Édition Metallié. Traduit de l’allemand par Alban Lefranc

Ma troisième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 , organisé par Eva 

 

 

 Un grand merci et cinq coquillages pour Anne-yes qui m’a permis d’aller vers ce livre, c’est une lecture indispensable pour mieux comprendre l’Ukraine d’hier avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui . La mère de Natasha Wodin, l’auteure, est d’origine ukrainienne, elle est née à Marioupol, son père bien qu’Ukrainien est de langue allemande . Ce livre, retraçant le destin douloureux de sa mère, se divise en quatre parties.

– La première est consacrée à la recherche sur Internet de sa mère dont elle ignorait tout, sauf qu’elle venait de Marioupol. Très vite elle obtient une réponse qui lui vient de Russie d’un homme qui sera son ange gardien dans ses recherches. Un certain Konstantine, et à sa grande surprise, elle découvrira que les mensonges qu’elle racontait quand elle était enfant sont en grande partie vraie. Elle s’imaginait princesse et elle découvre que sa famille d’origine italienne était une des plus riche de Marioupol et, qu’effectivement, ils habitaient un palais. Toute l’enfance de l’auteure, en Allemagne, elle s’est sentie paria ( elle dit même « un déchet » en parlant d’elle) car elle, et sa famille faisaient partie des anciens travailleurs de l’est pays qui sont devenus communistes (donc ennemis !) C’est l’aspect de ce livre qui m’a le plus passionnée, car je n’ai jusqu’à présent rien lu sur ce sujet  : que savons nous de ces milliers (peut être millions ?) de personnes déplacées pour servir d’esclaves au troisième Reich en manque de main d’œuvre ? Nous connaissons en tout cas le sort de ceux qui sont retournés sous le joug stalinien : fusillés comme traître ou envoyés directement au goulag.
– Son enquête avance grâce à Konstantine, et elle raconte dans la deuxième partie, le sort de Lydia la sœur de sa mère. Celle ci a écrit ses mémoires et on peut alors découvrir toute l’horreur des débuts du communisme en Ukraine jusqu’à la famine qui sera un des plus grand crime commis contre un peuple. Bien que condamnée au goulag, Lydia a survécu et sa mère qui était venue garder son enfant aussi, elle était arrivée en 1941 quelques jours avant l’invasion allemande et ne pourra plus jamais repartir. Natasha comprend en enfin pourquoi sa mère a été abandonnée par sa propre mère.
– Dans la troisième partie, grâce à ce qu’elle sait maintenant, elle cherche à comprendre pourquoi sa mère est partie en Allemagne à la fin de la guerre. Elle y rencontrera son père lui aussi travailleur déplacé qui l’a beaucoup aidée et lui a permis de survivre.
– Enfin dans la quatrième et dernière partie, on voit cette femme plonger dans une dépression terrible qui fera fuir son mari violent et alcoolique. La petite Natasha s’enfonce dans ses mensonges pour fuir cette chape de malheur qui tue sa mère à petit feu.

Tout l’intérêt de ce livre vient de ce que l’auteure sait nous faire découvrir la vie de sa mère au fur et à mesure de ses propres recherches. Elle n’avait qu’une très vague idée de qui était sa mère, elle lui en voulait d’avoir si peu su lui faire une vie heureuse et d’être éternellement cette femme déprimée. Mais, comme elle, nous sommes bouleversées de voir que son destin aurait pu être moins tragique si elle avait su que sa propre mère et sa sœur avaient survécu au goulag.
Historiquement, le destin de ces travailleurs venus des pays occupés par l’Allemagne Nazie est mal connu et terrible. Mal connu, car il pèse sur eux le jugement de collaboration avec le régime de l’occupant et personne n’a vraiment pris la peine d’analyser leurs souffrances, on sous entend souvent qu’ils avaient le choix de ne pas y aller. Ce qui est loin d’être vrai. En plus si vous aviez le malheur d’être slave alors vous faisiez partie de la race des esclaves et votre sort était plus proche de l’univers concentrationnaire. Le pire, pour ces hommes et ces femmes, est qu’aucun pays n’attendait votre retour. En France les anciens du STO sont rentrés sans gloire, certes, mais ils ont retrouvé une vie normale. Les Ukrainiens et les Russes étaient renvoyés chez eux à une mort certaine plus ou moins immédiate.

Un très beau livre, tout en émotion et qui nous fait revivre l’histoire si douloureuse de ce pays.

 

Citations

Travailleurs déportés .

Depuis de nombreuses années déjà, je cherchais en vain un livre écrit par un ancien travailleur forcé, une voix littéraire qui m’aurait permis de m’orienter. Les survivants des camps de concentration avait produit une littérature universelle, les livres sur l’holocauste remplissaient les bibliothèques, mais les travailleurs forcés non juifs, qui avaient survécu à l’extermination par le travail restaient silencieux. On les avait déportés par millions vers le Reich allemand ; des trusts, des entreprises, des artisans, des exploitations agricoles, des ménages privés dans tout le pays s’étaient servi à leur guise dans le contingent d’esclaves importés selon un programme d’exploitation maximale pour le coup le plus minime possible.

Le soleil se lève sur le lac.

 Des levers de soleil comme sur ce lac, je n’en avais encore jamais vu ailleurs. Ils s’annonçaient des trois heures du matin à l’horizon, d’abord comme un rosissement à peine perceptible du ciel au dessus de l’eau, qui se transformait progressivement en une orgie lumineuse d’une beauté irréelle. Je m’étonnais que tout le monde soit endormi, que personne à part moi ne semble assister à ce spectacle cosmique. Le ciel brûlait de toutes ces couleur du vert clair à l’or, du violet au rouge flamboyant chaque jour différent chaque jour nouveau : des spectacle de lumières des tableaux surréalistes que le soleil faisait surgir dans le ciel et donc je suivais la métamorphose minutieuse à partir de mon balcon comme d’une loge quelque part dans l’univers (…)

La tragédie des Ukrainiens.

Tamara avait été exilée de Kiev à Vienne à vingt ans pour travailler dans une conserverie. Après son retour en Ukraine, elle avait échappé au sort de ceux qui avaient été fusillés comme traîtres et collaborateurs ou transférés d’un camp de travail forcé à un autre, mais elle faisait partie de la majorité de ceux pour qui le travail forcé en Allemagne avait eu des conséquences à vie. Ceux qui étaient revenus, qui n’avaient pas réussi à s’opposer à leur déportation par l’ennemi, n’étaient plus acceptés dans la société, la plus part d’entre menaient une vie de misère et de privation jusqu’à leur mort. Pendant de nombreuses années, elle avait été forcée de laisser ses parents l’entretenir, eux qui souffraient de la faim. Finalement, un ami de ses parents est tombé amoureux d’elle, un professeur de biochimie vieillissant qui l’a demandée en mariage. Elle n’a pas répondu à ses sentiments, mais le mariage l’a sauvée, sa survie physique au moins était assurée. Son courageux mari, déjà discriminé en tant que juif, en supporta les conséquences. Pendant longtemps, il est resté le seul professeur de tout Kiev à qui n’avait pas été attribué des appartements et qui devait vivre avec sa femme et ses deux enfants dans un appartement communautaire .

