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Coup de coeur

Édition le livre du futur, 136 pages, octobre 2024

Je lis vraiment peu de BD, mais j’aime beaucoup cet auteur, et je sais que je lirai toute sa série sur ce frère que son père a enlevé à sa mère, et à toute sa famille maternelle, alors qu’il avait à peine 6 ans.

Tout est dit ! son père syrien que nous avons bien connu dans la série « L’arabe du futur » , ne supporte pas que sa femme ne revienne pas vivre avec lui dans son village en Syrie. (J’avais beaucoup aimé la première série et je croyais l’avoir mis sur Luocine, car j’ai tous les tomes dans ma bibliothèques. Et non ! ). Pour la contraindre à revenir, il enlève leur plus jeune fils Fadi, le petit dernier des trois frères, un enfant adoré par sa grand-mère bretonne et évidemment sa maman. La manœuvre ne marche pas : sa femme veut encore moins remettre un pied en Syrie , mais Fadi est bien obligé de s’adapter à sa vie sans sa maman dans un pays dont il adopte peu à peu la langue et les coutumes.

Ce que j’aime chez cet auteur, c’est qu’il garde une lucidité étonnante sur tous les personnages de son enfance . Son père est vraiment manipulateur et lui Riad, est trop grand pour se laisser avoir mais il comprend bien comment le petit Fadi a dû se faire berner par les belles paroles de son père. Sa famille bretonne est aimante mais impuissante face à cet enlèvement , et les autorités françaises complètement dépassées.
J’ai hâte de lire la suite


Éditions du Seuil, 151 pages, août 2024.

lu sur un mur de Chiraz

Vous pensiez me tuer, Vous nous avez ressuscitées

Je regarde assez peu la Grande Librairie, le plus souvent parce que j’oublie, mais ce soir là deux auteurs que je voulais lire étaient invités : Kamel Daoud pour Houri, et Delphine Minoui pour ce roman. Le soir de cette émission pendant laquelle cette autrice franco-iranienne racontait son admiration pour les jeunes iraniennes du mouvement « femme, vie, liberté » qui, au péril de leur vie, arrachent leur voile et le brûlent, une femme en arrière plan passait son temps à remettre le sien !

Badjen veut dire aujourd’hui la jeune fille qui ose rejeter « les bonnes mœurs musulmanes », mais le premier sens est presque « prostituée ». Cette jeune fille, Badjen (c’est le nom que lui a donné sa mère) est élevée dans une famille classique iranienne et elle ressent immédiatement que sa naissance a été un malheur pour son père pour qui la femme n’est que source de problème . Sa mère est celle qui lui permettra de se construire, car si celle-ci semble accepter la domination de son mari, en cachette de celui-ci, elle donne à la vie de sa fille la force de s’opposer. La différence entre les deux générations, c’est le courage de la jeunesse qui osera tout et le fera de façon ouverte.

Le roman est très facile à lire et explique très bien de quoi le voile est le symbole : il s’agit de ne pas attiser la convoitise des hommes et de garder la femme dans une attitude de soumission. Il y a une énergie dans ce récit qui le rend « presque » agréable à lire. Pour le côté sombre, car ces jeunes filles sont très souvent blessées ou même tuées par la police, le film « les graines du figuier sauvage » complète très bien cette lecture. Et dans ce film aussi c’est l’adolescente qui lutte le plus naturellement contre l’oppression patriarcale .

Une lecture nécessaire et si simple qui s’adresse à la jeunesse, celle de notre pays ou la liberté des filles existe encore et je l’espère pour toujours.

 

Extraits

Début poème .

T’entends leurs cris ?
Tu les entends t’applaudir alors que t’as encore rien fait ?
Froussarde ! Très même pas cap.
Même pas cap de grimper sur la benne.

Début du texte .

 J’ai 16 ans. 
Aucun cri ne sort de ma bouche.
Je me parle à moi-même depuis ce corps qui ne m’a jamais appartenu. 
J’ai 16 ans. Je pèse 47 kg et je mesure 1,59 m.
 Je les entends hurler « vas-y ma fille ! » et je repense au premier cri :
– Dieu c’est une fille !
Ce cri d’avant ma naissance.
Le cri fondateur. 
Originel.
Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de maman.

L’avortement et l’islam.

On dit que ce sont les détails qui tuent. Moi c’est mon grand-père qui a failli me tuer.
Pendant que la gynéco aidait ma mère à se relever, il avait pris tous les hommes de la famille en aparté pour planifier ma sentence prématurée. – Un avortement ! Il faut à tout prix envisager un avortement !
L’islam, religion d’état, interdit l’avortement. 
Sauf qu’en Iran tout se négocie même la religion.
 Mon grand-père affirmait connaître un médecin dont la cave servait de clinique clandestine, ni vu ni connu.
– Un homme de confiance, avait-il insisté.
 Il l’avait contacté en urgence par texto.
 Cinq minutes plus tard la réponse s’affichait sur son portable. Deux lignes expéditives confirmant la possibilité d’une intervention illicite moyennant un prix très juteux, nettement supérieur à la somme escomptée. (…)
 Mon grand-père lui avait raccroché au nez renonçant à contre cœur à mon assassinat trop coûteux.

Sa mère .

 Plus tard je l’ai souvent entendu dire en parlant à ses copines :
 » On ne veut pas finir comme la Syrie. »
 Ou encore :
 « La révolution nos parents l’ont déjà expérimentée, et on a vu ce que ça a donné ! »
Et elle s’est remise à faire ce qu’elle avait toujours fait : contourner les interdits plutôt que les envoyer balader. Une vie de concessions, de compromis de soirées clandestines, de défilés de mode underground, d’alcool frelatés, livré dans des sacs poubelles et de programmes satellitaires captés grâce à de petites paraboles camouflés sur le toit … Des arrangements tolérés au compte-gouttes par mon père, tant qu’ils étaient soigneusement tus pour ne pas entacher la réputation familiale.
 La seule audace que maman ait gardé de 2009, c’est ce foulard vert qu’elle porte de temps en temps, surtout les jours de cafard.
Elle répète que « le vert, c’est l’espoir ».
c’est tout ce qu’il lui reste.
Avec moi.

 

 

 

 


Édition Acte Sud, 139 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Le sermon sur la chute de Rome » voici ma deuxième rencontre avec cet auteur, dont j’aime tant le style et la façon de raconter.

Deux thèmes s’entremêlent dans ce roman, (encore) la Corse et ses violences si particulières : laver son honneur dans le sang , et le tourisme qui peu à peu ravage la planète. Comme dans le précédent roman Jérôme Ferrari ancre son récit dans le passé historique. Cette fois il raconte la prophétie de la ville sainte d’Harar à qui on avait promis le déclin si un chrétien en ressortait vivant. L’explorateur britannique Richard Francis Burton a réussi cet exploit et la prophétie se réalisera. À l’image de cette prophétie, Jérôme Ferrari décrit les invasions touristiques de tous les plus beaux lieux de la planète , son message : ne laissez aucun touriste revenir d’un lieu que vous voulez garder secret sinon il sera peu à peu envahi et dénaturé, jusqu’à l’actuelle arrivée dans des navires de croisières transportant des milliers de touristes qui se déversent sur les côtes ( regardez bien la couverture du livre !)

La Corse, donc Le narrateur y est professeur et il y compte aussi ses amis d’enfance , il connaît bien les Corses en particulier Philippe qui s’est enrichi grâce au tourisme sans beaucoup travailler. Son propre fils un bon à rien qui trouvera que son honneur est bafoué et pour une bouteille d e vin , il tentera de tuer un homme qui l’a déshonoré – on met son honneur où on peu t !

Tout le plaisir de ce roman vient de l’écriture à la fois précise et souvent drôle , la charge anti-touristes est un peu forte surtout à la fin, car cela monte en puissance, mais qui n’a pas vu ces énormes navires débarquer leurs flots de touristes en continue en submergeant les villes dans lesquelles on aime se promener ne peut sans doute pas lui pardonner son outrance.

