Édition Acte Sud, chaque tome contient à peu près 134 pages, donc pour les 5 tomes 650, de 2021 à 2023

Cette auteure me fait apprécier le Japon alors qu’elle même vit au Québec et écrit en français, mais c’est peut être pour cela qu’elle m’est aussi accessible. J’ai mis sur Luocine deux oeuvres d’elle Le poids des secrets et aussi Mitsuba qui fait partie d’une série que je n’ai pas lue en entier. Cette auteure, a besoin de cinq tomes pour cerner complètement son histoire. On peut très bien ne lire qu’un tome qui se suffit à lui même, mais il est vrai que les cinq éclairages différents rajoutent beaucoup à la compréhension des personnages et du récit.

Dans chaque roman, il y a une réflexion, sur la signification des caractères japonais, je ne peux hélas vous les mettre dans les extraits, car mon ordinateur ne peut pas les reproduire, mais c’est pourtant un élément important de la signification de chaque récit. On sent chez cette auteure une envie de nous faire comprendre toute la richesse et la profondeur de la civilisation japonaise.

Le cycle de ces cinq récits portent le nom de « Une clochette sans battant » , c’est le premier objet qu’Anzu a réparé en utilisant ce procédé très célèbre au Japon, les fêlures ne sont pas masquées mais mises en valeur par un procédé particulier, on utilise un fil d’or. Je pense que cet objet et sa réparation est un symbole du récit de cette famille qui fonctionne assez bien alors qu’elle aurait pu se briser tant de fois. Le couple des parents que nous voyons dans « Sémi » a failli se briser sur la révélation de l’infidélité du mari, cette révélation a poussé la mère à tromper une seule fois son mari avec un musicien célèbre. Ce qui va réparer le couple comme le Kintsugi répare les poteries sans cacher les fêlures, c’est le fils tant espéré qui naitra de cette infidélité. Le tome qui est consacré aux parents se passe à travers la mémoire défaillante de la maman qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai trouvé très intéressant comment le Japon s’occupe d’une population vieillissante très nombreuse. Le récit consacré à Anzu l’artiste de la famille et celle qui crée les plus belles pièces de poteries qui sont considérées comme de l’art au Japon. Cette femme est douce mais déterminée et si elle n’a pas la brillance de sa soeur elle a plus de profondeur . Ce tome , « Suzuran » est sans doute celui que j’ai lu avec plus de plaisir. Contrairement à celui qui est consacré à sa soeur « No-no-Yuri », mais la peinture de la jeune Japonaise belle et décidée est aussi très intéressante car on voit le monde des affaires et les mœurs plus que discutables de certains hommes d’affaires américains !

J’ai trouvé un peu plus creux le dernier tome consacré au fils « Niré » en fait on connaissait le secret de sa naissance et on sentait bien que les réactions de ce fils iraient dans le sens de la réparation.

Un bilan positif et un grand plaisir de lecture malgré un léger bémol sur deux des tomes.

Extraits

Urushi

Début.

 Je descends du bus et me dirige vers le sentier qui mène chez moi. D’en bas, on aperçoit notre maison aux toits de tuiles grises. Mon sac-à-dos pèse sur mes épaules à cause d’un livre épais que j’ai emprunté à la bibliothèque de l’école.

Réparation de poterie.

Le Kintsugi me séduit toujours. Je contemple la photo d’une vieille assiette ornée de vagues bleues. Dessus serpentent plusieurs longues lignes d’or courbées comme des rameaux. Quelqu’un l’a-t-il laissé tomber par accident ? Ou bien exprès ? Une femme en colère contre son mari l’aurait jeté sur le sol, par exemple. Quelle que soit son histoire l’assiette a été ressuscitée à merveille. Ce n’est pas une simple réparation. Il s’agit d’une création. Un art. Sinon, il suffit d’utiliser une colle forte ordinaire.

Suzuran

Début.

La nuit tombe. J’entre dans mon appartement où il n’y a personne.
 Il fait froid aujourd’hui pour une fin d’avril. Il est déjà huit heures. J’ai faim. En préparant une salade, je réchauffe le curry restant d’hier. Installée à la petite table dans la cuisine, je commence mon dîner tardif. Je n’entends que le tic-tac de la pendule. C’est samedi. Mon fils, chez son père depuis hier, reviendra demain soir

La poterie.

Ces pièces sont cuites sans glaçure. Ce qu’on appelle « yakijimé ». Quand les cendres de bois collent a un objet, leur alcalinité cause une réaction chimique avec le fer de l’argile c’est ce qui donne cette tonalité très particulière.
(…) Pour obtenir la teinte souhaitée, bien sûr, il faut avoir beaucoup de pratique et se fier à son intuition. Quand même, c’est impossible de prévoir exactement le résultat. C’est accidentel comme la vie.

Semi

Début.

 Je me réveille au gazouillis des moineaux. Un instant, je me demande où je suis. Dans notre maison ? Je jette un coup d’œil vers la fenêtre entrouverte. Aussitôt, je reconnais notre chambre à la résidence d’aînés.

No-no-yuri

Début.

 La voiture descend une pente. Les phares éclairent le chemin sinueux couverts de feuilles mortes.
O. et moi venons de dîner dans un restaurant au sommet. Nous avons mangé de délicieux biftecks accompagnés d’un vin rouge chilien exquis en écoutant de la musique jouée au piano. Le restaurant s’appelle nNo-no-yuri. Avec ce nom rustique, je ne m’attendais pas à une telle qualité. Bercée par un air doux, j’ai bu plus que de coutume. Mon amant portait aux nues la beauté de mon visage, ainsi que l’élégance de ma tenue : une blouse plissée et une longue jupe en mousseline. Il s’extasiait aussi sur ma broche et mes boucles d’oreilles ornées de rubis verts véritables que j’ai achetés dans une fameuse bijouterie de Ginza.

L’élégance.

 Je me maquille très soigneusement et me mets du parfum de grande marque achetée à Paris. Je choisis un chemisier et un tailleur jupe en lin de Belgique. C’est l’heure d’aller au bureau. J’enfile mon long manteau de laine et mes bottes noires italiennes. Au travail, je porterai une nouvelle paire d’escarpins légers et chics, italien aussi.

Niré

Début.

 La pluie qui tombait depuis tôt ce matin à enfin cessé.
On est samedi après-midi. Je suis venu en ville acheter de la peinture pour mes deux filles. S’il fait beau demain, elles vont repeindre leurs bureaux.
Je consulte ma montre en sortant de la quincaillerie. Il est cinq heures vingt. Je pense aller voir mes parents à leur résidence. Ils dînent normalement vers six heures et demie. Je pourrai rester un peu. Ma mère souffre de la maladie d’Alzheimer. Depuis quelques années elle ne me reconnaît plus et me considère comme une simple connaissance. Nous nous saluons avec de petits mots polis, presque toujours les mêmes. J’espère qu’elle m’accueillera de bonne humeur aujourd’hui.


Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 


Édition La Table ronde, quai Voltaire, 377 pages, août 2020.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Richard Russo est un auteur qui ne me déçoit jamais, souvent quand je lis vos billets sur cet auteur je me dis encore un roman à lire pour mon plaisir. Pourtant, sur Luocine je n’ai que « le déclin de l’empire Whiting » avec 5 coquillages, bien sûr. Je dois à ce roman une grande première pour moi, la fin que j’avais lu en premier ne m’a rien appris sur l’intrigue, et surtout il m’a démontré que je suis capable de supporter le suspens quand il est dévoilé petit à petit et qu’il rajoute à l’intérêt du livre.

