Traduit de L’anglais (États Unis) par François Hirsch.

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La question que je me pose : pourquoi un auteur a-t-il besoin d’imaginer une fin de vie sur terre aussi atroce ? Un père et un fils errent sur une terre désolée après une apocalypse. La nature est devenue hostile, les hommes sont pour la plupart des hordes de cannibales. Le dialogue du père et du fils est poignant. Quelques paragraphes sur la beauté de notre monde sonnent comme autant de mises en garde de ce que nous risquons de perdre si nous détruisons notre seul bien commun à tous : la planète terre.

Ce livre m’a rendue triste et m’a mise très mal à l’aise, je ne peux pas dire que je l’ai apprécié mais je n’ai pas pu le lâcher avant la fin.

Citations

Dilaogue père fils

– J’ai dit qu’on n’était pas en train de mourir. Je n’ai pas dit qu’on ne mourrait pas de faim.
– Mais on ne mangerait personne ?
– Non. Personne.
– Quoi qu’il arrive.
– Jamais. Quoi qu’il arrive.
– Parce qu’on est des gentils.
– Oui.
– Et qu’on porte le feu.
– Et qu’on porte le feu. Oui.
– D’accord

 Fin du livre

Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu’elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère.

Cadeau des éditions Seuil

J’avais déjà bien aimé Ciel d’acier, je ne savais pas grand chose avant cette lecture sur la construction des buildings de New York. Je n’ai donc pas hésité à accepter de lire et commenter ce nouveau roman de Michel Moutot car je savais que l’auteur saurait me faire partager ses connaissances techniques sur les grands chantiers qui ont transformé les paysages aux États Unis.

Ce n’est pas un roman linéaire chaque chapitre commence par une date et un lieu, je me suis habituée petit à petit à cette lecture éclatée en comprenant assez vite qu’un moment tout allait converger en un seul point : la fin de la construction de la route qui relie San Francisco à Los Angeles traversant des contrées splendides mais si peu accessibles.

 

Les personnages tournent tous autour de cette route pour laquelle il a fallu arraser des montagnes, creuser dans la roche construire des ponts en employant une main d’œuvre si peu considérée. Il faut dire que ce grand pays était en crise et que le chômage était tel que personne n’était très regardant ni les employeurs ni les ouvriers qui étaient réduits à la mendicité. Nous allons suivre le destin de Will Tremblay un enfant choyé par ses parents adoptifs et qui deviendra ingénieur de travaux publics. Il commencera sa carrière par la construction d’un barrage à Boulder. Cette construction causa la mort de nombreux ouvriers en particulier ceux qui creusaient des tunnels de dérivation car la compagnie ne voulait pas perdre de temps pour faire des aérations dans les tunnels.

Will préfèrera démissionner plutôt que couvrir ces crimes au nom du profit. Son père qui avait été totalement ruiné par la crise de 29 l’a suivi en Californie mais hélas, il gagnera sa vie comme croupier et refusera de faire des combines malhonnêtes, il le paiera de sa vie. Will se retrouvera donc sur la construction de la « Route ONE ». Tous ces grands chantiers nous permettent de voir l’envers du décor de ses superbes réalisations techniques. La misère qui a jeté sur les routes des milliers d’Américains ruinés est très bien décrite et c’est parfois à peine supportable.

Nous suivrons aussi une famille de Mormons qui fuit les lois qui empêchent la polygamie et qui a créé un ranch dans cet endroit qu’elle croyait inaccessible. Nous allons partager leur vie et connaître aussi des Indiens qui eux ont vraiment tout perdu : leur pays et surtout ne peuvent plus vivre comme ils le faisaient avant en harmonie avec la nature. Lorsque la route avance nous sommes avec le descendant du Mormon qui a créé ce ranch et celui-ci met toute son énergie à empêcher la construction de la route. Au début nous pensons qu’il veut simplement protéger les siens du regard des autres mais très vite nous comprenons qu’il s’agit aussi de protéger sa fortune. Nous découvrons alors les mœurs des Mormons et c’est loin d’être la vie paradisiaque présentée dans une des séries américaines, les femmes sont malheureuses et soumises et les enfants sont endoctrinés dès leur plus jeune âge .

Le roman permet aussi de voir à quel point la société de cette époque était corrompue, comment de la prison les chefs de la mafia pouvaient se faire de l’argent en volant les fournitures des gros chantiers des travaux publics, nous passons même un petit moment avec Al Capone dans la prison d’Alcatraz.

Un roman foisonnant et je devais sans cesse me reporter à la tête de chapitre pour m’y retrouver mais c’est aussi un roman fort bien documenté qui permet de connaître un peu mieux les États-Unis sous un regard critique mais objectif.

 

Citations

Paysage de Californie en 1848.

Arrivé au sommet d’un petit mont, il embrasse du regard une côte découpée, des rocher sombre où s’accrochent des cyprès torturés par les vents du large, des successions d’îlots et de récifs sur lesquels se brisent, dans des gerbes d’écume, les vagues du Pacifique. Les rayons du soleil, à travers les milliards de particules dorées, nimbe le paysage d’une lumière irréelle. Plus loin, ils devine des alignements de falaises, succession de montagnes couvertes de forêts de pins et de séquoias. Par endroits, là où s’engouffre la furie des tempêtes océane, des prairies sont piquetées d’arbustes nains, comme plaqués au sol par la main d’un géant.

