Édition Gallimard, 412 pages, juin 2024.

Bravo pour le prix Goncourt 2024 largement mérité pour les qualités littéraires de ce grand écrivain courageux et talentueux.

Comment mettre des coquillages à un tel livre ? Mais ne pas en mettre, ce serait aussi envoyer un message qui ne vous conseillerait pas de le lire ou qu’il serait mal écrit.
Ce livre sur l’horreur aura donc quatre coquillages (j’expliquerai pourquoi pas cinq) , mais je le dis aussi : il n’est pas facile à lire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir peur de tourner les pages en me demandant ce qui m’attendait au prochain chapitre !

Les horreurs en Algérie sont commémorées et ont leurs monuments aux morts, il s’agit de celles que les Français ont commises lors de la guerre pour l’indépendance de ce pays. L’ennemi était facile à identifier : les colonisateurs français. Mais les années de guerre civile lorsque le gouvernement algérien a stoppé le processus démocratique qui allait mettre au pouvoir le FIS et qui a déclenché une guerre civile faisant plus de 200 000 morts qui en parle ? Personne ou presque surtout depuis cette loi :

Art. 46 – Est punie d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq(5) ans et d’une amende de 250000 DA à 500000 DA quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
 Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive la peine prévue au présent article est portée au double.
 Chartre pour la paix et la réconciliation plus nationale. 
Kamel Daoud veut briser ce tabou et il le fait dans ce roman, « Houris », les houris, ce sont les femmes vierges qui attendent les valeureux combattants de la foi musulmane au paradis d’Allah . Pour cela, il nous fait entendre la voix intérieure de Aube une jeune algérienne rescapée d’un massacre de village où les enragés islamistes ont assassiné plus de deux mille personnes dont son père sa mère et sa soeur . Elle aussi, a été égorgée, mais mal, ses cordes vocales ont été coupées et malgré une cicatrice qui lui coupe le visage en un affreux sourire, elle a survécu. Elle vit et est est aimée par Khadija qui l’a sauvée et s’occupe d’elle. Elle a vingt ans, et elle est enceinte.
Aube parle à son fœtus, qu’elle pense être une fille sa « houri » et elle a décidé d’avorter pour qu’elle ne connaisse pas la vie des femmes algériennes. Cette vie où le regard des hommes vous colle à la peau et cherche toujours à savoir si vous êtes vierge ou pas. Sa cicatrice sur le bas de son visage est si énorme, qu’elle est comme un reproche vivant au régime algérien actuel, qui veut tout oublier .
Deux horreurs différentes se croisent dans le récit : l’ évocation des massacres, certaines scènes sont insoutenables. J’ai entendu Kamel Daoud dire qu’il n’avait mis que vingt pour cent des horreurs qu’il avait vues ! La seconde horreur c’est le fait qu’on a arrêté de chercher les coupables, qu’on leur a pardonné et qu’ils vivent parmi les descendants des victimes. Et comme, ils sont totalement lavés de leurs crimes, ils peuvent réimposer leur idéologie islamiste. Il ne faut pas oublier que le FIS allait gagner les élections, donc en Algérie aujourd’hui , les règles de vie de la religion musulmane deviennent de plus en plus intolérantes, et les rares voix (comme Kamel Daoud) qui ne sont pas d’accord, ne peuvent vivre qu’en exil.
La jeune femme entreprend un voyage vers son village natal pour comprendre ce qu’il s’est passé et décider si elle donnera la vie à son tour. Elle est attaquée en chemin, et ramassée par un libraire qui va de ville en ville pour déposer ses livres. La censure est tellement forte qu’il ne vend plus que des livres de cuisine. Lui aussi est une victime et surtout se souvient de tous les faits qui se sont passés pendant les années noires.
Tout le récit se passe pendant l’Aïd et les évocations d’égorgements des animaux rappellent sans cesse les égorgements d’humains pendant la guerre.
J’arrête de raconter le récit , je vous le laisse découvrir la fin . Le roman est découpé en trois partie : » la voix », celle d’Aube vers le fœtus, « le labyrinthe » retrouver le chemin vers son village, et « le couteau » celui qui sert à égorger . Les chapitres sont assez courts et cela aide à reprendre son souffle.
Pourquoi ai-je une réserve ? En dehors même de l’horreur, ce n’est vraiment pas facile de passer d’un personnage à l’autre sans savoir ce qu’il s’est passé avant. On retrouve par exemple Aube, pieds nus, dans la camionnette du libraire, mais on n’apprendra son agression sur la route que plusieurs chapitres plus loin. Tous les personnages monologuent dans un flot de paroles continu, que ce soit une voix intérieure ou un discours qui s’adressent à un autre personnage , c’est très particulier Je m’y suis habituée mais sans vraiment apprécier complètement. C’est le style de cet auteur dans « Meursault contre-enquête » il s’adressait aussi à quelqu’un dans son roman, un peu de la même façon.
À vous de juger, vous pouvez lui reprocher son style, mais pas le sérieux de son travail sur la guerre civile et l’état actuel de l’Algérie où l’islam le plus intolérant gagne du terrain afin, surtout, de réprimer les velléités de liberté des femmes algériennes.
J’apprends ce jour que le gouvernement algérien a décide d’interdire à la maison d’édition française Gallimard de venir au salon du livre d’Alger pour ne pas voir le roman de Kamel Daoud exposé , cela peut être une raison suffisante pour le lire puisque nous avons la chance d’habiter un pays ou cette censure n’existe pas encore !

