Éditions Les Escales, 194 pages, septembre 2025.

Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Le sujet s’annonçait passionnant : a-t-on le droit de s’emparer de la vie d’autrui pour écrire un roman ? Mais hélas la réalisation est bien loin de m’avoir intéressée. L’auteure narratrice situe, en grande partie, son récit dans un train de nuit entre Londres et Edimbourg, nuit pendant laquelle elle partage son compartiment avec un écrivain et son ami. On apprend que le dernier roman de Terry, l’écrivain, « Rocco » a pris comme sujet un personnage réel Hans et que, celui-ci a disparu après la publication de ce livre en découvrant que ce roman dévoilait sa vie personnelle. Un critique littéraire a dénoncé avec violence ce qu’il considère comme un abus de la part de l’écrivain et qui a mis en danger la vie de Hans. Voici grosso modo le sujet. Mais ce qui aurait pu être intéressant est noyé dans un récit très compliqué, une mise en abîme de la fiction et de la réalité, j’ai eu un mal fou à m’intéresser aux différents personnages , et j’ai été agacée par toutes les références littéraires qui me semblaient être là comme une garantie du sérieux du propos.

Je me dis que c’est un premier roman , que l’écrivaine est très jeune et qu’elle veut donner des gages de sérieux. J’espère pour elle qu’elle quittera au plus vite, ces habits d’étudiante sérieuse et appliquée pour aller vers des récits qui la concerneront un peu plus. Bref une vraie déception, j’espère que le club m’apportera de meilleures lectures cette année.

 

Extraits.

Début (prétentieux ?).

 Le système de numération chinois distingue deux centres de zéros qui sont en réalité deux sortes de néants : l’un est le néant absolu, celui qui, je suppose, donne forme aux confins de l’Univers, là où aucune particule n’a jamais existé ; l’autre est représenté par le caractère « ling » et désigne la marque de ce qui est resté en arrière, en suspension, comme l’humidité dans l’atmosphère après un orage. Une absence définie par la trace de ce qui était et a été.
 Pendant ce séjour statique tout était « ling » ; un creux qui avait contenu quelque chose. Or ceci n’est pas le récit d’une période d’immobilité mais l’histoire d’une longue nuit.

Les références littéraires complètement inutiles.

Jules Renard disait que la vie est courte mais que l’ennui l’allonge. Et les après-midi dominicaux qui s’étirent devant ceux qui redoutent l’arrivée du lundi s’ancrent dans l’imaginaire lié à l’ennui le plus tenace.

Mais pourquoi ce genre de détails sans aucun intérêt ?

Bou portait un grand pull d’un noir défraîchi ; et bien qu’il l’ait rentré dans son pantalon, je devinai son t-shirt en coton blanc sous la laine. J’imaginais un col en V , de ceux qu’on achète par lot de trois et qui sont un peu démodés par rapport aux cols ronds.

 Problème de traduction ? C’est quoi un sommeil déconcertant ? ? ?

À cette heure tous les habitants devaient dormir d’un sommeil paisible ou déconcertant, le bruit lointain du train lointain s’incorporant aux aventures oniriques de certains, à la manière dont les sons ambiants s’immiscent dans nos rêves. 

Éditions livre de poche, 517 pages (avec la post-face qui explique d’où vient ce roman), mai 2023.

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Je dois cette lecture à « Caudia-Lucia » et je l’en remercie. Mes coquillages disent beaucoup du plaisir que j’ai eu à lire ce roman. La guerre d’Espagne a fait partie de mes premières lectures qui m’ont marquées dans ma jeunesse. Hemingway et « Pour qui sonne le glas » Malraux et « L’Espoir », qui m’avaient donné une vision simple de l’engagement du bon côté de cette guerre. Et puis, il y a eu George Orwell qui définitivement m’a fait douter du rôle des communistes pendant cette guerre. Mais je n’avais jamais rien lu sur l’après guerre et la répression franquiste. Almueda Grandes va raconter trois ans de terreur : 1947, 1948, 1949 en Andalousie, et l’épilogue en 1960, le moins qu’on puisse dire c’est que son point de vue n’est pas simpliste.
Nino, un petit garçon de 9 ans, au début du roman, vit dans une maison-caserne où son père est garde civil. Ce qui correspond à gendarme ; avec tout ce que cela veut dire quand il s’agit de maintenir l’ordre dans une dictature.
Ce que j’avais mal imaginé, c’est que l’implantation des gens qui avaient voté pour le front populaire était massive dans les régions rurales pauvres, et si la victoire militaire a été incontestable, elle n’a pas pu changer les mentalités pour autant. Durant ces trois années, la guérilla dans les montagnes était encore très active soutenue par une population qui était horriblement choquée par les méthodes de répression de l’armée ou des gardes civiles.
L’auteur a choisi comme narrateur un petit garçon, Nino, qui devra sa prise de conscience à un homme qui vit seul dans la montagne, cet homme, Pepe el Portuges lui apprendra tout ce qui est important pour prendre ses propres décisions et ne jamais avoir de réaction trop manichéennes. Bref, à devenir quelqu’un de bien dans un pays fasciste, de bien et de vivant donc faire attention à ne pas se jeter dans des actions irréfléchies. C’est tellement facile de juger, surtout sur les apparences, alors que pour mener à bien une lutte, il faut parfois savoir se cacher sous de fausses identités.

Les dialogues entre le jeune Nino, et celui qui lui semble vieux, mais qui est juste un adulte, Pepe el Portuges, sont des moments forts de ce roman. La prise de conscience de ce qui se passe autour de Nino, sous-tend tout ce récit, la lectrice que je suis, a suivi avec un intérêt, toujours proche de la surprise, le dévoilement des différents acteurs de cette narration. Je sais que c’est une fiction, qui mêle personnages réels et créations romanesques, mais je pense que ce roman doit être très proche du vécu de la population espagnole de cette époque. Les moments de détente arrivent avec les relations amoureuses : les femmes espagnoles ont du tempérament !

Les femmes qui vivent dans la terreur que leur mari, fils ou frère soient assassinés d’une balle dans le dos par des gardes civiles ou de face par les militants communistes cachés dans la montagne, sont des personnages qu’on n’oublie pas : leurs pleurs ou leurs cris résonnent longtemps dans la mémoire du lecteur après avoir refermé ce roman.
Ma seule difficulté mais qui n’est pas un reproche est venu des noms espagnols : je devais tout le temps faire un effort pour savoir qui était qui, d’autant que pour se cacher les personnages ont plusieurs noms !

Je vous encourage à lire ce roman , je serai bien étonnée qu’il ne vous plaise pas.

Extraits.

Début.

(je ne compte plus les débuts météorologiques des romans, mais je trouve celui-ci réussi, non ?)
 Les gens prétendent qu’en Andalousie il fait toujours beau temps, mais dans mon village en hiver on mourrait de froid.
 Les gelées se présentaient traîtreusement, avant la neige. Lorsque les jours étaient encore longs, lorsque le soleil de midi chauffait toujours et que nous descendions les après-midi jouer à la rivière, l’air devenait soudain cinglant et plus limpide. Puis le vent se levait, un vent aussi cruel et délicat que s’il était fait de verre, un verre aérien et transparent qui descendait en sifflant de la montagne sans soulever la poussière des rues.

Souvenirs de la guerre civile.

