Éditions livre de poche, 517 pages (avec la post-face qui explique d’où vient ce roman), mai 2023.

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Je dois cette lecture à « Caudia-Lucia » et je l’en remercie. Mes coquillages disent beaucoup du plaisir que j’ai eu à lire ce roman. La guerre d’Espagne a fait partie de mes premières lectures qui m’ont marquées dans ma jeunesse. Hemingway et « Pour qui sonne le glas » Malraux et « L’Espoir », qui m’avaient donné une vision simple de l’engagement du bon côté de cette guerre. Et puis, il y a eu George Orwell qui définitivement m’a fait douter du rôle des communistes pendant cette guerre. Mais je n’avais jamais rien lu sur l’après guerre et la répression franquiste. Almueda Grandes va raconter trois ans de terreur : 1947, 1948, 1949 en Andalousie, et l’épilogue en 1960, le moins qu’on puisse dire c’est que son point de vue n’est pas simpliste.
Nino, un petit garçon de 9 ans, au début du roman, vit dans une maison-caserne où son père est garde civil. Ce qui correspond à gendarme ; avec tout ce que cela veut dire quand il s’agit de maintenir l’ordre dans une dictature.
Ce que j’avais mal imaginé, c’est que l’implantation des gens qui avaient voté pour le front populaire était massive dans les régions rurales pauvres, et si la victoire militaire a été incontestable, elle n’a pas pu changer les mentalités pour autant. Durant ces trois années, la guérilla dans les montagnes était encore très active soutenue par une population qui était horriblement choquée par les méthodes de répression de l’armée ou des gardes civiles.
L’auteur a choisi comme narrateur un petit garçon, Nino, qui devra sa prise de conscience à un homme qui vit seul dans la montagne, cet homme, Pepe el Portuges lui apprendra tout ce qui est important pour prendre ses propres décisions et ne jamais avoir de réaction trop manichéennes. Bref, à devenir quelqu’un de bien dans un pays fasciste, de bien et de vivant donc faire attention à ne pas se jeter dans des actions irréfléchies. C’est tellement facile de juger, surtout sur les apparences, alors que pour mener à bien une lutte, il faut parfois savoir se cacher sous de fausses identités.

Les dialogues entre le jeune Nino, et celui qui lui semble vieux, mais qui est juste un adulte, Pepe el Portuges, sont des moments forts de ce roman. La prise de conscience de ce qui se passe autour de Nino, sous-tend tout ce récit, la lectrice que je suis, a suivi avec un intérêt, toujours proche de la surprise, le dévoilement des différents acteurs de cette narration. Je sais que c’est une fiction, qui mêle personnages réels et créations romanesques, mais je pense que ce roman doit être très proche du vécu de la population espagnole de cette époque. Les moments de détente arrivent avec les relations amoureuses : les femmes espagnoles ont du tempérament !

Les femmes qui vivent dans la terreur que leur mari, fils ou frère soient assassinés d’une balle dans le dos par des gardes civiles ou de face par les militants communistes cachés dans la montagne, sont des personnages qu’on n’oublie pas : leurs pleurs ou leurs cris résonnent longtemps dans la mémoire du lecteur après avoir refermé ce roman.
Ma seule difficulté mais qui n’est pas un reproche est venu des noms espagnols : je devais tout le temps faire un effort pour savoir qui était qui, d’autant que pour se cacher les personnages ont plusieurs noms !

Je vous encourage à lire ce roman , je serai bien étonnée qu’il ne vous plaise pas.

Extraits.

Début.

(je ne compte plus les débuts météorologiques des romans, mais je trouve celui-ci réussi, non ?)
 Les gens prétendent qu’en Andalousie il fait toujours beau temps, mais dans mon village en hiver on mourrait de froid.
 Les gelées se présentaient traîtreusement, avant la neige. Lorsque les jours étaient encore longs, lorsque le soleil de midi chauffait toujours et que nous descendions les après-midi jouer à la rivière, l’air devenait soudain cinglant et plus limpide. Puis le vent se levait, un vent aussi cruel et délicat que s’il était fait de verre, un verre aérien et transparent qui descendait en sifflant de la montagne sans soulever la poussière des rues.

Souvenirs de la guerre civile.

 Rubio, malgré son nom qui signifie « blond » avait les cheveux bruns, une cascade de boucles sombres aussi brillante que des gorgées d’huile, lui arrivant à la taille. C’est certainement pour cette raison, ou parce que c’était encore une enfant, ou parce qu’à douze ans elle avait déjà de grands yeux, un long cou, un nez fin et des lèvres on ne peut plus pulpeuses, qu’on ne le lui avait pas tondu la tête à la fin de la guerre, en même temps qu’à sa mère, à ses sœurs aînées, à ses belles sœurs, à ses tantes et à ses cousines. La ferme où elle habitait alors s’appelait toujours la ferme des Rubio même si plus un homme n’y habitait. Ils étaient tous morts, et certains, disait-on c’était exilé en Amérique. Mais Filo, elle, était restée. Elle s’était promenée le lendemain dans le village, les cheveux pleins d’échelles à moitié tondue. C’était elle qui s’était mise dans cet état avec les ciseaux de la cuisine, pour que personne ne puisse douter de ses opinions, ou pour ne rien devoir à ces fasciste soudain transformés en coiffeurs. La seule chose qu’elle récolta fut de se retrouver assise sur une chaise, au centre de la place pour finir de se faire tondre tout à fait.

Les discussions chez son père, garde civil et sa mère au fort tempérament.

 » Encore un de vos exploits, lançait ma mère qui ne ratait jamais une occasion de rappeler cela ouvertement, allez mettre en prison une femme tout simplement parce qu’elle est fidèle !
– Elle n’est pas en prison pour cette raison, Mercedes, mais pour avoir fait de la propagande subversive.
– De la propagande subversive ? Dire que tu couches avec ton mari c’est faire de la propagande subversive ça ? Et le faire cocu, c’est quoi alors ? Collaborer avec Franco ? Eh bien, dis donc … tant de curés et tant de messes, pour en arriver là …
– Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
– Eh bien, je ne me tairai pas. Je n’en ai pas envie, voilà ! La seule chose qu’a faite Rosa a été de dire qu’elle était enceinte de son mari, un point c’est tout. Et tu trouves que c’est une raison pour l’envoyer en prison, peut-être ? Être fidèle et aimer son mari, et coucher avec lui, c’est une raison pour se retrouver en prison, Antonino ? » Insistait ma mère. Et mon père n’osait pas lui répondre ce qui encourageait encore plus sa femme : » Et elle a très bien fait… d’abord de dire la vérité et ensuite parce que… ça… c’est sûr qu’on vous aurait entendu vous gausser et traiter Cencerro de cocu, alors que c’était même pas vrai… »

La répression franquiste.

 Ces derniers pouvaient raconter l’histoire à leur manière, et fêter l’anniversaire des années de paix qui avait lieu tous les mois d’avril, en évoquant les églises incendiées, les curés éventrés, les bonnes sœurs violées, la terreur des hordes marxistes qui avaient précipité leur intervention sacrée et salutaire. À Madrid, il y aurait toujours des gens pour croire que la guerre s’était terminée en 1939 mais dans mon village c’était différent. Dans mon village, les hommes s’enfuyaient dans la montagne pour sauver leur peau et les autorités poursuivaient les femmes qui tentaient de gagner leur vie en vendant des œufs, celles qui ramassaient du spart dans la forêt, qui le travaillaient et même celles qui vendaient des asperges sauvages le long des chemins. Car pour celles-ci tout était interdit, tout était illégal, tout devenait un délit et la survie de leurs enfants relevait du miracle. Voilà comment cela se passait dans mon village, où l’on pouvait se faire tirer dans le dos n’importe quand pour avoir donné à manger à son enfant, à son père, à son frère. C’était suffisant pour légaliser n’importe quelle mort, cela transformait n’importe qui en dangereux bandit, en féroce ennemi public même si celui-ci n’avait jamais eu le moindre fusil entre les mains. C’était la loi, et c’était une loi injuste, une odieuse loi, une loi atroce et barbare, mais c’était la seule et unique loi. Et les gardes civils ne craignaient pas de l’appliquer.

Ce que Jules Verne a apporté à Nino.

 En outre, les romans de Jules Verne me donnaient souvent le prétexte de poser des questions sur tout ce que j’ignorais, en histoire, en géographie, en physique, à propos des sextants, des ballons aérostatiques, des sous-marins, des routes maritimes, des exploits des découvreurs, des expériences dans les laboratoire, de tout ces savants fous et sages à la fois qui, après beaucoup d’erreurs, parvenaient au plus grande découverte de leur vie. Ainsi ces livres allaient me conduire vers d’autres livres, d’autres auteurs que j’allais découvrir avec la même avidité. 

Pour vous expliquer pourquoi je me suis un peu perdue dans les noms.

Lors des premières élections démocratique, José Moya Alguira , alias Pepe el Portugais, alias Francisco Rojas, alias Juan Sanchez, alias Miguel Monterro, alias Jorge Jorge Martinez, alias Camilo occupa la tête de liste que présenta le parti communiste espagnol dans la province de Jaén, où mon nom se trouvait en dernier.

 

 

 


Éditions Gallmeister, 354 pages, mars 2025

Traduit de l’allemand par Justine Coquel

Il n’y a que les très jeunes et les très vieux pour croire à l’éternité

J’ai, cette année peu lu de romans venant d’Allemagne et ma participation aux feuilles allemandes était bien compromise, mais j’ai trouvé ce titre chez Eva et son billet m’a tentée.