J’ai cherché d’où venait le titre du roman, il est inspiré par l’île de North Sentinel dans le golfe du Bengale, dont la tribu autochtone a tué jusqu’à aujourd’hui tous ceux qui ont essayé de s’y rendre, y compris un missionnaire en 2018.

Est-ce qu’il aurait fallu le faire en Corse pour éviter le tourisme actuel ? Les corses avaient des dons pour la violence, mais ils aiment aussi l’argent sans trop se fatiguer ! (D’après ce roman … pas selon mon expérience, je me méfie de la vengeance possible des autochtones ! )

Extraits

Début

 On raconte encore que, dans l’après-midi du 3 janvier 1855, malgré la vénérable prophétie annonçant la ruine de la ville sainte peu de temps après qu’un infidèle l’aurait impunément souillée de sa présence le sultan Ahmad ibn Abu Bakr consentit à ce que le capitaine Richard Francis Burton franchit les portes inviolées de la cité de Harar. Il lui accorda une hospitalité soupçonneuse de dix jours avant de le laisser repartir saint et sauf, privilège dont aucun Européen n’avait joui jusqu’alors. S’il avait pu savoir que Harard tomberait en 1875, alors que lui-même était mort de consommation dix-neuf ans plus tôt dans l’amertume et le regret Ahmad ibn Abu Bakr n’aurait sans doute pas commis l’erreur fatale d’épargner le capitaine Burton et il aurait eu raison.

Prétention et humour

 Le fait désolant que leur premier-né mâle reçoivent systématiquement des prénoms de rois, d’empereurs ou de héros antiques est sans doute un symptôme particulièrement transparent de leur mégalomanie comme de leur absence totale de sens du ridicule : les Romani portant haut, et qui plus est fièrement, l’étendard de l’inculture, ils ignoraient évidemment tout de l’origine exacte des personnages historiques ou légendaires qui rendirent ces noms illustres et ils ne leur parurent jamais étrange comme l’atteste leur grotesque généalogie, qu’un Hector put engendrer un Achille, ou qu’un Hamilcar fût le grand-père de Scipion – ce qui me permet d’affirmer, sans crainte d’un démenti, que l’heureuse séquence Philippe-Alexandre ne peut être que le fruit du hasard ou le résultat d’une intervention de Catalina.

La Corse et le tourisme

 Contre toute attente, alors que les personnes sensées avec toujours fui en été le bord de mer caniculaires et malsain, une folie collective poussait désormais à s’amasser sur les plages des foules de plus en plus compactes d’abrutis extatiques qui venaient ici cultiver leurs futurs mélanomes en s’enduisant de monoï et de graisse à traire sous le soleil brûlant, se faire piquer par les moustiques et les guêpes insatiables, partageaient leurs miasmes et leurs mycoses dans la tiède infusion de la Méditerranée et qui, de surcroît, était prêt à payer pour le faire. Les Romani possédaient évidemment une bonne partie du littoral, et ces étendues stériles de roches et de sable dont personne n’aurait voulu quelques années plus tôt valaient maintenant une fortune.

En1933 , une journaliste vient interroger Pierre-Marie Romani : naissance d’une légende.

 Désormais, il lui fallait seulement, avec l’aide active d’une population qui le vénérait, éviter les gendarmes rêvant de le conduire à la guillotine et supporter les misères d’une vie de réprouve, la solitude des nuits dans la campagne, avec pour seule satisfaction la certitude de n’avoir pas failli. C’est derniers points étaient très exagérés : pour l’heure, les gendarmes ne se souciaient guère de lui et, la plupart du temps, il dormait chez ses parents dans la chambre de son enfance. Le reste était entièrement faux. Mais Pierre-Marie savourant la joie d’être devenu, par la seule force de son récit mensonger, celui qu’il aurait tant voulu être. 

Changement des comportements touristiques.

 

À la fin des années 1990, après s’être exclusivement consacrés au bronzage sur les plages, ils commencèrent à penser – ou plus probablement quelqu’un pensa pour eux- qu’il serait bon de diversifier leurs activités, de se rapprocher de la nature et de s’intéresser aux cultures indigènes et ils décidèrent de partir en quête de l’authenticité que nous étions bien sûr tout disposés à leur vendre.
 Ils se mirent donc à arpenter en masse les chemins de randonnée, troquant avantageusement leur coup de soleil, piqûres d’oursin et hydrocution pour des ampoules, des morsures de punaises de lit, des entorses et des chutes mortelles au fond de ravins oubliés.
 Ils exigèrent de manger local. D’écouter de la musique locale. Ils tenaient absolument à ce que leurs vacances aient du sens.
Nos avant et arrière saison jusqu’ici épargnées, virent débarquer des troupes de retraités lubriques, de sportifs de l’extrême et de jeunes actifs que ne contraignait pas encore le calendrier scolaire.

 

 

L’explication d’un crime pour la policière en charge du crime.

Dans sa longue et épuisante fréquentation du crime, Sévrine Boghossian n’a jamais cessé d’être sidérée face à la disproportion presque systématique entre les actes dont elle était le témoin et les raisons qui les avaient fait advenir, comme si la chute virevoltante d’une feuille d’automne creusait dans le sol un cratère, une disproportion si incommensurable que Séverine Boghossian a toujours eu le sentiment, en découvrant un mobile, non d’avoir obtenu une explication propre à satisfaire aux exigences de la raison mais, bien au contraire d’être à nouveau plongée tout entière au cœur d’une énigme qui revenait la submerger et la faisait suffoquer et qu’elle ne résoudrait jamais


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.

Édition Héloïse d’Ormesson, 358 pages, octobre 2023

 

je propose ce livre dans les feuilles allemandes, même si l’auteure est australienne le sujet est bien l’Allemagne : la RDA

 

Dès que vous, mes tentatrices, mettrez un commentaire je mettrai un lien vers votre billet. Quel livre et quelle horreur ! ! Oui il faut lire ce livre même si, parfois, il faut prendre son courage à deux mains. On peut se consoler en se disant que cet horrible régime a été soutenu par plus de 75 % de la population. Mais avant de lire mon billet écoutez la voie de Charlie Weber qui lui est mort dans les geôles de la Stasi en 1980 :

Dans ce pays

Je me suis écœure de silence

Dans ce pays 

Je me suis égaré, perdu

Dans ce pays

Je me suis tapi pour voir

Le sort qui m’attendait

Dans ce pays

Je me suis retenu

De ne pas hurler

  • – Mais j’ai fini par hurler, si fort

Que ce pays m’a répondu

En gueulant avec la même laideur

Que les maison qu’il bâtit 

Dans ce pays

Seule ma tête dépasse

De terre, comme un défi

Mais elle se fera tondre un jour.

C’est alors, et enfin, que je ferai partie 

De ce pays.

 

Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Anna Funder à enquêter sur la Stasi, mais son travail est remarquable et m’a sortie de ma torpeur sur ce sujet. Oui, je savais que la RDA était un état policier, et que la Stasi espionnait tout le monde, mais je n’avais aucune idée et sans doute ne voulais-je pas le savoir à quel point cela impactait la vie des habitants. Ma plus grande surprise a été de découvrir le nombre de gens qui ont travaillé pour la Stasi . Les raisons pour lesquelles autant de gens travaillaient pour ce service de police et d’espionnage sont à la fois incroyables et faciles à comprendre. Une partie des recrues de la Stasi travaillaient par conviction communiste  : rien ne leur semblait pire que le capitalisme de RFA, d’autres étaient tenues par la peur : la Stasi savait très bien exercer des chantages qui marchaient le plus souvent, et enfin d’autres se sentaient importants en connaissant de petits secrets que d’autres ne savaient pas !