1848 les rares Indiens survivants.

Wild Bear -« Ours sauvage »- comprend l’anglais, le parle mal mais assez pour raconter que ses ancêtres ont, pendant la colonisation espagnole, échapper à l’enrôlement et au travail forcé dans la mission san Carlos de Carmel en se cachant dans les montagnes. Des générations de fugitifs ont survécu dans les replis de la sierra en été, au creux de criques secrètes sur la côte en hiver, refusant le contact avec ces prêtres et ces colons espagnols, puis mexicains, qui avaient l’amour de leur Dieu a la bouche et l’épée à la main. Pauvres, affamés, craintifs, misérables mais libres, heureux parfois, à l’abri de ces démons et de leurs grandes croix, gibets, prêches, interdits, fouets et maladies étranges qui ont qui ont presque rayé les indiens Esselen du monde des vivants.

Une adoption réussie .

 « Rien de trop beau pour mon Willy. Diplômé, mon fils. Et avec avec les honneurs. En route pour l’université, des études d’ingénieur. Mon dieu, si sa mère pouvait le voir, si Helen était encore parmi nous… Comme elle serait fière de son petit orphelin… Ce garçonnet au regard de chiot inquiet que nous avons découvert dans le bureau du directeur de St Cloud’s, que nous avons adopté, nourri, protégé, aimé, à nous en faire exploser le cœur. Pourquoi n’est-elle pas à mes côtés pour le voir, grand adolescent musclé, presque un jeune homme, sourire de miel, jambes d’athlète et bras de statues grecque ? Quelle injustice ! »
Will n’évoque pas souvent son souvenir. Son père s’en étonnait un peu, au début. Mais quatre ans ont passé, c’est ainsi qu’il calme sa peine. Il apprend à vivre sans elle, de tourne vers l’avenir, et c’est bien. Tous deux regardent parfois, au moment du dîner, la photo encadrée sur le mur de la cuisine, où ils sont tous les trois sur la plage, en tenue de bains. Son père pose la main sur son épaule. Il sourit, ne trouve pas les mots. Lui non plus. Elle est là, entre. Pas besoin de parler.

Les Indiens en 1850.

 Ils n’ont aucun document d’identité, aucune existence légale, descendants des premiers habitants de ces montagnes Transformée par l’arrivée des conquistadors en clandestins, fuyards perpétuels, proscrits sur les terres de leurs ancêtres. S’ils connaissent chaque sentier, chaque ruisseau et chaque séquoia géant, qu’ils traitent et honorent comme des divinités, s’ils prédisent l’arrivée d’une tempête ou quand se lèvera le brouillard de mer, ils n’ont aucun droit face à l’administration naissante de l’État de Californie. 


Édition Charleston février 2023. Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

 

Moi qui pensais que nous étions les maîtres de notre destin, j’ai appris qu’en temps de guerre, les citoyens ordinaires ne sont plus que des feuilles balayer comme des milliers d’autres par la tempête. 

Je fais paraître ce billet le lendemain du roman de Cécile Pin : « Les âmes errantes » car ces ceux livres se complètent très bien. Ce roman nous décrit le Vietnam, pays martyre, du point de vue du Vietnam du nord. C’est pour moi une grande découverte, car j’ai déjà beaucoup lu sur le Vietnam du Sud et l’exode des Boat-People mais pas du tout sur le Vietnam du Nord. L’auteure se sert de l’histoire de sa famille et cela lui donne une base pour une grand fresque historique. La famille Tran est propriétaire d’un grand domaine qu’elle cultive grâce à des paysans qui leur sont très attachés.

Le roman suit plusieurs chronologies, celle de la grand-mère Diêu Lan qui élève sa petite fille Huro’ng, grâce à elle nous revivrons la présence des Français dont les Vietnamiens espèrent bien voir le départ. Hélas, les Japonais vont les remplacer et imposer aux paysans des cultures qui suppriment les traditionnelles cultures vivrières, une terrible famine va en résulter. L’auteure sait parfaitement rendre ce que représente la recherche de nourriture pour un peuple que l’on empêche de cultiver ce qui pourrait éviter à ses habitants de mourir de faim.

Le destin de cette grand-mère est incroyable, elle aurait dû mourir tant de fois : comme fille de propriétaire ennemi du peuple condamnée par les communistes, comme femme se débrouillant seule se heurtant à des brigands, comme mère de six enfants qui doit faire 600 kilomètres à pied pour sauver sa vie et celle de ses petits. Cette traversée du pays est inimaginable, on a vraiment une impression d’une hallucination au milieu de dangers mortels qui s’attaquent à elle et à sa volonté de survivre.

Ses enfants partiront à la guerre pour la réunification du pays, ils reviendront détruits moralement pour la mère de Huro’ng, sans ses deux jambes pour Dat, son fils Tuan est mort, un autre est revenu mais complètement asservi au parti communiste au grand désespoir de sa mère qui a gardé en toute occasion son esprit critique.

