Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.

 


Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.

Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.

Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.

Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.

Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.

Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.

Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé

 

Extraits

Début et idée du style

 Longtemps j’ai enseigné ma fin
 à l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes
– combien ?
– ils ne se comptent plus
– et les femmes, compte-les
– conte aussi les femmes
 se demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal
– c’est la saison 
-le carnage de la chasse achève
 Au-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit 

 

Ce n’est pas simple à comprendre .

en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos

Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.

– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourne 
 Le drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait  ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen 

La misère évoquée à travers ce passage.

 Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort
– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
 La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire
– lisse, lisse ma crinière, belle enfant
– peine et tresse et soigne ma déchéance
– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes
– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles 
– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt 
– trop de poupées, pas assez filles
– le recel d’adolescentes est un problème lointain 
– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants
– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il faut
 le notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur
– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond


Édition Grasset, 282 pages, août 2024

J’étais devenu comme eux. Pas mieux.

Il a écrasé sa cigarette, avant de conclure :

– Le cycle de la vengeance est sans fin, petit frère. 

J’avais tant aimé « Petit Pays » que je savais que je lirai « Jacaranda » . J’ai lu des critiques mitigées à propos de ce roman. Je trouve cette lecture indispensable, quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à la construction romanesque. Ce roman suit l’histoire de Milan né (comme l’auteur) d’une mère Rwandaise et d’un père français. Milan vit à Paris, et cherche à savoir ce que sa mère a vécu. Cette quête sur sa famille et le passé de sa mère que nous ne découvrirons qu’à la toute fin du roman, permet à l’écrivain de raconter son pays qui a cherché à exterminer toute une partie de sa population. La construction du livre n’est pas simple, car on va d’un personnage à un autre et d’une époque à une autre. Ces gens sont si meurtris par ce qu’ils ont vécu que bien peu acceptent de parler, un peu à l’image de sa mère qui aura du mal à exprimer ses sentiments vis à vis de son fils. La pudeur lui est sans doute naturelle mais on devine que les souffrances ont fermé son cœur et l’ont laissée sans voix comme si l’horreur l’empêchait à tout jamais de montrer la moindre faiblesse. Deux personnages accepteront de raconter les massacres, Eusébie, la mère de Stella la petite fille qui se réfugie dans le Jacaranda devant chez elle dès qu’elle se sent mal. Eusébie qui n’a rien voulu dire à sa fille, le fera devant des milliers de personnes dans le stade , où tous les ans se réunissent les Rwandais qui ne veulent pas oublier. Elle est survivante d’un massacre qui a vu mourir ses 5 enfants, son mari et ses voisins . Stella est née après et elle veut comprendre son pays, elle recueillera les confidences de sa grand-mère Rosalie qui lui raconte le Rwanda d’avant , ce pays où on ne cherchait pas à savoir si on était Hutu ou Tutsi.

L’autre rescapé de ce génocide c’est Claude, qui a vécu un moment avec Milan en France, il fait partie de la famille de sa mère, mais celle-ci le renverra au Rwanda sans aucune explication. Quand Milan revient au Rwanda, c’est toujours vers Claude qu’il revient. Il cherche à l’aider même financièrement sans grand résultat. Le coup de machette qui a été porté à la tête de Claude l’empêche de pouvoir faire des études et comme toute sa famille a été assassinée il décide très tôt de se venger en tuant à son tour l’assassin de sa famille qui est pour l’instant emprisonné. Il vit chez Sartre un Hutu qui recueille des orphelins Tutsis .

C’est vrai que l’on se perd un peu au milieu de tous ces personnages, mais la ligne directrice de l’auteur est claire : comment pardonner et comment vivre ensemble, les victimes étant obligées de vivre au milieu de leurs bourreaux ? C’est si difficile et le lecteur se demande tout le temps si c’est possible. L’auteur veut aussi nous aider à comprendre le génocide mais c’est si énorme que cela reste incompréhensible. Traiter des êtres humains de « cafards » et les déshumaniser explique- t’il toute la haine avec laquelle les Hutus ont recherché le moindre Tutsi pour l’assassiner à coups de machette. Je reste avec mes questions et ma peine de devoir perdre encore un peu plus mes illusions sur l’humanité

Extraits

Deux débuts

Premier en italique.

