Éditions Robert Laffont/ Versilio, 463 pages, janvier 2025.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Si vous voulez un roman historique bien dépaysant ce roman est pour vous. Il vous plongera dans l’antiquité chinoise du VII ° siècle après JC. Pour rappel, en France nous sommes à l’époque des rois dits « fainéants » car ils n’arrivaient pas à régner assez longtemps pour imposer leur volonté. En Chine, c’est aussi une période troublée qui se terminera par la prise de pouvoir de l’empereur Li Shiming , il va fonder avec son père la dynastie des Tang qui règnera sur la Chine pendant trois siècles, c’est une période d’une certaine prospérité pour cet empire.

Le roman est un un classique du genre « Roman Historique », l’auteur prévient dans une longue préface qu’il respecte les faits historiques , mais qu’il se permet des libertés pour rendre son récit plus vivant. Il a cherché à doter ses personnages de traits de caractère vraisemblables mais dont il ne sait rien. À la fin du livre, il précise les faits historiques et ce que l’on doit à son imaginaire, je trouve ce procédé intéressant et rajoute du poids à son roman.

Nous suivons trois personnages qui ont tous existé : Shiming un jeune homme, presque un enfant au début du roman qui a un courage fou et qui est prêt à tout pour montrer sa bravoure, il tuera ses deux frères pour devenir l’héritier de son père et remplacer l’ancienne dynastie au service de laquelle pourtant sa famille était liée. Mais l’empereur part dans une guerre perdue d’avance, les morts se comptent par milliers et les déserteurs pillent les campagnes.

La deuxième personnage c’est une femme, une princesse qui a été donnée comme épouse à un vieux chef nomade : la princesse Yicheng. Les nomades sont maintenus difficilement en dehors du royaume et vivent bien loin du confort et du raffinement de la civilisation chinoise.

Enfin un paysan Dou Jiande qui deviendra grâce aux hasards de la guerre un bandit respecté une sorte de « robin des bois » au service des plus pauvres.

Même si ce roman est long il est très facile à lire, on suit très bien les trois destinées qui se croisent sans que le lecteur se perde. La rencontre avec Shiming et Jiande se fait une jour de grande festivité : l’empereur vient inaugurer un grand canal et en même temps annoncer son désir de conquérir une région qui correspond à la Coré actuelle, une bousculade a lieu causée par Jiande . Shiming tue grâce à talent d’archer un nombre important de garde pour sauver la vie d’un enfant nomade qui devait être rendu à sa tribut .

Avec Jiande on voit la difficulté du monde paysan, à la merci du climat qui peut détruire leurs récoltes et des soldats déserteurs qui leur prennent tous leurs bien et leur vie en plus . Cela poussera Jiande à devenir hors la loi .

Avec la princesse chez les nomades, on découvre peu à peu une civilisation si éloignée de la sienne et se rend compte qu’on peut être heureux sans les raffinements des palais, des soieries, et de la nourriture sophistiquée.

Avec Shiming , on découvre les intrigues de cour , lui deviendra un homme de pouvoir grâce à ses talents de stratège et son goût pour la guerre.

L’auteur leur donne une vie amoureuse qui pimente le récit, il n’insiste pas trop sur les différentes tortures qui étaient, pourtant, monnaie courante à l’époque ;

Comme je le disais au début un roman historique classique qui permet d’en savoir plus sur une époque peu connue (en tout cas de moi) , j’ai quelques réserves sans que je sache bien expliquer pourquoi. Je pense que je lirai plus volontiers un essai historique sur cette période qu’un roman .

 

Extraits

Début.

 Les empreintes avaient beau, à chaque rafale, s’effacer un peu plus sous la neige, on discernait encore les contours de cinq coussinets, tout en rondeur, très différents des doigts et effilés des loups. Et puis la bête semblait avoir attaqué seule, pas en meute. Quand Shimin le fit remarquer, son père le rabroua :  » Et tu déduis tout ça en un instant, alors qu’on vient à peine d’arriver et qu’on y voit plus rien ? » Il essuyait avec une exaspération croissante son visage où s’accrochait les flocons tombant du ciel sombre. Ses lèvres blanches craquelées tremblaient sous sa moustache couverte de givre, sans qu’on sache si c’était les faits des bourrasques glaciales ou de la rage.

Un paysan enrichi.

Dou Jiande avait grandi au milieu des calculs de son père, de son obsession des petits profits qui, cumulés, en formaient de gros. Il lui semblait que ce père n’avait jamais rien fait qui n’ait été intéressé. S’il rendait une visite à un voisin, c’était pour en tirer les informations utiles. S’il donnait une vieille bêche à une pauvre veuve qui venait de casser la dernière qu’elle avait, c’était en espérant s’en faire une obligée et lui demander un jour quelques services, de l’espionnage par exemple, afin d’apprendre discrètement la situation de telle ou telle famille. S’il laissait son verra saillir la truie d’un autre villageois, il exigeait la moitié des porcelets. Même quand son propre père mourut, il s’arrangea pour des motifs fallacieux pour faire contribuer l’ensemble du village au frais des funérailles. Il aurait eu des moyens de prendre une ou plusieurs concubines. Il ne le fit jamais non par une affection démesurée pour la mère de Jiande, et parce que cela aurait impliqué des dépenses qui lui auraient semblé insupportables. L’hiver, comme beaucoup des villageoises tissaient jusque tard dans la soirée, il envoyait sa femme chez des voisines afin d’économiser l’huile des lampes.

