Éditions Grasset, 414 pages, janvier 2025.

Deux livres du même auteur à suivre, c’est un hasard mais qui montre aussi que j’aime beaucoup lire les romans de cet auteur dont voici la liste que vous trouverez sur luocine,

Il m’arrive parfois d’avoir de légères réserves, cela vient aussi du choc qu’avait représenté pour moi, « le Testament français », ensuite j’ai trouvé qu’il se répètait un peu, mais cette critique est injuste car si chaque roman de cet auteur était le premier que je lisais de lui , je lui attribuerais à chaque fois 5 coquillages. Ce que je fais pour celui-ci.
On pourrait sous titrer ce roman « les multiples vies de Lucien Baert », l’ouvrier communiste de Douai. Car cet homme va connaître un destin très particulier, tout cela à cause d’un voyage que le partit communiste organise en 1939 en URSS, pour contrecarrer la propagande capitaliste qui dit que les ouvriers russes sont malheureux, très pauvres, et vivent sous la botte d’un dictateur Joseph Staline. La Russie de l’époque sait parfaitement organiser des voyages de propagande où des convaincus pas trop curieux voient ce qu’ils veulent bien voir. (Ma génération a bien connu cela avec les retours émerveillés des convaincus de la Chine maoïste en pleine révolution culturelle !) .

Lucien rate son train dans une gare isolée de Russie, ses amis repartent sans lui, commence alors sa seconde vie, celle d’un supposé espion français dans les geôles de Staline, comme la guerre est déclarée on envoie des « volontaires » que l’on sort du goulag se faire tuer sur le front. Au milieu des horreurs de cette guerre, un soldat russe comprend que tant que cet homme gardera une identité française, il ne sortira jamais du goulag , il lui propose de changer d’identité s’il meurt avant lui. Lucien commence alors une troisième vie sous l’identité de Matveï Belov condamné politique . Lucien-Matveï est pris par les allemands , torturé, puis repris par les soviétiques de nouveau torturé et remis au goulag pour y finir sa peine. lorsque le rapport Kroutchev dénonce les crimes de Staline le régime du goulag s’allège un peu, malheureusement pour lui , il participe à une révolte donc est condamné à quelques années de plus. Enfin libéré, il commence une vie de « russe ancien prisonnier » dans la Taïga avec Daria un femme qu’il sauve d’une mort atroce . Ensemble, ils mènent une vie simple et sont presque heureux . Mais son passé français le hante et Daria le pousse à retrouver ses racines. il parvient à se sauver sur un navire français. L’indifférence des touristes occidentaux qu’il cherche à aborder à Léningrad est caractéristique de l’égoïsme des touristes qui ne veulent en aucun cas l’aider. Il parvient finalement à fuir l’URSS grâce à un capitaine d’ un navire français.

Commence alors une troisième vie, cette d’un transfuge des camps qui va éclairer les intellectuels français sur la réalité soviétique. Après une période d’engouement, peu à peu Lucien Baert n’intéresse plus personne et lui sent qu’il perd pied dans ce monde si futile, il devient infréquentable et pour tout dire un peu fou. Il retournera en Russie pour y finir sa vie auprès de Daria sous le nom de Matveï Belov et connaitra l’horrible période où son pays est livré aux mafia qui ne cherchent qu’à s’enrichir par tous les moyens.

Cette traversée dans un demi-siècle de nos deux société est une plongée dans un désespoir sans fond, sauf sans doute la sincérité de gens simples qui ne veulent plus d’idéologie et qui essaient de se construire un monde heureux à leur portée sans illusion sur les valeurs humaines. La description de l’intelligentsia française est sans complaisance et malheureusement assez réaliste, la colère de Lucien à une de leur soirée est méritée mais va l’enfoncer un peu plus dans son isolement.

En refermant ce roman , je me suis demandé ce qui était préférable pour l’auteur : la force brutale des Russes ou l’hypocrisie lénifiante des intellectuels français . Je ne sais pas si ce roman répond à cette question mais en tout cas depuis , elle me hante et comme la force des Russes est de nouveau aux portes de l’Europe , elle me fait aussi très peur.

 

Extraits.

Début du prologue.

 Écrasé sous le fardeau de sa vie un homme un fleur la miséricorde. Dieu le conduit à un amas où sont déposés les croix des destins. Le malheureux jette la sienne, en soulève une autre : non trop lourde  ! Et celle-ci. ? Ah, pleine d’échardes ! La troisième, la suivante, encore une … Enfin, au coucher du soleil, la croix qu’il choisit lui paraît lisse et légère.
  » Je la prends, elle ne pèse rien ! »
 » C’est celle que tu portais ce matin », lui répond Dieu .
J’ai pensé à ce vieux conte en feuilletant un carnet qui, à travers la Russie répertoriait des dizaines de noms : les futurs héros d’un documentaire conçu par Stas Podlaski, un cinéaste « franco-polonais » a-t-il spécifié. Des amis communs m’ont demandé de jouer les guides.

Début du roman.

 L’homme surgissait au soir, avançait sans hâte, mais ne se laissait pas approcher. Plus d’une fois, Matveï eut envie de le rejoindre, d’engager la conversation. La distance entre eux se réduisait, le vagabond semblait sur le point de se retourner. Et, soudain, il disparaissait au milieu des arbres.
 » C’est dans ma tête, tout ça. Je suis crevé, je dors peu, alors je vois ce fantôme qui me tient compagnie… » se disait Matveï, s’efforçant de chasser une idée insidieuse : l’inconnu qui le précédait était… Son double !

La vision des prison russe en 1930 par les « bons » communistes français.

Elle cite le témoignage, dans « L’Humanité » , de Marie-Claude Vaillant Couturier qui vient de visiter Moscou : » Les condamnés en URSS touchent un salaire et peuvent tout acheter, sauf des boissons alcoolisées. Ils peuvent se payer une chambre individuelle, ils lisent, écrivent, voient des films, font de la musique… »

Les russes anciens prisonniers de guerre.

 Il est envoyé non pas dans le camp où il était emprisonné avant la guerre, celui de l’Oural, mais plus à l’ouest, à la construction d’une voie ferrée à travers la taïga et les marécages.
 Les raisons de poursuivre cette vie n’existent plus. Les moyens d’en finir sont abondants et le nombre de prisonniers qui se suicident le surprend. Souvent, ce sont d’anciens militaires qui ont eu le malheur comme lui d’avoir été arrêtés par les Allemands. Il connaît le verdict de Staline : « Je n’ai pas de soldats fait prisonniers. » Donc, capturé, on doit lutter et mourir.

Ce que savait l’Amérique du système totalitaire soviétique.

 C’est à Boston qu’il fait un constat stupéfiant : un universitaire qui n’a jamais mis le pied en Russie est plus renseigné qu’un prisonnier ayant passé de longues années derrière les barbelés. Ce professeur lui parle comme s’il s’adressait à un étudiant un peu lent à comprendre. Julia traduit :  » J’ai consacré mon doctorat au phénomène totalitaire et permettez-moi de vous signaler que dès les abus dès le début des années 30, les économistes américains, ignorant tout des camps soviétiques, en ont démontré la probable existence. Ils ont analysé le commerce des matières premières et les prix plus bas, qu’un simple « dumping », pratiquer par l’URSS. Cela supposait une main-d’œuvre quasi bénévole ou, plutôt, une masse d’ouvriers sans salaire. Bref un réservoir d’esclaves ! »
 Lucien s’empresse de partager cet avis : c’est vrai un prisonnier ne coûtait pas cher, travaillait douze heures par jour et mourait vite, ce qui évitait les éventuels frais médicaux et, plus tard, le paiement d’une retraite.
 L’érudition de ces « soviétologues » l’embarrasse : si grâce aux calculs financiers, on peut déduire l’existence des camps, a-t-on besoin des témoins comme lui ?

