Édition Taillandier

 

Je connaissais cet auteur à travers des articles à propos de l’Algérie, j’ai été passionnée par son effort de mémoire et le récit qu’il nous livre sur son passé. Il a douze ans quand, avec ses parents en 1962, il doit quitter Constantine car l’Algérie indépendante ne semble pas vouloir faire de la place aux différentes minorités religieuses, alors que la famille de Benjamin Stora vient d’une famille juive qui est présente en Algérie dans ce pays depuis deux millénaires.

Il raconte très bien le déchirement de ses parents qui se ne se retrouvent pas sous l’appellation « pieds noirs », et doivent supporter le mépris des Français plus ou moins de gauche contre ces gens-là qui devaient être tous des riches : colons exploiteurs de pauvres algériens. L’enfant fera tout ce qu’il peut pour cacher son origine, surtout que la première année, comme il vit dans un garage dans le XVI° arrondissement, il fréquente le lycée Janson de Sailly et l’antisémitisme est encore très présent chez les bourgeois de ce quartier . La famille obtiendra un logement HLM à Sartrouville et le petit Benjamin découvrira le monde ouvrier et la chaleur des copains tous encadrés par des animateurs communistes avec qui il se plaît bien mais à qui il cache encore une fois ses origines pour ne pas être considéré comme « colonisateur » .
Ses parents sont malheureux car ils se sentent trahis et la chaleur de la famille leur manque beaucoup. Ce sont des gens courageux son père a repris une carrière de courtier d’assurance à 50 ans, et sa mère travaille comme ouvrière chez Peugeot.

Benjamin grandit, peu à peu se politise et il trouve dans le mouvement trotskyste l’idéologie qui lui convient le mieux. Enfin, ses études lui permettront de retrouver son identité grâce à sa recherche universitaire sur la guerre d’Algérie. Sa thèse sur le MNA de Messali Hadj lui permettront de revivre et de mieux comprendre la guerre d’Algérie, du côté d’une minorité que le FLN a exterminée. Le jeune étudiant sera passionné par les études historiques et il est très reconnaissant à ses professeure qu’il a trouvés remarquables. Mais ce ne sont pas ses études qui lui permettront de renoncer à son idéologie mais plutôt le fait que, peu à peu, il retrouve son identité et qu’il perd le sentiment de honte qui l’avait obligé à refouler sa judéité.

C’est une période que j’ai bien connue et je me suis beaucoup retrouvée dans ce qu’il raconte sur la politisation de la jeunesse de cette époque . C’est un des aspect passionnant de cette biographie, mais l’essentiel n’est pas là mais sur l’appartenance à une identité qu’on veuille en sortir ou non. Mais ce qui m’a le plus interrogée c’est le rôle et l’importance de l’historien. Est ce qu’un témoin est le mieux placé pour écrire sur cette période historique ? Toutes ces questions Benjamin Stora se les pose et nous avec lui.

 

 

Extraits

Début.

J’avais presque douze ans. L’âge où l’on vous autorise parfois, exceptionnellement, à assister aux conversations entre adultes. L’âge où l’on imagine tout comprendre du monde des grands. L’âge où, en réalité, on en saisit à peine quelques bribes… et encore.

Son adolescence.

 Mon adolescence a d’abord été marquée par la volonté d’une dissimulation entretenue, affirmée. Après le départ de juin 1962, j’ai caché mon histoire algérienne, parce qu’il m’est très vite apparu que nous étions du mauvais côté de l’histoire française. Tout n’était pas encore très clair dans mon esprit d’enfant, mais je sentais confusément que nous étions étiquetés dans le camp des « colons » et des exploiteurs (malgré le fait que nous habitions un petit appartement d’à peine cinquante mètre carrés et que mon père travaillait tous les jours dans sa petite boutique pour vendre de la semoule). Longtemps j’ai été contraint de vivre dans la dissimulation, voire dans l’absence d’histoires algériennes. Quelques années plus tard, j’ai découvert les grands appartements et des maisons particulières de mes camarades militants révolutionnaires français qui regardaient tous les pieds noirs comme des « colons  » et qui se lançaient dans d’interminables tirades « contre le colonialisme en Algérie et l’impérialisme américain ».

Intéressant.