Les nomades et la princesse chinoise.

Le campement des nomades changeait, lui, sans cesse d’emplacement, il occupait une étendue herbeuse après l’autre, déménageant à chaque saison, partant s’installer l’hiver sur des pâturages plus abrités, en bordure de lacs dont l’eau ne gelait pas, gagnant des contrées plus fraîches l’été. Et néanmoins il était toujours identique. Les mêmes tentes, les mêmes chariots, disposés selon le même ordre et toujours entourés, où qu’ils fussent, du même horizon de colline basse. Immuable dans le mouvement. (…)
 Puis Tardu lui avait demandé de devenir sa femme et plus que sa femme sa Kkatun. À partir de là, sa vision sombre et désespérée de la steppe s’était modifiée. Rien n’avait changé, ni les déménagements perpétuels, les paysages lassante, la puanteur, les plaisanteries vulgaires, ni la nourriture insipide ou écœurante, ni l’absence de raffinement. Et cependant tout était métamorphosé. Le fromage grossier était devenu revigorant, la langue rauque des nomades, puissante, leur goût des exercices violents, un signe de vitalité, l’absence de ville un saint refus de l’inessentiel. Yicheng avait honte, à certains moments d’avoir ainsi révisé un si grand nombre de ses perceptions, de ne plus souffrir autant que les premières années, de réussir à s’accommoder de ce qu’elle avait jadis jugé insupportable.
Elle n’avait pas regagné les palais et des jardins de son enfance, elle ne le retrouverait jamais. Mais on pouvait vivre, on pouvait même être heureux sans palais et sans jardins. Elle aimait cet homme, qui se tenait auprès d’elle et venait de l’étreindre 

La haine moteur de la guerre.

 Tulan ne possédait ni la force, ni la détermination de son père. Il lui manquait la haine pour cela, la haine sans laquelle Yicheng en avait désormais une conscience aiguë, rien de grand ou presque n’était possible en ce monde. Or le jeune homme avait appris à aimer ceux chez qui il avait été otage. Parfois il venait la voir elle, sa belle-mère, uniquement pour évoquer les merveilles de raffinement des trois capitales. Ces visite irritaient Yicheng. Tulan lui rappelait tout ce qu’elle voulait oublier et détruire.


Éditions la tribu, 459 pages, janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai lu chez « je lis je blogue » un billet à propos de ce roman et il se trouve qu’il était au programme du club dans le thème » roman historique ».

Je rappelle brièvement le fait central : rue Transnonain, au 12 exactement, la nuit du 14 avril 1834, les troupes commandées de loin par un certain Bugeaud obéissant à Adolphe Thiers, entrent dans cet immeuble et tuent tout le monde : hommes, vieillards femmes et enfants. C’est un crime d’état et qui a d’abord choqué l’opinion publique et puis qui a été bien oublié. Il préfigure ce que sera la répression de la Commune toujours menée par Adolphe Thiers, ce boucher qui a encore tant de rues et de places à son nom dans les villes françaises.

Ce qui a sans doute rendu célèbre ce crime d’état c’est le dessin de Daumier plus que le texte de Ledru-Rollin qui, déjà, dénonçait ce crime sans raison de 12 parisiens.

Description de cette image, également commentée ci-après

À partir de ce crime horrible, l’auteur crée une fiction historique, très intéressante qui permet de se plonger dans le Paris de la misère sous Louis Philippe. Les deux personnages principaux, la prostituée, Annette Vacher, et l’ancien policier Joseph Lutz ne sont pas des personnages de pure fiction mais très librement interprétés par l’auteur. La trame principale de ce récit est de démonter la propagande officielle de l’époque qui consistait à faire porter le chapeau de cette tuerie aux habitants de cet immeuble qui auraient caché un homme qui a tué un officier de la garde. En réalité, le règne de Louis Philippe est secoué par de multiples révoltes dont celle des canuts à Lyon, et le pouvoir, avec le tristement célèbre Thiers à sa tête, veut remettre de l’ordre . Pour cela, il faut museler la presse et mettre en prison tous les gens qui appartiennent à des mouvements progressistes. Bugeaud pense qu’il faut faire peur aux bourgeois, rien de telle qu’une tuerie bien organisée.

Le monde de la misère est parfaitement décrit en particulier celui de la prostitution. L’auteur fait revivre deux femmes remarquables de l’époque : Suzanne Voilquin et Claire Démar qui ont lutté toute leur vie pour la cause des femmes, trop tôt, sans être le moindre du monde entendues à leur époque.