La fracture entre l’ancien prisonnier de Staline et des intellectuels parisiens.

 Toujours muet, il sait qu’aucun témoignage ne pourra ébranler les jugements paresseux qui circulent dans ce salon. Un récit s’égrène en lui : ses camarades des unités disciplinaires, les attaques qui ne laissaient que quelques survivants. Des visages qui disparaissaient avant qu’on puisse retenir leurs traits, des aveux dont le souvenir continuait à résonner en lui, sans qu’il sache qui les avait prononcés. Et d’autres visages, impossibles à reconnaître car trop défigurés par les blessures comme celui de Martveï Bélov. Et les débris des corps qui s’enlaçaient, mêlant leurs entrailles. Et ce cri « Pour la Patrie pour Staline ! », sortant des poumons de ceux qui haïssaient Staline mais qui, se jetant à l’assaut n’avait que ce cri pour défier la mort.
Ses mots silencieux expriment un constat qu’il pourrait adresser aux invités  : si vous êtes tranquillement assis dans ce beau salon, c’est grâce au jeune Altaï qui refusait de tuer ses semblables, même s’ils étaient allemands. Et aussi grâce à un soldat qui avant de mourir m’a offert son identité. Vous pouvez mener vos causeries d’intellos, désigner les ennemis du progrès, jouer à vos petites révolutions culturelles ou sexuelles, écrire dans vos journaux qui censurent tout ce qui ne vous plaît pas. Oui, c’est grâce à ce disciplinaire au visage arraché que vous pouvez boire, manger, fumer vos clopes qui endorment toute vérité gênante et puis aller copuler, à deux ou à plusieurs puisque la vie vous doit cela. Mais vous n’êtes pas des gagnants, non car vous êtes très laids. D’une laideur incurable ! En vivant, en mentant, en baisant comme vous le faites, on vit sans aimer… Donc on ne vit pas !

Éditions seuil, 363 pages, janvier 2013

J’avais choisi ce roman car j’étais dans ma veine « roman historique » et qu’après la plongée dans la Chine du 7°siècle je voulais en savoir plus sur la Russie du XVIII °. Je ne savais pas grand chose sur la tzarine Catherine II, donc c’était une bonne raison de lire un roman de Makine qui est un auteur dont je lis toujours les romans avec plaisir. Depuis « Le testament français », j’ai mis sur Luocine : « la vie d’un homme inconnu« , « le livre des brèves amours éternelles » , « L’archipel d’une autre vie » , « La femme qui attendait« .
J’aurais dû me douter qu’avec un tel auteur ce ne serait pas un roman historique classique et j’ai vraiment préféré ce style là au précédent . Cet écrivain porte en lui toute sa Russie natale et souffre de toutes les vicissitudes que ce pays génèrent pour ses habitants et hélas avec Poutine de nouveau pour les pays voisins.
 Pour nous faire connaître, à la fois la « grande Catherine » et la Russie d’hier et d’aujourd’hui, nous allons suivre la création d’un film sur la Tzarine par Oleg Erdman, un cinéaste qui a commencé son film sous le régime soviétique. Il a alors souffert de la censure et n’est jamais certain que son film arrivera à sortir. Puis, il crée une série télévisée sous l’incroyable période Eltsine avec un nouveau riche qui se croit le roi du monde avant de connaître la disgrâce et la ruine. Finalement il s’exilera repart en Allemagne pays d’où est originaire sa famille comme la Tzarine.
À travers ces difficultés et la description de l’enfer qui, comme celui de Dante , encercle de plus en plus le cinéaste, la vie de Catherine apparaît.
Suivant les époques il faut faire ressortir certains aspects du personnage plutôt que d’autres.
Sous les communistes, il ne fallait pas mettre en avant ses idées novatrices mais la présenter comme une tortionnaire du peuple, sous les oligarques il faut faire de l’argent avec la série et quoi de plus croustillant que tous ses amants que Catherine a consommé en grand nombre ?
Seul un historien non compromis, donc très pauvre, semble être intéressé par la vraie histoire de cette femme : elle n’a jamais été aimée sauf une fois, mais son amant est mort trop tôt, sa conduite sexuelle s’expliquerait sans doute par cet amour qui n’a pas pu s’épanouir.
Les violences de l’époque ne sont pas si différentes de celles que la Russie a connu du temps où elle s’appelait URSS, et le sort des opposante sous Poutine ressemble fort à ceux qui s’opposait à la Tzarine.
C’est un roman qui encore une fois me rend triste pour ce pays, la Russie a un plaisir à l’horreur peu commun et il sait aujourd’hui encore nous en faire la preuve. J’en ai aimé la construction et aussi la réflexion sur le pouvoir et l’amour : peut-on croire au sentiment amoureux quand on est au au sommet de la puissance ?
Mais la tristesse l’a emportée sur l’intérêt du roman .

Extraits

Début.

 Ce grand miroir s’abaisse, telle une fenêtre à guillotine. La femme qui vient d’actionner le levier sourit : chaque fois, un petit frisson. Et si le cadre heurtait le parquet et que le verre éclatait ? Mais le contact est feutré- le monde est coupé en deux. De ce côté-ci , un salon blanc et or . De l’autre, dissimulés par le miroir, une alcôve, une bougie, un homme nu qui halète.

Portrait de Pierre III.

  » Un crétin que Catherine épouse faute de mieux et dont elle se débarrasse à la première occasion. D’accord, il adorait ses petits soldats, mettaient ses chiens dans le lit conjugal, se soulait avec ses valets à qui il apprenait à marteler le pas à la prussienne. Quoi encore ? Ah oui ! Il ne pouvait pas copuler à cause de son prépuce ! Tu vas à nous pondre maintenant un traité de circoncision, c’est ça ? « 
 Oleg se souvient d’avoir tenté une justification inutile : Pierre III n’était pas du tout l’idiot dont parle les historiens. Plutôt un inadapté un faible un songe-creux et tout le monde punit toujours la faiblesse des rêveurs.

Résumé du règne de Catherine.

 Le favoritisme comme institution, le sexe comme forme de gouvernement, l’orgasme comme facteur de vie politique. Oui, cette alcôve qui permet à Catherine de conduire la marche de l’état sans interrompre ses ébats amoureux. 
Un raccourci rapide, mais historiquement vrai.

J’aime bien ce passage.

 Nous sommes bien plus ramifiés que ce petit moi auquel nous nous agrippons. Le moi des comédiens moins adhésif, a la capacité de migrer d’un personnage à l’autre. C’est pour cela que les artistes sont si égocentriques. Ils doutent de leur propre identité.

Les nouveaux riches époque Eltsine. Cela rappelle les hôtels de quelqu’un, non ?

Oleg découvre que la nouvelle fortune de son ami est fondée sur nombre d’activités très diverses, allant de la vente de l’acier cémenté jusqu’à la pèche des anguilles dans les marais salants de la Caspienne. L’une des entreprises de Jourbine produit des sèche-cheveux, une autre des réfrigérateurs, une autre encore des meubles et de la literie. La dispersion n’est qu’apparente car les anguilles sont livrées au restaurant de Jourbine, et sèche-cheveux vrombissent dans les chambres de ses hôtels tout comme les frigidaires. Bref les Chinois qui viennent acheter son acier dorment dans ses lits, mangent ses anguilles dans ses restaurants, sortent des canettes de bière de ses frigos.

Reprise du pouvoir par les vrais oligarques proches du Kremlin.

