Édition Denoël, 244 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

C’est un roman ou sans doute une autofiction, qui se fonde sur la vie de l’auteur qui, comme le narrateur, est d’origine iranienne mais a aussi la nationalité américaine. Enfant, il ne voulait qu’être américain, mais le chemin qu’il va nous raconter dans ce livre c’est son éveil sexuel et le retour vers ses racines iraniennes. Son père, « baba » a raté sa vie en Amérique et, sa colère de raté, il la reporte sur sa femme et ses trois garçons. Sa mère, courageusement reprend une formation d’aide soignante pour faire vivre la famille. L’aîné des garçons Shawn, est une excellent basketteur, Justin un très bon scientifique, et le plus jeune le narrateur a bien du mal à trouver sa place. Il adore sa mère. Toute la première partie raconte une enfance dans une famille désargentée avec un père capable de colères injustifiées et qui dépense l’argent qu’il ne gagne pas. Mais la plupart du temps nous le passons avec des garçons préadolescents surtout doués pour faire des bêtises.

La deuxième partie, se passe en Iran à Ispahan chez le grand père qui ne s’attendait pas au retour de son fils. Rien ne se passe bien, Baba est toujours aussi violent et surtout c’est là que se passe le pire traumatisme de la vie du narrateur : son père le viole. Grâce à la sœur de la maman , les enfants reviennent à Los Angeles.

La troisième partie la famille se reconstruit aux USA , mais ils seront victimes de racisme à cause des attentats du 11 septembre . Le narrateur se sent attiré par les garçons et il assume peu à peu son homosexualité. Un de ses frères s’engage dans l’armée et l’aîné sera peut-être entraîneur de basket.

Ce qui rend ce roman difficile à lire, et qui explique mon peu d’enthousiasme, c’est la langue, je ne sais pas si c’est bien traduit mais il y a beaucoup d’expressions que je ne connais pas, je les comprends dans le contexte mais c’est un peu étrange. Cette expression est dans un de mes extraits mais un moment Shawn dit à son frère ; « on a eu de la chatte » , je pense, que ça veut dire « on a eu de la chance », je connaissais en langue vulgaire « on a eu du cul » mais de « la chatte » jamais.

Mais ce qui est le plus gênant c’est que l’auteur ne traduit aucune expression iranienne, il y en a beaucoup, aucune traduction et aucun glossaire . J’ai beaucoup de mal à comprendre la raison de ce choix.

Il y a des moments d’une grande sensibilité dans ce récit mais la langue le rend difficile à lire et comme tout est vu du point de vue d’un enfant, on a bien du mal à comprendre les autres personnages. On aimerait mieux connaître sa mère, son grand-père. ce qui est vraiment bien raconté c’est l’éveil du jeune à l’homosexualité et sa double appartenance à l’Amérique mais en retrouvant ses racines iraniennes islamiques.

Extraits.

Début.

Après avoir descendu l’échelle de notre lit superposé, je quitte la chambre exiguë que je partage avec mes frères. L’appartement est silencieux et étouffant et Maman est endormie sur le sol du salon. Je franchis la porte d’entrée et la referme sans bruit.

 

Je dois souvent chercher les mots.

Nous suivons Baba à l’arrière du bâtiment, dans une grande salle avec des robinet le long du mur, réservée au wodzu. 

Un père coléreux .

Baba prend maintenant le torchon dans la main de Maman et le pose devant moi en me disant d’essuyer le thé renversé. Il se rassoit, inspire profondément et continue de décharger ce qu’il a en lui, mes frères et moi nous nous taisons à nouveau tandis qu’il étale sa colère sur la table, comme si c’était une chose spéciale qu’il devait nous montrer.

L’auteur ne traduit pas toujours c’est bizarre.

L’avant du taxi s’affaisse dans premier puis un second nid-de-poule et notre chauffeur dit à Baba que c’est une honte, que l’Iran tombe en ruine. Baba réplique qu’il ne faut pas parler ainsi de leur pays mais le conducteur insiste. Natars ãghã, le rassure-t-il, écartant les inquiétudes de Baba d’un geste de la main comme s’il s’agissait de moucherons. Personne ne nous écoute.

Le père a violé le narrateur dans la chambre où dormaient ses trois enfants, donc les aînés ont tout entendu .

En Iran, avec Baba …pourquoi tu ne l’as pas arrêté ?
Mon frère soupire, se relève et, l’espace d’une seconde, j’ai l’impression qu’il va recommencer et me clouer les mains sur le bitume. Il va en fait chercher le ballon et le serre contre lui. Il regarde autour de nous, ce parking abandonné illuminé par le soleil couchant, entouré d’arbres aux fleurs rouges autour desquelles s’agglutinent des essaims d’abeilles, son échappatoire.
Tu réalises pas la chatte qu’on a eue d’être rentrés. Et non seulement ça, mais qu’en plus Baba soit resté en Iran. On peut faire tout ce qu’on veut. Il sourit calmement . « Pas vrai ? » Alors pourquoi tu passerais pas plus de temps à penser à ce qui nous attend plutôt que de ressasser un truc qui est arrivé il y a plus de trois ans ?

La religion.

Je ne me préoccupe pas tant du sens des mots, de ce que veut dire la prière, ou de savoir si Dieu va rejeter la mienne, tout ça parce que, comme l’a dit mon voisin, je ne la récite pas correctement. Je continue pour la sensation que me procurent les versets, pour ne plus avoir peur ni envie de me cacher, me souvenir qu’il y a toujours en moi autre chose que le petit Américain blanc que j’ai tant voulu être et auquel je ressemble. Depuis les attentats, j’ai cessé de prier, faisant comme si le namaz -son calme et son mouvement, la paix que je ressens dans le lien avec Dieu et l’amour pour le pays de mes parents – et toutes ces choses n’avaient jamais existé. Mais la mélodie de ces paroles anciennes, entonnées par la voix puissante de l’imam, me ramène en arrière (…) elle me conduit à cette partie de mon passé que j’ai essayé si fort d’effacer. 


Édition Gallimard, 349 pages, décembre 2023

 

Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour.

 

Voilà un roman pour lequel je n’ai aucune hésitation : j’ai tout aimé et jusqu’à la fin, il est écrit dans une langue claire et précise, quel plaisir de lecture !

Cette autrice raconte le destin d’un homme originaire du Cameroun, exactement d’un petit village sur la côte camerounaise, Campo, qui était un village de pêcheurs du temps de l’enfance de sa mère, et qui devient peu à peu une station balnéaire à la mode.

Trois temporalités et trois voix construisent ce récit.

D’abord, celle de son grand-père Zacharias, pêcheur à bord d’une pirogue qui est marié à une femme énergique et très amoureuse de lui, Yalana. ensemble ils ont eu deux filles, Dorothée la mère du personnage principal et Myriam la petite sœur. Ensemble, il verront arriver la coopérative qui va tuer peu à peu la pêche traditionnelle bien aidée en cela par les compagnies d’exploitation forestière, c’est sa vie et ses rêves qui donneront le titre au roman. La deuxième temporalité est celle de l’enfant de Dorothée, Zack vit avec sa mère dans un quartier très populaire New-Bell, sa mère est devenue une prostituée alcoolique. Zack est l’ami d’Achille et ensemble, ils sont à leur façon heureux mais un drame obligera Zack à s’enfuir du Cameroun à 18 ans, sans dire au revoir à ses amis ni à sa mère. Enfin la troisième temporalité, la voix de Zack devenu psychologue en France et marié à Julienne une psychiatre et père de deux filles. Quand ces trois temporalités se rejoignent , c’est à dire, quand, à 40 ans, il revient au Cameroun, tous les drames de son histoires s’éclairent d’un jour nouveau et lui permettront peut être d’être totalement libre de son destin sans rien renier de son passé.