 Stella s’était précipité dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. Son ami, son enfance, son univers. Les hommes aux machettes étaient sales, luisants de sueur, satisfaits d’eux-mêmes. Elle avait poussé un cri de terreur avant de tomber à genoux dans l’herbe, la main pressée sur son ventre, le visage en feu. 
Depuis ce jour Stella est internée.

Deuxième début.

 1994
La guerre ! J’ignore pourquoi j’ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m’a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté  : »la guerre ? » J’ai répété : « Oui, la guerre.  » Je n’allais quand même pas avouer que je n’avais rien foutu, que j’étais un tire-flanc qui passait son temps à rêvasser et à écouter du rock. Il fallait trouver une explication convaincante, impossible à vérifier, et qui puisse émouvoir le conseil de classe.

L’insoutenable témoignage d’un responsable des tueries.

 C’est Gaspard qui a insisté pour qu’on ne tue pas les autres dans la bananeraie. Il ne faisait que répéter les ordres du bourgmestre qui avait demandé de ne pas laisser les corps pourrir sur les collines pour des questions d’hygiène. C’est Gaspard qui a eu l’idée de déshabiller les Tutsi et de récupérer les habits avant qu’ils ne soient tâchés de sang. Les autres étaient d’accord, ils voulaient offrir de beaux cadeaux à leurs filles et à leurs épouses en rentrant le soir chez eux après le travail. Quand le groupe a été entièrement nu, nous nous sommes mis en route. J’en vois certains, ici, dans cette assemblée qui me regarde comme un criminel. Mais ce jour-là, en traversant le village, les mêmes qui me jugent aujourd’hui étaient sur le bord du chemin à pointer les Tutsi du doigt, à se moquer du corps des femmes, à leur cracher dessus, à leur jeter des pierres, à les traiter de cafards et de serpents. J’ai peut-être tué de mes mains mais vous les avez toutes condamnés à mort par vos regards sans pitié, vos mots et vos pensées. Vous ne valez pas mieux que moi ! Je devais dire cela. Je continue. Là-haut, sur la colline se trouvait une fosse d’aisance que nous avions déjà utilisée pour jeter quelques Tutsi dans les premiers jours des massacres. Une fois devant, les petites filles se sont agenouillées et ont commencé à s’excuser d’être tutsi. Les femmes savaient que c’était fini. Nous avons précipité toute la famille dans la fosse sceptique. Après nous avons rebouché avec une dalle de béton.

Les Belges.

 Le 16 avril 1994, les patients et de nombreuses personnes ayant trouvé refuge dans le bâtiment ont été abandonnées par les soldats belges. Je me souviens des images à la télé, de ces milliers de personnes levant les bras en l’air, implorant l’aide du contingent belge, qui finit par évacuer uniquement les Occidentaux et leurs animaux de compagnie alors que l’hôpital était cerné par les tueurs.

 


Édition Julliard, 213 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique.

Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche.

Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs.

Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort !

Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc.

Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens.

On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.

 

Extraits

Début.

 Sœur avait trois jours devant elle pour payer les dettes de notre défunte mère Malika.
Pas un jour de plus.
 Elles ont dit que c’était la tradition marocaine qui l’exigeait.
 Je n’ai jamais entendu parler de cette tradition mais j’étais avec elles, les sœurs, de leurs côté. J’ai proposé de participer moi aussi aux règlements des dettes. Elles ont catégoriquement refusé.
 C’est une affaire de femmes, Youssef. C’est à nous, ses six filles, que reviennent cette charge. Pas à vous nos trois frères. Cela fait partie de notre héritage. Les hommes n’ont rien à voir là-dedans.