 Rubio, malgré son nom qui signifie « blond » avait les cheveux bruns, une cascade de boucles sombres aussi brillante que des gorgées d’huile, lui arrivant à la taille. C’est certainement pour cette raison, ou parce que c’était encore une enfant, ou parce qu’à douze ans elle avait déjà de grands yeux, un long cou, un nez fin et des lèvres on ne peut plus pulpeuses, qu’on ne le lui avait pas tondu la tête à la fin de la guerre, en même temps qu’à sa mère, à ses sœurs aînées, à ses belles sœurs, à ses tantes et à ses cousines. La ferme où elle habitait alors s’appelait toujours la ferme des Rubio même si plus un homme n’y habitait. Ils étaient tous morts, et certains, disait-on c’était exilé en Amérique. Mais Filo, elle, était restée. Elle s’était promenée le lendemain dans le village, les cheveux pleins d’échelles à moitié tondue. C’était elle qui s’était mise dans cet état avec les ciseaux de la cuisine, pour que personne ne puisse douter de ses opinions, ou pour ne rien devoir à ces fasciste soudain transformés en coiffeurs. La seule chose qu’elle récolta fut de se retrouver assise sur une chaise, au centre de la place pour finir de se faire tondre tout à fait.

Les discussions chez son père, garde civil et sa mère au fort tempérament.

 » Encore un de vos exploits, lançait ma mère qui ne ratait jamais une occasion de rappeler cela ouvertement, allez mettre en prison une femme tout simplement parce qu’elle est fidèle !
– Elle n’est pas en prison pour cette raison, Mercedes, mais pour avoir fait de la propagande subversive.
– De la propagande subversive ? Dire que tu couches avec ton mari c’est faire de la propagande subversive ça ? Et le faire cocu, c’est quoi alors ? Collaborer avec Franco ? Eh bien, dis donc … tant de curés et tant de messes, pour en arriver là …
– Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
– Eh bien, je ne me tairai pas. Je n’en ai pas envie, voilà ! La seule chose qu’a faite Rosa a été de dire qu’elle était enceinte de son mari, un point c’est tout. Et tu trouves que c’est une raison pour l’envoyer en prison, peut-être ? Être fidèle et aimer son mari, et coucher avec lui, c’est une raison pour se retrouver en prison, Antonino ? » Insistait ma mère. Et mon père n’osait pas lui répondre ce qui encourageait encore plus sa femme : » Et elle a très bien fait… d’abord de dire la vérité et ensuite parce que… ça… c’est sûr qu’on vous aurait entendu vous gausser et traiter Cencerro de cocu, alors que c’était même pas vrai… »

La répression franquiste.

 Ces derniers pouvaient raconter l’histoire à leur manière, et fêter l’anniversaire des années de paix qui avait lieu tous les mois d’avril, en évoquant les églises incendiées, les curés éventrés, les bonnes sœurs violées, la terreur des hordes marxistes qui avaient précipité leur intervention sacrée et salutaire. À Madrid, il y aurait toujours des gens pour croire que la guerre s’était terminée en 1939 mais dans mon village c’était différent. Dans mon village, les hommes s’enfuyaient dans la montagne pour sauver leur peau et les autorités poursuivaient les femmes qui tentaient de gagner leur vie en vendant des œufs, celles qui ramassaient du spart dans la forêt, qui le travaillaient et même celles qui vendaient des asperges sauvages le long des chemins. Car pour celles-ci tout était interdit, tout était illégal, tout devenait un délit et la survie de leurs enfants relevait du miracle. Voilà comment cela se passait dans mon village, où l’on pouvait se faire tirer dans le dos n’importe quand pour avoir donné à manger à son enfant, à son père, à son frère. C’était suffisant pour légaliser n’importe quelle mort, cela transformait n’importe qui en dangereux bandit, en féroce ennemi public même si celui-ci n’avait jamais eu le moindre fusil entre les mains. C’était la loi, et c’était une loi injuste, une odieuse loi, une loi atroce et barbare, mais c’était la seule et unique loi. Et les gardes civils ne craignaient pas de l’appliquer.

Ce que Jules Verne a apporté à Nino.

 En outre, les romans de Jules Verne me donnaient souvent le prétexte de poser des questions sur tout ce que j’ignorais, en histoire, en géographie, en physique, à propos des sextants, des ballons aérostatiques, des sous-marins, des routes maritimes, des exploits des découvreurs, des expériences dans les laboratoire, de tout ces savants fous et sages à la fois qui, après beaucoup d’erreurs, parvenaient au plus grande découverte de leur vie. Ainsi ces livres allaient me conduire vers d’autres livres, d’autres auteurs que j’allais découvrir avec la même avidité. 

Pour vous expliquer pourquoi je me suis un peu perdue dans les noms.

Lors des premières élections démocratique, José Moya Alguira , alias Pepe el Portugais, alias Francisco Rojas, alias Juan Sanchez, alias Miguel Monterro, alias Jorge Jorge Martinez, alias Camilo occupa la tête de liste que présenta le parti communiste espagnol dans la province de Jaén, où mon nom se trouvait en dernier.

 

 

 

Éditions Bayard, 290 pages, avril 2025

 

Je mets cet essai dans le mois des feuilles allemandes alors qu’il est écrit par une française, mais c’est un sujet qui concerne au premier chef l’Allemagne. Comme moi peut-être, le mot « sudètes » était englobé dans cette phrase :  » Annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie dirigée par Hitler en 1938″.

Un tel livre ne pouvait que plaire à Patrice. Je suis moins enthousiaste que lui car cette l’enquête de cette auteure est laborieuse ce qui ne l’empêche pas d’être très intéressante. Pour bien comprendre la façon dont Alexandra Saemmer essaie de retrouver tous les membres de sa famille et leur mode de pensée pendant l’annexion en 1938 puis leur expulsion en 1945 de Tchécoslovaquie, il faut comprendre la notion de ‘boîte miroir », notion qu’elle utilise souvent et que j’ai eu du mal à cerner. Si j’ai bien compris, il s’agit de comprendre une situation et des personnages à l’aulne de son vécu personnel et de ses connaissances sans pour autant être certain que ce soit la vérité.

Elle sait et peut vérifier un certain nombre de choses sur sa famille, ses grands parents vivaient dans une région à majorité Sudète dans une petite ville rurale Auspitz qui est rayée de la carte aujourd’hui, parce que tous les Sudètes ont été en 1945, expulsés vers l’Allemagne.( Les chiffres officiels disent que sur 3,2 millions d’Allemands des Sudètes plus de 3 millions ont été déportés.)

Comme dans toutes les familles qui ont connu de tels bouleversements beaucoup de zones d’ombres hantent la mémoire des survivant, mais ces zones deviennent grises quand il s’agit de rechercher des ancêtres qui ont été des Nazis convaincus et actifs, ou passifs et malgré eux. L’écrivaine est très honnête dans sa démarche et voit bien que son grand-père disparu sur le front de l’est portait la médaille nazie au revers de son veston. Mais évidemment, plus personne après guerre n’est capable de lui expliquer ce qu’il ressentait vraiment. Sa mère se souvient d’un homme très doux et comme tous les Allemandes, déclare ne rien savoir de ce qui est arrivé aux juifs, ce qui est certain c’est qu’il n’est pas revenu du front de l’Est et que l’on n’a retrouvé aucune trace de lui. Sa grand mère a donc été expulsée en Bavière où elle n’a pas été bien accueillie, les Bavoirois supportaient mal ces réfugiés qui leur semblaient plus slaves qu’Allemands (les théorie racistes avaient laissé des traces solides dans les mentalités allemandes) . Le malheur de cette famille de trois enfants est aggravé par la mort en couche de la grand mère de l’auteur, les trois enfants sont séparés et le pauvre petit garçon Hermann se retrouvera dans une ferme comme petit valet et se perd dans les méandres de l’histoire de jeunes délinquants de l’après guerre. Les deux sœurs seront élevées dans deux familles différentes et aimantes et resteront en contact. La recherche de l’auteur lui permettra de se rendre compte que sa mère n’est pas née d’un viol par un soldat Russe car sa mère était enceinte au départ de son père pour le front de l’Est. Les scènes de viols ont été nombreuses dans les régions des Sudètes comme dans toutes les régions libérées par l’armée russe.