À travers ce récit, tant de thèmes sont abordés, l’économie post-coloniale, et l’exploitation des populations locales, les injustices dans les pays africains, la force des traditions africaines et leur originalité, le racisme même involontaire en France, les difficultés de l’intégration, les conséquences de l’exil . Et par dessus tout , ce roman est un hymne au courage des femmes, car c’est grâce à elles que Zacharias arrivera à se construire, même si certains hommes ont été là pour lui éviter un sort terrible. Il a eu de la chance dans la vie, celle d’être aimé et de pouvoir suivre des études.

Et je n’oublie pas les descriptions de sites naturels qui m’ont fait voyager bien loin de ma Bretagne très humide et trop souvent grise à mon goût. Voilà j’espère vous avoir donné envie de le lire et de partager mon plaisir.

PS Gambadou avec qui je suis souvent d’accord est plus réservée que moi.

 

Extraits

Début.

À l’endroit où le fleuve se précipite dans l’Atlantique, l’eau est ardoise et tumultueuse. Elle s’éclaircit à mesure qu’elle s’éloigne des côtes, en nuances de gris de plus en plus claires, pour finir par refléter la couleur du ciel lorsque celui-ci devient le seul horizon.
 Le Pêcheur s’était lever tôt, comme à son ordinaire. Il s’éveillait avant Yalana et l’attirait doucement à lui. Elle protestait un peu dans son sommeil mais ne se dérobait pas. De dos, elle venait se lover contre lui dans une douce reptation, et son souffle de dormeuse s’apaisait à nouveau.

Les dangers du métier.

 Son père était pêcheur lui aussi, comme tous les hommes de sa famille depuis que le fleuve est l’océan s’épousaient ici. Un jour il était parti et n’était pas revenu. Un mois d’octobre, en plein cœur de la saison des pluies. Dans ces moments là, les pêcheurs savent que les eaux sont tempêtueuses, violentes et traîtresses : les repères se brouillent, les distances sont mensongères, les courants capricieux. Dans les contes pour enfants, le fleuve femelle s’emplit d’une eau étrangère telle une femme enceinte et l’océan mâle ne peut l’accueillir avec sérénité, alors il se met en colère, il enrage, il déborde et les baïnes sont furieuses. Même les plus jeunes savent que la période n’est pas propice à la baignade, qu’il vaut mieux se tenir loin des époux querelleur. La plupart des piroguiers abandonnent leur activité en pleine mer pour revenir à l’agriculture ou à une pêche moins risquée dans le fleuve. La saison des pluies correspond aux récoltes tous les bras valides sont sollicités.

Le passé du narrateur.

 Le passé remonta dans une houle si violente que j’en fus submergé. La vérité, c’est que ma mère était alcoolique et prostituée. Je l’aimais plus que tout au monde, pourtant je l’avais quitté sans un regard en arrière. Toutes ces années, je ne l’avais pas contactée, j’ignorais même si elle était vivante ou morte.

La fin de la pêche artisanale.

Les chalutiers ratissaient littéralement des bancs de poissons et de crustacés. Un seul d’entre eux produisait dans des proportions auxquelles une dizaine de piroguiers aguerris ne pouvaient prétendre (…).
 Lorsque les premiers dérèglements apparurent les pêcheurs firent preuve de bonne volonté, ils travaillèrent davantage. Mais leurs conditions continuèrent de se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus rembourser leurs dettes. C’est alors que la coopérative leur fit une dernière proposition : ils devaient travailler gracieusement à bord des chalutiers jusqu’au solde de leurs créances ensuite seulement ils recommenceraient à percevoir un salaire complet.

Les bourses.

 Et j’inventai le reste : mes parents morts tous les deux dans un accident de voiture, le rejet du reste de la famille, puis la chance de bénéficier d’une bourse d’étude grâce à mes résultats scolaires. Le tout se tenait tant que je n’avais pas à faire à des Camerounais. Eux savaient que le gouvernement n’attribuait plus de bourses, celles qui existaient étaient offertes par des organismes internationaux ou directement par des universités occidentales, et les élèves pauvres n’y avaient pas accès, elles disparaissaient dans les réseaux de gosses de riche.

La fuite dans l’exil.

 Je n’ai pas craqué tout de suite, ça m’a pris plusieurs mois. Il m’aura fallu tomber sur l’enquête du journaliste à propos du clochard retrouver mort par les éboueurs, non loin de l’avenue des Champs-Élysées. Des années d’évitement, de faux-semblants, de manques et de doutes ont soudain déferlés. Toutes les années, tous les instants, un à un sans répit, sans pitié. Personne ne devrait partir de chez lui comme Sunday et moi. Couper tous les ponts, larguer les amarres et ne plus pouvoir revenir en arrière. Nous ne devrions pas avoir à avancer sans repères, sans protection, nous délester de tout ce que nous avons été, s’arracher à soi en espérant germer dans une nouvelle terre. Ceux qui ont ce privilège voyage l’esprit léger. Ils partent de leur plein gré sachant qu’ils peuvent revenir quand bon leur semble. Nos périples à nous ne prévoient aucun retour nous ne sommes pas des voyageurs mais des exilés. L’exil est un bannissement et une mutilation, il y a là quelque chose de profondément inhumain. Quel que soit le danger que l’on fuit et le soulagement de s’en éloigner, chacun mérite de garder quelque part en lui l’espoir d’un retour. Et puis ici aussi dans cet éden étincelant, des enfants meurent d’être délaissés, mal-aimés, maltraités. Les terres lointaines ne tiennent pas leurs promesses. 

L’intégration.

Je suis comme beaucoup d’immigrés, à chaque dégradation, délit, crime, chaque fois qu’un fait divers s’étale à la une des journaux, ma première pensée ne va pas à la victime, mais à la personne incriminée. Je pense d’emblée : « Pourvu que ce ne soit pas un Noir. » Il n’y a pas de singularité possible, nous sommes une communauté pour le pire. Les meilleurs d’entre nous, ceux qui se distinguent positivement, sont français, les pires sont ramenés à leur statut d’étrangers. Rien n’est acquis, le premier imbécile venu peut vous dire : « Rentrez chez vous », comme on vous foutrait à la porte. 


Édition « le bruit du monde », 229 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a un un vrai talent pour faire vivre devant nos yeux des personnages populaires qui sont souvent les oubliés de la grande Histoire. Rose est une enfant née d’une femme qui l’a abandonnée sur le seuil d’une famille qui l’a élevée comme le veut la tradition Corse. Sa naissance se passe en 1908, elle sera heureuse de pouvoir quitter cette famille où elle a eu peu de place pour épouser un homme frustre mais qui ne la rendra pas malheureuse. Dès qu’ils le pourront, ils partiront à Toulon où Paul Dominique, son mari, et leurs trois enfants se bâtiront une vie de labeur, son mari sera ouvrier à l’arsenal. Après la guerre 39/45, Rose va connaître Farida, une Algérienne qui va l’éveiller à la vie, à la lecture, et à la vie politique. Toute cette première partie qui représente les deux tiers du livres m’ont vraiment enchantée, Farida vit dans un bidonville pas très loin de la maison de Rose, peu à peu, Rose connaîtra tous les habitants de ce bidonville. Les habitants sont surtout des Algériens et parfois des Portugais. Après la guerre d’Algérie et le départ de Farida, j’ai trouvé que le roman s’est essoufflé.