L’auteure a d’abord découvert l’histoire de Myriam Weber la femme de Charlie, à 16 ans elle a essayé de fuir à l’ouest , et elle a été attrapée puis torturée. La torture la plus répandue était de priver de sommeil la personne pendant parfois plusieurs jours, il semble que personne ne résiste à cette torture. Elle est ensuite envoyée en prison pour dix huit mois. Elle a été totalement détruite moralement et c’est son mari Charlie Weber qui l’a aidée à se reconstruire. Mais lui aussi sera arrêté et il mourra en prison. C’est à partir de là qu’Anna Funder a voulu découvrir comment fonctionnait la Stasi et elle a eu l’idée de passer une petite annonce pour rencontrer des anciens de la Stasi. Et, elle en a rencontré qui n’ont pas hésité à lui expliquer comment ils recrutaient, comment ils espionnaient, comment ils tenaient les gens en leur pouvoir. Certains regrettent cette période où leur pays marchait droit et où la délinquance n’existait pas. Tous ont tourné la page et sont passé à autre chose, aucun n’exprime de regrets.
C’est une lecture éprouvante mais nécessaire, les rares personnes qui sont restée dignes dans ce pays l’ont payé très cher , mais comme le chanteur de rock dont le groupe a été dissous préfère ne pas avoir pu chanter pendant 17 ans plutôt que de s’être renié : quel courage !

C’est vraiment intéressant d’avoir à la fois le point de vue des victimes et celui des bourreaux qui se sentent d’autant moins coupables qu’ils ont tous trouvé des postes intéressants. En effet connaissant parfaitement les habitants de la RDA (et pour cause !) , ils ont pu servir d’intermédiaires entre les entreprise allemande de l’ancienne RFA qui cherchaient à recruter une main d’œuvre dans l’ancienne RDA. Vous serez peut-être surpris du nombre de passages que j’ai recopiés mais Luocine, me sert aussi à ne pas oublier les livres qui me marquent et dans ce cas j’essaie vraiment de tout retenir ou du moins de savoir où je peux retrouver ce que je veux expliquer.

 

Et donc merci à Keisha, Ingannmic, Sacha, et Eva

Extraits.

 

Début .

 J’ai la gueule de bois. Dans la gare bondée d’Alexander-Platz, je dirige mon corps comme un véhicule. Plusieurs fois je n’évalue pas bien ma largeur et heurte une poubelle ou une borne publicitaire. Demain les bleus se développeront sur ma peau, comme une photo à partir d’un négatif.

Des employés de bureau surchargés de travail !

 L’adjoint de Scheller, Uwe Schmidt, était aussi présent à notre entrevue. La première fonction d’Uwe en tant qu’adjoint, est de montrer que Sheller est assez important pour nécessiter un adjoint. Sa seconde fonction est de paraître toujours très occupé et bousculé, ce qui est nettement plus difficile puisqu’il n’a pratiquement rien à faire. Sceller et Uwe sont tous deux originaires de l’ouest.

Prison communiste .

 Deux gardes, des femmes l’y attendaient. C’était le baptême de bienvenue. 
 C’est le seul moment où elle a eu peur de mourir. L’eau de la baignoire était froide, une garde la tenait par les pieds, l’autre par les cheveux. Elles lui ont longuement tenu la tête sous l’eau, puis l’ont ressortie par les cheveux en l’insultant bruyamment. Et elles ont recommencé. Totalement impuissante, elle ne pouvait plus respirer. Elles l’ont remontée : « Petite merdeuse ! Saleté ! qu’une traîtresse et une salope. » Et l’ont replongée. En remontant, l’air qu’elle respirait était lourd d’injures. Elle a bien cru qu’elles allaient la tuer. 
 La voix de Myriam s’est tendue, elle est bouleversée et je n’ose plus la regarder. En la tabassant ces femmes lui ont peut-être causé des dégâts de irrémédiables.

Triste Ironie !

 On m’a montré un jour une liste de sujets de dissertation provenant de la Faculté de droit de la Stasi à Postdam. J’y ai trouvé de mémorables contributions à l’avancée de la connaissance universelle telle que : « Sur les causes probables de la pathologie psychologique du désir de commettre des infractions frontalières ». Il était impossible de se défendre contre l’ État, car les avocats de la défense et tous les juges travaillaient pour lui.

Location dans l’ex Berlin-Est et humour.

 Dans ces circonstances comment en vouloir à Julia d’avoir gardé les clefs et de revenir à sa vieille vie de temps en temps ? Je m’accommode de chaque disparition inattendue : le tapis de bain en caoutchouc, la machine à café et maintenant les caisses en plastique. Je m’habitue à une atmosphère de plus en plus épurée. J’ai tracé un chemin dépoussiéré sur le linot qui va de la cuisine au bureau et de la salle de bains au lit.
 Dans le hall d’entrée, en passant devant l’emplacement où était la bibliothèque, je n’ai plus qu’un seul sentiment : celui de baigner dans le lino. Le lino a envahi ma vie. Je peux en compter cinq types différents dans l’appartement et ils sont tous sans exception, marron. Certes, il y a des nuances : marron foncé dans le hall ; moucheté dans ma chambre  ; lino peut-être à l’origine d’une couleur différente dans l’autre chambre, mais qui a succombé au règlement intérieur ; marron beige dans la cuisine et, mon préféré, lino imitation parquet dans le séjour.

Nombre de délateurs.

 Après la chute du mur les médias allemands en qualifié l’Allemagne de l’Est « le plus étroitement surveillé de tous les temps ». La Stasi, sur la fin comptait 97 000 employés – plus qu’il n’en fallait pour surveiller un pays de dix-sept millions de personnes. Mais elle disposait aussi de plus de 173 000 indicateurs dissimulés dans la population. Sous le troisième Reich d’hiver, on estime qu’une personne sur 2000 était un agent de la Gestapo dans, l’URSS de Staline une sur 5830 était agent du KGB. En RDA une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi si l’on compte les indicateurs occasionnels certains estiment que la proportion peut atteindre une personne sur 6,5. Pour Miellé, tout dissident était un ennemi, et plus il rencontrait d’ennemis, plus il embauchant d’indicateurs et de personnel pour les mater.

En 1988, la Stasi avait prévu d’arrêter 85 939 habitants (Petit moment d’humour).

 On prévoyait aussi de distribuer à chaque prisonnier, lors de son arrestation une liste d’effets à emporter :
2p. de chaussettes
2 serviettes
2 mouchoirs
2 sous-vêtements 
1 lainage
1 brossé à dents et dentifrice 
1 kit de cirage
Femmes :
Prévoir en plus des serviettes hygiéniques
 Incarcérés sans savoir pourquoi ni pour combien de temps, les prisonniers avaient au moins la certitude d’avoir des chaussures cirées, les dents blanches et un slip propre.

Un membre de la Stasi qui espère le retour du communisme .

 » Le capitalisme pille la planète -ce trou dans la couche d’ozone, l’exploitation des forêts, la pollution- nous devons nous débarrasser de ce système social ! Sinon la race humaine n’a plus qu’une cinquantaine d’années devant elle. « 
 C’est tout un art, profondément politique, de s’emparer de l’actualité et d’en attribuer la responsabilité à vous-même ou à votre opposition, orientant constamment la réalité vers des conclusions complètement inappropriées. Le discours de mon interlocuteur illustre bien ce fait : le socialisme en tant qu’article de foi, continue à vivre dans les esprits et les cœurs, sans se soucier des épreuves douloureuses de l’histoire. Cet homme est déguisé en Allemand de l’Ouest pour mieux se fondre dans le monde où il vit, mais plus il parle, plus il est clair qu’il attend secret le second avènement du socialisme.

La réalité et la RDA.

 En RDA on exigeait des gens qui les acceptent tout un tas de fictions comme la réalité. Certaines de ces notions étaient fondamentales, par exemple l’idée que la nature humaine est un chantier que l’on peut sans cesse améliorer, par l’intermédiaire du communisme. D’autres fictions étaient plus spécifiques : les Allemands de l’Est n’était pas les Allemands responsables de l’Holocauste (même partiellement) ; la RDA était une démocratie pluraliste ; le socialisme était pacifique ; il n’y avait aucun ancien nazi dans le pays ; et, sous le socialisme la prostitution n’existait pas.
 Beaucoup de gens se retirèrent dans ce qu’on qualifia d' »immigration intérieure ». Ils protégèrent leur vie privée, secrète, pour essayer de préserver leur espace personnel face au pouvoir.

