de son père. Il lui manquait la haine pour cela, la haine sans laquelle Yicheng en avait désormais une conscience aiguë, rien de grand ou presque n’était possible en ce monde. Or le jeune homme avait appris à aimer ceux chez qui il avait été otage. Parfois il venait la voir elle, sa belle-mère, uniquement pour évoquer les merveilles de raffinement des trois capitales. Ces visite irritaient Yicheng. Tulan lui rappelait tout ce qu’elle voulait oublier et détruire.


Éditions Buchet-Castel, 234 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je sais que j’ai lu un ou deux billets qui étaient élogieux à propos de ce roman-essai, en particulier chez Sandrine . Je le dis d’emblée, je lui attribue un très grand coup de cœur. Et pourtant … j’en ai lu des romans sur la guerre 39/45 ! Et même sur ce sujet particulier, « les malgré nous », j’ai aussi beaucoup lu d’articles et d’essais.

Mais ce roman est unique, aussi bien pour la forme que pour le fond. Pour une fois la quatrième de couverture qui parle de la construction d’un puzzle de la part de Joël Egloff pour nous faire comprendre la vie de sa famille de Moselle pendant cette guerre, est exacte. Chaque pièce de ce puzzle permet de construire l’histoire de sa famille, en particulier de son père enrôlé dans l’armée allemande, tellement bouleversée par la grande Histoire. Celle qui a fait que cette région, française jusqu’en 1870, sera allemande jusqu’en 1918, puis de nouveau française jusqu’en 1941, allemande jusqu’en 1945 et française jusqu’à aujourd’hui.

L’auteur le dit plusieurs fois, les habitants se sentent souvent menacés et puisent leur force dans les liens familiaux et leur langue le « platt » qui ressemble à l’allemand sans en être tout à fait. L’engagement de son père dans l’armée allemande s’est joué à quelques mois près, il a en effet 13 ans au début de la guerre mais en 1943, il en a 16 et les allemands ont perdu tellement d’hommes qu’ils recrutent des soldats de plus en plus jeunes. Son fils cherche à comprendre pourquoi il ne s’est pas caché mais les exemples de familles déportées parce que leurs fils ont refusé de s’engager ont dû peser lourd dans la balance de la décision de son père.

Pour le style, l’auteur s’adresse à son père dans un dialogue qui inclut le lecteur sans aucun problème mais cela donne une impression de proximité incroyable, et puis il y a cet humour sarcastique, que j’avais trouvé dans le petit roman « l’étourdissement » , cela fait, parfois, du bien quand la réalité est trop dure. Et, évidemment, l’époque ne manque pas de cruauté. J’ai beaucoup apprécié la grande sensibilité avec laquelle l’auteur parle de tous les membres de sa famille.

Extraits

Début.

 Je voudrais retrouver cette lettre. Elle doit être quelque part dans la maison, c’est sûr. Où pourrait-elle être sinon ?
 Je l’ai eu entre les mains, pourtant, cela fait des années et c’est moi qui l’ai rangée, je ne sais où. Elle était à la cave, auparavant, dans une vieille boîte à chaussures sans couvercle au-dessus de l’armoire à conserves. C’est là qu’elle se trouvait depuis trop longtemps, livrée aux araignées. Je l’avais lue, puis l’avait remontée à l’étage pour la mettre à l’abri de la poussière.

La guerre.

 Trois guerres en moins d’un siècle. La même sinistre partie en trois manches. On en a vu défiler des soldats par ici. Au pas, ou en boitant, le torse bombé ou les pieds devant, plus ou moins fiers, plus ou moins vaillants, selon le sens dans lequel ils marchaient. Et des uniformes, de toutes les couleurs. Des bleu et rouge, des bleu- gris, des gris, des verts, des vert-de-gris. Et puis des noirs, aussi.

La souffrance et le travail.

 Il souffre de sa plaie, mais ce dont il souffre plus encore, en voyant ceux qui s’affairent, c’est de se sentir inutile. Cela lui coûte d’autant plus qu’on ne regarde pas quelqu’un qui travaille en restant là sans rien faire. Je le sais parce que tu me l’as dit, et si tu me l’as dit, c’est que ton père lui-même te le disait aussi, et qu’il tenait de son père, qui le tenait du sien. C’est pour ainsi dire une des lois de la famille. On ne reste pas les mains dans les poches à regarder quelqu’un qui travaille. Il faut aider, autant que possible, et prendre sa part d’effort toujours.

Les réfugiés et la langue.

 Le chemin longe un terril, sur les pentes duquel sont assis trois adolescents qui les surplombent et les observent. Soudain ils se mettent à les traiter de « Boches » puis ils s’enfuient. Alors mon grand-père et d’autres hommes du groupe se lancent à leurs trousses.
 Personne ne sait précisément d’où vous venez. Personne ne comprend vraiment qui vous êtes. Et vous-même le comprenez vous ?

La guerre à nouveau(et humour).

 Et voici le joli mois de mai, ses avions et leurs chapelets de bombes. Ils annoncent que l’ennemi est là, qu’il a contourné les murailles, qu’il a traversé les Ardennes qu’on disait infranchissables. Encore une fois, c’est la même porte qu’il force mais l’effet de surprise est intact. Il faut croire qu’on est bon public.

Chez soi.

« Chez vous », c’est là où sont nés vos parents et les parents de vos parents. « Chez vous », ce n’est ni l’Allemagne ni tout à fait la France. C’est à la fois plus simple et plus compliqué. « Chez vous » c’est là où vous serez en sécurité. Du moins vous le pensez. C’est votre maison, votre jardin, votre village, et votre clocher, ce sont les voisins d’en face et ceux d’à côté, ce sont les mines où vous vous épuisez, ce sont vos champs et vos bêtes cette vieille poutre en chêne qui vous sert de banc les soirs d’été Et par-dessus tout, « Chez vous », c’est votre langue, le « platt », que l’on parle ici depuis des siècles. Voilà votre refuge, votre véritable identité.

Munich aujourd’hui.

 Pourtant, de temps à autre la guerre balbutie encore. Sur le chantier, on a trouvé un stock de munitions que les démineurs ont fait sauter. Ici où là, la terre régurgite encore de vieilles bombes, des obus périmés. À l’autre bout de la ville, près de la gare l’an passé, sur un autre chantier, une bombe a explosé, faisant quatre blessés, comme une bombe à retardement avec un minuteur réglé sur soixante dix huit ans.
 La guerre est patiente, elle sait attendre et ne dort que d’un œil. Elle se tient toujours prête. Pour peu qu’on vienne l’asticoter au bout des dents d’une pelleteuse, la chatouiller de la pointe du marteau piqueur, pour peu qu’on vienne la réveiller, elle ne demande alors qu’à sauter dans ses bottes.

Humour sarcastique.

 On dit souvent des combats qu’ils sont rudes, âpres ou acharnés. Jamais rien de très original.
 D’aucune bataille, je n’ai entendu dire que les combats étaient animés mais sont restés cordiaux. Ainsi, à Wiener Neustadt, tout particulièrement parce que la seule motivation, maintenant, pour bon nombre d’entre vous, c’est de ne pas tomber aux mains des Russes. On ne se bat jamais mieux que lorsqu’il s’agit de sauver sa peau.