La dernière partie de la recherche de l’auteure est consacrée à ses contacts avec différents réseaux de parole des Sudètes, et l’on voit que certains n’hésitent pas à parler de Génocide pour leur expulsion et à prétendre que leur sort a été pire que celui des Juifs. Ce n’est absolument pas ce que pense l’auteure qui explique sans cesse que la déportation des Sudètes n’a jamais voulu dire « extermination » : ils avaient choisi l’Allemagne Nazie en 1938 , les Tchèques ont été très contents, en 1945, de les renvoyer vers leur patrie de « cœur » et de langue si ce n’est d’origine . En effet la présence d’Allemands dans ces régions est attestée depuis le Moyen-Age.

Tous les malheurs des Sudètes viennent du traité de Saint Germain, qui acte la fin de l’empire Austro-Hongrois et qui trace des frontières à travers des régions qui avaient l’habitude de se sentir l’autorité d’un lointain empire sans se poser la question de la nationalité. Les peuples étaient définis plus par leur langue que par leur nationalité, les Sudètes se sont retrouvés en Tchécoslovaquie sans pour autant perdre leur langue. Et la catastrophe du Nazisme les a précipités dans les bras d’Hitler : là ils ont vraiment tout perdu et n’ont trouvé aucun soutien dans la conscience internationale après la guerre 39/45.

Je trouve que cette auteure sait très bien nous l’expliquer à travers sa famille, et si ce sujet vous intéresse, à votre tour de découvrir un peuple bien malmené par l’Histoire.

 

 

Extraits.

Début.

 Décembre 2023, ma mère m’a tendu une pochette et elle m’a dit : « Voilà ton héritage. Prends en soin. » À l’intérieur il y avait parmi d’autres documents, le titre de propriété d’une ferme à Auspitz : une maison en brique de 135 mètres carrés comportant trois chambres, une cuisine, une buanderie, une grange et une étable de 80 mètres mètre carrés abritant 25 cochons, 20 oies, ; un hectare de terrain destiné à la culture de la pomme de terre, du maïs et du fenouil ; un jardinet ; des arbres fruitiers, un étang.
 La liste des biens était précise.
 Or, la ville d’Auspitz ne figure plus sur aucune carte.
 Je suis une descente du peuple des Sudètes : une minorité germanophone installée dans les régions frontalières de la Tchécoslovaquie depuis le Moyen Âge, qui a été expulsée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour avoir voté, quelques années plus tôt en faveur de son intégration dans l’Allemagne nazie.

La boîte-miroir.

 Pour saisir ce qui obstinément m’échappait, j’ai actionné la boîte-miroir : je me suis appuyée sur l’histoire de Wegscheid, village frontalier entre l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque, où ma mère a été déplacée après les l’expulsion et où j’ai moi-même grandi. Reculé et également « sans histoire » si l’on en croit les chroniques officielles, Wegscheid a en vérité joué un rôle stratégique à la fin de la Seconde Guerre mondiale  : l’une des dernières batailles s’y est déroulée, et la population, malgré la défaite de la Wehrmacht sur tous les fronts, à « résisté » de façon absurde, criminelle.

Difficultés de la recherche sur les opinions de sa propre famille.

 Je veux croire que mon grand-père a rejoint le parti national-socialiste pour garder son poste de facteur. Sa carte de membre vierge de toute mention, montre qu’il n’a pas été un membre assidu. Et puis, en 1938, peut-être était-il encore possible, au moment de l’annexion de passer à côté de certains signes on fermant les yeux avec obstination.
 Je dois néanmoins résister à la tentation de laver ma famille sudète de toute responsabilité. En enquêtant dans les archives en ligne, j’apprends qu’une fois les territoires sudètes annexés, la résistance de la population tchèque contre cette annexion a été réprimée sans merci. Certains opposants politiques ont été acheminés à Dresde. 850 ont été guillotinés publiquement sur le Münchner Platz.

Tous les réfugiés se ressemblent.

(Point de vue de Josef, un paysan tchèque dont le frère a été fusillé par les nazis sudètes.)
 En regardant passer la foule ocre et grise, Josef constate à quel point tous les pauvres se ressemblent. Les femmes pleurent quémandent un bout de pain. Un vieux gémit. Une petite blonde boîte. Ils l’ont bien cherché.
(…)
 Hier, ces gens applaudissaient Heydrich, le vice gouverneur du Reich en Bohême-Moravie. Aujourd’hui, ils implorent la grâce du simple paysan qu’il est. Ils n’ont aucune fierté. Ils ressemblent aux ballots qu’ils traînent. Certains les préfèrent même à la vie : ils les défendent coûte que coûte, quitte à se faire fusiller pour une paire de bottes et des bijoux en toc. Josef boit une gorgée de slivovitz dans la gourde de Václav. Ces gens ont mérité ce qui leur arrive

La langue comme marqueur d’exil.

 L’un des stigmates qui les désignait immédiatement comme impurs était leur langue, gangrenée par le tchèque comme malgré eux. Ma mère m’a souvent raconté les moqueries qu’elle subissait, tout juste arriver en Bavière, de la part des villageois qui faisaient semblant de ne pas comprendre ce qu’elle disait.
 Que j’ai moi-même fui un malaise dans la langue en quittant l’Allemagne il, y a bientôt 30 ans est un fait même si je suis partie à l’époque sans trop y réfléchir.
 En France, je serais jusqu’à la fin de ma vie considérée comme une étrangère à cause de mon accent. J’ai beau avoir publié beaucoup, en français et faire cours à l’université dans cette langue, rien n’y fera. Rien ne fera disparaître la lueur d’impatience dans le regard de l’autre dès que j’ouvre la bouche. Même si elle s’accompagne souvent de compliments sur ma « belle maîtrise » du français, elle me fait comprendre que celle-ci restera marquée d’étrangeté.

Propos de militants Sudètes.

 Aucun accord international valable ne donnerait un fondement juridique à l' »annexion » des territoires sud-par la Tchécoslovaquie après la guerre. L’Histoire était donc à refaire, selon Hildebrandt – le « peuple sudète » n’était coupable de rien.
 À l’instar d’association militante identitaire comme le Witikobund, Hildebrand œuvrait pour la vengeance. Une reconnaissance de l’expulsion comme injustice ne lui suffisait pas : pour Hildebrand, il s’agissait d’un « génocide » dont l’atrocité dépassait celui des Juifs, et demandait réparation.

L’histoire : un éternel recommencement.

Bien de fois ai-je entendu lors de mon enfance en Basse-Bavière : « Un nouveau petit Hitler ne serait pas si mal. »


Éditions Gallmeister, 354 pages, mars 2025

Traduit de l’allemand par Justine Coquel

Il n’y a que les très jeunes et les très vieux pour croire à l’éternité

J’ai, cette année peu lu de romans venant d’Allemagne et ma participation aux feuilles allemandes était bien compromise, mais j’ai trouvé ce titre chez Eva et son billet m’a tentée.

J’ai vraiment adoré la première partie du récit, lorsque Billie raconte sa vie avec sa mère Marika. Les portraits de la mère et de la fille sont très vivants et l’autrice a un sens de l’humour et de l’à propos drôle et tendre à la fois. Elles vivent dans un immeuble social, où la débrouille et l’entraide permettent de vivre dans la gaieté. Sa mère fait partie de cette classe pauvre en Allemagne qui a bien du mal à s’en sortir malgré ses deux boulots. Après avoir gagné un peu d’argent à un jeu télévisé, elles se préparent à partir en vacances quand une catastrophe s’annonce : la mère de Marika arrive chez elle car elle est malade. C’est une femme âgée, hongroise pays d’origine des héroïnes qui juge sévèrement la vie de sa fille. Elle sera responsable involontairement de l’accident de sa fille qui tombe sur la table basse sur la tête et meurt. Cette mort, on l’apprend dès les premiers mots du roman(donc je ne dilvugâche rien !) . La première partie est un retour en arrière et la tendresse moqueuse qui lie les deux personnages est très agréable à lire : on est bien avec elles, le point de vue de l’adolescente, Billie donne une saveur particulière au récit . Dans cette première partie, elle raconte aussi son amitié avec Léa une jeune fille d’un milieu aisé, Billie décrit fort justement le mépris de classe qui les séparera.