L’architecture communiste.

 D’ici à Vladivostok, voici la contribution du communisme à l’art de la construction : linoléum, ciment gris, amiante, béton préfabriqué et toujours et encore des couloirs interminables et des pièces polyvalentes. Et derrière chaque porte, tout était possible : interrogatoire, emprisonnement, examen, administration, abri nucléaire ou, dans ce cas précis propagande.

Dans ce livre on va d’horreur en horreur.

 

 J’ai lu quelques articles sur le décès de Pannach dernièrement. Il est mort d’un cancer très rare, tout comme Jürgen Fuchs et Rudolf Bahro deux écrivains dissidents. Tous les trois avaient été incarcérés dans les prisons de la Stasi à peu près au même moment. Quand des appareils d’irradiation furent retrouvés dans une de ces prisons le Bureau des dossiers de la Stasi se mis à enquêter sur l’éventuelle irradiation de dissidents. Ce qu’elle découvrit choqua un peuple pourtant habitué aux mauvaises nouvelles.
La Stasi avait irradié des personnes et des objets qu’elle voulait traquer. Elle avait mis au point toute une série d’objets radioactifs, comme par exemple des épingles irradiées qu’elle pouvait glisser dans des vêtements, des aimants radioactifs à placer sur les voitures ou des granulés radioactifs injectées dans les pneus. Elle avait produit des aérosols pour les officiers et de la Stasi : ils s’approchaient de certaines personnes dans la foule pour les pulvériser ou ils vaporisaient secrètement le sol de leur foyer pour que les suspects laissent des traces radioactives ou qu’ils aillent…..

Pourquoi devenait on indicateur ?

 « De quels avantages bénéficiaient les indicateurs ? »
je veux savoir combien ils étaient payés.
 » C’était dérisoire, en réalité admet Bock. Ils touchaient trois fois rien. Il devait se réunir avec leur contact toutes les semaines sans être rémunérés. Ils percevaient de temps en temps un peu d’argent en récompense, s’ils fournissaient une information spécifique. Et on leur offrait aussi parfois un cadeau d’anniversaire.
– Dans ce cas, pourquoi acceptaient-ils de le faire ?
– Eh bien certains par conviction. Mais dans la majorité des cas je pense qu’ils le faisaient pour avoir l’impression de devenir « quelqu’un » . Vous savez on passait une ou deux heures par semaine à les écouter en prenant des notes. Ça leur donnait un sentiment de supériorité.

 Le côté charnel des autres dictatures, comme en Amérique latine par exemple, on leur donne à mon avis quelque chose de plus chaleureux et de plus humain. On peut plus facilement comprendre l’attrait des valises débordant d’argent ou de drogue, des femmes, des armes ou du sang. Mais ces hommes gris et obéissants qui rencontraient des indicateurs sous payés toutes les semaines, me semble encore plus sinistres et bêtes. Visiblement l’acte de trahison fournit sa propre gratification : la petite satisfaction profondément humaine de savoir des choses que les autres ignorent, d’être supérieurs à eux … un peu ce que ressent la maîtresse d’un homme. Le régime se servait de cette psychologie comme d’un carburant.

 

 

 

 

 


Édition JC Lattès Collection Le Masque, Avril 2022, 524 pages.

Traduit de l’allemand par Georges Sturm

 

Un roman polar sur Luocine et 5 coquillages, je ne l’imaginais pas possible. Mais ce roman, que j’avais trouvé chez Eva, lors du mois des feuilles allemande 2023, est vraiment remarquable et aussi désespéré, j’ai été passionnée par l’arrière plan historique. Dans un Berlin bombardé tous les jours par les avions alliés à quelques jours de l’arrivée des troupes de l’armée rouge, deux hommes vont suivre sans le savoir le même ennemi. Le premier Rupert Haas est un ancien commerçant de Berlin, qui a été dénoncé et condamné, il arrive à s’évader de Buchenwald et veut absolument se venger de ceux qui l’ont dénoncé. On suit aussi un officier SS Hans Kalterer qui est convoqué par son supérieur qui lui demande d’enquêter sur des meurtres, les victimes sont toutes d’ancien habitants dé l’immeuble ou habitait Rupert Haas. Je vous laisse découvrir l’enquête qui est remarquablement construite. Mais ce qui est passionnant ce sont tous les strates de la société berlinoise en décomposition. Il y a bien sûr les jeune fanatisés qui jusqu’au bout vont claquer des talons et crier « Heil Hitler », ce sont eux aussi qui jusqu’au dernier moment vont traquer les pauvres vieux soldats qui avaient réussi à se cacher, et les fusiller sans procès. Mais il y a aussi les gens qui commencent à douter et pas qu’un peu des choix de leur Führer, et les langues se délient même si la gestapo rôde toujours. Enfin, il y a les cadres du régime qui ont bien réussi à cacher leurs différentes turpitudes et qui savent tourner leur veste et se mettre à l’abri. Un des ressort de l’enquête est une énorme histoire de corruption. Quel malheur pour le peuple allemand, juste bon à croire les pires slogans des nazis, et qui est devenu de la chair à canon, pendant que les dirigeants se mettent à l’abri et savent faire de l’argent de façon les plus malhonnêtes, le peuple meurt sous les bombes et personne ne va les pleurer car s’ils sont tous hantés par les crimes de leur pays, ils y ont participé comme Hans Kalterner, ou laissé faire comme Rupert Haas qui a n’a pas été le dernier à humilier les juifs propriétaires de l’immeuble. Il n’ y a qu’un seul personnage positif : une femme qui aura le courage de cacher des juifs et aussi l’évadé de Buchenwald. Mais ce qui est certain, c’est que le peuple sous les bombes comprend qu’il s’est fait avoir, mais il en faudra des tonnes de bombes et des milliers de morts pour leur ouvrir les yeux .

J’aurais aimé que la fin soit différente, mais cela ne respecterait pas la vérité historique, peu de dirigeants nazis paieront pour les crimes qu’ils ont commis dans la réalité pas plus que dans ce roman.

 

Extraits

Début .

 Les kapos s’étaient éloignés. Il entendait leurs rires, les voyait fumer au bord de la carrière. Ils jetèrent un coup d’œil au fond, firent des remarques méprisantes, reprirent enfin leur ronde. Plus personne ne lui prêtait attention. Épuisé, il s’adossa au wagonnet. 

Une armée de la défaite .

Ils avaient sans doute besoin de tout le monde pour l’ultime bataille. Peut-être allait-il devoir montrer à des Jeunesses hitlériennes comment on éventre un tank T34 russe avec un poignard de boy-scout. Ou peut-être avait-on besoin de ses talents pour entraîner à des combats singuliers acharnés des vétérans de la Première Guerre Mondiale, pour qu’ils forment ensuite dans leurs sous-marins individuels au fond du Rhin, de la Vistule, de l’Oder et de la Neisse, ce grand verrou inébranlable c’est un miracle censée stopper la progression des Alliés. Il soupira.

Citation de Goering est- elle exacte ?

« C’est ici que nous allons modeler l’homme nouveau même s’il nous faut commencer par lui briser tous les os., »

Description d’un bombardement.