Nous suivons aussi le parcours de sa petite fille qui veut retrouver sa mère et son père, celui-ci ne reviendra pas et sa mère restera mutique et brisée jusqu’à ce que sa fille comprenne son drame. Nous la suivrons dans son parcours scolaire et dans son histoire d’amour. donnant lieu un rebondissement un peu trop étonnant (pour moi)

L’auteur utilise souvent le biais de lettres ou de journal intime pour nous donner le récit de différents personnages, par exemple le fils aîné qui a fui les communistes qui ont assassiné son oncle devant ses yeux, dans une grand lettre, il fera comprendre à sa famille ce qu’il a vécu. Le journal intime de la mère de Huro’ng qui lui permettra de casser la mutisme de sa mère.

En lisant ce livre, on se rend compte que ce qui a permis aux Vietnamiens de garder une unité morale, c’est la force des liens familiaux, peut-être aussi le culte des morts qui fait que l’on n’oublie pas ceux du passé. Ce lien très fort avec la famille élargie permet de résister aux assauts de la violence mais aussi à l’idéologie communiste. En tout cas c’est le cas de cette famille.

Ensuite, l’auteure a un véritable talent pour nous conduire à travers les différents épisodes du Vietnam et faire comprendre les retombées sur les populations. Il y a peut être un aspect trop « romanesque » dans cette fresque, je pense en particulier à une histoire de bijou perdu et retrouver de façon si miraculeuse pour la jeune fille, mais à la lecture je n’ai pas du tout eu l’impression que c’était trop romanesque, j’ai dévoré tous les épisodes et j’ai tellement admiré cette grand-mère capable de tous les efforts pour que les siens vivent correctement, même faire du marché noir au grand scandale de son fils devenu un membre du parti mais qui accepte quand même ses plats cuisinés avec tant d’amour.

 

Il me reste une question, ce livre est écrit en anglais, cette auteure vit-elle toujours au Vietnam et son livre est-il traduit en vietnamien ? C’est une telle critique du régime communiste que cela m’étonnerait mais cela me ferait aussi un grand plaisir.

 

Extraits

Début .

 Quand meurent nos ancêtres, me disait ma grand-mère, ils ne disparaissent pas mais continue de veiller sur nous. Aujourd’hui, je sens sur moi son regard tandis que je frotte une allumette pour faire brûler trois bâtons d’encens.

La présence française au Vietnam .

 Les Français occupaient notre pays. J’avais déjà vu des soldats battre des fermiers sur la route du village. Ils étaient même déjà venus chez nous, pour fouiller notre maison, à la recherche d’armes. Les cultivateurs et les ouvriers de notre provinces avaient même manifesté contre eux. Mes parents, eux, ne s’étaient pas joints à la protestation. Ils craignaient la violence et croyaient qu’attendre que les français nous rendent un jour notre pays éviterait un bain de sang. 

Les erreurs des Viet Minh communistes.

 Dans tes livres d’école, tu ne trouveras rien sur la réforme agraire ni sur les querelles intestines qui divisaient le Viêt Minh. Une partie de l’histoire de notre pays a été gommée et avec, la vie d’un nombre incalculable de gens. Il nous est interdit de parler des évènements liés aux erreurs du passé ou des méfaits commis par les dirigeants d’antan car nous réécririons l’histoire, ce faisant.

Le titre.

Grand-mère m’a dit un jour que les épreuves auxquelles le peuple vietnamien a fait face sont aussi hautes que les plus haute des montagnes. Je me suis tenue à une distance suffisante pour voir le sommet de la montagne, mais aussi suffisamment près pour ma percevoir que grand-mère est elle-même devenue la plus haute montagne : toujours présente, toujours forte, toujours là pour nous protéger.

 


Édition du sous-sol paru en août 2023

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Johan-Frédérik Hel Guedj

Oh là là ! quel roman ! À vous dégoûter de mettre un pied sur un bateau . Si vous vous embarquez dans ce roman de 370 pages, sachez que vous connaîtrez le pire des éléments naturels et le pire des conduites humaines. J’ai lu plusieurs avis positifs dont celui de Claudia-lucia . Puis bien d’autres que j’ai oublié de noter : Sandrine et Kathel très récemment. David Grann a fait un travail colossal pour écrire un roman qui décrit les difficultés de la navigation au XVIII° siècle sur un bateau de la Navy, la rudesse de la nature dans l’extrême sud du Chili, la violence des hommes qui font naufrage et qui pensent mourir de faim sur une île inhospitalière, enfin la complexité de la justice britannique pour les marins qui ne sont pas restés sous les ordres de leur capitaine. Mais avant tout cela, on assiste à la façon dont les bateaux sont préparés, armés et équipés d’hommes qui sont loin d’être volontaires pour monter à bord de ce qui est pire qu’une prison car on ne peut jamais s’en échapper. La vie sur les bateaux est un véritable enfer, la promiscuité des hommes d’équipage est inimaginable, et quand les éléments se déchaînent alors les marins n’ont plus de mots pour décrire ce qu’ils doivent supporter ; rappelons que pour cette expédition

Sur les presque deux mille hommes qui avaient pris la mer, plus de mille trois cents avaient péri – un tribu effarant, même pour un périple aussi long.

La façon dont a été préparée cette expédition est en grande partie responsable du naufrage, surtout le recrutement des marins. Comme personne n’est vraiment volontaire, les recruteurs écument les campagnes, les prisons et même les hôpitaux. Ainsi des hommes malades et invalides seront embarqués de force sur les bateaux. Évidemment, ces mêmes malades mourront en grand nombre par les différentes maladies qui s’abattent sur les bateaux qui font de très longues traversées, la plus terrible d’entre elle, le scorbut, dont on ne connaissait pas, à l’époque, l’origine.