Le roman commence par un prologue assez long où l’on voit des anciens amis étudiants , se retrouver dans une île au large du Massachussets, Martha’s Vinehard, très vite on apprend qu’en 1971, ils y avaient passé quelques jours en compagnie d’une fille dont ils étaient tous amoureux , Jacy.

Ils ont aussi tous les trois été marqués par la guerre du Vietnam, surtout Michael qui avait tiré le numéro 9 ce qui aurait dû ne lui laisser aucune chance d’échapper à la guerre. On comprendra peu à peu, la phrase mise en épigraphe du roman :

Pour ceux dont les noms sont sur le mur

Nous allons donc, peu à peu connaître Lincoln, le propriétaire de la maison sur l’île, Teddy propriétaire d’une maison d’édition qui ne s’est jamais autorisé à écrire « son » roman, Michael le chanteur de rock qui détient une grande partie des réponses que se posent ses deux amis.

Sans déflorer le suspens, car ceci nous l’apprenons très vite, Jacy qui devait se marier avec un homme du même milieu social qu’elle, quelque temps après le premier séjour dans l’îl, a rompu ses fiançailles et a disparu. Son souvenir plane sur leurs retrouvailles dans l’île. L’intérêt du roman, comme toujours chez cet auteur, vient de l’analyse très poussée de trois milieux sociaux nord-américains différents. Le roman joue avec deux temporalités, la jeunesse des étudiants et le WE aujourd’hui.

Lincoln, est le fils d’un père sûr de toutes ses valeurs et étroit d’esprit, la seule révolte de sa mère aura été de garder sa maison sur cette île où elle a passé de bonnes vacances enfant. Aujourd’hui Lincoln est à la tête d’une agence immobilière, a failli faire faillite pendant la crise des subprimes. Il a réuni ses amis dans cette maison qu’il pense vendre, grâce à lui (ou à cause de lui) la disparition de Jacy l’amènera à soupçonner son voisin, puis son meilleur ami.

Teddy, est le fils de deux enseignants d’anglais, et il a toujours eu beaucoup de mal à s’imposer. Il a été victime d’une chute lors d’un match de basket, les conséquences de cette chute, étofferont l’intrigue du roman.

Michael est leur ami alors qu’il vient d’un milieu social très différent d’eux, en effet tous les trois se sont retrouvés dans une université de la côte Est « Minerva collège », alors que Michael est fils d’ouvrier et n’hésite pas à faire le coup de poing. Il est devenu rockeur et conduit une grosse moto. Il est beaucoup moins simple que son apparence ne le montre.

Quelques personnages secondaires enrichissent le roman, le voisin qui veut acheter la maison et qui se fait un point d’honneur à choquer le voisinage par ses propos outranciers. L’ancien policier alcoolique qui lance Lincoln sur des pistes d’explications à la disparition de Jacy qui vont beaucoup troubler Lincoln et permettre au lecteur de voir les mêmes faits sous un angle différent.

Non, non, je ne dirai rien de la disparition de Jacy, qui quand à elle doit comprendre sa propre famille et son origine biologique, une partie des réponses viennent de sa recherche.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la civilisation nord-américaine. Et Bravo, à cet auteur d’avoir vaincu mon impatience à connaître la fin avant de me lancer dans la lecture. Mais je dois avouer qu’une fois que j’avais toutes les solutions j’ai relu avec un très grand plaisir le roman : on ne peut jamais se refaire complètement !

 

Extraits

Début du prologue (de 35 pages).

 Les trois vieux amis débarquent sur l’île en ordre inversé, du plus éloigné au plus proche. Lincoln, agent immobilier, a pratiquement traversé tout le pays depuis Las Védas. Teddy, éditeur indépendant, a fait le voyage depuis Syracuse. Mickey, musicien et ingénieur du son, est venu de Cape Cod, tout à côté. Tous les trois sont âgés de soixante-six ans et ont fait leurs études dans la même petite université de lettres et science humaine du Connecticut, où ils ont travaillé comme serveur dans une sororité du campus

Analyse des études et des prof à l’université américaine.

 D’après les registres de l’administration, Teddy avait suivi plus de cours dans plus de matières que n’importe quel autre étudiant depuis la création de Minerva Collège. Tom Ford, son professeur préféré, lui avait dit de ne pas s’inquiéter pour ça, mais évidemment Tom Ford était fait de la même étoffe. Se qualifiant de « dernier des généralistes », il occupait la chaire des humanités et dispensait un cours sur les Grands Livres, mais il donnait également des cours « sur des sujets spéciaux » en anglais, philosophie, histoire, art et même en science. En fait, il inventait des cours qu’il aurait aimé se voir proposer quand il était jeune étudiant. Teddy en avait suivi tellement que Mickey disait pour plaisanter qu’il était le seul étudiant diplômé en Fordisme. Teddy avait découvert seulement en dernière année que son mentor était tenu en piètre estime par ses collègues. Il n’avait jamais dépassé le statut de maître de conférences car non seulement il ne publiait jamais rien, mais il voyait d’un mauvais œil ceux qui le faisaient. Leurs ouvrages, affirmait-il, apportaient la preuve de leur manque de savoir et de l’étroitesse de la sphère de l’heure connaissances. Plus que n’importe qui, c’était Tom Ford qui avait donné à Teddy la permission de satisfaire sa curiosité sans attendre en retour des bénéfices de réussite professionnelle. « Un jour » avait-il écrit en bas d’une de ses dissertations de Teddy, « vous écrirez peut-être quelque chose qui mérite d’être lu. Je vous conseille de retarder le plus possible ce jour « .

Compassion et pitié.

 Ses amis, pour peu qu’ils aient un peu suivi ce qui se passait, devaient savoir que Las Vegas avait été l’épicentre de l’ouragan financier des subprimes, mais comme il n’avait jamais laissé entendre que lui-même était menacé, ils avaient dû le croire à l’abri. Aujourd’hui encore, alors que l’agence avait enfin la tête hors de l’eau, il voulait leur cacher qu’ils avaient failli sombrer. Il ne craignait pas qu’ils s’en réjouissent. Au contraire, ils compatiraient. Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette et Lincoln -digne fils de son père, là aussi – ne voulait pas prendre ce risque.

Faire la guerre du Vietnam.

C’était donc ça. Son père, Michael Sr., un vétéran de la Seconde Guerre, avait détesté chaque instant passé sous l’uniforme, mais il était fier, avait-il expliqué à Mickey, d’avoir rempli son rôle.  » Quand on t’appelle, tu y vas. Tu ne demandes pas pourquoi. Ça ne marche pas comme ça. Et ça n’a jamais marché comme ça, mais. Ton pays t’appelle, tu y vas. » Tuyauteur de profession, Michael Sr. était de, de l’avis général un type carré qui n’aimait pas le baratin. Bourru et inculte, assurément, mais un gars bien.

Sourire.

-Vous aimez les animaux ?
– Comme la plupart des flics, je les préfère aux gens. Encore jamais connu un qui mentait.

Le coup de poing.

 Son père, un bagarreur dans sa jeunesse, l’avait mis en garde contre la violence, ses dangers, mais surtout ses plaisirs. Quand vous décrochez un coup de poing, tout ce qui est enfermé en vous se libère, et il n’existe pas de sensation plus agréable.