J’aime ce passage.

Mes six sœurs sont toutes plus âgées que moi. Elles s’appellent Kamla (la Parfaite), Farida (l’Unique), Hadda ( la Tranchante), Sandra (la Veilleuse) , Ilham (l’inspiration) et Ibtissam (la Souriante) .

Le rejet de l’homosexualité.

 (Kaddour) Kaddoura a vécu dans le péché dans le « haram ». Allah ne pardonne pas ce péché.. C’est parmi les plus grands péchés, l’homosexualité.. Kaddoura ne s’est jamais repentie. Il paraît que Kaddour a continué sa mauvaise vie de pédale à Marrakech, Agadir et Ouarzazat. Quelle honte. Personne ne devait aller au funérailles de Kaddour. C’était un mécréant. Un homme du côté du diable.
 En l’espace de deux heures seulement, la mémoire du quartier de Khabazat accueillait de nouveau kaddour pour le rejeter de nouveau. Même mort, Kaddour n’a pas été accepté L’imam de la mosquée n’a pas voulu s’occuper de sa dépouille. Ni réciter pour lui la prière des morts. Presque personne ne s’est rendu ce soir-là au repas des funérailles de Kaddour.

Le hammam.

 Le monde triste et ses misères n’ont pas le droit de cité ici. Même les hommes ne se comportent plus vraiment comme des hommes. Ils deviennent vulnérables. Ils offrent aux autres leur corps et leurs espoirs les plus secrets. Ils se lavent bien comme il faut et ils n’oublient jamais d’aider les autres à le faire. Le Maroc est un royaume c’est vrai. Mais la véritable démocratie n’existe que dans les hammams.

L’extrême pauvreté.

J’ai immédiatement reconnu l’atmosphère d’autrefois. L’odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. Le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur le autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l’essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupi. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtée. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du « mektoub » .

 

Édition Albin Michel, 419 pages, mai 2024

Traduit de l’anglais par Paul Matthieu

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Prenez tout votre courage pour lire ce roman, vous partirez dans les scènes de saouleries à la bière, de rails de coke à vous exploser le nez, de bars glauques où on a le droit de mettre la main aux fesses des serveuses, des coups de poing qui partent en bagarre sans qu’on sache pourquoi, d’une mère dépassée et d’un père violent et qui a abusé son fils aîné aujourd’hui totalement détruit. Je dois avouer que les scènes d’alcool et de drogue ont fini par me lasser. Le personnage principal avait pourtant fait des études mais il est revenu à Belfast où l’attendait des « amis » qui n’avaient jamais quitté cette ville où, semble-t-il, être à jeun est totalement anormal. Le pire c’est cet effet d’entraînement où personne ne peut résister à celui qu’offrent l’alcool et la drogue. C’est terrible et tellement répétitif . Pourtant, le personnage est attachant et si je n’avais pas été tellement dégoûtée par toutes le scènes de beuveries j’aurais lu plus attentivement ce roman pour mieux comprendre son intérêt : cerner la difficulté d’être vraiment maître de sa destinée sans pour autant renier ses racines.

Extraits

Début

 C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. Une fille s’est précipitée et m’a poussé : Pourquoi t’as fait ça ? Le type était étendu par terre, à mes pieds et il y avait des gens partout autour qui braillaient. Le temps que je réussisse à m’extraire de la mêlée, deux Land Rover sont arrivées. Un flic à l’air blasé et au front dégarni s’est approcher de moi.

Mac do le soir

 Les lumières étaient d’une blancheur impitoyable, tout le monde avait une tête de déterré, et il régnait une ambiance vraiment atroce, cruelle, comme à la cantine du lycée, sauf que là tout le monde est bourré et se croit super marrant. Pour les pauvres clampins derrière les caisses, c’était l’horreur. J’avais sincèrement pitié pour eux. Ce n’est pas comme bosser dans un bar, il n’y a pas la musique pour faire écran, et les gens peuvent vraiment être infects quand ils sont torchés . Ils ne pensent pas à mal, la plupart veulent juste rigoler, mais quand vous êtes debout depuis midi et qu’il est deux heures du mat, la dernière chose dont vous avez envie c’est de vous faire gueuler dessus par un connard ivre mort qui trouve que son Big Mac met trop longtemps à arriver. Rien qu’à voir ça tu en viens à détester le monde entier.

