Édition F Deville

J’ai découvert cette auteure grâce à Yv à propos d’un autre titre « l’autre côté du bocal ».

Pour ce roman Verena Hanf, change de narrateur à chaque chapitre pour décrire un drame qu’Adriana n’arrive pas à oublier et qui lui donne des pulsions de violence bien compréhensibles. Elle ressent une boule dans la poitrine qui la glace complètement mais qui, parfois, l’empêche d’avoir des réactions raisonnables. Elle a fui la Roumanie où a eu lieu ce drame pour vivre en Belgique au service de Nina psychologue alcoolique mariée à Stefan, avocat d’affaire. Elle doit s’occuper de Mathilde, une petite fille trop seule et malheureuse, donc capricieuse comme beaucoup d’enfants de milieu riche mais en manque d’amour de ses parents.
Adiana a laissé chez ses parents, paysans en Roumanie, Cosmos son fils. Elle commence à aller mieux grâce à Gaston un métisse belgo-congolais.

Le titre dit bien l’ambiance du livre tous les personnages sont comme des « funambules » et s’ils font le moindre écart tout peut s’effondrer sous eux. Certains personnages sont plus positifs et plus solides que d’autres. La grand-mère Bunica, par exemple, qui aime son petit fils et sait qu’il est mieux auprès d’elle qu’à Bruxelles où sa fille est trop fragile pour s’occuper d’un enfant. Et surtout Gaston cet homme au grand cœur qui essaie d’apprivoiser Adriana malgré son côté sauvage et froid. Il sent ses blessures qu’il voudrait guérir, il en est amoureux et est prêt à adopter Cosmos.

J’ai bien aimé cette lecture, même si j’ai trouvé un côté un peu « convenu » aux différents personnages et même à l’histoire. Pas d’enthousiasme donc mais un moment de lecture agréable. Cela ferait un support parfait pour une mini-série télévisée.

Citations

Rapport difficiles avec sa mère.

 Elle sait que Mamă lui fera son fameux reproche, à deux mots sur un ton glacé : « Toi. Enfin. » La froideur de sa voix perce à travers les 2200 kilomètres qui les séparent. Elle se transmet sans filtrage entre l’appareil des parents, des années 70, gris est lourd, avec cadran et fil, déposé sur le buffet de la cuisine à côté du cygne en porcelaine et le sien, un portable rosé, léger et égratigné, de seconde main.

Différences entre riches et pauvres.

 Il faut dire que selon Nina et Stefan Jung, presque tout est mauvais pour la santé. Le sucre, le sel le pain blanc, le saucisson. La bonne humeur sans doute aussi, il faut tirer la gueule, se plaindre, gémir. Mais bon, peut-être est-ce juste typiquement allemand : grincher, bien que tout aille bien. Heureusement que chez les Roumains, c’est autre chose. Ils rient même si tout va mal.

La maison de la réussite.

 Chaque meuble, chaque peinture a été placé avec minutie. Stefan n’a rien laissé au hasard, rien au désordre. Il y a une structure en filigrane dans leur maison, un design cohérent, original tout en restant sobre. Il est fier du résultat. Si Nina n’était pas si réticente à recevoir des gens (elle devient de plus en plus paresseuse lui semble-t-il), il en inviterait chaque samedi, juste pour se réjouir de leur admiration pour la composition des meubles, des couleurs et des (rares) décors.


Édition Albin Michel. Traduit de l’américain par Sarah Gurcel

Je vais vous parler d’un roman qui a plombé tout mon été 2022, et pourtant les quatre coquillages vous montrent que je vous en conseille la lecture. J’avais tellement aimé « le fils » du même auteur que je me suis lancée sans hésitation dans ce roman. Soutenue par l’enthousiasme de Krol qui dit dans son commentaire qu’elle aurait bien continué 500 pages de plus !

Le sujet est intéressant, mais vous l’avez certainement déjà rencontré dans d’autres pavés américain : la désindustrialisation de ce ce grand pays – grand, autant par la taille que par les problèmes qu’il engendre et qu’il doit affronter- a laissé des régions entières sans emploi et dans une misère noire. Qui dit misère, dit problème de violence et ce roman le raconte très bien.

D’où viennent mes réserves ? D’abord du style de l’écrivain, je reconnais que, comme il veut écrire un roman choral il cherche à varier son style suivant les personnages du drame. D’abord nous rencontrons Isaac un être supérieurement intelligent mais inadapté socialement. Ils font souvent des bons personnages de films ou de séries ces gens quelque peu autistes à haut potentiel. Le style de l’écrivain devient haché car Isaac parle par phrases lapidaires et est difficilement compréhensible. Ensuite nous serons avec Poe, l’abruti au grand cœur qui cogne avant de réfléchir, il fera le malheur de Grace sa mère qui ne réfléchit pas beaucoup non plus mais qui fera tout pour sauver son fils. La sœur d’Isaac, Lee, a fui cet endroit mortifère en faisant de brillantes études à Yale, mais elle se sent coupable d’avoir abandonné son frère qui doit s’occuper de son père Henry accidenté du travail. Il me reste à vous parler de Harris le policier amoureux de Grace et qui va essayer de sauver Poe.

Voilà, vous les connaissez tous maintenant et ces personnages vont être pris dans un drame provoqué par Isaac qui a décidé de fuir cet endroit en volant l’argent de son père. L’auteur fait parler les personnages les uns après les autres et cela permet au lecteur de ne donner raison à personne. Ils ont tous leur part de responsabilité. Ils sont pris dans un engrenage infernal dont le moteur principal est la misère, dans une région où plus rien ne marche ce n’est pas le meilleur de chaque homme qui est aux manettes.
Comme souvent pour les romanciers américains, il faut à Philipp Meyer cinq cents pages pour nous raconter cette histoire. Il est vrai que la toile de fond du récit est bien rendu : dans une très belle nature qui peu à peu reprend ses droits, les hommes qui l’ont tellement abîmée par une industrialisation intensive sont aujourd’hui les victimes et non plus les maîtres. Ils ont perdu leur pouvoir et semblent bien peu de chose. C’est un récit implacable donc plombant pour le moral et ce n’est pas la fin, dont hélas je ne peux rien dire ici, qui sauvera l’impression de l’énorme gâchis qui ressort de cette lecture si éprouvante.

Citations

L’usine désaffectée :

 Vertes collines ondoyantes, lacets de rivière boueuse, étendues de forêts que seules déchiraient la ville de Buel et son aciérie, une petite ville en elle-même avant qu’elle ne ferme en 1987 et soit partiellement démantelée dix ans plus tard ; elle se dressait maintenant telle une ruine antique, envahie d’herbe aux cent nœuds, et de célastre grimpant et d’ailantes glanduleux.