Les descriptions des tempêtes australes sont très réalistes (et comme il y en a beaucoup un peu répétitives) enfin le naufrage sur une île déserte et balayée par les vents termine cette navigation dantesque. Là encore les marins ont continué à subir la loi de la Navy et doivent obéissance au Capitaine Cheap, mais la faim et le caractère violent de certains marins – il ne faut pas oublier que plusieurs d’entre eux avaient été recrutés en prison- ont fait voler en éclat les beaux principes de la marine anglaise.

Il existe pourtant des populations qui vivent dans ces régions inhospitalières. En particulier des « Nomades de la mer » les Kawésquar qui vivent sur des canoë à fond plat menés par des femmes. Ils résistent au froid en s’enduisant le cops de graisse et en utilisant des fourrures de bêtes pour se couvrir. Ils viendront en aide aux naufragés mais peu de temps car ces indiens se méfient des populations blanches qui les ont exterminés ou réduits en esclavage.

Enfin un homme arrivera à mener une mutinerie et à s’enfuir par le passage de Magellan . C’est sa version qui fera autorité tant que l’on croie le capitaine mort. Mais celui-ci reviendra trois ans plus tard après une incarcération par les espagnols. Personne ne sera jugé coupable par le tribunal car personne n’a vraiment intérêt à faire la lumière sur ce naufrage. Ni les autorités anglaises qui ne veulent plus entendre parler de cette expédition qui a été trop lourde en pertes humaines, Ni ceux qui ont peur d’être traités de mutins et donc être pendus, ni le capitaine Cheap qui n’a pas non plus la conscience tranquille car il a tué un de ses marins .

 

Le travail de recherche de cet auteur est absolument colossal et son souci d’objectivité remarquable mais cela rend le récit très fouillé donc répétitif . C’est pourquoi j’ai une petite réserve, je dois avouer qu’il m’est arrivé de lire en diagonal certains passages.
Je pense que tous les amoureux de navigation, et ils sont nombreux autour de moi sur la côte d’émeraude, seront ravis de lire ce roman.

 

Extraits

Début.

 Chaque membre de l’escadre embarqués à bord avec un coffre de marine est le poids de son histoire intime : chagrin d’amour, peine de prison passer sous silence, femme enceinte éplorée laissée sur le carreau. Ou encore soif de gloire et de richesses, peur de la mort.

J’adore cette image et ce portrait.

Cheap semblait ne pas avoir d’avenir sur la terre ferme, incapable de naviguer par-delà les hauts-fonds inattendus de la vie. Mais juché sur la dunette d’un vaisseaux de ligne britannique, croisant sur les vastes océans, coiffé d’un bicorne et armé d’une longue-vue, il débordait d’assurance avec, diraient certains, un soupçon d’arrogance.

L’équipage.

 L’équipage comptait au minimum un homme noir  » John Duck, esclave affranchi originaire de Londres. La British Navy défendait le commerce des esclaves, mais les capitaines en manque de marins expérimentés enrôlaient souvent des hommes noirs et libres. Quoique la société d’un bateau ne fût pas toujours aussi soumise à la ségrégation que sur la terre ferme, il s’y exerçait une discrimination omniprésente. Et sur Duck, qui n’a laissé aucun écrit, pesait une menace dont nul autre n’avait à s’inquiéter : s’il était capturé outre-mer, il risquait d’être vendu comme esclave.
 Il y avait également à bord des dizaines de très jeunes mousses dont certains n’avaient peut-être pas plus de six ans qui s’entraînaient à devenir marins ou officiers, et de vieux bonshommes fléchissement : le cuisinier Thomas Maclean avait dans les quatre-vingts ans.

Dicton pour parler d’un pendu.

Il était monté à la ruelle de l’échelle, descendu dans la rue du Chanvre.

Le cap Horn.

Au fil des ans, des marins se sont efforcés de trouver un nom adapté à ce cimetière marin aux confins de la Terre. Certains l’ont appelé le « Terrible », d’autres « la route des hommes morts » . Rudyard Kipling l’a surnommé « la haine aveugle du Horn ».
David Cheap étudia de près les cartes sommaires dont il disposait. Les noms des autre sites de la région n’étaient pas moins effrayants : l’île de la Désolation. Le port de la Famine. Les rochers de la Tromperie. La baie de la Séparation des amis.

Sur les flots déchaînés.

 Chaque fois que le Wager franchissait une vague, Bulkeley sentait le navire dévaler une avalanche liquide comme précipité dans un gouffre privé de lumière. Il ne distinguait qu’une montagne d’eau derrière lui, et devant lui, une autre montagne non moins terrifiante. La coque basculait d’un bord à l’autre, piquant parfois si fortement du nez que les vergues plongeaient sous l’eau tandis que les gabiers tout en haut s’agrippaient aux cordages comme des araignées à leur toile

Les Kawésquars.