Billie est trop malheureuse pour rester vivre avec sa grand-mère qu’elle juge responsable de la mort de sa mère, alors, au volant de leur vieille voiture, elle part à la recherche de son père dans le nord de l’Allemagne. Le voyage est compliqué car elle a peu d’argent , elle cherche les solutions pour rester propre dormir et se nourrir, tout en ayant peur de se faire rattraper par la police.

Enfin, dans la troisième partie elle arrive dans le nord de l’Allemagne chez celui qu’elle croit être son père. Elle y retrouve une vie proche de la nature. La description de l’île, des différents paysages de la mer du Nord et du paysan taiseux sont agréables : on sent que Billy va pouvoir vivre là si elle le décide. Il fallait une fin positive au roman, et c’est sans doute ce qui m’a un peu déçue. Je ne crois pas trop au happy end même en douceur comme ici , mais cela ne pas empêcher de mettre cinq coquillages car rien que pour le début, j’aimerais bien que vous lisiez ce roman et me donniez votre avis.

Extraits

 Début.

Ma mère est morte cet été.

Une chanson à la radio n’était plus qu’un bruit et pas une invitation à chanter, même si aucune de nous ne connaissait les paroles.
 Une averse n’était plus que la météo et pas une occasion de se précipiter dehors et de danser pieds nus dans une flaque.
 Ça paraît poétique, mais seulement sur le papier. Quatorze ans, c’est un âge de merde pour perdre sa mère. Le deuil va et vient comme le flux et le reflux, mais il est toujours là.

Prodige de la traduction .

Billie, c’est le diminutif d’Erzébeth, dit ma mère. 
 Sa prononciation était impeccable j’avais beau comprendre le hongrois, tout ce que j’entendais c’était « air bébête ».

Cette écrivaine a vraiment l’art de la suggestion à travers ses descriptions.

Ta mère avait deux boulots.
 le matin elle travaillait dans un grand cube vitré divisé en plein de petits cubes vitrés. Elle faisait le ménage pour les employés qui portaient des costumes chers et des cravates. Et puis elle leur apportait des trombones, des enveloppes et des surligneurs -et parfois même une poche de froid. Ça n’était pas rare que quelqu’un se cogne dans une porte ou à un mur. Le soir, ma mère était serveuse dans un bar.
– Le job au bar met certes du baume au cœur, disait-elle quand elle comptait ses pourboires après le service, mais c’est celui de femme de ménage qui met du beurre dans les épinards

J’adore ce portrait.

 Louna était sortie de chez elle. Ses pas faisaient un bruit de succion sur le carrelage à cause de ses tongs. Elle les avait trouvées sur Internet, la paire aux prix d’une boule de glace. Comme les frais ports étaient quatre fois plus élevés, Luna en avait commandé toute une cargaison. Désormais, elle possédait des tongs dans toutes les couleurs de l’univers. Elles étaient fabriquées en Chine et en plastique. Ma mère disait que Luna finirait par attraper un cancer de la peau des pieds à cause de ça. Ce n’était qu’une question de temps.

Humour.

Je repensais à ce que ma mère m’avait expliqué un jour au sujet des ascenseurs :

– Quand tu habites au dix-septième étage l’abonnement en salle de sport est inclus.

 

 

 


Éditions Vuibert (Graphic) (204 pages, novembre 2025)

 

Les éditions Vuibert grâce à Babelio m’ont offert cette BD, un grand merci à eux.

Faire paraître mon billet la veille du 13 novembre illustre d’une lumière particulière et si tragique l’islamisme radical, je me demande si le choix de la date de la parution de ce témoignage a été voulue par la journaliste, si oui, je suis mal à l’aise avec ce choix.

La phrase d’un des survivants, Antoine Leiris « Vous n’aurez pas ma haine » , tournait en boucle dans ma tête en lisant la partie du récit qui concerne la mère de Sana, elle a entraîné toute sa famille dans l’enfer de Daesh. Cette femme, j’aimerais tant qu’une journaliste s’intéresse à elle, est une boule de haine qui semble absolument incapable de revenir sur aucun de ses choix. Elle a sciemment provoqué la mort de plusieurs de ses enfants et de son mari, mais rien ne la fera douter peut-être est- elle est encore en vie et j’aimerais vraiment la comprendre, pour que la France puisse se protéger contre ce genre de personnes.

Le personnage principal de cette BD, Sana, a été entraînée dans cette horreur tout en gardant sa volonté de revenir en France. C’est un récit terrible, il se trouve que j’ai entendu cette journaliste raconter son projet et la trajectoire de cette jeune femme. Le récit m’en a appris autant que la BD, Sana a toujours été détestée par sa mère, on ne sait pas pourquoi, dès qu’elle a eu 14 ans elle a été déscolarisée. Puis, influencée pas un cousin Yousef, sa mère part avec ses enfants, elle est une première fois refoulée de Turquie mais repart une deuxième fois et cette fois arrive en Syrie. En 2014, son père finit par les rejoindre en 2017, Sana accepte de se marier pour enfin échapper à sa mère, elle aura deux enfants, deux filles qui lui donneront le courage de lutter. À la chute de Daesh, elle et sa famille sont prisonniers des Kurdes ; la vie dans les camps est une horreur absolue, d’un côté les Kurdes sont très violents contre ces femmes fanatisées mais dans le camps la terreur est entretenue aussi, par des femmes comme sa mère qui font la chasse aux mécréantes. Elle finit par être rapatriée, en France, avec ses filles. Soupçonnée d’appartenir à une branche terroriste de l’Islam, elle racontera tout son parcours à la police française, échappe de peu à l’expulsion car elle a la nationalité algérienne.

Son parcours est poignant, mais j’ai vraiment du mal avec le choix du format, je ne vois pas ce que les images apportent au récit. Ce sera à vous d’en juger car vous êtres souvent bien meilleures que moi en ce domaine.

 

 

 

 


Éditions Acte Sud Babel, 600 pages, mars 2022

Traduction de l’Allemand par Rose Labourie

 Bien entendu, il y avait des réticences. Car au fond, tout le monde était pour l’énergie éolienne, pas vrai -mais tant qu’à faire, pas sur le pas de sa porte.

 

 

S’il y a une chose que j’ai apprise à Unterlruten, c’est que chacun habite son propre univers dans lequel il a raison du matin au soir

 

C’est chez Keisha que j’avais noté ce titre mais comme il faisait déjà partie du mois de littérature allemande de l’an dernier , je suppose déjà que vous êtes nombreux comme Sacha,et Je lis je blogue, à l’avoir apprécié. À mon tour, je vais essayer de vous tenter, car ce roman est devenu au fil de ma lecture un véritable coup de cœur, même si, au début, j’ai eu un peu de mal à suivre le fil narratif à cause du nombre de personnages. (J’avais un peu oublié la lecture de Nouvel an de cette auteure, j’avais bien aimé mais moins que ce celui-ci.)

