Édition Flammarion, 284 pages, mars 2024.

Comme vous pouvez le voir sur ma photo ce roman a reçu 3 coups de cœur de notre club, cela veut dire que toutes les lectrices lui en avait attribué un, aucune n’avait de réserves. Je l’ai donc lu après elles, moi aussi, car elles en parlaient bien. Je pense que j’aurais émis une réserve, car je trouve une histoire un peu simple. En même temps, sous cette apparente simplicité du quotidien vie se cache beaucoup d’analyses exactes à propos des rapports humains aujourd’hui.

J’ai aimé le procédé de départ : elle répond à une lettre qu’elle aurait écrite quand elle avait seize ans, vingt deux ans plus tard elle répond à cette toute jeune fille. Dans la vie comme dans le roman, la narratrice a écrit un roman l’année de seize ans « Respire » qui a connu un succès immédiat, l’adulte qu’elle est aujourd’hui, sait que les médias s’emballent facilement et respectent peu quelqu’un qui ne sait pas se défendre. C’était son cas, elle a été la coqueluche des plateaux de télé, avant d’être traitée de « petite dinde » par son agent littéraire. La description du monde de l’édition, qui veut pousser les auteurs dans des succès rapides, est implacable et sans doute exacte. La jeune écrivaine se bat dans une relation amoureuse nocive, son amoureux la dévalorise sans cesse, et dans des amitiés féminines où la jalousie n’est pas absente. Elle raconte aussi la difficulté pour une femme d’être respectée, on retrouve ici tout ce qui fait notre actualité : un féminicide, une relation sexuelle pas vraiment consenti avec un vieux bien sûr de son pouvoir, une jeune femme qui fait un mariage de rêve mais lutte contre chaque gramme en trop. C’est peut être de là que ma réserve est née, c’est peut être un peu trop, mais Anne-Sophie Brasme le raconte très bien.
J’ai beaucoup aimé que finalement, elle s’épanouisse dans le métier de professeure de lettres au lycée, elle en parle très bien. Mais surtout j’aime le message que contient ce livre à l’adresse des jeunes, « devenez ce que vous voulez être, ne laisser personne vous définir ».

Pourquoi une petite réserve ? très légère d’ailleurs, peut-être une trop grande proximité avec ce récit. Je me trouve bien sévère mais je n’arrive pas à lui mettre cinq coquillages.

 

Extraits

Début .

Entre mes seize et dix huit ans, juste avant la parution du « Premier Roman » , j’ai tenu un cahier.
 Ce n’était pas vraiment un journal ni un cahier d’histoire comme ceux que je remplissais depuis le primaire. Cela ressemblait plutôt à une collection. Une superposition hétéroclite de fragments – citations, photos, collages, réflexions diverses – qui mises bout à bout, constitue désormais une sorte de portrait cubiste de mon adolescence.

L’imposture .

 L’imposture me colle à la peau. C’est à elle que je dois mes timides avancées dans l’écriture, malgré un début tonitruant. À elle que je dois mes relations toxiques. mon idolâtrie pour des êtres que je croyais supérieurs. Cette imposture, c’est cette voie encore qui me murmure en ce moment même :  » Mais pour qui tu te prends ? Qui es-tu pour raconter ta vie ? » Même à trente-huit ans, je ne peux m’empêcher de lui donner raison.

La Sorbonne, licence de lettres.

Tes profs de fac sont des pontes, ils ont écrit des livres que tu étudies. Beaucoup d’hommes, blancs, sexagénaires, alors que les trois quarts de l’amphi sont des jeunes filles. Tu te demandes ce qui se passe entre la première année de fac et le statut de professeur d’université pour que tant de femmes renoncent à leurs ambitions. Tu n’as pas encore entendu parler du « syndrome de l’imposteur », tu ne sais pas encore que le brio n’y est pour rien dans cette absence de représentativité, que c’est une question politique.

Le plaisir d’être professeure.

Toi qui n’a jamais su prendre la parole en public, toi qui n’as pour toi-même aucune estime, tu t’étonneras de faire cours avec autant d’aisance. Devant ces adolescents assis devant toi, tu te trouveras une épaisseur jamais soupçonnée. Toi l’austère, la solitaire, tu t’apprendras énergique, enthousiaste, parfois même drôle. Tu oublieras les heures de route quotidiennes, les paysages métalliques, les couloirs gris aux odeurs de cantine. La classe sera ton refuge. L’espace que tu n’auras jamais rue Taison, il est là, le voici  : dans la salle 240, où pendant des centaines d’heures tu commenteras les textes de Flaubert de Camus ou de Duras. C’est là que tu seras toi-même. Sans inquisiteur. Sans faux-semblants. Là que ton cœur recommencera à frapper, sans craindre les défis, les gamins des abusés, les misères sociales, le niveau parfois désastreux. Là te que tu te découvrira capitaine capable d’emmener loin d’autres que toi.

Liste des enseignants titulaires du département Littérature et Linguistique Françaises et Latines Sorbonne

Juste pour montrer que les temps ont bien changé il y a 40 femmes, 21 hommes , deux Dominique (hommes ou femmes ?)


Édition Gallimard NRF, 161 pages, mars 2024.

 

Quel beau livre, tout en retenu et pourtant qui en dit tant sur notre passé et peut-être sur notre avenir si l’on doit un jour défendre nos valeurs face à une tyrannie. Hervé Le Tellier est pour la quatrième fois sur Luocine, et je n’ai, cette fois, aucune réserve : j’avais bien aimé « Toutes les familles heureuses » un peu moins « Assez parlé d’amour » , j’ai eu encore quelques réserves pour « Anomalies » qui lui a valu le prix Goncourt. J’ai supposé que ce prix lui a permis d’acheter une maison dans la Drôme qui va lui inspirer ce récit.