Fatalité ou Destinée .

 Et comme l’avaient bien compris les Grecs, il n’était pas possible d’interrompre, ni de modifier de manière significative, l’enchaînement des événements une fois que l’histoire avait commencé. 

Édition L’olivier, 211 pages, février 1999.

Je crois que je vais laisser pour un temps, mon envie de comprendre la passion de mes amies lectrices pour cet auteur. J’en ai ai un peu assez de ce Paul dépressif, toujours plus ou moins gravement malade, du personnage de dentiste pervers, de la femme Anna qui mourra dans un accident violent, de la tonte des gazons. Mais, car il y a un mais, j’ai bien aimé le passage sur la création en littérature, en effet le narrateur explique qu’aucun roman n’arrive à faire ressentir ce qu’éprouve vraiment une personne qui est terrorisée par un danger quel qu’il soit. Ici, Paul, qui a perdu ses parents depuis longtemps, a raté son mariage, est devenu écrivain et décide de partir en voyage , il fera des rencontres qui le rendront encore plus malheureux comme ces deux hommes qu’il avait trouvé assez sympathiques en Floride et assassineront de façon la plus horrible possible un homme qui n’avait qu’un défaut : être noir. Il retrouve l’endroit où son père se rendait une fois par un an pendant un mois pour pêche, l’ami de son père l’attendait et aussi une demi-sœur : son père avait donc une autre vie visiblement plus heureuse que celle qu’il a menée en France auprès de Paul et sa mère.. Près de ce lac où son père a disparu , il y a un bois réputé très dangereux où beaucoup de gens sont morts sans que l’on ne retrouve leurs corps, évidemment Paul le traversera et il reviendra en paix avec lui-même et son père.

J’oublierai vite ce roman sauf sans doute le passage sur la création romanesque , et je me promets de bien écouter mes amies pour comprendre leur plaisir à lire cet auteur dont elle ne rate aucun roman

Extraits

Le début une fois, encore météorologique.

 Il a neigé toute la nuit. Le jardin est si blanc que le monde a l’air neuf. Nous sommes le premier janvier, il fera bientôt jour. Je suis posté devant la fenêtre. Au-dessus des nuages, par une trouée, je distingue un avion. Il ne fait aucun bruit, et seules au bout des ailes, ses lumières clignotent. Il suit la route des oiseaux migrateurs, descend vers le sud, la chaleur du soleil. Je vis à la pointe du nord sur les terres du froid. Peu à peu j’apprends à endurer les rigueurs du climat et à différencier toutes sortes de neiges.

Un personnage positif, un maître d’œuvre avec lequel il a travaillé.

Da Rocha était l’un de ces êtres dont le hasard m’avait fait un temps, partager l’existence, et qui, par le seul souvenir, m’avait accompagné toute une vie. Des années plus tard, j’envoyais à cet homme un exemplaire de mon premier roman. Après l’avoir lu, il me retourna ce petit mot : « Tu as bâti tout seul ta première maison. Je suis certain que tu en construiras beaucoup d’autres, mais celle-là restera jamais dans mon cœur. » La fréquentation de Da Rocha, sa ténacité, son honnêteté professionnelle, son obstination à mener à terme un chantier dans les délais, m’ont appris davantage sur la manière de construire une histoire que tous les précis de littérature.

Écriture romanesque .

 Tandis que je contemplai cet orage, je songeais qu’un jour, si j’écrivais un nouveau livre, j’essaierai de raconter ce moment, d’en rendre l’intensité et la beauté. A présent, je mesure la vanité d’une telle ambition. Les mots quels qu’ils soient, n’ont pas l’humidité féconde que charrie le souffle de la tempête chargée de la multitude des senteurs dérobées à la cime des arbres et au sol des sous-bois. Comment restituer le bonheur de se sentir à l’abri lorsque sous le vent, battent les branches et que geignent les troncs courbés par les rafales ? Et dire cette angoisse ancestrale qui s’abat alors sur la forêt et tous ceux qui l’habitent ? Les livres ne sont qu’un tout petit miroir du monde où se mirent les hommes et l’état de leur âme mais qui jamais n’englobe la stature des arbres, l’infini des marais l’immensité des mers. Si beau que soit le texte, si attentif le lecteur de Melville, il manquera toujours à ce dernier l’émotion fondatrice, l’indispensable synapse avec le réel, ce bref instant ou surgit la baleine et où vous comprenez qu’elle vient « vous » chercher. Une chose est de lire la peur, une autre affronter. 


Édition de l’Olivier, 357 pages, septembre 2004

 

Fin du roman :

Je songeais à tous les miens. En cet instant de doute, au moment où tant de choses dépendaient de moi, ils ne m’étaient d’aucune aide, d’aucun réconfort. Cela ne m’étonnait pas : la vie n’était rien d’autre que ce filament illusoire qui nous reliait aux autres et nous donnait à croire que, le temps d’une existence que nous pensions essentielle, nous étions simplement quelque chose plutôt que rien.

Pour plusieurs lectrices du Club de lecture, Jean-Paul Dubois, fait partie des incontournables. Et je pense qu’elles organiseront une séance thématique autour des romans de cet auteur. Il est déjà présent sur Luocine avec « Les accommodements raisonnables » que j’avais apprécié mais sans plus.
Il y a chez cet auteur un effet série qui peut plaire mais que j’ai du mal à apprécier, dans tous ses romans il y a un dentiste tortionnaire, une femme (souvent la femme du narrateur) toujours appelée Anna qui meurt de façon violente, le personnage principal toujours appelé Paul qui fait du jardinage, et bien d’autres détails qui je suis certaine ravissent ses fans. Cela ne me passionne pas de jouer aux ressemblances et aux différences. Mais ce roman a un autre intérêt : celui de décrire la société française depuis les années 1950 jusqu’en 2012. Toutes les périodes sont marquées politiquement par des présidents qui ont tous les défauts possibles quand ils sont de droite, seul Mitterand trouve grâce à ses yeux, à son deuxième mandat il est surtout défendu par sa mère. Le narrateur est marqué par la mort de son frère d’une appendicite mal soignée. Sa famille s’écroule à ce moment là, son père devient silencieux et sa mère l’ombre d’elle-même , se réfugie dans son travail de correctrice. Mai 68 sera l’occasion pour Paul de mettre le bordel partout, ce sont ses mots, il est très désabusé et très amer, il ne rencontre que des gens médiocres pour lesquels in n’a aucun respect, que ce soient ses profs de lycée ou les enseignants de l’Université de Toulouse le Mirail. La section de sociologie se résumait à des prises de position politiques toutes plus fumeuses les unes que les autres. La vie professionnelles sera du même acabit un supérieur sadique dans une administration et un proviseur pervers et qui ne cherchera qu’à lui nuire dans un lycée. Il épousera une femme riche et belle , ils auront deux enfants et lui gagnera beaucoup d’argent en faisant deux livres à grand succès, « les plus beaux arbres de France » et « les plus beaux arbres du monde » . Sa femme Anna meurt dans un accident d’avion, et il découvrira la faillite de son affaire de Jacuzzi, et son infidélité. Sa fille devient schizophrène et lui jardinier parce qu’il a perdu tout son argent dans la faillite des affaires de sa femme.
J’ai été surprise du nombre de personnes négatives que ce pauvre Paul rencontre dans sa vie, bien sûr il y a un dentiste sadique mais pas que. Les scènes de fêtes avec alcool, drogues, et sexe m’ont fait penser que nous n’avions pas eu la même jeunesse.
Malgré toutes ses réserves , c’est un roman qui se lit bien et cette plongée dans le passé que j’ai vécu moi aussi m’a permis de revivre ma jeunesse. Sauf que, comme beaucoup d’entre nous, je n’ai pas eu comme le narrateur la chance de faire un mariage qui m’aurait permis de ne pas travailler, ni de produire un livre qui m’aurait rendue riche pour le reste de ma vie. Cet écrivain journaliste qui s’épanouit dans l’entretien des jardins on n’y croit pas beaucoup mais ça fait un contrepoint à toutes les turpitudes des soi-disant intellectuels.