J’ai une réserve sur ce roman trop foisonnant. L’auteur a voulu tout dire de l’époque . Le fil narratif est, de façon permanente, fait d’aller et retour sans que cela se justifie. Pour moi, la chronologie aide à la compréhension et le contraire m’a lassée. Et puis le romanesque emporte l’auteur dans des invraisemblances qui n’apportent pas grand chose et surtout le personnage de la prostituée amoureuse d’un jeune ouvrier occupe une très grande partie du roman sans pour autant être très incarnée : c’est une très belle coquille vide . Bref, quelques longueurs dans un roman qui vaut vraiment le peine d’être lu pour découvrir la misère du tout début de l’industrialisation de la France.

 

Extraits

Début.

« … on ne tue pas le monde comme ça. « 
 Au numéro 12 de la rue Transnonain, à l’emplacement de l’actuel 62, rue Beaubourg à Paris, deux amants sont allongés dans un lit. L’un dort l’autre veille. La jeune femme s’appelle Annette Vacher. Elle doit avoir dépassé la vingtaine. Personne ne peut donner son âge exact, mais tous se souviennent de ses yeux verts légèrement bridés, de son épaisse chevelure d’un rouge rabattu et de ses tâches de rousseur. Quelque chose d’excessif dans la féminité, de débordant. Madame Pajot, la concierge de l’immeuble, est plus directe pour elle, « c’est une fille ».

Citations de la presse d’opposition .

 La caricature, 17 avril 1834
 Pendant toute la journée, on voyait à chaque instant sortir des cercueils des maisons démantelées de la rue Transnonain ; on avait oublié d’écrire dessus : laisser passer l’ordre public. 
(plus loin)
 L’administration des pompes funèbres a placé, dit-on, au-dessus de son établissement l’écriteau suivant : Au Pouvoir, les pompes funèbres reconnaissantes. 

Portrait d’Adolphe Thiers.

 Au moment des Trois Glorieuses, ils parie sur Louis Philippe. Dans les colonne du « National », il le pousse sur le trône. Élu député, il s’arrange pour envoyer le mari de sa maîtresse en poste dans le Nord et, ne pouvant mettre la main sur la mère, épouse la fille de seize ans. Le voilà riche, le voilà électeur, le voilà éligible. Grâce à la fortune du beau-père, il s’installe place Saint-Georges, dans un hôtel particulier en style néogothique, qui symbolisera aux yeux des Parisiens, ce que peuvent faire la ruse et le pouvoir réunis en un seul personnage.

Le carnaval et les excès .

 Son nom est Milord l’Arsouille. Le fils bâtard d’un riche Anglais qui vient d’hériter de cent mille livres sterling. Elles lui brûlent les mains. Et pas que les siennes. Son jeu préféré consiste à plonger une poignée de pièces d’or dans l’huile de la friture et, muni d’un mouchoir, de les lancer sur la foule. Il faut les voir s’arracher la peau en paiement de leur lucre. Quand il a bien ri, il se bat. Peu importe la raison. Avec les bourgeois. les fiers-à-bras. Comme s’ils voulaient se punir d’avoir eu tant de chance.

Genre de scènes trop fréquentes à mon goût.

 Dans son dos les chaufourniers retroussent sa robe. La poussière lui entre dans les narines, les oreilles, les yeux. Par tous les orifices du corps. Il doit y en avoir sur le sexe en érection parce que ça la brûle de l’intérieur. Dans la cour les femmes parlent de plus en plus fort. Les enfants jappent comme des petits chiens. Les chaufourniers avaient et toussent, leur souffle si court qu’Annette croit plusieurs fois qu’ils vont mourir en elle.

6 ans d’une vie.

 Elles arrivent ainsi de devant la barrière d’Italie. Celle par laquelle six années plus tôt, Annette entrait dans Paris. Six ans c’est peu … à moins qu’on n’ait été obligé de coucher avec des centaines d’hommes, qu’on n’ait éborgné une femme, passé un an en prison, connu plusieurs révolutions, échappé à un massacre, dormi sur des grabats, éprouve la faim, le froid rencontré l’amour et tenu dans ses mains son crâne ouvert.

La peur et l’action .

 Dimanche après-midi quelques heures avant l’assaut. La rue Beaubourg est remplie à la gueule. Des familles entières qui musardent depuis la tour Saint-Jacques jusque dans le Marais. Ça chante, ça prend du bon temps. C’est pas comme ça qu’on va faire la révolution. Retiens bien mon avis, Lutz : la peur c’est le seul combustible valable. Sans elle, autant rester chez soi.


Éditions Glénat ; deux tomes , 140 pages chacun pages, 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je lis vraiment peu de BD mais j’essaie de lire celles recommandées par le club de lecture. Ce récit romance un fait historique ; des naufragés de la compagnie hollandaise au XVII° siècle a fait naufrage, et les naufragés se sont entretués de façon horrible.