 En fait c’est encore plus bête. Les cons de mon espèce ont mordu à l’hameçon. Allez, futurs capitalistes, sortez vos économies, investissez, vendez, revendez, travailler jour et nuit, enrichissez-vous et avec le pognon gagné, bâtissez vos holdings, d’anguilles salées, de palaces étoilés t d’alcool trafiqué. Des crétins comme moi y ont cru. On a bossé pire que les bagnards ! Demande moi de me rappeler une seule journée où j’aurais eu une heure à moi – zéro  ! Si je me rappelle les jours où je recevais des des oursons éventrés. C’est tout … On a amassé des fortunes, on se prenait pour des chasseurs de milliards ! Sauf que nous n’étions pas des chasseurs, nous étions des chiens qui traquaient la bête. Les chasseurs viennent maintenant, nous arrachent la proie et nous foutent dehors d’un coup de pied au cul. Car ils ont le pouvoir ! Ils sont au Kremlin, au Parlement, dans les ministères. Nous avons fait le sale boulot, eux ils boufferont la bête. Et si je commence à protester, une équipe de contrôleur vient, armée comme un commando d’assaut… Dans les ordinateurs qu’ils ont emporté le procureur trouvera de quoi m’offrir un long séjour derrière le cercle polaire … Lui aussi fait partie des chasseurs et la bête abattue c’est tout le pays !

Éditions Robert Laffont/ Versilio, 463 pages, janvier 2025.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Si vous voulez un roman historique bien dépaysant ce roman est pour vous. Il vous plongera dans l’antiquité chinoise du VII ° siècle après JC. Pour rappel, en France nous sommes à l’époque des rois dits « fainéants » car ils n’arrivaient pas à régner assez longtemps pour imposer leur volonté. En Chine, c’est aussi une période troublée qui se terminera par la prise de pouvoir de l’empereur Li Shiming , il va fonder avec son père la dynastie des Tang qui règnera sur la Chine pendant trois siècles, c’est une période d’une certaine prospérité pour cet empire.

Le roman est un un classique du genre « Roman Historique », l’auteur prévient dans une longue préface qu’il respecte les faits historiques , mais qu’il se permet des libertés pour rendre son récit plus vivant. Il a cherché à doter ses personnages de traits de caractère vraisemblables mais dont il ne sait rien. À la fin du livre, il précise les faits historiques et ce que l’on doit à son imaginaire, je trouve ce procédé intéressant et rajoute du poids à son roman.

Nous suivons trois personnages qui ont tous existé : Shiming un jeune homme, presque un enfant au début du roman qui a un courage fou et qui est prêt à tout pour montrer sa bravoure, il tuera ses deux frères pour devenir l’héritier de son père et remplacer l’ancienne dynastie au service de laquelle pourtant sa famille était liée. Mais l’empereur part dans une guerre perdue d’avance, les morts se comptent par milliers et les déserteurs pillent les campagnes.

La deuxième personnage c’est une femme, une princesse qui a été donnée comme épouse à un vieux chef nomade : la princesse Yicheng. Les nomades sont maintenus difficilement en dehors du royaume et vivent bien loin du confort et du raffinement de la civilisation chinoise.

Enfin un paysan Dou Jiande qui deviendra grâce aux hasards de la guerre un bandit respecté une sorte de « robin des bois » au service des plus pauvres.

Même si ce roman est long il est très facile à lire, on suit très bien les trois destinées qui se croisent sans que le lecteur se perde. La rencontre avec Shiming et Jiande se fait une jour de grande festivité : l’empereur vient inaugurer un grand canal et en même temps annoncer son désir de conquérir une région qui correspond à la Coré actuelle, une bousculade a lieu causée par Jiande . Shiming tue grâce à talent d’archer un nombre important de garde pour sauver la vie d’un enfant nomade qui devait être rendu à sa tribut .

Avec Jiande on voit la difficulté du monde paysan, à la merci du climat qui peut détruire leurs récoltes et des soldats déserteurs qui leur prennent tous leurs bien et leur vie en plus . Cela poussera Jiande à devenir hors la loi .

Avec la princesse chez les nomades, on découvre peu à peu une civilisation si éloignée de la sienne et se rend compte qu’on peut être heureux sans les raffinements des palais, des soieries, et de la nourriture sophistiquée.

Avec Shiming , on découvre les intrigues de cour , lui deviendra un homme de pouvoir grâce à ses talents de stratège et son goût pour la guerre.

L’auteur leur donne une vie amoureuse qui pimente le récit, il n’insiste pas trop sur les différentes tortures qui étaient, pourtant, monnaie courante à l’époque ;

Comme je le disais au début un roman historique classique qui permet d’en savoir plus sur une époque peu connue (en tout cas de moi) , j’ai quelques réserves sans que je sache bien expliquer pourquoi. Je pense que je lirai plus volontiers un essai historique sur cette période qu’un roman .

 

Extraits

Début.

 Les empreintes avaient beau, à chaque rafale, s’effacer un peu plus sous la neige, on discernait encore les contours de cinq coussinets, tout en rondeur, très différents des doigts et effilés des loups. Et puis la bête semblait avoir attaqué seule, pas en meute. Quand Shimin le fit remarquer, son père le rabroua :  » Et tu déduis tout ça en un instant, alors qu’on vient à peine d’arriver et qu’on y voit plus rien ? » Il essuyait avec une exaspération croissante son visage où s’accrochait les flocons tombant du ciel sombre. Ses lèvres blanches craquelées tremblaient sous sa moustache couverte de givre, sans qu’on sache si c’était les faits des bourrasques glaciales ou de la rage.

Un paysan enrichi.

Dou Jiande avait grandi au milieu des calculs de son père, de son obsession des petits profits qui, cumulés, en formaient de gros. Il lui semblait que ce père n’avait jamais rien fait qui n’ait été intéressé. S’il rendait une visite à un voisin, c’était pour en tirer les informations utiles. S’il donnait une vieille bêche à une pauvre veuve qui venait de casser la dernière qu’elle avait, c’était en espérant s’en faire une obligée et lui demander un jour quelques services, de l’espionnage par exemple, afin d’apprendre discrètement la situation de telle ou telle famille. S’il laissait son verra saillir la truie d’un autre villageois, il exigeait la moitié des porcelets. Même quand son propre père mourut, il s’arrangea pour des motifs fallacieux pour faire contribuer l’ensemble du village au frais des funérailles. Il aurait eu des moyens de prendre une ou plusieurs concubines. Il ne le fit jamais non par une affection démesurée pour la mère de Jiande, et parce que cela aurait impliqué des dépenses qui lui auraient semblé insupportables. L’hiver, comme beaucoup des villageoises tissaient jusque tard dans la soirée, il envoyait sa femme chez des voisines afin d’économiser l’huile des lampes.

Les nomades et la princesse chinoise.

Le campement des nomades changeait, lui, sans cesse d’emplacement, il occupait une étendue herbeuse après l’autre, déménageant à chaque saison, partant s’installer l’hiver sur des pâturages plus abrités, en bordure de lacs dont l’eau ne gelait pas, gagnant des contrées plus fraîches l’été. Et néanmoins il était toujours identique. Les mêmes tentes, les mêmes chariots, disposés selon le même ordre et toujours entourés, où qu’ils fussent, du même horizon de colline basse. Immuable dans le mouvement. (…)
 Puis Tardu lui avait demandé de devenir sa femme et plus que sa femme sa Kkatun. À partir de là, sa vision sombre et désespérée de la steppe s’était modifiée. Rien n’avait changé, ni les déménagements perpétuels, les paysages lassante, la puanteur, les plaisanteries vulgaires, ni la nourriture insipide ou écœurante, ni l’absence de raffinement. Et cependant tout était métamorphosé. Le fromage grossier était devenu revigorant, la langue rauque des nomades, puissante, leur goût des exercices violents, un signe de vitalité, l’absence de ville un saint refus de l’inessentiel. Yicheng avait honte, à certains moments d’avoir ainsi révisé un si grand nombre de ses perceptions, de ne plus souffrir autant que les premières années, de réussir à s’accommoder de ce qu’elle avait jadis jugé insupportable.
Elle n’avait pas regagné les palais et des jardins de son enfance, elle ne le retrouverait jamais. Mais on pouvait vivre, on pouvait même être heureux sans palais et sans jardins. Elle aimait cet homme, qui se tenait auprès d’elle et venait de l’étreindre 

La haine moteur de la guerre.