Rappel du propos de ce roman : il se passe à notre époque, dans un village rural de l’ex-RDA. Le village doit prendre position à propos d’un champ d’éoliennes. C’est bien connu, tout le monde, ou presque, est pour les énergies renouvelables, mais de là, à voir de son jardin un parc d’éoliennes, il y a de la place pour une belle tragédie à la sauce des rancœurs rancies d’un village de campagne. L’auteure utilise un procédé qui a déçu certains lecteurs, elle passe d’un habitant à un autre, en reprenant à chaque fois, le fil de son histoire. Cela donne l’impression que le récit n’avance pas, et qu’elle se répète. Il faut aussi faire un effort pour retrouver qui est qui dans cette histoire, mais le schéma du village avec les noms des propriétaires de chaque maison que l’on trouve au début du roman aide bien à se repérer. Le fait d’aller de personnage en personnage ne permet pas, vraiment, de mieux comprendre l’intrigue mais de se rendre compte qu’aucun protagoniste de ce conflit n’est exactement ce que les rumeurs pensent de lui. Tout tourne autour d’un antagonisme violent et très ancien entre Gombrowsky, dont la famille possédait une grande ferme avant qu’elle soit transformée en une sorte de kolkhoze par le régime communiste. Ce personnage n’oubliera jamais le rôle de l’autre antagoniste : Kron, qui est venu brûler la ferme de ses parents en 1946. Gombrowsky réussira à devenir le principal acteur de la coopérative d’état, puis, lors de la réunification à faire revivre la coopérative à son profit. Kron continue à le poursuivre de sa haine alors qu’il fait vivre toute la région. Il faut maintenant savoir où sera implanté le parc éolien.

Ce village se trouve assez proche de Berlin, et donc des gens qui ne comprennent vraiment rien aux luttes ancestrales du village, fuient la ville pour effectuer un retour vers la nature, ils viennent troubler les disputes haineuses des habitués de Unterleuten (nom bien trouvé « parmi les gens ») Il y a d’abord le défenseur des oiseaux avec sa jeune femme uniquement occupée à allaiter et bercer un bébé qui l’épuise. Lui, il a toujours tout faux, ne doute jamais, et se trompe toujours. Ensuite il y a Linda, une femme énergique qui n’a peur de rien et qui sans le vouloir va être une actrice importante du drame qui va se jouer. Enfin il y a un homme très riche qui a acheté les terres que convoitait Kron. Chaque personnage tire sur les liens qui étouffent toute vie sereine possible jusqu’au drame final qui ne résoudra rien : les nouveaux arrivants repartiront et le village continuera avec des éoliennes mais sans les deux principaux ennemis. On peut faire confiance à leur génie pour s’en créer d’autres. On est au cœur même de l’âme humaine dans un moment très précis : l’adaptation d’un pays ex-communiste aux lois du marché capitaliste. En particulier dans la détestation des habitants d’un village de celui qui était « le riche » et qui ensuite a toujours réussi à rester « le riche ». Il va le payer très cher. Car finalement il avait fait le vide autour de lui, c’est une sorte de tyran domestique et sa vie familiale est une catastrophe et malgré (ou à cause de) sa réussite professionnelle, il n’aura que des obligés et aucun ami sur qui compter.

Pour moi, ce livre est à l’échelle d’un village, une illustration de beaucoup des comportements de nos sociétés. Je dois aussi dire qu’il y a beaucoup de remarques très bien vues, vous n’en trouverez qu’une partie dans mes extraits, il vous reste donc à lire ce roman pour profiter du grand talent de cette auteure.

Extraits.

Début.

 « L’animal nous tient à sa merci. C’est encore pire que la chaleur et les odeurs. » Jule leva les yeux. « Je n’en peux plus.
– Ça ne sert à rien de s’énerver chérie. » Gerhard s’efforçait de donner à sa voix un ton assuré. Plus Jule cédait à l’hystérie, plus il se cramponnait à la raison. « Quand on déteste quelqu’un, tout ce qu’il fait nous dérange.
– Tu veux dire qu’il faudrait que j’essaie d’aimer l’animal ?.Et que comme ça, ça ne poserait pas de problème qu’il détruise notre vie ?
– Je veux dire que tu ne dois pas te faire des nœuds au cerveau. En t’énervant, tu ne fais de tort qu’à toi-même.
C’était un combat perdu d’avance Jule s’était recroquevillée sur elle-même et mise à pleurer, si bien qu’il ne lui resta plus qu’à s’asseoir près d’elle et à passer un bras autour de ses épaules.

Courrier administratif.

 Linda sentit sa bonne humeur retomber, une chute de température interne. Les courriers administratifs ne signifiaient jamais rien de bon. L’État n’envoyait pas de lettres pour remercier ses citoyens de respecter la loi, de bien payer leurs impôts, ou de se passer d’aides sociales L’État était comme un faux ami qui se manifestait uniquement quand il voulait quelque chose. Encaisser de l’argent, infliger des sanctions, prononcer des interdictions. La vue de la lettre lui est nouait l’estomac, mais Linda n’était pas du genre à fuir l’adversité.

Phrase intéressante.

 Les chasseurs focalisent, les proies ont une vision panoramique.

L’art du portrait

 Il avait trimé toute sa vie pour que sa femme et sa fille vivent confortablement. En guise de remerciement, Elena lui donnait l’impression d’être un mauvais époux. Et Püppi n’avait attendu qu’une chose : que le mur tombe pour pouvoir enfin quitter « ce trou perdu d’Unterleuten ». Elle habitait Freiburg, où elle avait fait, aux frais de Gombrowski, des études aussi longues que pédantes à « l’université la plus loin de vous de tout le pays ». Comme avec son doctorat en « je sais tout sur tout » elle n’avait décroché qu’un poste d’assistante à mi-temps, Gombrowski lui avait acheté un appartement. Malgré tout, elle avait le culot de tordre du nez à l’idée Elle avait le culot de tendre du nez à l’idée que cet argent était gagné par des moissonneuses batteuses et des machines à traire.

Le marxisme et l’agriculture.

Les campagnards le savaient depuis le début la RDA était un régime qui ne tenait pas la route. Le parti auquel il fallait soudain obéir aux doigts et à l’œil venait des villes. Les cadres dirigeants formés à Moscou, ne connaissaient rien à la vie rurale et encore moins à l’agriculture. Ulbricht et consorts tentaient de compenser leurs lacunes par l’application des théories marxistes léninistes. Mais la nature n’était guère réceptive aux idées communistes. Elle avait ses règles propres. De génération en génération, les paysans avaient appris à extorquer ces fruits à la terre sableuse. Ils vivaient à la campagne, avec la campagne, et pour la campagne. Les slogans politiques, ils s’en lavaient les mains. Le vieux Gombrowski n’était pas aimé partout. Mais si son exploitation devait être engloutie dans une coopérative agricole gérée par des crétins finis, autant être avec lui plutôt qu’avec ses politicards des villes qui n’était pas capable de faire la différence entre le blé et l’orge.

Les pères écolo modernes.

 Gerhard se promettait d’être un père moderne qui, au restaurant, s’indignerait à voix haute que la table à langer se trouve dans les toilettes des femmes.

La météo et les paysans.

D’ici une bonne heure Gombrowski regarderait le toit de la cabane à outils par la fenêtre de sa chambre pour voir si la pluie était tombée. Si les tuiles étaient rouges claires comme ce jour-là, il jurait parce que le blé serait trop sec. Si pour une fois il avait plu, les pommes de terre seraient trempées, ce qui était aussi une raison pour jurer. Depuis que les hommes ne croyaient plus en Dieu, ils se plaignaient constamment du temps qu’il faisait. Et quoi qu’il arrive, la météo ne trouvait jamais grâce aux yeux d’un agriculteur.

L’écologie.

La protection de la nature, c’est un business impitoyable. Subvention de l’Union européenne, emplois, agriculture bio. Sans oublier le tourisme.

Les tableaux dans les salles d’attente.