La fin d’un monde.

Pendant un siècle, la vallée de la Monongahela River, que tout le monde appelait la Mo et qui avait été la plus grosse régions productrice d’acier du pays, même du monde en fait, mais le temps qu’Isaac et Poe grandissent, cent cinquante mille emploi avait disparu et nombre de villes n’avaient plus les moyens d’assurer les services publics de base -la police notamment. comme la sœur d’Isaac l’avait dit un ami de fac « la moitié des gens se sont tournées vers et services sociaux, les autres sont redevenus chasseurs-cueilleurs ». Une exagération, mais pas tant que ça.

Un pays qui va mal.

 Il ne voyait comment le pays pouvait survivre à long-terme, la stabilité sociale repose sur la stabilité de l’emploi, c’est aussi simple que ça. La police ne pouvait pas résoudre ce genre de problèmes. Les gens qui avaient des retraites et des mutuelles, on les voyait rarement voler leurs voisins, battre leur femme ou se cuisiner de la meth dans leur cabane de jardin. Et pourtant, c’était toujours la faute des flics -comme s’ils avaient les moyens d’empêcher toute une société de s’effondrer. La police doit faire preuve de plus d’agressivité, disaient les gens -jusqu’au jour où vous pinciez leurs fils en train de voler une voiture et que vous lui tordiez un peu violemment le bras : la, vous étiez un monstre et un violateur des libertés publiques. Les gens voulaient des réponses simples, mais elles n’existaient pas. Faites en sorte que vos enfants ne sèchent pas les cours. Priez pour que des compagnies biomédicales viennent s’installer par ici.

Différence USA/France.

Il y avait là, dans cette propension à se considérer comme responsable de sa propre malchance, quelque chose de typiquement américain : une réticence à admettre que l’existence puissent être affectée par des forces sociales, et une tendance à ramener les problèmes plus généraux aux comportements individuels. Négatif peu ragoûtant du rêve américain. En France, se dit-elle, les gens auraient paralysé le pays. Ils auraient empêché les usines de fermer.

 


Éditions Livre de poches. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon

Cette fois, c’est un merci sans aucune réserve que j’adresse à Krol qui m’a fait découvrir ce recueil de nouvelles, qui avait aussi bien plu à Aifelle et à bien d’autres blogueuses. La construction de ce recueil est intéressante, car s’il s’agit de treize nouvelles qui se passent toutes à Crosby, une petite ville sur la côte du Maine, le personnage principal, Olive Kitteridge, une grande femme au fichu caractère est présente dans toutes les nouvelles sans toujours être le personnage principal, loin de là. Donc, on finit par connaître à la fois le lieu mais aussi les différents personnages de la petite ville et nous évoluons avec eux en laissant passer les années, à peu près une trentaine d’années.

Olive a un fils Christopher qui aura besoin d’une psychothérapie assez longue pour comprendre qu’il peut vivre et aimer sa mère sans en avoir peur. Car, oui, Olive a fait peur à de nombreuses personnes, à ses élèves quand elle était professeure de mathématiques au collège de Crosby et à bien d’autres habitants. Mais pas à Henry son mari qui lui n’était que gentillesse et qui était aimable avec tout le monde. Dans une des nouvelles une femme se demande comment il fait pour la supporter et une autre lui répond mais parce qu’il l’aime.
Il est beaucoup question d’amour dans ces nouvelles et cela jusqu’à la dernière page où le coeur d’Olive va s’ouvrir pour un « abruti » de républicain !

Toute une Amérique défile devant nous yeux et pour une fois ça n’est ni glauque ni violent, pour autant ce n’est pas un monde à l’eau de rose en réalité c’est une plongée dans la vraie vie et c’est incroyablement sensible et même passionnant alors que le plus souvent il ne se passe pas grand chose : juste la vie, d’êtres normaux dans une petite ville américaine mais c’est raconté avec un talent qui m’a séduite à mon tour.

 

Citations

L’enterrement après l’accident de chasse.

À la fin de la cérémonie, six jeunes hommes portèrent le cercueil le long de l’allée centrale. Olive donna un coup de coude à Henry, et ce dernier hocha la tête. L’un des porteurs – parmi les dernier- avait un visage si blanc, une expression si accablée qu’Henry craignait qu’il lâche le cercueil. C’était Tony Kuzio qui, quelques jours plus tôt, ayant pris Henry Thibodeau pour un cerf dans la pénombre du petit matin, avait pressé la détente et tué son meilleur ami.

Portrait de la mère du marié .

La robe d’Olive -un élément important de cette journée, naturellement, puisqu’elle est la mère du marié- est taillée dans une mousseline vaporeuse verte imprimée de motifs de géraniums d’un rose tirant sur le rouge. En s’allongeant, Olive prend bien garde de ne pas la froisser et la dispose de façon à préserver sa décence si quelqu’un venait à entrer. Olive est une grosse femme. elle en a parfaitement conscience mais comme elle n’a pas toujours été aussi grosse, elle doit encore se faire à cette idée. Certes, elle a toujours été grande et c’est souvent sentie pataude, mais le fait d' »être grosse » est venu avec l’âge. Ses chevilles ont gonflé, ses épaules ont enflé jusqu’à faire des plis derrière son cou, et elle a désormais des poignées et des mains d’homme. Ça prèoccupe Olive -bien sûr bien que ça la préoccupe. Parfois, en privé, ça la préoccupe même terriblement. Mais à ce stade de la vie, elle n’est pas prête à se priver du réconfort de la nourriture, et tant pis si, en cet instant, elle ressemble à un phoque gras et assoupi enveloppé dans une sorte de bandages en gaze.

Propos à la sortie de la messe : Olive cherche à ne pas dire ce qu’elle pense.

À côté d’Olive Kitterige, attendant elle aussi comme tout le monde. Molly Collins vient justement de se retourner pour regarder l’épicerie. Elle soupire. 
« Une femme si gentille. Ça n’est pas juste. »
Olive Kitteridhe, dont la robuste charpente dépasse d’une tête MollyCollins, prends ses lunettes de soleil dans son sac à main et, une fois qu’elle les a enfilées, plisse les paupières et jette un regard sévère à cette femme qui vient de proférer une telle bêtise. Quelle idée stupide, de penser que la vie pouvait être juste. Mais elle répond tout de même « c’est une femme gentille, c’est vrai « en se tournant pour admirer le forsythia près de la salle des fêtes.

Olive et ses belles filles .