 La cave toute entière vibrait comme lors d’un tremblement de terre, les murs vacillaient, se transmettaient les secousses. Un voile grisâtre de chaux et de ciment tomba en pluie du plafond, les recouvrit d’une épaisse couche de poussière, lui et les autres, tous accroupis dans un même désespoir. Le souffle de violentes déflagrations s’engouffrait dans les caves, levant des tourbillons de saleté et de poussière. Il se couvrit la bouche d’un mouchoir, eut de plus en plus de mal à respirer et n’arrêta plus de tousser.
Il lui sembla soudain qu’un coup à lui crever les tympans tonnait directement au-dessus de l’immeuble. Du verre explosa en éclats minuscules, une poussière de charbon microscopique surgit des fentes et les interstices des portes des caves et lui balaya douloureusement la peau du visage et des mains. Des tuyaux de plomb et des conduites d’eau se détachèrent brusquement de leur fixation et de l’eau gicle de partout. Les petites trappe d’accès en terre cuite destinées au ramonage est situées au pied des cheminées furent arrachées et projetées au loin par l’immense souffle qui s’engouffrait dans les conduits depuis les toits. Elles éclatèrent en mille morceaux contre les murs, suivies d’épais nuages de suie qui jaillissaient des ouvertures comme de la bouche de gigantesques tuyères. 

 


Édition Points, 230 pages, 2019/2022.

Quand j’avais chroniqué Tiotha-Ke du même auteur vous aviez été nombreuses à me dire que vous aviez beaucoup aimé Kukum. Alors, je l’ai lu et comme Eva (parmi d’autres avis positifs) j’ai adoré ce roman.

Michel Jean est un indien Innu et il aime raconter ses origines, dans ce roman il raconte la vie de sa grand-mère. Son destin est incroyable, jeune orpheline irlandaise, elle a été élevée par de pauvres paysans du Québec qui, malgré un labeur de tous les instants, arrivaient juste à survivre. Un jeune indien croise sa route, elle comprend immédiatement qu’elle préfère la vie libre des Innus au labeur ingrat de la ferme. Commence alors la première partie du roman , la plus longue et la plus belle, la vie dans une nature rude mais si belle. Almanda et Thomas seront heureux et pensent pouvoir transmettre ce bonheur à leurs enfants. Seulement les hommes d’une autre civilisation, celle que l’on appelle » la civilisation du progrès » prend possession de leurs terres.

Cette seconde partie est tellement triste, on voit le pays se transformer et surtout la sédentarisation forcée des Indiens. Les ancêtres n’ayant plus rien à transmettre à leurs enfants, l’alcool et le désespoir vont leur ôter la fierté d’hommes sachant vivre dans la nature. Le pire arrivera quand le gouvernement leur enlèvera leurs enfants pour les « éduquer » dans des institutions religieuses. Tout est fait pour détruire leur culture et leur mode de vie, mais aussi leur nombre. Des enfants qui ne parlent plus la langue de leurs parents n’auront pas envie de vivre avec eux, et s’ils épousent un « non-indien » : il n’a plus le droit d’habiter dans la réserve.

Cet auteur est étonnant, car il écrit de façon très douce les pires horreurs et cela ne leur enlève pas leur gravité au contraire. La détermination de sa grand-mère est admirable, elle a réussi à rencontrer le premier ministre pour qu’il fasse construire des trottoirs dans leur ville où des enfants mouraient écraser par des voitures ou des camions faute de pouvoir se mettre à l’abri. Mais elle sera aussi bien malheureuse le jour elle viendra voir sa fille et ses petits enfants qui habitent dans un immeuble moderne. Ils ont planté leur tente face au bâtiment et tout le monde s’est moqué d’eux. Elle pense alors aux moqueries que ses petits enfants ont dû supporter.

Un très beau roman que je conseille à ceux et celles qui ne l’ont pas encore lu.

 

Extraits

Début.

Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleu selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuami ?

La chasse et l’amour.

Cette perpétuelle quête avait quelque chose de grisant. Il est difficile de deviner si un endroit est propice à la trappe. Il faut tenter sa chance et espérer. J’ai appris pendant ces semaines de grande chasse avec Thomas à ménager mon énergie et à poser toutes sortes de pièges. Nous vivions en symbiose et chaque soir nous nous retrouvions dans la tente. Il y avait une forme de candeur dans cet amour pourtant cela ne l’a pas empêché de durer.

Un choix de vie libre.

 Il m’arrivait encore de penser de temps en temps à ma tante et à mon oncle. Chaque heure du jour, où que je sois, quoi que je fasse, je savais où ils étaient et ce qu’ils faisaient. En choisissant la vie en territoire, j’avais choisi la liberté. Certes celle-ci avait un coût et entraînait des responsabilités envers les membres de son clan. Mais j’avais enfin le sentiment de vivre sans chaînes.

Début de la déforestation.

Quand nous tombions sur une coupe à blanc, Thomas, d’ordinaire si calme, semportait.
– Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent même l’esprit de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ?
Thomas avait raison. Mais son raisonnement était celui d’un Innu qui sait qu’il reviendra toujours sur ses pas. Le bûcheron, lui, marche droit devant sans regarder derrière. Il suit le progrès.

Changement de vie.

Coupés du territoire, nous avons dû apprendre à vivre autrement. Passer directement d’une vie de mouvement à une existence sédentaire. Nous n’avons pas su comment faire et, encore aujourd’hui on ne sait pas toujours. L’ennui s’est infiltré et a distillé son amertume dans les âmes. Ceux qui avaient des maisons s’y sont enfermés, les autres ont monté leurs tentes devant le lac. Le premier hiver à Pointe-Bleue à été terrible. Le vent survolait la surface gelée et s’engouffrait dans le village de cabanes et de tentes. Le gouvernement a distribué des subsides aux familles pour leur permettre de vivre. Nous serions morts de faim, car il n’y avait pas assez de gibier autour de la réserve pour tout le monde. Les Innus sont passés de l’autonomie à la dépendance. Nous n’en sommes jamais tout à fait sortis.

J’aime bien ce mot.

L’eau de la rivière puait la pulpe de l’usine de papier, où François- Xavier, le mari de Jeannette travaillait. Cela lui rapportait un bon salaire et lui permettrait de nourrir sa famille. Jeannette rêvait de quitter son édifice à logements.

La visite chez sa fille qui ne vit pas dans la réserve .

 La rumeur de notre présence s’était répandue comme une traînée de poudre. Les voisins sortaient la tête des fenêtres. D’autres habitants plus loin venaient en auto. Toute la ville voulait voir les sauvages. Les curieux commentaient nos vêtements, qu’ils trouvaient étranges, nos cheveux longs, nos tentes. Nos manières réservées passaient pour farouches leur méfiance nous effrayait. La couleur de nos peaux tranchait trop avec la blancheur de cette ville.
 Nous sommes repartis le matin à l’aube. Ce qui m’a brisé le cœur, ce ne sont pas ces regards ombrageux – je n’en avais que faire. Mais le malaise des enfants de Jeannette devant cette famille embarrassante m’a chavirée. Je le comprenais et c’est ce qui me faisait le plus mal. Après notre départ, ces enfants devraient vivre avec les quolibets et les moqueries. Même en ville ce n’était pas facile d’être inquiet.

 


Édition Folio, 280 pages, (et une centaine de pages de notes) , août 2022, paru la première fois, en 2019, au Éditions Gallimard