J’ai vraiment adoré la première partie du récit, lorsque Billie raconte sa vie avec sa mère Marika. Les portraits de la mère et de la fille sont très vivants et l’autrice a un sens de l’humour et de l’à propos drôle et tendre à la fois. Elles vivent dans un immeuble social, où la débrouille et l’entraide permettent de vivre dans la gaieté. Sa mère fait partie de cette classe pauvre en Allemagne qui a bien du mal à s’en sortir malgré ses deux boulots. Après avoir gagné un peu d’argent à un jeu télévisé, elles se préparent à partir en vacances quand une catastrophe s’annonce : la mère de Marika arrive chez elle car elle est malade. C’est une femme âgée, hongroise pays d’origine des héroïnes qui juge sévèrement la vie de sa fille. Elle sera responsable involontairement de l’accident de sa fille qui tombe sur la table basse sur la tête et meurt. Cette mort, on l’apprend dès les premiers mots du roman(donc je ne dilvugâche rien !) . La première partie est un retour en arrière et la tendresse moqueuse qui lie les deux personnages est très agréable à lire : on est bien avec elles, le point de vue de l’adolescente, Billie donne une saveur particulière au récit . Dans cette première partie, elle raconte aussi son amitié avec Léa une jeune fille d’un milieu aisé, Billie décrit fort justement le mépris de classe qui les séparera.

Billie est trop malheureuse pour rester vivre avec sa grand-mère qu’elle juge responsable de la mort de sa mère, alors, au volant de leur vieille voiture, elle part à la recherche de son père dans le nord de l’Allemagne. Le voyage est compliqué car elle a peu d’argent , elle cherche les solutions pour rester propre dormir et se nourrir, tout en ayant peur de se faire rattraper par la police.

Enfin, dans la troisième partie elle arrive dans le nord de l’Allemagne chez celui qu’elle croit être son père. Elle y retrouve une vie proche de la nature. La description de l’île, des différents paysages de la mer du Nord et du paysan taiseux sont agréables : on sent que Billy va pouvoir vivre là si elle le décide. Il fallait une fin positive au roman, et c’est sans doute ce qui m’a un peu déçue. Je ne crois pas trop au happy end même en douceur comme ici , mais cela ne pas empêcher de mettre cinq coquillages car rien que pour le début, j’aimerais bien que vous lisiez ce roman et me donniez votre avis.

Extraits

 Début.

Ma mère est morte cet été.

Une chanson à la radio n’était plus qu’un bruit et pas une invitation à chanter, même si aucune de nous ne connaissait les paroles.
 Une averse n’était plus que la météo et pas une occasion de se précipiter dehors et de danser pieds nus dans une flaque.
 Ça paraît poétique, mais seulement sur le papier. Quatorze ans, c’est un âge de merde pour perdre sa mère. Le deuil va et vient comme le flux et le reflux, mais il est toujours là.

Prodige de la traduction .

Billie, c’est le diminutif d’Erzébeth, dit ma mère. 
 Sa prononciation était impeccable j’avais beau comprendre le hongrois, tout ce que j’entendais c’était « air bébête ».

Cette écrivaine a vraiment l’art de la suggestion à travers ses descriptions.

Ta mère avait deux boulots.
 le matin elle travaillait dans un grand cube vitré divisé en plein de petits cubes vitrés. Elle faisait le ménage pour les employés qui portaient des costumes chers et des cravates. Et puis elle leur apportait des trombones, des enveloppes et des surligneurs -et parfois même une poche de froid. Ça n’était pas rare que quelqu’un se cogne dans une porte ou à un mur. Le soir, ma mère était serveuse dans un bar.
– Le job au bar met certes du baume au cœur, disait-elle quand elle comptait ses pourboires après le service, mais c’est celui de femme de ménage qui met du beurre dans les épinards

J’adore ce portrait.

 Louna était sortie de chez elle. Ses pas faisaient un bruit de succion sur le carrelage à cause de ses tongs. Elle les avait trouvées sur Internet, la paire aux prix d’une boule de glace. Comme les frais ports étaient quatre fois plus élevés, Luna en avait commandé toute une cargaison. Désormais, elle possédait des tongs dans toutes les couleurs de l’univers. Elles étaient fabriquées en Chine et en plastique. Ma mère disait que Luna finirait par attraper un cancer de la peau des pieds à cause de ça. Ce n’était qu’une question de temps.

Humour.

Je repensais à ce que ma mère m’avait expliqué un jour au sujet des ascenseurs :

– Quand tu habites au dix-septième étage l’abonnement en salle de sport est inclus.

 

 

 


Éditions Acte Sud Babel, 600 pages, mars 2022

Traduction de l’Allemand par Rose Labourie

 Bien entendu, il y avait des réticences. Car au fond, tout le monde était pour l’énergie éolienne, pas vrai -mais tant qu’à faire, pas sur le pas de sa porte.

 

 

S’il y a une chose que j’ai apprise à Unterlruten, c’est que chacun habite son propre univers dans lequel il a raison du matin au soir

 

C’est chez Keisha que j’avais noté ce titre mais comme il faisait déjà partie du mois de littérature allemande de l’an dernier , je suppose déjà que vous êtes nombreux comme Sacha,et Je lis je blogue, à l’avoir apprécié. À mon tour, je vais essayer de vous tenter, car ce roman est devenu au fil de ma lecture un véritable coup de cœur, même si, au début, j’ai eu un peu de mal à suivre le fil narratif à cause du nombre de personnages. (J’avais un peu oublié la lecture de Nouvel an de cette auteure, j’avais bien aimé mais moins que ce celui-ci.)

Rappel du propos de ce roman : il se passe à notre époque, dans un village rural de l’ex-RDA. Le village doit prendre position à propos d’un champ d’éoliennes. C’est bien connu, tout le monde, ou presque, est pour les énergies renouvelables, mais de là, à voir de son jardin un parc d’éoliennes, il y a de la place pour une belle tragédie à la sauce des rancœurs rancies d’un village de campagne. L’auteure utilise un procédé qui a déçu certains lecteurs, elle passe d’un habitant à un autre, en reprenant à chaque fois, le fil de son histoire. Cela donne l’impression que le récit n’avance pas, et qu’elle se répète. Il faut aussi faire un effort pour retrouver qui est qui dans cette histoire, mais le schéma du village avec les noms des propriétaires de chaque maison que l’on trouve au début du roman aide bien à se repérer. Le fait d’aller de personnage en personnage ne permet pas, vraiment, de mieux comprendre l’intrigue mais de se rendre compte qu’aucun protagoniste de ce conflit n’est exactement ce que les rumeurs pensent de lui. Tout tourne autour d’un antagonisme violent et très ancien entre Gombrowsky, dont la famille possédait une grande ferme avant qu’elle soit transformée en une sorte de kolkhoze par le régime communiste. Ce personnage n’oubliera jamais le rôle de l’autre antagoniste : Kron, qui est venu brûler la ferme de ses parents en 1946. Gombrowsky réussira à devenir le principal acteur de la coopérative d’état, puis, lors de la réunification à faire revivre la coopérative à son profit. Kron continue à le poursuivre de sa haine alors qu’il fait vivre toute la région. Il faut maintenant savoir où sera implanté le parc éolien.

Ce village se trouve assez proche de Berlin, et donc des gens qui ne comprennent vraiment rien aux luttes ancestrales du village, fuient la ville pour effectuer un retour vers la nature, ils viennent troubler les disputes haineuses des habitués de Unterleuten (nom bien trouvé « parmi les gens ») Il y a d’abord le défenseur des oiseaux avec sa jeune femme uniquement occupée à allaiter et bercer un bébé qui l’épuise. Lui, il a toujours tout faux, ne doute jamais, et se trompe toujours. Ensuite il y a Linda, une femme énergique qui n’a peur de rien et qui sans le vouloir va être une actrice importante du drame qui va se jouer. Enfin il y a un homme très riche qui a acheté les terres que convoitait Kron. Chaque personnage tire sur les liens qui étouffent toute vie sereine possible jusqu’au drame final qui ne résoudra rien : les nouveaux arrivants repartiront et le village continuera avec des éoliennes mais sans les deux principaux ennemis. On peut faire confiance à leur génie pour s’en créer d’autres. On est au cœur même de l’âme humaine dans un moment très précis : l’adaptation d’un pays ex-communiste aux lois du marché capitaliste. En particulier dans la détestation des habitants d’un village de celui qui était « le riche » et qui ensuite a toujours réussi à rester « le riche ». Il va le payer très cher. Car finalement il avait fait le vide autour de lui, c’est une sorte de tyran domestique et sa vie familiale est une catastrophe et malgré (ou à cause de) sa réussite professionnelle, il n’aura que des obligés et aucun ami sur qui compter.

Pour moi, ce livre est à l’échelle d’un village, une illustration de beaucoup des comportements de nos sociétés. Je dois aussi dire qu’il y a beaucoup de remarques très bien vues, vous n’en trouverez qu’une partie dans mes extraits, il vous reste donc à lire ce roman pour profiter du grand talent de cette auteure.

Extraits.

Début.