 Olive pris la décision d’accepter tout en bloc. La première fois, il avait épousé une femme méchante et autoritaire, cette fois elle était gentille et Idiote. Bah, ça ne la regardait pas, après tout. C’était la vie de son fils.

 

Édition Le Dilettante

 

Après « 39,4 » je savais que je lirai ce roman qui de plus se concentre sur un problème qui me touche car une de mes filles est professeure en collège à Paris : la volonté des parents de contourner à tout prix les règles d’affectation scolaire pour mettre leur enfant dans un bon collège. À Paris, plus qu’en province, le succès des établissements privés est considérable, mais si on habite à côté d’Henry IV ou Louis Le Grand c’est une grande chance pour ces parents trop concentrés sur la réussite scolaire des enfants. Ils peuvent laisser leur chère progéniture dans le public et bénéficier d’un environnement élitiste.

Paul, le père de Bérénice est un de ces pères là et si Sylvie son épouse est plus attentive au bonheur de leur enfant, c’est quand même elle qui demandera à leur ancienne femme de ménage, une mère célibataire d’origine africaine maintenant concierge à côté du collège tant convoité -Henry IV, de domicilier sa famille chez elle ! L’éclat de rire de cette femme qui rend volontiers ce service contre rémunération, m’a fait du bien.

Ensuite le roman enchaîne les manœuvres pour maintenir Bérénice au top de l’élite intellectuelle parisienne, il s’agit de donner à la jeune tous les cours particuliers qui lui permettent de rentrer au lycée Henry IV puis en classe prépa. Et là soudain catastrophe Bérénice tombe amoureuse du seul garçon boursier de la prépa.
Je ne peux vous en dire plus sans divulgâcher, l’imagination de Paul pour obtenir que sa si précieuse fille franchisse les derniers obstacles de la classe prépa.

C’est donc la deuxième fois que je lis un roman de cet auteur, je suis frappée par l’acuité de son regard sur une société qu’il connaît bien, mais comme pour « 39,4 », j’ai trouvé que ce regard pertinent manquait de chaleur humaine et que son humour est parfois trop grinçant. On ne retrouve un peu de compassion que dans le dernier chapitre. Je vous conseille cette lecture si vous avez envie d’en savoir un peu plus sur le petit monde des gens qui veulent à tout prix la réussite scolaire de leurs enfants à Paris. Je sais, c’est un centre d’intérêt limité mais n’oubliez pas qu’ensuite ces braves gens gouvernent la France avec un regard quelque peu méprisant pour le commun des mortels.

 

Citations

Cet humour grinçant qui parfois peut déranger .

 Paul redouta le développement d’un trouble dysphasique sévère. Alerté par une fréquentation compulsive des sites spécialisés sur le net, il fit partager à Sylvie le spectre des conséquences à anticiper : isolement, syndrome autistique, arriération, et décès précoce dans une institution privée située à plus de cent cinquante kilomètres de Paris où ils se seraient auparavant rendus une fois par semaine, le samedi après-midi, afin de passer quelques heures en compagnie de leur fille dans un atelier artisanal de création de lampes en sel coloré.

Les enfants à haut potentiel .

 Son retard initial dans l’acquisition du langage de même que ces manifestations d’anxiété s’intégrant d’ailleurs dans la description proposée par le psychologue Jean-Charles Terrassier, du phénomène qualifié de « dyssynchronie » pour caractériser un certain nombre d’enfants dits « précoces », dont la maturité affective n’était pas en adéquation avec le niveau des connaissances accumulées, expliquant nombre de comportements puérils et négatifs susceptibles de retarder certaines acquisitions. Ainsi naquit ces acquis dans l’esprit de son père l’hypothèse selon laquelle Bérénice était une enfant à « haut potentiel  » au potentiel caractéristique plus gratifiante que les annotations qui ponctuent ses bulletins scolaires de CM2 et lui assignant un rang médian tout en louant des effort qualifiés de « méritoires »

L’élitisme scolaire.

Bérénice fit donc solennellement son entrée au collège Henri-IV sous le regard transfiguré de son père qui conduisit en personne sa fille vers le sanctuaire où elle allait désormais, à l’instar d’une chrétienne béatifiée, recevoir les sacrements d’une pédagogie aristocratique. La jeune fille ne protesta pas, heureuse de l’effet que provoquait sa mutation scolaire sur l’humeur quotidienne de Paul, à défaut de prendre pleinement la mesure de la chance qu’il lui était offerte de s’extraire du troupeau vagissant des futurs exaltée du vivre ensemble. Elle avait en effet, depuis quelques années, pris conscience de la puissance que produisait ses résultats scolaires sur l’humeur de son père et entrevoit les quelques stations de métro supplémentaires qui accompagneraient ces trajets quotidiens comme un maigre tribu à l’équilibre familial.

Se construire soi même une mauvaise foi.

 À la manière d’un rongeur amphibien, il prit la résolution, afin de se prémunir de ses assauts paradoxaux, d’établir une sorte de digue interne, constituée de petits bouts d’arguments qu’il assemblait les uns sur les autres dans la plus grande anarchie pour s’assurer une protection étanche contre les efflux critiques qui l’assaillaient périodiquement. Il lui fallut pour cela mobiliser toute la rigueur de sa formation scientifique et, ainsi que s’organisent naturellement certaines voies de communication au sein d’un épithélium, définir un cadre formel, agencer selon des règles systématiques les voies de signalisation et de régulation à l’intérieur desquelles lui, Bérénice, Aymeric, Henri IV, l’Éducation nationale et ses ramifications s’intégraient et se déplaçaient sans jamais en questionner la finalité.

Les indignations de la jeunesse favorisée .

 Pernille était une jeune fille à la conscience « éveillée » et particulièrement encline à l’indignation. La situation des réfugiés syriens, l’absence de menu bio au réfectoire d’Henri-IV, le nombre de places d’accueil pour les SDF par grand froid, la taille des jupes de sa mère où la fonte du permafrost, tout l’indignait.

Et oui ce genre de spectacle existe (comme ça ou presque).

 Sylvie et Paul s’était laissé surprendre par une invitation l’été dernier afin d’assister à une « mise en espace » consacrée à la poésie médiévale dont la principale originalité tenait au fait que les vers se trouvaient déclamés par des comédiens perchés au sommet des arbres. Églantine Campion expliqua à ses invités, et plus tard à l’ensemble des spectateurs, qu’elle tenait par cette scénographie à renforcer la nature gravitationnelle du processus politique en en inversant la trajectoire, pour mieux signifier que si les vers élevaient l’âme de ses auditeurs, ils avaient l’humilité, en quelque sorte, de descendre jusqu’à eux et de ne point les exclure de leur dimensions parfois ésotérique. Les représentations furent néanmoins interrompues avant leur terme et par la chute malencontreuse d’un comédiens qui se fractura pour l’occasion deux vertèbres, suscitant, en guise de conclusion anticipée, une réflexion de l’organisatrice sur la radicalité de l’acte poétique, son éternel potentialités à transformer, fragmenter même, chacune de nos confortables « zone de réalité ».