Aux murs étaient accrochées plusieurs reproductions de Magritte. Meiler n’avait jamais compris pourquoi les médecins et les juristes se sentaient obligés d’imposer leurs goûts artistiques à leur client. Encore récemment, il avait changé de dentiste parce qu’il ne supportait plus, en attendant la consultation, d’avoir sous les yeux des toiles qu’un quelconque barbouilleur amateur, sans doute le dentiste lui-même ou sa femme, avait bombardé de gros pâtés de peinture. En comparaison, Magritte était un moindre mal. Pourtant, Meiler se demandait bien ce que maître Söldner cherchait à dire des achats fonciers, contrats de mariage et ouverture de testaments en accrochant dans sa salle d’attente un homme avec un chapeau melon et dont le visage était caché par une pomme.

Humour et c’est tellement bien observé.

 Quand Meiler pensait à la nouvelle génération, il voyait une armée de jeunes gens au bras droit tendu pas pour faire le salut fasciste, mais pour se prendre en photo avec leur smartphone.


Éditions Météores 57, 184 pages, Mars 2025.

 

L’homme s’emporte face aux enfants des mines qui, à mains nues creusent la terre à la recherche des métaux rares qui lui permettent de signer avec son smartphone des pétitions contre l’exploitation des enfants dans les mines.

C’est Keisha  qui m’avait donnée envie de lire ce roman, et je l’en remercie sincèrement. Je n’étais pas certaine de me retrouver dans cette lecture, et bien j’avais complètement tort (ou presque). Je rappelle le propos en 110 chapitres qui font chacun moins de deux pages, Sébastien Bailly décrit la vie de l’Homme. Je dirai de l’Homme né dans les années 60/70 et qui meurt aujourd’hui. On retrouve forcément, son mari, son frère, son petit-fils, car l’auteur sait ratisser large quand il parle d’une période de la vie. Mais comme le dit le titre « Parfois l’Homme », votre mari, votre fils ou vous-même échappez peut-être à la sagacité de l’auteur, mais franchement ça m’étonnerait. J’ai adoré les trois quart du livre mais quand il décrit la maturité et surtout la vieillesse, c’est moins drôle et on sent très bien qu’il n’a pas encore été vieux (tant mieux pour lui). Le procédé est devenu, pour moi, redondant et j’ai peiné à le lire attentivement la petite dizaine de derniers chapitres.

Que cette remarque ne vous empêche pas de lire ce livre, surtout si vous êtes confronté à un adolescent, c’est tellement jouissif.

J’espère que mes extraits vous donneront envie et que vous profiterez de son humour qui est souvent « génialissime » comme dit mon petit fils quand ce n’est pas « nullissime » (toujours le sens de la nuance des ados) .

Extraits.

En exergue du premier chapitre.

 Où l’homme pousse un premier cri, découvre son prénom, commence éventuellement à se poser quelques questions essentielles, et grandit. Naturellement. Vaille que vaille.

Début .

 L’homme naît dans une pièce à carreaux de faïence, à l’éclairage brut au néon, sa mère jambes écartées dans la position la moins pudique qui soit, le père la main broyée au rythme des contractions et dans l’autre un caméscope, un téléphone, un appareil pour immortaliser l’évènement parce qu’il faut garder une trace et trouver quelque chose à faire, quand on est le père. 

Le jeune.

 La poésie. Des mots. Des mots les uns derrière les autres. Des mots qui se répondent et qui disent le monde. L’homme écrit un poème. Cela lui arrive très jeune, parfois, où plus tard. Il s’arrête au bout de deux vers, ne trouvant pas de rime au premier, où noircit toute sa vie des carnets et peut-être même publie un recueil à compte d’auteur qu’il offre un Noël à ses petits enfants gênés

Le mal être du grand adolescent.

Comment tenir un journal intime si rien ne se passe ? Son journal à la date du 27 septembre restera laconique. Mieux vaut ne rien écrire que des platitudes affligeantes, des banalités lénifiantes, des poncifs navrants. Si la vie est faite d’une succession sans fin de ces journées ? Il pense au suicide. Au moins il se passerait quelque chose. Mais devant l’impossibilité dans laquelle il se trouverait de noter quoi que ce soit à ce propos post-mortem, il abandonne l’idée aussi vite que celle de profiter de ce moment de calme pour ranger sa chambre. Elle en aurait pourtant besoin. Mais à quoi bon ?

le succès, ou non.

 L’homme est sorti du lot. Il a connu le succès. C’est une croix à porter qui l’écrasera sous la démesure des attentes légitimes, et la peur de décevoir tétanisera les plus faibles. Une poignée, galvanisée par le succès, ne s’arrêtera plus jusqu’à atteindre des sommets inaccessibles au commun des mortels. L’homme est rarement de ceux-là mais leur destin le fera rêver un peu lorsqu’il feuillettera des magazines fait pour cela, l’été. Il découvrira alors les malheurs de ceux qui, croyait-il, avaient réussi mieux que lui : cures de désintoxication, femmes infidèles, kilo superflus. L’homme se réjouira alors que son absence de talent lui ait permis d’éviter la une de la presse people et de pareilles mésaventures.

Pour réfléchir, au temps qui passe.

L’homme se sent meilleur qu’il n’a jamais été, dans la force de l’âge. Il a la vie pour en profiter. Aveugle il ignore que les prochaines versions de lui le regard sous peu avec le même dédain. Comment a-t-il pu être aussi stupide, égoïste, ou superficiel ? Que n’a-t-il fait de meilleur choix, plus avisé, pensés, réfléchis ? Que n’a-t-il su profiter de ce qu’il avait ? Chaque regard en arrière est un couteau planté dans le dos qui pousse vers le précipice ou ce morfondent les espoirs gâchés. Ou quelque chose d’approchant.

Bien observé.

Il s’épile le torse se laisse pousser la barbe, choisit des lunettes de soleil, une gourmette en argent, et le dernier téléphone portable.

Le mariage.

L’homme va se marier. Non qu’il soit obligé : il ne l’est pas toujours. Mais fonder une famille, c’est parier sur l’avenir s’engager. Le mariage est une fête immense, une des rares fois où l’on réunit tous ceux qui comptent, avec le jour de son enterrement dont on profite moins.


Éditions Pocket 394 pages, avril 2025

Traduit de l’anglais par Maryline Beury

Voilà un autre livre que je vais pouvoir enlever de ma liste, il y était depuis que j’avais lu le billet de ClaudiaLucia. C’est un roman que l’on peut mettre dans la catégorie « feel good », et il vaut la peine d’être lu, juste pour se faire du bien. Tout le temps de la lecture j’ai eu le sourire. J’étais si bien avec cette Janice, femme de ménage, qui va de maison en maison et qui s’intéresse aux histoires de chacun. Ce qui la caractérise c’est sa capacité d’écoute, et donc elle se donne à elle même le titre de « collectionneuse de secrets ».

Avec elle, nous entrons chez des habitants de Cambridge, un chanteur d’opéra, une femme dont le mari vient de se suicider, et chez Mme OuaisOuaisOuais et de son mari, qui seront à l’origine de la trame narrative du bonheur de Janice, car ils lui demandent d’aller faire le ménage chez la mère de Mrs NonNonPasMaintenant. Ces deux personnes odieuses ont un chien qui aura beaucoup d’importance en particulier pour Adam le fils de Fiona. Et puis il y a la vie personnelle de Janice qui vit avec un Mike égoïste qui dépense tout l’argent qu’elle gagne en faisant son ménage. Janice a son propre secret qui lui plombe la vie et explique pourquoi elle a autant subi dans sa vie. C’est le thème principal de ce livre : la culpabilité. Janice rate sa vie personnelle alors qu’elle aide tous celles et tous ceux qu’elle rencontre s’ils le méritent parce qu’elle porte depuis l’enfance, le poids d’une culpabilité énorme, alors qu’elle oublie que lorsqu’elle était enfant personne ne l’a aidée. Évidemment, cela se termine bien, et comme nous sommes dans un roman anglais, il y a une enquête, des espions, des femmes indignes et beaucoup de thé arrosé de quelques boissons plus fortes. Les histoires se mêlent dans ce récit, ce n’est pas une « grand » roman, mais c’est tellement agréable d’être avec des gens ordinaires qui savent construire une vie qui est loin d’être insignifiante .