Sur le mur de cette maison, il y lit un nom : « André Chaix ». L’écrivain recherche qui est cet homme, très vite il apprend que c’est un résistant français qui est mort à 20 ans dans une attaque contre des blindés allemands à Grignan. À travers des photos et ce qu’il apprend des évènements qui ont secoué cette région à la libération, nous commençons à mieux connaître André Chaix amoureux de Simone, qui a très vite rejoint les maquis. Le débarquement en Normandie s’annonce et a lieu, les résistants par des actions de guérilla ralentissent le retour vers la Normandie de l’armée allemande. Le groupe d’André Chaix ne s’est pas replié alors qu’il ne pouvait pas tenir face aux chars allemands. Mais l’auteur réfléchit aussi sur ce que fut la collaboration , la résistance, et l’épuration. Après les différents crimes de guerre de l’armée allemande – tout le monde se souvient d’Oradour-sur-Glane- Hervé Le Tellier rappelle qu’en 1953, il n’y avait plus aucune personne en prison pour des faits de collaboration.

J’ai beaucoup aimé dans ce court récit le respect avec lequel, l’auteur parle d’André Chaix, le jeune homme amoureux, le résistant, il est très présent et face à cette dignité toute simple que l’on devine, les propos des intellectuels collabo : Céline, Brazillac, Rebatet sont insupportables. Hervé Le Tellier réfléchit aussi sur la façon dont on peut embarquer une population vers le Nazisme, en particulier cette expérience de « la vague’ où un professeur entraîne toute une classe vers un comportement proche du Nazisme.

Un livre qui permet de réfléchir sur notre passé et en ce moment ce sont des questions qu’il est important de se poser.

 

Extrait

 

Cela fait du bien de commencer un livre par un sourire.

 Je cherchais une « maison natale ». J’avais expliqué à l’agent immobilier
 : pas une villa de vacances, pas une ruine « à rénover », pas une « maison d’architecte », pas un « bien atypique », ces bergeries ou magnaneries transformées en habitations où l’on se cogne dans les chambranles de porte à hauteur de brebis.

La résistance.

 Et puis la Résistance est loin d’être un corps chimiquement pur. C’est une nébuleuse qui prendra du temps pour trouver son centre, si elle le trouva jamais, Certains luttent contre les envahisseurs allemands, d’autres contre le nazisme, et ensemble ils lutteront contre le « Boche ». Ce but minimal et commun va tisser des liens improbables entre des hommes et des femmes aussi singuliers, aussi uniques, qu’un ouvrier et poète arménien nommé Missak Manoukian, une professeur agrégée communiste, Lucie Aubrac, ou un Camelot du roi mauracien et antisémite, comme le nom moins héroïque secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier -qui évoluera profondément jusqu’à se décrire à la fin de la guerre comme « presque communiste ».

L’après guerre.

 De toute façon après la loi d’amnistie du 6 août 1953 sur les crimes ou fait de collaboration, il n’y a plus dans les prisons françaises un seul condamné pour des délits liés à l’Occupation. Même les assassins de Tulle, de Figeac d’Argenton-sur-Creuse, les bourreaux d’Oradour-sur-Glane et on en oublie, les rare qui ont été emprisonnés, tous, absolument tous sont libres dès 1953. On n’a pas voulu emprisonner les « malgré-nous » alsaciens de la 2e division SS Das Reich, qui représentent pourtant les deux tiers des accusés. Le verdict accablant du procès de Bordeaux n’aura aucune conséquence, et quand les églises d’Alsace sonneront le tocsin à la suite des condamnations, l’amnistie viendra l’annuler. La pauvre Creuse rurale peut bien pleurer ses morts. Elle devra s’incliner devant la riche Alsace industrielle seule région de France où jamais personne n’aura été nazi.

Merci pour cette explication .

 Du couvre-feu en vigueur après février 1942 en zone occupée, il nous reste l’expression oubliée « se faire appeler Arthur » pour « se faire disputer » puisque pour réprimander le retardataire le soldat allemand criait « Acht Uhr ! » – huit heures.

Paradoxe.

 L’historien anglais Thomas Fuller a écrit que « beaucoup seraient lâches s’ils en avaient le courage ». Cette phrase m’a toujours rassuré si l’héroïsme aussi contient sa part de conformisme, alors me voilà absous de la veulerie potentielle que je pressens en moi. Mais l’aphorisme de Fuller ne dit rien ne dit bien sûr rien des gens vraiment courageux.

 


Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 

Édition « Aux forges de Vulcain » , 204 pages, mai 2023

 

Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’Enfer.

J’avais beaucoup aimé ‘Une bouche sans personne » du même auteur. On retrouve, ici, ce style si particulier entre oral et poésie, ente gouaille et sérieux, qu’il manie si bien. Je dois à Gambadou l’envie de lire ce roman. Et si j’en juge par les commentaires à son billet, je n’étais pas la seule. On retrouve bien le ton de cet écrivain et même si le sujet est grave, on est pris par ce récit et parfois on sourit. J’ai surtout été très émue à cette lecture. Je vous rappelle le sujet : le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, qui a perdu une main à la guerre, à son retour il retrouve Anna son grand amour et se lance à corps perdu dans la recherche des soldats que les familles recherchent désespérément. Une mère l’engage pour retrouver son fils, Émile, dont elle a perdu la trace. En commençant ses recherches notre enquêteur se rend compte qu’Émile était très amoureux d’une Lucie alsacienne. Tout le livre est construit sur cette recherche d’un amour impossible, que la mère d’Émile nie de toutes ses forces. Cette jeune paysanne n’était pas jugée assez bien pour cette grande bourgeoise. Émile est un poète fou d’amour, et se fiche des jugements de sa mère. Il partira en Alsace pour retrouver son amour mais hélas la guerre va les séparer. Et quelle guerre ! Cette quête permet à l’auteur de se retrouver sur tous les champs de bataille au milieu de toutes les horreurs possibles , d’y croiser un être appelé « la fille de lune », qui aide les mourants abandonnés de tous lors des batailles sanglantes, de parler avec un rabbin qu’on appelle le curé, de croiser des infirmières allemandes plus humaines qu’un horrible médecin français qui sadiquement envoie des charges électriques à tous les malades psychiatriques de peur qu’ils soient des « tire-au flanc » .
Un des moments très fort du récit se passe en Alsace, il y rencontre un père qui a perdu un fils à cette guerre, mais est-il toujours un héros lui qui était, évidemment dans l’armée allemande. Je me suis posée alors, cette question, les femmes française veuves de guerre touchaient une pension, mais qu’en était-il pour les femmes alsaciennes ?