 

Édition Albin Michel . Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Traduit du suédois par Anne Karila

 

Un roman qui décrit des relations très lourdes entre des parents et leurs trois garçons, toujours à la limite de l’explosion. On comprend très vite qu’un drame a eu lieu mais on n’aura toutes les clés qu’à la fin du roman, donc promis je ne vous révèlerai rien. Nous sommes avec Benjamin le cadet de l’aîné Niels, et Pierre le plus jeune, ils ont passé leur enfance à se battre, du moins c’est comme ça que nous le raconte Benjamin. Les parents sont le plus souvent sous l’influence de l’alcool et le père éclate de colères imprévisibles et violentes et la mère totalement dépassée semble absente. Je me demande si cette façon de vivre « à la sauvage » chez des gens cultivés représente quelque chose en Suède, ce qui ferait que les Suédois ont une autre lecture de ce roman que nous pour la représentation de cette famille.
Le roman commence à la mort de la mère, le père est décédé depuis quelques années, elle n’exprime qu’un seul souhait que ses trois fils dispersent ses cendres autour du petit lac près duquel ils passaient toutes leurs vacances et où ils ne sont plus retournés depuis le fameux jour, qui a totalement détruit la famille.

Le roman est entièrement sous-tendu par cette révélation, et c’est pour moi un bémol, vraiment je n’aime pas le suspens mais ici il n’est pas gratuit, car effectivement Benjamin doit repartir dans les souvenirs embrouillés de tout ce qui a constitué son enfance pour avoir une chance de pouvoir se reconcilier avec lui-même.

J’ai été un peu gênée par le mélange des temps du récit, c’est très compliqué de savoir à partir de quand la famille a dysfonctionné et pourquoi exactement et j’ai aussi été étonnée par la violence des bagarres entre les frères. On est bien loin de l’image de calme et de self contrôle attachée à la Suède. C’est un roman étouffant qui manque de lumière à mon goût mais qui raconte très bien l’enfance dans une famille détruite.

PS je suis gênée pour rédiger mon billet sans parler de la fin, lisez le vite pour que je puisse discuter avec vous sans cette contrainte. Par exemple que pensez vous du silence de Niels et Pierre adulte lorsque Benjamin évoque la scène où son père a percuté un jeune faon ? (Et réfléchissez au titre vous saurez une intuition sur le drame qui sous-tend ce roman.)

 

Citations

La fatigue dans l’eau froide.

 La fatigue arriva sans crier gare. L’excès d’acide lactique lui engourdit les bras. Sous le choc il en oublia les mouvements des jambes, il ne savait plus comment on faisait. Une sensation de froid partie de la nuque irradia l’arrière de son crâne. Il entendait sa propre respiration, son souffle plus cours et pressé, un pressentiment glaçant lui serra la poitrine : il n’aurait pas la force de retourner jusqu’au rivage. 

Bagarre de frères adultes.

 Pierre lui envoie un coup de pied dans les jambes, Niels s’affaisse sur les cailloux. Alors Pierre se jette sur lui, ils roulent, se bourrent de coups de poing, se frappent au visage, sur le thorax, les épaules. Sans cesser de se parler. Benjamin croit assister à une scène irréelle, quasiment sortie de son imagination : ils se parlent tout en essayant de se tuer.

Les disputes en voiture.

 Ils montèrent dans la voiture. À l’intérieur du véhicule, Benjamin était toujours sur ses gardes, car c’était toujours là, semblait-il, que se déroulait les scènes les plus terribles, lorsque la famille était enfermée dans un si petit espace. C’est là qu’avait lieu les plus violentes disputes entre papa et maman, quand papa faisait tanguer la voiture en essayant de régler la radio, ou quand maman ratait une bifurcation sur l’autoroute et que papa poussé des cris désespérés en voyant s’éloigner la sortie derrière eux.

La perception du laissé aller de sa maison .

 Peu à peu, il réunissait les indices, apprenait à se connaître lui-même en regardant autour de lui. La saleté à la maison, les taches d’urine par terre autour de la cuvette des WC, ça crissait sous les pantoufles de papa, les moutons sous les lits, qui tournoyaient doucement dans le courant d’air quand les fenêtres étaient ouvertes. Les draps qui jaunissaient dans les lits des enfants avant d’être changés. Les pile de vaisselle sale dans l’évier et les petites mouches qui sortaient affolées de leurs cachettes entre les assiettes, quand on ouvrait le robinet. Les cernes de crasse sur l’émail de la baignoire, telles des lignes de marée dans un port, les sacs d’ordures qui s’emploient à côté de l’étagère à chaussures dans l’entrée. Benjamin s’était rendu compte qu’il n’y avait pas que la maison qui était sales ses habitants l’étaient aussi.

 

 


Édition l’aube, traduit du norvégien par Dominique Kristensen

J’avais été très attirée par ce que m’avait annoncé Babelio : une plongée dans une famille norvégienne. L’annonce est tenue et je croyais alors retrouver les mêmes sensations d’exotisme que dans les séries qui viennent des pays du nord, que ce soit « Rita » qui m’a fait découvrir l’enseignement au Danemark ou « notre grande famille » qui décrit les familles recomposées en Suède.

Quelle déception, certes nous sommes bien chez les Norvégiens et regardez bien la photo de la couverture du livre, le contenu est aussi vivant que la photo !

D’abord ne vous attendez pas à une seule note d’humour, il y en a aucune. Ne croyez pas non plus que l’on vous épargnera la moindre évolution dans la psychologie des trois personnages principaux, vous boirez le calice jusqu’à la lie.
Je raconte rapidement le début – enfin le début si on veut car cela n’est dit qu’à la page 100- le père et la mère de trois enfants adultes vont divorcer. Bizarrement, ils l’annoncent à l’anniversaire des 70 ans du père alors que celui ci a invité tout le monde en Italie. Les trois enfants sont complètement perturbés et nous voilà partis sur 300 autres pages à partager les difficulté de Liv la fille ainée, d’Ellen la cadette et de Hakon le plus jeune. Rien ne vous sera épargné , ni les jalousies de l’enfance, ni les difficultés de couples des uns et des autres, ni la difficulté de faire l’amour quand cette fonction ne sert qu’à avoir un enfant qui ne vient pas.

