Édition, les éditions de l’observatoire, 380 pages, mai 2021.

 

J’avais dit à Sandrine que j’avais très envie de connaître la vie de Jean Roscoff universitaire, qui avait « fait une bien fou » à Ingannmic, (je me demande bien pourquoi ? car ce livre est d’une rare tristesse.).

Je suis beaucoup moins enthousiaste qu’elles deux, mais avant d’expliquer pourquoi je vous rappelle la trame narrative de ce roman.

Un roman original qui a le mérite de décrire beaucoup de travers de notre société, nous suivrons la destinée peu glorieuse d’un universitaire raté, Jean Roscoff, qui contrairement à ce que certains pensent n’est pas breton, (son nom est d’origine russe).
Il a eu un départ d’excellence puisqu’il sort de Normale sup.
Mais son parcours s’arrêtera là. Il refuse de passer l’agrégation et d’écrire une thèse. Il travaillera à l’université sans jamais devenir Professeur mais restera Maître de Conférence, et sera spécialiste du parti communiste américain mais sans faire de carrière prestigieuse.
Première catastrophe : il écrit dans sa jeunesse un livre qui occupera plusieurs années de sa vie sur les époux Rosenberg. Il y démontre que le procès qui les a conduits à la chaise électrique était totalement inique. Il était alors porté par l’intelligentsia française, – Sartre en tête- , prête à épouser toutes les causes anti-américaines. Son livre paraît quelque jours avant l’ouverture des archives de la CIA qui apportent la preuve irréfutable que les Rosenbetg était bien des agents du KGB.
Il restera donc définitivement le raté de service de l’Université.
Cet épisode permet à l’auteur de faire un portrait peu flatteur des intellectuels français de cette époque. Car personne ne défendra son livre alors que même si les Rosenberg était bien des agents du KGB, leur procès était inique et cela son travail le démontrait parfaitement.
Cela continue ensuite, car il s’engage à SOS racisme, organisation décrite comme le marche pied pour faire carrière au PS. Il fait une peinture du milieu des socialistes mitterandiens vraiment peu reluisante  : les militants sont des arrivistes qui ne cherchent que leur propre intérêt, et se fichent pas mal des causes qu’ils prétendent défendre.
Jean Roscoff aurait pu finir sa vie tranquillement. Bien sûr, sa femme, Agnès à qui il doit son confort de vie a divorcé, mais sa fille Léonie, qui n’est que gentillesse, lui aurait soutenu le moral. Mais il se met à écrire la biographie d’un obscure poète nord américain Willow qui est venu en France et a fréquenté Sartre et les existentialistes.
Celui-ci est mort d’accident de voiture non loin de la ville d’ Étampes où il s’était réfugié. (D’où le titre du roman)
Cette partie de sa vie permet à l’auteur de régler ses comptes avec le monde de l’édition. Mais surtout avec les censeurs du monde moderne qui s’expriment dans les réseaux sociaux.
Encore une fois son second livre soulève une polémique énorme : est-ce qu’un « blanc » peut décrire la vie d’un « noir » sans être raciste ? Car oui Willow était noir et Roscoff ne l’a pas assez mis en avant dans son étude. Pour lui c’est avant tout un poète peu importe sa couleur de peau, mais cela déplait totalement aux anti-racistes de notre époque. représentés par Jeanne la petite amie de sa fille Léonie.
La critique de la folie de l’emballement médiatique est le principal sujet de ce roman et décrit (hélas !) une réalité bien triste de notre époque..
La chute et la fin de Willow est étonnante mais fidèle aux règles de la blogosphère, je n’en dis rien.
J’ai cru pendant la moitié de ce roman lui mettre cinq coquillages et puis les règlements de compte à répétitions m’ont lassée. Trop c’est trop, et quelque soit le talent réel avec lequel Abel Quentin décrit, les mutants socialistes devenus de bons bourgeois, la mesquinerie du milieu universitaire, la lâcheté du monde de l’édition, les enragés du mouvement antiraciste, les fous dingues (ou folles) « ayatollahs » des réseaux sociaux (et j’en oublie peut être) on se dit que le monde n’est peut-être pas si noir que ça.
C’est cet aspect qui a fait que je ne lui laisse que trois coquillages – puis après réflexions et remarques de celles qui ont aimé, je lui en ai remis quatre ! Je suis très influençable ! !- Sandrine et Ingannmic m’avait donné très envie de lire ce roman, ce que je ne regrette absolument pas.

Extraits

Début.

-« Nous sommes tous des enfants d’immigrés » … Ça veut dire quoi, ça ? Vous pensez vraiment que vous pouvez ressentir le dixième de ce que ressent un immigré ? Vous ne pensez pas qu’il était temps de les laisser parler les « enfants d’immigrés » ? De ne plus confisquer leurs voix ?
 Jeanne la nouvelle copine de ma fille avait un regard dur, la bouche pincée. Elle me faisait penser à une puritaine qui aurait vécu dans l’Iowa, disons, en 1886. Sa mâchoire était contractée sous les faits d’une souffrance continue.

L’alcoolique .

 Possédé, les dents serrés comme un joueur qui ne parvient pas à quitter sa machine à sous. J’avais essayé de retenir Marc, malgré ses habitudes de pisse- froid, sa tempérance de « control freak ». Allez quoi ! J’avais haussé le ton. Peut-être même que Marc m’avait un peu bousculé en se dégageant. J’avais fait mon petit numéro de pochard avec une virulence où l’agressivité réelle n’était jamais loin, parce que l’alcoolique ne déteste rien tant qu’un camarade qui quitte le navire. Il se sait alors démasqué : le départ du buveur tempérant le renvoie à sa propre déchéance, à son addiction maniaque. Il y a de la jalousie dans cette fureur, l’envie du possédé pour celui qui conserve l’empire sur lui-même.

J’aime cet humour (Léonie est sa fille éternelle optimiste).

 J’en oubliais presque que j’étais vieux, et d’ailleurs je n’étais pas vieux, m’avait dit Léonie au milieu du mois d’avril. Elle avait lu quelque part qu’un senior de 2025 avait la forme physique d’un trentenaire sous Louis VI le Gros. J’avais souri. Elle m’avait appelé pour m’annoncer qu’elle avait emménagé chez Jeanne, elle était joyeuse et parlait de son amie avec une serveur inchangée. En raccrochant, je me demandais si les trentenaires sous Louis VI le Gros avaient envie de pisser quinze fois par jour eux aussi.

L’affaire Rosenberg sur laquelle le héros a écrit un livre.