 


Éditions du Seuil, 141 pages, janvier 2025
Traduit de l’italien par René de Ceccatty

Lu, dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Roman très étrange qui rappelle l’univers de Kafka. Cette écrivaine décrit une agression dont elle a été victime en Hongrie alors qu’elle a accepté d’aider à un tournage d’un film sur la Shoah. Le mélange de la Shoah, du régime communiste, de sa sexualité donnent une ambiance terriblement anxiogène et on pousse un grand ouf quand elle peut enfin prendre son avion et arriver à Rome, son pays.

Voici l’incident de départ qui va créer tout le drame  : elle veut changer un pantalon trop grand au magasin qui s’était engagé à le faire s’il ne lui allait pas. De façon incompréhensible le patron refuse et surtout ne la comprend plus. La langue a beaucoup d’importance dans ce roman : la guerre n’est pas terminée depuis longtemps, et comme elle s’exprime en allemand dans un pays qui ressent cette langue comme celle des Nazis, elle est violemment rejetée Elle n’arrive pas à comprendre si elle est rejetée parce qu’elle est juive ou parce que les habitants pensent qu’elle est allemande.

Elle est frappée, on lui casse le poignet et doit aller à l’hôpital pour se faire soigner, là elle rencontre un médecin juif qui semble terroriser.

Sur le tournage le metteur en scène est violent et maltraite les comédiens pour obtenir d’eux un jeu au plus près de ce qui se passait dans les camps de concentration. C’est le rôle du personnage principal qui a connu les camps  : elle doit montrer en particulier à un actrice américaine comment on se déplaçait, on mangeait, on évitait les coups dans les camps .

Et puis pour rajouter à l’angoisse la police hongroise, la milice, un avocat des journalistes, tout ce petit monde grouille pour lui faire comprendre que la coupable de l’incident de départ c’est elle !

Plus que le thème de la shoah ce roman raconte la plongée dans un monde absurde où on perd si vite tous ses repères de simples bon sens. En finissant cet article je me rends compte que j’ai oublié de parler de la sexualité mais j’avoue ne pas avoir apprécié les deux scènes érotiques , l’une de masturbation avec un petit pain du petit déjeuner, et l’autre avec le médecin qui a bien du mal à avoir une érection.

Bref , si l’angoisse est très bien décrite, j’ai eu du mal à comprendre ce que voulais raconter cette écrivaine sinon que dans un régime sans liberté on se retrouve très vite dans un monde kafkaïen.

Extraits

Début.

 Je suis entrée dans le magasin vers six heures du soir. J’étais pressé d’échanger le pantalon et de me précipiter ensuite, avant la fermeture, dans une pâtisserie où j’avais vu en passant des gâteaux d’apparence familière.
– Bonsoir, ai-je lançai au petit jeune qui était derrière le comptoir à ma droite.
 Je l’ai regardé et je lui ai souri avec tendresse, parce qu’il m’avait l’air, depuis la veille où j’étais venue acheter le pantalon de ressembler avec ses oreilles en chou-fleur et ses cheveux en brosse, à mon frère mort.

Scène érotique surprenante.

 J’ai commencé à manger distraitement ; en regardant le deuxième petit pain tout frais et intact, j’ai eu une grande envie de faire l’amour. J’ai ressenti aussitôt des spasmes et des battements dans mon sexe et j’ai regardé fixement le pain. Je l’ai pris dans ma main saine, et je me suis excusée, je l’ai appuyé sur mon bas-ventre, je l’ai serré entre mes jambes, de plus en plus enivrée par ma sensualité qui m’entraînait à une rapidité déconnectée jusqu’à un sommet de plaisir destinée à me faire oublier la réalité.
 Les yeux fermés, épuisée de jouissance, j’ai porté à mes lèvres le pain chaud et humide, qui sentait la farine et le muguet. J’ai enfourné bouchée après bouchée, sans ouvrir les yeux et je me suis laissée gagner par une somnolence sereine .

Les réalités des tournages difficiles .

 Je me suis éloigné avant qu’ils recommencent à répéter la même scène mille fois jusqu’à ce que les actrices épuisées et les figurantes démolies parlent, bougent, agissent exactement comme le réalisateur l’exigeait.


Édition Denoël, 373 Pages, octobre 2022

Un roman historique et … d’amour, nous fait revivre l’Espagne de 1925 à 1939. Il est raconté par un vieil homme qui vit à Paris, en 2000 .

C’est un roman très touffu car il couvre une très longue période avec beaucoup de personnages.

En 1925, Juan Ortega est un jeune gitan qui, fils et neveu de toréador, a une autre passion : la cuisine. Dans la première partie, il vit chez son oncle Ignacio et sa famille, mais Ignacio est amoureux d’une danseuse de Flamenco : Encarnacion . Cette première partie permet d’évoquer le talent des toréadors et des dangers de la corrida.

Ignacio emmène le très jeune Juan avec lui à Madrid car il décide de quitter sa femme qu’il n’aime plus. Et là, c’est l’énorme choc pour Juan, il tombe immédiatement amoureux d’Encarnacion la maîtresse de son oncle . Alors va commencer pour lui ce rôle qu’il jouera toute sa vie : le petit gitan très fier mais toujours en arrière plan et qui doit protéger l’amour d’ Ignacio et de la danseuse de flamenco.

C’est la partie la plus longue et la plus riche du roman. Car à Madrid l’auteure décrit bien la rencontre avec tous les intellectuels madrilènes en particulier un certain Federico Garcia Lorca ,ce poète qui transforme tout ce qu’il vit en une langue magnifique. Ignacio a arrêté la tauromachie pour s’essayer à l’écriture et se donner tout entier à son amour. Mais dans un retour désespéré pour braver la mort dans une dernière corrida, et avant d’avouer à Encarnacion qu’il veut refaire sa vie avec une nouvelle conquête, il y trouvera la mort.

Juan peut-il enfin aimer Encarnacion ? Non, car celle-ci ne semble pas l’aimer et lui préfère son beau poète qui pourtant lui n’aime que les hommes. Pour corser les relations amoureuses, il y a la petite sœur Carmen qui est follement amoureuse de Juan mais celui-ci ne la voit que comme une petite fille et de toute façon n’a d’yeux que pour sa sœur.

Dans cette partie, on voit la montée des dangers pour la toute jeune république espagnole avec le moment le plus terrible l’assassina de Federico Garcia Lorca, victime de sa liberté de paroles et de mœurs, d’après cet auteur il aurait été victime d’une vengeance d’une haine entre familles de Grenade, certains se seraient reconnus dans des pièces de théâtre où il s’est moqué de l’étroitesse d’esprit de certaine familles voisines de la sienne.