À aucun moment un des trois enfants ne cherchent à comprendre les parents, ils sont surtout extrêmement en colère, furieux que leur modèle parental s’écroule. Ah oui, j’oubliais de vous le dire, en plus d’être terriblement ennuyeux, ils sont totalement inintéressants. J’avais envie de mettre des claques à tout ce petit monde qui vit sans soucis d’argent ni de travail, ils occupent visiblement des postes très intéressants et quand ils en en ont assez du climat et des autres Norvégiens qui sont peut être tous à leur image, ils vont passer une petite semaine à Rome !

Bref un livre terriblement ennuyeux et j’espère que la Norvège vaut mieux que ça

Je n’ai noté qu’un passage (c’est toujours mauvais signe)

Citation

 

l’écologie en Norvège.

Mon faible engagement pour l’environnement est désolant, je trie mes déchets par devoir, mais je ne crois absolument pas que le fait qu’une minorité de ménages norvégiens de la classe moyenne trie consciencieusement la nourriture et le plastique dans les sacs verts et bleus -ou l’inverse- soit d’une utilité quelconque surtout depuis mon voyage en Asie pour un reportage au cours duquel j’ai parcouru les rues de Katmandou ou de New Delhi en pataugeant dans les ordures. Je ne le dis jamais ouvertement, et je participe bien sûr au tri sélectif -c’est acquis une fois pour toutes, les petits ruisseaux font les grandes rivières.

 

Édition Métallier, Traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Sur Luocine, de cette écrivaine, vous trouverez » le territoire des barbares » « Le roi transparent » « L’idée ridicule de ne jamais te revoir » et mon grand coup de coeur : « La folle du logis« . « La bonne chance » m’a fait passer un très bon moment et pour une fois je recopie une phrase de la quatrième de couverture avec laquelle je suis d’accord :

La plume de Rosa Montero est un heureux antidote contre les temps qui courent.

J’aime que l’on me raconte des histoires et Rosa Montero fait partie des auteurs qui les racontent parfaitement. Je ne cherche pas à être objective, donc, je la remercie de m’embarquer dans son imaginaire.

Le récit démarre de façon magistrale et très accrocheuse : un homme dont on ne sait rien achète comptant un appartement qui longe la voie ferré, sur laquelle roule les trains à grande vitesse. Cet appartement est dans un immeuble crasseux dans une petite ville Pozonegro, autrefois riche d’une exploitation minière et complètement à l’abandon. Que fait cet homme dans cet endroit sinistre ? Quel lourd secret cache-t-il ? Que fuit-il ? Toutes ces questions trouveront leur réponse et peu à peu se mettra en place une intrigue romanesque qui oppose la gentillesse de Raluca la jeune fille d’origine roumaine, la bêtise des voyous du villages, en particulier l’homme qui a vendu l’appartement à Pablo car il soupçonne celui-ci d’avoir largement les moyens de leur donner encore beaucoup plus d’argent, mais surtout à la cruauté absolue de militants nazis qui planent comme une grave menace au-dessus de la tête de Pablo.

C’est le sens de tout le roman : que peut la gentillesse face à la bêtise et à la méchanceté ? La fin trop heureuse du roman m’a gênée et m’a empêchée de mettre 5 coquillages à ce roman. Je ne crois pas hélas que la gentillesse puisse lutter contre la cruauté, mais comme l’auteure j’aimerais le croire. La culpabilité de Pablo face aux choix de son fils, l’entraîne à inventer des histoires où il se donne à chaque fois le mauvais rôle , sans doute car il ne peut que s’en vouloir de la dérive ultra-violente dans laquelle s’est enfoncé celui-ci . J’ai bien aimé aussi l’évocation de la vie dans une petit ville autrefois ouvrière et où, aujourd’hui, le seul point vivant et le moins triste est un supermarché !

Sans doute pas le roman du siècle, mais un bon moment de détente et un écriture qui permet de comprendre un peu mieux la vie des espagnols d’origine modeste.

 

Citations

le cadre.

Pozonegro, une petite localité au passé minier et au présent calamiteux, à en juger par la laideur suprême des lieux. des maisons miteuses aux toitures en fibrociment, guère plus que des bidonvilles verticaux, alternant avec des rues du développement urbain franquiste le plus misérable, aux inévitables bloc d’appartements de quatre ou cinq étages au crépi écaillé ou aux briques souillées de salpêtre.

L’autocar arrive enfin à Pozonegro, qui confirme ses prétentions de patelin le plus laid du pays. Un supermarché de la chaine Goliat à l’entrée du village et la station-service qui se trouve à côté, repeinte et aux panneaux publicitaires fluorescents, sont les deux points les plus éclairés, propres et joyeux de la localité ; seuls ces deux endroits dégagent une fière et raisonnable d’être ce qu’ils sont, une certaine confiance en l’avenir. Le reste de Pozonegro est déprimant, sombre, indéfini, sale, en demande urgente d’une couche de peinture et d’espoir.

Une façon étonnante d’interpeller le lecteur.

L’AVE (train à grande vitesse espagnole) tremble un peu, il se balance d’avant en arrière, comme s’il éternuer, il s’arrête enfin. Surprise : cet hommes a levé la tête pour la première fois depuis le début du voyage et il regarde maintenant par la fenêtre. Regardons avec lui : un aride bouquet de voies vides et parallèles à la notre s’étend jusqu’à un immeuble collé à la ligne de chemin de fer.

La beauté.

Ou peut-être simplement parce qu’il est grand et mince et assez séduisant, ou que jeune il l’était. Pablo trouve ridicule cette valeur suprême que notre société accorde à l’aspect physique. C’est étudié par les neuropsychologues : les individus grands, minces et au visage symétrique sont considérés comme plus intelligents, plus sensibles, plus aptes, et comme de meilleures personnes. Quel arbitraire.

Vision du monde.

 Tu sais, à mon âge j’en suis venu à la conviction que les gens ne se divisent pas entre riches et pauvres, noirs et blancs, droite et gauche, hommes et femmes, vieux et jeunes, maures et chrétiens, dit-il finalement. Non. Ce en quoi se divisent vraiment l’humanité, c’est entre gentils et méchants. Entre les personnes qui sont capables de se mettre à la place des autres et de souffrir avec eux et de se réjouir avec eux, et les fils de pute qui cherchent seulement leur propre bénéfice, qui savent seulement regarder leur nombril.

Une personnalité heureuse et l’explication du titre.