Extraits

Début.

 Et ma mère tomba à genoux. Je n’avais jamais vu quelqu’un s’affaisser avec autant de soudaineté. Elle n’avait même pas eu le temps de raccrocher le téléphone. J’étais à l’autre bout du couloir, mais je pouvais percevoir chacun de ses sanglots et les tremblements qui parcouraient son corps. Ses mains sur son visage ressemblaient à un pansement dérisoire. Mon père s’approcha d’elle, raccrocha le combiné et s’effondra à son tour dans le fauteuil de l’entrée. Il baissa la tête et se mus à pleurer. Silencieux, terrifié, je demeurai immobile à l’extrémité du corridor.

La place du deuil de son frère (de 10 ans le narrateur en a 8).

 La mort de Vincent nous a amputé d’une partie de nos vies et d’un certain nombre de sentiments essentiels. Elle a profondément modifié le visage de ma mère au point de lui donner en quelques mois les traits d’une inconnue. Dans le même temps, son corps s’est décharné, creusé, comme aspiré par un grand vide intérieur. La disparition de Vincent a aussi paralysé tous ses gestes de tendresse. Jusque-là si affectueuse, ma mère s’est transformée en une sorte de marâtre indifférente et distante. Mon père autrefois si disert, si enjoué s’est muré dans la tristesse, le silence, et nos repas jadis exubérants, ont ressemblé à des dîners de gisants. Oui, après 1958, le bonheur nous quitta, ensemble et séparément, et à table nous laissâmes au speaker de la télévision le soin de meubler notre deuil.

L’horrible grand mère.

 Je pense que ma grand-mère est la seule personne dont j’ai réellement souhaité et espéré la mort. J’en ai aussi longtemps voulu à mes parents de ne pas remettre ce personnage à sa place, mais il est vrai qu’à l’époque il était normal d’endurer stoïquement la torture des ascendants fussent-ils de francs salopards.

La jeunesse du narrateur.

Drôle d’époque. La plupart d’entre nous traversaient cette période dans cette état d’hébétude caresse caractéristique des explorateurs qui découvrent un monde nouveau. Ce continent là était celui de toutes les libertés, de terre aussi inconnues qu’immenses, où l’air du temps nous encourageait à vivre sans temps morts, à jouir sans entraves. Ce que l’on nous proposait, ce qui s’offrait à nous c’était une aventure sans précédent, un bouleversement en profondeur des relations entre les hommes et les femmes, débarrassées de la gangue religieuse et des contrats sociaux. Cela impliquait la remise en cause de l’exclusivité amoureuse, la fin de la propriété des corps, la culture du plaisir, l’éradication de la jalousie, et aussi, pourquoi pas, « la fin de la paupérisation le soir après cinq heures ».

Dieu.

 

 L’idée de Dieu était la pire des choses que l’homme eût jamais inventé. Je la jugeais inutile, déplacée, vaine et indigne d’une espèce que l’instinct et l’évolution avaient fait se dresser sur ses pattes arrières mais qui, face à l’effroi du trou, n’avait pas longtemps résisté à la tentation de se remettre à genoux. De s’inventer un maître, un dresseur, un gourou, un comptable. Pour lui confier les intérêts de sa vie et la gestion de son trépas, son âme et son au-delà.

L’amour.

 Je tenais l’amour pour une sorte de croyance, une forme de religion à visage humain. Au lieu de croire en Dieu, on avait foi en l’autre, mais l’autre justement n’existait pas davantage que Dieu. L’autre n’était que le reflet trompeur de soi-même, le miroir chargé d’apaiser la terreur d’une insondable solitude. Nous avons tous la faiblesse de croire que chaque histoire d’amour est unique, exceptionnelle. Rien n’est plus faux. Tous nos élans de cœur sont identiques, reproductibles, prévisibles. Passer le foudroiement initial, viennent les longues journées de l’habitude qui précèdent le couloir infini de l’ennui.


Édition Grasset, 238 pages, janvier 2024.

 

Depuis sept ans j’avais édifié toute la vie imaginaire de mon oncle d’Australie sur du sable

 

Ce roman étant sur la table des nouveautés, je me suis souvenue de « L’effroi« , qui m’avait tant plu, du même auteur. Ce roman a plusieurs centre d’intérêt, l’effort d’un écrivain pour résoudre un secret de famille, les dégâts que provoquent le dévoilement du secret et le travail d’un écrivain pour créer un roman.

Le secret de la famille Garde est celle d’un oncle Marcel qui pour toute la famille est allé vivre en Australie en 1900 et y est mort en 1910. Le père de l’écrivain, a été élevé dans ce secret sans jamais avoir questionné son père ni sa mère, l’écrivain après avoir trouvé la solution décide de laisser son père dans ce mensonge. La création littéraire permet de comprendre tout le talent, la première partie nous permet de suivre l’oncle Marcel en Australie et nous lecteur, avide de connaître la vérité nous avons bien l’impression que l’auteur nous fait revivre la vie de son oncle exilé en Australie. L’auteur nous permet au passage de comprendre combien la vie des émigrants en Australie était difficiles surtout quand on était français.

Comme souvent, autour de la solution de la découverte, le lecteur est surpris à quel point c’était facile de trouver la solution du secret. Tout était dans les archives militaires, Marcel n’est donc jamais allé en Australie et il a été condamné pour vol, et s’il a bien été exilé c’est au bagne qu’il a fini sa vie.

Vous, les antidivulagâcheuses, ne soyez pas inquiètes, l’intérêt du roman ne vient pas de ce suspens mais du travail de l’écrivain pour créer une narration. Il réussit très bien à faire revivre sa famille et l’époque.

Je n’ai pas été passionnée par ce roman mais très intéressée par les réflexions sur la créations littéraire, l’auteur sait si peu de choses sur la vie de Marcel que le point essentiel que je me pose le pourquoi de ce parcours tragique ne trouve aucune explication.

 

Extraits

Début du prologue.

 Mon père avait souhaité des obsèques simples dans la banale église de son quartier à Aix-en-Provence. Pour des raisons tenant à l’organisation des paroisses en fin de pandémie, elle se déroulèrent dans la nef solennelle et sombre de la cathédrale Saint-Sauveur. Des touristes déambulaient tout autour, étrangers à la cérémonie, bruyamment discrets.

Début du roman.