La Russie post soviétique .

 Et en quoi tout cela me concernait, moi ce fiasco soviétique, et post soviétique le fatum sans fin de la Russie, l’incapacité à se réveiller d’un cauchemar collectif, l’emprisonnement entre soumission et anarchie, entre la patience vis à vis de la souffrance et la violence, tout ce monde inexpliqué et sombre cette histoire familiale faite d’impuissance, d’appropriation, d’arbitraire, de mort, cette Russie misérable, la Mater Dolorosa éternelle qui serrait impitoyablement ses enfants dans ses bras.

Les esclaves Ukrainiens.

Les Ostarbeiter représentent un dilemme insoluble pour les nazis. Ils sont indispensables au maintien de l’industrie de guerre allemande mais recouvrir à eux n’est pas compatible avec l’idéologie raciale nazie, cela met en danger la pureté raciale du peuple allemand. Les rapports sexuels avec des Slaves sont strictement interdits aux hommes allemands, et pourtant les viols font partie du quotidien du camp.

Quand l’image de sa mère venant d’un pays glacé se confronte à la réalité.

 Pour la première fois depuis sa mort, ma mère devenait une personne extérieure à moi. Plutôt que dans la neige, je la voyais soudain marcher dans une rue de Marioupol, vêtue d’une robe d’été légère et lumineuse, les bras et les jambes nus, les pieds dans des sandales. Une jeune fille qui n’avait pas grandi dans l’endroit le plus froid et le plus sombres du monde mais près de la Crimée, au bord d’une mer chaude du Sud, sous un ciel peut-être semblable à celui de l’Adriatique italienne. Rien ne me semblait plus inconciliable que ma mère et le Sud, ma mère et le Soleil et la mer. J’ai dû transférer toutes mes idées de sa vie dans une température différente, sous un climat différent. L’inconnu ancien s’était transformé en un inconnu nouveau.

 

 


Édition Héloïse-D’Ormesson. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ma deuxième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 organisé par Eva 

 

Voici un livre qui ne tient que par le talent de conteuse de cette écrivaine allemande. Je suis partie dans son histoire sans difficultés car j’aime les contes mais je me suis sans cesse demandé pourquoi elle voulait ne raconter que le pire des comportements humains.

Seuls trois personnages : Martin le garçon au cœur pur, le peintre, et Franzi l’amoureuse du garçon sont vraiment positifs. Dans une Allemagne d’autrefois, ravagée par les guerres, les épidémies, les croyances obscurantistes, des hommes stupides et sans cœur règnent sur un village où vit Martin et son coq noir qui reste toujours avec lui, sur son épaule le plus souvent, et qui, parfois, lui parle. Martin est orphelin car son père, pris de folie, a massacré tous ses frères et sœurs à la hache avant de se tuer lui-même. Un jour arrive un peintre que Martin suivra car il veut rechercher le cavalier à cape noire qui enlève de très jeunes enfants que l’on ne revoit jamais. Peu à peu, nous aurons toutes les clés de cette histoire mais je sais que vous ne voulez pas que je vous les donne (pourtant quand vous écoutez Barbe-bleu vous savez la fin, non ?), d’ailleurs de clés, il en est question dans ce récit. Cela commence justement par la clé de la porte de l’église que les abrutis de chefs du village ne retrouvent plus. Martin sait où elle est mais ne le dira qu’à la fin du récit.

On saura pourquoi son père a massacré à coups de hache toute sa famille et aussi ce que deviennent les enfants enlevés par les cavaliers à cape noire.

Pourquoi ne suis-je pas plus enthousiaste : j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi l’écrivaine a utilisé le conte pour nous raconter toute la noirceur des comportements humains. Pas grand chose nous est épargné et ce n’est pas la fin un peu moins triste qui peut compenser la succession de crimes tous plus affreux les uns que les autres qui change grand chose à la teneur de ce récit. Vraiment, pourquoi ?

Le personnage positif, Martin, est paré de toutes les qualités, bonté, compassion, intelligence au point de se dire qu’il n’est pas vraiment humain.
C’est un conte, d’accord, donc on peut tout accepter et il est vrai que, le style de Stefanie vor Shulte, emporte les lecteurs dans un monde onirique et que j’ai lu ce livre sans m’ennuyer en me demandant quand même pourquoi une telle noirceur

 

 

Citations

Le conte très sombre

 En éclair, le cavalier a dépassé Martin, l’instant d’après il est à la hauteur de Godel, il abaisse le bras vers la fille, la soulève comme un fétu de paille et la foule sous sa cape, pan d’obscurité dans le givre laiteux. L’enfant est maintenant au cœur des ténèbres, elle n’a pas laissé échapper le moindre cri. Tout est allé si vite. La main de la mère est encore suspendue en l’air toute pleine de la chaleur du corps de sa fille. Sa fille qui n’est plus là.
 Le cavalier l’a cueillie comme une pomme, et déjà le voilà sur la crête où l’on voit son cheval se cabrer.
 Un hurlement déchirant jaillit de Godel. Elle se met à courir. Le bébé pleure, ballotté contre sa poitrine. Martin court derrière elle, la rattrape, la dépasse, se lance à la poursuite du cavalier.
 Le cavalier. Martin connaît depuis toujours l’histoire de ce cavalier à la capuche noire qui enlève les enfants. Toujours une fille et un garçon. Qui plus jamais ne reparaissent. Et voilà qu’ils le rencontrent et qu’ils le pourchasse.

Vision horrible de ce temps là…

 Ces hommes savent pourtant bien que le temps leur est compté, que bientôt ils seront impotents et n’auront plus qu’à se pendre à une poutre du toit pour ne pas peser sur leur famille. Et que, s’ils ratent leur coup, ou si le courage leur fait défaut, ils macéreront jusqu’au bout dans leurs excréments. Attachés au lit, car il faut bien aller aux champs et au moulin, tout comme ils l’étaient, déjà, enfants quand leurs parents devaient aller aux champs et au moulin.