 De plus, la plupart des révolutionnaires russes de 1917 étaient d’origine juive. Les trois-quarts du comité central, les Zinoviev, Kamenev, Rakovski l’étaient. D’un coup sans que je l’aie particulièrement recherché, j’entrais dans un processus d’identification. Je m’ouvrais au monde sans pour autant renier mes origines. C’était comme une forme de généalogie retrouvée. Un réenracinement. La révolution russe m’offrait de surcroît une passerelle extraordinaire vers le monde de l’Est. J’étais fier d’entrer dans une culture portées par des Juifs révolutionnaires, les austro-marxistes inspirés par les grands théoriciens comme Rosa Luxemburg ou Otto Bauer. Ce dernier expliquait qu’à l’intérieur de l’Empire, toutes les minorités doivent être respectées et traitées à égalité y compris les minorités religieuses.

Questions tellement importantes.

 Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation ? Faut-il défendre un droit à l’oubli, et qu’en est-il dès lors d’un droit à la mémoire ? Quels rôles peuvent jouer les lois incitant à reconnaître des crimes passés, dans la protection et la promotion des droits de l’homme ? Autant de questions qui envahissent le champ culturel, politique, médiatique et dépassent, de loin la seule compétence des historiens.

 

Édition NRF Gallimard

Comme vous le voyez sur ma photo ce petit livre n’a obtenu que deux coups de coeur à notre club, je ne l’avais pas lu, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une réserve d’une ou deux lectrices. Pour moi cet essai de Xavier Le Clerc, à la gloire de son père est un petit bijou d’authenticité et courage de la part de ce fils rejeté du cocon familial parce qu’il est homosexuel et très cultivé.

Il a retrouvé l’enfance de son père, Mohand-Saïd Aït-Taleb dans un petit village de Kabylie, grâce aux textes d’Alber Camus, « Misère en Kabylie » écrit en 1939 . Son grand père est mort pour la France à Verdun et son père en 1940 en défendant le sol français contre les nazis. Cet enfant mourait de faim dans son village de Kabylie, mais il ne l’a jamais raconté à son fils. Celui-ci en a compris toute l’horreur en découvrant les articles d’Albert Camus, il s’appuie donc sur ces textes pour nous dévoiler ce que son père a vécu enfant. Pour la suite, il puise dans ses souvenirs pour retrouver qui était ce père ouvrier toute sa vie à la SMN à Caen . Le portrait de son père est très bien rendu : cet homme était la dignité même et l’obéissance personnifiée, jamais un mot de révolte et une lutte incessante pour sortir de la misère sa famille. Les seuls moments de joie, en particulier pour sa mère , ce sont les retours au pays où la famille semble riche aux yeux des plus pauvres qu’eux. Comme tous les immigrés, ils étalent leur soi-disant richesse et cachent toutes les difficultés de leur vie en France.

Puis l’auteur évoque sa propre enfance, complètement séduit par la langue française, il fréquente de façon assidue la médiathèque et écrit des poèmes. Peu à peu sa différence creuse un fossé entre lui et sa famille.

À la préretraite trop tôt arrivée , son père va s’enfermer dans le silence. Et enfin l’auteur explique pourquoi il a traduit son nom en français : grâce à cela il a obtenu un poste de cadre important dans le monde du luxe . Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’aurait jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté !

Le titre de cet essai vient du seul papier que son père a gardé toute sa vie : sa carte d’ouvrier à la SMN. Le fils trouve que ce père qui n’a aucun titre les mérite tous tant il a franchi avec une belle dignité les difficulté de sa vie. J’ai tout aimé de ce livre et je ne peux que vous le conseiller.

 

Citations

La misère et la colonisation .

 Avec sa petite sœur Cherifa, ils ont vécu comme les neuf enfants sur dix qui n’allait pas a l’école. Eux auss ont fouillé les détritus du ruissellement des eaux usées. Le code forestier interdisait aux montagnards jusqu’au glanage des pignons, utilisés pour les galettes rudimentaires ou même de ramasser du bois pour se chauffer :  » Il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. » (Albert Camus misère de la kabyle 1939)

La formation du futur écrivain .