 « L’animal nous tient à sa merci. C’est encore pire que la chaleur et les odeurs. » Jule leva les yeux. « Je n’en peux plus.
– Ça ne sert à rien de s’énerver chérie. » Gerhard s’efforçait de donner à sa voix un ton assuré. Plus Jule cédait à l’hystérie, plus il se cramponnait à la raison. « Quand on déteste quelqu’un, tout ce qu’il fait nous dérange.
– Tu veux dire qu’il faudrait que j’essaie d’aimer l’animal ?.Et que comme ça, ça ne poserait pas de problème qu’il détruise notre vie ?
– Je veux dire que tu ne dois pas te faire des nœuds au cerveau. En t’énervant, tu ne fais de tort qu’à toi-même.
C’était un combat perdu d’avance Jule s’était recroquevillée sur elle-même et mise à pleurer, si bien qu’il ne lui resta plus qu’à s’asseoir près d’elle et à passer un bras autour de ses épaules.

Courrier administratif.

 Linda sentit sa bonne humeur retomber, une chute de température interne. Les courriers administratifs ne signifiaient jamais rien de bon. L’État n’envoyait pas de lettres pour remercier ses citoyens de respecter la loi, de bien payer leurs impôts, ou de se passer d’aides sociales L’État était comme un faux ami qui se manifestait uniquement quand il voulait quelque chose. Encaisser de l’argent, infliger des sanctions, prononcer des interdictions. La vue de la lettre lui est nouait l’estomac, mais Linda n’était pas du genre à fuir l’adversité.

Phrase intéressante.

 Les chasseurs focalisent, les proies ont une vision panoramique.

L’art du portrait

 Il avait trimé toute sa vie pour que sa femme et sa fille vivent confortablement. En guise de remerciement, Elena lui donnait l’impression d’être un mauvais époux. Et Püppi n’avait attendu qu’une chose : que le mur tombe pour pouvoir enfin quitter « ce trou perdu d’Unterleuten ». Elle habitait Freiburg, où elle avait fait, aux frais de Gombrowski, des études aussi longues que pédantes à « l’université la plus loin de vous de tout le pays ». Comme avec son doctorat en « je sais tout sur tout » elle n’avait décroché qu’un poste d’assistante à mi-temps, Gombrowski lui avait acheté un appartement. Malgré tout, elle avait le culot de tordre du nez à l’idée Elle avait le culot de tendre du nez à l’idée que cet argent était gagné par des moissonneuses batteuses et des machines à traire.

Le marxisme et l’agriculture.

Les campagnards le savaient depuis le début la RDA était un régime qui ne tenait pas la route. Le parti auquel il fallait soudain obéir aux doigts et à l’œil venait des villes. Les cadres dirigeants formés à Moscou, ne connaissaient rien à la vie rurale et encore moins à l’agriculture. Ulbricht et consorts tentaient de compenser leurs lacunes par l’application des théories marxistes léninistes. Mais la nature n’était guère réceptive aux idées communistes. Elle avait ses règles propres. De génération en génération, les paysans avaient appris à extorquer ces fruits à la terre sableuse. Ils vivaient à la campagne, avec la campagne, et pour la campagne. Les slogans politiques, ils s’en lavaient les mains. Le vieux Gombrowski n’était pas aimé partout. Mais si son exploitation devait être engloutie dans une coopérative agricole gérée par des crétins finis, autant être avec lui plutôt qu’avec ses politicards des villes qui n’était pas capable de faire la différence entre le blé et l’orge.

Les pères écolo modernes.

 Gerhard se promettait d’être un père moderne qui, au restaurant, s’indignerait à voix haute que la table à langer se trouve dans les toilettes des femmes.

La météo et les paysans.

D’ici une bonne heure Gombrowski regarderait le toit de la cabane à outils par la fenêtre de sa chambre pour voir si la pluie était tombée. Si les tuiles étaient rouges claires comme ce jour-là, il jurait parce que le blé serait trop sec. Si pour une fois il avait plu, les pommes de terre seraient trempées, ce qui était aussi une raison pour jurer. Depuis que les hommes ne croyaient plus en Dieu, ils se plaignaient constamment du temps qu’il faisait. Et quoi qu’il arrive, la météo ne trouvait jamais grâce aux yeux d’un agriculteur.

L’écologie.

La protection de la nature, c’est un business impitoyable. Subvention de l’Union européenne, emplois, agriculture bio. Sans oublier le tourisme.

Les tableaux dans les salles d’attente.

Aux murs étaient accrochées plusieurs reproductions de Magritte. Meiler n’avait jamais compris pourquoi les médecins et les juristes se sentaient obligés d’imposer leurs goûts artistiques à leur client. Encore récemment, il avait changé de dentiste parce qu’il ne supportait plus, en attendant la consultation, d’avoir sous les yeux des toiles qu’un quelconque barbouilleur amateur, sans doute le dentiste lui-même ou sa femme, avait bombardé de gros pâtés de peinture. En comparaison, Magritte était un moindre mal. Pourtant, Meiler se demandait bien ce que maître Söldner cherchait à dire des achats fonciers, contrats de mariage et ouverture de testaments en accrochant dans sa salle d’attente un homme avec un chapeau melon et dont le visage était caché par une pomme.

Humour et c’est tellement bien observé.

 Quand Meiler pensait à la nouvelle génération, il voyait une armée de jeunes gens au bras droit tendu pas pour faire le salut fasciste, mais pour se prendre en photo avec leur smartphone.


Éditions Alisio Hitoire, 204 pages, septembre 2024

Traduit de l’allemand par Tina Calogirou

 » Dimanche nous étions à Pompéi. Bien des malheurs se sont produits dans le monde mais il en est peu qui aient procuré tant de joies aux générations suivantes. »

Goethe 1787
Un grand merci à Dominique qui a si bien parlé de ce livre, je l’ai immédiatement acheté pour l’offrir, mais je l’ai lu avant et avec quel plaisir !
Et, de plus, cela me permet de participer au mois de la littérature allemande.
Gabriel Zuchtriegel est « Directeur du parc archéologique » de Pompéi , il nous promet « un voyage dans les rues de la cité antique « . Il s’agit bien d’un « voyage » pas d’une « promenade » car son récit nous entraîne dans toutes sortes de réflexions : réflexions sur le métier d’archéologue et sur la vie à Pompéi en 79 avant JC .
Une de ses constatations à propos de l’antiquité est aussi étonnante que vraie. Jusqu’au 20° siècle (inclus) les spécialistes de l’antiquité étaient les êtres les plus érudits et les plus respectés de notre civilisation, aujourd’hui, la disparition dans les lycées du latin et du grec en est la preuve, les archéologues comme lui, sont, au mieux, considérés comme des doux rêveurs au pire, comme des gens inutiles tout justes bon à dépenser l’argent des contribuables pour des projets tellement peu rentables.
On voit aussi combien Pompéi a été , et cela depuis longtemps, un lieu de pillage de façon presque systématique. Même certains musées ( il cite un musée américain) sont peu regardants sur la provenance d’œuvres visiblement pillées.
Et puis … il y a cette catastrophe liée à l’explosion du Vésuve l’auteur le raconte très bien et on comprend pourquoi cette ville est ainsi restée presque momifiée sous son cercueil de cendres.
Grâce à cette catastrophe et l’oubli de cette ville jusqu’au XVII ° siècle, les archéologues ont affiné leur connaissance de l’antiquité romaine.
Pour l’auteur, pour comprendre ce monde ancien, il faut d’abord sortir du nôtre, et aller vers une société du tout religieux. Ce n’est pas si facile, mais sinon on risque de faire des erreurs à propos des différentes statues ou fresques qui sont autant d’intermédiaires entre nous et les Dieux. et souvent n’y voir qu’une incitation à la débauche sexuelle.
L’auteur raconte aussi, combien il faut être patient pour amener devant le public une découverte qui, pour l’archéologue a été extraordinaire, comme ce char conservé presque parfaitement, mais que de temps entre la découverte et son exposition ! On est bien loin de l’immédiateté du monde d’internet.
J’ai été aussi très sensible à ce qu’il dit à propos des découvertes de la réalité des petites gens à Pompéi, évidemment on connaît bien les hommes célèbres de Rome , mais la chambre de 16 mètres carré où vivaient au moins trois esclaves, en apprend beaucoup plus sur la réalité de la société que « la guerre des Gaules » de Jules César.
Bref ce voyage m’a enthousiasmée et je voudrais bien le partager avec vous.

Extraits

 

Début.

Je ne savais pas qu’à Pompéi, des visiteurs étaient régulièrement victimes de crises cardiaques, certaines à l’issue mortelle, jusqu’à ce qu’une collaboratrice expérimentée me le fasse remarquer discrètement, quelques semaines après ma prise de fonction de directeur de ce site de l’unisson, en avril 2011. Depuis le service médical d’urgence de la ville antique a été renforcé. Sur 600 interventions par an en moyenne, environ 20 % sont dues à des problèmes cardio-vasculaires. Si la chaleur est la principale cause invoquée, est-ce la seule raison ?

 

Humour.

 A quelle catégorie Stendhal aurait-il appartenu ? Certainement pas à celle des collectionneurs ; toute sa vie, il fut un nomade instable ne laissant guère la place à l’accumulation – fût-elle matérielle ou spirituelle. Une autre catégorie de visiteurs, assez importante à en croire l’étude, comprend celle et ceux qui vont au musée pour faire plaisir à leur conjoint. À celle-là non plus, Stendhal n’appartient pas, pas plus qu’à celle des visiteurs qui se rendent dans un musée pour en utiliser les toilettes publiques (et qui forment donc eux aussi une catégorie à part entière, très restreinte fort heureusement !)

Cet auteur me fait rire.