 Tulan ne possédait ni la force, ni la détermination de son père. Il lui manquait la haine pour cela, la haine sans laquelle Yicheng en avait désormais une conscience aiguë, rien de grand ou presque n’était possible en ce monde. Or le jeune homme avait appris à aimer ceux chez qui il avait été otage. Parfois il venait la voir elle, sa belle-mère, uniquement pour évoquer les merveilles de raffinement des trois capitales. Ces visite irritaient Yicheng. Tulan lui rappelait tout ce qu’elle voulait oublier et détruire.

 


Éditions Quai Voltaires, 435 pages, septembre 2011

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Je suis ravie de m’être plongée encore une fois dans un roman de Richard Russo. La dernière page terminée, j’ai quitté à regrets les habitants de cette petite ville américaine, avec qui j’ai passé des soirées et beaucoup de temps. Pourtant tous les personnages sont loin d’être sympathiques. Ils ne sont ni pires ni meilleurs que la moyenne des humains mais on croit reconnaître à travers eux, tellement de gens qu’on connaît plus ou moins. La trame narrative n’est certainement pas le plus important et elle est un peu touffue. D’un côté il y a la famille Grouse, le père insuffisant respiratoire, la mère qui fait le malheur de sa fille Anna, et le petit fils Randall. Cette famille est liée à la famille Wood car les deux femmes sont sœurs , Milly est veuve et vit avec sa fille Diana cousine d’Anne et épouse de Dan, le grand amour secret d’Anne mais elle a épousé Dallas Younger un alcoolique joueur pas méchant mais totalement imprévisible. Celui-ci aide sa belle sœur, Lorraine, veuve, elle aussi, à élever sa petite fille. Et il y a le policier l’agent Gaffney et son frère Rory , deux brutes malhonnêtes.
Il me reste à vous présenter Wild Bill « le demeuré  » dont tous les garçons se moquent. On apprendra au cours du roman les raisons de son retard mental et cela expliquera en partie le caractère renfermé de Mather Grouse le père d’Anna .
Tout ce petit monde se retrouve chez Harris qui tient un « dîner » sorte de troquet où on peut se restaurer. On peut boire (beaucoup), manger (rapidement) parier sur les chevaux, jouer au poker et surtout parler de tout et de rien. Harris protège Wild Bill des moqueries et des coups qu’il peut donner ou recevoir. C’est certainement le personnage le plus sympathique du roman, il semble être au courant de tout mais ne dit jamais rien. Le roman se passe en deux moment : au retour d’Anna avec son fils de 10 ans , elle veut revivre son amour avec Dan qui est en fauteuil roulant et marié avec sa cousine. Douglas son ex-mari aurait peut-être envie de se rapprocher d’elle mais il en est incapable. On comprend peu à peu que le père d’Anne trouvait sa fille si belle qu’il aurait voulu une autre vie pour elle et qu’il est à l’origine de ce qu’il s’est passé pour Wild Bill.

Dans la deuxième partie, Anne finalement n’a pas réussi à quitter sa mère devenue veuve ni cette ville où elle n’est pas heureuse. Randall revient, il a arrêté l’université et fuit la conscription et la guerre du Vietnam . Le passé va rattraper tous les personnages, mais je ne peux en parler sans dévoiler la fin qui n’est d’ailleurs pas le moment le plus réussi du roman.

Si je raconte tout cela , c’est surtout pour m’en souvenir car je pense que j’oublierai assez vite l’intrigue, en revanche, je garderai en mémoire la toile de fond : une petite ville américaine qui perd sa principale industrie, des tanneries qui ont pollué les cours d’eau de la ville. Cette activité industrielle explique le nombre de gens malades dans cette ville et autour. La jeune nièce de Douglas sera atteinte de leucémie et elle ne sera pas la seule ! Et je n’oublierai pas non plus les caractères nuancés des personnages , l’aigreur des femmes mariées mais pas très heureuses , la difficulté de rester honnête dans une usine où tout le monde truande un peu, l’humour de l’auteur et enfin comment le destin se referme sur vous si vous n’avez pas le courage de fuir cet endroit.

J’ai préféré « le déclin de l’empire Whiting » et « Retour à Martha’s Vineyard » disons que pour ce roman l’intrigue, est difficile à suivre mais l’ambiance est parfaitement réussie.

Lire aussi l’avis de « je lis je blogue » et de Keisha .

Extraits.

 

Début.

 

 La porte de derrière du Mohawk grill donne sur une ruelle qu’ils partagent avec le collège. Lorsque Harry ouvre le gros verrou de l’intérieur pour laisser la lourde porte pivoter vers l’extérieur, Wild Bill est là, qui l’attend nerveusement dans la pénombre grise de l’aube. Impossible de deviner depuis combien de temps il fait les cent pas, à guetter le bruit caractéristique du verrou, mais il semble encore plus agité qu’elle l’accoutumée.

Le poker.

 Harry n’a pas besoin de demander qui a gagné. En général, c’est John, l’avocat qui gagne et il conserve ses gangs ses gains jusqu’à ce qu’il aille à Las Vegas, deux fois par an habituellement. Là c’est Vegas qui gagne.

Scène de couple aux urgences.

 « Regarde toi pauv’ naze » dit-elle.
Bien qu’elle ne parle pas fort, sa voix aiguë porte admirablement dans la salle bondée.
 « Regarde-toi toi-même, si tu peux le supporter ! »
– t’es même pas assez intelligent pour t’apercevoir que t’es un pauv’naze. Tout le monde te reluque, pauv’ naze. »
 Il se trouve que c’est vrai. Mais l’homme à la serviette de plage ne se laisse pas démonter. Il insulte sa compagne en utilisant une injure qui évoque une partie de son anatomie. Malgré cet échange virulent aucun des deux n’est véritablement en colère. Seul leur langage est inflationniste. Cela fait si longtemps qu’ils se traitent de tous les noms que les mots sont devenus incapables de stimuler la passion. À cet instant, ils sont plus proches de l’humour que de la fureur.
  » Tu verrais que t’es qu’un pauv’naze si t’étais pas si fier de toi. T’as jamais une trique si grosse et qui dure si longtemps.
– Ah si je pouvais avoir une femme qui la mérite. »
Elle ignore cette pique.
 » J’vois pas pourquoi t’es si fier, d’abord. Y a pas beaucoup de types qui ont une quéquette pas plus grosse qu’une alliance.
– Au moins j’ai une alliance. Tu pourras jamais en dire autant. »
 C’est assurément la meilleure réplique de ce duel et la femme réagit comme s’il lui avait décroché un direct.
 « Qu’est-ce que tu dirais si je lui filais une claque à ta petite quéquette qui te sert à rien, pauv’naze ? »

Compétition de malheurs de deux sœurs.

 En vérité, en enterrant son époux, Milly avait acquis un avantage déloyal sur sa sœur étant donné que l’une et l’autre prenaient énormément de plaisir à entasser sur leurs frêles épaules tous les malheurs que la vie pouvait leur imposer. Désormais, Mme Grouse avait repris la main car elle pouvait mettre à son crédit un mari décédé et une fille divorcée. Mais elle était trop bonne pour profiter d’un avantage injuste, et les deux sœurs étaient d’accord pour dire que chacune devait porter une lourde croix.