 Le mercredi matin, alors que la fratrie regardait le « Club Dorothée », j’allais de mon propre chef aux ateliers de langue française. L’école primaire Malfilâtre les dispensait en premiers lieu pour des enfants en difficulté, que l’on appellerait aujourd’hui des « migrants ». L’instituteur volontaire, surpris de me retrouver là, avait sans doute compris que je me sentais à ma place, entouré de dictionnaires, ébahi par la beauté du français. Il n’avait pas mesuré que l’enfant sage que j’étais, et qui chez lui ne parlait que le kabyle avec ses parents, ne s’amusait pas. J’étais au contraire concentré dans une bulle absurde. Je voulais apprendre le français une deuxième fois en quelque sorte, mémoriser sa texture, ses ingrédients et son goût, comme pour emporter une deuxième rations de mot, qui je ne le sais que maintenant devait nourrir un père affamé. 
L’après-midi à l’heure de « Dragon Ball » et de « ken le survivant, je m’asseyais sur la moquette de la bibliothèque municipale. Les mots m’apprenaient non pas à rêver mais à exister. Une vie marginale avec des lectures qui feraient de moi tôt ou tard un étranger dans ma famille. Chez nous, dans ce que nous continuions d’appeler la baraque, il n’y avait pas de livres, hormis les annuaires téléphoniques.

La faim.

Pour survivre tu as dû te nourrir de racines, puis te déraciner. Quant à la tyrannie du ventre vide. Il n’y a guère que l’école pour lui résister. La faim s’arrête-t-elle vraiment une fois le vide de l’estomac comblé ? Ou est- ce un ogre intérieur qui jamais ne sera repu et qui, une fois logée dans nos peurs les plus profondes, finit par nous dévorer l’esprit comme les entrailles ? Je repense à toi qui avalais ton casse-croûte la bouche grande ouverte, ne prenant pas même le temps de mastiquer, à t’en étouffer. Et enfant déjà, je sentais bien que ton empressement compulsif avait une histoire. J’étais aussi né de ton ventre d’homme, ton ventre d’affamé.


Édition du Rocher

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

parole d’un résident d’un Ehpad

« C’est long de mourir. »

Un bol de bonne humeur, des sourires à gogo et même un éclat de rire. Et aussi, des moments d’une grande sensibilité et d’émotion. Au milieu de livres tragiques celui-ci m’a fait un bien fou.

Peut-être avez vous entendu parler du célèbre arnaqueur Victor Lustig qui s’est vanté d’avoir vendu la Tour Eiffel à un riche ferrailleur Parisien. Il serait l’ancêtre du narrateur Thomas Poisson. La quête vers cet ancêtre peu glorieux permet à l’auteur de nous décrire des français contemporains. Ceux qui, avec un gilet jaune, ont occupé les ronds points de la France en 2018. Thomas Poisson est au chômage depuis peu et fréquente la médiathèque de sa ville. Là il rencontre Frankie qui a eu le malheur de changer une roue en pleine manifestation des gilets jaune et qui a eu du mal à expliquer à la police ce qu’il faisait un cric à la main devant les forces de l’ordre. Il y a aussi Mansour ce fils de harki . Le récit de la vie de son père est un des moments d’émotion que j’évoquais au début de mon billet. Il y a aussi Françoise qui fait les meilleures confiture que Valentin, le fils de Thomas, n’ait jamais goûtées. Elle aime bien être sur les ronds points car elle s’y sent moins seule que chez elle. Enfin, il y a le père de Thomas qui termine sa vie en Ehpad.

Et puis il y a Carine, sa femme qui supporte de plus en plus mal les maladresses de son mari. Tous ces personnages forment un groupe humain que nous rencontrons tous les jours, dont nous faisons sans doute partie, cela fait du bien de passer du temps avec eux sous la plume d’un auteur qui a tant de compassion pour ses contemporains. Ce n’est peut-être pas le roman du siècle, mais un livre qui fait tant de bien, que je lui ai finalement mis cinq coquillages pour partager avec vous ce petit moment de bonheur.

 

Citations

Le talent des bibliothécaires.

 Une scène à faire douter un malentendant du bon fonctionnement de son sonotone. Je me suis dit que la formation des bibliothécaires devait les préparer à cela. Une aptitude validée par un examen, j’imagine, ou les épreuves consistent en une mise en situation de communication silencieuse : orienter vers la section « Histoire égyptienne « sans prononcer un mot, et ramener au calme d’un simple regard un groupe d’adolescents agités, donner son avis, positif ou négatif, sur un ouvrage en clignant des yeux… Personne ne maîtrise l’expression silencieuse mieux que les bibliothécaires. Entre eux, ils échangent sur des fréquences que seuls les chiens et les chauve-souris peuvent percevoir.