 Le lendemain de la sortie (de son livre) la CIA déclassifiait et rendait public les archives d’une gigantesque entreprise de décryptage des messages codés et émanant des services de renseignement soviétiques. Intitulé projet Venona, ce travail avait été mené patiemment entre 1940 et 1980 par le contre-espionnage américain. Verdict : les Rosenberg étaient bel et bien coupables d’espionnage pour le compte de l’URSS. Rideau. Mon bouquin était mort-né. Cinq ans de boulot minutieux balayé par un communiqué de presse lapidaire, et un grand éclat de rire dans la communauté scientifique. La presse de droite avait jubilé. Elle tenait son idiot du village, l’énième preuve que ceux d’en face niaient le réel -oubliant de préciser au passage qu’un consensus quasi général existait avant les révélations de la CIA sur l’innocence des Rosenberg, que des conservateurs comme Mauriac avait eux-mêmes mouiller le maillot pour sauver la tête du couple. Négligeant de mentionner, surtout, que mon livre s’attachait à démontrer que le couple avait été condamné sans preuve, au terme d’un procès inique, ce que n’infirmaient pas les révélations de la CIA : les Rosenberg avaient été envoyés à la chaise sur la base d’information classée secret défense auxquelles leurs avocats et à fortiori le public n’avaient pas accès. Mais tout cela était inaudible : j’étais triquard, un historien grotesque, un clown, la risée de l’Université française, le mec du bouquin sur les Rosenberg. Deux jours après la sortie, le livre était retiré des ventes.

 

Description tellement réaliste !

 Je reconnaissais l’un deux, militant à la Fédération syndicale étudiante, petit bonhomme acnéique que j’avais eu dans un de mes amphis -un genre de festivalier rennais dont la mise (casquette de marin et keffieh palestinien) trahissait une double allégeance au Hamas et au mouvement autonomiste breton.

Le père radin

C’est un truc de mon père : plutôt que de reconnaître la supériorité de certains produits jugés trop coûteux il a pris le parti de les dénigrer comme des fausses valeurs, des attrapes couillons surcotés, au fond un jambon industriel vaut bien vos « bellottas » et vos « pâta negra » et il transforme sa pingrerie en sagesse orientale. Les esthètes sont relégués au rang de pigeons, ou de snobs .

Description de la Fac aujourd’hui !

 La fac était le décor familier qui me déprimait autant qu’il me rassurait et c’était celui des ensembles en béton, de la morgue intellectuelle, des rétributions symboliques, des cols roulés, des publications pointues, des colloques jargonneux, des photocopieuses en panne, des jeux de pouvoir invisibles, ascenseurs vétustes et amiantés, chapelles, culte des titres, grades, étudiants chinois effarés, acronymes mystérieux, baies vitrées sales, syndicats sourcilleux, cartons de tracts crevés, tags fripons dans les chiottes, c’était cette vieille ruine au charme inaltéré : l’Université.

Le portrait d’une génération .

 Les voix épuisées, littéralement brisées par le tabac : tels sont ses hommes et ses femmes qui ont défilé entre République et Nation et que la vie a comblé de ces bienfaits. Lorsqu’on leur présente une tribune révolutionnaire signée de leurs mains du temps de leur jeunesse, ils ne disent pas : « je me suis trompé », ils disent : « j’étais jeune, j’étais intransigeant », plein d’amour pour l’image de leur jeunesse fanée. Présentez-leur un miroir, ils ne diront pas : « j’ai trahi », mais « j’ai appris, la vie professionnelle m’a donné le sens des réalités », plein d’indulgence pour les hommes et les femmes murs et lestés qu’ils sont devenus 

 


Édition bayard Graphic’, 217 pages, janvier 2024

 

Lorsque j’ai fait paraître mon billet sur « La race des Orphelins » Sacha et Kathel ont dit dans leurs commentaires qu’ils avaient bien aimé cette BD. Mais sans faire d’article, (en tout cas je ne l’ai pas trouvé) . Je viens, moi aussi, vous conseiller cette BD, et curieusement elle m’a fait aussi être moins sévère pour le roman d’Oscar Lalo : si cette BD est agréable à lire, c’est d’abord que c’est un témoignage, il n’y a donc pas le mélange vérité historique et fiction, et puis surtout la mère de l’auteure dessinatrice a été aimée, et quelqu’un a pris soin d’elle et de son adoption dans un milieu aimant et équilibré. L’auteur de « la race des Orphelins » a décrit le cas général, la réaction de la Norvège qui va rejeter ces enfants comme des traces tangibles du nazisme et a refusé de les considérer comme victimes, ils ont été placés dans des orphelinats qui les ont maltraités. Alors, évidemment, chercher à retrouver le point de vue d’un de ces enfants rejetés par toute une société est beaucoup plus difficile et il doit y avoir que peu de témoignages.

Ici, la mère de la l’auteure peut retrouver la famille biologique de sa mère qui l’accueillera et lui expliquera toute l’histoire : c’était difficile pour une jeune fille de 20 ans d’éviter les soldats allemands pendant la guerre. Ils étaient pratiquement plus nombreux que les hommes norvégiens et surtout, cela la mère de l’auteure ne le savait pas, les soldats allemands avaient comme mission secrète d’avoir des relations sexuelles avec des Norvégiennes de type aryen pour avoir des enfants, les Nazis avaient créé un « Lebensborn » en Norvège où la mère de l’auteure est née.

La rencontre, aujourd’hui, avec le père biologique, l’ex-soldat allemand, est beaucoup moins intéressante, sa seule explication est de dire qu’il était très jeune à l’époque. Il sera cependant très ému et en pleurs quand il apprendra le suicide de la femme (grand-mère de l’auteure) qu’il a sans doute aimée. Mais sera incapable d’en dire plus.

J’ai tout aimé dans cette BD, la recherche sur la naissance de cette femme, le traitement des émotions de sa mère, et le dessin rajoute beaucoup aux émotions.

Un exemple


Édition livre de poche, 469 pages, avril 2022

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour

 

En lisant ce livre, j’ai pensé à la révélation que fut pour moi « Racine » de Alex Haley. Je n’avais avant cette lecture de ma jeunesse que l’image de tortures infligées aux esclaves, mais s’ils avaient de bons maîtres la vie était supportable. Bref , ce qu’une petite fille qui a lu « la case de l’Oncle Tom » peut avoir dans la tête. « Racine » a eu pour effet de relier l’esclavage à l’Afrique et faire comprendre l’aspect absolument insupportable de la privation de liberté pour tous ceux qui vivaient ce statut. Le remarquable travail de Yaa Gyasi a rajouté plusieurs éléments, d’abord elle décrit très bien ce qui s’est passé en Afrique, au Ghana fin XVIII° jusqu’à la fin de la traite négrière. L’esclavage était, il est vrai, une coutume tribale, les vainqueurs ramassaient les vaincus et ceux ci étaient réduits en esclavage mais ils vivaient relativement»bien ce statut qui pouvait s’inverser. Quand les Portugais, les Hollandais, les Français et surtout les Anglais ont voulu acheter ces hommes et femmes, les habitants de ces pays y ont vu un commerce lucratif. Ils n’ont jamais eu l’idée de ce qui attendait ces pauvres gens quand ils les livraient ainsi aux Blancs. Yaa Gyasi ne les excuse pas pour autant, sans la collaboration des populations locales, jamais la traite négrière n’aurait pu s’installer de façon aussi massive et efficace. Le traitement des esclaves en Amérique est présenté dans toute son horreur mais l’aspect nouveau dont je n’avais pas encore entendu parler, c’est après l’abolition de l’esclavage, la façon dont les autorités pouvaient arrêter des Noirs dans la rue pour des prétextes incroyables : « il a regardé une femme blanche », » il n’est pas descendu de trottoir pour laisser passer un Banc », et même aucun prétexte, et les condamner au travaux forcés dans les mines. Enfin, elle décrit toutes les inégalités qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, le dernier personnage Marcus, qui fait de brillantes études, remarque que les Noirs font de la prison pour possession de haschisch, alors qu’il voit ses amis (blancs) étudiants de toutes les grandes Universités fumer la même substance, très librement, à toutes les soirées !