 Depuis Fontaine-de-Vaucluse qui en 1900 s’appelait encore simplement Vaucluse, Gustave Garde se renseigne sur les mouvements des navires vers les destinations les plus lointaines. Aux soucis quotidiens de la gestion de son usine électrique s’ajoutent ceux de la préparation du voyage de son fils aîné. Du dernier voyage songe-t-il avant de se raviser. Le cimetière n’en est pas le but et les croque-morts ne sont pas convoqués. Du dernier voyage de Marcel Garde pour ce qui concerne son père.

Vérité et roman.

« Votre roman, c’est d’après une histoire vraie ? »
 Cet interrogation m’a longtemps décontenancé. Je n’ai jamais osé rétorquer :  » Si vous ne voulez que des histoires vraies, contentez-vous de lire des actes notariés, des biographies ou des rapports de police ! » les premières fois, je bredouillais :  » Est-ce donc si important pour vous ? » Désormais, je réponds d’une boutade qui n’amuse que moi  : » Ce roman-là c’est d’après une histoire fausse. »
 La véracité d’un récit est-elle un atout ou une pesanteur ? Visiblement, pour ceux qui veulent s’en assurer, une forme de réconfort, ou plutôt de garantie. Ils n’acceptent de s’abandonner au risque délicieux de la lecture qu’avec la paisible bouée du certificat d’authenticité.

Réalité et personnage.

 Marcel Garde n’est plus rien. Je n’ai toujours pas la moindre idée de ce qu’il est devenu. Aucune tombe sur laquelle se recueillir. Aucune descendance connue. Mon oncle d’Australie n’est plus rien – que ces mots.
 À ce quasi inconnu, je consacre un livre entier, en complétant les vides et les silences. J’exporte tous les possibles, j’écris dans les blancs de cette histoire qui en comporte tant.
 Comme romancier, je décide de ma guise du sort des personnages que j’ai créés Ici je ne peux que suivre quelques-uns de mes parents, sans pouvoir modifier leur trajectoire ni les alerter sur les conséquences de leurs actes. De ces vies préexistantes, je ne suis que le scribe et non le grand ordonnateur mais même les scribes parfois sont attristés.

Vérité.

 « Condamné par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône le 30 juillet 1907 à dix ans de travaux forcés et à la relégation pour vol qualifié »
Depuis sept ans j’avais édifié toute la vie imaginaire de mon oncle d’Australie sur du sable

 


Édition Albin Michel, 292 pages, janvier 2024

Traduit du suédois par Anne Karila

 

J’ai encore perdu la trace de l’arrivée de ce roman dans ma pile, j’espère que c’est une personne qui suit mon blog pour que je puisse mettre un lien. C’est un roman au rythme aussi lent que peut l’être un auteur suédois. Le roman est construit en suivant plusieurs personnages sur trois générations, la dernière,une jeune femme, Yana a été élevée par une mère fantasque Harriet et un père, Oskar, qui n’explique rien de ce qu’il s’est passé avec sa mère dans ce curieux village de Malma au bout d’une ligne de chemin de fer. Harriet est la fille d’un père encore plus étrange, Bo, et d’une mère qui l’a abandonnée en partant du domicile familiale avec sa soeur Amelia.

On est souvent dans ce train à des moments très différents et au début le mystère est épais, on sent que l’on découvrira l’énorme cassure qui a brisé une famille sur trois générations. Est-ce que la pauvre Yana réussira à tout comprendre et à être un peu plus libre dans sa vie ?

Si je révèle le poids du secret du départ, cela pourrait sembler ne pas mériter l’autre catastrophe qui va obscurcir à jamais la vie de Yana. Les personnages sont profondément tristes, les hommes sont des taiseux bien incapables d’aimer les femmes qui essaient de vivre à tout prix. Je dis bien à tout prix, même celui du malheur de leurs enfants. Il faut dire qu’au départ les parents qui divorcent prennent une étrange décision de ne plus se revoir en prenant chacun une des filles. Harriet sera élevée par Bo, et Amelia par sa mère. Harriet ne se remettra jamais de n’avoir été choisie par aucun de ses parents, son père s’est résigné à garder Harriet alors qu’il avait choisi, lui aussi Amelia . Un jour, son père emmène sa fille retrouver sa soeur mais celle-ci dit quelque chose à Harriet, elles se battent, elles sont en maillot de bain et Harriet mord de toutes ses forces le téton de sa soeur jusqu’à l’arracher.

Harriet est à jamais déséquilibrée et son mari Oskar est bien incapable de calmer ses angoisses. Yana est leur enfant et grâce à ses recherches, le lecteur mettra peu à peu toutes les pièces de puzzles de cette tragédie à leur place.

L’intérêt du roman ne tient pas seulement à dénouer les différents fils du suspens, mais dans la peinture des personnalités des personnages. Le père d’Harriet , qui se cache avec sa fille dans les toilettes du train pour ne pas payer son billet, qui se révolte contre la police quand il est arrêté sur la route, n’est vraiment pas un personnage sympathique et contribue beaucoup à déséquilibrer la personnalité de sa fille.

La pauvre Harriet, se marie avec un Oskar encore un Suédois incapable de comprendre les traumatismes de sa femme.

J’ai beaucoup hésité pour mettre un jugement sur ce roman, la construction méritait selon moi 5 coquillages , l’intérêt des personnages 3, donc j’ai fait une moyenne.
Sachez que si vous lisez ce roman vous partez pour un roman profondément triste. On retrouve cette atmosphères si lourde qui m’avait tant troublée dans « les survivants« , de ce même auteur.

 

Extraits

Début.

 Debout dans l’ombre de son père, sur le quai, elle le voit plisser les paupières dans le soleil bas du matin. Elle guette les signes d’agacement dans son regard et dans ses gestes. Aujourd’hui, elle est particulièrement attentive, car c’est pour elle qu’ils font ce voyage, elle se sent donc redevable envers lui. C’est à cause d’elle que papa est là, sur ce quai, à cause d’elle la chaleur, à cause d’elle l’heure matinale, le retard du train, elle est responsable de tout ce qu’il doit endurer dorénavant, et lui se tait, indéchiffrable

Caractère de son père (humour ?).

 

 Papa lui n’est pas pressé. Il ne l’est jamais. Il y a quelque chose dans ses gestes, on dirait qu’il fait tout deux fois moins vite. Il n’improvise rien, n’agit jamais sur une impulsion, Harriet a le sentiment que chez lui tout est parfaitement réfléchi. Parfois, elle s’imagine que le matin il prévoit avec précision tous ses gestes de la journée, du petit déjeuner jusqu’au soir, et qu’il les accomplit ensuite exactement selon son plan. Peut-être est-ce pour cela qu’il est toujours impassible, parce que rien ne peut le surprendre, il n’est jamais pris de court.

Genre de phrase que je ne comprends pas bien :

 

 Une seule et unique fois dans la vie, on se rencontrera soi-même, et cet instant, celui-là seulement, sera le plus heureux ou le plus amer de notre vie

Une enfant trop grosse et malheureuse.

 

 La première fois qu’elle a pris l’avion, c’était pour aller sur l’île de Gotland avec le lycée. L’avion était petit, seulement quarante places, ils y étaient tous entrés en courbant la tête, avaient gagné leurs sièges. Une hôtesse de l’air s’était approchée d’elle juste avant le départ, aurait-elle l’obligeance de bien vouloir changer de place et d’aller s’asseoir un peu plus loin vers l’arrière ? C’était une question de répartition du poids pour l’équilibre de l’appareil. Elle s’était vite levée, gênée. Après cela, elle n’avait plus voulu prendre l’avion.