Le plus intéressant c’est l’introduction du premier tome :

 

« L’extinction de l’âme »…
 Avec des termes pareils il en faudrait peu pour que ce phénomène décrit par Philippe Zimbardo, professeur de psychologie à Stanford, nous fassent sourire ou nous renvoie au registre poétique. Il s’agit malheureusement d’un mécanisme mental aussi réel qu’effrayant. De la Saint-Barthélemy au génocide arménien, en passant par le massacre des Tutsi, la Shoa ou les sévices commis sur les prisonniers d’Abu Ghraib, Zimbardo décèle un effrayant file conducteur d’enchaînements et de situations qui conduisent tous à la même horreur : l’arrêt complet de l’empathie d’un groupe d’humains associée à la suspension de leur jugement moral avec pour conséquence immédiate sadisme et massacres.
 « Moi ça ne m’arrivera jamais » ou encore « pas à notre époque » sont sans doute les pires idioties que l’on puisse dire à ce sujet. N’importe qui, oui, n’importe qui peut devenir ce bourreau, cet homme à la machette où se gardien de camp qui nous révulse tant.
Avec une telle introduction vous avez compris tout est possible et le pire est au rendez-vous. La compagnie hollandaise n’a qu’un but faire le maximum d’argent au détriment de la santé des matelots qui sont tous de la pire espèce de vauriens. Le bateau fait naufrage et commence alors le deuxième tome l’horreur sur l’île et les meurtres en série.
C’est très complexe de comprendre le personnage principal , un homme idéologue et qui veut démontrer que les navires marchands ne fonctionnent que parce que l’ensemble de l’équipage obéit au capitaine sans jamais s’unir pour se révolter.
Et il y a une femme (cela permet de beaux dessins, qui elle veut retrouver son mari pour retrouver son statut de mère (enfin c’est ce que j’ai compris) .
Je me suis perdue au milieu de tant de violence et j’ai carrément détesté cette BD que je n’ai lue qu’à cause du club !
voici des exemples de planches très bien dessinées je le reconnais bien volontiers !

Éditions Pocket , 211 pages, décembre 2024


Peut-être l’église s’adaptait-elle à son époque celle de la Connexion Perpétuelle ?

 

C’est Ingannmic qui m’a donné envie de lire ce roman, en précisant bien que ce récit était vraiment déjanté. C’est vrai et je me suis un peu perdue dans cette lecture. Je n’arrive pas trop à comprendre pourquoi je résiste à ce genre de livres. En réalité ce n’est pas vraiment drôle ni humoristique, c’est au delà de toutes les catégories habituelles : l’auteur se lâche complètement et tout devient possible : les méchants sont des affreux patibulaires pour qui, les meurtres et le découpage de cadavres, sont de simples parties de plaisir. Dieu est tellement écœuré par les hommes qu’il a choisi comme Sainte une prostituée au cœur pur, ce qui évidemment déplait souverainement à l’église officielle. Cela va donner lieu à une course poursuite à travers l’Amérique des paumés, parsemée de meurtres en tout genre.
L’histoire finalement a peu d’importance il faut savoir savourer ce genre de récit et s’amuser avec l’auteur de toutes les allusions à un monde qui va mal . Et comme, en ce moment, on ne peut pas dire que l’Amérique aille bien, alors pourquoi pas ? Moi Stella m’a laissée en chemin mais Ingannmic m’avait prévenue : ce roman est trop déjanté pour moi.

Extrait

Prologue : lisez le et vous saurez tout de suite si vous voulez ou non lire ce court roman.

 Il faut savoir que Stella n’était pas exactement belle, ni très futée non plus. Mais elle était sincère. Et loyale. Et dans une vie, quand on y pense, ça peut suffire pour devenir une sainte.
 Pas très futée ni exactement belle, mais désirable, ça oui. C’était dans son attitude, sa posture, sa façon de bouger les hanches et de vous regarder. Quand Stella vous regardait, vous étiez le seul homme sur terre, vous comptiez pour quelque chose. Peu importe qui vous étiez de quelle façon : Stella jetait sur vous ses yeux d’ambre, ses yeux candides, et vous étiez vivant.
 Elle vous regardait.
 Vous.
 Votre cœur, votre sang.
Vivant.
 Alors, bien sûr, Stella ne pouvait que devenir ce qu’elle portait en elle : la quantification du désir.
 Et dans une vie, quand on y pense, ça peut suffire pour devenir une putain.

Début.

 Ce soir là, un soir de juin avec des chauves-souris frôlant ses cheveux noués à la hâte, elle avait attendu que le tumulte s’apaise dans sa tête – quelque chose ayant à voir avec de l’eau froide et bleue se fracassant sur un rocher- pour verrouiller son camping-car et rejoindre la caravane de Santa Muerte. Ce n’était pas grand-chose, une centaine de mètres à franchir d’un pas rapide, les pieds nus frôlant l’herbe rare et rebondissant sur la terre sèche, le temps d’écraser une dizaine de moustiques sur ses bras nus et ses cuisses durent comme l’amour.
 Stella Thibodeaux avait 19 ans, l’âge des martyrs. Elle-même n’était pas sûr de la date de naissance inscrite sur ses papiers d’identité. Ce qu’elle savait, en revanche, c’est qu’elle devait causer d’urgence avec celle qui lui avait tout appris sur les hommes.

Style de l’auteur.