La construction du roman suit une famille originaire du Ghana – anciennement Côte de l’or- à travers quatre siècles. Une partie de la famille restera au Ghana et cela nous permet de vivre de l’intérieur les conflits entre les Ashantis et les Fantis, le poids des malédictions et des coutumes. C’est certainement compliqué de vivre dans ce pays mais rien n’équivaut à l’horreur de toutes les discriminations que connaîtront la branche familiale qui est partie comme esclave sur un bateau négrier. C’est un récit foisonnant, chaque chapitre est consacré à un descendant de Maame, L’une Effia épousera un négrier anglais, et sa descendance sera marquée par le poids de cette tragédie, Esi demi sœur d’Ffiaa partira comme esclave et nous permet de connaître à travers sa descendance le sort des Noirs aux USA. Le roman se termine par la rencontre de Marjorie ghanéenne et Marcus américain, ils visitent ensemble le lieu d’où partaient les esclaves : le fort de Cap Coast , et réunissent donc les deux branches de leur famille respective .

C’est une lecture indispensable, (évidemment je ne donne là que mon avis) car il permet de ne rien oublier de cette tragédie qu’a été l’esclavage et de comprendre aussi la méfiance légitime des Africains vis à vis des Européens encore aujourd’hui. J’ai une réserve cependant le découpage du roman, de personnage en personnage, donne parfois une impression de répétitions qui ne m’a pas gênée plus que ça, mais qui rend la lecture moins fluide.

 

Extraits

Début.

 La nuit ou naquit Effia dans la chaleur moite du pays fanti, un feu embrasa la forêt jouxtant la concession de son père. Il progressa rapidement, creusant son chemin pendant des jours. Il se nourrissait d’air ; il dormait dans les grottes et se cachait dans les arbres ; il brûla, se propagea, insensible à la désolation qu’il laissait derrière lui, jusqu’à ce qu’il atteigne un village ashanti. Là, il disparut. se fondant dans la nuit.

Du côté des futures esclaves.

 L’enfant avait été conçu avant le mariage d’Afua. Pour la punir, le chef du village l’avait vendue aux marchands, Afua l’avait raconté à Ezy à son arrivée dans le cachot, quand elle croyait encore qu’il y avait eu une erreur, que ses parents allaient revenir la chercher.
En entendant Tansi parler ainsi, Afua recommença à pleurer, mais personne ne sembla y prêter attention. Ces larmes étaient une sorte de routine. Elles étaient versées par toutes les femmes. Elles tombaient jusqu’à ce que le sol se transforme en boue. La nuit, Esi rêvait que si elles pleuraient toutes à l’unisson la boue se transformerait en une rivière qui les emporterait vers la mer.

Le sourire de l’homme blanc.

 Avant qu’Esi ne parte, l’homme qui s’appelait « Gouverneur » lui sourit. C’était un sourire bon, plein de compassion, sincère. Mais pendant le reste de sa vie, dès qu’elle verrait un sourire sur un visage blanc, Esi se rappellerait celui du soldat avant qu’il ne l’emmène dans ses quartiers, et elle se souviendrait que lorsque les hommes blancs souriaient, cela signifiait seulement que d’autres malheurs étaient à venir.

Parabole sur les affaires pour l’achat d’esclaves.

 – Ce que tu ne veux pas entendre, Quey, c’est le troisième oiseau la femelle. Elle reste silencieuse, écoute les mâles qui chantent plus fort, encore et toujours. Quand ils ont chanté a perdre la voix, alors, et alors seulement elle prend la parole. Alors, et alors seulement elle choisit celui dont elle a préféré le chant Pour le moment elle attend, les laisse se disputer : qui sera le meilleur partenaire, qui lui donnera la meilleure semence, qui se battra pour elle dans les moments difficiles.
« Quey, ce village mène ses affaires comme cet oiseau femelle. Vous voulez payer plus pour les esclaves, payez plus, mais sachez que les Hollandais paieront plus également et aussi les Portugais,et même les pirates. Et pendant que vous tous proclamez que vous êtes meilleurs que les autres, je reste tranquillement dans ma concession à manger mon « fufu » et à attendre que les prix atteignent le niveau j’estime juste. Maintenant, ne parlons plus affaires. »

La vie en Afrique du temps de l’esclavage .

 C’est ainsi qu’on vivait ici dans le bush : manger ou être mangé. Capturer ou être capturé. Se marier pour être protégé. Quey nierait jamais dans le village de Cudjo. Il ne serait pas faible. Il faisait le commerce des esclaves, et cela imposait des sacrifices.

Le bateau négrier.

 La mère de Ness, Esi, était une femme robuste et grave qui ne parlait jamais de choses heureuses. Même les histoires qu’elle racontait à Ness pour l’endormir parlaient du « Grand Bateau ». Ness s’endormait avec des images d’hommes jetés dans l’Atlantique comme des ancres qui n’étaient reliées à rien : ni patrie, ni peuple, ni valeur. Dans le Grand Bateau, disait Esi, ils étaient entassés dix l’un sur l’autre, et quand quelqu’un mourait au-dessus de vous, son poids pesait sur la pile comme un cuisinier pressant de l’ail .

Harlem et la drogue.

 « Les hommes blancs ont le choix. Ils peuvent choisir leur travail, choisir leur maison. Ils font des bébés noirs puis ils s’évaporent comme s’ils n’avaient jamais été là, comme si toutes ces femmes noires avec lesquelles ils avaient couché ou qu’ils avaient violées, elles étaient tombées enceintes toutes seules. Les hommes blancs peuvent aussi décider pour les Noirs. Ils les vendaient autrefois maintenant ils les envoient juste en prison, comme ils ont fait avec mon papa, et les privent de leurs enfants. Tout cela me brise le cœur mon fils le petit fils de mon papa, de te voir ici avec ces p’tis gosses qui se baladent dans Harlem et connaissent à peine ton nom encore moins ton visage. Tout ce que je peux dire c’est que c’est pas comme ça devrait être. Il y a des choses que tu n’as pas apprises de moi des choses que tu tiens de ton père même si tu l’as pas connu, les choses qu’il avait apprises chez les Blancs. Ça me rend triste de voir que mon fils est un drogué après tout ce que j’ai manifesté et ce qui me rend encore plus triste c’est de voir que tu penses que tu peux t’en aller comme ton papa. Continue à vivre comme ça et l’homme blanc n’aura plus besoin de faire quoi que ce soit. Il n’aura pas besoin de te vendre ou te mettre dans une mine de charbon pour te posséder. Il te possède juste comme ça et il verra que c’est toi qui l’as fait. Il dira que c’est ta faute. »

 

 

Édition L’olivier, 211 pages, février 1999.