Son frère

 Parce que Anthony selon toute probabilité, se mettrait en quête d’un autre endroit où aller dès que le bar annoncerait que c’était l’heure des dernières commandes, et si vous aviez une piaule à dispo pas loin, sans personne, pas de femme, pas de gamins, il viendrait squatter chez vous. Pas moyen d’y échapper. De sorte que boire avec lui quand vous n’étiez pas au même niveau vous donnait l’impression de subir une forme de torture . Sa mission était de vous faire sombrer aussi bas que lui. Et au bout du compte c’était ce qui rachetait tout ce calvaire, parce que une fois que vous étiez aussi ravagé que lui vous pouviez vous éclater comme jamais.

Le ton du livre et c’est à peu près tout le temps comme ça

 On n’avait pas prévu de boire autant ce jour-là, mais il faisait un temps agréable et il y avait plein de bars dont les terrasses se remplissaient à mesure que l’après-midi avançait, ce qui nous permettait d’économiser quelques billets en finissant les pintes les gens laissaient sur les tables au moment de s’en aller.


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.


Édition le livre de poche, 279 pages, mai 2024

Traduit de l’allemand par Dominique Autrand

 

Ce roman ira très bien dans le mois de littérature allemande

C’est à travers une rencontre agréable dans une librairie de Dinan que j’ai acheté ce roman. Le très jeune libraire qui venait de le finir m’a dit avoir été séduit par le cheminement de deux femmes qui arrivaient à se réparer mutuellement. C’est le cœur du roman, une jeune fille anorexique de 17 ans qui s’auto-mutile et qui fugue de tous les centres dans lesquels on la place pour « l’aider », rencontre une femme de 50 ans paysanne qui lui offre l’hospitalité. Cette femme ne cherche pas à la retenir, mais peu à peu elles vont s’apprivoiser et se faire confiance. On découvre au fil de la narration le lourd passé de Lizz, la paysanne que tout le village rejette. Dès le début, on sait qu’elle aussi était malheureuse dans sa famille, avec un père tellement strict qu’il enlevait toute joie de vivre aux gens qui vivaient à ses côtés. Elle fuira cette vie avec un garçon qui s’avère violent et peu intéressant. Ensemble ils auront un enfant. Je m’arrête là pour vous laisser découvrir le fil de la narration.

Sally, la jeune révoltée, fuit un milieu familial trop conformiste mais qui voudrait lui redonner le goût de la vie.

Lizz sans vouloir vraiment le faire s’y prend mieux que tous les thérapeutes , car elle n’oblige pas la jeune fille à vivre chez elle, elle peut partir quand elle veut, mais c’est à travers le travail de la ferme que Sally va retrouver le goût de vivre. Et voilà l’autre intérêt du roman, la description minutieuse du travail dans une ferme rhénane : la cueillette des fruits, leur transformation en alcool, le travail de la terre, les vendanges. L’auteur sait rendre les atmosphères humides et fraîches des petits matins dans les vignes. il sait décrire aussi le changement du regard de Sally sur la campagne environnante, et enfin visiblement, il connaît bien les tourments de l’adolescence.

J’ai une réserve sur la crédibilité des personnages, il est rare selon moi qu’une anorexie aussi sévère ne vienne que du côté routinier des parents. Le le secret de Lizz est bien lourd à porter et l’ouverture finale, le rapprochement possible de Lizz et de son fils me semble vraiment difficile à réaliser. Je demande sans doute trop à la création romanesque, alors que, Ewald Arenz, décrit si bien les tourments de l’adolescence et mieux encore une région agricole viticole allemande qu’il connaît visiblement très bien. Si je retourne à Dinan, je féliciterai le jeune libraire pour son conseil. Je sais qu‘Eva avait recommandé cette lecture.

