Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.

14 Thoughts on “Houris – Kamel DAOUD

  1. Je ne pourrai pas lire ce roman, tu fais bien de nous prévenir des scènes insoutenables… Dommage, je passe sans doute à côté d’un bon ou très bon texte.

    • et puis, aujourd’hui j’apprends que le gouvernement algérien a interdit à Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , je me dis qu’il est important de le lire dans notre pays qui ne censure pas de tels livres.

  2. julitlesmots on 11 octobre 2024 at 14:48 said:

    Ton avis mitigé ne m’empêchera pas de le lire, car je trouve que ces livres sont indispensables, je regrette cependant que tu dévoile trop de choses de l’intrigue en elle-même.
    Quel dommage de trop déflorer l’intrigue… En te lisant, j’ai appris des choses que je souhaitais découvrir en lisant, j’ai donc arrêté ma lecture, pour ne pas être plus spoilé, mais j’ai cru comprendre que tu n’aimais pas les livres où la violence était trop représentée.

    • Mon avis n’esp pas mitigé, j’ai mis quatre coquillages car j’ai une réserve sur la difficulté de lire ce livre très touffu et au style très incantatoire, mais je dis aussi qu’il faut lire ce roman comme tu le feras sans doute. Pour ce qui est de divulgâcher l’intrigue, je m’explique , je ne dévoile rien du tout car la valeur de ce roman ne tient pas au suspens, absolument pas, tout le monde connaît les horreurs de la guerre civile en Algérie même si le gouvernement algérien veut les nier.
      C’est grâce à Kamel Daoud dans ses différents interviews que j’ai réussi à me retrouver dans le fil narratif de son roman, car son récit ne respecte pas la chronologie. Tu en apprendras bien plus en écoutant « la grande librairie » qu’en lisant mon billet sur Luocine !
      De plus je fais partie du petit club des lectrices pour qui le suspens ne rajoute rien à la lecture et je commence très souvent les romans par la fin.
      Les deux questions que je pose à toutes les antidivulgâcheuses sont celles-ci « Comment avez-vous fait pour aimer qu’on vous raconte des contes dont vous connaissiez pourtant la fin ? et comment faites vous pour relire des romans que vous avez aimés ? »
      Personnellement je sais que Julien Sorel sera condamné à mort et j’adore relire le rouge et le noir !

  3. Bonsoir Luocine, je compte lire un jour ce livre. J’aime le style de Kamel Daoud mais je retiens qu’il n’est pas forcément facile à lire. Mais j’ai lu de très bonnes critiques. Bonne soirée.

  4. Parisianne on 11 octobre 2024 at 22:47 said:

    Merci de ta critique très riche. Je ne suis pas certaine d’être capable de lire ce livre, la violence me pose un vrai problème.

  5. Je ne sais pas si j’aurai le courage de le lire, d’autant que tu soulignes la difficulté de s’y retrouver parfois. Mais je ne l’ecarte pas d’emblée non plus.

  6. Merci pour cette chronique, j’ai commencé le livre avec appréhension car je n’ai jamais réussi à lire le livre précédent de K Daoud, et j’ai retrouvé là sa façon d’écrire qui me gêne énormément.
    J’ai laissé le livre de coté mais pas éliminé de ma liste car le sujet m’intéresse et ton billet renforce encore la nécessité de le lire.
    Comme tu le dis l’interdiction du livre en Algérie est encore une raison supplémentaire de le lire

    • Je suis d’accord avec toi son style est particulier et je n’y adhère pas complètement mais ce qu’il doit raconter est si horrible que j’ai accepté sa façon de le dire.

  7. Je ne doute ni de l’utilité de ce roman, ni du courage de l’auteur et de son talent… Mais lire toute ces horreurs qui sont difficilement soutenable, je n’en n’ai pas envie…

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