La vie de Rose n’est pas racontée de façon linéaire, elle parle de sa fille, Nonciade, on sent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible. On comprendra pourquoi Rose est si éteinte quand elle rencontre Farida, la mort de Nonciade est une des clés pour comprendre Rose. Mais sa naissance et son enfance explique bien des traits de son caractère. Son mari, ses enfants sont plus difficiles à comprendre, ils restent en arrière plan. Pourtant son mari, a une belle personnalité et j’aurais aimé en savoir plus sur lui.

L’amitié entre Farida et Rose, est la partie la plus riche du roman. Cela permet au lecteur de comprendre la situation des Algériens en France, et qui permettra à Rose de sortir de son deuil. L’auteur a voulu aller au-delà de cette période, pour élargir l’engagement de Rose vis à vis de tous les émigrés si mal accueillis en France. Ça ne marche pas vraiment, car d’une relation intimiste d’amitié de deux femmes qui se libèrent de carcans différents, on arrive à une dimension sociale contemporaine où leur histoire se dilue .

Je ne peux que vous conseiller cette lecture au moins pour les trois quarts et peut-être, que vous serez même conquis par la fin. Le style de l’auteur est très particulier sans aucune fioriture, il semble parfois brutale à force de simplicité.

 

Extraits

Début.

 » Tu verras aucun homme ne peut résister à la couleur du henné », me dit Farida. Je souris.
 Je suis la danse de ses doigts au-dessus de ma tête, séparant chaque mèche du reste de ma chevelure, avant de l’enduire d’une couche épaisse depuis sa racine. De son visage je ne vois que ses lèvres charnues, colorées de carmin, son menton rond, la courbe ample de son cou. De son corps, ses épaules pleines, sa poitrine généreuse que je lui envie tant, sous la gandoura.

Naissance.

Février 1903 commune de Belgodère, Haute-Corse. Je rentre brutalement dans le monde – la date exacte de ma naissance jamais établie. Simplement arrêtée par notre maire, quelques jours plus tard, au dix-huit du mois après observation des fontanelles de mon crâne, et examen de la peau fripée de mes mains et de mes pieds.
 Depuis plusieurs semaines, le froid s’est installé. Le gel s’attarde sur les chemins jusqu’à tard dans la matinée. Il n’y aurait jamais eu autant de fractures au village que cet hiver là. On m’a langée d’un linge de drap. Enroulée dans un châle de laine grise. Passée un bonnet trop large qui me descend jusque sur les yeux. Déposée au petit matin sur le pas de la porte d’une maison qui allait devenir la mienne. Et la femme qui y habitait, ma mère adoptive par la force des choses. Désignée ainsi par la main innocente et anonyme qui m’a abandonné là, quelques heures plus tôt. Contrainte bon gré, mal gré d’en accepter la charge. Comme le voulait alors la coutume dans nos villages.

 

Le titre.

Heureusement je suis protégé par l’œil de la perdrix.
– L’œil de la perdrix ?
Elle a pointé du doigt son front où était tatoué ce petit losange dont chaque extrémité renflée ressemblait à une croix. Il m’intriguait. Depuis notre première rencontre. Mais je n’avais pas osé lui en demander l’origine ni le sens. J’avais toujours pensé que les marques sur les corps, qu’elles soient rituelles ou de naissance – je me souviens de cette tâche de vin qu’avait notre voisin au village, sur tout un côté du visage, de la base de données à la naissance du cou -, ne justifiait aucune indiscrétion.
– C’est ma mère qui me l’a fait tatouer. Elle avait le même sur son front est sur ses joues. C’est nous dans le Mzab, la perdrix est le signe de la beauté et de la grâce. Mais surtout elle préserve du mauvais sort.

La place de la femme .

Je repense au mari de ma mère adoptive, à la naissance de son premier fils. Sa mine des bons jours, son air guilleret, se frappant la cuisse de joie. Buvant des canons. Invitant autour de lui. Faisant venir tout exprèsde Bastia un daguerréotypeur pour immortaliser l’évènement, sacrifiant un agneau pour le dédommager – les photos encadrées au-dessus de la cheminée. Reproduisant la chose à l’identique pour le suivant. Ses fils. Mes frères. Princes attendus. Comme venus du ciel. Prenant toute la place qu’on leur laisse. Sans partage ni brutalité. Donation de droit divin. Nous à leurs côtés, ma mère adoptive et moi, réduites aux restes. Étrangères à leur solidarité d’hommes. Cantonnées aux rôles des grandes muettes.


Édition Grasset, 282 pages, août 2024

J’étais devenu comme eux. Pas mieux.

Il a écrasé sa cigarette, avant de conclure :

– Le cycle de la vengeance est sans fin, petit frère. 

J’avais tant aimé « Petit Pays » que je savais que je lirai « Jacaranda » . J’ai lu des critiques mitigées à propos de ce roman. Je trouve cette lecture indispensable, quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à la construction romanesque. Ce roman suit l’histoire de Milan né (comme l’auteur) d’une mère Rwandaise et d’un père français. Milan vit à Paris, et cherche à savoir ce que sa mère a vécu. Cette quête sur sa famille et le passé de sa mère que nous ne découvrirons qu’à la toute fin du roman, permet à l’écrivain de raconter son pays qui a cherché à exterminer toute une partie de sa population. La construction du livre n’est pas simple, car on va d’un personnage à un autre et d’une époque à une autre. Ces gens sont si meurtris par ce qu’ils ont vécu que bien peu acceptent de parler, un peu à l’image de sa mère qui aura du mal à exprimer ses sentiments vis à vis de son fils. La pudeur lui est sans doute naturelle mais on devine que les souffrances ont fermé son cœur et l’ont laissée sans voix comme si l’horreur l’empêchait à tout jamais de montrer la moindre faiblesse. Deux personnages accepteront de raconter les massacres, Eusébie, la mère de Stella la petite fille qui se réfugie dans le Jacaranda devant chez elle dès qu’elle se sent mal. Eusébie qui n’a rien voulu dire à sa fille, le fera devant des milliers de personnes dans le stade , où tous les ans se réunissent les Rwandais qui ne veulent pas oublier. Elle est survivante d’un massacre qui a vu mourir ses 5 enfants, son mari et ses voisins . Stella est née après et elle veut comprendre son pays, elle recueillera les confidences de sa grand-mère Rosalie qui lui raconte le Rwanda d’avant , ce pays où on ne cherchait pas à savoir si on était Hutu ou Tutsi.

L’autre rescapé de ce génocide c’est Claude, qui a vécu un moment avec Milan en France, il fait partie de la famille de sa mère, mais celle-ci le renverra au Rwanda sans aucune explication. Quand Milan revient au Rwanda, c’est toujours vers Claude qu’il revient. Il cherche à l’aider même financièrement sans grand résultat. Le coup de machette qui a été porté à la tête de Claude l’empêche de pouvoir faire des études et comme toute sa famille a été assassinée il décide très tôt de se venger en tuant à son tour l’assassin de sa famille qui est pour l’instant emprisonné. Il vit chez Sartre un Hutu qui recueille des orphelins Tutsis .

C’est vrai que l’on se perd un peu au milieu de tous ces personnages, mais la ligne directrice de l’auteur est claire : comment pardonner et comment vivre ensemble, les victimes étant obligées de vivre au milieu de leurs bourreaux ? C’est si difficile et le lecteur se demande tout le temps si c’est possible. L’auteur veut aussi nous aider à comprendre le génocide mais c’est si énorme que cela reste incompréhensible. Traiter des êtres humains de « cafards » et les déshumaniser explique- t’il toute la haine avec laquelle les Hutus ont recherché le moindre Tutsi pour l’assassiner à coups de machette. Je reste avec mes questions et ma peine de devoir perdre encore un peu plus mes illusions sur l’humanité

Extraits

Deux débuts

Premier en italique.