 J’ai trouvé fascinant d’imaginer l’Acropole -dont il a été conservé une inscription bannissant les bouses de vache du sanctuaire (on ignore au demeurant comment les ruminants étaient amenés à s’abstenir) comme un îlot à la pureté préservée par toutes sortes d’interdictions, de règles et de barrières architecturales dans une ville débordant d’immondices et de puanteur.

Condition de l’esclave affranchi.

Les Vettii étaient deux esclaves ayant été affranchis, une pratique courante dans l’Empire romain. D’une part, la perspective de la liberté devait inciter les esclaves à servir fidèlement leurs maîtres, seuls décisionnaires en matière d’affranchissement de l’esclavage. D’autre part, avec le temps l’esclave pouvait devenir un fardeau pour son maître qui devait alors subvenir à ses besoins, même si l’esclave ne pouvait plus travailler. L’affranchissement était à double tranchant : les affranchis.  » liberti » en latin, se voyaient offrir une liberté qui pouvait mener à une vie de sans-abri et à mourir de faim. L’esclave « libre » n’ayant plus de maître pour assurer sa subsistance.

La passion des archéologues.

 Aujourd’hui encore, ma femme taquine en me rappelant qu’un jour, après le travail j’ai refait le trajet de Rome à Gabies en Vespa juste pour vérifier le profil d’un seul tesson pour lequel j’avais trouvé un nouvel élément de comparaison. Lorsque notre fille est née. en 2008, nous venions de rentrer à Berlin : tous les soirs, dans notre petit appartement du quartier de Kreuzberg, elle s’endormait au son des clics de la souris de mon ordinateur, sur lequel je transformais les 600 dessins réalisés au crayon en graphiques vectoriels.
 C’est sans doute ce genre d’activité qui valent aux archéologues d’être considérés par le monde entier comme des hurluberlus, des êtres bizarres qui s’enthousiasment pour un tesson de poterie ou qui s’indignent de l’imprécision de la datation d’un collègue. Pourquoi cela nous met il dans cet état ? La réponse est là aussi à chercher dans le « moteur » qui nous anime. Et qui reste souvent inaccessible au monde extérieur – par notre propre faute.

Une clé pour comprendre l’antiquité.

 En réalité, il est impossible de comprendre l’art et la culture antique si on ne les envisage pas comme des éléments d’un monde ou littéralement tous les aspects de l’existence étaient structurés par des rites religieux. Le rite faisait office de langue à part entière, qui structurait tous les domaines de la société dont la grammaire et le vocabulaire étaient indissociables de ce qui est véhiculé au sein de cette société.

 Pour nous ce n’est pas seulement la « langue » du rite antique qui est difficile à déchiffrer ; pour les enfants d’une époque où les rites n’ont plus guère de signification, c’est aussi sa grammaire qui nous fait presque entièrement défaut. Comprendre des rituels antiques, c’est un peu comme apprendre à jouer du piano quand on est sourd et muet.

Le quotidien en archéologie (et humour).

 

Dans la couche de cendres qui a comblé la cour de la villa au-delà des murs de Pompéi, il y avait ce char prêt à être attelé, en ce jour fatidique de 79 après J-C. L’emplacement exact de chaque pièce, aussi petite soit-elle, a donc été documentée avec précision à l’aide d’un scanner laser. C’est important non seulement pour pouvoir ensuite reconstituer et exposer le char, mais aussi pour comprendre comment il fonctionnait exactement, de la suspension jusqu’au rembourrage du siège. Des aspects banals de la vie quotidienne antique, mais qui sont souvent bien plus mystérieux pour nous que la philosophie et l’art de l’époque. Nous savons quantité de choses sur les réflexions philosophiques qui occupaient Sénèque, mais étonnamment peu sur le mécanisme qui l’empêchait de se faire meurtrir le postérieur lors d’un trajet en char.

L’oubli et l’histoire.

 Envisagée ainsi l’histoire de Pompéi et aussi un éloge de l’oubli. Sans oubli, il ne saurait y avoir de redécouverte, sans disparition il n’y a point de magie de la mise au jour de la conservation. Au fond, sans oubli, il n’y a pas non plus d’histoire, car l’histoire revient toujours à choisir ce que l’on raconte et ce que l’on élude, c’est-à-dire que l’on oublie. Imaginons un instant un monde sans oubli : le passé ne serait pas révolu, mais resterait pleinement là, présent, actuel.
 Il me semble que cela ne s’applique pas seulement à Pompéi, mais aussi à chacun et chacune de nous. Personne ne maîtrise ce qui fut et ce qui sera. En revanche, le mélange de souvenirs et d’oubli avec lequel nous envisageons notre histoire dépend de nous 



 


Éditions Passé Composés, 392 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (Royaume- Uni) par Martine Devillers-Argouarc’h

 

Je suis vraiment très contente de contribuer au mois des feuilles allemandes avec cet essai. Cette auteure, bien que d’origine allemande (de l’Est) , écrit et a fait toute sa carrière intellectuelle en Grande Bretagne.

C’est un livre très dense, il se lit cependant très bien mais demande une véritable attention. Chaque chapitre , ou chaque nouvel aspect commence par une anecdote sur un personnage qui a vraiment existé : cela rend la lecture plus vivante et les idées de l’auteure, plus faciles à comprendre en ancrant les conséquences de ce qu’il se passait dans la réalité quotidienne. Le livre couvre tout le passé de l’ex-RDA, depuis sa création jusqu’à sa disparition. Si on a vécu un peu cette période, ou si on a beaucoup lu, ce livre condense tout ce que l’on sait et apporte un éclairage intéressant sur chaque période.

Les dirigeants de ce pays viennent d’URSS, ils faisaient partie de la diaspora allemande qui a fui le Nazisme. Hélas, ce sont les pires d’entre eux, car Staline a « purgé » cette diaspora de tous les éléments qui lui faisaient peur. Donc, ceux qui ont survécu sont les plus vils flatteurs pro staliniens et qui ont, consciencieusement, dénoncé leurs compatriotes pour sauver leur peau (comme Walter Ulbricht par exemple). J’ai appris en lisant ce livre que Staline n’était pas favorable à la création de la RDA, il préférait une Allemagne unie et neutre, il avait peur qu’avec la création de la RDA pro soviétique, la réponse de l’occident serait de réarmer l’autre partie du pays, ce qui s’est avéré exact. Ce sont les dirigeants allemands qui ont imposé la RDA à Staline.

Le début est chaotique car comment faire aimer les soviétiques à une population qui ne s’est pas sentie libérée par les Russes mais pillée et violentée par eux. Ce sera un paradoxe difficile à surmonter. J’ai appris aussi que c’est en RDA que les populations germanophones chassées des pays qui avaient été envahies par l’Allemagne ont été accueillies en arrivant le plus souvent sans rien. Tant que la frontière a été ouverte en particulier à Berlin le nombre d’Allemands de l’Est passant à l’ouest ne cessait d’augmenter. D’où la construction du mur et la répression souvent mortelle de ceux qui voulaient échapper au régime.

Ensuite, cet essai montre que lorsque le régime arrivait tant bien que mal à satisfaire les besoins économiques de la population , les gens étaient assez satisfaits de leur sort. C’est un peu bizarre les points sur lesquels l’auteure insiste : les jeans fabriqués en occident et le café qui visiblement ont coûté très chers à la RDA.

Pour elle, le changement de régime n’est pas venu des Allemands de l’est mais de la Russie qui sous Gorbatchev ne veut plus d’un régime autoritaire sous la coupe d’un seul parti. Elle évoque aussi l’ennui que la jeunesse éprouvait à vivre dans un pays où tout était prévu. Bien sûr, elle parle de la Stasi mais tout son essai semble prouver que l’on pouvait vivre confortablement en RDA , sans trop se soucier des aspects politiques. Elle prend l’exemple d’Angela Merkel qui semble se jouer très facilement de la surveillance policière.

Elle insiste beaucoup aussi, sur la situation des femmes en RDA , qui, bien avant son homologue de l’Ouest avait favorisé l’emploie des femmes dans tous les domaines en s’appuyant sur une politique de la petite enfance très généreuse.

J’ai lu que son livre a été mal accueilli en Allemagne, cela ne m’étonne pas trop car elle est vraiment très critique sur la réunification qui n’a pas su garder les aspects positifs du pays dont elle est originaire (les usines qui donnaient du travail à des ouvriers hautement qualifiés, le statut des femmes) . Elle rend même responsable la réunification d’avoir expulsé des travailleurs étrangers sans leur donner de compensations financières. Je pense que c’est un peu dur à avaler pour un Allemand qui voit qu’elle appartenait à une partie de la population privilégiée de l’ex-RDA (mère enseignante et père officier) et qu’elle a préféré la Grande-Bretagne à l’Allemagne. J’aurais bien aimé aussi qu’elle aborde les réparations pour la spoliation des biens juifs en RDA, pas un mot sur la shoah quand on parle de l’Allemagne de cette période : c’est un peu bizarre , non ?

Le principal reproche que je fais à cet essai c’est de minimiser le rôle de la Stasi, elle dit qu’on s’habitue à être espionné tout le temps si on a, en contre partie, le confort matériel. Je n’en suis pas aussi sûre mais je pense que sa famille a dû accepter cela pour pouvoir vivre en RDA et qu’il s’agit donc de ce qu’elle a ressenti dans sa jeunesse.

Et évidemment Patrice avait déjà lu ce livre. (Eva et Patrice laisse rarement passer des livres intéressant à propos de l’Allemagne).