Édition Pocket . Traduit de l’anglais par Nathalie Cunnington

 

En regardant ce que cet auteur avait écrit, je me suis rendu compte qu’on lui devait «  L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux » que je n’ai pas lu, mais j’ai aimé le film qui en a été tiré. Ce roman parle de la passion de l’auteur pour le Far-West américain vu à travers le cinéma et les feuilletons tournés pour la télévision. L’enfance du jeune héros, Tommy, a été bercée par les héros au grand cœur qui sauvent les pures jeunes filles blanches des griffes des méchants indiens.
Mais avant de raconter (le moins possible) le fil narratif de ce récit, j’explique sa construction. L’auteur, dans des chapitres assez courts donnent des aperçus de la vie de Tommy, en ne respectant pas la chronologie . Il faudra lire tout le roman pour remettre dans l’ordre la vie du personnage principal qui donne l’impression d’un puzzle. Lorsque la dernière pièce sera mise en place alors tout sera tellement clair pour le lecteur qui pourtant n’a jamais été perdu (en tout cas, je ne l’ai jamais été)
Le premier chapitre est une des clés du roman. Tommy a 13 ans, il rend visite à sa mère qui est condamnée à mort. Le deuxième chapitre, il est enfant à Bristol et suit avec passion son feuilleton télévisé dans le quel Red McGraw « se dresse seul contre l’injustice ». La construction parcellaire du roman sert l’intrigue car la vie de Tommy est construite sur un énorme mensonge, celle qui prend pour sa sœur est en réalité sa mère, et ses parents sont en réalité ses grands parents. Sa mère l’arrache à une pension anglaise où il était très malheureux et l’emmène avec lui à Hollywood.
Il y rencontre l’acteur Ray qui sera l’amant puis le mari de sa mère mais aussi l’acteur qui jouait Red McGraw dans son feuilleton préféré.
Un autre mensonge aussi énorme que le premier viendra troubler le passage de Tommy dans la vie adulte. Et il ne saura pas être le père de son fils. Celui-ci sera accusé de meurtre de civils pendant la guerre en Irak et c’est alors que père et fils se retrouveront en se dévoilant réciproquement leurs propres mensonges.
Les réflexions sur le poids de la culpabilité sonnent très justes et la façon dont est traité le rapport à la vérité est passionnant. Je pense que le thème principal du roman c’est cela  : le poids que représente pour un enfant un mensonge sur lequel il a construit sa vie.
Mais les thèmes annexes sont tout aussi passionnants, par exemple le passage du travail d’acteur de la télévision au cinéma et du poids de son image qui passe de mode et comment cela peut devenir insupportable pour lui. On retrouve aussi les indiens qui sont si loin de l’image qu’en donnait la télévision, Tom le découvrira grâce à Cal, un indien blackfoot, qui sera son père adoptif. Autre blessure invisible celle avec les quelles reviennent les marines américains qui ont tué des civils en Irak ou qui ont vu tuer les meilleurs d’entre eux.
Un roman foisonnant qui sonne très juste qui se lit d’une traite même si certains passages méritent une lecture plus attentive car ils révèlent des comportements humains très intéressants.

 

Citations

Passage plein d’humour .

 « Vous ne seriez pas Thomas Bedford, par hasard ?
– Si, c’est moi. Je m’excuse mais… »
Elle tendit la main et il la serra, un peu trop fort. Comme le documentaire qu’il avait fait cinq ans auparavant sur l’histoire et la culture des indiens blackfoot avait été récemment diffusé sur PBS, il se dit qu’elle l’avait reconnu à cause de cela. Ou peut-être avait-elle assisté à l’une des conférences qu’il donnait de temps en temps à l’université. La jeune femme était une beauté discrète. Elle devait avoir une trentaine d’années au plus, elle avait la peau pâle, des taches de rousseur, une épaisse chevelure rousse enserrée dans un foulard vert en soie,. Tom rentra le ventre et sourit
« Je me présente : Karen O’Keefe. Nous avons le même dentiste. Je vous ai vu chez lui il y a deux ou trois semaines.
-Ah !

Le mensonge.

 Un mensonge raconté plusieurs fois à cette faculté étrange d’acquérir une sorte de consistance. À mesure qu’on se le répète, il devient aussi solide et rassurant que la vérité. Tom s’était parfois demandé, après le départ de Gina, si les choses se seraient passées différemment, s’il lui avait dit la vérité à propos de Diane. Cela l’aurait peut-être aidée à comprendre ses difficultés de père et de mari. Ou bien n’aurait fait que lui inspirer de la pitié. Et pour Tom la pitié, c’était pire que la honte.

Être américain sous Kennedy .

C’est ainsi qu’il se joignit à ses camarades comme s’il était un vrai petit américain. Ce qu’il avait toujours souhaité être. Parce que ça lui semblait plus moderne – plus cool comme dirait Wally- que d’être anglais. Il n’y avait qu’à voir le président qu’ils venaient d’élire ! Jeune, toujours souriant, avec ses enfants et sa jolie femme, tandis que le premiers ministre britannique ce vieux Macmillan, devait avoir au moins cent ans et ressemblait à un morse qui aurait perdu ses défenses.

Les fragilités du métier d’acteur.

– Dans mon type de boulot, si quelque chose se passe mal, on l’arrange, on se débrouille pour faire mieux la fois suivante. Mais vous autres, les acteurs, vous n’avez pas le droit à l’erreur. Vous êtes seuls. Si vous vous trompez, ça vous touche au cœur. Désolé, je n’arrive pas à exprimer ce que je veux dire.
– Je comprends.
– Je ne suis pas en train. De dire qu’il n’y a aucune technique, aucun talent là-dedans . Il y en a, bien sûr. Vous devez savoir vous placer, repérer la caméra, et tout et tout. Mais au bout du compte, l’essentiel, c’est vous, ce que vous êtes. Et si quelqu’un critique ça, vous dit que ça ne va pas, ce n’est pas votre travail qu’il critique, c’est vous. Ce qui est déjà difficile à accepter pour n’importe qui. Alors pour les acteurs, c’est pire encore parce que… Bon sang, qu’est ce qui me prend de vous parler comme ça. ?
– Je vous en prie continuez.
– Ce que je voulais dire, c’est qu’ils ont très peu confiance en eux. Ils veulent qu’on les approuve, qu’on les aime. Comme nous tous bien entendu, mais chez certains acteurs, c’est comme une sorte de faim. Et s’ils n’obtiennent pas ça, ils sont complètement défaits.
– Quand même, Cal, il y a des métiers bien plus dur que celui-là.
– Peut-être, mais pas beaucoup qui peuvent à ce point blesser un homme dans l’image qu’il a de lui même. 

Toujours le mensonge.

 Le mensonge lui parut usé. Il ne s’était pas entendu le raconter depuis longtemps. Il fut soudain pris de l’envie d’avouer comment Diane était réellement morte. Mais mais pouvait-il raconter à cette quasi inconnu ce qu’il n’avait jamais réussi à dire à quiconque ? Même pas à son psy, même pas à Gina. Ce serait une véritable trahison. Le problème avec le mensonge, c’était cela. Tels les pins tout tordus et noueux qui poussaient dans les montagnes, plus ils étaient vieux plus ils devenaient résistants.

Dernière phrase (on imagine avec un soleil couchant..) happy end .