Je crois que je vais laisser pour un temps, mon envie de comprendre la passion de mes amies lectrices pour cet auteur. J’en ai ai un peu assez de ce Paul dépressif, toujours plus ou moins gravement malade, du personnage de dentiste pervers, de la femme Anna qui mourra dans un accident violent, de la tonte des gazons. Mais, car il y a un mais, j’ai bien aimé le passage sur la création en littérature, en effet le narrateur explique qu’aucun roman n’arrive à faire ressentir ce qu’éprouve vraiment une personne qui est terrorisée par un danger quel qu’il soit. Ici, Paul, qui a perdu ses parents depuis longtemps, a raté son mariage, est devenu écrivain et décide de partir en voyage , il fera des rencontres qui le rendront encore plus malheureux comme ces deux hommes qu’il avait trouvé assez sympathiques en Floride et assassineront de façon la plus horrible possible un homme qui n’avait qu’un défaut : être noir. Il retrouve l’endroit où son père se rendait une fois par un an pendant un mois pour pêche, l’ami de son père l’attendait et aussi une demi-sœur : son père avait donc une autre vie visiblement plus heureuse que celle qu’il a menée en France auprès de Paul et sa mère.. Près de ce lac où son père a disparu , il y a un bois réputé très dangereux où beaucoup de gens sont morts sans que l’on ne retrouve leurs corps, évidemment Paul le traversera et il reviendra en paix avec lui-même et son père.

J’oublierai vite ce roman sauf sans doute le passage sur la création romanesque , et je me promets de bien écouter mes amies pour comprendre leur plaisir à lire cet auteur dont elle ne rate aucun roman

Extraits

Le début une fois, encore météorologique.

 Il a neigé toute la nuit. Le jardin est si blanc que le monde a l’air neuf. Nous sommes le premier janvier, il fera bientôt jour. Je suis posté devant la fenêtre. Au-dessus des nuages, par une trouée, je distingue un avion. Il ne fait aucun bruit, et seules au bout des ailes, ses lumières clignotent. Il suit la route des oiseaux migrateurs, descend vers le sud, la chaleur du soleil. Je vis à la pointe du nord sur les terres du froid. Peu à peu j’apprends à endurer les rigueurs du climat et à différencier toutes sortes de neiges.

Un personnage positif, un maître d’œuvre avec lequel il a travaillé.

Da Rocha était l’un de ces êtres dont le hasard m’avait fait un temps, partager l’existence, et qui, par le seul souvenir, m’avait accompagné toute une vie. Des années plus tard, j’envoyais à cet homme un exemplaire de mon premier roman. Après l’avoir lu, il me retourna ce petit mot : « Tu as bâti tout seul ta première maison. Je suis certain que tu en construiras beaucoup d’autres, mais celle-là restera jamais dans mon cœur. » La fréquentation de Da Rocha, sa ténacité, son honnêteté professionnelle, son obstination à mener à terme un chantier dans les délais, m’ont appris davantage sur la manière de construire une histoire que tous les précis de littérature.

Écriture romanesque .

 Tandis que je contemplai cet orage, je songeais qu’un jour, si j’écrivais un nouveau livre, j’essaierai de raconter ce moment, d’en rendre l’intensité et la beauté. A présent, je mesure la vanité d’une telle ambition. Les mots quels qu’ils soient, n’ont pas l’humidité féconde que charrie le souffle de la tempête chargée de la multitude des senteurs dérobées à la cime des arbres et au sol des sous-bois. Comment restituer le bonheur de se sentir à l’abri lorsque sous le vent, battent les branches et que geignent les troncs courbés par les rafales ? Et dire cette angoisse ancestrale qui s’abat alors sur la forêt et tous ceux qui l’habitent ? Les livres ne sont qu’un tout petit miroir du monde où se mirent les hommes et l’état de leur âme mais qui jamais n’englobe la stature des arbres, l’infini des marais l’immensité des mers. Si beau que soit le texte, si attentif le lecteur de Melville, il manquera toujours à ce dernier l’émotion fondatrice, l’indispensable synapse avec le réel, ce bref instant ou surgit la baleine et où vous comprenez qu’elle vient « vous » chercher. Une chose est de lire la peur, une autre affronter. 

 


Édition le livre de poche , 347 pages, septembre 2021

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

Un roman chaudement recommandé par la blogosphère (par exemple Ingannmic , Je lis je Blogue ) et je comprends pourquoi. Nous allons suivre douze personnes indiennes ou ayant du sang indien, qui doivent se retrouver pour un grand « Pow-Wow » à Oakland. Je ne connaissais pas ces manifestations qui permettent aux Indiens de se retrouver entre eux en chantant et en dansant. Visiblement, ces manifestations ne sont pas uniquement folkloriques, elles font du bien aux participants qui ont si peu l’occasion de se sentir fiers de leurs origines.
Bien loin des images habituelles d’Indiens vivant dans les réserves en peine nature, nous sommes avec des urbains qui ont tous connu des graves difficultés. L’alcool, la drogue, la violence sont le quotidien des ces gens. À aucun moment, l’auteur ne cherche à simplifier les problèmes que ces êtres mal dans leur peau créent ou qu’ils rencontrent. Le passé est comme un poids énorme qui pèse sur leurs personnalités, cela permet à l’auteur de raconter les différentes exterminations dont les tribus indiennes ont été les victimes, et de faire prendre conscience que leurs difficultés actuelles, même si ces gens font parfois des actes violents cela est si peu de choses à côté de ce dont ont été victimes leurs ancêtres.

Mais si tous viennent à cette cérémonie dans un esprit de communion, malheureusement certains ont d’autres projets, et auront comme projet d’arriver avec des armes pour voler l’argent qui doit récompenser les participants aux différents concours de chants et de danses.

On suit au plus près le destin des jeunes qui souvent sont élevés sans père, ou avec des pères violents, des femmes qui ne sont pas capable d’être mères mais qui ont quand même des enfants. Comme Tony qui a été porté par une mère alcoolique et qui souffre donc du Syndrome d’Alcoolisation Fœtale, sa mère est en prison et hélas il va essayer de gagner de l’argent avec la drogue.

Chaque chapitre porte le nom d’un personnage qui va participer au « pow-wow » , positivement ou pour détruire. Tout le roman monte vers la catastrophe qui était annoncée dès le début. Un très beau roman, pour lequel j’ai une réserve car c’est compliqué de passer d’un personnage à l’autre puis de le retrouver. On passe, non seulement d’un personnage à l’autre, mais d’une histoire à une autre, cet éparpillement est à l’image de la façon dont vivent les Indiens d’aujourd’hui qui ne sont plus une communauté, ils vivent en effet en ville et le plus souvent dans des situation marginales ou la limite de la marginalité. Cet éparpillement ne facilite pas la lecture. J’ai dû faire de gros efforts pour garder à l’esprit l’engrenage fatal dans lequel l’auteur plonge son lecteur. Mais j’ai beaucoup aimé la façon dont chaque personnage est décrit.

 

 

Extraits

Début.