 Par contre, j’ai été inconsciente tout le temps, à ce qu’on m’a raconté. C’est merveilleux, non ? tu imagines si j’avais été consciente de tout, tu imagines si je m’étais rendu compte que ce bout de ferraille s’était planté dans mon œil, quelle horreur super horrible, j’en ai la chair de poule rien que d’y penser ! Mais au lieu de ça je me suis évanouie et, quand je me suis réveillé, il m’avait déjà vidé l’orbite et ils avaient fait tout ce qu’ils avaient à faire. Quelle chance ! C’est que moi, tu sais, j’ai toujours eu une très bonne chance. Et heureusement que je suis aussi gâtée par la chance, parce que, sinon, avec la vie que j’ai eue, je ne sais pas ce que je serais devenue.

Remarque sur le pouvoir d’une belle voiture.

 Et puisque on en parle, à quel instant démentiel a-t-elle eu l’idée de s’acheter une lexus etc ? Elle a toujours aimé les voitures, mais s’infliger une telle dépense, commettre un tel excès… Elle a fait comme ces pathétiques vieux croûton bourrés d’argent qui s’achètent une décapotable pour draguer. Même si, à vrai dire, elle ne l’a pas tant acheter pour draguer que pour se sentir un peu moins minable que ce qu’elle se sent réellement. Les voitures donnent du pouvoir, et les vieux croûtons le savent bien.

Felipe a décidé de se suicider à 82 ans.

 Les mois de sa dernière année s’écoulaient et Felipe ne trouvait pas le jour pour se tuer, tantôt parce qu’il était fatigué, tantôt parce qu’il était enrhumé et d’autres fois encore parce qu’il se sentait plus ou moins à son aise. Et ainsi, bêtement, le temps avait passé, et il avait eu quatre-vingt-trois ans, puis quatre-vingt-quatre, et il a maintenant quatre-vingt-cinq ans et il est toujours là sur ses pieds, sans avoir la force de prendre la décision finale, bien qu’ils dépendent désormais complètement des bonbonnes d’oxygène et qu’il ait été pris en otage par un vieillard qu’il ne reconnait pas. Car vieillir, c’est être occupé par un étranger : à qui sont ces jambes des décharnées couverte d’une peau fragile et fripée, se demande l’ancien mineurs, hébété. Eh bien, même comme ça Felipe n’est pas capable de se tuer. Trop de lâcheté et trop de curiosité. Et la fascination de cette vie si âpre et si belle.

 

 

 

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Édition Acte Sud

C’est peu dire que j’aime cet auteur, je veux bien partir avec lui dans toutes « ses traversées » à l’origine de la famille Desrosiers sans jamais m’ennuyer. Après, « Victoire » et surtout « La traversée du Continent » qui avait vu la petite Rhéauna, arriver chez sa mère Maria qui l’a fait venir pour s’occuper de son petit frère né d’un autre père, nous voilà avec elle, sa mère et son petit frère en 1914 à Montréal. Rhéauna, a fini par accepter et aimer son sort car son petit frère est adorable et sa mère fait tout pour qu’elle aille à l’école et satisfasse son envie de lecture. Elle ne s’occupe du petit que lorsque sa mère travaille dans le bar le soir. Mais cette enfant écoute les conversations des grands et évidemment, en 1914, on parle de la guerre, comme c’est une enfant courageuse, elle décide de sauver sa mère et son petit frère et d’acheter des billets de train pour rejoindre ses grands-parents et ses deux sœurs à la campagne dans le Saskatchewan. On suit donc le trajet de cette enfant à travers la grande ville de Montréal et tous les dangers qu’elle est capable d’affronter seule. Mais le roman n’est pas construit de façon linéaire, parfois nous sommes en 1912 quand Maria arrive chez son frère Ernest et ses deux sœurs Tititte et Tina et qu’elle explique pourquoi elle est venue les rejoindre : elle est enceinte d’un homme qui n’est pas de son mari et qui a disparu .

Dans « la traversée des sentiments » les enfants sont un peu plus grands et les sœurs ont décidé de revenir à Duhamel. Là où la famille a des attaches racontées dans le roman « Victoire ». Ce roman est l’occasion de plonger dans la vie des trois sœurs dans ce qu’elle a de plus intime. Michel Tremblay est un analyste de l’âme féminine d’une finesse et d’une délicatesse incroyable. Les huit jours de vacances à Duhamel le petit village de campagne vont donner le courage à Maria pour aller chercher ses filles chez ses propres parents dans le Saskatchewan.

Tout le charme de ces romans vient du style de l’auteur et du temps qu’il prend avec chaque personnage pour nous faire comprendre leurs choix de vie. Et puis il y a le charme du québécois qui chante à mes oreilles. C’est un auteur qui me fait du bien alors qu’il ne raconte pas des vies faciles, je préfère largement cette approche par la littérature de la vie très dure aux romans où l’auteur se plaît dans le glauque.

 

Citations

Maria

 Maria marchait vite, s’intéressait peu aux vitrines pourtant magnifiques devant lesquelles elles passaient et n’arrêtait pas de lui dire de se dépêcher alors qu’elle n’étaient pas du tout pressées. Sa mère ne se promènent pas, elle se « rend » quelque part.

Théorie médicale

 Leur mère avait terrorisé ses enfants pendant des années en guettant chez eux le moindre petit symptômes de rhume pendant les vacances estivales. « Un rhume en hiver, c’est normal, il fait frette, on attrape froid au pieds, pis c’est plein de microbes. Un rhume en été, c’est parce que le corps va pas ben, que le sang est pourri, pis on peut attraper des numonies sans même s’en apercevoir ! C’est hypocrite, les numérisés d’été. Ça tue le temps de le dire. »

J’aime cette façon de raconter :

 C’est un drôle de mot succomber. C’est un mot qui fait honte après, qu’on trouve laid après, mais qui est tellement différent pendant que ça se passe. Succomber quand t’es pas marié, ça fait peur avant, t’as honte après, mais si t’es en amour, c’est tellement magnifique pendant.

Le plaisir et le bonheur des femmes

 Les autres femmes n’osent pas intervenir. Elles ne se regardent même pas. Titille à connu un mariage blanc catastrophique avec un Anglais frigide, Tina a aimé avec passion un homme qui l’ a laissé tomber quand il a appris qu’elle attendait un enfant de lui, Maria a quitté deux ans plus tôt un vieux monsieur bien gentil et fort généreux mais qui était loin de combler ses attentes après avoir été marié à un marin toujours absent et qui ne revenait que pour lui faire des enfants. Et voilà que leur cousine disparue de la Saskatchewan des années avant elles, celle qu’on tant conspué dans les soirées de famille, dont elle disait qu’elle était allée s’enterrer dans le fond des Laurentides, dans l’Est Du pays, pour cacher sa vie de misère avec un batteur de femmes, celle qu’on donnait en exemple pour faire peur aux jeunes filles qui voulaient quitter le village à la recherche du grand amour, Rose Desrosiers, qui portait presque un nom de sorcières, se révélait être la seule comblée d’entre elles, sans doute la plus heureuse, en tout cas la plus satisfaite de son sort.