 Elle le regarda longuement puis se pencha vers lui et l’embrassa tendrement sur la joue. Alors, Tom passa le bras autour de sa taille. Ils firent demi-tour et traversèrent la pelouse ensoleillée vers la maison.


Édition Nathan . Traduit de l’anglais Anne Guitton

livre lu dans le cadre de la masse critique Babelio

 

Quel roman ! Chaque chapitre est une nouvelle douleur ! La lecture en est une véritable épreuve, bien sûr nous avons entendu les horreurs de la guerre en Syrie, mais une guerre en chasse une autre et nos yeux sont, aujourd’hui, tournés vers l’Ukraine et on a, peut-être, oublié que les Syriens ont tellement souffert. Cette auteure rassemble dans un roman tout ce qui est arrivé à Homs, les bombardements, les tirs des snipers, les missiles sur les hôpitaux, les enlèvements des principaux dirigeants de l’opposition et enfin l’utilisation du gaz contre la population. Pour construire son roman , elle choisit une jeune femme qui est victime d’hallucinations. Un personnage qu’elle sait être le fruit de son cerveau malade lui donne des ordres et lui ordonne de fuir. « Khawf » c’est son nom, n’hésite pas à lui montrer toutes les horreurs qui l’attendent si elle reste en Syrie.

Elle travaille dans l’hôpital qui voit arriver tous les blessés de cette guerre sans pitié. Certains passages sont insoutenables, mais c’est dans ce cadre qu’elle rencontrera l’amour , on va la suivre jusqu’à sa fuite. L’auteure visiblement a hésité entre deux fins, la mort en Méditerranée ou sa reconstruction en Allemagne.

J’ai des réserves sur ce roman car je préfère les témoignages : l’aspect romanesque ne rajoute pas grand chose et même, pour moi, affadit le propos.

Je n’oublierai jamais, par exemple, Akim, le personnage principal de la BD de Frank Toulmé qui m’a beaucoup aidée à comprendre la tragédie Syrienne. Sans doute plus que le récit de cette jeune écrivaine qui met pourtant toute son énergie pour réveiller nos consciences.

Pauvre pays ! toujours sous la botte du même dictateur bien aidé par son allié russe.

 

Citations

 

Quand dès la première phrase on sait que tout va mal.

 Trois citrons fripés posés sur une étagère et un sachet de pains pita plus sec que moisi. 
Voilà tout ce que la supérette a à offrir.

Scène d’horreur.

Je vois un enfant appelé sa mère en pleurant. 

Je vois un garçon aux lèvres crispées, dix ans à peine, blanc comme un linge, un énorme morceau de métal planté dans le bras droit. Il grimace de douleur mais n’émet pas le moindre son, car il ne veut pas effrayer sa petite sœur qui s’accroche à sa main en répétant « te’eburenee. 
 Je vois des médecins, les derniers de Homs, secouer la tête devant des petits corps frêles et sans vie avant de passer au suivant.
Je vois des fillettes aux jambes tordues dans des positions anormales. Leurs yeux expriment déjà toutes les angoisses de ce qui les attend. L’amputation.
Je voudrais que ce spectacle soit diffusé en live sur toutes les chaînes de télé et tous les écrans de smartphones du monde pour que les gens sachent ce qu’on fait aux enfants dans ce pays

 

 

Édition Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’avais beaucoup aimé « un été au Kansaï » qui m’avait permis de connaître le quotidien des Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Dans ce roman l’auteur raconte les huit jours de « la débâcle » française en juillet 1940 . Il choisit pour cela des personnages qui lui semble typiques de la France de l’époque , un soldat qui va se battre courageusement, et dont la fiancée une superbe mannequin fuit Paris. Sur les routes de l’exode, nous suivrons une famille très riche qui sera plus émue par la mort du petit chien que de leur petite bonne, un couple qui part aussi avec beaucoup d’argent.
Nous verrons les trains bombardés, et qui avancent au grè des déplacement des troupes, nous verrons aussi les avions allemands mitrailler sans relâche la population sur les routes.

Nous entendrons les propos qui dessinent une France tellement divisée , ceux qui pensent que tout est de la faute du « youtre » Blum , ceux qui attendent les troupes russes avec tant d’espoir. Nous verrons l’armée totalement désorganisée et les actes de bravoures absolument inutiles. L’horreur absolue arrive avec le traitement des soldats d’origine africaine, les allemands ont commis des massacres dont on a peu entendu parler après la guerre.

Ce roman est pénible à lire car il y a peu de gestes de simple humanité, il y en a parfois. Il montre trop bien les mesquineries dans une France où aucune valeur ne tient debout. La partie historique est sérieuse mais je n’ai pas compris que pour la partie romanesque l’auteur aille aussi loin dans l’horreur, le père incestueux qui non seulement fait de sa fille son jouet sexuel mais qui de plus a fait assassiner les petites bonnes quand elles étaient enceintes de ses oeuvres, est pour le moins surprenant. Je crois que l’horreur de la guerre me suffisait largement. Les cadavres qui jonchent les routes, la peur des enfants, la soif sous ce mois de juillet trop chaud, l’impression qu’on ne peut fuir nulle part tout cela est bien rendu. Mais les côtés romanesques m’ont semblé plaqués sur le fil de l’histoire, comme la jeune fille de bonne famille de quinze ans qui veut absolument « baiser » avec le premier venu pour connaître le plaisir sexuel . C’est peu de dire que les personnages sont caricaturaux, il le sont à l’excès et de plus la documentation historique semble encombrer l’auteur qui inflige aux lecteurs les détails techniques qui alourdissent bien inutilement le roman.

J’étais très triste en lisant ce livre car j’ai pensé qu’aujourd’hui encore la France était divisée et je me demande si nous serions capables de nous unir pour sauver la République et ses valeurs.

Bref une déception, ou un mauvais jeu de mot une débâcle ! et je ne serai certainement pas aller jusqu’au bout de ce roman sans mon club de lecture.

 

Citations

Humour !

 Un des surveillants Jean Lasne, qui peignait et écrivait des vers, a été tué le seize mai dans les Ardennes au début de la catastrophe. Elle ne le connaissait pas, mais apprenant son sort Jacqueline a fondu en larmes. Très fiere de ses beaux yeux verts, elle pense de toute facon que pleurer la rend plus intéressante. 

C’est un récit que j’ai déjà entendu par mes parents : l’arrivée des Allemands en France .

Comme à la parade défilent des chars légers de combat, et de curieux véhicules, semi-chenillés, sortes d’autobus découverts dans lesquels sont assis cinq par cinq, sur quatre rangs, des fantassins boches casqués se tenant bien droit leur armement entre les jambes ; en tête, des officiers dans des petites voitures plates décapotées, et, en serre-file, les motocyclistes avec des side-cars. 

La guerre.