Les derniers mots de cet essai sont, pour moi, comme un clin d’œil complice :
 Écrit à Saint-Énogat
Cent ans plus tard
Entre le jusant et le flot.
Je dois cette lecture à un de vos blogs (et à mon anniversaire cadeau de mon fils)et j’espère à mon tour donner envie de lire cet essai. En 1919, le jury Goncourt se réunit deux écrivains sont pressentis pour recevoir le prix : Roland Dorgelès pour « Les croix de bois » et Marcel Proust pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » . 1919, la grande guerre est à peine terminée , et tout le monde pense que le prix récompensera Roland Dorgelès ce valeureux ancien combattant qui a su si bien rendre l’esprit patriotique et l’horreur de la guerre. Mais à la surprise générale Proust l’emporte, l’éditeur de Dorgelès en est si furieux qu’il mettra ceci sur la couverture des « Croix de bois » « Prix Goncourt – 4 voix sur 10 » .
Se déchaîne alors une cabale incroyable, Thierry Laget, analyse d’abord les les obstacles au succès de Proust, les raisons de son succès et les conséquences . Je ne savais pas qu’au départ les Frères Goncourt, avait décidé de couronner une jeune écrivain . Proust a alors 48 ans. La guerre est si proche que l’opinion publique reprochera au jury de couronner un « planqué ». La somme non négligeable 5000 francs était dans l’esprit de beaucoup destiné à récompenser un écrivain pauvre, ce que n’était pas Proust.
Mais toutes ces raisons ne sont rien par rapport à la personnalité de cet auteur, considéré comme un dandy superficiel, fréquentant uniquement les salons pour rencontrer les gens de la noblesse, son homosexualité qu’il avait pris grand soin de cacher ne plaide pas en sa faveur, évidemment.. Et que dire de son style « illisible » pour tant de gens.
S’il a eu ce prix, c’est qu’en 1913, juste avant la guerre Proust n’a pas pu présenter « un amour de Swann » et que certainement le jury du Goncourt a deviné plus que vraiment compris que Proust était un auteur d’un grand talent littéraire. Un des membres du jury, Léon Daudet, mettra toute son énergie pour que le roman de Proust soit récompensé.
Les conséquences de ce choix seront incroyables, à lire certaines diatribes contre Proust on se rend compte que les réseaux sociaux n’ont rien inventé. C’était si facile de se moquer de cet homme qui n’était que politesse, raffinement et de plus déjà très malade, il ne pouvait guère répondre à ses détracteurs qui le plus souvent n’ont pas lu son oeuvre. Thierry Laget dit qu’il faudra attendre 1959 pour que l’opinion publique se retourne enfin complètement.
Et aujourd’hui ! ! tout le monde reconnaît enfin son talent, on le lit, on l’apprécie, et on peut comprendre son humour, la finesse de ses analyses sociologiques, et surtout son apport si original pour comprendre comment fonctionne la mémoire.
Comme tant d’autres parmi vous, j’aime cet auteur depuis longtemps, je trouve parfois que c’est un peu long à relire, mais je ne m’y ennuie jamais car j’y retrouve toujours de nouveaux détails. Cet essai m’a intéressée car je n’avais pas imaginé à quel point il avait pu être raillé de son vivant. Le jury, de cette année là, a eu du courage et de la clairvoyance. Quand on voit la liste des illustres inconnus qui ont reçu ce prix avant lui , Marcel Proust est le seul que la postérité a retenu. Lire cet essai si bien documenté permet aussi de relativiser les emballements médiatiques, il n’y avait pratiquement personne pour défendre Prouts en 1919 et il n’y a plus personne aujourd’hui, pour penser que Dorgelès est un meilleur écrivain que lui !.
Keisha a raison, c’est elle qui m’a tentée , merci.

Extraits

Début.

Le 15 février 1897 commence chez Drouot la dispersion de la collection des frères Goncourt. Trente-trois vacations suffisent à peine pour écouler le trésor accumulé en cinquante ans et, jusqu’à l’été, la corne d’abondance du Grenier d’Auteuil se déverse dans les salons de l’hôtel des ventes : meuble de Boulle, terres cuites de Clodion, sanguines de Fragonard, pastels de Watteau, estampe de mœurs d’après Greuze ou Boucher – « la Bouquetière galante, la Charmante Catin, les Hasards heureux de l’escarpolette »-, porcelaines de Saxe, tapisserie des Gobelins, de Beauvais, d’Aubusson, album japonais, coquilles d’œufs, ivoires, éventails, et des reliures de maroquin rouge, de veau fauve, des exemplaires des chefs-d’œuvre de la littérature romantique et naturaliste – Balzac, Hugo, Flaubert Zola-….

Un monde disparu .

La table chez Drouant est ronde, mais Hennique ne la fait point tourner. Il disparaîtra à la Noël de 1935, le même jour que Paul Bourget, si bien que sa mort, relégué au dernier plan, ne donnera lieu qu’à des entrefilets. Comme tous les naturalistes, il aimait les récits de funérailles : les siennes ne seront racontés par personne.

Une critique de 1919 qui rejoint souvent celles que j’entends encore aujourd’hui.

« La revue de Paris » du 15 juillet, sous la plume de Fernand Vandérem (qui avait « spécialement demandé » les derniers livres de Proust aux éditions de la NRF, sans attendre de recevoir le service de presse) , commence par un « éreintement carabiné » évoquant un roman « éléphantiforme », une « minutie qui dépasse en raffinement les pires tortionnaires de la psychologie », un « style, d’une correction presque toujours absolue, mais offrant des enchevêtrements, des puzzles tels que les plus aguerris s’y reprennent à deux fois sur chaque phrase » et des « négligences allant par endroit jusqu’au rabâchage ».

Opposition droite gauche .

Mais il est moins question de lui et de son livre que de ce que l’on voudrait que l’un et l’autre soient. Le prix Goncourt offre une occasion de poursuivre sous le rubrique littéraire, une lutte qui se déroule ordinairement dans les travées de la Chambre, dans les meetings, dans les échauffourées entre les Camelots du roi et Jeunes Gardes révolutionnaires. Mais, surtout, il permet à chacun de déclarer son allégeance à un parti.
La traditionnelle opposition entre gauche et droite étouffée pendant la guerre pour cause d’ « union sacrée », se réveille avec la paix.

Dans « Clarté » journal dirigé par Henri Barbusse.

Proust est  » l’homme bien élevé, bien habillé, bien pensant, l’homme qui ne s’est pas aperçu de la guerre, et qui continue son dix-neuvième siècle, en 1919″, « le dernier des Scudéry », « un céladon », « un snob, attentif, respectueux, bête comme de la pommade ». Lefebvre cherche dans les « Jeunes filles », une phrase à « montrer » à son lecteur : « Rien. Aucun style. Une fontaine dans un jardin de fleurs artificielle. Et impossible de l’arrêter. Il n’y a pas de robinet. Seule ressource : fuir. Parlons cru : M. Proust n’écrit pas. Et son genre est à gifler. »

L’académie Goncourt aujourd’hui.

( L’académie Goncourt) Elle a d’ailleurs laisser (le prix) celui-ci bourgeonner et se ramifier – en dépit des dernières volontés de son fondateur- et elle prime désormais par délégation ou en franchissage, en toute saison et en tout lieu -Pologne, Serbie, Tunisie, salon du livre, lycée, maison de retraite – la biographie, la nouvelle, les premiers romans. Elle compose enfin à son usage personnel des sélections à répétition, multipliant puis divisant à chaque étape le nombre des prétendants, déclenchant des la fin du printemps un compte à rebours qui doit durer jusqu’à l’automne, comme pour le lancement d’une fusée ou d’un pétard à mèche.

À propos du vote des femmes .

Emile Bergerat, écrivain « de gauche » livre à ce sujet le fond de sa pensée dans ses « Notes quotidiennes » : l’ennemi c’est le féminisme, soit la masculinisation du sexe faible, qui doit rester faible selon la loi de la nature et qui a sa tâche propre dans la besogne humaine ».


Édition Michel Lafon, 424 pages, août 2024

Olivier Norek a su me faire apprécier des romans policiers , ce qui est une forme d’exploit étant donné mon peu de goût pour le genre, et sans en avoir retenu toutes les nuances de l’intrigue je me souviens bien de « Code 93, Territoire et Surtension » , cette fois il m’a embarquée dans cette guerre avec un réalisme et un soucis du détail qui a rendu cette lecture très difficile et angoissante.

La Finlande était un était indépendant depuis 1918, mais l’URSS vivait très mal l’indépendance de ce petit pays et en 1939, déclenche la guerre et pense écraser la Finlande en quelques jours . Cela rappelle étrangement l’invasion de l’Ukraine aujourd’hui – « L’opération militaire spéciale »-. Cette guerre durera plusieurs mois appelée « la guerre de l’hiver » et se soldera par un traité avec l’Union Soviétique qui prendra une partie du territoire russe et dans cette guerre l’armée rouge a perdu près de quatre cent mille hommes, les Finlandais soixante dix mille, mais jamais l’armée rouge ne réussira à enfoncer les lignes de résistance de la petite armée finlandaise.

