Édition des Syrtes. Traduit du bulgare Marie Vrinat .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Quelle chance que ma première lecture du club soit ce roman déjà repéré chez Partice et Eva qui m’a fait découvrir billet de « je lis je blogue » ! Mes cinq coquillages parlent pour moi, oui, cette lecture m’a beaucoup touchée. La quatrième de couverture dit l’essentiel du récit sans pour autant dévoiler le roman. Une jeune femme, l’écrivaine, veut comprendre la vie de sa grand mère. Celle-ci sera victime de deux intolérances religieuses, celle de sa Bulgarie natale car elle tombe amoureuse d’Ahmed, un musulman, ce qui est intolérable pour sa mère grecque, ensuite à İstanbul, où elle a fui avec Ahmet qui hélas mourra de la tuberculose, elle sera considérée comme « la putain bulgare » et sera violemment rejetée de toute la famille musulmane.

L’intérêt du livre, c’est le soin que porte l’écrivaine pour cerner chaque membre de sa famille, elle leur donne la parole chacun à leur tour et se dessine alors devant nous une famille qui ne pouvait pas évoluer en 1924. (Je me suis demandée ce qui se serait passé en France à la même date ?) . L’arrière grand-mère Theotitsa, est une femmes malheureuse d’avoir vu mourir cinq de ses enfants et seule la religion lui apporte un peu de consolation.

Miriam la grand-mère de l’autrice est une jeune femme que rien n’arrête et qui va vivre intensément son amour pour Ahmed elle aura deux enfants dont Haalim le père de Maria l’écrivaine.

Voilà vous avez toute la famille ou presque, je n’oublie pas ce qui m’a procuré le petit plus qui met ce roman dans « mes préférences », ce sont les dialogues que mène Maria Kassimova-Moisset avec tous les membres de sa descendance. Je fais ça parfois avec les miens, je leur parle souvent mais ils me répondent avec moins de talent. Ces dialogues permettent de mieux comprendre les questions restées sans réponse de la petite fille descendante d’une famille si complexe.

La description de la Bulgarie de cette époque est très vivante, on s’attache aux personnalités des différents protagonistes de cette histoire, ou on les rejette . La vie à Istanbul est différente car la ville est immense et Ahmet et Maria y cherchait surtout de quoi cacher leur amour, heureusement pour eux une voisine les aidera à élever leur enfant. Elle arrête son roman sur le bateau du retour vers la Bulgarie, j’aurais aimé savoir comment cette femme a réussi à faire sa vie ensuite.

J’ai été très surprise par la fin, que je vous laisse découvrir (évidemment !) car je vous connais trop bien, vous les anti-divulgâcheuses !

 

Citations

Début du roman, (Premier jour des règles de Myriam).

 Elle roula sur ses jambes.

 Lourde épaisse goutte de sang. Elle se glissa des profondeurs de son corps efflanqué et se rua entre ses jambes.

Les croyances à propos des règles .

Tes mains trouveront une toile de coton de Tsarigrad ….. Plie le comme un fichu pour la tête. Rentre d’abord le bout pointu pour que tu ne sois pas terrassée par la douleur lorsque le sang viendra. Plie-le lentement – pour que tu ne souffres pas lorsque tu enfanteras un jour. Plie les deux bouts vers le milieu mais sans que l’un recouvre l’autre, pour que tes enfants ne se haïssent pas mutuellement. Appuie dessus avec tes mains, mais pas trop fort – pour que ça vienne autant d’années qu’il t’est imparti, tu ne vas pas verser du sang lorsque tu seras grand-mère, hein !

Dialogue avec Theotitsa

 

– Dans ce cas, pourquoi tu converse avec moi ?

 – Parce que tu es mon arrière grand-mère. Et parce que j’aimerais savoir comment tu as pu maudire Miri… ma grand-mère. Et mon père en même temps.
 – Écoute, je n’ai l’intention ni de m’expliquer ni de me justifier. Elle se l’est infligé à elle-même. C’était une enfant diabolique, elle est née comme ça. Je le voyais dans ses dessins -tout y était, dessiné par elle. Toi aussi, tu y étais- assise en train d’écrire cette histoire. En train de parler avec moi, ça aussi, ça y était.
 – Donc ça, maintenant notre conversation à toutes les deux, c’est…diabolique, c’est ça ?
– Ben oui, diabolique. Tu es bien sa petite fille -tu portes en toi sa diablerie. Tu es la même -une mécréante..
 – Donc je porte aussi son péché.
– Oui. Je le vois – il est installé sur ton épaule, avec ma malédiction.