 Il est frappé un court instant par l’incongruité de la chose : ces types qu’il ne connaît pas, avec qui il aurait pu échanger des propos aimables lors de sa traversée touristique de l’Allemagne, avancent gavés de slogans nazis pour le tuer ou le capturer, lui, Lucien Schraut. Et lui doit les tuer pour se défendre. Parce que c’est la guerre. Parce qu’on ne porte pas le même uniforme. 

L’auteur a fait des recherches donc je pense que c’est vrai !

 Et puis les industriels déteste toujours augmenter le salaire des ouvriers, ça diminue leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires. Voilà pourquoi on a regardé de plus en plus du côté d’Hitler qui face à Staline, représente le dernier espoir pour l’Europe Unie ! Notamment dans la manière de traiter les rouges et les syndicalistes. Dès 1933 Schneider-Creusot fournissait au Reich des chars français du dernier modèle, les expédiant en catimini via la Hollande. Et, depuis le début de la guerre, la France a livré des quantités considérables de minerai de fer à l’Allemagne et reçu du charbon en retour. Cette fois le transit s’effectuait par la Belgique … Ce que je te raconte là espt des plus secrets, bien entendu.

Aux hasards des rencontres de l’exode.

 L’officier est inscrit au PPF : durant tout le trajet, il ne cesse de se vanter de ses relations politiques et journalistiques, de critiquer le gouvernement, les juifs, les francs-maçons, les instituteurs, de faire l’éloge de Weygand et de Pétain. 
 La femme hait Daladier, déplore la politique d’apaisement et la reculade de Munich. C’était mal, et en plus idiot d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie, qui en 1938 possédait une armée solide et pouvait nous aider à combattre Hitler.

 


Édition Gallimard NRF – Traduit de l’italien par Danièle Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

« Le voilà donc, se dit Ilaria le familialisme amoral. » Et la famille était la sienne. Son père, l’illettré éthique. Dysfonctionnement, privilège et favoritisme vus comme des moteurs évidents de la société.

J’ai déjà lu et apprécié les deux premiers romans de cette écrivaine italienne que Dominique m’avait amenée à lire . Eva dort (mon préféré) et Plus haut que la mer . Je me souviens bien de ces deux romans ce qui est un gage de qualité pour moi. Comme dans ses précédents romans Francesca Melandri, mêle l’histoire de l’Italie à une histoire d’une famille fictive pour nous la rendre plus humaine. Le reproche que je fais à ce dernier roman, c’est qu’elle a voulu cette fois couvrir une très large période de l’histoire italienne et que son roman est donc très dense voire un peu touffu.

La famille d’Iliaria Profeti est compliqué car son père, Attilio Profetti a eu deux épouses , trois enfants d’un premier mariage et un fils avec sa maîtresse qu’il a fini par épouser. De son passé, éthiopien, sa fille Iliaria n’aurait rien su si un jeune éthiopien du nom de son père n’était venu un jour frapper à sa porte lui apprenant de cette façon que son père était le grand père d’un jeune immigré en situation irrégulière. Ce sera un autre aspect du roman le parcours semé de souffrances à peine inimaginables, d’un jeune éthiopien, qui sans le recours à un ressort romanesque aurait été renvoyé en Ethiopie et à une mort certaine. L’inventaire de tous les thèmes abordés vous donnerait sans doute une impression de « trop », mais l’auteur s’en sort bien même si, parfois, j’ai eu besoin de faire des pauses dans ma lecture.

  • L’interdiction du divorce en Italie et les doubles vies que cela entrainait.
  • L’engagement dans le mouvement fasciste d’un jeune diplômé.
  • Le parcours d’un prisonnier italien aux USA pendant la guerre 39/45
  • L’injustice d’une mère qui dévalorise un enfant au profit d’un autre.
  • Le parcours des immigrés arrivés clandestinement en Italie.
  • Les théories racistes reprises par le mouvement fascistes.
  • La corruption en politique.
  • La construction à Rome.
  • Les marchands de sommeil.
  • Les malversations de Berlusconi.
  • Et le plus important la guerre en Éthiopie menée par les fascistes Italiens avec son lot d’horreurs absolument insupportables.

Et peut-être que j’en oublie, mais on comprend sans doute mieux quand je dis que ce roman est touffu, car L’écrivaine veut aussi montrer que tout se tient . En particulier, que de ne pas avoir voulu regarder en face le passé fasciste entraîne de graves conséquences sur les choix politiques actuels en Italie. Elle a pour cela créé le personnage d’Attilio Profetti, un homme à qui tout sourit dans la vie. « Tous, sauf moi » c’est lui. Il sait se sortir de toutes les situations car il a de la chance. Sa première chance : avoir été l’enfant préféré de sa mère, Viola qui en sous main oeuvre pour la réussite de son fils adoré jusqu’à dénoncer anonymement un supérieur dont une grand-mère est juive ! Ensuite, il sait grâce un charisme indéniable aider les supérieurs militaires à gagner du terrain dans la guerre coloniale en se faisant aider par une partie de la population éthiopienne. Cela ne l’empêchera pas de participer aux actions les plus horribles de la conquête comme le gazage des derniers combattants avec le gaz moutarde et ensuite de les brûler au lance flamme. Il a su partir à temps du parti Fasciste et se refaire une dignité dans la politique d’après guerre. Et finalement, comme tous les politiciens de cette époque, il a vécu et bien vécu de la corruption.

Sa fille, Ilaria, se sent loin de tout cela sauf quand elle comprend que l’appartement qu’elle occupe, cadeau de son père, est certainement le fruit de la corruption.

Le personnage le plus intègre, c’est le frère aîné d’Attilio, Othello, qui a été prisonnier pendant la guerre . On voit alors un fait que je n’ignorais complètement. Les Américains ont demandé à partir de 1943 aux Italiens, de combattre pour eux. La situation était complexe puisque l’Italie était alors en partie occupée par les Allemands, donc l’autre partie s’est déclarée alliée des États Unis. Les prisonniers italiens qui ont accepté ont eu une vie très agréable et ont retrouvé leur liberté. Othello qui n’était pas fasciste n’a pas réussi à comprendre comment il pouvait après avoir combattu pendant deux ans les Américains et les Anglais devenir leur allié. Il paiera cette décision au prix fort, d’abord le camps de prisonniers devient très dur et ensuite en revenant il aura l’étiquette fasciste, ce qu’il n’avait jamais été, contrairement à son frère qui lui a réussi à faire oublier son passé. Et il ne pourra pas faire carrière comme ingénieur alors que lui avait eu tous ses diplômes (son frère non !)

Voilà un roman dans lequel vous apprendrez forcément quelque chose sur le passé italien. Quant à moi je n’oublierai jamais les pages sur la guerre en Éthiopie (même si je n’ai pas noté de passages sur cette guerre tout est trop horrible !).

 

Citations

Le frère d’Ilaria ,accompagnateur d’excursions pour voir des gros poissons sur son bateau à voile.