 Stella s’était précipité dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. Son ami, son enfance, son univers. Les hommes aux machettes étaient sales, luisants de sueur, satisfaits d’eux-mêmes. Elle avait poussé un cri de terreur avant de tomber à genoux dans l’herbe, la main pressée sur son ventre, le visage en feu. 
Depuis ce jour Stella est internée.

Deuxième début.

 1994
La guerre ! J’ignore pourquoi j’ai répondu « la guerre » quand Sophie, la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe, m’a demandé pour quelles raisons mes résultats du dernier trimestre étaient si catastrophiques. Elle a insisté  : »la guerre ? » J’ai répété : « Oui, la guerre.  » Je n’allais quand même pas avouer que je n’avais rien foutu, que j’étais un tire-flanc qui passait son temps à rêvasser et à écouter du rock. Il fallait trouver une explication convaincante, impossible à vérifier, et qui puisse émouvoir le conseil de classe.

L’insoutenable témoignage d’un responsable des tueries.

 C’est Gaspard qui a insisté pour qu’on ne tue pas les autres dans la bananeraie. Il ne faisait que répéter les ordres du bourgmestre qui avait demandé de ne pas laisser les corps pourrir sur les collines pour des questions d’hygiène. C’est Gaspard qui a eu l’idée de déshabiller les Tutsi et de récupérer les habits avant qu’ils ne soient tâchés de sang. Les autres étaient d’accord, ils voulaient offrir de beaux cadeaux à leurs filles et à leurs épouses en rentrant le soir chez eux après le travail. Quand le groupe a été entièrement nu, nous nous sommes mis en route. J’en vois certains, ici, dans cette assemblée qui me regarde comme un criminel. Mais ce jour-là, en traversant le village, les mêmes qui me jugent aujourd’hui étaient sur le bord du chemin à pointer les Tutsi du doigt, à se moquer du corps des femmes, à leur cracher dessus, à leur jeter des pierres, à les traiter de cafards et de serpents. J’ai peut-être tué de mes mains mais vous les avez toutes condamnés à mort par vos regards sans pitié, vos mots et vos pensées. Vous ne valez pas mieux que moi ! Je devais dire cela. Je continue. Là-haut, sur la colline se trouvait une fosse d’aisance que nous avions déjà utilisée pour jeter quelques Tutsi dans les premiers jours des massacres. Une fois devant, les petites filles se sont agenouillées et ont commencé à s’excuser d’être tutsi. Les femmes savaient que c’était fini. Nous avons précipité toute la famille dans la fosse sceptique. Après nous avons rebouché avec une dalle de béton.

Les Belges.

 Le 16 avril 1994, les patients et de nombreuses personnes ayant trouvé refuge dans le bâtiment ont été abandonnées par les soldats belges. Je me souviens des images à la télé, de ces milliers de personnes levant les bras en l’air, implorant l’aide du contingent belge, qui finit par évacuer uniquement les Occidentaux et leurs animaux de compagnie alors que l’hôpital était cerné par les tueurs.

 


Édition Julliard, 213 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique.

Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche.

Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs.

Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort !

Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc.

Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens.

On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.

 

Extraits

Début.

 Sœur avait trois jours devant elle pour payer les dettes de notre défunte mère Malika.
Pas un jour de plus.
 Elles ont dit que c’était la tradition marocaine qui l’exigeait.
 Je n’ai jamais entendu parler de cette tradition mais j’étais avec elles, les sœurs, de leurs côté. J’ai proposé de participer moi aussi aux règlements des dettes. Elles ont catégoriquement refusé.
 C’est une affaire de femmes, Youssef. C’est à nous, ses six filles, que reviennent cette charge. Pas à vous nos trois frères. Cela fait partie de notre héritage. Les hommes n’ont rien à voir là-dedans.

J’aime ce passage.

Mes six sœurs sont toutes plus âgées que moi. Elles s’appellent Kamla (la Parfaite), Farida (l’Unique), Hadda ( la Tranchante), Sandra (la Veilleuse) , Ilham (l’inspiration) et Ibtissam (la Souriante) .

Le rejet de l’homosexualité.

 (Kaddour) Kaddoura a vécu dans le péché dans le « haram ». Allah ne pardonne pas ce péché.. C’est parmi les plus grands péchés, l’homosexualité.. Kaddoura ne s’est jamais repentie. Il paraît que Kaddour a continué sa mauvaise vie de pédale à Marrakech, Agadir et Ouarzazat. Quelle honte. Personne ne devait aller au funérailles de Kaddour. C’était un mécréant. Un homme du côté du diable.
 En l’espace de deux heures seulement, la mémoire du quartier de Khabazat accueillait de nouveau kaddour pour le rejeter de nouveau. Même mort, Kaddour n’a pas été accepté L’imam de la mosquée n’a pas voulu s’occuper de sa dépouille. Ni réciter pour lui la prière des morts. Presque personne ne s’est rendu ce soir-là au repas des funérailles de Kaddour.

Le hammam.

 Le monde triste et ses misères n’ont pas le droit de cité ici. Même les hommes ne se comportent plus vraiment comme des hommes. Ils deviennent vulnérables. Ils offrent aux autres leur corps et leurs espoirs les plus secrets. Ils se lavent bien comme il faut et ils n’oublient jamais d’aider les autres à le faire. Le Maroc est un royaume c’est vrai. Mais la véritable démocratie n’existe que dans les hammams.

L’extrême pauvreté.

J’ai immédiatement reconnu l’atmosphère d’autrefois. L’odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. Le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur le autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l’essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupi. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtée. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du « mektoub » .

 

Édition Albin Michel, 419 pages, mai 2024

Traduit de l’anglais par Paul Matthieu

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Prenez tout votre courage pour lire ce roman, vous partirez dans les scènes de saouleries à la bière, de rails de coke à vous exploser le nez, de bars glauques où on a le droit de mettre la main aux fesses des serveuses, des coups de poing qui partent en bagarre sans qu’on sache pourquoi, d’une mère dépassée et d’un père violent et qui a abusé son fils aîné aujourd’hui totalement détruit. Je dois avouer que les scènes d’alcool et de drogue ont fini par me lasser. Le personnage principal avait pourtant fait des études mais il est revenu à Belfast où l’attendait des « amis » qui n’avaient jamais quitté cette ville où, semble-t-il, être à jeun est totalement anormal. Le pire c’est cet effet d’entraînement où personne ne peut résister à celui qu’offrent l’alcool et la drogue. C’est terrible et tellement répétitif . Pourtant, le personnage est attachant et si je n’avais pas été tellement dégoûtée par toutes le scènes de beuveries j’aurais lu plus attentivement ce roman pour mieux comprendre son intérêt : cerner la difficulté d’être vraiment maître de sa destinée sans pour autant renier ses racines.

Extraits

Début

 C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. Une fille s’est précipitée et m’a poussé : Pourquoi t’as fait ça ? Le type était étendu par terre, à mes pieds et il y avait des gens partout autour qui braillaient. Le temps que je réussisse à m’extraire de la mêlée, deux Land Rover sont arrivées. Un flic à l’air blasé et au front dégarni s’est approcher de moi.