Édition Albin Michel, novembre 2023, 478 pages.

Il n’y a rien de plus réellement artistique que d’aimer les gens (Vincent Van Gogh)

 

J’ai passé plusieurs journées à me promener avec la petite Mona âgée de 10 ans et son grand-père Henry au Louvre, à Orsay, et dans le musée Pompidou. À travers 52,tableaux analysé par Thomas Schlesser, j’ai pu retrouver l’ensemble de la vie artistique du XV° siècle à aujourd’hui. L’auteur pour construire un roman, et nous épargner une analyse de chaque tableaux un peu trop didactique, a choisi la fiction. Pour cela, il crée le personnage de Mona une petite fille qui a subitement perdu la vue pendant plus d’une heure puis l’a subitement retrouvée. Toute la famille craint qu’elle devienne définitivement aveugle, et on charge le grand-père de la conduire tous les mercredis après midi voir un pédopsychiatre. Mais au lieu de la conduire chez un médecin, Henry, le grand père, décide de l’emmener voir les tableaux des plus célèbres pour qu’elle garde en mémoire de belles images, si jamais un jour elle perd la vue, chaque tableau étant une leçon de vie et le titre d’un chapitre : de « apprends à recevoir » devant une fresque de Sandro Boticelli, en passant par  » tout n’est que poussière » devant un tableau William Turner à « le noir est une couleur » devant une oeuvre Pierre Soulage.

Pour aider le cheminement du lecteur la jaquette du livre se déplie et on peut voir les 52 reproductions des oeuvres. Mon seul bémol à cette fiction, c’est l’explication de la cécité de Mona, mais je n’en fais pas une réserve tant cette déambulation dans les trois musées m’a plu.

La petite fille est peu réaliste, très vite tant ses remarques sont pertinentes, elle devient aussi douée que son grand-père pour analyser des tableaux , mais ce n’est pas grave , cela permet de créer un dialogue entre un homme savant et une petite fille qui a envie de le devenir et qui adore son grand père. C’est très facile à lire, car les chapitres sont courts et se déroulent toujours de la même façon. Cela commence par un petit moment de la vie de Mona, soit une consultation chez un grand spécialiste, soit un petit épisode dans son école, puis elle part avec son grand père au musée celui-ci l’oblige à bien regarder le tableau puis le lui décrit avec précision et ensuite, ils discutent ensemble et le grand-père fait tout pour que l’enfant arrive à exprimer ce qu’elle ressent. Chaque tableau est une courte leçon d’éducation du regard et aussi de compréhension du monde qui lui a permis d’exister, et enfin du message qu’il porte. J’ai lu avec attention les tableaux qui ne me parlent pas du tout, par exemple la croix noir de Kazimir Malevitch, je ne suis pas arrivée à aimer ce tableau mais j’ai mieux compris pourquoi il est exposé, l’intérêt me semble plus historique qu’artistique. Mais bien sûr avec Marcel Duchamp je veux bien me poser la question : qu’est ce que l’art ?

Mes moments préférés, je les ai passés avec des tableaux qui me touchent beaucoup, j’aimerais retourner dans ces musées avec ce livre dans ma poche et regarder par exemple l’église d’Auvers avec le dialogue d’Henry et Mona. Il est très rare que je pense cela mais je crois que c’est un livre que je relirai souvent , en le prenant dans le désordre, maintenant que je connais sa trame pour quoi ne pas aller de Frida Kahlo à Gustave Courbet, à Édouard Manet à Johannes Vermeer…

Je suis contente de lire que ce livre connaisse un énorme succès international, c’est agréable dans notre monde si tourmenté de se dire que les humains puissent se retrouver autour de l’art.

 

Extraits

Début du prologue.

Tout devint sombre. Ce fut comme un habit de deuil. Et puis, çà et là , des scintillements, à la façon des taches que produit le soleil quand les yeux le fixent en vain derrière les paupières serrées, de même qu’on serre le poing pour résister à la douleur ou à l’émotion.

Conte persan.

Une histoire persane du Moyen Âge raconte que, sur un marché de Bagdad, un vizir fut un matin effrayé de croiser la Mort, obscurément vêtue et décharnée, car celle-ci esquissa un geste vers lui qui était pourtant jeune et bien portant. Le vizir vint trouver son calife et lui annonça son départ immédiat pour la cité de Samarcande afin d’échapper à cette funeste invitation. Le calife accepta et son homme partit au galop. Troublé, le calife convoqua cependant la mort et lui demanda pourquoi elle avait menacé sur le marché de Bagdad un vizir vaillant, en pleine force de l’âge. La mort rétorqua : « Je ne le menaçais pas, j’ai simplement eu un geste de surprise ! Je tombe sur lui de bonne heure. Il est en plein marché à Bagdad. Cela m’a étonnée, car nous avons rendez-vous ce soir même à Samarcande. »

Analyse de l’autoportrait de Rembrandt.

 Cet autoportrait inscrit dans l’image de l’artiste l’oscillation de la gloire et de l’infortune. Il exprime une mélancolie profonde et le clair-obscur avec ses accès de couleur et ses abîmes d’ombre, montre combien Rembrandt a conscience de la fuite des années. Il ne signe pas seulement une autopsie de lui-même ; il ose faire celle du temps qui passe, de la lutte perdue d’avance entre l’être et non-être. « To be or nor to be. » clamait Hamlet dans la tragédie de Shakesoeare jouée en 1603. Un demi-siècle plus tard, l’autoportrait de Rembrandt le murmure aussi et autre chose encore ..
– Quoi Dade, qu’est-ce qu’il murmure ? je veux l’entendre …
– tend l’oreille Mona. « Gnôti seautón.
– « Gnoti » quoi ?
– « Gnôti seautón » …  » Connais-toi toi-même ».

Les paroles du père banquier de Cezanne.

On meurt avec du génie et l’on mange avec de l’argent.

La mélancolie.

 C’est formidable de profiter d’une belle vie, mais être heureux fait crépiter les choses en surface ; la mélancolie parce qu’elle est une faille en nous-même ouvre une brèche sur le sens et le non-sens de l’univers, nous permet de regarder les abîmes, les profondeurs. Les artistes le savaient et la cultivaient pour créer leurs œuvres.

 

 


Édition Albin Michel,406 pages, septembre 2022

Traduit de l’anglais par Marina Boraso

 

Quel livre  ! Quelle famille ! Embarquez-vous, avec ce roman, dans une lente déambulation dans le passé, de 1870 à nos jours, pour retrouver non pas « le temps » mais la mémoire d’Edmund de Waal descendant de la famille Ephrussi et céramiste connu. Il a hérité de son oncle une collection de « netsukes ». Ce sont de très petites sculptures venant du Japon qui servaient à bloquer une pochette qu’autrefois le Japonais portait à sa ceinture quand il était habillé de façon traditionnelle. Ce sont de tout petits objets mais souvent merveilleusement sculptés et expressifs. C’est en suivant l’histoire de cette collection qu’Edmund de Waal va raconter l’histoire de sa famille.
Celui qui l’a constituée, Charles Ephrussi, est un très très riche dandy de la fin du XIX ° siècle, collectionneur d’art, il est certainement l’homme qui a inspiré Proust pour construire le personnage de Swann. Dans cette première période, on se croit dans l’oeuvre de Proust qui a effectivement connu Charles Ephrussi. Cette période en France est marquée par un antisémitisme de « bon ton » mais cela n’empêche pas les juifs de faire des affaires et de vivre assez bien. On voit la construction près du parc Monceau de merveilleuses maisons , dont la demeure des Camondo qui est un des musées parisiens que j’aime visiter. (La famille Camondo finira à Auschwitz.)