Un très beau livre, merci Gambadou de l’avoir si bien présenté, j’espère, à mon tour, vous avoir donné envie de le lire.

 

Extraits

Début.

 Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L »image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges où de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparé à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.

J’aime bien son style.

J’ai pris un train et j’ai marché jusqu’à un joli petit village qui venait d’inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C’était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J’avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote.

Il me fait rire.

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinematographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Pais s’amusait et s’incouciait. Coco chanelait, André bretonnait, Maurice chevaliait.

Verdun.

 C’est comme ça que je me suis retrouvée avec mon drôle de bricolage et mon volant à la main. À relier Bar-le- Duc à Verdun sur la Voie sacrée. À l’époque on ne l’appelait pas comme ça. On disait simplement « la Route ». Comme s’il y en avait qu’une seule. Une colonne interminable de camions. Des soldats valides dans un sens, estropiés dans l’autre. Et du matériel. Des canons, des obus, de la nourriture, des bêtes, du vin. On conduisait sans jamais s’arrêter ou presque. Cinquante-sept kilomètres entre la civilisation et la barbarie. Cinquante-sept kilomètres où l’on conduisait à longueur de journée, à longueur de nuit, comme des automates fous.

Sentiments des Alsaciens en 1919.

 Mais la première fois que j’y étais était allé, au printemps 1919, je m’attendais à trouver une terre en fête : après tout on s’était battu quatre années pour leur redonner leur dignité. Évidemment ce n’était pas le sentiment général. Parce que, premièrement, il n’avait jamais perdu leur dignité et, deuxièmement tous n’avaient pas été ravis de devenir français. Sans compter que, parmi les morts de chaque village, la plupart s’étaient pris des balles françaises. Allez expliquer à une veuve de guerre que c’était une balle pour la bonne cause :  » On a tué votre mari … Mais,bonne nouvelle, vous êtes de nouveau française, madame ! »

Cet auteur a le sens des phrases justes.

 Il a fini par reprendre : « pensez-vous que l’on puisse mourir en héros si l’ennemi d’hier devient la nation de demain ? ».
 Je lui ai répondu que l’on pouvait mourir en héros en sauvant ces camarades. Il a souri. Tristement, mais il a souri.
En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres.

Le poème final.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
 Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.

 


Les éditions de l’observatoire, 404 pages, novembre 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai toujours un sentiment très positif lorsque j’apprends un aspect nouveau sur une période que je croyais bien connaître. Que savait-on du déminage après la seconde guère mondiale ? Que savait-on du traitement des prisonniers allemands en France ?

Grâce à ce roman, j’en ai appris beaucoup sur ces deux sujets, pourquoi est ce que je me retiens de lui mettre 5 coquillages ? Le romanesque est bien construit pour l’intrigue, mais je n’ai complètement cru aux personnages de « Vincent » , ou plutôt Hadrien.
J’explique rapidement l’intrigue : Hadrien, vient se proposer comme démineur à Fabien, un héros de la résistance, il le fait sous une fausse identité, et nous apprendrons que tardivement pourquoi (donc je n’en dis rien !), en revanche, ce que nous savons immédiatement, c’est que, s’il veut devenir démineur, c’est pour se rapprocher des prisonniers allemands, qui seuls peuvent lui expliquer ce qui est arrivé à Ariane son grand amour.

Fabien est un meneur d’hommes et un démineur très doué, il est aussi très humain et il sera le premier à ne pas considérer les Allemands comme de simples nazis à mépriser. Parmi les allemands il y en a deux qui sortent du lot : Lukas, un ancien libraire qui n’a jamais été nazi et Mathias un violoniste très sensible.

Un autre personnage sera important Saskia, très jeune fille juive, qui revient des camps et est persuadée qu’elle pourra retrouver facilement la propriété de ses parents. C’est là un autre thème du roman que j’ai déjà lu, à quel point à la sortie des camps on faisait une différence entre les juifs et les résistants qui avaient servi la France, pourtant les deux revenaient bien des mêmes camps ! Et à quel point ils ont eu du mal à récupérer leurs biens.
Saskia a été inspirée à l’auteure par une femme juive qui lui a raconté son retour : l’appartement où ses parents avaient toujours été locataires était loué et on lui a demandé pour le récupérer de payer les arriérés des loyers depuis que ses parents avaient été raflés !

Le récit est très précis dans la description des différentes mines et les dangers mortels qu’il y avait, à les désamorcer. L’auteure explique aussi à quel point le traitement des deux débarquements : Normandie et Provence, connaît une postérité différente. Pourtant le débarquement de Provence a été un succès et un succès français ! Elle rappelle aussi la volonté de de Gaulle de ne pas laisser au privé le soin de la reconstruction, il avait de mauvais souvenirs de ce qu’il s’était passé dans le nord après la guerre 14/18. Les entrepreneurs privés s’étaient enrichis au détriment de la qualité de la reconstruction. La pression immobilière dans cette région attise pourtant bien des convoitises de promoteurs privés..

Historique également, le travail si pénible du déminage que les Français et les Allemands ont fait ensemble. L’évolution des sentiments des uns et des autres est bien analysé, au début les Français emplis d’une haine justifiée le plus souvent , ne voient dans cette main d’oeuvre captive qu’une façon de se venger des récentes horreurs vécues, quitte à ne pas respecter la convention de Genève concernant le statut des prisonniers de guerre, mais peu à peu l’Allemagne étant vaincue et les Allemands n’ayant plus peur de la gestapo, leur humanité et leur efficacité vont changer le regard que les démineurs vont porter sur eux.

Une toile de fond historique parfaite, une réserve sur l’aspect romanesque , mais je reconnais que tous les livres historiques sur ce sujet existent depuis longtemps et que je ne les ai pas lus. Alors un grand merci Claire Deyat.