 Puis il y a ceux qui à la fin veulent une réduction parce que le rorqual est resté trop loin ou que les cabrioles des dauphins n’étaient pas assez spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont pas danser des claquettes comme dans les dessins animés. Ce sont en général des pères qui passent toute excursion à accabler leur malheureuse famille de leurs connaissances sur les manœuvres de bateaux à voile, en gênant sans arrêt le travail d’Attilio. Il gagnerait sûrement de l’argent en écrivant un livre sur les expressions de la navigation à la voile dites au petit bonheur par ses passagers, en commençant par « borde la grand-voile ». Ils croient ainsi restaurer leur autorité sur leur progéniture adolescente qui, en réalité, nourrit déjà un sévère mais juste mépris pour eux.

Scène tellement plausible en Éthiopie actuelle.

 Un matin alors qu’il était avec elle, un policier s’approcha de lui et murmura à son oreille  » : « Rappelle-toi qu’elle elle s’en va, mais que toi tu restes. » Le jeune homme ne traduisait pas la phrase à la journaliste. Mais il lui demanda : « Laisse-moi partir avec toi. » Elle regretta beaucoup, mais non, malheureusement elle ne pouvait pas l’emmener au Danemark. Elle lui donna pourtant son adresse mail et lui dit une dernière fois «  »Amaseghenallõ » avec un sourire qui était l’orgueil de l’orthodontie occidentale. 

Visions de Rome.

 Piégés dans leur voiture les Romains se défoulaient en klaxonnant. Ailleurs, cette cacophonie aurait terrorisé et fait fuir au loin les étourneaux, mais ceux de Rome y étaient habitués. Massés en de frénétiques nuages noirs face aux magnifiques couleurs du ciel, ils bombardaient de guano les voitures bloquées. « Voilà ce qu’est devenue cette ville pensa rageusement Ilaria, une beauté démesurée d’où pleut de la merde. »
Celle qui avait été une des plus belles places de la nouvelle Rome capitale grouillait maintenant de rats gros comme des petits chiens, de dealers et de toute substance chimique et végétale, de putains dont à la différence de celles du bon vieux temps (« Bouche de la vérité », « Mains de fée », « La Cochonne »), personne ne connaissait le nom : elles restaient dans les recoins de stands mal fermés le temps d’une pipe, puis elle disparaissaient remplacées par d’autres encore plus droguées et meurtries.

Régime éthiopien .

 En Éthiopie les journalistes sont mis en prison quand ils ne sont pas assassinés, de même que quiconque protestent contre la corruption et les déportations dans les villages tribaux ; pourtant les occidentaux disent que l’Éthiopie est un rempart de la démocratie. Et pourquoi le disent-ils si ce n’est pas vrai ? Parce que l’Éthiopie leur est indispensable dans la guerre contre les terroristes.

Berlusconi et la pertinence sémantique du verbe voler …

 « Moi j’ai confiance en lui dit Anita quelqu’un d’aussi riche n’a pas besoin de voler. « 
Atilio ressentit une de ces nombreuses pointes d’irritation provoquées par sa femme qui ponctuant ses journées. Comme si en politique l’essentiel était de ne pas voler ! Et puis, que signifiait exactement cette expression présente dans toutes les bouches à la télé, dans les journaux, dans les dîners ? Lui, par exemple avait-il volé ? Non. Il avait pris mais seulement à ceux qui lui avaient donné. À ceux qui étaient d’accord. Comme d’ailleurs était d’accord Casati, l’homme dont il était le bras droit depuis des dizaines d’années. Et Anita aussi  : vivre dans cet immeuble liberty avec vue sur la Villa Borghèse ne lui déplaisait surement pas. Bref, ils étaient tous d’accord sur le peu de pertinence sémantique du verbe « voler ».

La visite de Kadhafi à Berlusconi .

 Il est accompagné de deux gardes du corps des femmes comme toujours. Elles ont des corps massifs moulés dans des treillis, des lèvres étrangement gonflées, un double menton. Elles cachent leur regard derrière des lunettes encore plus noires que leurs cheveux et identiques à celles de leur patron. Qui l’est dans tous les sens du terme, disent les gens bien informés. Dans les cercles diplomatiques, on raconte que les fameuses amazones du colonel font partie du vaste harem d’esclaves sexuelles qu’il choisit lui-même parmi les étudiantes libyennes, avec de sombres menaces contre les parents qui envisagent de s’y opposer, pour des pratiques telles que le « bunga bunga ».  » Drôle d’expression, pense Piero, jamais entendu en Italie. » Il l’a entendue à Tripoli en accompagnant Berllusconi lors de sa première visite il y a deux ans, celle du fameux baise-main. L’ambassadeur italien en Libye lui avait expliqué qu’il s’agissait d’une pratique de groupe incluant le sexe anal, de très loin le préféré de Kadhafi.

Rapport d’enquête au sénat italien (on pourrait le dire pour d’autres pays).

 La coopération italienne n’a pas été un instrument de grands développement pour les pays du tiers-monde, mais simplement une occasion de prédation, de gaspillages et de bénéfices pour les entreprises italiennes, protégées et garantie par l’État aux dépens du contribuable. L’ aide aux pays tiers était un résultat marginal, s’il tant est qu’il y en ait eu. Le secteur des grands travaux a été le secteur des vols.

L’Italie et son passé fasciste.

 Et tout ce qui, à tort ou à raison était associé au fascisme était considérés comme un corps étranger, une parenthèse, une déviation du vrai cours de l’histoire de la patrie celui qui reliait l’héroïsme du Risorgimento à celui de la Résistance. L’Italie était un ancien alcoolique qui, comme tout nouvel adepte de la sobriété, ne voulait pas être confondu avec le comportement qu’il avait eu lors de sa dernière et tragique cuite. Elle ne désirait que les petits progrès quotidiens du bien-être moderne qui germait comme les pissenlits de mars sur les décombres.

Le mépris de classe.

 « Récapitulons donc, lança Edoardo Casati pour finir, je vous offre un bon salaire et d’excellentes perspectives de carrière ; en revanche je ne vous offre pas ma gratitude et encore moins ma confiance. Celle-ci se donne entre pairs, et nous deux, nous ne le sommes pas. Vous êtes le fils d’un chef de gare, moi j’ai dans les veines le sang de sept papes. Vous comprenez bien que ni vous ni moi ne pourrons jamais l’oublier. » 

Les bordels en temps de guerre.

 Au bordel de Bagnacavello maintenant, il y avait beaucoup de femmes d’origine moins populaire : veuves de soldats au front, fille de parents exterminés tous les deux par un seul bombardement orphelines des ratissages nazis. La tenancière les avait toutes accueillies dans un esprit d’œcuménisme, sans distinction. Et on peut dire bien des choses horribles sur la guerre, mais pas qu’elle enlève du travail aux putains.