Juan se réfugie à Paris et devient cuisinier dans le restaurant « le catalan », ce moment de sa vie est presque heureux et permet d’évoquer la période du front populaire et le soutient aux républicains espagnols .
Il retrouvera Encarnacion le temps de l’aider à franchir la frontière en 1939. Mais ils seront séparés , il faut attendre l’année 2000 et son retour à Madrid pour que le roman d’amour trouve sa fin, dont je ne vous dirai rien.

J’ai des réserves sur ce roman, dont j’ai beaucoup aimé l’arrière plan historique mais dont les différentes histoires d’amour ne m’ont pas convaincue et m’ont empêchée d’adhérer aux personnages. J’ai souvent trouvé que les intrigues amoureuses encombraient le récit, je retiendrai, pourtant, l’effervescence prérévolutionnaire en Espagne et la perte des illusions quand la jeune République Espagnole ne sait, ni se défendre contre ceux qui veulent la détruire de l’extérieur, ni de ses ennemis intérieurs : les divisions et les illusions idéologiques des républicains.

 

Extraits

Début du prologue 6 février 1939

7 heures du matin col de Lli
 Avant de reprendre le chemin de la montagne, le petit groupe se tourna une dernière fois vers la silhouette du ma de Can Barrière, qui s’effaçait sous la pluie glacée. Ils savaient que cette bâtisse leur survivrait et que les larmes qu’ils avaient versées entre ses murs épais murs de pierre rejoindraient et celles d’autres tragédies oubliées elle aussi.

Début.

Tu te tiens bien droit et tu dis rien sauf si on te pose une question . T’as bien compris Juan ?
Ils avaient quitté la route principale et s’étaient engagés sur un chemin cahoteux qui traversait les champs déjà grillés par le soleil andalou. Les roues de la carriole grinçaient à chaque pas du robuste bidet qui la tirait, langue pendante vers une hacienda nichée sur une colline de Pino Montano couverte de vignes et d’oliviers. Dans les champs les affaneurs, ces gagne deniers venus de Galice ou de la plaine, levaient tête au passage de l’attelage. De leurs yeux plissés sous les rayons d’un soleil bas se happaient la fatigue et l’envie.

Le goût de la mort .

 Quelques jours après l’enterrement à Séville de son célèbre cousin, et alors que tous le pays et le « mundillo » fermé de la tauromachie étaient encore sous le choc, en habit de deuil mais le regard sec, Maria Ortega avait pris Juan par les épaules
– Mon fils, lui avait-elle dit d’une voix tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega c’est porter dans son sang le courage et la mort.

J’ai beaucoup de mal à croire au coup de foudre.

Sa première rencontre avec Encarnación eut un caractère d’étrangeté absolue. Il n’avait jamais vu tant d’amour ni une femme si émue. Pourtant, malgré toute l’affection qu’il portait à Igncio, il fut envahi par la plus insolite et la plus contradictoire des émotions : une forme de honte mais aussi la certitude qu’il n’était coupable de rien. En un regard, il tomba amoureux d’Encarnación

Vision de New York 1930.

 Il vit défiler dans un chaos organisé et puant des façades hétéroclites mêlant styles gothique et barres de fer assemblées par de gros boulons. Les rues étaient encombrées de calèches, d’omnibus, d’automobiles au moteur pétaradant est de files de piétons pressés. Juan eut le sentiment effrayant que cette turbine urbaine aurait pu avaler une marée humaine dans l’indifférence la plus totale. Une ville brutale, moderne, enfumée et gigantesque, une fourmilière dont la nature était exclue, une métropole tentaculaire à l’activité incessante : voilà quelles furent ses premières impressions. 

Le « duende ».

 le « duende », « ce pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe n’explique » pour reprendre les mots de Goethe sur Paganini Le « duende » unit sur le fil l’extase de la beauté et la possibilité de la mort.

Éducation d’un gitan espagnol.

Mon fils, lui avait-elle dit d’une vœux tremblante de fierté, ne montre jamais que tu as peur. Être un Ortega, c’est porter dans son sang le courage et la mort.

Le toréador et la corrida.

Le public accourait à chacune de ses corridas pour le voir combattre les bêtes, tant avec la hantise qu’avec le désir secret de voir les cornes déchirer ses chemises et son sang couler sur le sable, se mêlant à celui du taureau. 

Paroles de Federico Garcia Lorca :

Dans mon recueil « Impressions et paysages », je dis que la poésie existe en toute chose. Dans le laid, dans le beau, dans le dégoûtant ; le plus difficile est de savoir la révéler, réveiller les lacs profonds de l’âme. Ce qu’il y a d’admirable chez un esprit, c’est sa capacité à recevoir une émotion, à l’interpréter de bien des manières, toutes contraires les unes aux autres.

Les gitans et les artistes militants.

Juan, seul représentant de la misère andalouse était tétanisé par leur prise de parole. Les gitans qui vivaient en marge de la société espagnole ne s’étaient jamais impliqués dans les conflits idéologiques de leur pays. Ils formaient un refuge collectif intérieur, clos et régis par les seules lois et traditions ancestrales. Pourtant le jeune homme n’avait jamais accepté que la noblesse d’un gitan puisse consister également à subir les injustices de la vie avec humilité. Il connaissait le quotidien des pauvres gens, celui des journaliers qui vendaient leur sueur et leur corps pour quelques pièces. Celui des mères démunies face à leurs enfants affamés. Il aurait voulu hurler la douleur du peuple et faire comprendre à ces jeunes excités à quel point ils étaient privilégiés. Leur démontrer que le seul fait d’avoir la liberté de penser était un luxe. À plusieurs reprises, il eut le courage d’intervenir dans les discussions, mais ses paroles furent vite balayées par la verve de ces artistes qui, sans jamais avoir connu le spasme d’un ventre vide, se targuaient de savoir qu’éduquer le peuple était plus essentiel que de le nourrir.

Amoureux au premier regard et certitudes des danseuses de flamenco.

Allons, tu e trop jeune pour souffrir comme ça à ton âge, il est inconvenant de t’effondrer parce qu’un garçon t’ignore. Tu verras. Plus tard, quand tu danseras en public, il y aura tant de grands hommes à tes pieds que tu en oublieras Juan, puisqu’il est assez sot pour ne pas te voir aujourd’hui. 
Pourtant, Carmen sentait bien qu’il n’y aurait jamais personne d’autre ; elle restait convaincue que Juan était l’homme de sa vie et qu’il lui ouvrirait un jour son cœur et ses bras

Prémices de la guerre d’Espagne.

Depuis quelques mois, la déception grandissait en Espagne, et les républicains semblaient complètement dépassés par l’instabilité du régime parlementaire, la grève générale et les conflits incessants au sein de leur parti. S’ils s’étaient assuré le soutien du peuple, qui les avait portés à la tête du pays en 1931, plus personne désormais ne contrôlait cette force qu’ils avaient mise en branle et qui se divisait en groupuscules disparates. Dans les municipalités socialistes, la « guardia civil » , le corps de police traditionnel qui, depuis 1932, devait collaborer avec la « guardia de asalto » , la garde d’assaut mise en place par le gouvernement de gauche, avait décidé de ne plus intervenir pour maintenir l’ordre face à l’escalade de la violence.