Extraits

Début.

Chapitre 1
En tenaille entez Hitler et Staline
1918-1945
« Le froid sibérien te clouer le bec »
Les communistes allemands
Sverdlovsk, Sibérie, 6 août 1937. Un jeune Berlinois de 24 ans, Edwin Jöri, atterit ce jour-là dans une petite cellule sombre exhalant la peur. Des cinquante-huit autres prisonniers politiques qui y languissent déjà, seule une petite poignée tourne un visage hagard et las en direction de la porte pour regarder le nouveau venu. Erwin cherche un endroit où s’asseoir mais le sol est trop encombré. Alors il se tient debout près des latrines, le seul espace libre, un grand tonneau avec un couvercle. Il y reste pendant des heures, des jours, des semaines. Ses pieds gonflent, il a la bouche sèche et la gorge qui brûle chaque fois qu’il avale de l’air. Puis un jour, il s’effondre. On le sort de là et on le traîne jusqu’à l’infirmerie, il se tient la poitrine avec ses poings serrés mais sans force. Un médecin jette un coup d’œil et le renvoie dans sa cellule après avoir décrété qu’il feint d’être malade.

La purge contre les communistes allemands.

L’ordre n°00439 fut le point de départ de ce que l’on désigna comme l' »opération allemande » , soit l’arrestation de 55 005 personnes au total, dont 41 898 seraient fusillées et 13 107 condamnées à de lourdes peines. Peu importait la faveur dont ils jouissaient autrefois auprès des autorités soviétiques, personne n’était à l’abri : des familles entières, tours d’immeubles, rues et usines furent littéralement anéanties. Au sein du comité central du parti communiste, les victimes de Staline furent plus nombreuses que celles d’Hitler.

Origine des dirigeants de la RDA.

 Après les purges, le nettoyage interne du KPD et le revirement idéologique ridicule consécutif à la signature du pacte germano-soviétique, le premier cercle de l’enclave communiste à Moscou se trouva réduit à un noyau de fanatiques, un petit groupe qui ferait preuve d’une obéissance aveugle à Staline et couperait tous les liens avec les anciens camarades compatriotes. Au cœur de cette coterie très fermée figurerait Walter Ulbricht et Wilhelm Pieck, qui plus tard auraient pour mission de construire en Allemagne un socialisme à l’image de Staline.

Deux passages qui décrivent la barbarie de la guerre.

 Côté allemand.

 Sur le front de l’est les soldats allemands avaient été responsables d’un véritable carnage, et les atrocités commises à l’encontre des populations civiles lors de l’avance de la Wehrmacht vers Moscou – pillages, viols, mise à feu et massacres- étaient souvent demeurées impunies. À l’inexorable appareil militaire d’Hitler, les hommes de Staline opposèrent le nombre et la force de la volonté. Les soldats de l’Armée rouge qui, confrontés à la malnutrition, à l’hypothermie et à d’autres obstacles insurmontables, se laissaient aller à penser simplement à abandonner couraient le risque d’être fusillés sur ordre de Staline. Quelques 150 000 soldats soviétiques tombèrent ainsi sous les balles de leurs officiers supérieurs. Les autres poursuivirent le combat, et quand finalement le cours des hostilités changea alors sonna l’heure d’une terrible revanche. Ils y furent poussés par leurs commandants et par les acteurs de la propagande soviétique comme l’écrivain Ilya Ehrenbourg, à la côte populaire et qui dans ses pamphlets tristement notoires, clamait que les Allemands n’avaient rien d’humain et que les soldats pouvaient se venger sur chacun d’entre eux, en n’épargnant ni les femmes ni les enfants.
Côté soviétique .
 Ainsi fondirent sur l’est de l’Allemagne, au dernier temps du conflit des colonnes entières de soldats ivrognes et brutaux. Alimenté par les rations d’alcool ou même quand celles-ci venaient à manquer par des produits chimiques dangereux volés dans les stocks restants ou dans les usines, un déferlement de violences s’ensuivit à une échelle sans précédent on estime à deux millions le nombre d’allemandes victimes de viol -environ 100 000 pour la seule ville de Berlin- souvent de façon répétée lors des agressions en bande beaucoup des dernières semaines de l’avance des Rouges sur Berlin. La froideur des statistiques masque l’horreur de ces crimes et les séquelles psychologiques qu’endureront autant les femmes que l’ensemble de la société est-allemande.

Staline ne voulait pas des deux états.

 Et comme si le message n’était pas assez clair, Staline leur interdit formellement de proclamer l’existence d’une « démocratie populaire » dans son secteur. Ils ne pourraient imaginer instaurer un État est-allemand que dans la mesure où l’on ne pourrait plus éviter la création d’un autre à l’ouest.
 Les évènements qui se produisirent ensuite finir par résoudre ces conflits. Le 8 mai 1949, quatre ans jour pour jour après la capitulation allemande, le conseil parlementaire des zones d’occupation occidentales ratifia la nouvelle constitution sur laquelle il travaillait depuis le mois de septembre. Avec la proclamation de cette loi fondamentale, le 23 mai naquit la République fédérale d’Allemagne. Cette fois, Staline n’avait plus le choix. Le 27 septembre à Moscou, il rencontra une délégation du SED – Ulbricht, Pieck et Grôtewohl, , avaient attendu cette entrevue dans l’angoisse pendant dix longues journées. Résigné le « Guide » consentit enfin à la création de la République démocratique allemande.

Début de la Stasi.

Si à sa création en février la Stasi était une petite organisation de 1100 membres, elle allait vite devenir entre les mains de Miellé, l’un des services de police les plus importants et les plus complexes que le monde eût jamais connu.(…) De tous les pays du bloc de l’est, la RDA avait ceci d’unique que son existence n’était jamais assurée. Ulbricht, Mielke et ceux qui œuvraient avec eux ne devaient pas seulement défendre leur État contre l’Ouest, mais aussi contre Staline qui avait toujours une préférence pour une Allemagne unifiée et neutre. Ils avaient le sentiment de devoir prouver que leur État était un avant-poste pur, fidèle et « non corrompu » de l’empire soviétique. Et cela prit un caractère encore plus urgent après que la RFA d’Adenauer eut commencé à vraiment à s’intégrer à l’Ouest, par le biais du réarmement et de son adhésion à l’Otan en 1955.
 En attendant le régime de la République démocratique allemande avait peur de son propre peuple.

Pourquoi le RDA n’a pas réussi à s’enrichir ?

En 1953, pillages personnels et vols mis à part, les Soviétiques avaient officiellement pris à la RDA un excédent de 15 milliards de dollars en guise de réparation et de compensation pour les coûts d’occupation. Ce montant incluait le démantèlement systématique d’usines entières et d’autres actifs immobilisés ainsi que la fourniture de matières premières utiles. Les tuyauteries en plomb étaient arrachées des murs, le métal des portiques volé dans les terrains de jeux les lignes ferroviaires parfois entièrement démontées pour être reconstruites en Union soviétique. La République démocratique allemande aurait pu finir par s’en sortir s’il n’était pas venu s’y ajouter l’ampleur paralysante des réparations en cours, littéralement prélevées sur les lignes d’assemblage allemandes. Cee que Regina Fausrmann a rapporté concernant son usine de pneumatique s’appliquait à tout le secteur manufacturier de la RDA. Les soldats de l’Armée rouge arrivaient, le plus souvent sans s’être annoncés, et ils confisquaient toute la production, ce qui avait des effets dévastateurs sur la planification économique, les filières d’approvisionnement et le moral des travailleurs. Au total entre 1945 et 1953 la jeune république se vit amputée de 60 % de sa production en cours, ce qui ruina ses efforts pour se remettre à flot. Pourtant la population continua à se battre. Dès 1950, le pays retrouva son niveau de production de 1938, alors qu’il avait payé 3 fois plus de réparations que son homologue occidental.

Conclusions après le mur.

 Une fois le clivage idéologique fixé dans le béton le calme s’installa. Les mesures répressives cessèrent et le régime se concentra sur la façon d’améliorer l’économie et le bien-être de la société. Les souvenirs les plus durables que de nombreux Allemands de l’Est ont gardé de cette époque sont les projets de construction à grande échelle, les nouvelles opportunités professionnelles, surtout pour les femmes, la première voiture pour les ménages, les premières vacances en famille et l’emménagement dans leur premier appartement moderne.
 Sans rien enlever au cataclysme national et personnel que fut la partition de Berlin et de l’Allemagne, tout cela donne à l’ensemble un aspect plus complexe. Le début de l’année 1960 fut à la fois une tragédie et un progrès car la République démocratique allemande ne s’est jamais résumée au mur érigé dans sa capitale.

L’importance du jean.

Toutefois, le port d’un Wisent, (jean fabriqué en RDA) n’était en rien comparable à celui d’un original occidental – tant sur le plan matériel que psychologique. Honecker avait beau essayé (vers la fin des années 1980 chaque jeune Allemand de l’est possédait en moyenne deux blue jeans) il ne pouvait rien contre l’attrait que les produits de l’Ouest, interdits, exerçait sur les jeunes de la RDA, pour qui les Levi’s ou Wangler étaient souvent une belle manifestation de la rébellion politique ou personnelle. La jeune Angela Merkel qui n’était encore que Angela Kasner, fille de pasteur, arborait fièrement les jeans et parkas occidentaux que lui envoyait sa famille de Hambourg (en dépit du fait que les jeans est-allemand étaient fabriqués à Templin la ville, où elle vivait avec ses parents) :  » Les jeans que ma tante m’envoyait ou m’apportait à chacune de ses visites était l’expression de nos espoirs. Je n’ai quasiment jamais porté de vêtements fabriqués en RDA. » 

La présence d’ouvriers étrangers, et la réunification.