 Des explorateurs européens déconcertés de découvrir des populations capables de survivre dans les environs et cherchant à justifier leurs attaques brutales contre ces groupes d’indigènes, traitaient souvent les Kawésquars et les autres peuples aux canoës de « cannibales » mais il n’existe aucune preuve de leur anthropophagie. Ces habitants avaient conçu quantités de moyens de puiser leur subsistance de la mer. Les femmes qui se chargeaient de presque toute la pêche, attachaient les patelles à des tendons longs comme des cordes et les lâchaient dans la mer, en attendant de pouvoir remonter une proie d’un coup et l’attraper à la main

 


Édition Actes Sud

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une lecture qui m’a embarquée dans la nature, dans les Pyrénées françaises, à la suite de l’animal détesté par les éleveurs et protégé par les écologistes : l’ours . Je suis d’habitude peu intéréssée par ce genre de lecture, et pourtant j’ai lu avec passion ce roman. Cette écrivaine a un vrai talent pour nous faire vivre les émotions des différents protagonistes de cette histoire. Avec Jules, le montreur d’ours de la fin du XIX°, j’ai eu une peur terrible quand il s’est introduit dans la tanière de l’ourse pour lui voler un petit ourson. J’ai sué sang et eau, avec Gaspard, le berger qui garde les brebis l’été dans les estives, à la recherche des bêtes effrayées par l’ourse, et j’ai aimé la façon dont Alma, la chercheuse en éthologie, pose toutes les questions à propos de la réintégration du plantigrade dans la montagne pyrénéenne.

Vous l’avez compris, il y a trois voix dans ce roman, et ce qui les unit c’est leur attitude vis à vis de l’ours. On comprend à quel point le sort de l’animal, quand on avait le droit de les maltraiter pour leur faire faire des tours qui amusaient les hommes, était une pure horreur. Le berger voit son travail très compliqué par ce prédateur qui se joue si bien des hommes. Pourtant, lui aussi, pense qu’il faudrait trouver un moyen de faire cohabiter les paisibles ovins avec l’animal qui aime tant se nourrir de leur viande. Enfin toutes les questions que se posent Alma sont bien celles que nous nous devrions nous poser. C’est grâce à elle que j’ai découvert la complexité des problèmes pour les bergers et aussi aux écologistes raisonnables de la réintégration de l’ours dans les Pyrénées. Bien sûr, il y a, aussi, un personnage abruti qui ne veut que la mort de l’ourse, mais il est en réalité bien seul, et la romancière ne décidera pas que c’est lui qui a tiré sur l’ourse et l’a finalement tuée, mais nous sommes certains que c’est quelqu’un qui lui ressemble !

 

Bref, la cohabitation des hommes et des animaux sauvages, qu’il s’agisse des loups ou des ours méritait bien un si beau roman. Tout en subtilité.

(Un roman que Lecturissime a aimé, voici le billet d’Aifelle et de Kathel)

 

Extraits

Début.

 Elle s’éloigne lentement de ce pas suspendu, quelque peu léthargique de la sortie d’hibernation. Malgré les restrictions alimentaires et la perte de poids qu’impose le demi-sommeil hivernal, elle lui semble toujours aussi grande, aussi puissante que la première fois qu’il l’a vue, un an plus tôt, sa grosse tête balançant au rythme de ses pas, du mouvement de ses épaules ourlées de fourrure.

Excellente description de la peur dans l’action .

Comme un grand vide dans le ventre soudain, le pouls qui s’emballe, les mains qui tremblent. Il respire à pleins poumons et il glisse d’un coup dans le goulot d’étranglement qui sert de couloir à l’animal, il rampe le plus vite possible, s’aidant de ses coudes. Le souffle court, la conscience aigüe du danger. Et une excitation qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Si elle revient trop vite, il est mort. Si elle revient. Il respire fort, se concentre.

Une amitié de gens de la montagne .

Le vieux lui avait confié ses bêtes, qu’il garderait désormais, les clés de la cabane, les secrets de sa montagne, et puis sa dernière chienne. Et Jean avait beau être d’un monde bourru où on ne dit pas que l’on s’aime, leurs vies étaient liées.

Métier de berger.

Et Gaspar avait peu à peu compris qu’être berger n’était pas réductible à un métier, il s’agissait d’une façon de vivre qui mobilisait des connaissances botaniques, topographiques, météorologiques, vétérinaires à toute épreuve. Jean incarnait une sorte d’homme complet, un danseur qui crapahutait à flanc, un philosophe distillant entre deux jurons des vérités brutes, un marcheur infatigable.

Être berger.

 Monter, c’était s’adonner à une vie de solitude et de frugalité. On ne s’embarrasse de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi la roche, les bêtes, les cieux, les champignons et les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. La communauté des pâtres comptait d’ailleurs nombre de marginaux, d’anarchistes, de rêveurs que le refus de la sédentarité, une réticence à la dictature de la consommation avaient poussé à prendre la montagne comme on prend la route.

La griserie de la montagne .

 Elle comprenait, petit à petit, cette griserie des hauteurs, la difficulté à redescendre. Elle comprenait que ce pût passer avant tout, qu’on pût aimer la montagne à en mourir. Son père n’avait vécu dans le monde des hommes que par défaut, il vibrait pour la verticale des abysses et des montagnes. Et plongeant dans les pas de l’ours, s’immergeant des jours et des nuits dans son territoire, dormant contre la roche, il lui semblait enfin décoder l’énigme qu’avait été cet homme sans cesse dérobé. 

Les enjeux de la réintégration de l’ours.