 Il y avait une tête d’Indien la tête d’un Indien, le dessin de la tête d’un Indien aux longs cheveux parée d’une coiffe de plumes d’aigle, dessinée par un artiste anonyme en 1939 et diffusée jusqu’à la fin des années soixante-dix sur tous les écrans de télé une fois les programmes terminés. Cela s’appelait la Mire à tête d’Indien. Si on laissait la télé allumée, on entendait le son d’une fréquence de 440 hertz -celle servant à accorder les instruments- et on voyait cet Indien, entouré de cercles pareils à ceux de la lunette de visée d’un fusil. Il y avait ce qui ressemblait à une cible au sens de l’écran, et des chiffres comme autant de coordonnées.

Exemple de massacres.

 En 1637 entre quatre cents et sept cent Pequots se rassemblèrent comme chaque année pour la Danse du Maïs vert. Les colons encerclèrent leur village l’incendièrent et abattirent tout Pequot qui tentait de s’échapper. Le lendemain, la colonie de la baie du Massachusetts organisa un banquet pour fêter l’évènement, et le gouverneur proclama un jour d’action de grâce. Ce type d’action de grâce survenait partout, chaque fois qu’il y avait ce qu’il fallait bien appeler « un massacre couronné de succès ». On raconte qu’au cours d’une de ces fêtes à Manhattan, les habitants célébrèrent l’évènement à travers les rues en donnant des coups de pied dans les têtes d’Indiens, comme s’il s’agissait de ballons.

Le Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.

 Devant la télé juste avant de l’allumer, j’ai vu le reflet sombre de mon visage. C’est là que je l’ai vu pour la première fois. Mon vrai visage, celui que voyaient tous les autres. Quand j’ai posé la question à Maxine, elle m’a dit que ma mère buvait quand j’étais dans son ventre, et m’a dit très lentement que j’avais le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Le titre.

 Cette citation est importante pour Dene. Ce « là, là ». Il n’avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer faire et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là :ici n’est plus ici.

Réflexion sur le temps.

 On ne l’a pas, le temps mon neveu. C’est le temps qui nous a. Il nous tient dans son bec comme le hibou tiens un rat des champs. On frissonne. On se débat pour qu’il nous relâche, et lui nous picore les yeux et les intestins pour se nourrir, et on meurt de la même mort qu’un rat des champs.

Réflexion sur le suicide des Indiens

Des jeunes sautent par la fenêtre d’immeuble en flamme et trouvent la mort. Et nous pensons que le problème c’est qu’ils sautent. Voilà ce que nous avons fait : nous avons tâché de trouver un moyen de les empêcher de sauter. Nous les avons convaincus qu’il vaut mieux brûler vif que s’en aller dès que les ennuis deviennent trop brûlants. Nous avons condamné les fenêtres et installer de meilleurs filets de protection pour les rattraper, nous avons trouvé de meilleures façons de les convaincre de ne pas sauter. Ils décident qu’il vaut mieux être mort et enterrer que vivant dans ce monde que nous avons façonné pour eux et dont ils ont hérité. 

Les pow-wows.

 Nous avons organisé des pow-wows parce que nous avions besoin d’un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d’argent et qui nous donne un but, l’élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.


Édition Robert Laffont, 361 pages, février 2024.

 

J’ai failli arrêter la lecture de ce roman au premier chapitre, j’ai eu beaucoup de mal à croire au coup de foudre qui y est décrit : une jeune fille de 17 ans, croise sur un trottoir de son village, un jeune homme très sale mais son sourire lui soulève le coeur. Et paf ! elle est amoureuse et lui aussi et cela pour toute la vie. Evidemment la famille de la jeune Victoria est très dysfonctionnelle, sa mère sa tante et son cousin son morts dans un accident de voiture. Son père est muré dans un silence douloureux, son oncle revenu blessé de la guerre est complètement aigri et se déplace dans un fauteuil roulant , son frère Seth est la méchanceté incarnée. Son grand amour s’avère être un Indien, dont elle aura un enfant. Et lui sera assassiné par le frère de son amante et un ami de celui-ci .
Dans la deuxième partie, on voit cette jeune Victoria accoucher seule dans la montagne et confier son bébé à une jeune femme qui est en train de pique niquer dans une clairière avec son mari et son propre bébé. Ensuite on suivra Victoria d’abord dans son retour dans son village qui doit être inondé par un barrage hydraulique, elle acceptera l’argent du gouvernement pour déménager et reconstruire une ferme dans une autre vallée. Elle sera aidée pour déménager ses merveilleux pêchers par un ingénieur agronome. La vie reprend donc des couleurs pour elle, il lui restera à retrouver son fils. Mais non, je ne vous dévoilerait pas la fin.

L’histoire s’étale de 1948 à 1971, et permet à l’auteur d’évoquer les différentes tragédies ou seulement différentes façon de voir le monde qui ont traversé les USA pendant cette longue période : le retour des hommes blessés pendant la deuxième guerre mondiale, le racisme contre les indiens, la protection de la nature, la guerre du Vietnam , le poids de la religion, la place des femmes …

À aucun moment, je n’ai pu croire croire à « l’héroïne inoubliable » que me promettait le « Sunday Express », pas plus qu’à son abruti de frère Seth qui est le diable incarné. Il y a tant de rebondissements (souvent très invraisemblables) dans ce récit que cela peut peut-être plaire à un certain public, je n’en sais rien. L’évocation de notre « mère  » nature est tellement américaine ! Bref une énorme déception pour un livre que je vais très vite oublier.

À ne lire que si vous voulez bien que je divulgâche ce roman

Lorsque Victoria a accouché seule dans sa cabane dans la forêt, elle réussit à réanimer son bébé puis part et se retrouve dans une clairière où un couple pique nique et la femme donne le sein à un bébé. Elle dépose son nouveau né sur la banquette arrière de la voiture. Cette femme avait elle même accouché, à l’hôpital deux jours avant dans des conditions terribles et n’aura pas d’autres enfants, or son mari voulait avoir deux fils.. Attendez, ! ce n’est pas fini, par le plus grand des hasards le couple n’avait pas encore déclaré la naissance, ils vont donc déclarer la naissance de jumeaux…

 

Extraits

Début .

 Le garçon ne payait pas de mine.
Du moins à première vue
 » Excusez-moi, dit-il, portant des doigts sales à la visière d’une vieille casquette rouge. C’est par là la pension ? »
Aussi simple que ça. Une question banale posée par un inconnu crasseux remontant la Grand-Rue, juste au moment où j’arrivais au croisement avec la rue North Laura.

Le coup de foudre.

 En quittant la ferme ce matin-là, j’étais une fille ordinaire un jour ordinaire. Si je n’étais pas encore capables d’identifier quelle nouvelle carte s’était dépliée en moi, je savais que je n’étais plus la même en rentrant à la maison. Je ressentais ce que devaient ressentir les explorateurs dont on nous parlait à l’école, lorsqu’ils apercevaient un rivage lointain et mystérieux dans une mer qu’il croyait sans fin. Devenu le Magellan de mon voyage intérieur, je m’interrogeais sur ce que je découvrais. La tête posée sur la large épaule de Will, je me demandais d’où il venait, qui il avait quitté, et s’il arrivait à un vagabond de rester longtemps au même endroit. 

Les femmes.

 Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.