Mac do le soir

 Les lumières étaient d’une blancheur impitoyable, tout le monde avait une tête de déterré, et il régnait une ambiance vraiment atroce, cruelle, comme à la cantine du lycée, sauf que là tout le monde est bourré et se croit super marrant. Pour les pauvres clampins derrière les caisses, c’était l’horreur. J’avais sincèrement pitié pour eux. Ce n’est pas comme bosser dans un bar, il n’y a pas la musique pour faire écran, et les gens peuvent vraiment être infects quand ils sont torchés . Ils ne pensent pas à mal, la plupart veulent juste rigoler, mais quand vous êtes debout depuis midi et qu’il est deux heures du mat, la dernière chose dont vous avez envie c’est de vous faire gueuler dessus par un connard ivre mort qui trouve que son Big Mac met trop longtemps à arriver. Rien qu’à voir ça tu en viens à détester le monde entier.

Son frère

 Parce que Anthony selon toute probabilité, se mettrait en quête d’un autre endroit où aller dès que le bar annoncerait que c’était l’heure des dernières commandes, et si vous aviez une piaule à dispo pas loin, sans personne, pas de femme, pas de gamins, il viendrait squatter chez vous. Pas moyen d’y échapper. De sorte que boire avec lui quand vous n’étiez pas au même niveau vous donnait l’impression de subir une forme de torture . Sa mission était de vous faire sombrer aussi bas que lui. Et au bout du compte c’était ce qui rachetait tout ce calvaire, parce que une fois que vous étiez aussi ravagé que lui vous pouviez vous éclater comme jamais.

Le ton du livre et c’est à peu près tout le temps comme ça

 On n’avait pas prévu de boire autant ce jour-là, mais il faisait un temps agréable et il y avait plein de bars dont les terrasses se remplissaient à mesure que l’après-midi avançait, ce qui nous permettait d’économiser quelques billets en finissant les pintes les gens laissaient sur les tables au moment de s’en aller.


Éditions de l’Olivier, 380 pages, aout 2002

Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Voilà un livre sans grand intérêt et qui est long, mais long , on n’en finit pas de s’ennuyer ! . Je dois avouer que, parfois, j’ai fait de la lecture en diagonale. Il est au programme de mon club de décembre dont le thème sera « l’Irlande ». Ce livre racontant la vie de trois amis habitant à Dublin, il y avait donc complètement sa place Je n’aime pas participer aux discussions de mon club sans avoir lu le livre, donc je me suis imposée ce pensum !

Deux amies Eileen et Alice ont fait leurs études ensemble avec Simon, Alice a écrit deux romans qui l’ont rendue très célèbre et elle ne supporte pas cette soudaine célébrité et fait une grave dépression, elle va mieux et loue une maison au bord d’une falaise et rencontre Felix un homme qui n’a pas fait d’études et elle noue avec lui une relation compliquée. Eileen travaille dans une petite revue littéraire et est très mal payée, enfin Simon qui a toujours été proche d’Eileen travaille au parlement. Les trois personnages principaux sont sans grand intérêt, Felix sans être très sympathique est plus intéressant.

Voilà le cadre, les relations entre ces personnes sont compliquées, elles sont attirées puis se repoussent et retournent ensemble … Les deux amies commentent toutes leurs relations dans de très longs mails, où elles se disent tout, elles décrivent par le menu les relations sexuelles et elles sont très actives  ! elles parlent aussi de leur doutes par rapport à leur vie , la politique, la religion et pour Alice la création littéraire et les conséquences du succès.

Ce roman se veut moderne et sans tabou il est surtout terriblement répétitif et ennuyeux. Je me demande bien à qui il peut plaire ? aux amateurs de scènes érotiques, peut-être car l’autrice a beaucoup d’imagination et de talents pour les décrire.

Extrait

Début

 Dans un bar d’hôtel une femme assise à une table surveillait la porte d’entrée. Elle avait une apparence soignée : chemisier blanc, cheveu blond coincée derrière les oreilles. Elle a jeté un coup d’œil sur son téléphone puis à de nouveau diriger son regard vers l’entrée. En cette fin mars le bar n’était guère fréquenté.

Problème de traduction ?

 Je pense qu’elle a deviné que c’était un date. Faut pas chercher plus loin.
PS depuis grâce à Sacha je sais que « date » est utilisée dans la jeune génération !

Un passage pour expliquer pourquoi ce roman n’est pas pour moi

 Tu as pleuré, à l’époque ?
 Pas au sens propre. Si c’est que tu veux savoir. Je n’ai pas pleuré pour de bon, mais ouais, j’étais furax.
 Ça t’arrive de pleurer ?
Il a eu un petit rire.
Non. Et toi ?
Oh, tout le temps.
Ah ouais ? Et tu pleuré pour quoi ?
 Pour n’importe quoi. J’imagine que je suis très malheureuse. Il l’a observée.
Vraiment ? Et pourquoi ça ?
 Aucune raison particulière. C’est ce que je ressens. Je trouve ma vie difficile
 Au bout d’un moment il a de nouveau regarder sa cigarette et il a dit : Je ne crois pas avoir bien compris la raison pour laquelle tu es venu habiter ici.
 Ce n’est pas une très belle histoire. J’ai fait une dépression nerveuse. J’ai passé quelques semaines à l’hôpital et, à ma sortie, je suis venu ici. Il n’y a rien de mystérieux là-dedans. Il n’y avait aucune raison de faire cette dépression, je l’ai faite c’est tout. Et ce n’est pas un secret tout le monde de sait.

Le plastique, genre de considération sur le monde « admirable »

 Ma théorie c’est que les humains ont perdu le sens de la beauté en 1976,l’année où le plastique est devenu le matériau le plus utilisé au monde. Tu peux voir ce processus s’opérer si tu regardes les photos d’une rue avant et après 1976. Je sais qu’il y a de bonnes raisons d’être sceptiques quant à la nostalgie esthétique, il n’en reste pas moins qu’avant 1970, les gens portaient des vêtements en laine et en coton conçu pour durer, qu’ils mettaient les liquide dans des bouteilles en verre, qu’ils enveloppaient la nourriture dans du papier et remplissaient leur maison avec des meubles en bois de qualité. Maintenant, la plupart des objets de notre environnement visuel sont en plastique, soit la substance la plus laide sur terre, ce matériau qui, quand on le colore ne se contente pas d’absorber la teinte mais exsude sa couleur de façon laide et inimitable.

 


Édition Gallimard, 709 pages, Juin 2024

Traduit de l’allemand par Babara Fontaine

 

 Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est d’apprendre à s’aimer grâce aux regards des hommes. C’est l’erreur que font la plupart des femmes…

J’avais beaucoup aimé « le chat le général, et la corneille », je suis donc ravie de pouvoir participer au mois des feuilles allemandes avec ce titre. Cette autrice a adopté l’Allemagne comme pays d’exil, elle s’exprime à travers des romans conséquents en nombre de pages ! Si 700 pages très denses ne vous font pas peur, partez avec elle pour découvrir ce qu’il s’est passé en Géorgie à la chute de l’empire soviétique. La lecture de Wikipédia, vous en apprendra autant sur les soubresauts de ce pays depuis cette période. Mais ce genre de phrases qu’on lit dans l’ article de Wikipédia : « Mais Tbilissi se heurta à une opposition armée et soutenue logistiquement par la Russie. En un peu plus d’une année, la guerre fut gagnée par les séparatistes qui déclarèrent à leur tour leur indépendance et se livrèrent à un nettoyage ethnique des Géorgiens présents sur ce territoire », permet-elle de réaliser le nombre de gens qui ont tout perdu, de femmes violées, de jeunes qui sont morts ou gravement handicapés  ? C’est ce désespoir que cette autrice veut rendre palpable à travers son livre. Une autre raison de lire ce roman, c’est de ne pas être étonnée des résultats des récentes élections en Géorgie.