Extraits

Début

La nuit du 16 jui. 2018 à Oran
 Le vois tu ?
 Je montre un grand sourire ininterrompu et je suis muette ou presque. Pour me comprendre, on se penche vers moi très près comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence gênante au début. S’accrocher à mes yeux à la couleur rare, or et vert, comme le paradis. Tu vas presque croire, dans ton ignorance, qu’un homme invisible m’étouffe avec un foulard, mais tu ne dois pas paniquer.

La place des femmes

Que veux tu ? Venir ici et devenir une chair morte ? Entends-tu les hommes dehors dans le café ? Leur Fieu leur conseille de se laver le corps après avoir étreint nos corps interdits à la lumière du jour. Ils appellent ça « la grande ablution », les femmes sont comme moi même si elles ne possèdent pas de trou dans la gorge ou de sourire stupide sur le visage, ou de langue étranglée dans l’agonie. C’est ça être femme ici. Le veux tu vraiment ?
Certaines femmes choisissent leur camp très vite. Elles croient que le seul moyen de survivre dans une prison, c’est de s’en faire les gardiennes.

La photo

 Une seule photo, pour toute une guerre, je te la montrerai ce soir au retour.
 Ma mère l’a agrandie et l’a exposée dans l’entrée, en face des masques rapportés du Sénégal. Tu y verras une femme qui crie, bouche ouverte au delà des mots, visage tordu comme quand la douleur vous plonge dans le vide. La femme hurle où semble au bout d’un long hurlement, tout est desséché sur son visage. Sur sa tête elle porte un foulard. Il dévoile une chevelure soyeuse qui suggère sa féminité et son malheur de mère, sauf que ce n’est plus une mère. On l’appelle la « Madone de Bentalha ». Benthala, c’est le quartier d’Alger où dans la nuit du 22 septembre 1997, on massacra et égorgea 400 personnes.

Ce chapitre qui commence ainsi est insoutenable

 C’était au printemps 1992, le lundi 2 mars. Ce jour-là mon père rentra tôt de la librairie et , avec lui, une nuit tomba pour nous éviter le pire. Cette année-là on comptait déjà les morts par centaines dans toutes les villes algériennes. Les barbus, on les appelait les « Tangos » étaient pourchassés par les « Charlie », c’est-à-dire les militaires. Dans notre rue de l’Indépendance, on trouva un matin la tête de notre commissaire de quartier dans une poubelle. Il avait été kidnappé quelques jours plus tôt. Une autre fois sur la porte de la mosquée, à l’aube, les fidèles découvrirent une longue liste de personnes condamnées à mort par « Dieu ». Chacun tentait de ne pas y trouver son nom ou celui d’un proche.


Édition Mialet-Barrault

 

Lorsqu’on me prenait par les sentiments on me prenait en entier. Le regretté-je ? Qu’est-ce qu’un regret sinon une peine perdue ?

 

Je suis toujours un peu étonnée quand je ne trouve pas sur mon blog des livres que j’ai lus, « Les hirondelles de Kaboul » m’avait marquée à l’époque … celle d’avant Luocine.

Ce livre est une épopée pour faire comprendre l’histoire de l’Algérie dans tous ses aspects, violents et contradictoires, la colonisation n’étant pas le facteur principal de cette violence.

Nous allons suivre le destin d’un homme, encore un enfant en 1914 , Yacine Chéraga qui sous la contrainte acceptera de prendre l’identité de Hamza Boussaïd, fis du cruel et redouté caïd Gaïd Braman Boussaïd, pour se faire enrôler dans l’armée française et partir à la guerre en France.