 

Aifelle est un peu plus critique que moi. Kathel  exprime les mêmes réserves que moi, sur l’aspect romanesque mais souligne le sérieux du travail historique sur le déminage.

 

Extraits

Début .

S’il retrouvait Ariane, Vincent n’oserait plus caresser sa peau. Ses mains avaient atteint des proportions qu’il ne reconnaissait pas. Dures, les doigts gonflés, leur enveloppe épaisse, rugueuse et sèche ;elle s’étaient métamorphosée. La corne qui les recouvrait était si aride que, même lorsqu’il les l’avait, longuement, soigneusement, elles ne s’attendrissaient pas.

Après la guerre, le déminage.

 Fabien donnait du sens à leurs missions. En libérant la terre de ces pièges mortels, ils se sauvaient eux-mêmes, se rachetaient, se délivraient de la culpabilité. Car tout le monde se sentait coupable : d’avoir trahi, menti, volé, abandonné, de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas s’être engagé dans la Résistance – ou dans la résistance de la dernière heure -, d’avoir tué un homme, plusieurs, d’avoir survécu là où tant d’amis étaient tombés. Chaque homme portait en lui cette part de culpabilité, immense en ces temps troublés et dont il devait pour continuer d’avancer, sinon se débarrasser, au moins s’arranger. Fabien savait suggérer à ces hommes que le déminage pouvait leur apporter la rédemption que, sans se l’avouer, ils n’osaient plus espérer.

Les différentes sortes de mines.

 Il y avait donc sur la plage ses engins effrayants, gigantesques, que les démineurs appelaient des sarcophages ou des tombeaux ; ils promettaient comme eux un passage certain vers l’au-delà, seulement ceux qui trépassaient en passant par ces sarcophages-là étaient moins bien conservés que les pharaons d’Égypte
Ces monstres de plus de mille quatre cent kilo d’acier et d’explosifs s’étalaient dans le sable comme des otaries mécaniques et prenaient leurs aises. Impossible à soulever. Les Allemands partis, les mines sarcophages persistaient à leur place par leur pénible force d’inertie et la garantie de destructions impitoyables .

Le retour des juifs.

 « Tenez, et ne faites pas d’histoires ».
 Personne n’avait envie d’entendre. Pourtant ce qu’elle avait raconter, ce n’était pas des histoires, mais l’Histoire avec un grand H et toutes ses minuscules, l’Histoire comme elle peut être dégueulasse, l’Histoire qui ne va pas dans le sens du progrès, ni de l’idée que l’on voudrait se faire de l’humanité, l’Histoire qui n’aurait jamais dû admettre cette enfer, l’Histoire qu’il ne faudra jamais oublier.
 Lorsqu’elle avait entendu cette exhortation désespérante pour la première fois, elle ne savait pas à quel point elle la suivrait partout. Leur histoire n’intéressait personne. Celle des résistants, oui, la leur leur, non. On voulait des héros pas des victimes.

Le regard des soldats allemands.

Ce regard qu’on ne voulait pas croiser sous peine d’être foutu mais qu’on devait affronter sous peine d’être suspect. Ce regard – à lui seul le symbole du projet nazi- qui examinait, évaluait, disséquait, méprisait, jugeait, triait, sélectionnait, ce regard qu’on n’oubliait pas, ce regard de mort qui faisait détester les yeux quand c’est par les yeux pourtant qu’on se parle de première abord, quand les yeux sont ceux qui sauve toutes les espèces vivantes de leur part sombre ; ce regard haineux dénaturait la vocation du regard, et canalisaient la part la plus hostile de l’être humain. Alors oui, on pouvait penser que tous les Allemands étaient les mêmes, car la diversité des corps des traits s’effaçait sous le corset de l’uniforme, du képi, et du regard qui commandait tout le reste.

 


Édition Acte sud, 200 pages, Janvier 2024

Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je lis ce livre le premier mai 2024, jour de la mort de Paul Auster, il résonne de façon très particulière car il s’agit justement, d’un roman sur la mort et la difficulté de rester dans le monde des vivants d’un auteur appelé Baumgartner marié à une Anna Blum . L’avoir lu ce jour là, en a changé complètement la perception. Tous les passages sur la mort et le deuil résonnaient comme des phrases prémonitoires et me rendaient triste car je comprenais que ce serait là le dernier roman que je lirai de cet auteur qui a accompagné ma vie de lectrice (avant Luocine).

Baumgartner est un auteur vieillissant qui perd pied dans la lutte pour rester dans le monde des vivants. Le récit commence par ce que les américains appellent un « bad-day » : alors que l’auteur est en train d’écrire, il s’arrête parce qu’il sait qu’il doit appeler sa sœur, il se rend dans la cuisine, il voit qu’il a oublié une casserole sur le gaz, il se brûle en la prenant à pleine main, on sonne à la porte, un homme vient pour vérifier le compteur comme ce contrôleur est nouveau, il descend avec lui dans la cave en oubliant que sa main est brûlée, il tombe en voulant se retenir à la rampe et se se fait très mal…