 

Extraits

Début.

 Au sommet de la route étroite qui montait entre chants et vignobles, l’air chaud vibrait sur l’asphalte. Liss, qui grimpait lentement la côte sur son vieux tracteur sans cabine, croyait voir de l’eau, une eau plus fluide que la normale ; plus légère et plus endoyante Une eau qu’on ne buvait qu’avec les yeux.
 Sur les champs moissonné où luisaient les chaumes, le blé était encore présent dans la puissante odeur de paille ; poussiéreuse, jaune, saturée. Le maïs commençait à sécher ; son bruissement dans la brise d’été n’évoquait plus le vert, il se transformait en un chuchotement rauque à la lisière du champ.

Le ressenti de Sally en centre psy.

 On était vendredi, et personne n’avait encore retrouvé Sally, personne ne lui avait parlé longuement, gentiment, sans lui faire de reproches, rempli de compassion mais aussi d’une haine cachée derrière chaque mot gentil. De la haine contre elle, qui ne voulait pas se soumettre, qui fuguait sans arrêt, qui n’écoutait pas leurs voix douces, compatissantes, compréhensives, mais les regardait toujours dans les yeux, longtemps, jusqu’à ce que le faux mur de gentillesse professionnelle, de chaleur et de compréhension s’effrite, laissant transparaître l’ennui, et l’indifférence et la haine.

Toujours Sally, si mal dans sa peau dans sa peau.

La maison. L’école. Les cliniques. On y entrait, et voilà que les ficelles, les chaînes, les cordes et les filets se mettaient à pousser des murs et du plafond, il devenait de plus en plus difficile d’aller et venir à l’intérieur, ils devenaient de plus en plus impossibles de sortir- de la maison, de l’école, des maisons des amies et de partout. C’étaient des chaînes souples, des cordes élastiques et des filets en caoutchouc, mais plus on voulait partir, plus ils vous retenaient, vous tiraient doucement en arrière ; la nuit, ils devenaient collants et lourds et si on ne fermait pas la bouche, si on ne respirait pas par le nez ils pénétraient en vous. Ou bien, ils se collaient à la nourriture et on les avalait par mégarde comme un cheveu, un cheveu qui n’en finissait pas, de plus en plus épais il se liquéfie à l’intérieur jusqu’à vomir. Parfois il vaut mieux ne pas manger.

 

 

Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Bravo pour le prix Goncourt 2024 largement mérité pour les qualités littéraires de ce grand écrivain courageux et talentueux.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.


Édition Rivages/noir, 444 pages, août 2016

Traduit de l’anglais (Irlande) par Fabienne Duvigneau

Encore une lecture que je dois à la blogosphère pour faire un cadeau à une amatrice de polars. Mais cette fois-ci je vais l’offrir car dans le genre je le trouve très intéressant. Le titre « Ratline » est le nom qu’on donnait aux filières d’exfiltration pour mettre les nazis à l’abri de la justice, surtout en Amérique latine, mais aussi et cela on le sait moins en Irlande Je raconte rapidement le propos (rassurez-vous, je n’en dévoilerai pas trop !) : un espion irlandais, Albert Ryan qui est le héros de cette histoire se trouve mêler à une enquête de meurtres d’ancien Nazis en 1963, quelques mois avant l’arrivée de Kennedy en visite officielle en Irlande. L’histoire est très embrouillée et très violente, trop pour moi, mais ce que j’ai aimé c’est qu’on découvre l’après guerre 39/45 en Irlande, ce pays n’a pas pris part au conflit car il ne voulait pas aider l’Angleterre son ennemi de toujours, et après la guerre, il a servi de refuges à des anciens Nazis mais aussi aux dirigeants du mouvements autonomistes bretons. J’ai aimé aussi la peinture de l’Irlande avec ses intolérances religieuses, le héros Ryan est protestant et surtout s’est engagé dans l’armée anglais pour lutter contre Hitler. Cela explique à quel point il se sent seul dans son propre pays. On découvre aussi le personnel politique irlandais vu sous un aspect peu sympathique : corruption en tout genre !