L’amour…

 Une fille de dix sept ans peut être idiote, surtout si elle ignore tout du pouvoir extraordinaire de l’amour jusqu’à ce qu’il la submerge telle une crue soudaine. Mais mon intuition selon laquelle Will était proche et ma certitude de le trouver en train de m’attendre dans la propriété voisine où Ruby-Alice recueillait ses étranges créatures étaient parfaitement fondées.

Fin de son amoureux pas de son amour .

 Et pourtant… Je connaissais la vérité : le monde était trop cruel pour protéger un garçon innocent ou pour évaluer ce que l’on ait ou non capable d’endurer ; Will avait trouvé la mort au fond de Black Canyon parce qu’il était resté pour m’aimer. 

La survie dans la nature .

 Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.

 

Édition J’ai Lu

Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce que le maréchal Antonescu et son clan désignaient, en 1940, comme « le moment tant attendu de la délivrance ethnique ». une délivrance sans effusion de sans ; Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic.

Quel livre ! La journaliste a mené une enquête fouillée pour comprendre le sort des juifs en Roumanie. Elle mêle de façon très judicieuse la vie de sa propre famille d’origine juive roumaine et l’histoire du pays. Il faut vraiment lire jusqu’au bout ce livre, car les questions qu’elle se pose dans le dernier chapitre je me les posais tout le long du livre.

Anna Yes a aussi chroniqué ce livre et elle pourra voir combien ce livre m’a plu, (je l’avais lu une première fois sans mettre de billet )

Rappel historique, la Roumanie s’est retrouvée avec une forte minorité juive après la guerre 14/18 , car étant du côté des vainqueurs son territoire a été augmenté de provinces où vivaient de fortes minorités juives. Pendant la montée des nationalismes fascistes avant la guerre 39/45, ces minorités juives posent un problème important au régime nationaliste roumain. L’originalité de ce pays est de n’avoir pas déporté sa population juive de Bucarest. Ce que les archives montrent c’est que leur extermination était prévue mais le dirigeant de la Roumanie a compris que les Allemands pouvaient perdre la guerre , donc les neuf derniers mois de guerre ils ont changé de bord. La famille Deleanu, grands-parents de Sonia Devillers, était une famille juive très influente de Bucarest. Ils ont perdu tous leurs droits pendant la guerre mais pas la vie ! Ils épousent avec enthousiasme la cause communiste, et ne parlent jamais des exterminations qui ont eu lieu dans d’autres régions roumaines. Il faudra beaucoup de temps pour que ce pays accepte ses responsabilités sur l’extermination qu’elle voulue et organisée. Officiellement, la Roumanie voulait être le pays qui a défendu ses juifs.

Et puis, le communisme, a refermé le pays sur lui-même et la chasse aux juifs a recommencé. Mais, et c’est là le sujet du livre, il a su en faire une monnaie d’échange pour renflouer les caisses de cet état qui était très pauvre, car l’URSS leur a fait payer leur solidarité avec l’Allemagne. Le régime a donc échangé les juifs roumains contre ce qui manquait tant à ce pays : des cochons, des vaches, des fermes, des abattoirs …

Ainsi chaque juif qui est parti de ce pays peut savoir ce qu’il valait , car les comptes sont très bien tenus : tant de porcs pour le départ d’un juif.

À la tête de ce trafic humain, un passeur qui fait tout ce qu’il peut pour permettre aux juifs de sortir, Sonia Devillers essaie de cerner la personnalité de ce passeur, est-il un mafieux ou un sauveur ? Elle ne peut pas répondre à cette question.

La question qu’elle pose aussi à la fin de ce livre, qui lui a été suggérée par des lettres de Roumains, on peut être, choqué de voir que la vie de ses parents valait tant de porcs, ou de vaches, mais comme le disent les pauvres Roumains au moins, vous, vous pouviez sortir et vivre.

Ce qui est choquant aussi, c’est que tous ces faits ont été révélés depuis longtemps mais la presse française (elle cite Libération et le Monde) ne voulaient pas le dire car il y a eu si longtemps une Omerta sur la dénonciation de l’antisémitisme communiste. Il a fallu l’ouverture des archives de Roumanie, pour que ces faits choquants soient enfin révélés pour l’opinion publique européenne.

Il me reste aussi une question , échanger des êtres humains contre de l’argent que ce soit sous forme d’animaux ou de dollars, n’est ce pas ce que fait tout état pour récupérer des otages ? Il est vrai que ce qui est différent c’est qu’il s’agissait de Roumains persécutés parce que juifs donc otages dans leurs propres pays par leurs compatriotes.

Le livre est passionnant, et se lit très facilement mais il faut aussi savoir que c’est souvent insupportable en particulier les exterminations par les Roumains de la population juive sans aucune défense.

 

Extraits

Début.

 Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. ils ne voulaient pas mais ils n’avaient plus le choix.

La jeunesse de sa grand-mère.

La jeunesse de Gabriela, en revanche, on y avait droit, avec emphase et trépidation : sa famille remarquable, sa ville pimpante Bucarest dite le « petit Paris des Balkans » dans l’entre-deux-guerres. Ma grand-mère se targuer de trouver dans les librairies les romans français « ,le lendemain de leur sortie à Saint-Germain. »

En 1940 .

En 1940, la Roumanie en proie à un immense désordre, subit la pire des humiliations. Les belles provinces qui lui avaient été rattachées à l’issue de la Première Guerre mondiale lui furent brutalement retirées par le pacte germano-soviétique. Ces territoires largement peuplés de juifs, allaient donc passer aux mains des Russes. Et cela, on ne le pardonnerait pas aux juifs, traités de vermine invasive d’abord, de traîtres par la suite. Les youpins et les rouges allaient pactiser, c’était certain. L’exaspération nationalistes n’avait alors d’égale que la détestation du « judéo-bolchevisme ». La nation semblait menacer de désintégration. La psychose battait son plein.

Le silence de ses grands parents.

J’aurais voulu l’entendre de la bouche de mes grands parents. Obtenir une bribe, ne serait-ce qu’une bribe, de ce qu’ils avaient ressenti face à une telle démonstration de force, une telle légitimation de la rage antisémite. J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans autre émotion. Une anecdote de plus. Sans plus mes grands-parents ont tous vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti.

La Shoa organisée par les Roumains (les moyens d’exécution sont insoutenables).

 Enfin la tuerie du camp de Bogdanovka reste une des plus impressionnantes de toute la Seconde Guerre mondiale. En fait de camp, il s’agissait encore de batteries de porcs délabrées ouverte à tous les vents. Mais comme le disait le commandant alors qu’il gelait à pierre fendre : « la paille c’est pour les cochons pas pour les youpins ! » la décision d’en finir avec les huit mille détenus juifs fut prise en décembre 1941.

Négation de la Shoa sous le régime communiste.

 Au delà des procès, la Roumanie communiste avait proscrit le mot « juif ». L’ethnologue Andrei Osteanu constate qu’à l’époque le terme a été éradiqué des romans comme des textes de sciences sociales. Sous prétexte de prendre le contre-pied de la littérature et de la presse d’avant-guerre, obsédées par le péril juif, le Parti refuse de nommer les juifs pour ne pas les stigmatiser. Mais ce faisant, il finit par les effacer. Et Andrei Osteanu de rappeler qu’en régime totalitaire, « si on en parle pas, c’est que ça n’existe pas ».