Si je vous raconte ce début, c’est qu’une grand partie des journées de l’écrivain sont ainsi composées de faits qui s’enchâssent les uns dans les autres et qui montrent que l’homme vieillissant oublie souvent son projet initial. Ce qu’il n’oublie pas, en revanche, c’est son amour pour Anna, sa femme qu’il a aimée avec passion. Une femme libre et poétesse dont la mort violente l’a terrassé. Elle a été écrasée par une vague trop violente alors qu’il venait de lui conseiller de ne pas retourner se baigner. Dix ans plus tard, une femme beaucoup plus jeune lui redonnera le goût de l’amour, mais leurs différences d’âge et de vie les feront se séparer. Et à la fin du livre, on verra une jeune doctorante s’intéresser enfin à l’oeuvre d’Anna.
Vous l’avez compris, nous errons dans les pensées de ce vieil homme, le frère en littérature de l’écrivain (avec un certain humour car Paul Auster n’a pas écrit de romans sur… la roue !), et je sais que, beaucoup d’entre ses lecteurs, ont trouvé ce roman moins intéressant que ses autres livres. Je ne peux pas en juger, car j’étais trop émue en le lisant. Si je peux me permettre un avis contraire à ces spécialistes de l’oeuvre de ce grand écrivain, je trouve que c’est injuste de comparer cet ultime roman à ceux qu’il a écrit alors qu’il était en pleine possession de tous ses moyens. Pour moi ce roman est un petit chef d’oeuvre qui décrit si bien la vieillesse. La perte des êtres chers, la difficulté du quotidien, le détachement des biens de ce monde, la modernité qui nous dépasse et nous exclut du monde des actifs, l’esprit qui part en campagne et qui revient sans cesse sur les moments du passé heureux ou malheureux. Il est possible que cela intéresse moins la jeunesse qui justement est dans l’autre partie de sa vie, mais toutes celles et tous ceux qui, comme moi, ont lu cet auteur tout au long de leur vie ne peuvent qu’être émus par ce roman. Car on se retrouve tellement dans ce livre, pour moi, il s’agit d’une réflexion à portée universelle sur le vieillissement, que l’on soit puissant, riche, pauvre, intellectuel ou pas, on se trouve tous confronter aux mêmes voyages dans nos pensées. (Bien sûr l’argent aide au confort de vie, mais ce n’est pas le sujet du roman.)

Un coup de coeur pour ce livre, mais aussi une grande tristesse de savoir que je ne lirai plus de nouveaux romans de Paul Auster,( je sais que je peux relire les anciens, je le ferai sans doute) .

Extraits

Début.

Baumgartner est assis à son bureau dans la pièce du premier étage qu’il désigne parfois comme son bureau, son « cogitorium » ou son trou. Stylo en main, il est engagé à mi-chemin dans une phrase du troisième chapitre de sa monographie sur les pseudonymes de Kierkegaard quand il lui apparaît que le livre qui a besoin de citer se trouve en bas au salon, où il l’a laissé avant de monter se coucher la veille.

Le deuil de sa femme .

Baumgartner continue à sentir, aimer, désirer, à vouloir vivre mais son intériorité la plus intime est morte. Il le sait depuis dix ans, et durant ces dix ans il a fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour ne pas le savoir. 

Texte prémonitoire .

 Il pense aux mères et père vivant le deuil de leurs enfants défunts, aux enfants vivant celui de leurs parents, aux épouses vivant le deuil de leurs maris, aux époux celui de leurs femmes, et à la ressemblance entre leur souffrance et les effets consécutifs à une amputation, car la jambe ou le bras manquant était jadis attaché à un corps vivant, la personne disparue à une autre personne vivante, et si vous êtes le survivant, vous allez découvrir que la partie de vous amputée, la partie fantôme, peut toujours être source d’une douleur profonde et sacrilège.

Les affres de l’écrivain.

 Un an et un mois plus tard Baumgartner est assis au même bureau dans la même pièce, à se demander s’il doit garder la phrase qu’il vient d’écrire ou la raturer pour recommencer. Il la rature, mais avant de recommencer il se soulève de son fauteuil, marche jusqu’à la fenêtre ouverte et regarde de jardin en bas, à l’arrière de la maison.

L’amour .

 Un petit sourire à l’automne, une deuxième rencontre fortuite au printemps, et maintenant un grand sourire : c’était là tout ce qui s’était passé jusqu’alors, et pourtant on eût dit que nous nous connaissions déjà depuis un moment, et peut-être était-ce le cas, car il était évident que chacun de nous avait continué à penser à l’autre de temps en temps au fil des nombreux mois entre alors et maintenant, et à présent que le sort nous avait de nouveau réunis, je sentis que nous étions également déterminés à ne pas tout foirer de nouveau en laissant ce moment disparaître.

Caractère d’Anna.

 Peu importait qu’elle ait tort ou raison, puisqu’elle avait toujours raison même quand elle avait tort, et Baumgartner avait vite appris que la capitulation était la seule défense raisonnable, car une fois qu’il s’était rendu, la dispute prenait fin et était oubliée en quelques secondes. 

C’est fou de lire cela le jour où on annonce la mort de Paul Auster.

 Qui sait si ce n’est pas la dernière belle journée qu’il verra jamais, ou sa dernière journée tout court d’ailleurs ? Non qu’il s’attendent à tomber mort avant le réveil des oiseaux demain matin, mais les faits sont les faits, et les chiffres ne mentent pas. Il a soixante et onze ans, un anniversaire de plus profil dans six semaines exactement, et une fois qu’on est entré dans cette zone de diminution de rendement tout peut arriver.


Édition Robert Laffont, 204 pages, février 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cela fait longtemps que je n’ai pas lu un roman aussi facile à lire et aussi décevant. Les deux à la fois, aucune aspérité dans le récit qui se déroule sur fond du deuil de la meilleure amie de la narratrice et des mariages que celle-ci doit organiser. J’ai souri quand même aux organisations des mariages et c’est ce qui rend ce roman digne des pires « roman à l’eau de rose », un peu supportable. Et puis, bien sûr, il faut satisfaire à l’air du temps, donc nous avons une femme transgenre rejetée par sa famille qui n’a pas accepté la transformation en femme de ce garçon malheureux dans sa peau masculine, nous avons un mariage homosexuel, un renouvellement des vœux de mariage d’un couple qui a caché sa séparation à leurs enfant, je pense que décrire un mariage de gens qui s’aiment ne ferait pas assez romanesque.

La narratrice a aimé avec passion sa meilleure amie qui, mariée, a eu une petite fille dont elle est la marraine, le père part en Sicile pour être proche de sa famille, la narratrice raconte son amitié à travers des mails destinés à l’enfant quand elle sera plus grande et cela permet de raconter le passé.

Tout est lisse dans ce roman , une succession de clichés, mais je le reconnais assez bien racontés. Les traditions siciliennes, la cuisine italienne, la jalouisie d’une grande soeur, les couples qui vont mal … Si vous êtes épuisé par le monde contemporain et ses violences, gardez une heure ou deux pour vous plongez dans le monde tout en sourire de Serena Guliano. je vous donne les mots de la fin mais ne les lisez pas si vous avez envie de lire ce roman car vous risquez de fuir  :

Fin à moins que …

et page suivante

les adresses mails de Valentina et Bianca existent.