Ce roman m’a aidé à oublier les violences de l’actualité et cela m’a fait du bien, mais évidemment, ce n’est pas non plus un roman indispensable, juste un petit plaisir.

Extraits.

Prologue.

 Tout le monde a une histoire à raconter.
Mais que faire si l’on n’en a pas. Si vous êtes J’anime, vous collectionnez celle des autres.

Début du roman.

 Le lundi possède un déroulement bien particulier : le rire d’abord ; puis la tristesse en fin de journée – tels des serre-livres dépareillés qui encadrent le premier jour de la semaine. Elle a établi cet ordre à dessein, la perspective de rire l’aidant à sortir du lit et lui donnant des forces pour ce qui l’attend ensuite.

La maison que Janice n’aime pas. Pas plus que la propriétaire.

 La grande maison moderne devant elle, est bâtie en forme de V inversé lequel est constitué de blocs de béton encastrés. Elle s’étend avec arrogance sur un terrain qui faisait autrefois partie de l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur des plus modernes. La maison lui fait penser à un grand homme -jambes écartées- qui prendrait beaucoup plus de place qu’il n’est nécessaire ou poli de le faire.

Portrait bien troussé.

 Cette femme a un nom mais, pour Janice elle sera toujours Mme OuaisOuaisOuais. C’est ce qu’elle dit au téléphone, quand elle parle à ses amis ou lorsqu’elle discute de sa sagesse avec le représentant de ses bonnes œuvres du mois. Elle suppose que son employeuse essaie simplement de dire « Oui » ou peut-être même « Ouais » mais un seul de ces mots là ne suffit jamais à Mme « OuaisOuaisOuais ».

Les personnages aimés par Janice.

 –J’aime que les gens normaux fassent des choses inattendues, qu’ils soient courageux, drôles gentils. Je sais bien que ces gens ont des défauts, bien sûr. C’est la vie.
 Elle commence à faire les cent pas dans la cuisine, essayant d’articuler, de saisir la chose qu’elle s’efforce de dire.
– Mais c’est réconfortant de trouver de la bonté et de la joie dans leurs histoires. Les gens ordinaires qui essaient juste de vivre normalement et de faire de leur mieux. Vous, vous parlez de prendre une personne qui serait complètement égoïste, un vrai méchant et vous dites : »Oui mais attendez, elle a des qualités aussi. ».
– Ça marche dans les deux sens ne soyez pas naïve, Janis. Les gens « méchants », ou appelez-les comme vous voudrez ne sont jamais entièrement mauvais.

 


Éditions Gallimard, NRF, 274 pages, juin 2025.

Voici un auteur dont je lis avec plaisir tous les romans, cet essai que j’ai beaucoup aimé : « Une langue venue d’ailleurs » , puis « Âme brisée » que j’ai adoré, j’ai eu des réserves pour « Suite inoubliable » . On retrouve ici tous les ingrédients que cet auteur connaît bien : le Japon et son régime tyrannique Impérial qui a entraîné ce pays vers une guerre coloniale horrible puis vers une guerre qui l’opposera aux USA avec la fin qu’on connaît tous : Hiroshima et Nagasaki. L’amour de la musique classique et le talent des violonistes virtuoses, le talent des peintres et le choc que l’on peut recevoir devant certains tableaux. L’amour de la culture européenne en particulier des artistes peintres. Et puis les rencontre amoureuses. C’est le reproche que je peux faire à cet écrivain : il ne m’étonne plus . Je sais par avance ce qu’il va me raconter. Mais il le fait très bien.

Yuki, Bin, et Ren sont trois étudiants dans des écoles d’art en 1943 à Tokyo. Ils travaillent à la poste et se retrouvent dans une critique du régime japonais. Le violoniste Bin boîte, et ne pourra donc pas être recruté par l’armée. Ren le sera , d’abord comme peintre propagandiste de la guerre mais hélas ses œuvres témoignent de l’horreur de la guerre et ne plaisent pas du tout à ses supérieurs , il sera donc envoyé au front. Il reviendra avec le visage brûlé et amputé de ses deux mains . Grâce à l’amour de Yuki il se remettra à la peinture.

Une scène est fondatrice de la résurrection du talent de peintre : Yuki entièrement nue, laisse son mari Ren peindre sur elle l’inspiration colorée qui traverse l’esprit de son amant. Cette scène érotique permet de donner à Yuki un rôle important dans la vie de Ren. Ensemble, ils ont une fille Aya qui étudie le violon comme celui qu’elle appelle son oncle Bin qui fait une carrière comme premier violon à Genève. L’auteur dit avoir pensé à ce roman après avoir visité le musée Maruki, dont l’œuvre de’ Iri et Toshi Maruki raconte l’horreur d’Hiroshima

Iri and Toshi Maruki: The Hiroshima Panels

Ren meurt après avoir peint 15 tableaux grandioses qui dénoncent les horreurs de la guerre . La famille se retrouve à Paris ou Aya va monter une galerie pour faire connaître l’œuvre de son mari. Le roman de Akira Mizubayashi est agréable à lire aussi parce qu’il est un hymne à la culture française et européenne. Et les rencontres sentimentales autour des tableaux ou de la musique de Beethoven de Mendelssohn sont très agréables à lire.

Mais … comme je l’ai dit au début, j’ai l’impression que cet écrivain raconte toujours la même histoire. Et puis le chien qui accompagne tout ce récit, qui, par exemple s’arrête devant un placard car il sait que des tableaux de Yuki y sont cachés, car m’a prodigieusement énervé.

 

Extraits .

Début du prologue.

…. Il y a du rouge, du noir, du vert, du marron, du jaune, du gris. Des couleurs fusent jaillisses de partout. À gauche quelque chose comme un tronc d’arbre apparaît. Ça ressemble aussi à un corps mais encore allongé les genoux pliaient sur un lit suspendu à la verticale.

Début du roman.

 Ren s’apprêtait à partir. Il venait de faire une assez longue promenade matinale avec Hanna. Celle-ci, assise ses oreilles triangulaires dressées regardait le jeune homme avec toute son attention. La chienne, tête légèrement penchée vers la droite, cherchait à comprendre les mots de son compagnon préféré. Ren lui disait qu’il serait absent toute la journée jusqu’à cinq heures, et qu’il était impatient de la retrouver pour faire la promenade du soir.

L’importance de la musique.

 En attendant que le dîner fut prêt, Bin monta à l’étage tenir compagnie à Aya qui devait travailler une sonate de Haendel pour la leçon de la semaine suivante. À un moment donné, Bin sortit son violon et l’accompagna en jouant discrètement le morceau de Haendel qu’il connaissait par cœur. Aya fut troublé au début par la soudaine intervention du violoniste, mais peu à peu les sons qui sortaient son violon se confondaient avec ceux qui venaient du violon rouge sombre de Bin pour ne faire plus qu’un seul volume sonore, ample et profond. Le violon de Bin brillait une lumière orange de fin d’après-midi. Dans la petite pièce à tatamis d’une modeste maison en bois, Aya jouait les yeux fermés et s’abandonnait tout entière à la musique qui l’enveloppait. Lorsque la sonate arriva à la fin, les yeux du violoniste rencontrèrent ceux de la collégienne.Et d’un commun accord, comme si cela allait de soi, les deux archets se détachèrent des cordes en même temps. Il y eut un moment de silence. Bin envoya à Aya un sourire de contentement ; Aya remercia Bin en ajoutant à la fin de son prénom le mot « ojisan » qui signifiait « oncle ». Elle exprimait ainsi son affection naissante à l’égard d’un ami de la famille.

Le talent du peintre et le titre du livre.