 


Édition Flammarion Collection Étonnantissimes

 

J’ai repéré cette collection chez Choup , et comme j’ai un petit fils qui en ce moment souffre sur la lecture de Candide, je vais lui offrir ce titre en espérant que cet ouvrage va lui permettre de mieux comprendre le chef d’oeuvre de Voltaire.

Alain Monnier reprend ce grand classique et en refait une version moderne, Candide devient Benjamin et il est formé grâce aux plus grandes écoles de commerce française, son Pangloss est un professeur d’économie Martin. Si celui-ci ne lui explique pas sans cesse « que tout est mieux dans le meilleur des mondes » , il lui dit et lui répète que le monde marcherait mieux si la loi du marché régnait sur le monde. La belle Cunégonde est représentée par Astrid qui n’hésite pas, hélas pour elle de se servir de ses charmes pour réussir au grand désespoir de Benjamin.

Avec une ironie moins mordante de Voltaire, Alain Monnier arrive à dénoncer tous les excès du capitalisme sans contrôle que ce soit en France en Chine ou en Arabie saoudite, il existe bien un Eldorado de ce monde sans foi ni loi, c’est Guernesey où tout le monde semble vivre heureux en profitant de l’argent placé dans ses banques. Benjamin n’y restera pas mais en repartira suffisamment riche pour arracher son Astrid au milieu le plus sordide de la prostitution.

Ils vont tous ensemble cultiver leur jardin dans un village abandonné dans le Quercy . Mais curieusement le roman ne s’arrête pas là, il leur faudra un dernier projet commun pour réussi à trouver le bonheur.

Je ne pense pas que sans se souvenir au moins un peu de Candide cet essai aurait moins de charme. Mais on peut aussi le lire pour la critique de tout ce qui va mal dans notre société ; Si j’ai écrit un billet sur ce livre, c’est pour aider tous les jeunes qui lisent difficilement les classiques de la littérature française. Cet auteur en a écrit d’autres sur le même modèle, un sur Molière , un sur Zola aussi me semble-t-il

Vraiment bravo à cet écrivain , quel talent !

Citations

La recherche du bonheur ;

– Que faut-il faire pour avoir le bonheur sur terre ?
– Mais c’est une question qui dépasse largement votre entendement ! Lui retorque méchamment l’élu. 
– Je constate simplement qu’il y a beaucoup de mal sur notre terre, et le Marché ne fait que l’amplifier…Quand on veut s’en abstraire on se sens saisie par l’ennui.
– Il faut que les hommes partagent un vaste espoir, attendent un même miracle pour supporter leur triste vie… Même les plus riches attendent mieux, l’homme n’est pas fait pour se contenter de ce qu’il a… Il serait assurément heureux s’il pouvait continuer à désirer ce qu’il a, mais ça, c’est pile ce qu’il n’arrive pas à faire. 

Fin du roman au-delà de cultiver son jardin, reconstruire une église .

 Mais, dit Martin, cela ne sert à rien, on sait bien que Dieu est mort…
– Peut-être mais si nous reculons reconstruisons une belle église il y aura peut-être quelqu’un qui viendra s’y installer.
 Les messes basses reprennent, des mots fusent, des hésitations encore. Des avis osent enfin pointer le bout de leur nez. Des approbations timides qui craignent le feu de la dérision, car les ricaneurs dégainent toujours vite quand on parle de l’église catholique romaine. Puis l’atmosphère se détend une sorte d’excitation improbable s’empare de tous et balaie les quelques remarques peu empressées de Martin. En fait tous sont franchement emballés par cette idée. Le gouverneur décide que leur église sera plus belle que Westminster (…)
 Puis seul debout au milieu de tous, Benjamin déclare avec une fermeté qui l’étonne lui-même :
 » C’est donc décidé de nous allons reconstruire et attendre ensemble… »

Édition Gallimard NRF.

 

Ce peuple des promesses duquel il faut se méfier, car il est désespérément myope et doté d’une mémoire reptilienne. La preuve en est que depuis deux cents ans, à chaque tournant majeur de son histoire, il fait toujours le pire des choix.

 

Les trois coups de cœur du club de lecture sont entièrement mérités ainsi que mes cinq coquillages. Ce roman est extraordinaire, car il mêle l’analyse fine et fouillée du sentiment amoureux avec l’horreur de la lutte politique en Iran, de la chute du Shah à la répression la plus totale de la dictature islamique. Au début nous sommes dans une petite ville, une station balnéaire, Chamkhaleh sur la mer Caspienne où la vie, l’été, se déroule comme dans toutes les stations balnéaires, les filles sont jolies, montrent volontiers leur sourire et leur corps, les garçons sont amoureux mais n’osent pas s’approcher. Surtout de la si belle et si libre Niloufar, cousine du narrateur.