Un moment d’intense émotion, à propos de son père ancien Harki.

 Un jour en rentrant de l’école – ce devait être à la fin des années soixante, mon père avait trouvé du travail chez Renault et nous avions quitté les camps -, je lui ai demandé ce que c’était qu’un collabo. Il m’avait expliqué. À l’école, il y en a qui disent que tu es un collabo. C’est vrai, Papa ? je lui avais demandé. Je me souviens de la tristesse dans son regard. Non seulement on l’avait trompé, mais comme si cela ne suffisait pas, on lui crachait dessus désormais. Mon père est mort il y a trois ans. J’avais huit ans lorsque je lui ai posé cette question. Jamais je n’oublierais le regard de mon père ce jour-là . D’abord parce que c’était par ma voix qu’il apprenait ce que les autres pensaient ou du moins colportaient sur les harkis. Ensuite parce que ce regard résume à lui seul tout ce qu’il m’a transmis, son histoire et la souffrance qui l’accompagnait. Mon père était un type bien et la vie ne l’avait pas mieux traité pour autant.

Humour qui fait du bien (aux maladroits, surtout).

 Le tapis ne craignait rien. C’est un modèle bleu foncé venu remplacer le tapis artisanale berbère, souvenir du même voyage au Maroc, en laine blanche finement décoré de motifs géométriques noirs. Lui trop clair, trop fragile, moi, trop maladroit. Nous nous n’étions pas destinés à vivre ensemble.

Éclat de rire .

 Bruno s’est bien foutu de moi ce soir. En attrapant mon porte monnaie dans mon sac, j’ai fait tomber la bombe de déodorant que tu m’as donnée pour remplacer ma bombe de défense au poivre. « Pour nous les hommes » il m’a dit. J’ai dû lui expliquer pourquoi je me promener avec une bombe de d’Axe marine. La seule chose qu’il a trouvé à dire, c’est que ça pouvait toujours servir si je tombais sur un agresseur qui sentait la transpiration ….

Je suis tellement d’accord, enfin, pour l’humanité j’ai un petit doute.

 La pizza hawaïenne est incompréhensible, un ornithorynque gastronomique, un assemblage disparate qui défie la logique élémentaire sans avoir toutefois la sympathie de l’inclassable animal. C’est un outrage à la gastronomie italienne, et même une raison suffisante de douter du bien-fondé de l’existence de l’humanité.

 

Édition du Seuil. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Deuxième roman de cette auteure que notre bibliothécaire doit bien aimer, et autant j’avais des réserves sur « Nos richesses » autant celui-ci m’a bien plu. Je lui trouve un petit air de roman pour ado, à cause du style très simple et aussi parce que les personnages principaux sont des enfants. (Mais je ne sais plus ce que les ados lisent) Cela se passe dans l’Algérie d’aujourd’hui ou déjà d’hier. Car la clique des généraux au pouvoir est encore en place dans ce roman. L’Algérie va-t-elle vraiment pouvoir se débarrasser de l’appareil d’état militaire totalement corrompu ?. En tout cas, c’est ce qui semble s’annoncer grâce aux milliers de personnes qui sont descendues dans la rue et qui ont réussi à empêcher Bouteflika (ou son cadavre ambulant) de se représenter aux élections.

Revenons à l’histoire : des enfants du lotissement « du 11 décembre » un ensemble de maisons occupés par des militaires à la retraite décident de ne pas laisser disparaître leur terrain, terrain sur lequel les enfants et les adolescents jouent au foot, ni de laisser leurs aînés décider pour eux. Seulement voilà, deux généraux très influents du régime ont décidé d’y construire leur maison. Personne ne pourra s’y opposer, personne ? et bien si, des enfants de moins de 12 ans campent sur le terrain et ridiculisent ces hommes si importants.
Voici donc la trame du roman, mais ce qui est très intéressant, c’est la description des différentes strates de la population algérienne, chaque génération étant marquée par son lot de violences et de renoncements. On sent que rien ne peut faire bouger le régime et que tout est écrit d’avance. Peut-être pas tout, car les téléphones portables et les réseaux sociaux représentent un réel danger pour une société qui a toujours fonctionné grâce au secret. C’est vraiment plus difficile pour ces colonels violents et corrompus d’étouffer cette affaire. Difficile mais peut être pas impossible, dans ce roman. Ce livre a certainement été écrit avant les événements de l’été 2019 mais il annonce et explique très bien les manifestations du vendredi à Alger, pour autant, on ne sait pas si beaucoup de choses ont changé dans ce pays. Tout cela est très bien raconté et rendu très vivant dans ce roman grâce au talent d’écrivaine de Kouther Adimi.