Le roman suit le parcours de quatre amies du lycée, Keito, la narratrice, Dina, celle qui ose tout, Nene, la séductrice, et Ira, la première de la classe. Pour donner corps au récit, le roman se situe, vingt ans après les faits qui ont déchiré leur pays et fait éclater leur groupe. Dina est devenue une photographe reconnue, on sait tout de suite qu’elle est morte et on apprendra très tard comment. Anano , sa petite sœur a organisé une exposition récapitulant son œuvre. Les trois amies se retrouvent, donc, devant des clichés qui, au delà de leur beauté admirée dans le monde entier, représentent aussi des moments forts et le plus souvent tragiques de leur vie.

Le roman dévoile peu à peu les secrets qui leur pèsent si fort à toutes les trois. Le mélange de la guerre, et des clans de mafieux qui dominaient la Géorgie à cette période ont fait de leur jeunesse un brûlot : elles ont perdu toute leur naïveté , mais, en même temps c’est l’âge où on tombe amoureux et peut-être que cette période de dangers a rendu ce sentiment encore plus fort. De photos en photos, Keito revoit se dérouler son passé, l’enfance où les personnalités ont commencé à se dessiner. Keito est élevée par un père scientifique, elle a perdu sa mère qui avait quitté son père, son frère Rati, veut devenir chef de bande dans le quartier, et il s’oppose pour cela à la famille de Nene. Elle est l’amie de cœur de Dina, qui est élevée par une mère artiste et peu conventionnelle, Dina n’accepte aucune contrainte si elle l’estime injuste et a un courage peu banal, Nene a un charme fou qui attire tous les hommes mais elle est, aussi, membre d’une famille de caïds mafieux qui fera son malheur, enfin Ira la première de la classe qui apprend tout sans effort apparent, jouera le premier rôle dans la fin tragique de leur amitié .

La tragédie de la destruction de la Géorgie, va libérer les forces malfaisantes des groupes politiques, et comme l’état n’existe plus ce sont les mafieux qui feront la loi. Le frère de Keito , Rati est amoureux de Dina, mais en jouant les chefs de bande, il contrarie des gens tellement plus puissants que lui. Il est jeté en prison et il faut que sa famille réunisse une grosse somme d’argent en dollars pour le faire sortir, car bien sûr tout s’achète ! Le drame va se nouer là, car Keito et Dina trouveront bien l’argent mais pour sauver un jeune garçon attaqué par des bandits prêts à le tuer, elles lui sauvent la vie en donnant aux malfrats l’argent prévu pour sortir Rati de prison. Dina qui est une fille superbe , va utiliser ses charmes avec l’ennemi juré de Rati pour obtenir quand même sa libération. Cet homme est l’oncle mafieux de Nene.
Non, je ne dévoile pas tout le roman, je veux simplement vous expliquer le terrible engrenage dans lequel ces quatre jeunes filles ont été enfermées sans pouvoir s’en sortir : leur situation personnelle est très compliquée, le monde extérieur les piège sans cesse. Il y a parfois des moments harmonieux, comme les relations de Keito avec l’homme qui la formera en restauration de tableaux, mais même ces moments là sont gâchés par la violence extérieure. Et puis, il y a entre elles quatre, ce pacte d’amitié qui les oblige à toujours être là pour les autres. Chacune à sa façon tire les ficelles qui, comme des cordes autour de leur cou, les étrangleront. Et celle qui porte le plus lourd dans cette tragédie c’est Ira, la première de la classe qui par amour pour Nene fomentera une vengeance implacable qui fera définitivement exploser leur amitié en mille morceaux .Vingt ans après, pourront-elles de nouveau se parler devant les photos de Dina ?

Les allées et retour entre l’exposition de photos dans un cadre si agréable et apaisé de Bruxelles au milieu des gens raffinés et cultivés et la violence de la vie de ces jeunes filles à l’image de tout un peuple sert admirablement ce roman. Malgré ses 700 pages, je ne l’ai pas trouvé trop long mais … terriblement désespérant.

 

 

Extraits

 

Début

 

Poème mis en exergue qui donne le ton du roman

 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
 Je me suis tant habitué aux fantômes
 Que je reconnais leur trace dans la neige.
 Je me suis tant habitué à la douleur
 Que je noie mes poèmes dans les larmes.
 Je me suis habituée aux ténèbres
 Que la lumière me serait une torture.
 Je me suis tant habitué à la mort
 Cela me surprend d’être encore en vie.
Terenti Graneli
Élégie du nouvel an

Début.

Thiblissi 1987
 La lumière du soir se prenait dans ses cheveux. Elle allait y arriver, elle allait surmonter cet obstacle aussi, appuyer de toutes ses forces son corps contre le grillage, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus opposer à son poids qu’une faible résistance, gémisse à peine et finisse par céder. Et elle ne forcerait pas cet obstacle que pour elle, mais aussi pour nous trois, afin d’ouvrir la voie de l’aventure à ses inséparables compagnes

Un garçon de Géorgie.

 Il était fou de musique et ne se contentait pas d’aimer la musique classique, il s’y connaissait aussi étonnamment bien. Contrairement à moi, il avait manifestement tiré profit des longs après-midi chez oncle Guivi que sa mère lui avait également imposés. Il avait une vraie sympathie pour l’art, mais à la différence de son frère il n’avouait pas franchement se penchant un parce qu’il ne voulait pas sortir de son rôle de voyou dur et inébranlable En tout cas, il cherchait quelqu’un avec qui partager cet aspect plus doux de sa personne. Parfois, je me demandais ce qui m’empêchait de traverser la cour pour lui rendre visite et continuer nos conversations dans le calme nécessaire, mais quelque chose en moi sentait qu’en franchissant ce pas je mettais un péril notre fragile et prudent proximité, et donc je m’abstenais.

Les deux grands mères

Les baboubas se ressemblaient en autant de points qu’elles se distinguaient par ailleurs. L’heure friction permanente générerait une énergie qui les maintenait en vie. Les années passant, elles semblaient devenir de plus en plus dépendantes de cette source d’énergie et quand il n’y avait pas de sujet de dispute actuel, quand aucun conflit extérieur ne se présentait, elles invoquaient une divergence d’opinions, provoquaient une querelle. Leurs disputes semblaient les stimuler, les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes, c’était le moyen pour elles de garder leur esprit alerte, comme les gens qui pratiquent une activité physique tous les jours pour rester en forme.

 

On lit souvent ce genre d’angoisse annoncée depuis le début du roman, là nous sommes pas 219

 C’était sans doute la dernière journée où tout avait encore lieu selon un ordre ancien et familier, le dernier jour avant que tout commence à s’effondrer autour de moi comme dans une chorégraphie apocalyptique particulièrement cruelle, qui se déroulait au ralenti. Mais c’était aussi un des derniers jours où ma ville se ressemblait encore, avant qu’elle aussi ne revête un autre habit, ensanglanté.