L’auteur dit qu’il avait entendu parler d’un héros finlandais Simo un tireur d’élite autour duquel une légende s’est tissée dans les rangs de l’armée russe , on l’appelait « Bellaya Smert » c’est à dire « La mort blanche ». Nous allons donc suivre son parcours et c’est peu dire qu’il mérite l’admiration. Mais c’est un homme modeste qui sait que l’ensemble des soldats finlandais, vivants ou morts sont à admirer, c’est grâce à eux que le pays a résisté, grâce à eux, et à la stupidité de l’armée soviétique. Comme la guerre ne devait durer que quelques jours, Staline a envoyé à la mort des divisions peu préparées vêtues en tenue d’été, et avec quelques jours de nourriture. Et comme le grand Staline avait envoyé au goulag ou à la mort tous les cadres de son armée, il les a remplacés par des commissaires politiques qui étaient prêts à fusiller sur place tous les hommes qui hésitaient à aller à la mort.

Grâce à ce récit, l’image de la Finlande apparaît, des gens fiers de leur mode de vie, et aussi un pays si difficile à vivre avec un climat qui ne pardonne aucune négligence.

Le style de cet écrivain est efficace et va toujours à l’essentiel, certains récits prennent vraiment aux tripes, ces pauvres soldats envoyées à la mort sur des lacs gelés et qui tombent dans une eau qui les tue immédiatement, m’ont bouleversée.

On le sait les Finlandais ne sont pas au bout de leur peine, l’Allemagne Nazie viendra les envahir puis après 1945 les soviétiques reviendront à la charge. On peut comprendre qu’aujourd’hui la Finlande se méfie de son grand voisin.

L’attitude des gouvernement français et anglais n’est vraiment pas à leur honneur. La façon dont l’armée rouge a été tenue en échec en Finlande a permis à l’Allemagne nazie d’imaginer qu’elle pouvait facilement envahir la Russie, ce qu’elle fera des 1941.

Un roman historique très important à lire en ce moment où Poutine essaie de rejouer la grandeur de la Russie sur le dos de l’Ukraine.

 

Extraits

Début prologue 1

La lumière pleut sur ses yeux fermés, sur son corps allongé au cœur arrêté.

Début prologue 2

Longtemps, la Finlande appartient à personne.
Pendant des siècles, elle fut une partie du royaume de Suède. Et pour un siècle encore, elle passa sous la souveraineté de la Russie. Elle dut attendre 1917 pour gagner son indépendance.

Début du roman

« Un peu avant l’enfer
dans une forêt de Rautjärvi,
village de Finlande.
Aux herbes écrasées, aux branches cassées, aux empreintes enfoncées dans la terre et dont la partition racontait aussi bien qu’un fléchage le chemin de ceux qui les avaient laissées, sans un bruit, Simo lisait la forêt.

Vision lucide

– Vous insinuez que la Russie s’est tirée dessus ?

– Ce qu’elle ne reconnaîtra jamais. Aucun pays ne souffrirait d’être vu comme à l’initiative d’une guerre surtout s’il attaque un État indépendant, neutre et relativement inoffensif comme le nôtre. Et Staline à beau avoir en horreur l’Occident, il en redoute l’opinion.

Le personnage de Simo

 On chanta malgré tout, on s’enivra jusqu’à l’oubli, mais pour Simo, Noël passa comme une journée ordinaire.
 Il partit seul, le lendemain à l’aube, fit de même les deux jours suivants et tua cinquante et un Russe de plus, au fusil, de loin, ou à la mitraillette les yeux dans les yeux.

L’armée rouge pas si russe que cela.

Ukrainiens, Roumains, Géorgiens Mongols, Turcs, Azéris, Kazakhstan, Tadjikistan, Uzbeks, Biélorusses, Arméniens…Aucun n’avait souhaité partir en guerre. Et forcer un homme revient à fabriquer un insoumis.

L’envoyé de la Stavka

 Directement envoyer par la Stavka par le train de ravitaillement, arriva le camarade commissaire Fiodor Komarov, nouvel officier politique qui avait, comme lettre de recommandation et gage de compétence, le fait d’avoir supervisé l’organisation des goulags et du quasi millions de travailleurs forcés qui y étaient détenus.

Dialogue entre le commissaire politique et le commandant militaire.

 Et qu’as-tu commandé au ravitaillement ?
– Des armes et des munitions, comme chacune des deux cent quarante autres unités, j’imagine. 
– Nous en avons déjà pour plusieurs guerres, objecta le militaire. As-tu au moins demandé des vêtements chauds et de la nourriture ?
– Que crois-tu ? Que j’allais me plaindre ? Dire au Kremlin que nous avons froid et faim ? Souligner discrètement que nous sommes arrivés mal préparés ? Non merci. Par contre, j’ai demandé des portraits de Staline. Chaque unité doit en arborer un par espèce pour notre Chef suprême, et il nous en manque.
– Une telle requête aura bel effet dans ton dossier. Mais sur le terrain…
– Je crains davantage Celui pour qui l’on se bat , que ceux contre qui on se bat. Et tu devrais aussi .

Le tireur d’élite.

Profitant de la déroute, Simo alignait ses cibles et touchait au torse. Infailliblement. Il avait, quelques jours plus tôt, manqué un tir à la tête et avait laissé au soldat survivant le temps d’abattre trois hommes avant d’enfin pouvoir le descendre. Depuis cet instant, Simo avait abandonné la tête pour préférer viser le torse, qui offrait davantage de surface, remplaçant le panache, s’il y en avait seulement, par l’efficacité. Parfois le coup n’était pas immédiatement mortel mais dans cet hiver artique au froid impitoyable, au sein d’une armée russe qui préférait réquisitionner de nouveaux soldats plutôt que de soigner ses blessés, une simple cheville brisée attirait déjà la curiosité de la Camarde.

Le froid.

 Par moins cinquante et un degrés, une température qui n’a jamais été encore atteinte dans l’histoire du pays, il suffisait simplement d’arrêter de marcher au de s’écarter un instant du feu pour geler en quelques secondes. Les Lottas passaient d’une tente à l’autre pour distribuer du papier journal dont les soldats s’entouraient les jambes et le torse avant de passer leurs combinaisons. Combattre le froid, et en souffrir remplissaient une bonne partie de leurs pensées. Ils se blottissaient les uns contre les autres, reléguant l’odeur insupportable, la saleté, les infestations de punaise de lits, les poux et les démangeaisons qui rongeaient la peau jusqu’au sang, au rang de désagréments légers. Par ce temps arctique, même les unités les plus valeureuses ne s’autorisaient qu’une seule heure de patrouille avant de rentrer avant d’éviter les nécroses, et si Simo bravait depuis l’enfance les rigueurs hivernales, en ces tout premiers jours de l’année 1940, deux heures en extérieur étaient sa grande, très grande limite .

La France de 1940 rappelle celle d’aujourd’hui ;

 – Stockholm et Berlin nous demandent d’accepter les closes de Staline. Paris et Londres nous demandent d’attendre et nous promettent l’envoi de soldats .
– Je sais bien, Anselme. Dalladier en assure quarante mille et Chamberlain près de cent mille. Mais ils arrivent quand ces hommes ? Pour l’instant, la seule chose que fait la France c’est de me mettre en une de ces journaux. Des promesses des promesses … Je ne vais pas charger mes canons de promesses ! Les minutes passées à attendre leurs soldats ne sont pas faites de secondes, mais de nos morts.

La gloire de la France

 En 1946 alors que la France de l’après-guerre devait se reconstruire, elle demanda sans la moindre gêne à la Finlande le remboursement de quatre cent mille francs pour le matériel envoyé, fusil, canon et mitrailleuses, dont la plupart n’étaient arrivés que bien après la fin de la guerre.