Au moment de la chute du Mur, lorsqu’avec le processus de réunification, le problème des jeunes Mozambicains chuta dans l’ordre des priorités, il fut décidé de les renvoyer dans leur pays sans soutien, financier ou autre. Au lieu de se voir attribuer des emplois d’ouvriers spécialisés bien rémunérés, comme leur gouvernement le leur avait promis, ils furent confrontés au chômage et à la misère. Ils se sentirent abandonnés à la fois par leur pays, où ils étaient taxés de « Madgermanes » (les fabriqués en Allemagne), et qu’il les avait offerts à la RDA a dans le cadre d’un programme visant à rembourser la dette, et par une Allemagne réunifiée qui les avait renvoyés chez eux sans le moindre scrupule.

La réunification.

L’un des plus gros obstacles à l’unité allemande après 1990 a été le déséquilibre économique entre l’Est et l’Ouest. Lors de la liquidation et de la privatisation des entreprises nationalisées, les observateurs ouest-allemands étaient nombreux à penser qu’un investissement ciblé permettrait de maîtriser le chômage occasionné et le dénuement économique qui en résulterait. En 1991, pour financer la réunification et la modernisation des infrastructures de l’ex-Allemagne de l’Est fut introduite une « contribution additionnelle de solidarité » à hauteur de 5,5 % des impôts sur les plus hauts revenus. Mais pour ceux qui avaient perdu leur emploi, avoir de plus belles routes et des lignes téléphoniques plus performantes n’était pas d’un grand réconfort. En 2005, un Allemand de l’Est sur cinq était chômeur. Si élevés soient-ils ces chiffres masquent encore la véritable ampleur de cette tourmente. Certes, des programmes d’emploi temporaires furent rapidement mis en place mais cela revenait à demander à une main-d’œuvre qualifiée et fière de l’être d’accepter des travaux de nettoyage et d’entretien des espaces publics ou, pire de s’atteler à la tâche déprimante du démantèlement des usines afin d’en accélérer la vente.

La condition des femmes.

 L’un des plus grands défis sociaux soulevés par la réunification concernait la place des femmes qui avaient évoluée d’une manière fondamentalement différente de chaque côté du Mur. En 1989, la RDA avait le taux d’emploi féminin le plus élevé du monde, la quasi totalité des femmes ayant un travail. En République fédérale, seule une femme sur deux travaillait à l’extérieur et à temps partiel pour la plupart. Pour les premières, il était devenu tout à fait normal de mener de front carrière et maternité sans devoir accepter beaucoup de compromis. Dès la naissance de l’enfant des structures d’accueil étaient disponibles et pratiquement gratuites. Ouvertes de six heures à dix-huit heures elles étaient prévues pour couvrir les heures de travail régulières, permettant aux deux parents une activité à plein temps. Si le système ouest-allemand avait beaucoup évolué depuis les années 1950, le mode de garde l’enfant était encore considéré comme un choix personnel requérant un financement et une application des parents et, bien souvent im n’était envisageable que sur une partie de la journée seulement. Au cours des deux années qui suivirent la chute du Mur la moitié des places disponibles en ex-RDA da pour les enfants de moins de trois ans furent supprimées, dans le but de revoir à la baisse le budget faramineux de l’état providence socialiste. Cette tendance se poursuivit jusqu’en 2007 lorsque l’offre de structure d’accueil atteignit son niveau le plus bas avec des places pour seulement 40 % des enfants de cette tranche d’âge. Beaucoup de mamans est-allemandes eurent soudain des difficultés à concilier carrière et maternité déconcertées d’avoir à justifier même leur choix d’avoir les deux. Beaucoup avaient l’impression qu’on les considérait comme de mauvaises mères simplement parce qu’elles essaient de s’arranger. 


Éditions Météores 57, 184 pages, Mars 2025.

 

L’homme s’emporte face aux enfants des mines qui, à mains nues creusent la terre à la recherche des métaux rares qui lui permettent de signer avec son smartphone des pétitions contre l’exploitation des enfants dans les mines.

C’est Keisha  qui m’avait donnée envie de lire ce roman, et je l’en remercie sincèrement. Je n’étais pas certaine de me retrouver dans cette lecture, et bien j’avais complètement tort (ou presque). Je rappelle le propos en 110 chapitres qui font chacun moins de deux pages, Sébastien Bailly décrit la vie de l’Homme. Je dirai de l’Homme né dans les années 60/70 et qui meurt aujourd’hui. On retrouve forcément, son mari, son frère, son petit-fils, car l’auteur sait ratisser large quand il parle d’une période de la vie. Mais comme le dit le titre « Parfois l’Homme », votre mari, votre fils ou vous-même échappez peut-être à la sagacité de l’auteur, mais franchement ça m’étonnerait. J’ai adoré les trois quart du livre mais quand il décrit la maturité et surtout la vieillesse, c’est moins drôle et on sent très bien qu’il n’a pas encore été vieux (tant mieux pour lui). Le procédé est devenu, pour moi, redondant et j’ai peiné à le lire attentivement la petite dizaine de derniers chapitres.

Que cette remarque ne vous empêche pas de lire ce livre, surtout si vous êtes confronté à un adolescent, c’est tellement jouissif.

J’espère que mes extraits vous donneront envie et que vous profiterez de son humour qui est souvent « génialissime » comme dit mon petit fils quand ce n’est pas « nullissime » (toujours le sens de la nuance des ados) .

Extraits.

En exergue du premier chapitre.

 Où l’homme pousse un premier cri, découvre son prénom, commence éventuellement à se poser quelques questions essentielles, et grandit. Naturellement. Vaille que vaille.

Début .

 L’homme naît dans une pièce à carreaux de faïence, à l’éclairage brut au néon, sa mère jambes écartées dans la position la moins pudique qui soit, le père la main broyée au rythme des contractions et dans l’autre un caméscope, un téléphone, un appareil pour immortaliser l’évènement parce qu’il faut garder une trace et trouver quelque chose à faire, quand on est le père. 

Le jeune.

 La poésie. Des mots. Des mots les uns derrière les autres. Des mots qui se répondent et qui disent le monde. L’homme écrit un poème. Cela lui arrive très jeune, parfois, où plus tard. Il s’arrête au bout de deux vers, ne trouvant pas de rime au premier, où noircit toute sa vie des carnets et peut-être même publie un recueil à compte d’auteur qu’il offre un Noël à ses petits enfants gênés

Le mal être du grand adolescent.

Comment tenir un journal intime si rien ne se passe ? Son journal à la date du 27 septembre restera laconique. Mieux vaut ne rien écrire que des platitudes affligeantes, des banalités lénifiantes, des poncifs navrants. Si la vie est faite d’une succession sans fin de ces journées ? Il pense au suicide. Au moins il se passerait quelque chose. Mais devant l’impossibilité dans laquelle il se trouverait de noter quoi que ce soit à ce propos post-mortem, il abandonne l’idée aussi vite que celle de profiter de ce moment de calme pour ranger sa chambre. Elle en aurait pourtant besoin. Mais à quoi bon ?

le succès, ou non.

 L’homme est sorti du lot. Il a connu le succès. C’est une croix à porter qui l’écrasera sous la démesure des attentes légitimes, et la peur de décevoir tétanisera les plus faibles. Une poignée, galvanisée par le succès, ne s’arrêtera plus jusqu’à atteindre des sommets inaccessibles au commun des mortels. L’homme est rarement de ceux-là mais leur destin le fera rêver un peu lorsqu’il feuillettera des magazines fait pour cela, l’été. Il découvrira alors les malheurs de ceux qui, croyait-il, avaient réussi mieux que lui : cures de désintoxication, femmes infidèles, kilo superflus. L’homme se réjouira alors que son absence de talent lui ait permis d’éviter la une de la presse people et de pareilles mésaventures.

Pour réfléchir, au temps qui passe.

L’homme se sent meilleur qu’il n’a jamais été, dans la force de l’âge. Il a la vie pour en profiter. Aveugle il ignore que les prochaines versions de lui le regard sous peu avec le même dédain. Comment a-t-il pu être aussi stupide, égoïste, ou superficiel ? Que n’a-t-il fait de meilleur choix, plus avisé, pensés, réfléchis ? Que n’a-t-il su profiter de ce qu’il avait ? Chaque regard en arrière est un couteau planté dans le dos qui pousse vers le précipice ou ce morfondent les espoirs gâchés. Ou quelque chose d’approchant.

Bien observé.

Il s’épile le torse se laisse pousser la barbe, choisit des lunettes de soleil, une gourmette en argent, et le dernier téléphone portable.

Le mariage.

L’homme va se marier. Non qu’il soit obligé : il ne l’est pas toujours. Mais fonder une famille, c’est parier sur l’avenir s’engager. Le mariage est une fête immense, une des rares fois où l’on réunit tous ceux qui comptent, avec le jour de son enterrement dont on profite moins.


Éditions folio, 184 pages, février 2020 ;

 

J’avais dit à CaudiaLucia en mars 2025 que je lirai ce roman et bien c’est chose faite, et avec beaucoup de plaisir. L’humour de cette jeune auteure est extraordinaire et très typique des pays qui ont perdu toutes leurs valeurs sauf le rire, même devant le tragique.