Misère de la Géorgie

 Continuellement, nous formions des files interminables dans l’espoir d’obtenir du pain de mie dur et insipide, dans l’espoir d’une vie meilleure, dans l’espoir de recevoir des aliments qui nous étaient envoyés des États-Unis sous forme d’aide humanitaire et se revendaient sous le manteau à des prix exorbitants. Nous faisions la queue dans l’espoir de récolter un peu de miséricorde. Nous faisions la queue en entendant les derniers potins, les files d’attente étaient une nouvelle espèce d’agence de presse qui fonctionnaient même sans électricité. Nous faisions aussi la queue parce que le temps passait plus agréablement à attendre et avoir froid ensemble. Nous allions devant les magasins dévalisés, aux volets fermés pour nous assurer une place dans la file d’attente plusieurs heures avant la livraison attendue, pour du pain, du bois, des haricots du lait en poudre américain.

Vision de pays plus favorisés que la Géorgie

 Ce nouveau monde lumineux m’effrayait autant que celui qui m’était familier. Je ne connaissais pas ses lois, je ne connaissais ni l’ordre paisible, ni les règles d’une conversation raffinée, ni les restaurants chics proposant des plats originaux. C’étaient des contes de fées étrangers tirés de livres ou de films dans lesquels on se traitait avec respect et flânait pieds nus dans des parcs verdoyants dans lesquels on ne rendait visite à ses parents que les jours fériés et passait ses vacances dans des pays ensoleillés dans lesquels on conduisait de belles voitures où pendouillaient des arbres magiques et où on conservait entre ses quatre murs grâce aux magnets collés sur le frigidaire, tous les lieux qu’on avait visités -des livres ou des films dans lesquels on achetait à prix d’or des bouquets de fleurs savamment composés, pour le plaisir des yeux, sans occasion particulière pour mettre dans des appartements meublés avec élégance. C’était des contes de fées d’un monde où les jeunes gens pouvaient rester jeunes longtemps, dans lequel ils avaient le luxe de se chercher eux-mêmes et de se trouver.

La drogue

 Depuis l’invasion soviétique en Afghanistan, l’héroïne coulait à flots en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. La chute du grand empire et les nouvelles frontières qui en résultaient, qui n’étaient ni sécurisés ni même marquées avaient ouvert la porte au commerce illégal. Le trafic de l’opium brut, sa transformation en morphine base puis en héroïne, était une mine d’or qui générait encore plus de rackets, de vols, de prostitution et de jeu de hasard, et appelait des structures organisées.


Édition le livre de poche, 279 pages, mai 2024

Traduit de l’allemand par Dominique Autrand

 

Ce roman ira très bien dans le mois de littérature allemande

C’est à travers une rencontre agréable dans une librairie de Dinan que j’ai acheté ce roman. Le très jeune libraire qui venait de le finir m’a dit avoir été séduit par le cheminement de deux femmes qui arrivaient à se réparer mutuellement. C’est le cœur du roman, une jeune fille anorexique de 17 ans qui s’auto-mutile et qui fugue de tous les centres dans lesquels on la place pour « l’aider », rencontre une femme de 50 ans paysanne qui lui offre l’hospitalité. Cette femme ne cherche pas à la retenir, mais peu à peu elles vont s’apprivoiser et se faire confiance. On découvre au fil de la narration le lourd passé de Lizz, la paysanne que tout le village rejette. Dès le début, on sait qu’elle aussi était malheureuse dans sa famille, avec un père tellement strict qu’il enlevait toute joie de vivre aux gens qui vivaient à ses côtés. Elle fuira cette vie avec un garçon qui s’avère violent et peu intéressant. Ensemble ils auront un enfant. Je m’arrête là pour vous laisser découvrir le fil de la narration.

Sally, la jeune révoltée, fuit un milieu familial trop conformiste mais qui voudrait lui redonner le goût de la vie.

Lizz sans vouloir vraiment le faire s’y prend mieux que tous les thérapeutes , car elle n’oblige pas la jeune fille à vivre chez elle, elle peut partir quand elle veut, mais c’est à travers le travail de la ferme que Sally va retrouver le goût de vivre. Et voilà l’autre intérêt du roman, la description minutieuse du travail dans une ferme rhénane : la cueillette des fruits, leur transformation en alcool, le travail de la terre, les vendanges. L’auteur sait rendre les atmosphères humides et fraîches des petits matins dans les vignes. il sait décrire aussi le changement du regard de Sally sur la campagne environnante, et enfin visiblement, il connaît bien les tourments de l’adolescence.

J’ai une réserve sur la crédibilité des personnages, il est rare selon moi qu’une anorexie aussi sévère ne vienne que du côté routinier des parents. Le le secret de Lizz est bien lourd à porter et l’ouverture finale, le rapprochement possible de Lizz et de son fils me semble vraiment difficile à réaliser. Je demande sans doute trop à la création romanesque, alors que, Ewald Arenz, décrit si bien les tourments de l’adolescence et mieux encore une région agricole viticole allemande qu’il connaît visiblement très bien. Si je retourne à Dinan, je féliciterai le jeune libraire pour son conseil. Je sais qu‘Eva avait recommandé cette lecture.

 

Extraits

Début.

 Au sommet de la route étroite qui montait entre chants et vignobles, l’air chaud vibrait sur l’asphalte. Liss, qui grimpait lentement la côte sur son vieux tracteur sans cabine, croyait voir de l’eau, une eau plus fluide que la normale ; plus légère et plus endoyante Une eau qu’on ne buvait qu’avec les yeux.
 Sur les champs moissonné où luisaient les chaumes, le blé était encore présent dans la puissante odeur de paille ; poussiéreuse, jaune, saturée. Le maïs commençait à sécher ; son bruissement dans la brise d’été n’évoquait plus le vert, il se transformait en un chuchotement rauque à la lisière du champ.

Le ressenti de Sally en centre psy.

 On était vendredi, et personne n’avait encore retrouvé Sally, personne ne lui avait parlé longuement, gentiment, sans lui faire de reproches, rempli de compassion mais aussi d’une haine cachée derrière chaque mot gentil. De la haine contre elle, qui ne voulait pas se soumettre, qui fuguait sans arrêt, qui n’écoutait pas leurs voix douces, compatissantes, compréhensives, mais les regardait toujours dans les yeux, longtemps, jusqu’à ce que le faux mur de gentillesse professionnelle, de chaleur et de compréhension s’effrite, laissant transparaître l’ennui, et l’indifférence et la haine.

Toujours Sally, si mal dans sa peau dans sa peau.

La maison. L’école. Les cliniques. On y entrait, et voilà que les ficelles, les chaînes, les cordes et les filets se mettaient à pousser des murs et du plafond, il devenait de plus en plus difficile d’aller et venir à l’intérieur, ils devenaient de plus en plus impossibles de sortir- de la maison, de l’école, des maisons des amies et de partout. C’étaient des chaînes souples, des cordes élastiques et des filets en caoutchouc, mais plus on voulait partir, plus ils vous retenaient, vous tiraient doucement en arrière ; la nuit, ils devenaient collants et lourds et si on ne fermait pas la bouche, si on ne respirait pas par le nez ils pénétraient en vous. Ou bien, ils se collaient à la nourriture et on les avalait par mégarde comme un cheveu, un cheveu qui n’en finissait pas, de plus en plus épais il se liquéfie à l’intérieur jusqu’à vomir. Parfois il vaut mieux ne pas manger.

 


Édition La Table ronde, quai Voltaire, 377 pages, août 2020.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Richard Russo est un auteur qui ne me déçoit jamais, souvent quand je lis vos billets sur cet auteur je me dis encore un roman à lire pour mon plaisir. Pourtant, sur Luocine je n’ai que « le déclin de l’empire Whiting » avec 5 coquillages, bien sûr. Je dois à ce roman une grande première pour moi, la fin que j’avais lu en premier ne m’a rien appris sur l’intrigue, et surtout il m’a démontré que je suis capable de supporter le suspens quand il est dévoilé petit à petit et qu’il rajoute à l’intérêt du livre.