 

 

 

Traduit de l’anglais par Sabine Porte 

Éditions Roman Seuil, 151 pages, septembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

C’est le deuxième livre de cet auteur sur Luocine, après les nouvelles de « l’abattoir de verre » voici donc ce curieux roman d’amour . Une femme mariée, mais plus amoureuse de son mari, vit quelques jours avec un pianiste polonais aux Baléares. Cet homme est beaucoup plus âgé qu’elle et semble très amoureux . Béatriz se défend de cet amour mais cède aux avances de Witold, le pianiste, sans sembler amoureuse. Lorsqu’il repart, elle ne répond pas à ses mails. Lorsqu’il meurt il lui laisse des poèmes à travers lesquels elle comprend mieux son amour.

Je suis absolument certaine d’oublier très vite ce roman, je ne comprends pas l’utilité d’un tel récit si ce n’est que cet auteur de 85 ans a voulu décrire l’amour lorsque l’on atteint cet âge ! Je pourrai rajouter que c’est bien écrit, mais cet auteur est prix Nobel de littérature, c’est quand même le moins qu’on pouvait attendre de lui ! Mais je n’ai absolument pas compris sa façon de découper ce roman en petit chapitres et à l’intérieur des chapitres en petits paragraphes numérotés !

En réalité, j’ai eu l’impression d’un brouillon de roman, d’une envie de raconter quelque chose mais de ne pas aboutir à un vrai roman.

Extraits

 

Début.

1. Femme est la première à lui donner du mal, suivi peu à peu après par l’homme.

2. Au début il y a une idée très claire de la femme. Elle est grande et élégante ; ce n’est pas une beauté au sens conventionnel du terme, mais sa chevelure brune, ses traits -yeux bruns, pommettes hautes, lèvres pulpeuses – sont frappants et sa voix grave de contralto à un charme magnétique suave.

Intéressant .

– Alors vous avez toujours été pianiste. Depuis l’enfance.
 L’air grave le polonais réfléchit au terme de « pianiste ».
 » J’ai été un homme qui joue le piano, finit-il par répondre. Comme l’homme qui poinçonne les tickets dans le bus. C’est un homme et il poinçonne les tickets, mais n’est pas un poinçonneur.’

Des rapports bien loin de la passion amoureuse.

 « Une vie ordinaire côte à côte – voilà ce que je veux. Pour toujours. L’autre vie aussi, s’il y a une autre vie. Mais sinon, d’accord j’accepte. Si vous dites non, pas pour le reste de la vie, juste pour cette semaine -d’accord j’accepte ça aussi. Pour juste un jour, même. Pour juste une minute. Une minute suffit. C’est quoi le temps ? Le temps n’est rien. Nous avons notre mémoire. Dans la mémoire il n’y a pas le temps. Je vous garderai dans ma mémoire. Et vous, peut-être vous vous souviendrez de moi aussi.
– Quel homme étrange vous faites bien sûr que je me souviendrai de vous. »
 Elle prononce ces mots sans réfléchir, les ententes résonner singulièrement à son oreille. Qu’est- elle en train de dire ? Comment peut-elle promettre de se souvenir de lui alors qu’elle a toutes les raisons de penser que l’épisode du musicien polonais qui lui a rendu visite à Soler ça se trompera peu à peu jusqu’à n’être plus qu’une poussière au jour de sa mort ?


Éditions Robert Laffont, 251 pages, Décembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai commencé ce roman en étant persuadée qu’il allait fortement me déplaire : pendant la période du confinement une jeune femme rencontre un homme avec qui elle va tromper son mari. Elle sent qu’elle reproduit l’histoire de sa mère qui, elle aussi, a trompé son mari, et qui a avoué à sa fille qu’elle n’est pas la fille de son père mais d’un autre homme que sa mère a aimé avec passion.

Mais j’ai été happée par l’histoire de Luis ce médecin uruguayen, qui a fui la dictature, pour se réfugier à Lille aidée par Mathilde la mère de la narratrice. J’avais oublié que l’Uruguay avait connu une période de dictature militaire et la description de ce qu’il se passe dans les prisons du pouvoir est insoutenable.

Luis est médecin et il doit signer les constats de mort dans les prisons sans parler des tortures que ces pauvres gens ont subies. Cela le mine si fort qu’il finit par s’enfuir en France mais il est détruit par le poids de la culpabilité et la peur que le régime s’en prenne à sa femme et ses enfants.

Mathilde, mariée à un clerc de notaire dont elle a une fille, Sophie, aide cet homme à se reconstruire et emportée par sa passion, ils feront ce bébé , Lucia-Maria (Lucia pour la lumière et Maria du nom de la jeune femme torturée à mort, dans la prison de Montevideo, la dernière dont Luiz signera l’acte de décès par arrêt cardiaque) .

Luis ne sera jamais un père pour cette enfant née en France alors que, lui, est retourné dans son pays pour lutter et rétablir la démocratie. Il occupe maintenant un poste important, La rencontre avec ce père permet à la jeune femme de confronter l’histoire de sa mère avec celle de cet homme, mais c’est tout.

Un roman très classique et pas passionnant si ce n’est pour le rappel du passé tragique de l’Uruguay et j’ai trouvé que Laetitia de Luca le racontait très bien.

Extraits

Début

Paris, avril 2020
 Toutes les familles ont leurs traditions. La nôtre, manifestement, est de tromper son mari. J’ai longtemps cru pouvoir y échapper, mais j’ai présumé de mes forces. Pourtant chacun le sait les chiens ne font pas des chats. D’ailleurs c’est en allant promener le mien que c’est arrivé.

Passage obligé sur le statut de la femme secrétaire d’un grand patron de médecine.

Daller a toutes les raisons d’être satisfait du travail de Mathilde. Elle le materne du matin au soir avec une application de chaque instant qui flatte son égo boursoufflé. Elle range son bureau, trie ses papiers, vide sa poubelle et débarrasse son cendrier qui déborde comme un volcan. Elle s’enquiert de son sommeil quand il a l’air fatigué, s’inquiète pour sa santé à la moindre toux, le sermonne gentiment quand il travaille trop. Elle fait tout ça naturellement, parce que c’est dans l’ordre des choses. Parce que c’est un homme et elle, une femme. À la moindre difficulté le doyen crie « Mathilde » et elle accourt.
 Elle planifie chaque minute de son temps, lui annonce ses prochains rendez-vous, tape à la machine des lettres qu’il lui dicte.trop vite, pour la mettre au défi, parce que la possibilité de son échec est amusante pour lui. Parce qu’il n’a jamais su ce que c’est que de risquer sa place. Elle cale ses déjeuners et ses déplacements professionnels. Elle lui rappelle l’anniversaire de ses enfants, envoie le plombier à son domicile en cas de fuite. La femme du doyen ne travaille pas mais elle n’aurait « ni l’idée ni le temps » de s’en charger elle-même. Mathilde connaît bien madame Daller une très belle femme, grande mince, blonde, elle doit avoir quinze ans de moins que son mari….

Dernière lâcheté avant la fuite.et l’exil

Je ne signerai pas, murmure-t-il en s’effondrant, en larmes. Je ne signerai pas répète-il pour rattraper sa volonté qui déjà l’abandonne.

 Alors qu’il impose finalement son nom sur cet apocryphe, coulent sur sa roue joue, mélangées à la sueur et au filet de sang qui descend sur sa tempe, des larmes d’impuissance, des larmes de honte, et pour la 1re fois des larmes de haine.

Le poids du passé.