Douleur et amour .

L’amour est une projection vers l’autre. Il dure tant qu’on n’est pas déçu, et tant qu’on ne s’ennuie pas. Et puis il disparaît beaucoup plus lentement qu’il n’est apparu. La défaite de l’amour, on ne l’accepte pas. On se bat, on se raccroche à ce qui nous a fait aimer . Voilà pourquoi l’amour fait mal : parce qu’on s’est trompé. En fait, aimer c’est peut-être avant tout s’aimer soi-même. 

 

Édition « Aux forges de Vulcain » , 204 pages, mai 2023

 

Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’Enfer.

J’avais beaucoup aimé ‘Une bouche sans personne » du même auteur. On retrouve, ici, ce style si particulier entre oral et poésie, ente gouaille et sérieux, qu’il manie si bien. Je dois à Gambadou l’envie de lire ce roman. Et si j’en juge par les commentaires à son billet, je n’étais pas la seule. On retrouve bien le ton de cet écrivain et même si le sujet est grave, on est pris par ce récit et parfois on sourit. J’ai surtout été très émue à cette lecture. Je vous rappelle le sujet : le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, qui a perdu une main à la guerre, à son retour il retrouve Anna son grand amour et se lance à corps perdu dans la recherche des soldats que les familles recherchent désespérément. Une mère l’engage pour retrouver son fils, Émile, dont elle a perdu la trace. En commençant ses recherches notre enquêteur se rend compte qu’Émile était très amoureux d’une Lucie alsacienne. Tout le livre est construit sur cette recherche d’un amour impossible, que la mère d’Émile nie de toutes ses forces. Cette jeune paysanne n’était pas jugée assez bien pour cette grande bourgeoise. Émile est un poète fou d’amour, et se fiche des jugements de sa mère. Il partira en Alsace pour retrouver son amour mais hélas la guerre va les séparer. Et quelle guerre ! Cette quête permet à l’auteur de se retrouver sur tous les champs de bataille au milieu de toutes les horreurs possibles , d’y croiser un être appelé « la fille de lune », qui aide les mourants abandonnés de tous lors des batailles sanglantes, de parler avec un rabbin qu’on appelle le curé, de croiser des infirmières allemandes plus humaines qu’un horrible médecin français qui sadiquement envoie des charges électriques à tous les malades psychiatriques de peur qu’ils soient des « tire-au flanc » .
Un des moments très fort du récit se passe en Alsace, il y rencontre un père qui a perdu un fils à cette guerre, mais est-il toujours un héros lui qui était, évidemment dans l’armée allemande. Je me suis posée alors, cette question, les femmes française veuves de guerre touchaient une pension, mais qu’en était-il pour les femmes alsaciennes ?

Un très beau livre, merci Gambadou de l’avoir si bien présenté, j’espère, à mon tour, vous avoir donné envie de le lire.

 

Extraits

Début.

 Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L »image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges où de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparé à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.

J’aime bien son style.

J’ai pris un train et j’ai marché jusqu’à un joli petit village qui venait d’inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C’était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J’avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote.

Il me fait rire.

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinematographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Pais s’amusait et s’incouciait. Coco chanelait, André bretonnait, Maurice chevaliait.

Verdun.

 C’est comme ça que je me suis retrouvée avec mon drôle de bricolage et mon volant à la main. À relier Bar-le- Duc à Verdun sur la Voie sacrée. À l’époque on ne l’appelait pas comme ça. On disait simplement « la Route ». Comme s’il y en avait qu’une seule. Une colonne interminable de camions. Des soldats valides dans un sens, estropiés dans l’autre. Et du matériel. Des canons, des obus, de la nourriture, des bêtes, du vin. On conduisait sans jamais s’arrêter ou presque. Cinquante-sept kilomètres entre la civilisation et la barbarie. Cinquante-sept kilomètres où l’on conduisait à longueur de journée, à longueur de nuit, comme des automates fous.

Sentiments des Alsaciens en 1919.

 Mais la première fois que j’y étais était allé, au printemps 1919, je m’attendais à trouver une terre en fête : après tout on s’était battu quatre années pour leur redonner leur dignité. Évidemment ce n’était pas le sentiment général. Parce que, premièrement, il n’avait jamais perdu leur dignité et, deuxièmement tous n’avaient pas été ravis de devenir français. Sans compter que, parmi les morts de chaque village, la plupart s’étaient pris des balles françaises. Allez expliquer à une veuve de guerre que c’était une balle pour la bonne cause :  » On a tué votre mari … Mais,bonne nouvelle, vous êtes de nouveau française, madame ! »

Cet auteur a le sens des phrases justes.

 Il a fini par reprendre : « pensez-vous que l’on puisse mourir en héros si l’ennemi d’hier devient la nation de demain ? ».
 Je lui ai répondu que l’on pouvait mourir en héros en sauvant ces camarades. Il a souri. Tristement, mais il a souri.
En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres.

Le poème final.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
 Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

 

 


Édition Grasset, 407 pages, janvier 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Dans toute l’Europe, les nazis ont trouvé des auxiliaires zélés pour les aider à se débarrasser des Juifs, des voisins avides de s’approprier leurs biens et leurs entreprises. L’antisémitisme n’était pas une exclusivité allemande ou polonaise. Il était partout

 

J’ai lu plusieurs critiques sur ce roman, qui soulignaient la gêne que certains lecteurs pouvaient éprouver à cause du mélange roman/réalité sur fond des tragédie dues au nazisme. Il est certain que les essais où les témoignages sur cette période ont une valeur incontestable. Je reconnais à ce livre de m’avoir fait connaître, « l’International Tracing Service ». Et j’imagine bien l’intensité des sentiments des différents chercheurs qui manipulent des journées entières des documents qui sont des bribes de souvenirs de ces différents meurtres de masse. Le roman suit une jeune femme qui a d’abord été mariée à un Allemand dont elle a un fils qu’elle adore. Son mariage s’est effondré sur son questionnement du passé de son beau-père officier de la Wehrmacht, qui est outré de l’exposition sur les crimes de cette armée dans les territoires de l’Est. L’auteure a inventé deux histoires, l’une sur un enfant polonais qui a été rapté sur la voie publique pour être adopté en Allemagne. L’autre sur un jeune juif qui a participé à la révolte de Treblinka et qui a ensuite chassé les anciens nazis responsables de la shoah. La fragilité des souvenirs, un papier griffonné rapidement, un mouchoir brodé par des femmes, une poupée de chiffons sur laquelle est brodé un numéro, doivent tellement émouvoir les personnes qui les reçoivent, ils savaient que leurs parents étaient morts à Auschwitz, à Treblinka, à Buchenwald où dans tout autre camp de la mort, mais recevoir un dernier petit signe de ce parent est quelque chose d’inestimable.

