Édition stock, août 1995, 266 pages
Je suis allée vers ce roman car je suis très rétive à la Science Fiction mais que j’aime bien aussi changer d’avis sur mes a priori. le billet de Karine était tellement enthousiaste que j’ai immédiatement pensé voilà une bonne occasion de sortir de mes idées toutes faites.
Je reconnais, à Jacqueline Harpman, un vrai talent d’écrivaine, car on part sans aucune difficulté dans son histoire . Elle a une imagination féconde et le sens du détail. Dans la première partie du roman nous sommes avec la narratrice la plus jeune des quarante femmes enfermées dans une cave surveillée sans cesse, jour et nuit, par des gardiens. Les règles sont strictes, elles ne doivent jamais se toucher, ni s’isoler, elles doivent être vues par leurs gardiens à tout moment. La narratrice sait moins de choses que les femmes plus âgées mais elle comprend vite que tout manquement aux règles leur vaut des coups de fouet terribles. Elles ne peuvent pas non plus se suicider et sont donc « condamner » à attendre, attendre quoi ? rien si ce n’est de mourir. Elles sont nourries et survivent donc jour après jour. La narratrice se rapproche de Théa une de ces femmes qui lui explique le monde dans lequel elle vit. Et puis un jour … la porte de la cage est ouverte et les gardiens sont partis. Commence alors la deuxième partie du livre l’enfermement dans un monde extérieur qui n’existe plus. Les femmes organisent leur survie à l’air libre, c’est d’autant plus facile que la terre est couverte de petites guérites qui mènent à des caves et où elles trouvent nourriture et vêtements. Et aussi … à des cadavres de quarante femmes ou quarante hommes. Les survivantes vieilliront puis mourront les une après les autres sans jamais avoir la moindre explication de ce qu’il s’est passé. Bien sûr l’intérêt du roman ne vient pas du réalisme de l’histoire : c’est de la science fiction ! Il y a eu une catastrophe sur la terre et des gens très méchants ont pris le contrôle des humains. Une seule poignée de survivantes arrivent à se sauver des cages dans les caves et maintenant. ? Quel est le sens de ce livre ? « l’accès à la condition humaine » comme l’annonce la quatrième de couverture ? Pour moi non, la condition humaine n’a de sens que dans l’interaction entre les hommes alors que la narratrice réduit son personnage à la solitude totale.
Je l’ai dit en commençant ce billet, je reconnais à cette écrivaine une force narrative intéressante, j’ai suivi avec intérêt la façon dont cette femme se frotte à un monde dont elle ne connaît pas les codes puisqu’elle a grandi dans la cave et essaie de comprendre les bribes du monde d’avant qui lui parviennent. Quand je suis devant ce genre de lectures, je me demande toujours pourquoi les écrivains ont besoin d’imaginer de telles catastrophes pour nous faire réfléchir. Pour moi la science-fiction a du sens quand elle nous permet d’analyser notre monde. Le chef d’oeuvre dans le genre c’est Orwell et « 1984 » et aussi « la ferme des animaux ». Mais ici c’est gratuit et sans aucune explication ni sur la catastrophe initiale, ni sur la force dominatrice, alors je trouve cela gratuit. L’autre remarque que je me suis faite : pour tout le clan des antidivulgâcheuses (dont je ne fais pas partie) comment avez vous vécu que ce livre vous mette en attente d’une explication qui ne viendra jamais ?
Extraits
Début.
Depuis que je ne sors presque plus je passe beaucoup de temps dans un des fauteuils, à relire les livres. Je ne me suis intéressée que récemment aux préfaces. Les auteurs y parlent volontiers d’eux-mêmes, ils expliquent pour quelles raisons ils ont rédigé l’ouvrage qu’ils proposent. J’en suis surprise : n’était-il donc pas plus évident dans ce monde là que dans celui où j’ai vécu de transmettre le savoir qu’on a pu acquérir ?
La mémoire.
Y a-t-il dans le travail de la mémoire une satisfaction qui se nourrit d’elle-même et ce dont on se souvient compte-t-il moins que l’activité de se souvenir
La dignité humaine.
Moi, je trouvais tout naturel, quand j’allais uriner de m’asseoir sur le siège des toilettes en continuant la conversation où j’étais engagée, les rares fois où je conversais. Les vieilles maugréaient furieusement, elles parlaient d’indignité et d’être ravalées au rang de la bête. Si si tout ce qui nous différencie des bêtes est de se cacher pour déféquer, la condition humaine me paraît tenir à peu de chose, pensais-je.
Le cœur du récit.
Au début -enfin pas vraiment au début, car il y a une période dont personne n’a un souvenir clair, mais après, à partir du moment où les choses s’organisent dans nos mémoires, nous savons que nous réfléchissions tout le temps. Ils auraient pu te tuer, mais ils ne tuent pas ou te retirer, t’envoyer ailleurs, s’il y a d’autres prisons semblables à celle-ci, mais là ton arrivée aurait constitué une information, et la seule chose dont nous soyons sûres est qu’ils veulent qu’on ne sache rien. Nous avons fini par supposer qu’ils t’ont laissé ici parce que toute décision peut être examinée, et que leur absence de décision marquait la seule chose qu’ils veulent qu’on sache, et qui est que nous ne devons rien savoir.