Ensuite, nous irons à Vienne du temps de la grandeur des Ephrussi, les banquiers les plus riches de l’Europe avec les Rothschild . Leur fortune vient d’Odessa et s’est faite avec le commerce du blé. La collection de Charles a été un des cadeau de mariage pour Emmy et Viktor qui ont construit le palais Ephrussi sur le Ring à Vienne. C’est une période faste de presqu’un siècle. La famille est immensément riche et se sent heureuse à Vienne. Cette période est passionnante, l’empire s’effondre après la guerre 14/18 et la famille est pratiquement ruinée mais il se relèveront. L’antisémitisme autrichien est virulent, alors que l’empereur avait décidé de protéger les juifs. Les juifs des pays de l’est qui ont été victimes de pogroms avant la guerre se sont réfugiés en Autriche et en Allemagne, l’antisémitisme en était d’autant plus fort, (l’accueil en grand nombre de gens fuyant la misère et les persécutions est un problème brûlant d’actualité en Europe aujourd’hui). D’un côté il y avait ces riches banquiers et de l’autre ces miséreux que l’on méprisait. Comme l’Autriche a du mal à se relever de la guerre et a perdu sa grandeur, il est facile de chercher des boucs émissaires. Les enfants dont la grand-mère de l’auteur se souviennent bien d’avoir jouer avec ces petits Netsukes.
Et puis, il y a le nazisme et la famille est entièrement spoliée aussi bien leur banque que leurs biens immobiliers et leurs collections. Les Netsukes seront sauvés par une domestique, Anna, qui va les cacher dans son matelas et les rendra à la famille après la guerre. Elle est bien la seule à avoir voulu protéger les biens de la famille et pourtant l’histoire ne connaîtra que son prénom.
La famille est maintenant éclatée entre le Mexique, les USA, l’Angleterre et le Japon. Nous suivons la collection de Netsuke qui est repartie au Japon avec Ignace. Cette partie sur le Japon permet de comprendre d’où viennent ces petites statuettes. La vie au Japon sous la domination américaine est rapidement évoquée, on voit à quel point le démarrage de l’économie a été difficile au début et puis a fini par s’envoler.

La recherche d’Edmund de Waal est très intéressante, même si c’est parfois un peu lent, sans aucune surprise le moment le plus douloureux c’est le nazisme en Autriche et la façon dont après la guerre, les Autrichiens, contrairement aux Allemands, n’ont pas voulu analyser leurs responsabilités dans l’extermination des juifs. Evidemment les réparations pour la famille Ephrussi est totalement ridicule ! La grand mère de l’écrivain, Elisabeth, a recherché les biens de sa famille et comme c’est une juriste elle a su parfois arracher quelques tableaux à une administration autrichienne très peu coopérative. J’adore cette femme remarquable qui a lutté toute sa vie, pour suivre des études universitaires à Vienne, et qui a réussi à arracher son père aux Nazis. Emmy, sa mère, s’est sans doute suicidée.

C’est un livre assez long et très fouillé, je m’y suis sentie très bien, surtout n’imaginez pas que l’antisémitisme est l’aspect le plus important de ce roman, même si mes extraits ont tendance à le montrer, c’est un sujet auquel je suis très sensible . J’ai été triste de refermer ce roman et de laisser cette famille continuer sa vie, je l’espère de façon heureuse

 

Extraits

 

Le début.

 Je pars à la rencontre de Charles sous le soleil d’une après-midi d’avril. La rue de Monceau est une longue rue parisienne coupée par le boulevard Malesherbes, qui monte tout droit vers le boulevard Pereire, où se dressent des immeubles de pierres chaudes une succession d’hôtels particuliers aux façades rustiquées qui jouent discrètement avec des motifs néoclassiques, petits palais florentins décorés de têtes sculptées de caryatides et de cartouches. Voici celui je cherche, juste après le siège de Christian Lacroix. Je découvre accablé qu’il est occupé aujourd’hui par une compagnie d’assurances médicales.

Les frères Goncourt.

C’est dans les salons de Paris que Charles se fait remarquer pour la première fois. Edmond de Goncourt, romancier, diariste et collectionneur connu pour sa plume acerbe, le mentionne dans son Journal, dégoûté que des personnages tels que lui puissent y être conviés. Il note que les salons sont désormais « infestés de juifs et de juives  » et qualifie les jeunes Ephrussi de « mal élevés » et d' »insupportables ». Il insinue que Charles omniprésent, n’a aucune conscience de la place qui est la sienne ; recherchant le contact à tout prix, il est incapable de masquer ses aspirations et de s’effacer au moment opportun.

L’influence japonaise en 1870 à Paris.

 Voilà une évocation saisissante de ce que signifie être un étranger au sein d’une nouvelle culture, remarquable seulement par votre mise ultra-soignée. Le passant jette un second coup d’œil, et votre déguisement ne vous dénonce que parce qu’il est trop complet.
 Cela trahit également le caractère d’étrangeté de cette rencontre avec le Japon. Bien que les japonais fussent très rares à Paris dans les années 1870 – quelques délégations, des diplomates et un principe de temps à autre -, l’art de leur pays était omniprésent. Tout le monde se précipitait sur les « japonaiseries ».

Drumont.

 Cependant les Ephrussi se pensent indéniablement chez eux à Paris, ce qui n’est pas l’opinion de Drumont. Celui-ci déplore en effet de voir « des juifs vomis par tous les ghettos, installés maintenant en maîtres dans les châteaux historiques qui évoquent les plus glorieux souvenirs de la vieille France…des Rothschild partout  : à Ferrières et au Vaux-de-Cernay .. Ephrussi à Fontainebleau à la place de François 1er « . L’ironie de Drumont devant ces aventuriers sans sou rapidement enrichis, qui se piquent de chasse à courre et s’inventent des armoiries, se change en colère vindicative lorsqu’il juge le patrimoine national souillé par les Ephrussi et leurs pareils.

1914.

La situation ne manque pas de cruauté. Les cousins français, autrichiens et allemands, les citoyens russes, les tantes britanniques -toute cette consanguinité redoutée, cette mentalité nomade soi- disant dénuée de patriotisme- se trouvent contraints de prendre parti. À quel point une famille peut-elle se diviser ? Oncle Pips est mobilisé superbe dans son uniforme à col d’astrakan, et devra se battre contre ses cousins français et anglais.

Deux voix discordantes dans le concert pro-guerre à Vienne.

Schnitzler, en revanche, exprime son désaccord. Le 5 août, il écrit simplement : « Guerre mondiale. Ruine mondiale. » Karl Kraus, lui, souhaite à l’empereur une « agréable fin du monde ».
 Vienne est en fête. Par groupes de deux ou trois les jeunesse se rendent au bureau de recrutement, un petit bouquet fixé à leur chapeau. La communauté juive est d’humeur optimiste. Les juifs, affirme Josef Samuel Bloch, « sont non-seulement les plus fidèles champions de l’empire, mais aussi les seuls Autrichiens inconditionnels ».

Vienne après la guerre 14/18.