 Puis, Yuki évoqua longuement la vie de Ren. Son éveil précoce à la peinture occidentale  ; ses années de formation aux Beaux-Arts de Tokyo ; son admiration pour Goya, Courbet, Cézanne et Braque entre autres ; son merveilleux et décisif séjour à Paris ; sa rencontre avec Bin Kurosawa, un violoniste de talent qui était vite devenu un ami inséparable ; ses mois de guerre qui l’avaient enfoncé plus que jamais dans la haine du fanatisme impérial et militaire ; son rapatriement après un combat désastreux qui l’avait rendu manchot et disgracieux ; ses jours passés à l’hôpital dans la douleur due à son infirmité, à l’impossibilité de se projeter dans sa vocation de peintre, sa raison d’être au monde ; son mariage avec elle après sa sortie de l’hôpital ; son patient apprivoisement de la vie par le recours aux mains artificielles ; la naissance d’Aya qui avait illuminé son quotidien ; sa reprise progressive mais assez rapide au demeurant, de la peinture et sa plongée fougueuse et exalté dans une série de quinze tableaux qu’il avait décidé d’appeler « La Forêt de flammes et d’ombres. »

Le Japon impérial.

 Il fallait qu’Aya comprenne d’abord quelle était cette époque qui ne favorisait guère les voyages à l’étranger non seulement physiquement, mais encore et surtout mentalement. C’était une époque en effet singulièrement fermée et sombre parce que l’esprit était dominé de bout en bout par un impensé dictant à tout un chacun « la voix de sujet » de l’Empereur. Toute déviation était un scandale. Elle était honteuse ; et, par conséquent elle devait être punie. Chaque sujet devait vouer entièrement tous ses actes jusque dans sa vie privée à l’œuvre céleste de Sa Majesté impériale. En somme, il n’y avait pas de vie privée. Bien sûr, il existait malgré tout une « infime » – Bin appuya fortement sur ce mot- minorité d’hommes et de femmes qui réfutaient, secrètement ou publiquement, une telle tyrannie de la pensée. Bin évoquait, entre autres, un professeur d’université qui, au risque d’être expulsé de l’enseignement, avait osé dire à la suite du massacre de Nankin qu’au nom de la justice et de l’idéal, il fallait commencer par « enterrer le pays ».

 

 

 

 


Éditions folio, 184 pages, février 2020 ;

 

J’avais dit à CaudiaLucia en mars 2025 que je lirai ce roman et bien c’est chose faite, et avec beaucoup de plaisir. L’humour de cette jeune auteure est extraordinaire et très typique des pays qui ont perdu toutes leurs valeurs sauf le rire, même devant le tragique.

Le personnage principal est une petite fille de 8 ans qui rêve de devenir cosmonaute, comme le héros dont son école porte le nom Youri Gagarine. Mais nous sommes dans les années qui voient la fin du communisme, l’enfant a bien du mal à comprendre pourquoi ses parents se retrouvent souvent dans la salle de bain pour se raconter des choses en ouvrant à fond tous les robinets d’eau : la baignoire, l’évier et le bidet. La seule personne qui accepte de l’aider à faire son exposé sur son idole, Iouri Gagarine, c’est son grand père un « véritable communiste ». Les relations avec Constanza qui a la chance d’avoir une mère qui vit en Grèce et donc a des vrais baskets Nike, et une vraie Barbie, sont compliquées mais elle devient peu à peu sa meilleure amie.

Ensuite on vit la « Transition Démocratique » qui a surtout vu l’apparition de « Mutra », nom donné à des mafieux bulgares. Avec son cousin Andreï qui d’abord se transforme en voyou, puis en mafieux et finalement en homme politique.

Pour la population c’est l’horreur, toutes leurs économies fondent dans des banques privées malhonnêtes voire mafieuses, la nourriture n’arrive pas dans les magasins, bien sûr, ils sont libres et s’en réjouissent mais les difficultés auxquelles ils doivent faire face, sont immenses, en réalité la seule solution pour les gens honnêtes c’est l’exil.
La petite grandit, devient adolescente et son modèle devient Duke Cobain, chanteur du groupe Niverna. Elle cache ses formes de jeune fille dans les sweats, le teeshirts de son père , en faisant des trous, et en inscrivant des phrases cultes de ce chanteur :

  • En colère contre tout ..
  • La vie est un trou noir
  • C’était la colère que je ressentais
  • Tout ce que je peux faire, c’est de hurler
  • Non à la peur

Pendant ce temps là, sa mère fume toujours autant et son père est devenu chômeur. Elle va grandir, et on espère que son pays va chasser tous ses démons.

Et pour le style, lisez les extraits, c’est une langue orale, drôle, et qui vise souvent si juste les défauts de la société des adultes. Je ne suis pas surprise par le prix Lycéens, cette langue doit parfaitement leur convenir.

Extraits.

Début.

Vous êtes devant une multitude de petits cailloux brillants de toutes les couleurs de ressemblant à rien du tout, mais comme ta mère a l’air ému, tu comprends qu’on n’est pas là pour rigoler. Elle t’annonce que ça, c’est lui c’est lui, Yuri Gagarine et quand elle avait ton âge, il y a quelques siècles au moins, elle l’a personnellement vu planter des sapins, ici dans l’allée de ce bâtiment  : il s’agit de ta future école, et vous y êtes pour t’y inscrire, te dit ta mère en allumant sa dix-neuvième cigarette de la journée.

Une mère qui ne comprend rien.

 Ta mère est furieuse et ses deux yeux ne forment plus qu’un seul rayon X qui te scanne de la tête aux pieds. Tu ne peux pas devenir Youri Gagarine car il est :
a) un homme,
b) soviétique, 
c) toujours souriant, discipliné et opérationnel, 
contrairement à toi qui es :
a) une fille,
b) bulgare, 
c) dont la seule préoccupation est de faire des bêtises, 
 te dis ta mère on reprenant ta méthode d’énumération des phénomènes de la vie qui t’aide à mieux la concevoir. 

Les bruits de fond qui cachent d’autres bruits.

 Tes parents s’enferment dans la salle de bains de plus en plus souvent pour se raconter des blagues. Tu n’entends pas tout car il laisse couler l’eau du lavabo, de la douche et du bidet simultanément. Toutefois tu arrives à percevoir quelques détails peu flatteurs à propos du secrétaire général du comité central du Parti communiste bulgare et du président du conseil de l’État de la république de Bulgarie le camarade Todor Jivkov, que tu croyais pourtant héros de la guerre contre le fascisme et surtout l’idole de ta mère. Puis, ils baissent la voix pour continuer la conversation qui se noie dans les chutes d’eau : cela te frustre au point de te rendre furieuse.

Le ravitaillement.

À l’épicerie Soleil en bas de chez vous, on a mis en vente des oranges. C’est bien mieux que la semaine précédente quand c’était le tour du papier toilette et ça annonce d’emblée l’ambiance festive de la nouvelle année.

Nouveau look et humour.

 Dès lors ton style évolue. Tu déchires aussi ses tee-shirts et tu marques dessus des mots cultes et des phrases existentielles, Nirvana, mort aux hippies, la vie est un trou noir, le chameau t’emmerde, et tu couvre ton sac d’épingle à nourrice. Enfin tu détaches la chaîne de la chasse d’eau et tu l’accroches sur le côté du pantalon, en signe de désobéissance, ce qui lance, d’une part une nouvelle mode dans ton collège, et d’autre part un problème sanitaire dans le quartier.

La démocratie.

 C’est la Transition démocratique, la censure n’existe plus, tout le monde est satisfait : la ville se remplit de sex-shops, de boîtes d’entraîneuses, de bars à strip-tease, de vidéoclubs au contenu douteux mais curieux, les papeteries sont tapissées d’images d’hommes et de femmes sans tenue, mais pas que.