 Par son envolé lyrique, il a touché dans le mille les cœurs gonflés d’idéaux de ces jeunes gens. Le professeur se réjouit un instant de leur transmettre ce qu’ils considèrent comme le fondement même de la médecine moderne. Pour un instant seulement, car la seconde d’après sonne l’heure du retour au réel, du retard, des horaires, des contraintes. Il range ses feuilles de cours dans son cartable en cuir et prend congé de ses disciples. En descendant de l’estrade, il se revoit signer les constatations de décès des torturés de Montevideo, la plupart ayant le même âge que ses élèves, des enfants, et il se demande :  » Il était où à ce moment-là le grand professeur humaniste ? »

 

 


Éditions Zulma, 223 pages, novembre 2015

Traduit du portugais par Dominique Nédellec.

 

Enfin, voilà un roman qui va sortir de ma pile, je l’avais noté et acheté grâce à Keisha , il y a un certain temps ! C’est un récit assez farfelu, et souvent très drôle, mais qui évite un écueil, il ne tombe pas dans le surnaturel. J’ai du mal avec la littérature d’Amérique latine qui aime jouer avec les forces obscures de l’au-delà. Ici finalement tout aura une explication rationnelle, même la mort d’Ada qui aurait pu être évitée si le courrier des résultats de ses analyses lui étaient parvenu.

Plus que l’enquête menée par le pauvre Otto qui sent bien qu’il s’est passé quelque chose, mais ne sais pas quoi ! ce roman m’a plu pour la galerie des personnages du voisinage. C’est Ada, qui savait entretenir les liens sociaux , et qui parlait à Otto du préparateur en pharmacie qui est fan des notices de médicaments, du facteur qui se trompe toujours de destinataire du courrier qu’il doit remettre, de Iolanda spécialiste des sciences occultes et qui emploie depuis la mort d’Ada une jeune fille rousse pour faire du repassage alors qu’elle ne sait pas se servir d’un fer à repasser, de Teresa et ses chiens chiwawas qui aboient sans cesse… et du japonais Taniguchi atteint d’un Alzheimer et qui n’a terminé sa guerre contre les américains en … 1978 ! bien caché dans une forêt aux Philippines.

Les portraits de ce voisinage sont drôles et bien racontés, et puis, il y a l’enquête menée par Otto si peu capable de relations sociales mais qui sent bien qu’il s’est passé quelque chose, peut être le soir ou la tisane à base de laitue a réussi enfin à le faire dormir ? Pendant cette fameuse nuit, celle de la laitue s’est-il passé quelque chose qui expliquerait l’arrivée en masse des cafards chez Iolanda .. Ce n’est pas l’aspect que je retiens tout en reconnaissant que l’autrice a très bien su semer les indices pour qu’un amateure du genre se dise « Ah mais bien sûr, j’aurais dû m’en douter ! » . Je ne me suis doutée de rien, car j’avais oublié qu’on le présentait comme un roman policier, ce qui est abusé car il n’y a aucun policier dans ce roman ! Mais , il y a bien une enquête et même une mort. J’espère avoir respecté la règle de ne jamais dévoiler la fin d’un roman policier. Et, je le redis ce roman ne tient que grâce à l’humour de cette écrivaine qui m’a fait rire plusieurs fois.

Extraits

 

Début.

 Lorsque Ada est morte, le linge n’avait même pas eu le temps de sécher. L’élastique du jogging était encore humide, les grosses chaussettes, les T-shirts et les serviettes toujours sur le fil. C’était la pagaille : un foulard trempant dans un seau, des bocaux à recycler abandonnés dans l’évier, le lit défait, des paquets de gâteaux entamés sur le canapé – en plus, Ada était partie sans arroser les plantes. Les objets ne respiraient plus, ils attendaient. Depuis qu’Ada n’était plus là, la maison n’était que tiroirs vides.

Problème de traduction :Je me demande si on dit aussi vachement en portugais.

 Ada s’était entichée du mot « vachement » que du jour au lendemain elle s’était mise à utiliser à tout bout de champ. Cette nouvelle manie avait le don d’horripiler Otto, qui tint à s’informer sur la signification les origines du mot en question. Ada s’en alla d’un pas résolu consulter sa voisine Mariana, qui après tout avait étudié à l’université. Elles émirent ensemble deux hypothèses étymologiques. La première de nature kilométrique : dans « c’est vachement loin », il s’agit de traduire l’idée d’une distance excessive, au point que même une vache serait épuisée avant de l’avoir parcourue. Et quand on dit :  » il y a vachement à manger » c’est pour évoquer une quantité de nourriture qui suffirait à rassasier un bovin.

Humour macabre.

Un jour, il avait plongé la tête sous l’eau et, de retour à la surface, s’était mis à rire comme un tordu. « Tout le monde a trouvé ça amusant, racontait Ada. Il a replongé, il est remonté à recommencé à se bidonner. Ça faisait marrer tout le monde. Puis il a plongé encore une fois,mais n’est pas réapparu. Moralité  : mieux vaut ne pas faire la même tête quand on rit et quand on se noie. »

On ne sait jamais pourquoi on rit mais là j’ai éclaté de rire :

 Il se leva et, en traînant les pieds alla se brosser les dents et se laver le visage avec deux types de savons antibactériens -l’un éliminant 99,8 % des bactéries et l’autre 99,7 %. À eux deux, ils feraient donc mieux qu’exterminer les micro-organismes nocifs : sa peau afficherait un solde créditeur

La passion du pharmacien.

Nico avait une passion pour les notices de médicaments. En théorie, toutes les maladies du monde pouvaient s’abattre sur un patient avalant un malheureux comprimé pour en finir avec un bête rhume de cerveau, et le nombre de combinaisons possibles étaient infini. « Les plus fascinants , c’est ceux qui peuvent provoquer des états paradoxaux, comme somnolence et insomnie, accroissement et diminution de la libido, et, évidemment, les antidépresseurs entraînant des dépressions. Un antigrippal qui donne le hoquet » détaillait il accoudé au comptoir de la pharmacie.

Les médicaments, exemple de notice.

Mais la varénicline, on ne fait pas mieux : elle peut occasionner infections fongiques, infections virales, frustrations, bourdonnements, myopie, écoulement post-nasal, éructations (rots), flatulences (pets), prurits et sensation de mal-être.
– Sensation de mal-être…
– Autres effets secondaires, constipation, convulsion, anxiété, instabilité émotionnelle, syncope et collapsus.
– J’aime bien quand il parle de mal être, releva le gérant de la pharmacie, avec un léger temps de retard. C’est comme s’il disait. « Quoi que vous ressentiez, il se peut que ce soit notre faute. Mais ce n’est pas notre faute », compléta t-il tout en rangeant l’étagère des compléments vitaminés. Frustration, c’est pas mal non plus.

La poste comme danger mortel.

 Mais Ada n’avait reçu pas les résultats de ses examens et, par conséquent ne sut pas qu’elle souffrait d’une arythmie pouvant lui être fatale. Elle mourut des suites d’un dysfonctionnement de la poste.