 Quand la Mexicaine vit la jeune fille s’avancer dans la pénombre elle toussa et alluma une des quarante cigarettes qu’elle fumait chaque jour. Elle avait mis déjà tant de clous à son cercueil qu’il pesait bien plus que son corps décharné. Mais la mort ne voulait pas encore de ses 89 ans et de ses quarante-huit kilos.

Une description réaliste.

Robert Smith gara son pick-up Chevrolet sur le parking, fut comme happé par la touffeur de l’air avant d’entrer dans l’église en préfabriqué jouxtant le Taco Bell. Là où la modernité faisait bien les choses, la cloche de l’église ayant été remplacée par celle au néon affichée par la chaîne franchisée.

 

L’Amérique rêvée.

 Un samedi après-midi dans la grande Amérique qui se meurt. Et puisqu’elle meurt, c’est nous aussi qui mourront un peu avec elle. Parce qu’elle portait pour nous ses promesses de ailleurs, d’un renouveau, il ne faut pas trop lui en vouloir de nous avoir trahis, elle et son drapeau qui se mouche dans les étoiles.

Quand l’écrivain se regarde écrire.

Elle était encore attachée, mais d’urgence était de boire avant l’évanouissement et la chute. L’ eau coulait aux commissures de ses lèvres roulait jusqu’au bord de ses seins . S’il y a un moment où l’avidité peut être belle, c’est maintenant, dans ce simple fait d’accueillir le geste d’un homme donnant à boire à une femme absolument vulgaire l’érable est rendue fragile ; c’est pour un tel moment de grâce que je suis né en Verseau. Et pour le dire, que je suis devenu écrivain.

Je suppose que l’auteur s’est bien amusé à écrire ce roman.

 Et puisqu’on en est au chapitre 40, que c’est un chiffre pair et que les deux frangins aiment ça, je propose qu’on fasse une ellipse et qu’on passe directement à la partie VI de ce roman américain écrit par un Suisse.


Éditions du Seuil, 141 pages, janvier 2025
Traduit de l’italien par René de Ceccatty

Lu, dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Roman très étrange qui rappelle l’univers de Kafka. Cette écrivaine décrit une agression dont elle a été victime en Hongrie alors qu’elle a accepté d’aider à un tournage d’un film sur la Shoah. Le mélange de la Shoah, du régime communiste, de sa sexualité donnent une ambiance terriblement anxiogène et on pousse un grand ouf quand elle peut enfin prendre son avion et arriver à Rome, son pays.

Voici l’incident de départ qui va créer tout le drame  : elle veut changer un pantalon trop grand au magasin qui s’était engagé à le faire s’il ne lui allait pas. De façon incompréhensible le patron refuse et surtout ne la comprend plus. La langue a beaucoup d’importance dans ce roman : la guerre n’est pas terminée depuis longtemps, et comme elle s’exprime en allemand dans un pays qui ressent cette langue comme celle des Nazis, elle est violemment rejetée Elle n’arrive pas à comprendre si elle est rejetée parce qu’elle est juive ou parce que les habitants pensent qu’elle est allemande.

Elle est frappée, on lui casse le poignet et doit aller à l’hôpital pour se faire soigner, là elle rencontre un médecin juif qui semble terroriser.

Sur le tournage le metteur en scène est violent et maltraite les comédiens pour obtenir d’eux un jeu au plus près de ce qui se passait dans les camps de concentration. C’est le rôle du personnage principal qui a connu les camps  : elle doit montrer en particulier à un actrice américaine comment on se déplaçait, on mangeait, on évitait les coups dans les camps .

Et puis pour rajouter à l’angoisse la police hongroise, la milice, un avocat des journalistes, tout ce petit monde grouille pour lui faire comprendre que la coupable de l’incident de départ c’est elle !

Plus que le thème de la shoah ce roman raconte la plongée dans un monde absurde où on perd si vite tous ses repères de simples bon sens. En finissant cet article je me rends compte que j’ai oublié de parler de la sexualité mais j’avoue ne pas avoir apprécié les deux scènes érotiques , l’une de masturbation avec un petit pain du petit déjeuner, et l’autre avec le médecin qui a bien du mal à avoir une érection.

Bref , si l’angoisse est très bien décrite, j’ai eu du mal à comprendre ce que voulais raconter cette écrivaine sinon que dans un régime sans liberté on se retrouve très vite dans un monde kafkaïen.

Extraits

Début.

 Je suis entrée dans le magasin vers six heures du soir. J’étais pressé d’échanger le pantalon et de me précipiter ensuite, avant la fermeture, dans une pâtisserie où j’avais vu en passant des gâteaux d’apparence familière.
– Bonsoir, ai-je lançai au petit jeune qui était derrière le comptoir à ma droite.
 Je l’ai regardé et je lui ai souri avec tendresse, parce qu’il m’avait l’air, depuis la veille où j’étais venue acheter le pantalon de ressembler avec ses oreilles en chou-fleur et ses cheveux en brosse, à mon frère mort.

Scène érotique surprenante.