Alors, si vous souhaitez leur écrire pour échanger avec elles, et pour que l’histoire continue, vous savez où les trouver

Extraits

Début.

 Cela fait un mois que ma vie a basculé. Un mois que je vis avec une douleur constante sur la poitrine, et un trou béant dans le cœur.

Le plaisir de son métier .

 C’est exactement pour cette effervescence des heures qui précèdent la cérémonie que je fais ce métier et que je vibre. C’est ce moment précis où les mois de travail, de réflexion, de prise de tête, de négociations, d’angoisse et de petites victoires prennent tout leur sens. Ce moment où mes projets deviennent enfin réels et se concrétisent. J’ai l’impression que, chaque fois, je réalise mon rêve de petite fille.

 

 

 

 


Édition Seuil, 334 pages, paru en mai 2024

lu dans le cadre de Masse Critique de Babelio

Je dois déjà à Babelio la lecture de « Les oiseaux chanteurs » , qui m’avait ensuite conduite à lire « l’agriculteur d’Alep » qui est certainement mon roman préféré de cette écrivaine.

Dans ce récit à plusieurs temporalités, l’auteure nous raconte la terrible tragédie d’un incendie meurtrier en Grèce en 2017 ou 2021. Elle choisit pour cela une famille, un peu à son image, à la fois grecque et anglaise. La mère est d’origine grecque, ses parents avaient été chassés de Turquie en 1920. Le père, lui, est grec et toute la famille vit dans une région montagneuse tout proche de la mer. Le grand-père vit de la récolte de la résine des pins et prédit depuis plusieurs années une catastrophe à cause de la sécheresse de l’été qu’il sent de plus en plus extrême, chaque année.

Le roman repose aussi sur un sentiment de culpabilité. Qui est vraiment responsable ?

Pour la population, c’est celui-ci qui a allumé le feu.

C’est simple ! D’autant plus que, celui qui a fait cela, est un homme peu aimé dans le village, il avait décidé de construire un grand hôtel au sommet de la colline, la mairie le lui a refusé car il y avait de très beaux arbres sur ce terrain, il a donc décidé de les brûler .

Oui, mais, il faut dire qu’en Grèce tout le monde fait cela ! Mais alors pourquoi ce feu a-t-il pris un tour aussi tragique ?

  • Le vent !
  • Les pompiers qui n’ont pas réagi à temps !
  • La police qui n’a su ni aider ni protéger la population !
  • Les habitants qui n’entretiennent plus correctement les sous-bois !
  • Mais surtout, la forêt était devenue aussi inflammable que de l’amadou avec ces étés de plus en plus secs.

L’incendiaire est retrouvé par la femme qui a réussi à survivre et à sauver sa fille qui a le dos brûlé, et dont le mari peintre a les mains brûlées et ne se remet pas de ne pas avoir pu sauver son père. Elle se rend compte que l’homme est vivant mais avec une corde autour du cou et une branche d’arbre cassée à côté de lui. Elle repart en le laissant puis reviendra, mais trop tard, elle se sent très, très, coupable.

Une des temporalité, c’est justement le sentiment de culpabilité de la mère qui n’a pas tout fait pour sauver cet homme qui a détruit son bonheur.
L’autre temporalité c’est la façon dont cette mère a réussi à sauver sa vie et celle de sa fille, en particulier en la maintenant en vie dans l’eau après avoir réussi à atteindre la mer, malgré les grillages des propriétés qui bordent la mer.

Christy Lefteri raconte aussi la rencontre qui unira Irini, professeur de musique à Tasso peintre, et leur amour pour cette région qui leur donne une énergie que rien ne semble pouvoir atteindre. Rien ? Sauf cet incendie qui ravage toute forme de vie sur son passage et risque d’éteindre l’espoir, mais l’humain est ainsi fait que la vie et le sourire reviendra à la fin du roman.

C’est très bien raconté, et le suspens au moment de la fuite devant le feu est insoutenable. Pourtant, j’ai une petite réserve un peu difficile à expliquer, on sent trop la volonté de l’auteure de montrer tous les aspects du problème posé par les incendies incontrôlables. Par exemple, le personnage qui a allumé le feu est détesté par tout le village, mais Irini recevra sa fille et l’ex-femme de cet homme et l’amour de cette petite pour son père (qui en plus est sourde et muette), met mal à l’aise Irini, cet homme n’était donc pas seulement un monstre ? Les vraies responsabilités sont donc peut-être ailleurs, et personne n’est vraiment innocent en ne faisant pas tout ce qu’il faut pour bien protéger notre planète.

 

Extraits

 

Début.

 Ce matin j’ai vu l’homme qui a allumé le feu. 
 Il a fait quelque chose d’horrible, mais au bout du compte moi aussi.
Je suis partie.
Je suis partie, et à présent il est peut-être mort. Je me le représente parfaitement, tel qu’il était quand je l’ai trouvé sous le vieil arbre. Ses yeux aussi bleus qu’un ciel d’été.

La mythologie grecque.

 La mythologie grecque raconte que Zeus confia à Hermès deux dons destinés à l’humanité : la honte et le sens de la justice. Lorsque Hermès lui demanda s’il devait accorder ces qualités à certains plus à d’autres, Zeus répondit que non : tous les hommes devaient les posséder pour apprendre à vivre ensemble. Déjà en ces temps reculés on comprenait l’importance de la communauté. Les récits et les légendes permettaient de transmettre ses valeurs. Zeus ajouta même que celui qui n’éprouvait ni honte ni conscience d’avoir mal mal agi devait être mis à mort par la collectivité.
Mais c’était il y a des siècles, et depuis nous avons fait des progrès n’est-ce pas ?

La mer pour fuir le feu.