Cela permet de découvrir plusieurs aspects, certains connus d’autre moins. J’ai retrouvé l’antisémitisme violent de certains Polonais, la façon dont les anciens nazis ont réussi à se refaire une vie bien tranquille dans certains pays, le rapt d’enfants au physique aryen pour les faire adopter dans de bonnes familles du troisième Reich, la façon dont les organismes internationaux ont eu du mal à donner les informations aux descendants de la shoah , de tout cela il faut évidemment bien se souvenir, et Gaëlle Nohant amène bien tous ses sujets avec une belle sensibilité.

Il reste donc la partie romanesque, c’est vrai que c’est gênant, l’histoire d’amour d’Irène, est même un peu ridicule face à ce que le lecteur vient de lire. Il reste que tout est romanesque, et vient de l’imagination de l’écrivaine qui a découvert cet organisme qui l’a beaucoup marquée, elle veut nous le faire partager. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elle sait, qu’ écrire sur un tel sujet assure un succès certain à son roman. Tant mieux pour elle, et après tout, tant mieux pour l’effort de mémoire, mais il faut se souvenir que rien de cela n’est vrai sauf l’organisme International Tracing Service dont le site est ouvert à tous .

 

Extraits

Début.

 Chaque matin elle vient par les bois. À mesure qu’elle traverse l’opacité des arbres et la nuit, Irène sent que la forêt dépose en elle quelque chose d’ancien qui se recrée sans cesse, une poussière de fantômes et d’humus. Elle roule dans le rayon jaune des phares et peu à peu glisse des ténèbres vers la lumière.

C’est si vrai.

 Le dernier coup de feu tiré il faudrait retrouver tous ses gens là, les aider à rentrer chez eux et déterminer le sort de ceux qu’on ne retrouverait pas.
 -Pour celui qui a perdu un être cher, ces réponses là, c’est vital. Sinon la tombe reste ouverte au fond du cœur. Tu comprends ?

Des enfants volés par les nazis.

– Les enfants volés étaient l’enjeu d’une bataille féroce entre les Allemands, le gouvernement militaire américain et les représentants de leur pays d’origine, résume l’historienne. Pour simplifier, les Allemands ne voulaient pas les rendre. Beaucoup de parents d’accueil étaient attachés à ces mômes. Pour d’autres, ils représentaient une main d’œuvre gratuite. Quant aux Américains, ils ne voulaient pas indisposer l’Allemagne fédérale leur nouvelle alliée dans la guerre froide. Et répugnaient à envoyer ces enfants grossir les rangs du bloc de l’est.

L’après guerre.

 – La Pologne a souffert le martyre, objecte Irène Chez vous l’occupation a été d’une violence inouïe. Pour autant, vos Résistants se comptaient par centaines de milliers ! En France, juste après la guerre, on préférait oublier le régime de Vichy et se raconter qu’il n’y avait eu que des Résistants..
 Stefan acquiesce, chaque pays impose un roman national. Le choix de ses héros et de ses victimes est toujours politique. Parce qu’il entretient le déni et étouffe les voix discordantes, ce récit officiel n’aide pas les peuples à affronter leur histoire.


Les éditions de l’observatoire, 404 pages, novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai toujours un sentiment très positif lorsque j’apprends un aspect nouveau sur une période que je croyais bien connaître. Que savait-on du déminage après la seconde guère mondiale ? Que savait-on du traitement des prisonniers allemands en France ?

Grâce à ce roman, j’en ai appris beaucoup sur ces deux sujets, pourquoi est ce que je me retiens de lui mettre 5 coquillages ? Le romanesque est bien construit pour l’intrigue, mais je n’ai complètement cru aux personnages de « Vincent » , ou plutôt Hadrien.
J’explique rapidement l’intrigue : Hadrien, vient se proposer comme démineur à Fabien, un héros de la résistance, il le fait sous une fausse identité, et nous apprendrons que tardivement pourquoi (donc je n’en dis rien !), en revanche, ce que nous savons immédiatement, c’est que, s’il veut devenir démineur, c’est pour se rapprocher des prisonniers allemands, qui seuls peuvent lui expliquer ce qui est arrivé à Ariane son grand amour.

Fabien est un meneur d’hommes et un démineur très doué, il est aussi très humain et il sera le premier à ne pas considérer les Allemands comme de simples nazis à mépriser. Parmi les allemands il y en a deux qui sortent du lot : Lukas, un ancien libraire qui n’a jamais été nazi et Mathias un violoniste très sensible.

Un autre personnage sera important Saskia, très jeune fille juive, qui revient des camps et est persuadée qu’elle pourra retrouver facilement la propriété de ses parents. C’est là un autre thème du roman que j’ai déjà lu, à quel point à la sortie des camps on faisait une différence entre les juifs et les résistants qui avaient servi la France, pourtant les deux revenaient bien des mêmes camps ! Et à quel point ils ont eu du mal à récupérer leurs biens.
Saskia a été inspirée à l’auteure par une femme juive qui lui a raconté son retour : l’appartement où ses parents avaient toujours été locataires était loué et on lui a demandé pour le récupérer de payer les arriérés des loyers depuis que ses parents avaient été raflés !

Le récit est très précis dans la description des différentes mines et les dangers mortels qu’il y avait, à les désamorcer. L’auteure explique aussi à quel point le traitement des deux débarquements : Normandie et Provence, connaît une postérité différente. Pourtant le débarquement de Provence a été un succès et un succès français ! Elle rappelle aussi la volonté de de Gaulle de ne pas laisser au privé le soin de la reconstruction, il avait de mauvais souvenirs de ce qu’il s’était passé dans le nord après la guerre 14/18. Les entrepreneurs privés s’étaient enrichis au détriment de la qualité de la reconstruction. La pression immobilière dans cette région attise pourtant bien des convoitises de promoteurs privés..

Historique également, le travail si pénible du déminage que les Français et les Allemands ont fait ensemble. L’évolution des sentiments des uns et des autres est bien analysé, au début les Français emplis d’une haine justifiée le plus souvent , ne voient dans cette main d’oeuvre captive qu’une façon de se venger des récentes horreurs vécues, quitte à ne pas respecter la convention de Genève concernant le statut des prisonniers de guerre, mais peu à peu l’Allemagne étant vaincue et les Allemands n’ayant plus peur de la gestapo, leur humanité et leur efficacité vont changer le regard que les démineurs vont porter sur eux.

Une toile de fond historique parfaite, une réserve sur l’aspect romanesque , mais je reconnais que tous les livres historiques sur ce sujet existent depuis longtemps et que je ne les ai pas lus. Alors un grand merci Claire Deyat.

 

Aifelle est un peu plus critique que moi. Kathel  exprime les mêmes réserves que moi, sur l’aspect romanesque mais souligne le sérieux du travail historique sur le déminage.

 

Extraits

Début .

S’il retrouvait Ariane, Vincent n’oserait plus caresser sa peau. Ses mains avaient atteint des proportions qu’il ne reconnaissait pas. Dures, les doigts gonflés, leur enveloppe épaisse, rugueuse et sèche ;elle s’étaient métamorphosée. La corne qui les recouvrait était si aride que, même lorsqu’il les l’avait, longuement, soigneusement, elles ne s’attendrissaient pas.