 J’ai commencé à manger distraitement ; en regardant le deuxième petit pain tout frais et intact, j’ai eu une grande envie de faire l’amour. J’ai ressenti aussitôt des spasmes et des battements dans mon sexe et j’ai regardé fixement le pain. Je l’ai pris dans ma main saine, et je me suis excusée, je l’ai appuyé sur mon bas-ventre, je l’ai serré entre mes jambes, de plus en plus enivrée par ma sensualité qui m’entraînait à une rapidité déconnectée jusqu’à un sommet de plaisir destinée à me faire oublier la réalité.
 Les yeux fermés, épuisée de jouissance, j’ai porté à mes lèvres le pain chaud et humide, qui sentait la farine et le muguet. J’ai enfourné bouchée après bouchée, sans ouvrir les yeux et je me suis laissée gagner par une somnolence sereine .

Les réalités des tournages difficiles .

 Je me suis éloigné avant qu’ils recommencent à répéter la même scène mille fois jusqu’à ce que les actrices épuisées et les figurantes démolies parlent, bougent, agissent exactement comme le réalisateur l’exigeait.


Éditions Robert Laffont, 251 pages, Décembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai commencé ce roman en étant persuadée qu’il allait fortement me déplaire : pendant la période du confinement une jeune femme rencontre un homme avec qui elle va tromper son mari. Elle sent qu’elle reproduit l’histoire de sa mère qui, elle aussi, a trompé son mari, et qui a avoué à sa fille qu’elle n’est pas la fille de son père mais d’un autre homme que sa mère a aimé avec passion.

Mais j’ai été happée par l’histoire de Luis ce médecin uruguayen, qui a fui la dictature, pour se réfugier à Lille aidée par Mathilde la mère de la narratrice. J’avais oublié que l’Uruguay avait connu une période de dictature militaire et la description de ce qu’il se passe dans les prisons du pouvoir est insoutenable.

Luis est médecin et il doit signer les constats de mort dans les prisons sans parler des tortures que ces pauvres gens ont subies. Cela le mine si fort qu’il finit par s’enfuir en France mais il est détruit par le poids de la culpabilité et la peur que le régime s’en prenne à sa femme et ses enfants.

Mathilde, mariée à un clerc de notaire dont elle a une fille, Sophie, aide cet homme à se reconstruire et emportée par sa passion, ils feront ce bébé , Lucia-Maria (Lucia pour la lumière et Maria du nom de la jeune femme torturée à mort, dans la prison de Montevideo, la dernière dont Luiz signera l’acte de décès par arrêt cardiaque) .

Luis ne sera jamais un père pour cette enfant née en France alors que, lui, est retourné dans son pays pour lutter et rétablir la démocratie. Il occupe maintenant un poste important, La rencontre avec ce père permet à la jeune femme de confronter l’histoire de sa mère avec celle de cet homme, mais c’est tout.

Un roman très classique et pas passionnant si ce n’est pour le rappel du passé tragique de l’Uruguay et j’ai trouvé que Laetitia de Luca le racontait très bien.

Extraits

Début

Paris, avril 2020
 Toutes les familles ont leurs traditions. La nôtre, manifestement, est de tromper son mari. J’ai longtemps cru pouvoir y échapper, mais j’ai présumé de mes forces. Pourtant chacun le sait les chiens ne font pas des chats. D’ailleurs c’est en allant promener le mien que c’est arrivé.

Passage obligé sur le statut de la femme secrétaire d’un grand patron de médecine.

Daller a toutes les raisons d’être satisfait du travail de Mathilde. Elle le materne du matin au soir avec une application de chaque instant qui flatte son égo boursoufflé. Elle range son bureau, trie ses papiers, vide sa poubelle et débarrasse son cendrier qui déborde comme un volcan. Elle s’enquiert de son sommeil quand il a l’air fatigué, s’inquiète pour sa santé à la moindre toux, le sermonne gentiment quand il travaille trop. Elle fait tout ça naturellement, parce que c’est dans l’ordre des choses. Parce que c’est un homme et elle, une femme. À la moindre difficulté le doyen crie « Mathilde » et elle accourt.
 Elle planifie chaque minute de son temps, lui annonce ses prochains rendez-vous, tape à la machine des lettres qu’il lui dicte.trop vite, pour la mettre au défi, parce que la possibilité de son échec est amusante pour lui. Parce qu’il n’a jamais su ce que c’est que de risquer sa place. Elle cale ses déjeuners et ses déplacements professionnels. Elle lui rappelle l’anniversaire de ses enfants, envoie le plombier à son domicile en cas de fuite. La femme du doyen ne travaille pas mais elle n’aurait « ni l’idée ni le temps » de s’en charger elle-même. Mathilde connaît bien madame Daller une très belle femme, grande mince, blonde, elle doit avoir quinze ans de moins que son mari….

Dernière lâcheté avant la fuite.et l’exil

Je ne signerai pas, murmure-t-il en s’effondrant, en larmes. Je ne signerai pas répète-il pour rattraper sa volonté qui déjà l’abandonne.