On peut imaginer ce genre de propos de quelqu’un qui lit « Physiologie de la haine » de Paolo Mantegazza.

« Vous êtes jeune et compétent. Mais vous avez encore beaucoup de choses à comprendre. Il y a des peuples qui ont l’esclavage dans le sang. D’autres comme le peuple italien ont la civilisation dans le sang. Et nul ne peut changer ce qui coule dans ses propres veines. »

Edition Gallmeister traduit de l’Américain par Stéphanie Levet

Ce livre est absolument stupéfiant, l’auteur américain a fait la guerre 14/18, il en est revenu et a mis 10 ans à écrire ce livre. C’est la première fois que je lis un récit vu du côté américain, par quelqu’un qui a fait cette guerre. Il a pris l’identité de 113 de ses camarades, ceux de la compagnie « K » et, à travers des récits parfois très courts, il nous raconte mieux que bien des roman, la guerre dans toute son horreur. La lecture est éprouvante car l’auteur ne cherche pas à édulcorer la cruauté de ce qui s’est passé dans les tranchées, dans les assauts, sous les bombardements au gaz, dans les hôpitaux et au moment du retour dans des foyers. Aujourd’hui on n’ en parle plus souvent mais que savait-on alors du choc post-traumatique ? Bien sûr, ne pas savoir nommer cette douleur, ne l’empêchait pas d’exister. Et les derniers textes où l’on voit toute la souffrance de ces hommes blessés dans leur chair et ayant perdu leurs repères de valeurs humaines sont bouleversants.

Nous les verrons monter à l’assaut et mourir, pour la simple raison qu’un capitaine n’a pas su revenir par orgueil sur un ordre qu’il savait absurde. Nous les verrons râler sur la nourriture jamais suffisante, le plus souvent froide. Nous les verrons aller se divertir dans des cafés y rencontrer des prostitués et ramener les maladies qui vont avec. On trouve aussi un moment étrange de paix en pleine guerre sur les bords de la Moselle. On suivra un poète qui n’a jamais su à quel point il a marqué un simple soldat qui n’a pas osé lui dire combien il aimait l’entendre réciter des poèmes. On sera avec ceux qui rêvent d’être blessés pour échapper à cette horreur. On suivra même un petit malin qui réussira à faire cette guerre sans trop souffrir. Mais le coeur du récit, le plus insoutenable, c’est cet acte de barbarie : tuer des prisonniers sans défense. Cela marquera à jamais les hommes de la compagnie K. Et rendra fous ceux qui ont participé à ce crime de guerre, mais à l’époque on ne parlait pas de crime de guerre. C’était la guerre !

Ce livre est une réflexion sur la guerre absolument implacable et chacun des 113 témoignages sont autant de réflexions sur le fait qu’on n’a pas le droit de jouer ainsi avec la vie des hommes.

 

Citations

Le bien et le mal en temps de guerre.

 – J’enlèverai le passage sur l’exécution des prisonniers.
– Pourquoi ? je lui ai demandé
– Parce que c’est cruel et injuste de tirer de sang-froid sur des hommes sans défense. C’est peut-être arrivé quelques fois, d’accord, mais ce n’est pas représentatif. Ça n’a pas pu se passer souvent.
– La description d’un bombardement aérien, ça serait mieux ? Ce serait plus humain ? Ce serait plus représentatif ?
– Oui, elle a dit, oui. Ça, c’est arrivé souvent on le sait. 
– Alors c’est plus cruel quand le capitaine Matlock ordonne l’exécution de prisonniers, parce qu’il est tout simplement bête et qu’il estime que les circonstances l’exigent, que quand un pilote bombarde une ville et tue des personnes qui ne se battent même pas contre lui ?
– Ce n’est pas ausi révoltant que de tirer sur des prisonniers, s’est entêtée ma femme.
 Et puis, elle a ajouté :
– Tu comprends le pilote ne peut pas voir l’endroit où tombe sa bombe, ni ce qu’elle fait, il n’est donc pas vraiment responsable. Mais les hommes de ton récit, eux, les prisonniers étaient sous leurs yeux … Ce n’est pas la même chose du tout. 
Je suis parti d’un rire amer 
– Tu as peut-être raison, j’ai dit. tu as peut-être formulé là quelque chose d’inévitable et de vrai.

Héros ou pas

 J’ai attrapé mon téléphone pour avertir les canonniers et les mécaniciens qu’il y avait un périscope dissimulé sous un cageot. Le navire a viré d’un coup et au même moment l’artillerie a ouvert le feu. Aussitôt on a vu un sous-marin remonter en surface, vaciller puis se retourner dans un jet de vapeur. 
Tout le monde m’a fait la fête et m’a demandé comment j’avais pu repérer que le cageot à tomates camouflait un périscope. Je n’en savais rien, en fait, j’avais simplement deviné juste, c’est tout. Alors comme j’étais un héros intelligent, on m’a donné la Navy cross. Si je m’étais trompé, s’il n’y avait rien eu sous le cageot, j’aurais été une ordure et le dernier des couillons, un déshonneur pour la troupe et, à tous les coups, ils m’auraient envoyé au trou. On me la fait pas à moi.

L’absurdité .

 On a été momentanément détaché de notre division et rattachés aux Français, et pendant six jours et six nuits on a combattu sans sommeil et sans trêve. Comme on se battait sous les ordres des Français, c’étaient eux aussi qui nous donnaient le ravitaillement et les vivres. Quant le premier repas est arrivé, il y avait du vin rouge et une petite ration d’eau de vie pour chacun d’entre nous. On avait faim et froid, on était extrêmement fatigués, l’eau-de-vie nous a réchauffé les sangs et nous a rendu les longues nuits supportables.
 Mais le deuxième jour, quand ils ont apporté le repas, le vin et l’eau-de-vie avaient disparu des rations des soldats américain. Les œuvres de bienfaisance françaises s’étaient élevées contre le fait qu’on nous distribue de l’alcool : on craignait que la nouvelle ne parvienne jusqu’aux États-Unis, où elle risquait de contrarier l’Union des femmes chrétiennes pour la tempérance, et le bureau des méthodistes pour la tempérance, la prohibition et les bonnes mœurs.

Un moment de paix pendant la guerre .

 La nuit où on a pris la relève, les Français nous ont expliqué les règles du jeu et nous ont demandé de les respecter : le matin les Allemands pouvaient descendre au bord de l’eau pour nager, faire la lessive ou ramasser des fruits dans les arbres de l’autre côté du fleuve. L’après-midi, ils devaient disparaître et on avait toute liberté de nager, de jouer ou de manger des prunes de notre côté à nous. Ça marchait impeccablement.
 Le matin les Allemands nous ont laissé un mot où il s’est excusé de devoir nous informer qu’on allait être bombardé dès ce soir là, à 10 heures, et que le tir de barrage allait durer vingt minutes. Et ça n’a pas raté, l’artillerie a ouvert le feu mais tout le monde s’était repliée d’un kilomètres vers l’arrière et était allé se coucher, et il n’y a pas eu de mal. On a passé douze jours magnifiques stationnés près de la Moselle et puis à notre grand regret, on a levé le camp. Mais on avait tous appris une chose : si les hommes de rang de chaque armée pouvaient simplement se retrouver au bord d’un fleuve pour discuter calmement, aucune guerre ne pourrait jamais durer plus d’une semaine.