 

Édition Albin Michel

 

 

Le destin de femmes, en particulier les quatre femmes de la famille Malivieri, Agnès la mère, Sabine l’aînée, Hélène la seconde et Mariette la cadette est décrit avec précision par Véronique Olmi, ce récit est inscrit dans le temps : de 1970 à 1981.

C’est un gros roman de cinq cents pages, l’auteure souhaite donner la même importance à chacune de ces femmes. C’est donc l’émergence de la condition féminine qui va être le principal moteur de cette histoire.

Nous sommes au début, dans la famille Maliviéri, un couple uni dans la foi catholique et qui est presque dans la misère, car le père, Bruno doit payer pour la faillite financière de l’affaire de son père. À cause de ce manque d’argent, la famille doit accepter un chèque mensuel de la famille Tavel, le beau-frère d’Agnès, sa sœur a fait un très beau mariage avec un très riche industriel. La seule contre partie à ce chèque mensuel, c’est de laisser Hélène venir passer toutes ses vacances dans la famille Tavel. C’est humiliant et compliqué à vivre pour la petite fille, car elle aime les deux familles et ne se sent chez elle nulle part. Ses deux pères sont des figures bienveillantes qui vont l’aider à se construire une personnalité toujours un peu ambivalente.

Commençons donc par la mère Agnès, dernière née d’une famille nombreuse, elle n’a pas été soutenue dans son désir d’études et s’est précipitée dans son mariage avec le gentil Bruno, pensant trouver là le moyen de se réaliser. Le début de leur union sera marqué par la perte d’un enfant à la naissance, mais la foi chrétienne et la vie de famille avec trois filles suffiront au bonheur d’Agnès. Et puis les filles partiront vivre leur vie et le silence qui s’installe dans leur petit appartement devient pesant. Elle décide alors de devenir factrice et c’est encore un moment de bonheur dans le monde du travail qui s’installe pour elle . Hélas ! une dernière grossesse désirée par le couple se soldera par un drame (je ne peux pas sans trop en dire sans divulgâcher la fin).

Ensuite vient Sabine, l’aînée des filles qui a une volonté de fer et une énergie peu commune. Elle n’a qu’une envie vivre à Paris et quitter l’atmosphère étriquée de la province. Elle se lancera dans une carrière d’actrice et nous permet de découvrir la galère des débuts dans le monde du spectacle et toutes les luttes qui ont marqué cette époque. Elle a des amours compliqués et un engagement politique à gauche qui lui permettra de fêter avec un grand bonheur la victoire de Mitterrand sur Giscard .

Vient ensuite Hélène, la seule qui soit à l’abri des soucis financiers grâce à l’affection de son oncle David Tavel. Elle épousera la cause animale et se lance dans la lutte pour la survie de toutes les espèces. Ses amours ne sont pas très simples et cela nous permet de découvrir le monde de Neuilly vu du côté des jeunes très favorisés.
Il reste donc Mariette qui a vécu longtemps seule avec ses parents et qui en veut à ses sœurs de ne pas se soucier plus des difficultés de Bruno et Agnes , elle se découvrira une passion pour la musique et un amour pour Joël qui l’aide à comprendre ses parents.
J’ai oublié une autre femme : Laurence une femme aisée et libre qui vit dans une belle bastide et qui sera un point d’appuie important pour Agnès et Mariette.

Bien sûr il y a des hommes mais ils ne sont là que pour accompagner le cheminement de ces femmes. Même Bruno, le gentil Bruno, qui jamais ne s’impose auprès de sa femme ni de ses filles.

C’est un roman qui se lit très facilement et où on retrouve des aspects de la société que l’on a connus. Je trouve très bien raconté, l’arrivée de la sexualité dans la vie des jeunes filles. La peur et l’attirance à la fois. Comme je viens d’un milieu laïc, je suis étrangère à l’engagement religieux des parents, mais laïcs ou catholiques se retrouvent dans la condamnation d’une sexualité féminine libérée. J’ai été un peu lassée par la répétition des modèles féminins. Si elles sont différentes, ces quatre femmes, elles donnent toutes l’impression de sortir d’un cocon et d’ouvrir peu à peu leurs ailes pour affronter le monde. Je n’ai pas réussi à croire complètement aux personnages, et je regrette qu’aucun homme ne prenne une vraie consistante. J’imagine cependant assez bien l’adaptation de ce roman en une mini série télévisée .

 

 

Citations

Bien observé

Autour du cou une étiquette à son nom Hélène Malivieri , mais elle n’avait plus, comme lorsqu’elle était plus jeune, à tenir la main d’hotesse de l’air qui ressemblaient toutes à Françoise Dorléac et s’avançaient au-devant de son père avec un air affranchi et une sensualité piquante.

Le manque d’argent

Le manque d’argent rendait les liens fragiles, comme si tout pouvait disparaître d’un jour à l’autre, et les parents à force de se priver et de faire attention ressemblaient à deux enfants au bord de la route sans jamais arriver à traverser.

Le mariage

Les liens du mariage sont sacrés, avait-il expliqué à ses filles, ils ne peuvent jamais être rompus, le mariage est indissoluble, comme le métal dans l’eau, c’est in-dis-so-lu-ble, ça ne cesse jamais d’exister même après un divorce puisqu’un mariage ne peut pas être annulé, donc le divorce c’est tout simplement impossible. Cela les avait soulagées d’apprendre que jamais leurs parents ne divorceraient, que ce malheur-là ne pourrait pas avoir lieu, mais il y avait avant cet indissolubilité une énergie puissante qui donnait au mariage la force d’une condamnation.

Les castings

Un directeur de casting lui dit qu’il avait quelque chose pour elle, elle pouvait faire un stage et devenir cascadeuse, on manquait de cascadeuse. Un autre lui demanda de rire. Elle rit. De pleurer. Elle pleura. Il frappa dans ses mains, Ris ! Pleure ! Rit ! Pleure !Et quand elle eut fini, il lui dit qu’elle était très ordinaire.