Après la guerre, le déminage.

 Fabien donnait du sens à leurs missions. En libérant la terre de ces pièges mortels, ils se sauvaient eux-mêmes, se rachetaient, se délivraient de la culpabilité. Car tout le monde se sentait coupable : d’avoir trahi, menti, volé, abandonné, de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas s’être engagé dans la Résistance – ou dans la résistance de la dernière heure -, d’avoir tué un homme, plusieurs, d’avoir survécu là où tant d’amis étaient tombés. Chaque homme portait en lui cette part de culpabilité, immense en ces temps troublés et dont il devait pour continuer d’avancer, sinon se débarrasser, au moins s’arranger. Fabien savait suggérer à ces hommes que le déminage pouvait leur apporter la rédemption que, sans se l’avouer, ils n’osaient plus espérer.

Les différentes sortes de mines.

 Il y avait donc sur la plage ses engins effrayants, gigantesques, que les démineurs appelaient des sarcophages ou des tombeaux ; ils promettaient comme eux un passage certain vers l’au-delà, seulement ceux qui trépassaient en passant par ces sarcophages-là étaient moins bien conservés que les pharaons d’Égypte
Ces monstres de plus de mille quatre cent kilo d’acier et d’explosifs s’étalaient dans le sable comme des otaries mécaniques et prenaient leurs aises. Impossible à soulever. Les Allemands partis, les mines sarcophages persistaient à leur place par leur pénible force d’inertie et la garantie de destructions impitoyables .

Le retour des juifs.

 « Tenez, et ne faites pas d’histoires ».
 Personne n’avait envie d’entendre. Pourtant ce qu’elle avait raconter, ce n’était pas des histoires, mais l’Histoire avec un grand H et toutes ses minuscules, l’Histoire comme elle peut être dégueulasse, l’Histoire qui ne va pas dans le sens du progrès, ni de l’idée que l’on voudrait se faire de l’humanité, l’Histoire qui n’aurait jamais dû admettre cette enfer, l’Histoire qu’il ne faudra jamais oublier.
 Lorsqu’elle avait entendu cette exhortation désespérante pour la première fois, elle ne savait pas à quel point elle la suivrait partout. Leur histoire n’intéressait personne. Celle des résistants, oui, la leur leur, non. On voulait des héros pas des victimes.

Le regard des soldats allemands.

Ce regard qu’on ne voulait pas croiser sous peine d’être foutu mais qu’on devait affronter sous peine d’être suspect. Ce regard – à lui seul le symbole du projet nazi- qui examinait, évaluait, disséquait, méprisait, jugeait, triait, sélectionnait, ce regard qu’on n’oubliait pas, ce regard de mort qui faisait détester les yeux quand c’est par les yeux pourtant qu’on se parle de première abord, quand les yeux sont ceux qui sauve toutes les espèces vivantes de leur part sombre ; ce regard haineux dénaturait la vocation du regard, et canalisaient la part la plus hostile de l’être humain. Alors oui, on pouvait penser que tous les Allemands étaient les mêmes, car la diversité des corps des traits s’effaçait sous le corset de l’uniforme, du képi, et du regard qui commandait tout le reste.

 

Édition Noir sur Blanc, 229 pages, janvier 2024

Traduit du russe (Biélorusse) par Marina Skalova 

 

Que de dire de ce livre entre le roman et la biographie ? Qu’il est absolument insoutenable. Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. L’écrivain Bliélorusse raconte la vi, plus ou moins fictionnelle, d’un personnage qui a existé (ou aurait pu exister) Piotr Nesterenko, qui est directeur du crématorium de Moscou. Il est arrêté en 1941 et accusé d’espionnage

À travers six interrogatoires, l’enquêteur de la Tcheka, le KGB de l’époque, essaie d’étayer la thèse du complot et veut faire de cet homme un espion. C’est alors l’occasion pour l’écrivain de mêler le passé aventureux de ce personnage avec tout ce que lui a appris son travail au crématorium. Pour être rapide disons qu’il sait que tout le monde, absolument tout le monde peut finir avec une balle dans la tête , il les a tous vous défiler dans son crématorium, les acteurs célèbres, les poètes, les généraux, les bourreaux d’hier assassinés par de nouveaux bourreaux qui ne sont à l’abri de rien !

Son passé est celui d’un noble russe pris dans la tourmente de la révolution. On découvre que l’armée blanche ne valait guère mieux que l’armée rouge. Les populations qui ont subi les deux ont vu défiler des assassins et ont perdu confiance dans les valeurs de l’humanité. Et ce qui restait d’illusions au personnage principal est parti en fumée dans son crématorium ?

Cette lecture est éprouvante, on passe d’une horreur à l’autre avec un ton faussement dégagé qui m’a été souvent insupportable, si je ne m’était pas engagée à lire ce livre pour en parler à la bibliothécaire de Dinard, j’aurais abandonné cette lecture. Cela ne veut pas dire que ce roman ne soit pas intéressant, mais il est très difficile à lire car nous devons passer à travers les cerveaux tortueux de l’enquêteur et de Piotr Nestrenko qui connaît son sort mais joue avec les nerfs de son tortionnaire et hélas les miens aussi. Comment la Russie peut devenir autre chose qu’une usine à horreurs ? Il ont vraiment tout imaginé et hélas Poutine n’est qu’un avatar des dirigeants de ce pays d’où rien de bon ne semble possible de venir !

Extraits

Début.

 La perquisition et l’arrestation ont lieu le 23 juin 1941. En six heures l’affaire est pliée. Un travail de routine, mais tout le monde est sur les nerfs. La guerre a été déclarée depuis à peine vingt-quatre heures. Tandis que la forte terrestre de Brest résiste à la déferlante inouïe de la machinerie nazie la capitale de l’Union Soviétique est touchée par une vague de disparitions secrètes.

Exemple de purges.

 Le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement cent onze mille quatre quatre-vingt-onze citoyens).

Réussite en URSS en 1941.

 À l’heure où ses pairs partent mourir en rangs serrés dans les boucheries à venir, cette souris grise tamponne assidûment une condamnation à mort après l’autre. L’enquêteur Perepelitsa vient d’être récompensé par un appartement à Moscou rue Gorki. Il ne s’est pas battu pour rien.

Des horreurs présentées comme banales.

 Certains rapportent qu’après les exécutions il organise des beuveries (ce qui est vrai), d’autres qu’il s’approprie quelquefois les vêtements des condamnés (ce qui l’ est aussi). Quoi qu’il en soit, je ne vois rien de répréhensible ni dans le premier ni dans le deuxième cas de figure. Même en Union Soviétique, chaque produit a un coût. Tout travail mérite salaire. Il faut bien comprendre que, d’une part, Vassili Mikhaïlovitch fait un travail pénible (parfois il doit fusiller plusieurs centaines de personnes en une nuit) et d’autre part …est-ce vraiment si grave qu’un imperméable ou, disons, un joli gilet vivent leur meilleure vie sur ses épaules ou celle de sa femme ? « Pourquoi faire toute une histoire pour les affaires des autres ? ».me dis-je parfois.
S’il faut se soucier de quelque chose, c’est plutôt de la pénurie qui règne dans notre pays. Si Blokhine pouvait acheter ses jolis vêtements dans les magasins, les soustrairait-il aux cadavres pour les offrir à sa femme ?