Yacine est un homme au coeur pur qui va aller de malheur en malheur en ayant rarement le choix de prendre son destin en main. C’est ce personnage dont a eu besoin Yasmina Khadra pour faire ressortir toutes les divisions de l’Algérie qu’il aime tant. Yacine bien sûr s’est totalement trompé sur les intentions du Caïd qui non seulement n’a tenu aucune de ses promesses pour sa famille, mais ne cherche qu’à le faire disparaître après son retour de la guerre, afin que son propre fils soit considéré comme un héros.
Yacine va partir à la recherche de sa famille, il rencontrera des personnalité remarquables dans le désert qui lui donneront des leçons de vie. Il retrouvera des compagnons d’armes qui veulent donner à leur pays la dignité , chasser les traitres et se débarrasser des Français. Ce qui m’a le plus étonnée dans ce récit, c’est à quel point dans de nombreux endroits de l’Algérie, la présence française est à peine perceptible. Les rapports entre le riche Caïd et les pauvres paysans sont d’une violence insupportable, le mépris avec lequel cet homme écrase tous les pauvres autour de lui ne doit rien aux colonisateurs qui d’ailleurs ne voient en lui qu’un « bougnoule » est absolument odieux. Toujours poursuivi par la volonté de destruction du Caïd, Yacine fera 11 ans de bagne où il aurait dû mourir. Ce sont ses frères d’arme qui finiront par le sortir de cet endroit sordide. Je n’ai eu aucune réserve sur la première partie du roman, la guerre 14/18 vu par cet Alérien de 15 ans. Tout est bien raconté : on retrouve la violence des combats et le côté totalement imprévisible de la survie. J’ai en revanche trouvé quelques longueurs dans la partie consacrée à son retour et la fin trop idyllique, mais je l’ai acceptée un peu comme celle de Candide qui, après tant de malheur retourne « cultiver son jardin ». Cela ressemble plus à un conte qu’à la réalité.

Comme certains des lecteurs de ce roman, j’ai trouvé que la succession des malheurs de Yacine si « vertueux » était un peu incroyable, mais ce n’est sans doute pas ce que veut nous faire comprendre l’écrivain. Il cherche, surtout à cerner tout ce qui empêche ce grand et beau pays de rendre ses habitants heureux. Pour lui, les divisions viennnent de l’intérieur beaucoup plus que de la colonisation. C’est un point de vue original et intéressant . De plus c’est écrit dans un style qui emporte le lecteur dans un récit passionnant et des paysages tellement éloignés de ma Bretagne !

 

Citations

Algérie en 1914.

 Je réalisai enfin pourquoi le monde du caïd étaient aux antipodes du nôtre et pourquoi on disait de Gaïd Brahim qu’il était aussi puissant qu’un sultan et riche à subvenir aux besoins de ses descendants pendant mille ans. Lorsqu’on dispose d’un domaine aussi imprenable qu’une forteresse, pavoisées de jardins en fleurs, avec un palais au milieu et, sur une aile, des tentes grandes comme des chapiteaux, et sur l’autre un haras hennissant de pur-sang splendide, on n’a pas besoin d’avoir un dieu puisque on l’est presque.
 Jamais je n’avais pensé qu’une maison puisse compter autant de fenêtres, s’étager sur deux niveaux et se couvrir d’une tonne de tuiles sans s’effondrer. Je venais d’une bourgade miteuse ou les taudis étaient faits de torchis et de poutrelles mitées, avec des portes branlantes et des toits qui fuyaient pendant la saison des pluies.

Beau passage.

 Un poète de passage dans notre village a dit : « Les hommes vrais ont la larme facile parce qu’ils ont l’âme près du cœur. Quant à ceux qui serrent les dents pour refouler leurs sanglots, ceux-là ne font que mordre ce qu’ils devraient embrasser.  » Il avait sans doute raison. Je n’avais jamais vu pleurer mon père ni aucun homme de notre douar. C’était peut-être pour cette raison qu’ils préféraient assumer leur malheur au lieu de le conjurer.

Humour .

C’est là tout ton problème, l’assimilé. Quand on a le cul entre deux chaises, on risque la fissure anale. Que tu viennes de la ville ou de la lune, t’es rien d’autre qu’un indigène, comme « ils » disent, un indigène apprivoisé, et tu n’es pas plus futé qu’une oie.

Baptême du feu.