Vienne qui compte près de deux millions d’habitants, a cessé d’être la capitale d’un empire de cinquante-deux millions de sujets pour faire partie d’un minuscule pays de six millions de citoyens. Il lui est impossible de s’adapter à un tel cataclysme. On débat intensément sur la viabilité de l’Autriche en tant qu’état indépendant, d’un point de vue tant économique que psychologique. L’Autriche paraît incapable de faire face à pareil amoindrissement. Les conditions de la « paix carthaginoise » dures et punitives définies par le traité de Saint-Germain-en-laye en 1919, prévoient un démembrement de l’empire. Il ratifie l’indépendance de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie, de la Pologne et de la Yougoslavie, et de l’État des Slovènes, Croates et Serbes. L’Istrie et Trieste ne font plus partie de l’empire, amputé également de plusieurs îles de Dalmatie. L’Autriche-Hongrie devient l’Autriche un pays de 750 km de long. Des réparations sont exigées. L’armée réformée rassemble trente mille engagés. Pour citer une boutade de l’époque, Vienne ressemble à un « Wasserkopf », chef hydrocéphale d’un corps atrophié.

Sa grand-mère Elisabeth Ephrussi.

 Je sais qu’Elisabeth n’avait pas vraiment le goût des objets -netsukes ou porcelaine- pas plus qu’elle n’aimait des complications de la toilette. Dans son dernier appartement, elle avait un mur tapissé de livres alors que les bibelots, un chien en terre cuite chinoise et trois pots à couvercle, n’occupaient qu’une petite étagère. Elle m’encourageait dans mon travail de céramiste et m’envoya même un chèque pour m’aider à financer mon premier four, mais cela ne l’empêchait pas de trouver assez drôle que je gagne ma vie en fabriquant des objets. Elle n’aimait rien tant que la poésie, ou l’univers des choses, dense, défini et vivant, est transformé en chant. Elle aurait détesté le culte dont j’entoure ses livres.

Le jour de l’Anschluss.

 Dans toute la ville, on défonce les portes et les enfants se cachent derrière leurs parents et se réfugient sous les lits ou dans les placards, essayant d’échapper au bruit pendant qu’on arrête et qu’on moleste leurs pères et leurs frères avant de les pousser dans des camions, pendant que l’on abuse de leur mère ou de leur sœur. Dans toute la ville des gens font main basse sur ce qui devrait leur appartenir sur ce qui leur vient de droit.
Il n’est pas question de dormir, on ne songe même pas à aller se coucher. Quand ces hommes s’en vont, quand ces hommes et ces garçons finissent par partir, ils promettent qu’ils reviendront et il est clair qu’ils disent vrai. Ils emportent le collier de perles qu’Emmy porte autour de son cou et ses bagues. L’un d’eux s’arrête pour lancer un gros crachat à leurs pieds. Il dévale l’escalier à grand bruit, hurlant jusque dans la cour. Un homme prend son élan pour taper dans les débris à coups de pied, puis ils sortent sur le Ring par la grande porte, l’un d’eux tenant sous le bras une grosse pendule.

L’émotion du petit fils (l’auteur) .

 Le palais Ephrussi, la banque Ephrussi ont cessé d’exister à Vienne. La ville a été « nettoyée » de cette famille.
 C’est pendant ce séjour que je me rends aux archives juives de Vienne – celles qu’Eichmann avait saisies- afin de vérifier certains détails sur un mariage. Cherchant Viktor dans un des registres, je découvre un tampon rouge officiel par-dessus son prénom : « Israël ». Un décret a imposé aux juifs un changement de nom. Quelqu’un a passé en revue tous les prénoms de la liste des juifs de Vienne pour y apposer ce tampon : « Israël » pour tous les hommes, « Sara » pour toutes les femmes.
 Je me trompais la famille n’a pas été effacée, elle a été recouverte. Et c’est cela finalement qui me fait pleurer.

L’après.

 Très peu de juifs choisiront de retourner à Vienne. Sur les 185000 juifs d’Autriche au moment de l’Anschluss, seulement 4500 y reviendront, tandis que 65459 ont trouvé la mort.
 Après la guerre personne n’a eu répondre de cela. En 1948 la république démocratique d’Autriche instaurée à l’issue du conflit a accordé l’amnistie à 90 % des anciens adhérents du parti nazi, et en a fait autant dès 1957 pour les SS et les membres de la Gestapo


Édition Stock, Janvier 2017, 322 pages

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Le thème du mois de Mai de mon club était : « l’aristocratie ». Ce livre y avait donc toute sa place. Le début du roman m’a réjoui car l’auteur sait manier l’autodérision avec beaucoup de brio. Mais au bout d’un moment je me suis beaucoup ennuyée, dommage !

L’histoire raconte la destinée de François de Rupignac rejeton d’une famille de la vieille noblesse française. On se dit que Louis-Henri de La Rochefoucault n’a pas eu à chercher trop loin ses modèles pour raconter une famille « de la haute » . Le début est vraiment drôle, la grand-mère indigne tellement décalée, bien avant qu’Alzheimer fasse son effet, est un personnage qu’on imagine très bien. L’auteur s’amuse de tous les codes de l’aristocratie qui écrasent quelque peu ce jeune homme bien-né. Il décide avec son ami de lycée de créer « le club des vieux garçons » qui se réunira au Jockey club . (Je croyais que cette institution avait disparu mais non, la noblesse peut donc s’y retrouver, sans les femmes ! .

Je crois que c’est à ce moment là que j’ai commencé à m’ennuyer, c’est terrible car c’est le sujet même du roman. Mais je n’ai absolument pas compris ce que ce club apportait au roman, la galerie de portraits de sa famille m’aurait suffit.

J’avais oublié que j’avais tant aimé « Châteaux de sable » du même auteur, son humour m’avait alors ravie.

Extraits

Humour.

Une étudiante oubliée du siècle passé, Simone de Beauvoir, avait commis en 1958 une dissertation intitulée « Mémoires du jeune fille rangée ». Le niveau en était piètre. Au risque de lui défriser le chignon, j’ose affirmer, moi, François de Rupignac, qu’il est plusieurs urgent de lire mes « Mémoires d’un vieux garçon pas si rangé que ça ».

 

J’ai ri.

 Tous les mercredis j’allais goûter chez mes grands-parents dans leur belle appartement sis dans le VII arrondissement, ce quartier silencieux qu’on dirait que ces habitants mettent des patins pour sortir dans la rue.

La grand mère scrogneugneu .

 Elle avait l’art du caquetage scogneugneu et des réponses lapidaires, comme ce jour où, alors que je l’interrogeais sur le dîner auquel elle s’était rendue cette semaine là, elle m’avait lâché dans une grimace « Pouah ! Tout était froid sauf le champagne. »

La grand mère, toujours elle.

 Les vacances d’été n’ont pas été de tout repos : ma grand’mère a dû être hospitalisée et opérée d’urgence. Jusque-là elle se croyait immunisée par son sang bleu, qui faisait office selon elle de vaccin absolu et d’élixir de longue vie. 
 « Les toubibs ne respectent plus rien. Et là de quoi ai-je l’air, sur ce siège à roulettes ? Quand je pense que nous allions en carrosse doré, autrefois. Une chaise à porteurs passe encore. Un rocking-chair de repos, oui. Mais cette espèce de chariot, non, ça fait très manant, on dirait que tu rentres du supermarché avec un sac de patates… »