 L’équipe était prise dans la spirale d’un débat politique qui dépassait les enjeux liés à l’ours. L’animal était un bouc émissaire commode dans une guerre vaine qui opposait les ruraux et les urbains, ou plutôt différentes visions de la ruralité, ceux d’ici et les autres, les éleveurs et le reste du monde ; guerre dont personne ne sortirait gagnant, qui poussait chacun à devenir une caricature de lui-même. Et ce conflit tantôt larvé tantôt ouvert ne reflétait rien de la complexité des rapports de la plupart des gens entretenait avec l’ours : chacun était sommé d’être « pour » ou « contre », le dialogue n’avait plus de place.

 


Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 

 


Édition Folio poche . Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

Un auteur qui m’avait déçue avec la douce empoisonneuse et ravie avec le dentier du maréchal , ici je suis à mi route. J’ai bien aimé mais ce récit manque un peu de légereté. Le récit est en deux partie, la première raconte la construction d’un pont par Akseli Jaatinen dans le village de Kuusmäki. (Vous remarquerez le gout des finlandais pour les doubles voyelles ! !) . Tout de suite les notables du village déteste cet ingénieur trop efficace et aux méthodes expéditives. malgré tous le sennuis que la municipalité essaient de lui causer jusqu’à vouloir le mettre en prison il réussit à construire le pont dans le temps imparti.
la deuxième partie raconte sa vengeance contre tos ceux qui lui ont fait du mal. mais contrairement à Edmond Dantes (excusez cette comparaison mais mon petit fils adore Monté Christo) il ne cherche pas à nuire au village bien au contraire il ne cherche qu’à enrichir le village. Il applique des méthodes révolutionnaires pour construire une usine de ciment qui profite à tout le village et réussît à construire en trois mois une voie ferrée que tout le monde attendait depuis des lustres. En revanche le sdeux femmes qu’il honore de ses faveurs sont très heureuses de partager sa vie et de faire de lui « un homme heureux »

Seuls ceux qui continuent à lui nuire auront le spires ennuis mais il faut dire aussi qu’ils le cherchent bien. C’est un roman sympathique et qui se lit bien. J’ai lu ce livre à la suite d’un article sur la blogosphère mais j’ai oublié de noter le nom du blog.

 

Citations

Le coup de foudre.

 C’était une femme. Elle était là parmi les autres, mais ne leur ressemblait en rien. Elle était belle, douloureuses belle. Comment la décrire ? Des boucles brunes, des traits délicats, un nez droit, parfait, des yeux brillant de milliers de secrets … son cou de cygne émergeait de sa robe avec une grâce de déesse, ses seins idéalement placés se balançaient doucement tels de précieux trésors… et son corps ! Il cascadait des épaules aux hanches puis aux cuisses, aux genoux déliés à partir desquels les jambes s’amenuisaient, devenant chevilles, avant de disparaître dans délégants escarpins un ravissement !

Un finlandais amoureux .

 Un ingénieur des ponts, dans ces circonstances ressemble trait pour trait à toute autre Finlandais amoureux : il a un sur le visage une expression d’une incroyable stupidité, sa bouche se tord, un semblant de chansons monte vers le ciel et son regard erre dans les broussailles, et il roule sur sa bicyclette du côté gauche de la route.

Comment reconnaître un artiste.

 On vit arriver par l’autocar de Helsinki un petit moustachu fripé qui se présenta à Manssila et Jaatinen venus l’attendre à la gare routière : Kasurinen, sculpteur. L’homme sentait l’alcool frelaté, ce qui leur sembla prometteur. Kasirnen était de toute évidence un véritable artiste.

Édition l’avant scène Gallimard NRF 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un premier roman d’une jeune auteure de vingt quatre ans qui se met dans la peau d’une femme très âgée en maison de retraite. Ce roman est surprenant et a su souvent retenir mon attention, sans pour autant être un coup de coeur.

Les quatre saisons vont permettre à Isadora Abberfletch, cette vieille femme en fin de vie de faire revivre sa Maison. Chaque saison lui a apporté son lot de joie et de souffrances. la Maison avec ce M majuscule est le personnage central du roman. Isadora, croit lors de sa jeunesse que cet endroit est indispensable à sa propre vie. Elle ne peut s’en détacher , elle y a toujours vécu, avec sa famille puis qu’avec son père et enfin seule jusqu’à ce qu’elle comprenne, enfin, que sa Maison la tuera si elle y reste encore un an de plus.. Elle y a connu les moments les plus heureux de son enfance avec sa petite soeur Harriet et son frère Klaus. Les rapports avec Louisa, la soeur aînée de la narratrice sont plus compliqués on comprendra pourquoi lors de la scène importante du printemps. Chaque saison, même si elles ont été des moments heureux de sa vie se terminent par une catastrophe, l’été verra la mort de sa mère, l’automne celui de la mort d’Harriet sa petite soeur, l’hiver celui où elle se décide à partir en maison de retraite et le printemps celui où Louisa lui montrera l’envers du décord qu’elle ne voulait pas voir.

J’ai beaucoup aimé la description de l’attachement à la maison d’enfance, l’autrice sait exactement de quoi elle parle car elle encore proche de sa propre maison d’enfance , en revanche son personnage d’Isadora est peu incarnée et on a beaucoup de mal à l’imaginer mais Perrine Tripier a beaucoup de talent , elle vieillira, elle aussi et saura peut-être mieux comprendre le détachement progressif aux biens de ce monde qui sont l’apanage de la vieillesse.