La fin et l’oubli.

 J’étais là à réfléchir , à essayer de me rappeler le visage des hommes avec qui j’avais servi, mais je n’y arrivais pas. Je me suis rendu compte, alors, que je ne me serai pas rappelé la tête de Riggin lui-même si je n’avais pas su avant qui il était. J’ai commencé à me sentir triste, tout ça s’est passé il y avait tellement longtemps, il y avait tellement de choses que j’avais oubliées . Je regrettais d’être venu au camp. Pig Iron et moi, on restait plantés là, à se regarder. On avait rien à se dire finalement. On a refermé l’ancien bâtiment et puis on est sortis.

 

 

 

Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort

 

Édition belfond. Traduit de l’anglais (Royaune-Uni) par Diane Meur

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

 La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à s’acquitter

 

Ce roman, que j’ai lu avec un grand intérêt, se présente comme une longue lettre d’un grand-père allemand à son petit fils écossais. Le grand père était soldat de la Wehrmacht et a fait toute sa guerre sur le front de l’Est. Il raconte surtout la débâcle allemande de 1944 avec son lot d’horreurs insoutenables. Ce long récit est interrompu par les souvenirs du petit fils de ce grand-père qu’il a tant aimé.

Le grand-père a besoin de dire tout de suite qu’il n’a rien vu de la Shoa et explique très peu son adhésion au nazisme qui semble anecdotique par rapport à son engagement dans l’armée. Le nazisme est représenté par un des membres du petit commando dont nous allons suivre la progression à travers les plaines de l’Ukraine et de la Pologne, et c’est le personnage le plus odieux.
Ce roman, car c’est un roman, même si l’auteur a lui-même une ascendance allemande, on ne peut pas savoir s’il s’agit vraiment de son propre grand-père. En revanche tout ce qu’il décrit, comme horreurs du comportement de l’armée sur le front de l’est est véridique. Le grand père pense qu’à l’Est tout était permis et que rien n’était là pour arrêter la barbarie de l’armée. Il décrit aussi comment jusqu’au dernier moment la police militaire allemande tuait les déserteurs, aujourd’hui où cette région est de nouveau la proie de la guerre il y a des points communs si tristes, cela m’a fait penser au sort des déserteurs Russes de la divisions Wagner.

Un livre qui permet de comprendre la barbarie de l’armée mais pas l’adhésion au Nazisme, on pense quand même que ce bon soldat s’il avait dû assassiner des Juifs, il l’aurait fait par obéissance. D’ailleurs il décrit un épisode dans un café de Varsovie où il a eu une attitude peu glorieuse. Pour mieux comprendre l’engagement de toute une population dans le nazisme, je recommande deux livres qui m’ont bien aidé à ouvrir les yeux  : « un bon allemand » de Horst Krüger, et surtout « l’histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner.

 

Citations

Son grand père .

 Je n’ai pas été un nazi. Aucun tribunal, même omniscient, ne me jugerait coupable de quoi que ce soit. Ce que je peux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, une comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela.

La boue, en Ukraine.

 Plus ils avançaient sur la pente, plus le camion s’embourbait dans la glaise mouillée, de sorte que les perches n’étaient plus qu’à la hauteur de leurs genoux. Les roues ont fini par se bloquer. Alors le lourd engin a commencé de glisser à reculons vers la file de véhicules massés derrière lui.
 Un cadavre était resté pris dans la glaise au bas de la pente, un des nôtres, un Allemand. Personne n’avait le temps ni le loisir de le retirer et chaque fois que le camion dans son va et vient passait sur ses jambes en partie enfouies, le torse raide se relevait au dessus du sol. Le camion allait, venait. Et à chaque passage, le visage gris à la peau fendue et le torse meurtri émergeait de la boue. Je me souviens d’avoir pensé : Nous sommes en enfer. C’est l’enfer ici, et nous sommes des damnés.

La responsabilité des Allemands.

 Il est difficile de séparer les circonstances et l’homme. Mais dire que j’ai été à la merci des circonstances serait trop simple. L’époque à laquelle je vivais m’a conduit dans ces potagers, la faim au ventre, une barre à mine dans la main, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas agi ou que je n’ai pas mangé.
Quand je me pose la question de savoir si nous étions tous immoraux, ou si nos actes répréhensibles faisaient de nous des êtres mauvais, je me dis que nous avons été flétris par les conséquences de décisions prises par d’autres (…)
Et moi à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.

Guerre à l’est .

Même aux moments dont je te parle, à l’automne 1944, quand le vent avait déjà tourné et que les Allemands en France fuyaient sous les bombardements américains comme des poux sous la flamme d’un briquet, il valait sans doute mieux se trouver à l’Ouest. Les lois de la guerre, ce paradoxe raffiné, y avaient encore cours. Des atrocités étaient commises aussi, mais c’était une violation des règles et non leur pure et simple abolition 
(…)
 Mais nous les Allemands nous savons dans notre chair -et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes- le savent aussi que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’est et à l’échelle des pertes russes on peut à peine dire que les puissances occidentales ont fait la guerre.
 Pendant de première année à l’Est, nous les Allemands, avons sciemment laissé mourir de faim un demi-million de prisonniers russes. Il m’est arrivé d’observer un homme dépérir ainsi, d’avoir été moi-même affamé, et cet état n’est pas indolore. Cela ne vous met pas dans un état de léthargie hébété. Cela vous rend fou. Cela seul, parmi tous les actes que nous avons commis était déjà un crime qui exigerait des monuments, des discours et des journées commémoratives, mais, parce qu’il a été perpétré à l’Est on s’en souvient à peine.

Essayer de comprendre.

Mais qu’est-ce qui au départ nous a fait commettre ce que nous avons commis, voilà ce qu’ils n’expliquent pas. Car enfin, le communisme s’est développée partout en Europe ; le nazisme, lui, ne s’est vraiment développé que chez nous.

 Je pense qu’il s’agissait en partie d’obéissance, que nous avons consentie pour nous laisser mener à l’abîme. Et je pense aussi qu’il y avait à l’œuvre une violence, quelque chose de dément. Une aspiration de puristes à la « tabla rasa ». Une fêlure dans notre psyché nationale sur laquelle nous avons réglé nos actes avec calme et méthode, je dirais même avec humanité. Je suis sûr que les Feldgendarmen se trouvaient très humains de pendre nos soldats plutôt que de les crucifier eux aussi.


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.