 

 

 

 

 

 


Éditions de l’Olivier,413 pages, octobre 2024, première édition en 1945

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

La France est comme les étoiles qui donnent encore de la clarté la nuit, quand il fait ben noir 

 

Déjà en 2013 le club de lecture m’avait fait lire un roman de cette écrivaine : « la petite poule d’eau« . Ce roman-ci est un grand succès de la littérature canadienne, il paraît la première fois en 1945 . C’est un roman très surprenant pour la lectrice que je suis aujourd’hui, une plongée dans le monde misérable de Montréal, au début de la deuxième guerre mondiale. Surprenant, car c’est un style incroyablement démodé, personne n’écrit plus comme ça, en détaillant par le menu toutes les circonvolutions psychologiques des différents personnages. La misère dans laquelle est plongée les gens pauvres du Québec est vraiment saisissante, nous suivons une famille celle de Rose-Anna et Azarius Latour, qui ont beaucoup d’enfants, dont un petit Daniel qui est atteint de Leucémie, et Florentine une jeune fille décidée et qui rapporte toute sa paye de vendeuse à sa famille. Azarius est un homme bon mais incapable de faire vivre sa trop nombreuse famille, Rose-Anna est désespérée et travaille sans arrêt pour économiser le moindre centime. Les histoires d’amour de Florentine, occupent une grande partie du roman, cela nous vaut de connaître Jean Lévêque un homme sans cœur, mais Florentine tombera follement amoureuse de lui. Cette histoire d’amour racontée dans le moindre détail m’a replongée dans des romans que j’ai lus dans ma jeunesse, sans être mièvre, car les personnages sont complexes, c’est quand même très convenu et en plus il y a le bel Emmanuel un homme bien sous tout rapport avec qui elle finira par se marier sans lui dire qu’elle attend un enfant de Jean.

Raconté comme ça, je doute que vous ayez envie de lire ce roman, mais il y a un charme certain à la langue et aux descriptions des paysages si rudes. J’ai quand même eu du mal à ne pas secouer la pauvre Florentine et ses idées de l’amour, s’attacher à un homme qui vous méprise n’a jamais été mon fort. L’autrice s’attache à rendre chaque personnage complexe et même le fameux Jean Lévêque le séducteur qui méprise les femmes qui s’attachent à lui, a le droit à une présentation nuancée. il a eu le malheur de perdre ses parents alors qu’il avait quatre ans, il a été élevé d’abord dans un orphelinat puis dans une famille d’adoption sans connaître la moindre tendresse. Est ce pour cela qu’il est incapable de se laisser aller à la tendresse ?

J’ai eu aussi du mal à accepter que finalement pour tous les personnages, la guerre les sauvera de la misère ou d’une passion amoureuse si mal partie.

Sur Luocine, deux livres sur la misère et la difficulté de vivre dans des régions inhospitalières, celui de Joël Elgloff fait 147 pages et celui-là 413 pages, dans le premier tout est évoqué dans une langue poétique et envoutante, dans celui-ci vous aurez le poindre détail des hésitations et des disputes amoureuses ou des conversations de bistrots. Je pense que le premier correspond plus à la sensibilité des lectrices et lecteurs d’aujourd’hui.

 

Extraits.

Début.

À cette heure, Florentine s’était prise à guetter la venue du jeune homme qui, la veille, entre tant de propos railleurs, lui avait laissé entendre qu’il la trouvait jolie.

Personnalité de Jean et idée du style .

Le regard du jeune homme effleura le campanile de Saint-Thomas-d’Aquin, la tourelle à colonnade du couvent, la flèche de Saint-Henri, et monta directement aux flancs de la montagne. Il aimait à s’arrêter sur cette voie et à regarder, le jour, les grands portails froids, les belles demeures de pierre grise et rose qui se dégageaient nettement là-haut, et, la nuit, leurs feu qui brillaient lointains, comme des signaux sur la route. Ses ambitions, ses griefs se levaient et l’enserraient alors de leur réseau familier d’angoisse. Il était à la fois haineux et puissant devant cette montagne qui le dominait.
De la rue Saint-Antoine monta de nouveau cet écho de pas scandés qui devenait comme la trame secrète de l’existence dans le faubourg. La guerre ! Jean y avait déjà songé avec une furtive et impénétrable sensation de joie. Est-ce que ce n’était pas là l’événement où toutes ses forces en disponibilité trouveraient leur emploi ? Combien de talent qui n’avaient pas été utilisés seraient maintenant requis ? Soudain il entrevoit la guerre comme une chance vraiment personnelle, sa chance à lui d’une ascension rapide.

Image du Canadien français.

Ce n’était pas que le patron fût bougon ou bien hautain, mais comme la plupart des Canadiens français, il répugnait au service de restaurateur qui exige une déférence tout à l’opposé de leur nature.
Au fond Sam Latour restait toujours comme humilié lorsque son commerce l’entraînait, par exemple, à laisser une belle discussion en plan pour aller dans l’arrière-cuisine réchauffer une tasse de café ou un bol de soupe.

L’amour destructeur.

Un instant, un très bref instant, elle fut traversée d’une nostalgie  : elle pensa prier pour que fût extirpé de son cœur cet amour qui la rongeait. Mais penchée jusqu’à toucher de son front le bord du banc, elle revit Jean, de dos, s’en allant. Et alors, elle s’accrocha à son tourment, elle s’y tint comme une noyée à son épave. 

La misère.

Elle, silencieuse, songeait que la pauvreté est comme un mal qu’on endort en soi et qui ne donne pas trop de douleur, à condition de ne pas trop bouger. On s’y habitue, on finit par ne plus y prendre garde tant qu’on reste avec elle tapie dans l’obscurité ; mais qu’on s’avise de la sortir au grand jour, et on s’effraie d’elle, on la voit enfin, si sordide qu’on hésite à l’exposer au soleil.


Éditions de l’Olivier, 263 pages, septembre 1997.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’apprécie beaucoup la personne qui a mis cet auteur au club de lecture, j’ai voulu jouer le jeu et donc, j’ai de nouveau lu un roman de son auteur fétiche. Nous retrouvons un Paul dépressif, gravement cette fois, car il est interné dans une clinique psychiatrique à Jérusalem, nous retrouvons Anna sa femme victime d’un accident, elle aura la main coupée dans un accident de ski nautique, nous retrouvons la tondeuse à gazon, et la haine de l’auteur pour les religions, ici le judaïsme.

Donc le roman peut s’installer, Paul va divorcer d’Anna qu’il a beaucoup aimée, il est le jumeau d’un Simon diabolique et extrémiste juif qui va le manipuler et le faire mourir dans la clinique psychiatrique. Entre temps, il sera amoureux d’une superbe météorologue ce qui nous vaut de belles scènes érotiques.

Je n’ai pas réussi à m’intéresser à cette histoire si ce n’est aux descriptions très réalistes des phénomènes météorologiques. Il y a aussi de très belles scènes érotiques, je dois le dire si cela peut vous motiver à lire ce roman .

Comme le rendez-vous du club aura lieu avant que je fasse paraitre ce billet, j’espère pouvoir vous expliquer pourquoi cet auteur plaît tant aux lectrices de mon club.

Sur mon blog cela fait le quatrième roman de cet auteur : (les accommodements raisonnables 22 février 2021) (Une vie française 2 septembre 2024) (Si ce livre pouvait me rapprocher de toi 6 septembre 2024)

 

Extraits.

Début.

J’ai enterré trop de chiens pour feindre d’ignorer ce qui m’attend. Tout n’est plus désormais qu’une question de temps, de patience. Autrefois, je me vantais d’aimer la compagnie des mouches. Désormais, je trouve leur empressement déplacé quand je les vous, fébriles, téter mon épiderme.

La belle famille.

Plus tard, une fréquentation plus assidue de ma belle famille devait me révéler que mon premier jugement avait été le bon. Les Baltimore n’étaient pas véritablement antisémites, mais, pour autant, ne se cachaient pas de leur défiance vis-à-vis de tout ce qui n’était pas blanc, occidental et chrétien.

L’indispensable tonte de gazon.

J’ai toujours aimé tondre les pelouses. C’est une de les douces perversions. Pour tromper mon angoisse et tandis qu’Anna se reposait sous la véranda, je décidai donc de me livrer à cette activité. Je ne possédais alors, qu’une modeste machine autotractée, qu’il fallait en réalité pousser comme un damné….

Anna, sa femme.