La situation de sa grand-mère à Paris.

 Les exilés romains riches ne la recevaient pas parce qu’elle avait été communiste. Les intellectuels français, non plus. Ils étaient tous de gauche dans les années 1960 et 1970. Ils considéraient les communistes qui avaient fui comme des traîtres ou des fascistes déguisés. Gabriela ne se sentait aucune affinité avec une quelconque diaspora juive. Immigrée et sans travail, il était difficile de s’intégrer à la bourgeoisie parisienne. Gabriela n’avait sa place nulle part

Le troc.

 L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. Attention, pas n’importe quels porcs, des porcs de compétition, plus précieux, plus productifs, plus rentables que es citoyens qui quittaient le pays. Depuis la nuit des temps, ceux-là profitaient beaucoup et rapportaient peu : les juifs

Perec en 1981 dit ce que c’est être juif pour lui.

 « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, ou à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. »


Édition Sonatine . Traduit de l’anglais par Julie Sybonie.

 

Ce roman d’anticipation décrit ce que les américains ont ressenti lors de l’épidémie de Covid gérée par Donald Trump . Il appelait le Covid, le virus-chinois et cela a engendré dans la population américaine un rejet vis à vis des Chinois ou des gens d’origine asiatique. Mais, au lieu de décrire cela avec précision, l’autrice part dans une fiction où les asiatiques sont accusés d’une crise économique sans précédent. Les habitants acceptent peu à peu les restrictions de leur liberté et ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans une dictature. L’aspect le plus sordide de cette dictature, c’est le placement des enfants que l’on a retirés à leur familles jugées dissidentes. Tout est raconté du point de vue d’un enfant, Noah, que sa maman appelait Bird. Sa mère a brutalement disparu et son père n’en parle plus jamais. Noah deviendra l’ami d’une petite fille qui est justement une enfant déplacée et, peu à peu, il ouvre les yeux et décide de se mettre à la recherche de sa mère une poétesse qui est entrée en clandestinité.

Tout ce qui est décrit est une simple exagération fictionnelle de ce que les USA ont connu. Les camps pour asiatiques en tant de crise rappelle ce qui s’est passé, lors de la deuxième guerre mondiale pour les japonais sur le sol américain, les enfants déplacés rappelle les enfants des peuples indigènes au Canada et plus récemment les enfants de migrants mexicains que le gouvernement voulait séparer de leurs parents, enfin la méfiance vis à vis des asiatiques et en particulier des chinois, tout ce qui s’est passé au temps du covid. Et maintenant que les tensions s’exacerbent entre les USA et la Chine communiste, il est sans doute plus difficile d’être chinois aux USA.

Ce genre de roman, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé, autant j’aurais aimé un roman qui se passe aujourd’hui pour les minorités asiatiques autant en faire une science fiction me dérange, l’histoire pour les amateurs du genre doit être intéressante. Je ne sais pas pourquoi, les Américains adorent qu’on leur décrive des catastrophes pas encore arrivées, comme si ils n’en avaient pas assez avec celles qui existent vraiment !

 

Extraits

Début

 La lettre arrive un vendredi. L’enveloppe ouverte et refermée par un autocollant, bien sûr, comme toujours : « inspecté pour votre sécurité – PACT. »

 Un monde sans livres.

 Derrière cette table se dresse une bibliothèque vide. Bird n’y a jamais vu le moindre livre, mais elle est toujours là, fossile d’une époque révolue.
 Savez-vous leur avait expliqué leur professeur l’année précédente, que les livres en papier sont obsolètes dès l’instant où ils sortent de l’imprimerie ?

La disparition des livres.

 Oh non, dit-elle, on ne brûle pas les livres, chez nous. C’est l’Amérique, pas vrai ?
Elle le dévisage en haussant un sourcil. Sérieuse, ou ironique ? il n’arrive pas à le dire.
 On ne brûle pas nos livres, poursuit-elle. On les pilonne. Beaucoup plus civilisé, n’est-ce pas ? On en fait de la pulpe et on les recycle en papier toilette. Ça fait longtemps que ces livres ont servi à torcher les fesses de quelqu’un.

Le cœur du roman.

 Les économistes ne se mettraient jamais complètement d’accord sur les raisons de cette crise. Certains diraient que c’était malheureusement cyclique, que ces choses là revenaient périodiquement comme les cigales ou les épidémies. D’autres accuserait la spéculation, ou l’inflation, ou bien un manque de confiance des consommateurs … même si les raisons de ces raisons ne seraient jamais très claires. Avec le temps beaucoup ressortiraient de vieilles rivalités cherchant à qui faire porter le chapeau ; au bout de quelques années ils s’accorderaient pour désigner la Chine, ce perpétuel et menaçant péril jaune. Ils verraient sa main derrière chaque échec et fracture de la Crise.

Les enlèvements d’enfants .

Margaret écoutait. Et commençait à apprendre qu’il y avait rien de nouveau sous le soleil. Elle entendait parler des écoles dans lesquelles les enfants amérindiens étaient tondus et déshabillés, rebaptisée, rééduqués, puis renvoyés chez eux brisés et traumatisés ou jamais renvoyés du tout. Les enfants qui franchissaient les frontières dans les bras de leurs parents pour finir enfermés dans des entrepôts, seuls et terrorisés. De ceux qui allaient de famille d’accueil en famille d’accueil, ballottés comme des boules de flipper, au point que leurs propre parents perdaient parfois leur trace.
 

 

Édition Gallimard NRF. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Ce livre ne reçoit que d’excellentes critiques, Dominique en a parlé avec enthousiasme et comme cet auteur m’avait enchanté avec Olga et le « Liseur » je savais que je lirai celui-ci. Il a évidemment toute sa place dans le mois consacré à la littérature allemande.

(Ma sixième participation pour l’année 2023)organisé par Eva et de livr’escapade 

Dans les deux précédents romans que j’ai lus de Bernhard Shlink, j’ai apprécié son regard intransigeant et lucide sur le passé de son pays. Nous sommes dans le présent avec « la petite fille ». Kaspar, fils de pasteur, fait ses études à Berlin en 1965, il est libre de fréquenter le milieu universitaire de l’est (l’inverse n’était pas possible : les étudiants de Berlin Est n’étaient pas libres de leurs mouvements) il fait la connaissance de Birgit dont il tombe amoureux et qu’il va aider à passer à l’ouest.

Le roman débute par la mort de Brigit, femme dépressive et alcoolique. Kaspar est désespéré, il retrouve les carnets de sa femme qu’il lit. Dans cette autre partie nous apprenons le lourd secret de Brigit : elle a eu un enfant d’un homme qui l’a abandonnée avant la naissance du bébé pour ensuite lui demander qu’elle lui donne ce bébé car il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Brigit refuse et demande à sa meilleure amie de laisser son bébé sur le parvis d’une église. Toute sa vie, cet abandon lui pèsera et expliquera sa neurasthénie et son alcoolisme.

La deuxième partie ainsi que la troisième sont consacrés à Sigrun la petite fille de Brigit et dont Kaspar voudrait être le grand père.