La peinture de ces personnages peu reluisants a suffit à mon bonheur de lectrice, ensuite pour l’intrigue, je vous en laisserai juge . J’ai trouvé un peu compliqué de comprendre qui manipule qui. Et je déteste les scènes de tortures, et il y en a beaucoup. Qui est le puissant ? L’ancien Nazi ? le ministre de la justice irlandaise ? les anciens espions anglais qui veulent récupérer l’or des nazis ? le Mossad ? Un vrai panier de crabes où tous les coups sont permis, mais c’est le genre qui veut ça.

C’est Sandrine qui m’avait donné envie de lire et d’offrir ce livre et son billet est beaucoup plus détaillé que le mien car elle aime le genre policier et a su voir en celui-ci une originalité que d’autres romans du même genre n’ont pas. Je suis d’accord avec elle, le principal intérêt de ce roman, c’est l’analyse de l’Irlande d’après guerre, et l’auteur s’appuie sur une recherche historique sérieuse et fouillée.

 

Extraits

Début.

 « Vous ne ressemblez pas à un Juif » dit Helmut Krauss à l’homme qui se réflétait dans la vitre.
 De l’autre côté de la fenêtre les vagues furieuses de l’atlantique lançaient leur écume contre les rochers de la baie de Galway. La maison d’hôte offrait un confort rudimentaire mais c’était propre. Les pensions et hôtels de Salthill, petite ville proche de Galway accueillait en été des familles venues de toutes l’Irlande pour profiter de quelques jours d’air salé et de soleil.

Les divisions des Irlandais.

 « Je sais pas de quoi tu parles. Si ton vieux ne supporte pas la concurrence il n’a qu’à faire ses valises et fiche le camp. » Prenant de l’audace, Lahon se dressa de toute sa hauteur.  » Il aurait dû partir depuis longtemps. On n’apprécie pas trop les gens comme vous par ici.
– Les gens comme nous ? c’est-à-dire ?
Mahon s’humecta les lèvres, déglutition, tira sur sur sa cigarette. « Les protestants, répliqua-t-il, en envoyant sa fumée au visage de Ryan. Surtout quand leur rejeton copine avec les anglais. »

Les autonomistes bretons.

 L’avènement du Reich était apparu comme un baiser de Dieu. Un cadeau offert, le moyen de parvenir à l’objectif que les Bretons n’avaient pas le pouvoir d’atteindre seuls. Aussi tandis que la France tombait devant l’offensive ennemie, Lainé organisa ses hommes, leur procura des armes fournies par les allemands et prit la tête des opérations.
 Bientôt Lainé se découvrit un talent qu’il ne soupçonnait pas. Ingénieur chimiste de formation, il avait déjà mis à profit son savoir en fabriquant des engins explosifs, mais sa nouvelle vocation surprit tout le monde, à commencer par lui-même : il excellait à soutirer les informations aux prisonniers.

Une autre autonomiste .

– Vous avez collaboré ?
 Elle ramena son regard sur Ryan, ses yeux comme des aiguilles qui lui transportaient la peau. « Appelez ça comme vous voudrez. Moi je me considère comme patriote et socialiste. Les Allemands nous promettaient notre indépendance, notre propre gouvernement nous les avons crus. Nous étions naïfs, peut-être, mais n’est-ce pas l’apanage de la jeunesse ? »

Paroles d’un espion du Mossad.