Portrait d’un mari et (père) effacé

Il ne comprenait pas qu’Agnès soit partie en cachette, comme si elle avait été captive, mais peut-être avait-elle besoin de cela aussi, ce sentiment d’évasion, il ne savait pas, il savait peu de chose, à la vérité, il avait la sensation d’être un peu à la traîne et de ne rien voir venir, il demeurait cet homme décalé et qu’on aimait pourtant, il ne savait pas vraiment pourquoi. La mort de la petite fille, Agnès refusait d’en parler et cette mort l’obsédait comme une faute inexcusable, la douleur était physique. Il n’osait dire que l’enfant lui manquait et qu’il lavait aimée, lui aussi, même s’il ne l’avait pas portée. La grossesse, cet état qu’il ne vivrait jamais, était sa défaillance, il était spectateur d’un mystère puissant et menaçant. Il avait l’impression d’avoir toujours vécu avec Agnès et il pensait rarement à sa vie d’avant, son enfance au fil du temps était devenu une zone un peu floue, appartenant à un petit garçon aux cheveux rasés et au sourire rêveur, ainsi que les photos le représentait au milieu de garçons en short et de filles aux nattes brunes, ses frères et soeurs. C’était loin, des années sans tendresse dont il aurait préféré se passer. Agnès n’était pas la deuxième partie de sa vie, elle était toute sa vie, une vie prise à présent entre deux enfants perdus, l’effroyable chagrin sans souvenir.

Création de la ligue de protection des oiseaux

C’était juste avant la Grande Guerre. En 1912. Des safaris était organisée sur les côtes bretonnes par les chemins de fer de l’Ouest, et chaque dimanche des chasseurs débarquaient pour tirer sur les macareux moines venus nicher en France. Le soir ils repartaient et laissaient derrière des oiseaux plombés, des poussins affamés et des oeufs explosés. Un homme, le lieutenant Hémery, a décidé de stopper ce massacre. Il a créé la Ligue pour la Protection des Oiseaux, et la chasse dans les sept îles au large de Perros-Guirec est devenu illégale.

Le symbole de Luocine : le fou de bassan

Depuis 1930, l »île parce qu’elle est protégée attire les fous de Bassan. Ces milliers de points blancs, ce sont eux, en colonie, sur l’île de Rouzic, que l’on surnomme l’île aux oiseaux. Ils l’ont choisie pour sa sécurité mais aussi pour les bonnes conditions de vent du vent, de déplacement et de nourriture tout autour.

 

J’aime beaucoup cette auteure, au point d’acheter deux fois son livre et de le lire deux fois aussi. Au fur et à mesure que je le lisais, je retrouvais les personnages et l’histoire que j’avais déjà lue, et comme je fais partie de la minorité, si injustement décriée, des lectrices qui adorent qu’on leur raconte la fin des intrigues, c’était le bonheur total. C’est vraiment une lecture distrayante et que vous aimerez si vous avez gardé le plaisir que vous l’on raconte des histoires. Le procédé narratif n’est pas banal , car pour expliquer pourquoi cette mère Tatiana a dû empêcher sa fille Nine d’aller à la fête du lycée, elle doit d’abord l’emmener dans une cabane perdue près d’un lac, où malheureusement aucune connexion n’est possible , mais surtout raconter son enfance et révéler peu à peu les secrets de sa famille. Ceux-ci sont si lourds et si complexes qu’il ne faut surtout pas les révéler trop brutalement, et il faudra bien tout le temps d’un roman, pour que Nine sente combien sa mère l’a aimée plus que tout et qu’avant sa mère, Rose-Aimée sa grand mère avait fait preuve d’un courage incroyable pour que ses trois enfants puissent vivre à l’abri d’un père on ne peut plus destructeur. L’auteure termine son roman quand les différents personnages vont se retrouver et j’avoue que j’aurais bien aimé savoir comment leurs retrouvailles allaient se passer . Mais son histoire est terminée quand tant d’autres la commenceraient.

C’est un roman qui est classé « ado », et oui, je pense que cela peut plaire à des jeunes lecteurs car l’intrigue est bien ficelée, mais surtout l’adolescence est parfaitement décrite. Dans ses excès, ses fragilités et son incroyable sens de l’humour. Et c’est ce qui rend ce roman lisible pour les adultes qui aiment cet âge. Quand elle était jeune Tatiana qui s’appelait alors Consolata a supporté les errances de sa mère qui changeait assez souvent de compagnon. L’auteure décrit très bien les difficultés de l’enfant lorsque sa mère change de partenaire, elle aimait l’ancien et détestait le nouveau qui pourtant a bien des qualité qu’elle découvrira petit à petit. Elle se crée des pères biologiques au gré de ses passions, un célèbre footballeur ou un chanteur de rock Elle ne sait rien des difficultés réelles de sa mère mais une chose certaine elle n’a pas manqué d’amour dans sa vie. À son tour elle aimera de toutes ses forces sa fille, Nine, même si elle ne lui offre pas le dernier IPhone le même que celui de toutes ses amies . D’ailleurs le rapport à l’argent de Tatania-Consolata semble bien compliqué, et on découvrira pourquoi. Rassurez-vous je respecte les anti-divulgâcheuse et je n’en dirai pas plus !

Je crois que j’ai préféré « et je danse aussi » du même auteur mais il est bien dans la même veine que « le temps des miracles » et pour le côté combat des femmes : « Pépites »

 

Citations

Tellement bien vu !

C’est une vieille voiture de marque allemande, le genre de tank démodé qui polluent l’atmosphère depuis la fin du 20e siècle et qui fait honte à la fille assise à l’arrière.
 La fille, c’est Nine, 16 ans la semaine prochaine, cinq cents kilomètres de silence au compteur.

Une autre époque

D’une certaine façon, le monde était plus lent et plus vide qu’aujourd’hui. Chaque chose que nous faisions prenait du temps, réclamait des efforts, mais personne ne s’en plaignait puisque c’était normal. Les photos, par exemple. Il fallait apporter la pellicule chez un photographe pour qu’elle soit développées dans un labo. Parfois, il s’écoulait plusieurs mois entre la prise de vue et le tirage, si bien qu’en découvrant le résultat, on ne se souvenait même plus qui était sur le cliché ! Rien n’était instantané, à part le chocolat en granulés et le café en poudre ! Si tu étais fan de musique, pour écouter ton morceau préféré, tu devais attendre qu’il passe à la radio. Ou bien, tu devais aller acheter le disque vinyle dans un magasin spécialisé. Et si par malheur tu n’avais pas de magasins de disques près de chez toi, tu devais le commander sur le catalogue, ce qui supposait d’attendre encore plus longtemps…