Le personnage principal est une petite fille de 8 ans qui rêve de devenir cosmonaute, comme le héros dont son école porte le nom Youri Gagarine. Mais nous sommes dans les années qui voient la fin du communisme, l’enfant a bien du mal à comprendre pourquoi ses parents se retrouvent souvent dans la salle de bain pour se raconter des choses en ouvrant à fond tous les robinets d’eau : la baignoire, l’évier et le bidet. La seule personne qui accepte de l’aider à faire son exposé sur son idole, Iouri Gagarine, c’est son grand père un « véritable communiste ». Les relations avec Constanza qui a la chance d’avoir une mère qui vit en Grèce et donc a des vrais baskets Nike, et une vraie Barbie, sont compliquées mais elle devient peu à peu sa meilleure amie.

Ensuite on vit la « Transition Démocratique » qui a surtout vu l’apparition de « Mutra », nom donné à des mafieux bulgares. Avec son cousin Andreï qui d’abord se transforme en voyou, puis en mafieux et finalement en homme politique.

Pour la population c’est l’horreur, toutes leurs économies fondent dans des banques privées malhonnêtes voire mafieuses, la nourriture n’arrive pas dans les magasins, bien sûr, ils sont libres et s’en réjouissent mais les difficultés auxquelles ils doivent faire face, sont immenses, en réalité la seule solution pour les gens honnêtes c’est l’exil.
La petite grandit, devient adolescente et son modèle devient Duke Cobain, chanteur du groupe Niverna. Elle cache ses formes de jeune fille dans les sweats, le teeshirts de son père , en faisant des trous, et en inscrivant des phrases cultes de ce chanteur :

  • En colère contre tout ..
  • La vie est un trou noir
  • C’était la colère que je ressentais
  • Tout ce que je peux faire, c’est de hurler
  • Non à la peur

Pendant ce temps là, sa mère fume toujours autant et son père est devenu chômeur. Elle va grandir, et on espère que son pays va chasser tous ses démons.

Et pour le style, lisez les extraits, c’est une langue orale, drôle, et qui vise souvent si juste les défauts de la société des adultes. Je ne suis pas surprise par le prix Lycéens, cette langue doit parfaitement leur convenir.

Extraits.

Début.

Vous êtes devant une multitude de petits cailloux brillants de toutes les couleurs de ressemblant à rien du tout, mais comme ta mère a l’air ému, tu comprends qu’on n’est pas là pour rigoler. Elle t’annonce que ça, c’est lui c’est lui, Yuri Gagarine et quand elle avait ton âge, il y a quelques siècles au moins, elle l’a personnellement vu planter des sapins, ici dans l’allée de ce bâtiment  : il s’agit de ta future école, et vous y êtes pour t’y inscrire, te dit ta mère en allumant sa dix-neuvième cigarette de la journée.

Une mère qui ne comprend rien.

 Ta mère est furieuse et ses deux yeux ne forment plus qu’un seul rayon X qui te scanne de la tête aux pieds. Tu ne peux pas devenir Youri Gagarine car il est :
a) un homme,
b) soviétique, 
c) toujours souriant, discipliné et opérationnel, 
contrairement à toi qui es :
a) une fille,
b) bulgare, 
c) dont la seule préoccupation est de faire des bêtises, 
 te dis ta mère on reprenant ta méthode d’énumération des phénomènes de la vie qui t’aide à mieux la concevoir. 

Les bruits de fond qui cachent d’autres bruits.

 Tes parents s’enferment dans la salle de bains de plus en plus souvent pour se raconter des blagues. Tu n’entends pas tout car il laisse couler l’eau du lavabo, de la douche et du bidet simultanément. Toutefois tu arrives à percevoir quelques détails peu flatteurs à propos du secrétaire général du comité central du Parti communiste bulgare et du président du conseil de l’État de la république de Bulgarie le camarade Todor Jivkov, que tu croyais pourtant héros de la guerre contre le fascisme et surtout l’idole de ta mère. Puis, ils baissent la voix pour continuer la conversation qui se noie dans les chutes d’eau : cela te frustre au point de te rendre furieuse.

Le ravitaillement.

À l’épicerie Soleil en bas de chez vous, on a mis en vente des oranges. C’est bien mieux que la semaine précédente quand c’était le tour du papier toilette et ça annonce d’emblée l’ambiance festive de la nouvelle année.

Nouveau look et humour.

 Dès lors ton style évolue. Tu déchires aussi ses tee-shirts et tu marques dessus des mots cultes et des phrases existentielles, Nirvana, mort aux hippies, la vie est un trou noir, le chameau t’emmerde, et tu couvre ton sac d’épingle à nourrice. Enfin tu détaches la chaîne de la chasse d’eau et tu l’accroches sur le côté du pantalon, en signe de désobéissance, ce qui lance, d’une part une nouvelle mode dans ton collège, et d’autre part un problème sanitaire dans le quartier.

La démocratie.

 C’est la Transition démocratique, la censure n’existe plus, tout le monde est satisfait : la ville se remplit de sex-shops, de boîtes d’entraîneuses, de bars à strip-tease, de vidéoclubs au contenu douteux mais curieux, les papeteries sont tapissées d’images d’hommes et de femmes sans tenue, mais pas que.


Éditions Julliard, 121 pages, août 2025.

 

Ce court roman, a plus l’allure d’un conte que d’un témoignage réaliste sur la condition d’une famille palestinienne. L’auteur dans un style très épuré, exprime la souffrance de tout un peuple qui a été victime de la création de l’état d’Israël. La famille doit quitter son village d’origine en 1947 pour arriver dans un premier camp Aqabat Jabr, puis revient à Gaza où elle peut passer quelques années presque heureuses. Mais évidemment on connaît la suite.

Nabib, le vieil homme, la mémoire de ce peuple est un libraire et trouve une vérité dans les livres qui savent exprimer les valeurs humaines. Il raconte sa vie à un photographe français et partage avec lui les valeurs qui sont les siennes. L’auteur se place au delà des clivages qui peuvent tuer, le père de Nabib est chrétien, sa mère musulmane et le livre préféré de Nabib est « Si c’est un homme » de Primo Levy. Je ne suis pas entièrement convaincue par ce roman car je ne le trouve pas ancrer dans le réel, mais en même temps, je comprends la volonté de l’auteur de dépasser le conflit actuel pour mettre le destin des Palestiniens dans la trop longue histoire des souffrances que les hommes s’imposent à eux mêmes.

Ce livre est un cri de douleur, au nom de l’humanité : comment peut-on rester indifférent à ce qui se passe aujourd’hui à Gaza ? Rachid Benzine essaie de mettre des mots sur le sort des Palestiniens. Et pour cela il mérite bien 5 coquillages malgré ma réserve.

Extraits

Début.

 Journée ordinaire. Hier deux frappes ont tué quatre gamins dans le seul crime avait été de jouer au foot sur la plage. Tu te réveilles dans la chambre où tu t’es installé la veille. L’hôtel concentre une partie de la presse internationale. Tu aurais préféré loger chez l’habitant. Mais ton agence t’a convaincu de privilégier la sécurité. Peu de quartiers sont vraiment épargnés. Des familles entières disparaissent parce qu’elles habitent sans le savoir ou en toute conscience, à proximité d’un bureau clandestin. Les frappes chirurgicales relèvent souvent de l’erreur médicale.

Un passage qui dit beaucoup de ce roman .

Après la prise de contrôle de Jabaliya les forces israéliennes ont établi une administration militaire dans toute la bande de Gaza. De là à s’imaginer qu’elle allait durer trente-huit ans… Je crois que nous serions tous devenus fous. On sous-estime toujours combien une occupation peut se substituer à un monde. Il nous fallait survivre en serrer dans un étau omniprésent. L’angoisse était partout. Elle imprégnait l’ère que nous respirions elles pesaient sur nos cœurs elles s’insinuaient même dans nos rêves. Chaos, humiliation, destruction. Toute leur vie bien des Palestiniens n’auront connu que ce traitement. Et toute leur vie également bien des Israéliens ne se seront représenté les Palestiniens que comme des terroristes. Ces images inversées expliquent l’impossible réconciliation. Alors comment a-t-on fait pour tenir ainsi tant d’années ? On s’habitue à tout, peut-être.


Éditions Points, 309 pages, avril 2025 (première édition 2008)

Traduit de l’hébreu (Israël) par Valérie Zenatti.

 

C’est le troisième roman de cet auteur sur Luocine : « L’histoire d’une vie » et « Des jours d’une stupéfiante clarté« . Cet écrivain a été, à jamais, marqué par son enfance dont il a témoigné dans les trois romans que j’ai lus de lui.

Ici, il s’agit encore une fois d’une famille juive éduquée et qui se sentait très bien acceptée par la population d’une ville qui pourrait être Bucarest. Les parents du jeune Hugo sont pharmaciens, et la mère d’Hugo met tout son courage et son grand cœur au service des plus pauvres de la ville. Lors de l’occupation allemande, les nazis bien aidés par des habitants antisémites, chassent tous les juifs qui ont essayé d’échapper aux rafles. La mère d’Hugo a la bonne idée de demander à la seule femme en qui elle a entièrement confiance de cacher son fils : il s’agit de Mariana une prostituée qui exerce sa profession et vit au bordel de la ville.