Le roman commence par un prologue assez long où l’on voit des anciens amis étudiants , se retrouver dans une île au large du Massachussets, Martha’s Vinehard, très vite on apprend qu’en 1971, ils y avaient passé quelques jours en compagnie d’une fille dont ils étaient tous amoureux , Jacy.

Ils ont aussi tous les trois été marqués par la guerre du Vietnam, surtout Michael qui avait tiré le numéro 9 ce qui aurait dû ne lui laisser aucune chance d’échapper à la guerre. On comprendra peu à peu, la phrase mise en épigraphe du roman :

Pour ceux dont les noms sont sur le mur

Nous allons donc, peu à peu connaître Lincoln, le propriétaire de la maison sur l’île, Teddy propriétaire d’une maison d’édition qui ne s’est jamais autorisé à écrire « son » roman, Michael le chanteur de rock qui détient une grande partie des réponses que se posent ses deux amis.

Sans déflorer le suspens, car ceci nous l’apprenons très vite, Jacy qui devait se marier avec un homme du même milieu social qu’elle, quelque temps après le premier séjour dans l’îl, a rompu ses fiançailles et a disparu. Son souvenir plane sur leurs retrouvailles dans l’île. L’intérêt du roman, comme toujours chez cet auteur, vient de l’analyse très poussée de trois milieux sociaux nord-américains différents. Le roman joue avec deux temporalités, la jeunesse des étudiants et le WE aujourd’hui.

Lincoln, est le fils d’un père sûr de toutes ses valeurs et étroit d’esprit, la seule révolte de sa mère aura été de garder sa maison sur cette île où elle a passé de bonnes vacances enfant. Aujourd’hui Lincoln est à la tête d’une agence immobilière, a failli faire faillite pendant la crise des subprimes. Il a réuni ses amis dans cette maison qu’il pense vendre, grâce à lui (ou à cause de lui) la disparition de Jacy l’amènera à soupçonner son voisin, puis son meilleur ami.

Teddy, est le fils de deux enseignants d’anglais, et il a toujours eu beaucoup de mal à s’imposer. Il a été victime d’une chute lors d’un match de basket, les conséquences de cette chute, étofferont l’intrigue du roman.

Michael est leur ami alors qu’il vient d’un milieu social très différent d’eux, en effet tous les trois se sont retrouvés dans une université de la côte Est « Minerva collège », alors que Michael est fils d’ouvrier et n’hésite pas à faire le coup de poing. Il est devenu rockeur et conduit une grosse moto. Il est beaucoup moins simple que son apparence ne le montre.

Quelques personnages secondaires enrichissent le roman, le voisin qui veut acheter la maison et qui se fait un point d’honneur à choquer le voisinage par ses propos outranciers. L’ancien policier alcoolique qui lance Lincoln sur des pistes d’explications à la disparition de Jacy qui vont beaucoup troubler Lincoln et permettre au lecteur de voir les mêmes faits sous un angle différent.

Non, non, je ne dirai rien de la disparition de Jacy, qui quand à elle doit comprendre sa propre famille et son origine biologique, une partie des réponses viennent de sa recherche.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la civilisation nord-américaine. Et Bravo, à cet auteur d’avoir vaincu mon impatience à connaître la fin avant de me lancer dans la lecture. Mais je dois avouer qu’une fois que j’avais toutes les solutions j’ai relu avec un très grand plaisir le roman : on ne peut jamais se refaire complètement !

 

Extraits

Début du prologue (de 35 pages).

 Les trois vieux amis débarquent sur l’île en ordre inversé, du plus éloigné au plus proche. Lincoln, agent immobilier, a pratiquement traversé tout le pays depuis Las Védas. Teddy, éditeur indépendant, a fait le voyage depuis Syracuse. Mickey, musicien et ingénieur du son, est venu de Cape Cod, tout à côté. Tous les trois sont âgés de soixante-six ans et ont fait leurs études dans la même petite université de lettres et science humaine du Connecticut, où ils ont travaillé comme serveur dans une sororité du campus

Analyse des études et des prof à l’université américaine.

 D’après les registres de l’administration, Teddy avait suivi plus de cours dans plus de matières que n’importe quel autre étudiant depuis la création de Minerva Collège. Tom Ford, son professeur préféré, lui avait dit de ne pas s’inquiéter pour ça, mais évidemment Tom Ford était fait de la même étoffe. Se qualifiant de « dernier des généralistes », il occupait la chaire des humanités et dispensait un cours sur les Grands Livres, mais il donnait également des cours « sur des sujets spéciaux » en anglais, philosophie, histoire, art et même en science. En fait, il inventait des cours qu’il aurait aimé se voir proposer quand il était jeune étudiant. Teddy en avait suivi tellement que Mickey disait pour plaisanter qu’il était le seul étudiant diplômé en Fordisme. Teddy avait découvert seulement en dernière année que son mentor était tenu en piètre estime par ses collègues. Il n’avait jamais dépassé le statut de maître de conférences car non seulement il ne publiait jamais rien, mais il voyait d’un mauvais œil ceux qui le faisaient. Leurs ouvrages, affirmait-il, apportaient la preuve de leur manque de savoir et de l’étroitesse de la sphère de l’heure connaissances. Plus que n’importe qui, c’était Tom Ford qui avait donné à Teddy la permission de satisfaire sa curiosité sans attendre en retour des bénéfices de réussite professionnelle. « Un jour » avait-il écrit en bas d’une de ses dissertations de Teddy, « vous écrirez peut-être quelque chose qui mérite d’être lu. Je vous conseille de retarder le plus possible ce jour « .

Compassion et pitié.

 Ses amis, pour peu qu’ils aient un peu suivi ce qui se passait, devaient savoir que Las Vegas avait été l’épicentre de l’ouragan financier des subprimes, mais comme il n’avait jamais laissé entendre que lui-même était menacé, ils avaient dû le croire à l’abri. Aujourd’hui encore, alors que l’agence avait enfin la tête hors de l’eau, il voulait leur cacher qu’ils avaient failli sombrer. Il ne craignait pas qu’ils s’en réjouissent. Au contraire, ils compatiraient. Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette et Lincoln -digne fils de son père, là aussi – ne voulait pas prendre ce risque.

Faire la guerre du Vietnam.

C’était donc ça. Son père, Michael Sr., un vétéran de la Seconde Guerre, avait détesté chaque instant passé sous l’uniforme, mais il était fier, avait-il expliqué à Mickey, d’avoir rempli son rôle.  » Quand on t’appelle, tu y vas. Tu ne demandes pas pourquoi. Ça ne marche pas comme ça. Et ça n’a jamais marché comme ça, mais. Ton pays t’appelle, tu y vas. » Tuyauteur de profession, Michael Sr. était de, de l’avis général un type carré qui n’aimait pas le baratin. Bourru et inculte, assurément, mais un gars bien.

Sourire.

-Vous aimez les animaux ?
– Comme la plupart des flics, je les préfère aux gens. Encore jamais connu un qui mentait.

Le coup de poing.

 Son père, un bagarreur dans sa jeunesse, l’avait mis en garde contre la violence, ses dangers, mais surtout ses plaisirs. Quand vous décrochez un coup de poing, tout ce qui est enfermé en vous se libère, et il n’existe pas de sensation plus agréable.

Fatalité ou Destinée .

 Et comme l’avaient bien compris les Grecs, il n’était pas possible d’interrompre, ni de modifier de manière significative, l’enchaînement des événements une fois que l’histoire avait commencé.