 Alors qu’il impose finalement son nom sur cet apocryphe, coulent sur sa roue joue, mélangées à la sueur et au filet de sang qui descend sur sa tempe, des larmes d’impuissance, des larmes de honte, et pour la 1re fois des larmes de haine.

Le poids du passé.

 Par son envolé lyrique, il a touché dans le mille les cœurs gonflés d’idéaux de ces jeunes gens. Le professeur se réjouit un instant de leur transmettre ce qu’ils considèrent comme le fondement même de la médecine moderne. Pour un instant seulement, car la seconde d’après sonne l’heure du retour au réel, du retard, des horaires, des contraintes. Il range ses feuilles de cours dans son cartable en cuir et prend congé de ses disciples. En descendant de l’estrade, il se revoit signer les constatations de décès des torturés de Montevideo, la plupart ayant le même âge que ses élèves, des enfants, et il se demande :  » Il était où à ce moment-là le grand professeur humaniste ? »

 

 

 


Éditions Seuil Cadre Noir, 299 pages, mars 2025

Reçu dans la cadre de Masse Critique Babelio

 

 

J’avais gardé un souvenir mitigé mais positif de « Pension Complète » , cela m’a donc fait plaisir de me lancer dans cette lecture. Je suis terriblement déçue , et j’avoue avoir lu en diagonale les trois quart du livre. Je ne l’aurais certainement pas terminé si je ne m’étais pas engagée pour Babelio.

Jacky Schartzmann, décrit une plongée dans la mouvance d’extrême droite qui a eu le vent en poupe lors de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour. Les personnages sont soit complètement caricaturaux soit à la limite de la caricature.

Pourtant ce roman répond à une de mes interrogations, comment l’extrême droite en France peut-elle penser un jour prendre le pouvoir ? Ce sont des gens très dangereux et capables d’actions très violentes, ils s’appuient sur des gros bras qui ne supportent plus la présence de musulmans noirs ou arabes sur notre territoire. Je sais cela, mais cela ne fait pas un bon roman.

Le roman noir, avec tous ses rebondissements classiques, et quelques touches d’humour, plaira peut être aux amateurs ou amatrices du genre. Je n’en fais visiblement pas partie.

Extrait.

Début.

Je suis un bâtard en retraite. J’étais commercial, dans un grand groupe. Mon job consistait à vendre très vite et très cher, afin d’augmenter nos marge et de gonfler notre trésorerie. Et c’est tout. Plusieurs révolutions ont secoué l’industrie ces trente dernières années : les chefs de service sont passées de la clope au running, de l’approbation aux infusions froides et du droit de cuissage au consentement.

Caricatural.

Exactement, Jean-Marc. Y a pas de slogans compliqués chez nous. C’est d’ailleurs pour ça que nous voulons tant qu’Éric Zemmour accède aux responsabilités, il est comme nous pas compliqué. Des constats simples, des actions simples.
– Simplistes aussi non ?
– Vous croyez ça, Jean-Marc ?
– Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes. 
– C’est là que vous vous plantez : il n’y a pas de « problèmes complexes » en réalité . Des étrangers prennent le pain et le travail des Français. Rien de plus simple.


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.

 


Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.

Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.

Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.

Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.

Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.

Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.

Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé

 

Extraits

Début et idée du style

 Longtemps j’ai enseigné ma fin
 à l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes
– combien ?
– ils ne se comptent plus
– et les femmes, compte-les
– conte aussi les femmes
 se demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal
– c’est la saison 
-le carnage de la chasse achève
 Au-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit 

 

Ce n’est pas simple à comprendre .

en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos

Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.

– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourne 
 Le drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait  ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen 

La misère évoquée à travers ce passage.

 Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort
– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
 La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire
– lisse, lisse ma crinière, belle enfant
– peine et tresse et soigne ma déchéance
– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes
– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles 
– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt 
– trop de poupées, pas assez filles
– le recel d’adolescentes est un problème lointain 
– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants
– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il faut
 le notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur
– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond


Édition Grasset, 282 pages, août 2024

J’étais devenu comme eux. Pas mieux.

Il a écrasé sa cigarette, avant de conclure :

– Le cycle de la vengeance est sans fin, petit frère. 

J’avais tant aimé « Petit Pays » que je savais que je lirai « Jacaranda » . J’ai lu des critiques mitigées à propos de ce roman. Je trouve cette lecture indispensable, quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à la construction romanesque. Ce roman suit l’histoire de Milan né (comme l’auteur) d’une mère Rwandaise et d’un père français. Milan vit à Paris, et cherche à savoir ce que sa mère a vécu. Cette quête sur sa famille et le passé de sa mère que nous ne découvrirons qu’à la toute fin du roman, permet à l’écrivain de raconter son pays qui a cherché à exterminer toute une partie de sa population. La construction du livre n’est pas simple, car on va d’un personnage à un autre et d’une époque à une autre. Ces gens sont si meurtris par ce qu’ils ont vécu que bien peu acceptent de parler, un peu à l’image de sa mère qui aura du mal à exprimer ses sentiments vis à vis de son fils. La pudeur lui est sans doute naturelle mais on devine que les souffrances ont fermé son cœur et l’ont laissée sans voix comme si l’horreur l’empêchait à tout jamais de montrer la moindre faiblesse. Deux personnages accepteront de raconter les massacres, Eusébie, la mère de Stella la petite fille qui se réfugie dans le Jacaranda devant chez elle dès qu’elle se sent mal. Eusébie qui n’a rien voulu dire à sa fille, le fera devant des milliers de personnes dans le stade , où tous les ans se réunissent les Rwandais qui ne veulent pas oublier. Elle est survivante d’un massacre qui a vu mourir ses 5 enfants, son mari et ses voisins . Stella est née après et elle veut comprendre son pays, elle recueillera les confidences de sa grand-mère Rosalie qui lui raconte le Rwanda d’avant , ce pays où on ne cherchait pas à savoir si on était Hutu ou Tutsi.