 


Édition La Table ronde, quai Voltaire, 377 pages, août 2020.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Richard Russo est un auteur qui ne me déçoit jamais, souvent quand je lis vos billets sur cet auteur je me dis encore un roman à lire pour mon plaisir. Pourtant, sur Luocine je n’ai que « le déclin de l’empire Whiting » avec 5 coquillages, bien sûr. Je dois à ce roman une grande première pour moi, la fin que j’avais lu en premier ne m’a rien appris sur l’intrigue, et surtout il m’a démontré que je suis capable de supporter le suspens quand il est dévoilé petit à petit et qu’il rajoute à l’intérêt du livre.

Le roman commence par un prologue assez long où l’on voit des anciens amis étudiants , se retrouver dans une île au large du Massachussets, Martha’s Vinehard, très vite on apprend qu’en 1971, ils y avaient passé quelques jours en compagnie d’une fille dont ils étaient tous amoureux , Jacy.

Ils ont aussi tous les trois été marqués par la guerre du Vietnam, surtout Michael qui avait tiré le numéro 9 ce qui aurait dû ne lui laisser aucune chance d’échapper à la guerre. On comprendra peu à peu, la phrase mise en épigraphe du roman :

Pour ceux dont les noms sont sur le mur

Nous allons donc, peu à peu connaître Lincoln, le propriétaire de la maison sur l’île, Teddy propriétaire d’une maison d’édition qui ne s’est jamais autorisé à écrire « son » roman, Michael le chanteur de rock qui détient une grande partie des réponses que se posent ses deux amis.

Sans déflorer le suspens, car ceci nous l’apprenons très vite, Jacy qui devait se marier avec un homme du même milieu social qu’elle, quelque temps après le premier séjour dans l’îl, a rompu ses fiançailles et a disparu. Son souvenir plane sur leurs retrouvailles dans l’île. L’intérêt du roman, comme toujours chez cet auteur, vient de l’analyse très poussée de trois milieux sociaux nord-américains différents. Le roman joue avec deux temporalités, la jeunesse des étudiants et le WE aujourd’hui.

Lincoln, est le fils d’un père sûr de toutes ses valeurs et étroit d’esprit, la seule révolte de sa mère aura été de garder sa maison sur cette île où elle a passé de bonnes vacances enfant. Aujourd’hui Lincoln est à la tête d’une agence immobilière, a failli faire faillite pendant la crise des subprimes. Il a réuni ses amis dans cette maison qu’il pense vendre, grâce à lui (ou à cause de lui) la disparition de Jacy l’amènera à soupçonner son voisin, puis son meilleur ami.

Teddy, est le fils de deux enseignants d’anglais, et il a toujours eu beaucoup de mal à s’imposer. Il a été victime d’une chute lors d’un match de basket, les conséquences de cette chute, étofferont l’intrigue du roman.

Michael est leur ami alors qu’il vient d’un milieu social très différent d’eux, en effet tous les trois se sont retrouvés dans une université de la côte Est « Minerva collège », alors que Michael est fils d’ouvrier et n’hésite pas à faire le coup de poing. Il est devenu rockeur et conduit une grosse moto. Il est beaucoup moins simple que son apparence ne le montre.

Quelques personnages secondaires enrichissent le roman, le voisin qui veut acheter la maison et qui se fait un point d’honneur à choquer le voisinage par ses propos outranciers. L’ancien policier alcoolique qui lance Lincoln sur des pistes d’explications à la disparition de Jacy qui vont beaucoup troubler Lincoln et permettre au lecteur de voir les mêmes faits sous un angle différent.

Non, non, je ne dirai rien de la disparition de Jacy, qui quand à elle doit comprendre sa propre famille et son origine biologique, une partie des réponses viennent de sa recherche.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la civilisation nord-américaine. Et Bravo, à cet auteur d’avoir vaincu mon impatience à connaître la fin avant de me lancer dans la lecture. Mais je dois avouer qu’une fois que j’avais toutes les solutions j’ai relu avec un très grand plaisir le roman : on ne peut jamais se refaire complètement !

 

Extraits

Début du prologue (de 35 pages).

 Les trois vieux amis débarquent sur l’île en ordre inversé, du plus éloigné au plus proche. Lincoln, agent immobilier, a pratiquement traversé tout le pays depuis Las Védas. Teddy, éditeur indépendant, a fait le voyage depuis Syracuse. Mickey, musicien et ingénieur du son, est venu de Cape Cod, tout à côté. Tous les trois sont âgés de soixante-six ans et ont fait leurs études dans la même petite université de lettres et science humaine du Connecticut, où ils ont travaillé comme serveur dans une sororité du campus

Analyse des études et des prof à l’université américaine.

 D’après les registres de l’administration, Teddy avait suivi plus de cours dans plus de matières que n’importe quel autre étudiant depuis la création de Minerva Collège. Tom Ford, son professeur préféré, lui avait dit de ne pas s’inquiéter pour ça, mais évidemment Tom Ford était fait de la même étoffe. Se qualifiant de « dernier des généralistes », il occupait la chaire des humanités et dispensait un cours sur les Grands Livres, mais il donnait également des cours « sur des sujets spéciaux » en anglais, philosophie, histoire, art et même en science. En fait, il inventait des cours qu’il aurait aimé se voir proposer quand il était jeune étudiant. Teddy en avait suivi tellement que Mickey disait pour plaisanter qu’il était le seul étudiant diplômé en Fordisme. Teddy avait découvert seulement en dernière année que son mentor était tenu en piètre estime par ses collègues. Il n’avait jamais dépassé le statut de maître de conférences car non seulement il ne publiait jamais rien, mais il voyait d’un mauvais œil ceux qui le faisaient. Leurs ouvrages, affirmait-il, apportaient la preuve de leur manque de savoir et de l’étroitesse de la sphère de l’heure connaissances. Plus que n’importe qui, c’était Tom Ford qui avait donné à Teddy la permission de satisfaire sa curiosité sans attendre en retour des bénéfices de réussite professionnelle. « Un jour » avait-il écrit en bas d’une de ses dissertations de Teddy, « vous écrirez peut-être quelque chose qui mérite d’être lu. Je vous conseille de retarder le plus possible ce jour « .

Compassion et pitié.

 Ses amis, pour peu qu’ils aient un peu suivi ce qui se passait, devaient savoir que Las Vegas avait été l’épicentre de l’ouragan financier des subprimes, mais comme il n’avait jamais laissé entendre que lui-même était menacé, ils avaient dû le croire à l’abri. Aujourd’hui encore, alors que l’agence avait enfin la tête hors de l’eau, il voulait leur cacher qu’ils avaient failli sombrer. Il ne craignait pas qu’ils s’en réjouissent. Au contraire, ils compatiraient. Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette et Lincoln -digne fils de son père, là aussi – ne voulait pas prendre ce risque.

Faire la guerre du Vietnam.

C’était donc ça. Son père, Michael Sr., un vétéran de la Seconde Guerre, avait détesté chaque instant passé sous l’uniforme, mais il était fier, avait-il expliqué à Mickey, d’avoir rempli son rôle.  » Quand on t’appelle, tu y vas. Tu ne demandes pas pourquoi. Ça ne marche pas comme ça. Et ça n’a jamais marché comme ça, mais. Ton pays t’appelle, tu y vas. » Tuyauteur de profession, Michael Sr. était de, de l’avis général un type carré qui n’aimait pas le baratin. Bourru et inculte, assurément, mais un gars bien.

Sourire.

-Vous aimez les animaux ?
– Comme la plupart des flics, je les préfère aux gens. Encore jamais connu un qui mentait.

Le coup de poing.

 Son père, un bagarreur dans sa jeunesse, l’avait mis en garde contre la violence, ses dangers, mais surtout ses plaisirs. Quand vous décrochez un coup de poing, tout ce qui est enfermé en vous se libère, et il n’existe pas de sensation plus agréable.

Fatalité ou Destinée .

 Et comme l’avaient bien compris les Grecs, il n’était pas possible d’interrompre, ni de modifier de manière significative, l’enchaînement des événements une fois que l’histoire avait commencé.