 

Citations

Les romans qui débutent par la météo m’agacent peu.

 Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbes d’été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d’août sur les tiges rases, brûlées d’or.les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, situent, serpentent, et s’entrelacent en longs rubans de lumière liquide.

Le but de sa vie.

J’avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenir, nous ferions de grandes de choses car les choses familières ne sauraient mourir. 

L’été .

La liberté absolue des jours d’été, c’est cela qui distinguait cette saison du reste de l’année. Quel délice ces soirs bleus où nous mangions dehors, sous le grand cèdre. La tablée se trouvait baignée par les effluves de résine.

Vieillir.

Vieillir n’est ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir ? Échanger le fluide vital, les idées folles, l’ivresse du monde contre une douce langueur, un cocon de morphine salutaire et lénifiant.

L’oncle alcoolique .

« Ne touche pas à l’alcool en revanche », disait Petit Père en coulant un regard appuyé vers Bertie et ses joues incarnadines, quand il remontait de la cave où il était allé « vérifier les stocks ». Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, de bon vivant, le trublion, Le grand dévoreurs de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n’est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n’est surpris, mais le rire manque cruellement.

Les photos.

Les morts n’ont aucune humilité, ils s’affichent là, figés à jamais sur du papier glacé, et sont à jamais chez eux dans les lieux qu’ils ont habités On a peur de les déranger, on refuse de jeter le service d’assiettes de la vieille Léodagathe, parce qu’elle l’aimait beaucoup, la sainte femme ; pourtant ce service enquiquine tout le monde, et il est ébréché et de mauvais goût, mais ça personne ne le dit, parce que la veille Léodagathe, dont les os reposent quelque part, entassés dans le cimetière du village, rongés par la vermine était, avant tout, « une sainte femme ».

Jolie formule !

Klaus et Louise ne m’ont jamais semblé avoir du mal à partir, au contraire ; ils ont la valise aisée, la route facile. Ils partent et reviennent sans douleur, la Maison leur est toujours ouverte et toujours douce, jamais violente comme l’amour et immodéré que je lui porte et qui me rend folle loin d’elle, comme une amante jalouse.

Les déménagements.

 On s’attarde moins sur des lieux qu’on doit quitter souvent, parce qu’on se force sans doute à moins s’y attacher, comme pour atténuer la rupture que chaque déménagement provoque. Les déménagements nous brisent. On fiche dans les murs des morceaux de soi partout où l’on passe, et l’on se désagrège en partant. Mon frère s’est désagrégé au fil du temps, c’est sans doute pour ça qu’il n’est heureux nulle part 

L’autre version de la Maison.

 Elle murmura que j’étais malsaine, accrochée au passé, accrochée à une enfance que j’avais idéalisée. Elle ne s’arrêtait plus de vomir des horreurs, elle disait que Petite Mère n’avait jamais été heureuse avec Petit Père, que cette Maison avait été un calvaire pour elle, une charge écrasante. Je pensais qu’elle avait fini mais Louisa se mit à cracher de nouveau « Petite Mère n’a jamais eu d’initiales brodées sur son linge, elle ; elle avait les serviettes blanches des épouses. La maison lui pesait comme la dalle d’un tombeau, elle suffoquait sous l’effroyable pression qui lui appuyait sur le ventre, là, un ventre où se tordait l’angoisse de la ruine, l’angoisse de la mort. »


Édition JC Lattès

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Il fallait vraiment le club de lecture pour m’amener à lire jusqu’au bout ce roman policier. Mes deux petits coquillages disent assez que cette lecture n’est pas pour moi. Suivre les recherches d’un ex-policier alcoolique complètement dévasté par la disparition de la femme qui a été son seul amour, à travers toutes les violences qui secouent régulièrement la Corse, ne m’a pas passionnée .

L’aspect le plus intéressant, c’est ce qu’on apprend sur les dessous des mouvements qui ont secoué la Corse depuis si longtemps. La république française ne sort pas grandie, tant de compromissions avec des truands, ce n’est pas agréable à lire, mais c’est très intéressant..

Pour l’intrigue policière, je vous la laisse découvrir moi, ça me fatigue vraiment, surtout après avoir lu 379 pages avec un homme à moitié ivre la plupart du temps , et avec des hommes et des femmes qui n’hésitent pas à tirer ou à torturer pour obtenir ce qu’ils veulent. Le tout sous l’amoncellement d’ordures car le roman se situe à un moment où les éboueurs étaient en grève.

Surtout si vous aimez les romans policiers ne vous arrêtez pas à mon avis je ne suis vraiment pas la bonne personne pour en parler.

 

Citations

Les nationalistes corses.

Fabien ne put s’empêcher de dire tout le mal qu’il pensait de l’an IV du pouvoir nationaliste à l’assemblée de Corse, à quoi Marie-Thé sans se montrer pour autant convaincue du changement, rétorqua que les natios présentaient cet avantage sur leurs prédécesseurs de ne pas s’en mettre plein les poches. Le ton monta lorsque Fabien se mit à ricaner, prétextant que la seule vraie différence entre les élus nationalistes et ceux des partis politiques traditionnels qu’ils persistait à appeler les clanistes » comme au temps de son militantisme, tenait au fait que ces derniers ne prétendaient pas agir au nom du peuple corse lorsqu’ils mentaient et trafiquaient les marchés publics. 