 D’abord la fraîcheur. C’est ce que ressentit la femme lorsque son corps toucha l’eau. La fraîcheur bleue sur sa peau qui la submergeait, l’enveloppait, chassait la chaleur. Elle ouvrit les yeux et vit les bulles de son souffle remonter vers la surface. Puis elle sentit la main de sa fille dans la sienne. Jamais elle ne l’abandonnerait et surtout pas dans un moment pareil.
 Lorsqu’elle émergea pour respirer, elle se tourna immédiatement vers le visage luisant de l’enfant. Sur sa peau, sur ses joues et dans sa bouche haletante, sur ses paupières fermées, partout rougeoyait le feu, comme si elle était faite de flammes. Cette image la hanterait toute sa vie : sa fille en flammes, l’eau et le feu qui scintillait sur son visage.

Responsabilités.

 Et aussi : où est le début, où est la fin ?
 Les gens d’ici ont construit tout le long de la côte des villas bloquant l’accès à la mer. Les gens d’ici n’ont pas ramassé le bois mort dans la forêt, ils ne l’ont pas entretenue, non pas veillé sur elle, n’ont pas pris soin d’elle. Et pourtant nous nous posons en justiciers, face à l’homme qui a allumé le feu, face à la police et aux pompiers.
 La terre était desséchée, plus assoiffée qu’elle ne l’avait jamais été . Qui est responsable de cette situation ?

Avant et Après l’incendie .

 Il y avait très, très longtemps, la forêt était vivante. Il fallait la voir !.Du sol poussaient des fleurs sauvages et des herbes aromatiques. Elle était belle et généreuse. Les oiseaux survolaient les bois, des animaux se glissaient à l’ombre des arbres vénérables et l’eau ruisselait du sommet de la montagne jusqu’à la mer. Mais depuis le feu, la forêt avait perdu ses contours. 
Avant il y avait des pins, des sapins, des peupliers, des platanes et des chênes. Ici vivaient des bellettes et des visons, des chats sauvages et des blaireaux, des lapins et des lièvres et des hérissons et des taupes et des rats et des lézards et des scarabées. Un beau cerf élaphe parcourait les plaines.
Il ne restait que le néant.
 À la place des couleurs de la forêt, les ténèbres avaient recouvert la terre.

 


Éditions le serpent à plume décembre 2004 décembre 2004

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Toujours ce thème de mon club : livres écrits en 2004, voici une tout petit roman ou une nouvelle un peu longue de Philippe Delerm, Je suis contente de mettre ce livre sur mon blog, car je me souviens d’avoir aimé « la première gorgée de bière » alors que tout mon entourage littéraire, méprisait totalement ces nouvelles qui connaissaient un grand succès, peut-être surtout pour cette raison. Mais, moi j’avais aimé cette description de petits plaisirs simples, car je trouve que savoir en profiter rend facilement heureux.

Ce livre raconte un homme qui a aimé une ville du Nord surtout le temps d’un amour qui n’a pas duré et puis qui tombe amoureux d’un petit village le long de la Garonne. Le narrateur sera de façon durable amoureux de la lumière des régions du sud qui sait changer la couleur des briques en un rose qui fait du bien alors que les briques du Nord sont si tristes. Il participera à une petite troupe de théâtre familiale dans lequel il se sent heureux.

Oui, c’est un petit rien mais Philippe Delerm sait bien raconter et je sais que lorsqu’on lit cet auteur dans les transports urbains, ( les livres de cette taille, se transportent facilement) il fait du bien et permet immédiatement de partir loin de la grisaille.

Extraits

Début .

 Moi j’aimais bien l’idée du Nord. Quand j’avais trouvé cette place de journaliste au « Réveil Picard », cinq ans auparavant, mes amis avaient fait une moue incertaine. Ils ne connaissait pas davantage que moi la ville de H…. ,savaient simplement que c’était un peu nulle part, et j’avais éprouvé la même sensation en dépliant la carte.

Laurence, la femme du Nord.

Stagiaire au journal, elle n’avait d’abord été qu’une collègue agréable nous détestions ensemble le maire de H…, nous aimions les chansons de Thomas Fersen et les films d’Éric Rohmer. Et puis Laurence était devenue titulaire au journal et dans ma vie. 

 

Édition la Table Ronde, collection la petite Vermillon, 1937 puis 1999 et Janvier 2024, 410 pages.

Traduit de l’anglais par Frédérique Daber

 

Dès que je saurai qui a été ma tentatrice (ou, mais cela m’étonnerait, mon tentateur) , je mettrai un lien vers son blog.

Je me réjouissais tellement de lire ce roman et de partir loin des horreurs mêmes bien décrites de l’antarctique, mais, malgré mon envie de me plaire chez les nobles anglais habitant l’Irlande, j’ai été déçue par ce roman.

Comme le dit Nathalie Crom dans sa préface , il fallait bien connaître de l’intérieur la noblesse protestante qui vit en Irlande pour décrire avec autant de minutie leur quotidien. Cela est certainement vrai, mais voilà, est ce que cette vie est intéressante ? pour moi à l’évidence la réponse est … pas trop !

Le roman commence dans une maison genre manoir aux apparences d’un château au bord d’une rivière aux eaux sombres, Garonlea. Les habitants au début du XX° siècle y sont particulièrement malheureux, car ils vivent sous l’autorité de la femme d’Ambrose un mari falot qui ne conteste jamais les décisions, même les pires, de son épouse Lady Charlotte McGrath. Leur fils, Desmond vit en pension loin de cet endroit qui suinte l’ennuie et la méchanceté mais les quatre filles sont tyrannisées par cette mère sans même penser à se révolter, sauf la petite dernière Diana. Muriel restera tout sa vie au service de son horrible mère, Enid sera mal mariée à Arthur qu’elle a cru aimer, Violette aura un vrai mariage .
La deuxième partie, voit l’arrivée de Cynthia la fiancé puis l’épouse de Desmond qui s’installe en face à Rathglass, voilà une jeune femme lumineuse qui va éteindre peu à peu le règne de Lady Charlotte. Hélas la guerre 14/18 verra la mort de Desmond mais aussi le bonheur de Diana qui vient vivre avec Cynthia et fuit l’horrible demeure de Garonlea. elle sera d’un grand secours pour sa belle soeur et ses neveux Simon et Sue pour qui la belle Cynthia n’a aucune tendresse, d’autant plus qu’ils ont tous les deux peur de monter à cheval ! Pourtant seule occupation digne d’un noble anglais

La boucle du roman se termine quand Simon hérite de Garonlea et que Cynthia arrache à cette demeure toutes les traces du passé, en luttant contre son fils qui pour s’opposer à sa mère qui n’a pas su l’aimer, ni lui ni sa soeur, veut redonner à cette demeure l’allure qu’elle avait sous le règne de sa grand-mère la méchante Lady Charlotte. Au grand désespoir de Diana qui a été si malheureuse quand elle était enfant à Garonlea.