Comment peut on imaginer que ce monde a entièrement disparu sous le régime des Mollahs . L’auteur mêle avec un brio incroyable le récit de cet amour d’adolescent pour une jeune fille qui a trois ans de plus que lui avec la tragédie iranienne . Quand on a treize ans une jeune fille de seize ans , c’est une femme . Il raconte bien aussi toutes les contradictions qui divisent la société et les familles. Mais quel pauvre pays qui a cru se débarrasser d’un tyran est s’est jeté dans les bras de brutes sanguinaires bien pire que le Shah ! Ce que j’avais un peu oublié, c’est le rôle de la guerre contre l’Irak qui a conforté la répression contre la moindre opposition.

Ce récit est aussi une remise en cause de l’engagement politique, son héros n’est jamais sincère : il prend des postures et veut juste séduire celle qu’il aime. Mais surtout personne n’avait une vision claire de ce qui allait se passer.

Voilà ce qu’un roman peut apporter de mieux : comprendre grâce à ce récit l’absurdité du régime iranien et le côté factice des révoltes. Et pourtant , il s’agit surtout et avant tout d’un roman d’amour. J’ai vraiment été séduite par la performance littéraire et si triste pour ce pays qui n’est pas prêt de se débarrasser de ses tortionnaires.

 

Citations

C’est hélas vrai ! (et cela ressemble à l’incendie du Reichstag !).

 L’été 1978, le cinéma Rex d’Abadan prenait feu. . Plus de quatre cents personnes y périssaient brûlées vive. Un incendie de toute évidence criminel. Les doigts accusateurs se sont pointés vers le Shah et sa police secrète. Unanimement tu t’en souviens ? Toutes tendances confondues. C’était le coup fatal. L’étincelle dans les barils de poudre. Des corps calcinés ont été montrés sur les photos qui circulaient sous le manteau. Le régime du shah n’a jamais pu s’en remettre.
 Quelle énorme mensonge ! Quel coup de maître. Quii peut encore ignorer aujourd’hui que le cinéma a été mis à feu par des activistes musulmans appliquant une fatwa émise par un ayatollah ?, Quel intérêt avait le régime du shah à incendier un cinéma dans un quartier populaire d’une ville de second rang ? Vraiment quel intérêt ? Mais à ce moment-là dans ce pays de presque quarante million d’habitants, nul n’a été suffisamment lucide pour poser cette simple question ait dénoncé l’absurdité de la chose. Nous avons tous pris part à ce mensonge.

À l’époque du shah !

 Attention ! C’était l’Iran de l’époque du shah. Tu ne l’as pas vraiment connu. Il n’y avait pas encore la moindre femme voilée sur le rivage, et les foulards et tchadors n’étaient pas de mise. À la place, il y avait elles, avec leurs minuscules bikinis, leurs débardeurs, leurs robes légères, ouvertes aux quatre vents, leurs éclats de rire. Elles se déhanchaient sur le sable chaud. Rigolaient à gorge déployée. Je te promets, devant un tel spectacle, les bronzés de Malibu pouvaient aller se rhabiller.

Son père .

 Mais, à chaque fois, je m’apercevait avec étonnement que mon père était le seul qui ne m’écoutait pas. Il était, toujours, rouge de honte, souffrant secrètement comme a son habitude. Un jour, il m’a avoué à quel point il détestait mes sorties, mes tirades savantes, mes discours. Il me trouvait vulgaire, vantard et malhonnête. Il disait que j’étais l’échec de sa vie et qu’il regrettait amèrement de n’avoir pas su m’inculquer un brin d’abnégation, de bon sens et d’honnêteté, valeurs indispensables à ses yeux pour être un homme bon. Là il avait raison. Il voyait juste, mon pauvre père !

La guerre Irak Iran.

 Malgré le massacre, personne n’avait intérêt à mettre fin au conflit. Ni les mollahs qui avaient trouvé dans cette guerre la garantie de rester au pouvoir. Ni les chefs de guerre, alliés aux nouveaux hommes d’affaires et qui gagnaient des sommes vertigineuses en contournant l’embargo américain. Ni les grandes démocraties européennes qui vendaient des armes aux belligérants, clients dociles et solvables, vu les gisements pétroliers sur lesquels ils étaient assis. Ni les riches émirats arabes sunnites terrorisés par la montée de l’islam chiite expansionniste. Bref, chacun trouvait son compte dans la prolongation du conflit. Des hôtels macabres, surmonté de l’image de jeunes martyrs étaient dressés à chaque coin de rue. Les murs et les portes étaient couverts de photos de jeunes soldats tombés au front.