 

Humour.

– Madame Cinquini, veuve Acquatella, si ça ne vous dérange pas, dit la vieille dame après un moment 
– toutes mes condoléances.
– S’il s’agit d’un trait d’humour, il tombe à plat. Et si vos condoléances sont sincères, elles arrivent un peu tard : Ambroise Aquatella, receveur principal des postes, est mort d’une mauvais chute le 12 du mois de novembre 1887. Avant cet imprévu, il m’a mené une vie impossible pendant trente-trois ans. Je ne l’ai pas regretté.

 Humour un peu lourd non ?

Il avait fallu moins d’une heure pour voir la petite routes déserte s’animer. Le premiers à arriver sur place avait été le maire du village, poussé par l’instinct propre à cette espèce particulière de mammifère à l’écharpe tricolore qui leur permet de détecter le moindre intrus sur le territoire de leur commune et à des kilomètres à la ronde. Petit et gros, hein regard de bedeau derrière des culs de bouteille, il avait garé son utilitaire Peugeot de manière à barrer la route à la saxo.


Édition j’ai lu

Merci Sandrine tu avais raison ce livre m’a beaucoup plu.

Ce récit autobiographique est très intéressant et souvent très émouvant. Cette petite fille est arrivée en France à l’âge de cinq ans, ses parents communistes ont fui la répression des ayatollahs iraniens. En Iran, elle était une petite fille choyée par sa grand-mère et adorait ce pays aux multiples saveurs. Ses parents menaient une lutte dangereuse et l’utilisaient pour faire passer des tracts qui étaient synonymes de morts pour ceux qui les transportaient. Vous comprenez la moitié du titre, et la poupée ? Toujours ses parents : ils l’ont obligée à donner tous ses jouets aux enfants pauvres du quartier en espérant, ainsi, en faire une parfaite communiste se détachant de la propriété, ils n’ont réussi qu’à la rendre très malheureuse. En France, comme tous les exilés ses parents ne seront pas vraiment heureux et la petite non plus.

Il faut du temps pour s’adapter et ce que raconte très bien ce texte c’est la difficulté de vivre en abandonnant une culture sans jamais complètement adopter une autre. La narratrice souffre d’avoir perdu son Iran natal et elle souffre aussi de voir ce qu’on pays devient sous le joug des mollahs . Je me demande si elle reprend espoir avec les évènements actuels ou si, pour elle, c’est une nouvelle cause de souffrance de voir tant de jeunes filles se faire tuer au nom de la bienséance islamique.

L’auteure raconte très bien tous les stades psychologiques par lesquels elle est passée : la honte de ses parents qui ne parlent pas assez bien le français, la séduction qu’elle exerce sur un auditoire quand elle raconte la répression en Iran, son envie de retrouver son pays et d’y rester malgré le danger, les souvenirs horribles qui la hante à tout jamais …

Je ne sais pas où cette écrivaine vit aujourd’hui, car on sent qu’elle a souvent besoin de vivre ailleurs (Pékin, Istanbul) mais je suis certaine que si le régime tyrannique de l’Iran s’assouplissait un peu, elle retrouverait avec plaisir ce peuple et surtout ce pays qui l’a toujours habitée.

 

Citations

Les morts opposants politiques de Téhéran .

Il existe un cimetière situé à l’est de Téhéran, le cimetière de Khâvarân connu aussi sous le nom de « Lahnatâbâd », ça veut dire le cimetière des maudits. Lorsqu’un prisonnier politique était exécuté, ont jetait là son corps dans une fosse commune. Aucune inscription, aucune stèle, pas même une pierre. Terre vaste, aride et noire. Parfois de fortes pluies s’abattaient sur la ville et les corps mal enterrés réapparaissaient à la surface car le terrain était en pente. Alors les opposants allaient ré-enterrer leurs morts au nom de la dignité. Mon père y allait avec ses camarades. Ils vomissaient, ils en étaient malades pendant des semaines, ils étaient hantés par les images des déterrés mais peu importe, il fallait le faire. on ne pouvait pas laisser un corps sans sépulture. On ne pouvait pas laisser les camarades pourrir ainsi.
 Terre maudite ou Terre sainte ?

Que de douleurs dans ce passage !
 « C’est extraordinaire d’être persane ! »
 Oui c’est extraordinaire, vous avez raison. la révolution, deux oncles en prison, les prospectus dans mes couches, le départ in extremis, l’exil, l’opium de mon père. J’en suis consciente et j’en ai souvent joué de ce romanesque. Dans les soirées parisiennes intello-bourgeoises ou lors de la première rencontre avec un homme histoire de le charmer, mais aussi face aux voyageurs qui ont traversé l’Iran sur la route de la soie, face aux expatriés qui ont travaillé là-bas. D’habitude les gens ou entendu parler de l’Iran à travers les médias, les livres, les films. Tout ça est un peu lointain, irréel, mais là, ils ont face d’eux quelque chose de bien vivant. Alors je me faisais conteuse devant un public avide d’histoires exotiques et j’ai rajouté des détails et je modulais ma voix et je voyais les petits yeux devenir attentifs, le silence régnait certains, les plus sensibles ont même pleuré. Je triomphais.