 

 


Édition Grasset, 427 pages, août 2023.

J’avais laissé cet auteur avec « L’ami de jeunesse » au milieu de ses études d’histoire à la Sorbonne (un roman qui m’a fait éclater de rire). Comme il a bien fait de les entreprendre et sans aucun doute en tirer le plus grand profit, car voici un roman historique qui m’a absolument enchantée. Je sais que j’ai été tentée par ce roman par un blog que je suis (je mettrai un lien dès que je saurai de qui il s’agit). Voici déjà Sandrine, Athalie et Keisha.

L’histoire se passe en 1367, dans la région de Toulouse. La peste de 1348, a ravagé l’Europe et une grande partie du monde, et ceux qui y ont réchappé, se tourne vers la religion pour retrouver l’espoir. Plusieurs thèmes se croisent dans ce récit, la peste et la mortalité qu’elle a engendrée, les doctrines religieuses qui traversent cette époque et qui n’ont pas intérêt à être traitée d’hérétiques, l’inquisition qui n’hésitent jamais à brûler tous ceux qui pourraient menacer l’autorité de l’église et du pape, quitte à les sortir de leur tombeau et envoyer sur le bûcher leur cadavre, la vie dans les couvent et dans les béguinages, les dissensions entre les franciscains et les bénédictins , et par dessus tout cela l’ombre d’un penseur dominicain le grand maître Eckhart, dont les sermons ont troublé tant de chrétiens à l’époque.

Le roman commence au couvent de Verfeil, dirigé par frère Guillaume. Deux moines, Antonin et le frère Robert, y sont religieux et amis, alors qu’il n’y a pas d’hommes plus différents : Antonin est cultivé et vient d’une famille aisée, Robert ne sait pas lire et est très frustre. Pourtant ces deux là sont amis et leur amitié guidera toute l’intrigue romanesque. Guillaume décide d’écrire ses mémoires et pour cela envoie Antonin et Robert chercher à Toulouse du vélin de qualité et de l’encre. Cela nous vaut des passages très intéressants sur le tannage des peaux. Malheureusement l’inquisiteur de Toulouse qui surveille de près, et cela depuis longtemps le frère Guillaume comprend le projet et arrête les deux amis Antonin et Robert. Il décide d’enfermer Robert et ne lui rendra la liberté que si Antonin trahit son supérieur.

Les mémoires du frère Guillaume nous font revivre le grand maître Eckhart dont il a été le principal disciple. Ils ont, tous les deux, séjourné en Allemagne et vécu dans un béguinage où vivait une certaine Mathilde dont le Maître Eckhart aurait été très proche. En exergue, du roman nous avons une prière de Mathilde où l’on sent toute l’exaltation de cette jeune femme (certains diraient la foi)

Couvre moi du manteau de ton long désir,

Laisse mon corps nu mourir au froid du monde …

Elle sera brulée vive pour hérésie comme appartenant à l’hérésie « les frères du libre esprit ». Et les théories d’Eckhart y ressemblent fort. Si j’ai bien compris, la théologie n’est pas mon fort, mais il faut reconnaître qu’Antoine Sénanque rend ces théories assez claires. Beaucoup de croyants cultivés avaient envie de se passer de la hiérarchie de l’église pour retrouver Dieu. Voilà le danger, que des esprits deviennent libres pour retrouver en eux-mêmes leur part de Divin.

Les mémoires de Guillaume nous font revivre aussi les ravages de la peste et toutes les erreurs commises pour la soigner. Mais le pire c’est l’horreur de l’inquisition, je retrouve intacte quand je lis des récits à propos de l’inquisition mes colères d’adolescente. Les guerres de religion, l’inquisition, la gestapo font partie de mes cauchemars d’enfant. Et dans tout cela il faut sauver Robert des griffes de l’inquisiteur et c’est un suspens très bien mené, je le dis souvent pour pouvoir complètement profiter du récit je suis allée lire l’épilogue pour savoir qui avait survécu à cette tragédie. Je ne vous en dis rien car je respecte nos différences.

Ce roman est passionnant, bien écrit, et il vous embarquera pour plusieurs jours dans un passé fait de violence mais aussi d’amitié sur les routes entre Toulouse , Albi et Avignon.

 

Extraits

Début.

Languedoc, Monastère de Verfeil. 11 février 1357
– On se gèle les couilles, frère Antonin.
 – Ce ne sont pas des paroles de moines.
– Ce ne sont pas les paroles qui font le moine, mais la vérité … et la vérité c’est qu’on se gèle les couilles.
– Il fait effectivement très froid.
– « Effectivement très froid… » . C’est sûr on n’a pas été élevé dans les mêmes et étables, frère Antonin. Maudit froid d’anglais. 
– Je dirais plutôt « froid de Franciscain ».
– Ces merdeux .
– Arrête, Robert. 
– Heureusement, Dieu ne les protège pas plus que nous et donne bonne récompense à leur leçon de misère. Hiver maudit mais juste, on dit qu’ils crèvent comme des sauterelles, sous la bénédiction de leur chère mère nature, cette cargne…

La vocation !

 Son père ne lui avait pas donné le choix. À douze ans il l’avait traîné chez les frères et en guise d’au revoir avait scellé sa vocation par ces mots : « Comme tu es bon à rien, tu seras bon à Dieu. »

L’explication du titre.

 François avait donné l’exemple d’une vie de pauvreté et d’amour, Dominique avait inspiré la sainte Inquisition qui convertissant les indécis par le feu. 
La voix de François parlait au cœur des hommes égarés, celle de Dominique à leurs cendres. C’est la sienne qui portait le mieux.
La promesse du bûcher avait repeuplé les églises et redressé les erreurs théologiques. On avait simplifié les débats et prier et les bonnes âmes qui s’interrogeaient sur une religion purifiée et libérés de l’autorité du pape de méditer leurs erreurs dans le silence l’isolement. Conseil à suivre. 
 Le monastère avait servi de forteresse aux cathares assiégés par les chevaliers français. Ces pierres avaient été baptisées par le sang des renégats qui prétendaient a une pureté impie.

J’aime l’humour de cet écrivain .

Les peaussiers turcs avaient envahi la périphérie des villes où on les prélevait en temps d’épidémie comme victimes expiatoires en compagnie des usuriers juifs. Les bûchers réunissaient ces pêcheurs et réconciliaient leurs croyances dans les flammes. Depuis les années de peste, ils s’en allumaient partout. Les prophètes des rues appelaient à une grande purification car les dernier jours de la terre étaient proches. Il était écrit qu’aucun juif ni aucun Turc ne connaîtrait la fin du monde en Europe, tant on les massacrait pour les priver d’apocalypse.