Aujourd’hui, avec le recul, je dirais de ma femme qu’elle savait souffrir en silence et tourmenter les autres par ses propos. Elle était, certes, intransigeante, mais possédait aussi cette qualité rare qui me fascinait, à laquelle je tenais plus, que tout et qui me faisait oublier le reste : Anna était incapable de simuler. Qu’il s’agît de plaisir ou de bonheur.

L’humour.

Au fil de mes voyages, j’ai découvert que les Québécois étaient des Français bien élevés. Là-bas rien ne semblait grave. Pas même d’être chauve. Un proverbe ne disait-il pas : » le Seigneur est juste, le Seigneur a donné un cerveau aux justes, et juste des cheveux aux cons. » ?

 


Édition Zulma, 241 pages, septembre 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

J’avais tellement aimé « La vérité sur la lumière » je savais que je lirai celui-ci, comme tous les autres romans de cet auteur . Il se trouve qu’à mon club de lecture j’ai proposé un thème : « Au bonheur des langues », et ce roman a, évidemment, toute sa place dans ce thème. Le personnage principal, narrateur, Alba est une linguiste professeur d’Université qui s’intéresse en particulier aux langues qui sont parlés par si peu de locuteurs qu’elle risque de disparaître. J’ai souvent pensé au livre que j’ai tant aimé « la poésie du Gérondif » de Jean-Pierre Minaudier. Elle est aussi traductrice, et relectrice des romans qui paraissent en Islande. Toutes les remarques sur la langue islandaise (et elles sont nombreuses) , montrent que cette langue est incroyablement difficile à apprendre et aussi à écrire, un moment la narratrice se demande si cette langue ne fera pas un jour partie des langues qui vont disparaître.

La façon dont l’auteure construit son intrigue me plaît beaucoup. Car il s’agit bien d’un roman et pas d’un essai sur la traduction ou la langue islandaise, cela sert d’arrière plan à son intrigue qui est comme une esquisse posée sur un décor. Et quel décor ! pour des raisons que nous comprendrons peu à peu, Alba a acheté une maison isolée dans la campagne islandaise, elle décide d’y planter des arbres. Dans le petit village qui est à côté de chez elle, elle découvre un épicier incroyable qui l’aide à trouver des artisans pour remettre sa maison en état. Grâce à lui, elle découvrira une famille d’émigrés qui a bien du mal à s’adapter à la rudesse du climat islandais. Un adolescent jouera un rôle important dans ce roman, il permet au lecteur de comprendre à quel point il est difficile pour des gens qui viennent de pays ensoleillés de se plaire en Islande, quant à la langue c’est un véritable casse-tête. Alba va mettre ses compétences aux services des émigrés qui ne parlent pas la langue et des liens plus forts vont se tisser avec Danyel l’adolescent qui fait tout pour rester dans ce pays qu’il ne veut plus quitter.

Et il y a aussi son père qui est une présence si affectueuse pour sa fille et qui grâce à son meilleur ami qui est un amoureux des arbres aide sa fille dans le choix des arbres à planter, dans sa propriété ? Et il y a sa sœur, qui commence toutes ses phrases par « Et » .
Et moi ? je ne vous ai encore rien dit de l’intrigue, Alba, a eu une relation d’un étudiant dont elle dirigeait la thèse . Cet étudiant a écrit un recueil de poèmes racontant son amour désespéré, on se rend compte que c’est pour cela qu’Alba a démissionné de son poste à l’université.

Tout me plaît dans ce roman, l’arrière plan linguistique, la description de la nature mais par dessus tout la richesse des personnages, son père, l’ami de son père, l’épicier du village, son voisin qui ne sera pas un allier pour elle et j’allais oublier l’incroyable humour de l’auteure. J’aime aussi la façon dont elle parle des gens sans donner l’impression de les juger , et de ne pas faire son intrigue le centre même de son récit, c’est un peu comme si elle nous offrait une super balade dans ce pays qui est aujourd’hui une des destination préférée des touristes français .

Mais lisez aussi l’avis de Géraldine qui n’a pas aimé du tout.

 

Extraits

Début.

Iss
L’avion s’élance sur la piste et décolle, la tête penchée vers le hublot, j’aperçois une femme qui sort de son domicile en banlieue et pousse vers la voiture ses deux enfants chargés de leurs cartables, elle est étonnamment proche, étonnamment nette, puis l’appareil s’élève à grande vitesse dans les airs et tout rapetisse, je vois le sol soigneusement quadrillé et la ville en contrebas qui se mue en un chapelet de lumières scintillantes.

Les colloques des linguistes.

« Quel est le nombre minimum de locuteurs nécessaires pour sauver une langue et quel en est le coût ? (Ce sont des sujets que nous abordons à chacun de nos colloques sans jamais parvenir à la moindre conclusion).

Une linguiste cherche à acheter une maison.

Je ralentis à la vue de deux perdrix des neiges immaculées sur l’accotement. « Berangur » est le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ce lieu désolé où l’on est à découvert, et comme la pensée fonctionne par association, je pense aux adjectifs « berskjaldaďur », vulnérable, et « ber » nu.

La vie dans un village d’Islande.

C’est par la boulangerie qu’on accède à la supérette de Karla Dis dont un coin est occupé par l’agence bancaire où la caissière tricote, sur sa chaise, derrière une paroi en verre. Le motif qu’elle réalise semble identique à celui des productions artisanales locales et des chandails vendus à l’épicerie, des chevaux qui piaffent. Je suppose qu’elle tricote lorsqu’il n’y a pas de clients à la banque et qu’elle s’occupe ensuite de vendre ses ouvrages dans la boutique.

De l’autre côté de la rue, un magasin de la Croix-Rouge pique ma curiosité. Il est « Fermé » comme l’indique le panneau lumineux qui clignote au-dessus de la porte. À en juger par la vitrine, c’est à la fois une brocante, une librairie d’occasion et une feuille d’occasion et une boutique de vêtements de seconde main. Une feuille scotchée sur la porte mentionne qu’il est ouvert le mercredi et que :  » Nous prenons TOUT ce dont vous souhaitez vous débarrasser, lampadaires, images d’anges, vases, commodes, services à café, robes, livres … »

Le silence et les Islandais.

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

La ponctuation.

Je me demande tout de même parfois si l’auteur n’a pas oublié des virgules ou si c’est un choix stylistique délibéré. Pourquoi recourir à la virgule ? L’enseignante en moi répondrait : pour sortir de sa torpeur et respirer. Regarder autour de soi. Décider de la prochaine étape du voyage.

Je suis toujours ravie de lire ce genre de faits sur les langues.

 Autrefois les femmes de la province de Jiangyong dans le sud de la Chine parlaient entre elles le « nüshu », une langue comprise d’elles seules, hermétique pour les pères, les époux et les fils. Cet idiome s’écrivait en vers, sept idéogrammes par ligne, parfois proches de maximes telles « Qui a une sœur à ses côtés ne saurait désespérer ».

Apprendre l’islandais.

J’hésite à lui signaler que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée d’enseigner à des gens qui ont fui leur pays dévasté par la guerre, et qui rêvent pour la plupart de vivre ailleurs, une langue minoritaire dotée d’un système complexe de déclinaisons et de conjugaisons, une langue où « comprendre » quelqu’un et « divorcer » s’expriment en recouvrant au même verbe -« skilja »- , une langue qui n’est parlée que dans le troisième pays le plus venteux de la planète.

Les poèmes des réfugiés .

J’ai emporté 
une bouteille d’eau 
et mon téléphone
la mer est salée comme des larmes.
(D16 ans)
J’ai emporté 
l’essentiel 
une bouteille d’eau 
mon téléphone 
j’abandonne 
ma maison 
la tombe de maman 
mon chat
le poirier du jardin
la mer est salée comme les larmes 
(Version corrigée par l’éditeur)