Chaque partie du roman nous permet de cerner un aspect de l’Allemagne contemporaine : l’Allemagne de l’est et le déséquilibre des anciens de l’Est qui ont bien du mal à s’adapter dans un pays qui ne reconnaît aucune des valeurs qui les ont construits dans une autre vie. Puis nous voyons les errances de leurs enfants qui cherchent à s’opposer à leurs parents en retrouvant des mouvements violents et, évidemment, le plus interdit en Allemagne  : le mouvement néo-Nazi. Pour finalement s’incarner dans un vieux parti le « völkisch » pas très loin des idées Nazi. Il prône la fierté d’être allemand, le retour à la terre, nie les atrocités du Nazisme en particulier la Shoa : Hitler ne voulait que la paix !

Dans un premier temps, toute la difficulté de Kaspar est de maintenir un lien avec cette petite fille, sans heurter les idées de ses parents, il va y arriver grâce à la musique qui ouvrira un nouveau monde à cette petite fille très douée, elle découvre, grâce à son grand père, le piano. Une très belle scène : le grand père lui fait écouter différentes musiques et la met au défit de reconnaître celle des compositeurs allemands ou étrangers. Leur rapport seront interrompus car les parents se méfient de son influence.

Quelques années plus tard, une catastrophe va arriver, liée à la révolte de Sigrun, sa violence l’entrainera trop loin. On espère quand on referme ce roman que la musique continuera à sauver la jeune Sigrun dans l’ailleurs qu’elle s’est choisie .

Un excellent roman !

Citations

 

La jeunesse de Kaspar.

 Il a vécu jusque là dans une rhénanie tranquillement catholique. Son père était un pasteur protestant ; Kaspar avait grandi avec Luther et Bach et Zinzendorf, et pendant les vacances chez ses grands parents avec des livres sur l’histoire patriotique où l’Allemagne devait sa complétude à la Prusse.

La RDA.

 Si l’on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. À la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l’on a dû s’exiler, on peut revenir. Le pays pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement.
Discours lors de la fête du mouvement « Völkish » 
« Qui le sait encore, à part nous, ce sont les clans, les musulmans et les femmes voilées et leur familles. Ils veulent s’emparer de l’Allemagne, ils veulent faire de notre pays leur pays. Mais nous ne les laisserons pas faire. Nous somme prêts au combat. Sur le sol allemand nous croisons. Du sol allemand nous tirons notre force. À notre communauté allemande appartient l’avenir allemand. »

Un allemand ordinaire .

Kaspar c’était toujours tenu à l’écart de tout. Il était membre de l’église, qu’il fréquentait parfois sans croire en Dieu, mais sans jamais se charger d’une tâche. Sans endosser aucune responsabilité, il était membre de la chambre de commerce et d’industrie, et de l’Union des éditeurs et libraires allemands. La politique l’avait quelquefois irrité au point qu’il l’envisage d’adhérer à un parti. Il avait été parfois invité à s’engager dans l’association Citoyens pour le parc. Mais à part des votes rassurants et quelques ramassages occasionnels de papiers, gobelets et bouteilles en traversant ledit parc, il en était resté là. 

Dialogue incroyable .

 « Tu as bien un livre sur Rudolf Heβ. Il est plein de mensonges. Tous ces livres ici son plein de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre. Il voulait la paix. Et les Allemands n’ont pas tué les juifs . »
Kaspar s’assit par terre face à elle.
« Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ?
– Ils sont achetés. Ils sont payés . Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous nous opprimer et nous exploiter.

Le grand père et sa petite fille.

 « Mais je peux quand même être fiers d’être allemande. »
Kaspar à nouveau tourna dans un chemin et stoppa. 
« Je ne sais pas. Je trouve qu’on ne peut être fier que de quelque chose qu’on a fait. Mais peut-être qu’on peut voir les choses autrement. »
Il montra du doigt le paysage de collines, des champs, le bois et le village sur le quel tombait le soleil et un autre village dans un creux, dont on ne voyait que le clocher et quelques tpits. Le soleil était déjà bas, cela allait donner un magnifique crépuscule.
« J’aime mon pays, je suis heureux de parler sa langue, de connaître les gens que ce pays me soit familier. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être un Allemand, il me suffit d’être heureux. »

Édition de L’Olivier

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

 

Un roman, ou plutôt une autobiographie qui commence par la fin : l’assassinat de la mère de l’auteure. Celle-ci part dans ses souvenirs pour comprendre les raisons de cette mort. Elle est , elle même la fille d’un poète universitaire irlandais et d’une femme noire américaine du Mississipi. Ses parents se sont mariés au début de l’assouplissement des lois régissant les mariages mixtes, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne souffriront pas du racisme. L’auteure n’explique pas pourquoi le mariage de ses parents n’a pas résisté , ni le rôle que son père biologique a joué dans sa vie. Hélas, pour elle sa mère se remariera avec un homme ancien soldat qui a fait la guerre du Vietnam. Ils ont un enfant ensemble, et c’est la raison pour laquelle elle ne le quitte pas immédiatement. L’enfant sera malheureuse et cet homme la fera souffrir en cachette de sa mère, l’enfant ne le lui dira pas et s’en voudra parce que cela aurait peut être sauvé sa mère. Je ne vous apprends rien en disant qu’un jour celui-ci tuera sa femme. Ce qui révolte sa fille c’est que la police n’a pas cherché à protéger sa mère. Un témoignage terrible qui est, hélas, bien banal .

Le livre se termine par la retranscription des enregistrements des dernières conversation de sa mère avec son mari. On devine une femme lucide et courageuse , mais qui ne pourra pas se défendre face au pistolet de celui qui n’a qu’une idée en tête : l’empêcher de vivre.

Un livre qui a connu un grand succès aux États-Unis, (enfin c’est ce que dit la quatrième de couverture) qui m’a intéressée sans me passionner je n’arrive pas à savoir pourquoi. En revanche j’ai bien aimé la façon dont cette auteure raconte le racisme ordinaire des américains et aussi le courage des femmes qui s’y opposent. Par exemple, sa tante qui ne veut pas qu’un homme blanc l’appelle « hé , Tantine  » et qui lui répond  :

Ça alors, j’aimerais bien savoir quand est ce que mon frère a épousé votre mère !

Mais avec un fusil à portée de main .. on ne sait jamais !

 

Citation

L’enfant métissée.

 

 J’ai mis leurs mains côte-à-côte et j’ai demandé pourquoi ils n’étaient pas de la même couleur, pourquoi je ne correspondais à aucun d’eux. « Qu’étais-je » « Tu as le meilleur des deux mondes », m’ont ils répondu, une réponse que j’avais déjà entendue.
À l’extérieur, seule avec l’un ou l’autre, un profond sentiment de dislocation s’emparait de moi. Si j’étais avec mon père, je mesurais les réactions polies des Blancs, la façon dont ils s’adressaient à lui en l’appelant « monsieur » alors qu’ils appelaient ma mère « ma fille », jamais « mademoiselle » ni « madame » comme la politesse l’exigeait, comme on me l’avait appris. Le traitement que je recevais variait tellement selon que je me trouvais avec ma mère ou mon père que je n’étais pas sûre de savoir à qui ou à quel lieu j’appartenais.