Eckhart

Il s’arrêtait pour goûter les parfums et prolongeait de longues pauses de les paysages. Il n’exigeait aucune prière, aucun rituel. Il me demandait de laisser faire la nature, de la laisser prier pour nous et pour le monde car sa beauté était action de grâce. C’était la première leçon du maître, Antonin, voir dans la nature une action de Dieu

Humour macabre .

Eckhart ne mesurait pas l’inquiétude du pape devant la montée des hérésies qui touchait l’Allemagne et le pouvoir de plus en plus souverain qu’il déléguait à son archevêque. Eckhart pensait que l’on devait corriger l’hérétique par la parole, l’archevêque suggérait qu’on lui tranche d’abord la gorge avant de l’écouter.

Pourquoi la haine de l’inquisiteur à propos d’ Eckhart ?

 Tous ceux qui prétendaient que l’Église était inutile, qui méprisaient le pape, les moines, et les sacrements. Tous ceux qui ne comptaient que sur leur propre force spirituelle qui se sentait capables de Dieu, tous ceux-là étaient fils d’Eckhart.
 L’inquisiteur avait pour suivit les insoumis qu’on accusait de posséder les écrits du maître. Il avait brûlé des centaines de pages de ses sermons mais il n’avait pas eu accès aux bibliothèques des grands du royaume, ni à celles des intellectuels et des universitaires qui en gardaient des copies. l’enseignement d’Eckhart était à présent une hérésie de riche.

Édition Acte Sud, 254 pages, août 2023.

Petite question : suis-je la seule à ne pas aimer lire les livres de cette maison d’édition qui ne peuvent jamais s’ouvrir complètement sauf à casser le dos du livre ?

 

Ceci dit, j’aime très souvent les romans que cette maison édite. Ce n’est pas ma première rencontre avec cet auteur, mais c’est la première fois que j’écris un billet à propos de lui sur Luocine.
Un roman difficile à lire car il faut suivre deux histoires qui n’ont comme point commun que la folie guerrière des hommes. On commence à suivre la survie d’un déserteur dégoûté par les violences de la guerre, celles qu’il a commises, celles qu’il a vues commettre. L’auteur utilise un style très particulier pour exprimer cette violence, il va à ligne à chaque virgule, j’avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi. Mais la langue est belle même si elle exprime ce qu’il y a de pire chez l’humain. Le soldat va être confronté à une femme qui a subi aussi le pire de la guerre . Je ne vais pas plus loin dans ce récit qui est terriblement anxiogène comme l’est sans aucun doute la violence de la guerre.
En parallèle, on suit une réunion le 10 et 11 septembre 2001, qui réunit des grands chercheurs en mathématiques pour célébrer Paul Heudebert, un personnage fictif qui aurait écrit des recherches essentielles au camp de Buchenwald. Communiste convaincu, il a choisi de rester en RDA. Il est très amoureux d’une femme qui, elle, est restée en RFA, leur fille Ingrid ira sans difficultés apparentes de l’Allemagne de l’ouest avec sa mère à celle de l’est. Cette partie est écrite de façon classique et nous permet de revisiter la guerre, le nazisme et de la division entre l’Ouest et l’Est, l’effondrement du communisme, puis l’attentat du 11 septembre qui fera tourner court la fameuse réunion. Les explications pour comprendre tous les enjeux du couple Heudebert ne seront dévoiler qu’à la fin du roman et c’est évidemment tragique.
J’ai un peu de mal à voir l’intérêt du mélange des deux histoires. Bien sûr, on comprend ce qu’a voulu faire l’auteur, montrer que la guerre est toujours là et toujours avec les mêmes horreurs. Mais pour moi il s’agit de deux histoires qui n’arrivent pas à se rejoindre.

Un beau roman, pas toujours facile à lire, mais on y revit tellement de problèmes de notre époque, c’est aussi un bel hymne aux mathématiques mais sans lien évident avec l’autre sujet

 

 

Extraits

Début.

II a posé son arme et se débarrasse avec peine de ses galoches dont l’odeur (excréments, sueur moisie) ajoute à sa fatigue. Les doigts sur les lacets effilochés sont des brandirons secs, légèrement brûlés par endroits ; les ongles ont la couleur des bottes, il faudra les gratter à la pointe du couteau pour en retirer la crasse, boue, sang séché, mais plus tard, il n’en a pas la force ; deux orteils, chair et terre, sortent de la chaussette, ce sont de gros verts maculés qui rampent hors d’un tronc sombre, noueux à la cheville.

Dieu pour le soldat.

 Il continue à marcher,
 Seigneur c’est bientôt le jour de la Passion,
 tu as honte quand tu penses à Son Nom -le fusil contre toi tu traverses Sa nature,
toute chose chante Ses louanges et fleurit Sa gloire,
il traverse les buissons, écoute les ailes qui claquent les branches qui remuent.

Style et mise en page …

 l’enfance parvient à te faire oublier la guerre et la faim,
 l’enfance rôde, c’est un monstre comme un autre,
 tu t’allonges sur la chaleur de la grande pierre plate du seuil.
Il réussit à fermer les yeux sans qu’apparaissent des visages torturés aux bouches sanglantes et aux cernés,
 ton corps, après l’eau, après le soleil, perd l’odeur électrique, de graisse et de sang, que la guerre a donné,
 haut dans le ciel les oiseaux et les avions tournent.

Le camp de Gur.

Que je fasse des mathématiques fascine mes camarades d’internement (on n’est pas détenu, ici, on est « interné » : nuance que mon niveau de français ne me permet pas réellement de saisir). Pour passer le temps, je lance des problèmes simples comme le ferai un prof de math – les quatre-vingts camarades de baraquements (Espagnols, Allemands, Juifs de toute ‘Europe) s’amusent à essayer de les résoudre. Ici on garde le papier (rare) pour les lettres : les maths, c’est sur les murs, avec des morceaux de pierre ou de charbon !

Un moment d’humour.

 Cet ajout se révéla aussi néfaste qu’hilarant : au lieu de se cumuler, ces deux forces semblaient soit se conjuguer inutilement, soit s’annuler. Les oublis étaient oubliés deux fois, les bévues doublement répétées. On aurait dit un dessin tracé par deux stylos à bille attachés entre eux par un élastique, des parallèles ne se rejoignant jamais, malgré tous leurs efforts, contraintes par Euclide soi-même.

Emmy Noether.

 Que vous a-t-elle enseigné (Emmy Noether) ? Paul prend alors son air pénétré, qui cache souvent chez lui une réponse ironique, qui en l’occurrence ne l’est même pas : « elle m’a appris que les mathématiques étaient l’autre nom de l’espoir ».

Les mathématiques.

 Les mathématiques sont un voile posé sur le monde, qui épousent les formes du monde, pour l’envelopper entièrement ; c’est un langage et c’est une matière, des mots sur une main, des lèvres sur une épaule ; la mathématique s’arrache d’un geste vif : on peut y voir alors la réalité de l’univers, on peut la caresser comme le plâtre des moulages, avec ses aspérités, ses monticules, ses lignes, qu’elles soient de fuite ou de vie.