 

Citations

Les inondations

On a quand même un peu peur. On n’oublie pas qu’en 2001, des inondations détruit le quartier de Bab El Oued, c’est près de mille morts et coûté des million de dinars. Certains corps n’ont jamais été retrouvés et des enfants devenus de jeunes adultes continuent d’espérer que leur mère ou leur père finira par rentrer, même, après autant d’années. 
À défaut de tombes, des centaines d’histoires.

La corruption

Le général Athmane, lui, a fait des études de droit en Angleterre payées par l’Armée. C’est un grand et bel homme qui sait charmer son entourage, contrairement à son ami le général Saïd.

On ne le sait pas mais il n’a jamais obtenu de diplôme. Il passa ses années de faculté à boire dans des pubs et à courir après Marie, une jeune Anglaise qui le quitta du jour au lendemain. Athman revint au milieu des années 70 en Algérie ou l’armée l’attendait les bras ouverts. Il présenta un faux diplôme et fut recruté dans le service juridique. Il épousa une femme qui venait du même village que lui et oublia très vite Marie et Londres. Il conseilla à son frère de créer une entreprise de travaux publics et lui fit obtenir grâce à ses relations les plus gros chantiers du pays.
 Aujourd’hui, il possède un appartement à Genève, un hôtel en Espagne acheté sous le nom de son épouse, des tableaux de maîtres cachés dans un appartement à Paris qui est au nom de l’un de ses enfants et deux voitures blindées. Grâce au frère de sa femme, directeur de la douane, il peut faire passer ce qu’il veut sans problème et récupère régulièrement les marchandises saisies.

Le colonel à la retraite

Lorsque le terrorisme faisait rage, Mohamed, qui devait tous les jours se battre contre les groupes terroristes, arrêta la prière pendant dix ans. Le temps de cette guerre. Il n’en parla à personne, n’expliqua rien à sa femme. Prier lui était devenu tout simplement impossible. Il y avait trop d’horreur autour de lui. Il ne supportait plus de devoir appeler des parents ou des jeunes femmes pour leur apprendre que leur fils ou époux était mort au combat, abattu à bout portant, déchiqueté par une bombe ou torturé par une lame. Il ne supportait plus d’entendre le mot « Dieu » dans la bouche des terroristes. Il ne supportait plus de dire le même mot sur son tapis de prière. Les mots. Ils se mélangeaient dans sa tête. Quelqu’un peut-il salir un mot ? Peut-il se l’approprier tant et si bien qu’il finit par vous l’arracher, vous le voler en quelques sortes ? Se battre contre les terroristes, monter au maquis, débusquer les camps, c’était un peu une manière de se réapproprier tous les mots les intégristes avaient confisqué aux Algériens.

Les partis politiques

Les partis politiques, les journaux indépendant et une majorité des élus, industriels et artistes s’opposent également au verdict des urnes. Tous crient à la menace islamiste. L’Iran en Algérie ? Jamais. Non, jamais, mais bien sûr, nous sommes mal à l’aise. Nous avons voulu la démocratie mais les urnes nous donnent une réponse qui nous déplaît et nous voici dans la rue pour protester. Nous sommes mal à l’aise, je me répète mais l’ai-je dit à l’époque ? Non, car on avait réussi à nous convaincre qu’il n’y avait que deux camps possibles : les islamistes ou les militaires.

Le téléphone portable

Le général Athman lança un petit sourire sarcastique à son ami :

– Les temps ont bien changé. Depuis quand laissons-nous faire ?
– Depuis que le cours du pétrole a dégringolé, que les réseaux sociaux ne nous permettent plus d’empêcher les gens de parler, commenter, dénoncer. Depuis que tout le monde a un téléphone portable avec lequel prendre des photos et des vidéos. Oui, cher ami, les temps ont bien changé et seuls ceux qui le comprennent peuvent survivre.