À quoi s’occupent ces gens dont les revenus semblent sans limite ? La chasse et les fêtes , voilà tout. Dans cette Irlande où dans ces famille-là on passe son temps à se moquer des balourds d’Irlandais, on vit entre soi sans aucun rapport ni avec les domestiques ni avec la population. Le roman se concentre sur les décors des demeures, les détails des vêtements des femmes, et toutes les péripéties de la chasse et les chevaux. Pour faire une comparaison de la célèbre série Downton Abbey, ce serait les Crawley sans les domestiques ni le village. On passerait notre temps de réception en réception et la série n’aurait assurément aucun succès. Malgré les histoires d’amour de la belle Cynthia.

C’est le cas pour ce roman, avec, il est vrai une analyse très poussée des sentiments de chaque personnage, mais comme ils ne sont pas ancrés dans une réalité , leurs personnalités semblent venir ex nihilo, comme des données intangibles : Lady Charlotte est méchante, Cynthia est brillante, Diana est gentille et sera dévouée à Cynthia toute sa vie …

Bref un roman que j’ai lu sans grand intérêt , il faut dire que ma passion pour le belles robes et les bals est limitée, je reconnais quand même à cette écrivaine une honnêteté sans faille à propos de les description de la vie oisive et superficielle de la noblesse protestante qui vit au milieu d’Irlandais qui, un jour, les chasseront avec violence de leur pays.

 

Extraits

Début.

Comme nous connaissons mal les premières années du xxe siècle. 1901, 1902, 1903 et jusque 1914 : les années de brume. Loisirs, richesse, espace, premiers automobilistes en cache- poussière, courage des pionniers de l’aviation, certes tout cela nous impressionne. Mais nous ne ressentons pas vraiment cette époque, du moins pas comme nous ressentons celle de la guerre mondiale. Là, nous sommes véritablement conscients.

Portrait de la mère tyrannique.

Lady Charlotte French-McGrath, qui marchait derrière ses filles, était un abominable tyran, littéralement bouffi de vanité familiale et d’un effroyable orgueil de caste. Elle avait une vision étrange de sa propre puissance, vision qu’elle avait bel et bien réalisée en vivant surtout à Garonlea, en compagnie d’un époux dévoué, d’enfants terrorisés et de nombreux fermiers et serviteurs. Elle avait vécu à Garonlea, elle y avait souffert, elle en était le chef suprême.

Le père.

Ambrose French-McGrath, l’homme qui avait conçu ces jeunes filles, était un être triste et inquiet qui préférait nettement la compagnie de ses inférieurs à celle de ses égaux par la naissance et la position sociale.
Il était terriblement fier de sa maison et de sa terre et sa fierté était émouvante : c’était celle de locataire à vie (…)
Il y avait si peu de choses à dire lorsqu’on voulait parler d’Ambrose, cet homme falot, triste et tendre. Sa personnalité était comme camouflée dans les circonstances de sa vie : « fils du vieux Desmond McGrath, le type le plus drôle du monde », « sa femme est étonnamment efficace », « meilleure chasse à la bécasse de toute l’Irlande », voilà ce qu’on disait d’Ambrose. De sa personne jamais rien.

Tenir son rang.

 Cynthia, la vie et l’âme de ces lieux. Cynthia, l’hôtesse modèle. La mère accomplie. La châtelaine vénérée de Garonlea, accusée d’avoir l’indécence de paraître malheureuse. Le malheur était un attribut de l’échec. C’était une incorrection envers ses invités que de laisser voir de la tristesse en une si joyeuse occasion. On ne devait pas se laisser aller un seul instant.

Les tenues de la jeunesse des filles de Lady Charlotte.

 Comment se faisait-il que ce temps de leur jeunesse pût paraître à présent comique ? À l’époque romantique où elles les portaient, ces vêtements leur avaient semblé parfaits. Tout ce que l’on trouvait à dire pour leur défense maintenant, c’était qu’ils ne différaient pas tellement de ceux d’aujourd’hui. Il était impossible de dire ; « Nous étions ravissantes dans ces vêtements. Les hommes n’avaient d’yeux que pour nos seins rebondis. Nous avions des principes auxquels nous croyions dur comme fer. Nous n’étions pas grossières, malheureuse, et plates comme le sont nos filles. »
Pas malheureuse ? Cette façon de nier l’évidence, aussi, était typique de l’époque.

Bon résumé de la vie de cette noblesse

Elle avait beaucoup aimé ses vêtements. Elle les avait choisis avec un goût sûr et original, les avait portés avec le plus grand succès et les avait appréciés bien au-delà de tout de utilitaire. Parce qu’ils faisaient partie d’elle, de sa beauté, de son prestige et de sa puissance, la moindre intrusion dans cette garde-robe de fantômes et de souvenirs l’eût enragé. Toutes ces robes étaient à elle, elles étaient sa vie. Pas un passé vague et indistinct. Elles avaient souligné sa beauté, lui avaient été chaudes ou légères, avaient vécu avec elles des heures d’amour, de terrible solitude, de vive satisfaction.

Je n’aime pas ce genre de procédé.

( en plus on attend évidemment la suite, mais en réalité ici rien ne va se passer autrement que la continuité roman)

Supporter cette première éclipse de son autorité. Tout cela l’épuisait. Mais elle eût souffert plus encore si elle avait su où cela allait la mener.