L’autre rescapé de ce génocide c’est Claude, qui a vécu un moment avec Milan en France, il fait partie de la famille de sa mère, mais celle-ci le renverra au Rwanda sans aucune explication. Quand Milan revient au Rwanda, c’est toujours vers Claude qu’il revient. Il cherche à l’aider même financièrement sans grand résultat. Le coup de machette qui a été porté à la tête de Claude l’empêche de pouvoir faire des études et comme toute sa famille a été assassinée il décide très tôt de se venger en tuant à son tour l’assassin de sa famille qui est pour l’instant emprisonné. Il vit chez Sartre un Hutu qui recueille des orphelins Tutsis .

C’est vrai que l’on se perd un peu au milieu de tous ces personnages, mais la ligne directrice de l’auteur est claire : comment pardonner et comment vivre ensemble, les victimes étant obligées de vivre au milieu de leurs bourreaux ? C’est si difficile et le lecteur se demande tout le temps si c’est possible. L’auteur veut aussi nous aider à comprendre le génocide mais c’est si énorme que cela reste incompréhensible. Traiter des êtres humains de « cafards » et les déshumaniser explique- t’il toute la haine avec laquelle les Hutus ont recherché le moindre Tutsi pour l’assassiner à coups de machette. Je reste avec mes questions et ma peine de devoir perdre encore un peu plus mes illusions sur l’humanité

Extraits

Deux débuts

Premier en italique.

 Stella s’était précipité dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. Son ami, son enfance, son univers. Les hommes aux machettes étaient sales, luisants de sueur, satisfaits d’eux-mêmes. Elle avait poussé un cri de terreur avant de tomber à genoux dans l’herbe, la main pressée sur son ventre, le visage en feu. 
Depuis ce jour Stella est internée.

Deuxième début.

 1994
La guerre ! J’ignore pourquoi j’ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m’a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté  : »la guerre ? » J’ai répété : « Oui, la guerre.  » Je n’allais quand même pas avouer que je n’avais rien foutu, que j’étais un tire-flanc qui passait son temps à rêvasser et à écouter du rock. Il fallait trouver une explication convaincante, impossible à vérifier, et qui puisse émouvoir le conseil de classe.

L’insoutenable témoignage d’un responsable des tueries.

 C’est Gaspard qui a insisté pour qu’on ne tue pas les autres dans la bananeraie. Il ne faisait que répéter les ordres du bourgmestre qui avait demandé de ne pas laisser les corps pourrir sur les collines pour des questions d’hygiène. C’est Gaspard qui a eu l’idée de déshabiller les Tutsi et de récupérer les habits avant qu’ils ne soient tâchés de sang. Les autres étaient d’accord, ils voulaient offrir de beaux cadeaux à leurs filles et à leurs épouses en rentrant le soir chez eux après le travail. Quand le groupe a été entièrement nu, nous nous sommes mis en route. J’en vois certains, ici, dans cette assemblée qui me regarde comme un criminel. Mais ce jour-là, en traversant le village, les mêmes qui me jugent aujourd’hui étaient sur le bord du chemin à pointer les Tutsi du doigt, à se moquer du corps des femmes, à leur cracher dessus, à leur jeter des pierres, à les traiter de cafards et de serpents. J’ai peut-être tué de mes mains mais vous les avez toutes condamnés à mort par vos regards sans pitié, vos mots et vos pensées. Vous ne valez pas mieux que moi ! Je devais dire cela. Je continue. Là-haut, sur la colline se trouvait une fosse d’aisance que nous avions déjà utilisée pour jeter quelques Tutsi dans les premiers jours des massacres. Une fois devant, les petites filles se sont agenouillées et ont commencé à s’excuser d’être tutsi. Les femmes savaient que c’était fini. Nous avons précipité toute la famille dans la fosse sceptique. Après nous avons rebouché avec une dalle de béton.

Les Belges.

 Le 16 avril 1994, les patients et de nombreuses personnes ayant trouvé refuge dans le bâtiment ont été abandonnées par les soldats belges. Je me souviens des images à la télé, de ces milliers de personnes levant les bras en l’air, implorant l’aide du contingent belge, qui finit par évacuer uniquement les Occidentaux et leurs animaux de compagnie alors que l’hôpital était cerné par les tueurs.