 Je voyais des ombres remuer autour de moi. Mon cœur était empli d’épouvante. L’image du cerf entrevu l’autre jour dans la forêt tournait en boucle dans ma tête. Il avait tellement de noblesse, l’animal, tellement de classe. Il marchait au milieu de son royaume comme un dieu supplantant l’espèce humaine, ces barbares imbus de leur personne qui ne respectait ni la nature ni la vie. Et dire que, quelques heures plus tôt, je contemplais le bosquet bruissant de quiétude, les oiseaux qui voltigeaient dans le ciel. La brise furetait dans les buissons tandis que chaque instant naissait à sa splendeur. Et d’un coup, sans crier gare, le tumulte dévastateurs de l’artillerie adverse était devenue la seule symphonie qui compte. Aveugle. Monstrueuse. Absolue.

On croit lire la guerre d’Ukraine .

Après des mois de batailles rangées de marches interminables, d’embuscades, d’assauts dévastateurs, nous crapahutions sur place. Chaque fois qu’on croyait être les Boches en déroute, ils resurgissaient au détour d’un repli tactique et reprenaient une à une les lignes que nous leur avions prises. Tout était à refaire. Des semaines de combats pour un gain de quelques hypothétiques kilomètres. Cauchemar récurrent, le massacre tournait en boucle. À l’identique. Jusqu’au moindre détails. L’odeur des putréfactions polluait l’air des plaines, nauséabonde, traumatisante. 

J’aime bien cette phrase.

« Jamais » est un engagement que personne ne peut garantir. 

La sagesse des hommes du désert .

– Rappelle- toi mon garçon. L’échelle de la sagesse comporte sept paliers qu’il faut impérativement franchir si l’on veut accéder à soi, rien qu’à soi, et à personne d’autre.
– Sept paliers ?
– Dans le « manuscrit des anciens », on les appelle « les sept marches de l’arc-en-ciel » (il compta sur ses doigts) l’amour ; la compassion ; le partage ; la gratitude ; la patience et le courage d’être soi en toutes circonstances. Si tu arrives à en faire montre tu atteindras le sommet-roi celui qui te met hors de portée du doute est tout près de ton âme.
– Tu en as cité que six.
 Il sourit de ce sourire qui en dit long sur les chemins de croix qu’il avait dû négocier pour accéder à son âme.
– Va mon garçon. La septième est au bout de ton destin

Un joli poème .

Qu’est-ce qu’un roi sans sa cour
Sinon un autre diable qui s’ennuie 
Qu’est-ce qu’un poète sans amour
Sinon une ombre dans la nuit 

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.


Roman très vivant qui permet de retracer l’histoire d’un engagement personnel d’un homme Edmond Charlot pour diffuser la culture en Algérie. Autour de lui et de sa librairie les énergies positives de Camus, Jacques Temple, Robles, Amrouche, Jean Roy, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun….et tant d’autres, se regroupent pour lui permettent de faire exister son projet. Ce roman mêlent trois fils, le plus puissant et le plus positif celui de la création littéraire, Le plus fort celui de l’ âme algérienne qui veut être reconnue. Et enfin ce jeune Rhyad qui doit vider la vieille librairie bibliothèque et qui n’aime pas les livres. Trois époques, trois points de vue qui se retrouvent dans ce tout petit lieu destiné dans l’Algérie moderne à la vente des beignets. Il faut ajouter à cela que Kaouther Adimi sait très bien rendre l’atmosphère de l’endroit chargé d’une histoire sanglante. Elle nous rappelle dans des passages courts mais très forts les deux épisodes qui ont tragiquement scellé le sort de la France en Algérie. Les événements de Sétif et la répression par Papon de la manifestation des Algériens à Paris.
Mais ce n’est pas du tout le thème principal de son livre. Elle a cherché à retrouver l’élan littéraire qui dans les années 1930-1940 faisait de l’Algérie un lieu de l’effervescence littéraire. Et évidemment faire de cet endroit un magasin de beignets doit la dépiter quelque peu. La fin de ce livre assez court, se défait la tension qui était à la création de cette petite librairie retombe dans les méandres de l’administration algérienne qui n’a pris de sa consœur française que sa lourdeur et son inefficacité. La voix d’Edmond Charlot est transmise via un carnet sur lequel il note tous ses succès et difficultés. C’est quelque peu ennuyeux, le monde des lettres n’est guère glorieux et en parler sans le traiter à fond fait perdre l’intensité de ce roman.

Citations

 C’est encore comme ça

17 décembre 1938
Aujourd’hui encore, des clients intéressés uniquement par les derniers prix littéraires. J’ai essayé de leur faire découvrir de nouveaux auteurs, de les inciter à acheter « L’envers et l’endroit » de Camus, mais totale indifférence. Je parle littérature, ils répondent auteur à succès !

