Édition Gallimard NRF ; Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Oui, c’est bien pratique que la terre entière soit désormais réduite à un minuscule appareil cellulaire dans lequel est logé la majeure partie de l’humanité.
Un livre qu’il faut absolument lire en ce moment, c’est une plongée dans la vie actuelle d’Israël et dans les réflexions de ses habitants.
Le roman se construit autour d’une histoire d’amour qui s’est brutalement arrêtée à la création de l’état d’Israël, en 1948 entre Rachel et Mano Rubin de très jeunes adolescents. Rachel est aujourd’hui très âgée et Mano vient de mourir.Tous les deux ont refait leur vie sans jamais se revoir. Mano devenu professeur Rubin a été un père tyrannique pour sa première fille Atara, mais plus doux avec sa deuxième fille. Rachel a deux fils, son aîné s’est éloigné d’elle et son plus jeune est devenu juif orthodoxe.
Au décès de son père, Atara a la surprise de l’entendre évoquer d’une voix pleine d’amour d’une certaine Rachel dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle part donc à la recherche de cette femme. Rachel sait pourquoi elle porte ce prénom peu donné. Atara a été mariée une première fois, elle a eu une fille mais elle est tombée amoureuse d’Alex qui est lui même père d’un garçon ensemble ils auront un fils Eden. Rien ne va bien dans la vie d’Atara peut-être parce que le comportement brutal de son père l’a empêchée d’accéder à la sérénité. Elle a l’impression que Rachel peut lui apporter des réponses et veut absolument lui parler alors que son mari qui est obligé d’aller aux urgences de l’hôpital mais finalement il est revenu chez lui, ce qui rassure son épouse et son fils Éden. Malgré l’inquiétude d’Atara, Alex refusera de retourner aux urgences et il va en mourir. Atara se sent coupable et ne sait pas où trouver du réconfort. Elle sent que ses enfants s’éloignent et qu’elle n’a pas su rendre son mari heureux. La transmission des parents aux enfants est un problème qui obsède Atara. Mais aussi Rachel. Il semblerait que les hommes soient plus détachés, mais ils sont aussi des passeurs peut-être plus inconscients.
L’intérêt de ce roman vient de ce tout ce qu’on découvre de la construction de la société israélienne. Rachel et Mano faisaient parti d’un groupe Lehi (parfois appelé Stern) qui a utilisé le terrorisme pour se débarrasser des anglais en 1948. Leur volonté était d’unir les Arabes et les Juifs contre les anglais, ils ont été pourchassés autant par les anglais que par les arabes, comme si, dès la naissance de ce pays rien ne pouvait se passer sans la violence. Leurs enfants représentent une partie du panel des choix des habitants d’Israël : les croyants qui trouvent dans la foi une réponse à la violence et dans les histoires rabbiniques des messages métaphoriques (que j’ai eu parfois du mal à comprendre), deux des enfants ont choisi de vivre loin de ce pays trop compliqué pour eux l’une aux USA, l’autre en Colombie, Atara cherche dans le respect des traditions architecturales un sens à son pays, un des fils de Rachel rejette sa mère qui est allée vivre dans une colonie dans les territoires occupés. Tous vivent avec un sentiment d’insécurité qui les taraude et plusieurs fois dans ce roman les personnages se posent la question de leur légitimité.
C’est un roman très anxiogène et pourtant il a été écrit avant le 7 octobre 2023, c’est aussi un roman sur la culpabilité et une introspection parfois trop poussée à mon goût sur le rôle des parents vis à vis de leurs enfants
Extraits
Début.
Debout derrière la porte close, elle se tient immobile. À quoi bon appuyer sur la sonnette ou frapper, puisque de toute façon, la maîtresse de maison a remarqué sa présence.
Leur fils.
Eden, enfant paradis, qui dès sa naissance, leur a procuré tant de joie, tant de fierté, que lui est-il soudain arrivé, lui qui a montré une résistance inattendue et exceptionnelle, qui a surmonté les entraînements les plus épuisants, exigeant de lui-même chaque jour davantage, qui a pris part à des raids et des opérations militaires dont, bien sûr, il ne pouvait rien dire, il ne leur disait donc rien, ni avant ni après, et seul son regard vide permettait de temps en temps, d’imaginer d’où il revenait – un lieu où il n’y avait ni jour ni nuit ni hésitations ni questions, où seule la mission comptait, plus sacrée encore que la vie humaine.
Les reproches d’un fils.
Il lui en veut comme si elle était toujours une jeune mère suffisamment forte pour donner, réparer, se défendre, et non une vieille dame dont il faut prendre soin. Le jour où il comprendra qu’il y a plus personne à qui demander des comptes, je mourrai, songe-t-elle souvent, ou alors, il ne comprendra qu’à ma mort
Et c’était écrit avant le 7 octobre 2023.
« Bon, écoutez, ma petite Atara, lui dit-il avec une expression mielleuse, écoutez-moi bien, je n’arriverai jamais à vendre mes appartements sans la construction d’une pièce sécurisée. À la prochaine guerre, ce sera une question de vie ou de mort. Vous m’accorderez que c’est plus important que l’esthétique. Vous vous souvenez de ces familles, dans le sud du pays, qui n’ont été sauvées que grâce à leur chambre forte ? Et si jamais ça arrivait ici ? Vous voulez avoir la mort d’enfants sur la conscience ? »
Les groupes avant l’état d’Israël .
Les membres du Lehi étaient tellement isolés que même pour leurs funérailles on les laissait dans une solitude extrême et inexcusable, alors que la dépouille de ceux qui appartenaient à la Hagana recevaient tous les honneurs posthumes et était suivie par les foules manipulées et soumises
Dans leur réseau on trouvait aussi bien des socialistes et des communistes que des révisionniste ou des mystiques et des révolutionnaires. Ce qui les unissait n’était pas une vision du monde identique, mais une ferveur identique. Chacun avait sa foi, croyait à sa manière en des doctrines différentes, mais quel que fût leur bord, ils étaient tous des jusqu’au-boutistes. C’est ce qui leur attirait les foudres autant de la droite que de la gauche Très peu de gens avaient su à l’époque – et c’était encore le cas, voire pire aujourd’hui-, qui avaient réellement fait partie du Lehi. Personne n’avait eu conscience de l’envergure de leur vision. Ils rêvaient d’une révolution qui mettrait en ébullition à tous les peuples de la région, d’un Moyen-Orient libéré de toute impérialisme et imaginaient des déplacements volontaires et logiques de populations.
Les sentiments d’une ex- pionnière .
Elle se sent désemparée devant l’extrême changement du paysage donc elle ne reconnaît plus rien. Israël est devenu un endroit surpeuplé, gris, barricadé, qui se cachent derrière des murs et des barbelés -signe qu’il n’a plus foi en sa légitimité.Nous avons bien changé, toi et moi, songe-t-elle en regardant son visage fané dans le rétroviseur extérieur. Tout comme on ne peut plus reconnaître en toi le pays que tu étais, on ne peut plus reconnaître en moi l’adolescente que j’étais. Et moi non plus, je n’ai peut-être plus foi en ma légitimité car je me sois présent si vulnérable que même le regard bienveillant de mon fils me brûle la peau