Le roman peut commencer, et c’est vraiment très bien construit sur le plan littéraire. Cet enfant qui va passer deux longues années dans un placard voit, à travers, les lames des planches mal jointes du cagibi, la chambre de Mariana. La chambre elle-même, lui apparaît comme un endroit proche du paradis. L’enfant vit de longues journées seul, et lui revient en forme de rêves un peu hallucinés, sa vie d’avant et pour le lecteur c’est le moyen de connaître trois personnages : sa mère, cette femme remarquable qui jusqu’à la fin, elle veut donner les mêmes leçons d’humanisme à son fils. On connaît moins son père, mais très bien son oncle ; un homme brillant qui a malheureusement rencontré l’alcool et qui n’a pas rempli les espoirs que tout le monde a mis en lui.

La vie de l’enfant caché, c’est aussi arriver à comprendre la vie de Mariana, peu à peu il comprendra le rôle des hommes qui visitent cette femme toutes les nuits. Et puis, il apprendra à aimer cette femme au caractère instable, et vivra auprès d’elle l’éveil de sa sexualité. Cette réalité sexuelle d’une femme mûre avec un enfant de 12 ans m’a dérangée et je me suis demandé si la situation avait été inversée le roman aurait-il été accepté. (Si c’était une jeune fille de 12 ans qui aurait vécu ses premières expériences sexuelles avec un homme de 40 ans qui l’aurait cachée ! !) Tout cela est écrit avec l’impression qu’Hugo voit bien que sa survie est de plus en plus menacée par les Nazis et leurs amis qui, jusqu’au dernier jour de l’occupation allemande, ont cherché les juifs qui ont échappé à la déportation pour les assassiner.

Enfin la dernière partie, on voit l’arrivée des Russes et la prise du pouvoir de membres du parti communiste qui se disent stalinien et qui se dépêchent de punir tous ceux qui étaient proches des Allemands donc bien sûr les prostituées, que Mariana ait caché un enfant juif est bien peu de poids face à l’accusation d’être une femme qui a couché avec des Allemands ! Comme toujours les hommes les plus violents sont ceux qui ont été leurs clients et qui ne veulent surtout pas que leur femmes puissent l’apprendre.

Un grand écrivain qui a su expliquer au monde ce qu’il s’est passé dans les pays slaves où toute une population juive a disparu lors du Nazisme.

 

Extraits

Début.

 Hugo aura onze ans demain. Anna et Otto viendront pour son anniversaire. La plupart des amis d’Hugo ont été expédiés dans des villages lointains, et les rares autres le seront bientôt. La tension dans le ghetto est vive, mais personne ne pleure. Les enfants devinent au fond d’eux-mêmes ce qui les attend. Les parents contiennent leurs émotions afin de ne pas semer la peur, mais les portes et les fenêtres n’ont pas cette retenue, elles sont claquées ou poussées nerveusement. Le vent s’engouffre partout.

L’enfant caché.

 En plein jour il pouvait deviner entre les lattes les prairies où les chevaux et les vaches paissaient des champs gris, et deux bâtiments à colombages. Il avait même aperçu des enfants aller à l’école. C’est étrange tous les enfants vont à l’école, et moi j’en suis privé. Pourquoi m’inflige-t-on une telle punition ?
 Parce que je suis juif, se répondit-il. 
Pourquoi sommes-nous punis ?
 À la maison on ne parlait pas de cela. Une fois, il avait demandé à sa mère comment on savait que quelqu’un était juif. 
Elle avait répondu simplement :
– Nous ne faisons pas la différence entre ceux qui sont juifs et ceux qui ne le sont pas.
– Pourquoi chasse-t- on les Juifs ?
– C’est un malentendu. 
Cette explication incompréhensible s’était fichée dans sa tête. Il essayait à présent de retrouver où s’était nichées cette réponse et l’incompréhension qu’elle avait suscitée. 
– C’est la faute des Juifs ?
– On ne doit pas faire de généralités, avait doucement répondu sa mère.

Les derniers mots de la lettre de sa mère ?

J’imagine que l’acclimatation a ta nouvelle vie n’est pas facile. Je t’en conjure : ne désespère pas. Le désespoir est une défaite. J’ai cru, et je crois encore que la bonté et la foi triompheront du mal. Pardonne à ta mère son optimisme en ces heures obscures. Je suis ainsi, tu me connais, il faut croire que c’est ainsi que je serai toujours. 
Je t’aime très fort ,
mam

 

 

 


Éditions Folio, 214 pages, février 2023.

Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.

 

Je crois avoir noté toutes celles qui ont dit du bien de ce roman, mais si j’en ai oublié, je les rajouterai : Violette, Keisha, Ingannmic, Eva et enfin, Athalie.  Et je suis ravie d’annoncer que je sors enfin ce titre de ma liste de livres à lire.

 

Je ne peux que rajouter ma voix aux leurs. C’est un roman écrit d’un ton tout en douceur , qui raconte, pourtant, des faits d’une violence absolue : un accident qui rend un enfant de 13 ans aveugle avant d’en mourir.

Mais avant, avec les deux frères jumeaux, Klass et Kees, nous allons remonter le temps, le temps heureux de l’enfance, et des jeux partagés avec un chien, Daan, qui est très attaché à Gerson, le personnage principal de cette histoire. Le père élève seul ses trois fils car sa femme est partie en Italie. Elle envoie quelques cartes aux anniversaires et à Noël.

Le récit commence par leur jeu préféré : « le noir ». Il s’agit de designer un endroit du jardin, ou de la maison, et à partir d’un arbre, en fermant les yeux, essayer de retrouver cet endroit. Un jour, en allant chez les grands-parents, le père et les enfants, dans un éclat de rire, se moquent de Gerson qui affirme que les fleurs des poiriers sont blanches (d’où le titre !), dans un moment d’inattention, le père brule la priorité à une autre voiture, et c’est l’accident terrible qui blesse gravement celui qui était à droite du chauffeur : Gerson.

Après huit jours de coma, et l’ablation de la rate, le médecin ne pourra malheureusement pas lui sauver les yeux. Définitivement aveugle , l’enfant n’a plus envie de vivre.

Voilà le récit mais je ne dis pas grand chose du charme de ce roman triste mais si beau. L’auteur écrit a la hauteur des protagonistes et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette écriture, la voix du petit Gerson est inoubliable et permet d’entrer de plain pied dans le drame de cette famille.

Je crois que je préfère les voix qui disent de façon douce, des choses terribles, pour moi cela rajoute au drame.

Extraits.

Début.

 Nous y jouions, avant. Nous y avons joué pendant des années. Jusqu’à il y a six mois, où nous y avons joué pour la dernière fois. Après, cela n’avait plus beaucoup de sens. Nous commencions toujours dehors, au pied du vieux hêtre devant la fenêtre du salon. Le hêtre était notre point de départ. Nous posions une main sur l’écorce, puis en général c’était Klaas qui lançait le compte à rebours. Klass est l’aîné d’entre nous. Klass a dix minutes de plus que Kees. Gerson a trois ans de moins que nous et est arrivé seul, sans frère jumeau. Il a des frères jumeaux, nous, Klass et Kees.

Vision de l’Italie du père de famille (leur mère est partie vivre avec un autre homme en Italie) .

L’Italie est un pays très laid, a dit Gérard. Il fait torride là-bas, les Italiens sont des gens pénibles et criards, dont le passe-temps favori est de vous renverser sur leurs scooters ridicules, tu dois t’accroupir pour faire caca, tu attrapes une intoxication alimentaire, ou en tout cas une diarrhée carabinée, ils ne parlent que l’italien et refusent de parler anglais ou néerlandais, il y a toujours des feux de forêt, qu’ils allument en général eux-mêmes les trains sont toujours en retard, tout et tout le monde est toujours en retard, les serveurs aux terrasses sont grossiers, à moins de l’enchaîner à ton corps tu te fais piquer ton portefeuille en moins de deux, et quand tu veux visiter un musée, tu peux être sûr qu’il est fermé pour travaux.
 – Tu es déjà allée en Italie ? a demandé Gerson.
– Très peu pour moi. Je ne suis pas fou.

Devenir aveugle.

 Quand je rêve, je vois. Les rêves s’en moquent que je sois devenu aveugle. Je me demande comment ça se passe chez les aveugles ds naissance.

Détail pratique.

 » Gerson pourquoi tes caleçons sont-ils toujours si sales ? »
 Anna. Heureusement que les autres ne sont pas là pour entendre
 « Je suis aveugle, dis- je.
– Et on a toujours des caleçons sales quand on est aveugle ?
 – Je ne vois plus le papier toilette » dis-je , et je suis vraiment content de ne pas le voir c’est la première fois que je suis content de ne rien voir.
 » Tu ne t’essuies plus le derrière ? »
 Elle ne comprend pas. Et elle dit « derrière » un mot typique de grand-mère.
 » Avant, dis-je, avant je regardais toujours le papier toilette après m’être essuyé (j’aurais voulu ajouter « le cul », mais je préfère quand même tourner autour du pot) pour voir si je devais encore m’essuyer une fois avec un nouveau morceau de papier. Ou deux fois. 
– Ah bon

On le comprend si bien, ce petit Gerson.

Je sais que je me suis montré infect le jour de mon anniversaire. Je n’y peux rien, une fois que je commence il n’y a plus moyen de revenir en arrière. Je sens bien que ça rend les autres tristes. Du coup, je deviens encore plus désagréable, sinon je devrais dire que je suis désolé et ça je n’en suis pas capable pour le moment. Une fois que je commence, il n’y a plus moyen de revenir en arrière.