 La guerre ne finit jamais. Je me bats pour un minuscule territoire entouré d’une douzaine de pays qui veulent le mettre à feu et à sang jusqu’à ce qu’ils ne restent plus aucune trace de nous sur cette terre. S’ils ne se haïssaient pas entre eux autant qu’ils nous haïssent, ils nous auraient poussé dans la mer il y a dix ans.

 

 

 


Édition Viviane Hamy, 276 pages, avril 1996

 

J’avais acheté ce roman policier, après la lecture d’un de vos blogs, pour l’offrir à une de mes sœurs qui est fan du genre. J’ai pu le lire avant et je ne lui offrirai pas ce roman qui me déplaît autant. On est dans la caricature totale, tous les hommes sont des salauds sauf deux, le barman homosexuel, et le vétérinaire. Toute la ville de Boulder est sous la coupe d’un homme richissime qui a, à sa botte, un shérif qui ne veut pas enquêter de peur d’accuser un membre de sa famille des nombreuses disparitions qui ont eu lieu dans sa ville.

Pour une fois le suspens de la découverte de l’assassin n’est pas le principal ressort de l’intrigue car dès le début on le voit assassiner une famille bien tranquille et on sait que ce cousin du shérif est l’assassin. On connaît ses motivations, c’est un fou qui veut dominer son univers sa femme et ses enfants au nom de sa folie teintée de religion.

Le suspens vient de la journaliste une belle rousse homosexuelle et juive, traits qu’elle partage avec l’autrice, Maud Tabachnik, : est ce qu’elle va réussir son enquête sans être tuée par ce pervers qui a déjà au moins une dizaine de meurtres à son actif ? Le suspens est limité puisque la belle Sonia est l’héroïne d’une série de huit romans dont celui-ci est le troisième.

Rien n’est crédible dans cette histoire, et surtout pas la façon dont elle se met tout le temps en danger, la façon dont son rédacteur en chef ne la protège pas, j’aurais pu l’accepter en me disant que vraiment je n’y connais rien au plaisir que l’on peut prendre en lisant ce genre de littérature, mais mon plus grand rejet du livre c’est le regard de française de l’autrice sur la société américaine qui s’arrête souvent aux clichés et jamais à l’analyse plus fouillée des personnages. Seule la chaleur de cet endroit m’a semblé réelle et bien décrite. Elle dit elle-même qu’elle situe ses intrigues en Amérique parce que c’est la société la plus violente qu’elle connaisse. Autant quand les écrivains américains parlent de leur propre pays cela m’intéresse autant quand c’est une française qui les caricature de cette façon cela me gêne. On sent aucune nuance dans ses propos tous des salauds, culs bénis, et compagnie : non ce n’est certainement pas aussi simple et au moment où plus de la moitié de la population de ce grand pays s’apprête à voter Donald Trump, j’ai besoin de propos nuancés pour comprendre ce qu’il se passe. Mais il fallait peut-être ces caricatures pour faire un récit dans le genre bien noir, comme l’araignée qui a failli la tuer.

C’est Lecturissime qui m’avait donné envie d’offrir ce roman.

 

Extraits.

Début .

 San Francisco est une cité épatante. Le climat, les langoustes, le « Golden Gate ». Les couples de filles qui convolent et les garçons qui s’aiment. Le tout bercé par les chants de Noël entonnés à plein poumon dans les tramways par les bénévoles de l’Armée du Salut coiffées de leurs drôles de cornettes.

Les routes américaines.

Après Henderson c’est comme avant Henderson. Une coulée d’asphalte rectiligne entre deux surfaces lunaires, adoucie à l’est par le lointain oisement de la forêt de « National Recreation Area ». Je croise peu de voitures (deux), par contre j »écrase sans le vouloir un grand serpent qui ne semble pas particulièrement incommodé par le traitement.
 Je trouve l’embrassement que m’a indiqué le cafetier et j’emprunte une plus petite routes en direction de Boulder.
 Je m’arrête à l’entrée devant la pancarte d’identité. 
BOUDER CITY . 6000 habitants. Altitude 10 mètres. Bienvenue au pays des serpents.