Alger 1923

On nous exhibe parce que nous ressemblons à des cartes postales orientalistes et devenons exotiques dans notre propre pays. Jean Guillemin, le directeur de l’École Normale, écrit un rapport sur la réorganisation de l’enseignement des indigènes. Le 20 mars 1923, il alerte l’inspection d’Académie d’Alger sur le danger qu’il y aurait à mélanger indigènes et français. C’est un homme éminent. Il a la mine grave. Sa mission est fort importante, faire en sorte que les deux communautés cohabitent au sein de l’école sans se rencontrer. Il recommande système à deux vitesses, deux niveaux, car il serait trop humiliant d’avoir un indigène meilleur qu’un français dans la même classe. Jean Guillemin se préoccupe de la fierté de certains de ses élèves.

Changement de propriétaire fermeture d’une bibliothèque

Il a pensé naïvement pouvoir convaincre les représentants de l’État de l’importance de maintenir ce lieu ouvert. Il a téléphoné au ministère de la Culture mais personne ne lui a répondu. Le numéro de téléphone était occupé en permanence et il n’y avait pas moyen de laisser un message car le répondeur était saturé. Il s’est déplacé pour entendre le gardien lui rire au nez. À la Bibliothèque nationale, on l’écoute longuement avant de le raccompagner à la porte sans un mot, sans une promesse. Lorsque le nouveau propriétaire est venu visiter « les vraies richesses », Abdallah lui a demandé ce qu’il comptait faire de la librairie. « La vider entièrement, virer ses vieilles étagères, repeindre les murs pour permettre à l’un de mes neveux d’y vendre des beignets. Il y aura tout type de beignet possibles : au sucre, à la pomme, au chocolat. Nous sommes proche de l’Université, il y a un gros potentiel. J’espère que vous serez l’un de nos premiers clients. »

Humour

Que fait quelqu’un qui préfère les maladies aux livres dans une librairie ?
-Je dois la vider et la repeindre.
– Pourquoi ?
– Cest mon travail.
-Détruire une librairie c’est un travail ça ?
-C’est un stage.
– Un stage ? Tu veux devenir destructeur de librairie ? C’est un métier ?
-Non, ingénieur.
– Les ingénieurs construisent, ils ne détruisent pas.
– Je dois faire un stage ouvrier.
– tu es ingénieur ou ouvrier ?
– Je dois faire un stage manuel pour valider mon année d’ingénierie. Je vide le lieu, je répond, je pars. Sans réfléchir.
– Tu vas dans une librairie pour ne pas réfléchir, Toi ?
– Je dois juste la vider, pas lire les livres qui s’y trouvent.
– Dans quelle université on t’a prend une chose pareille ?
-À Paris.
– Pff…Maintenant on nous envoie des démolisseurs de France. Des ouvriers-ingénieurs, oui monsieur ! Ceux d’ici ne sont pas assez bien ! Vous les jeunes, vous ne savez que casser.
-Nous les jeunes, nous les jeunes…
– Quoi ?
-Rien, « nous les jeunes »,rien du tout. On fait ce qu’on peut avec ce que vous nous avez laissé.
– Qui t’envoie ?
-Personne. J’ai juste accepter ce travail j’ai froid nous devrions rentrer.
-Il ne fait pas froid, c’est dans ta tête. Qui t’envoie qui t’a donné ce travail ? Il s’appelle comment ?
-Je ne connais pas c’est quelqu’un qui connaît quelqu’un qui en a parlé à mon père.
-Même pour détruire il faut du piston…… Partout la même chose piston et corruption partout depuis le gardien de cimetière jusqu’au sommet de l’État.

Épigraphe du roman

 » La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité »

Je suis triste d’être déçue par ce roman dont j’attendais tant. Et pourtant ! Que de phrases et d’idées inoubliables sous la plume de ce grand écrivain ! J’ai suivi avec tristesse cette vision d’un monde dominé par des forces religieuses qui ne cherchent qu’à torturer et à assassiner tous ceux qui ne baissent pas assez vite les yeux devant les acolytes des forces au service de la religion au pouvoir. Les scènes de meurtres en public rappellent les Talibans et Daesh, d’ailleurs alors que je lisais ce livre, j’entendais qu’en Syrie, dans un village mal défendu par des Kurdes, Daesh avait tué 29 personnes dont des enfants. Cela n’a fait que peu de bruit en France, beaucoup plus occupée par le nouveau gouvernement et les vacances scolaires. Cet auteur Algérien qui a connu la guerre contre un parti venu légalement au pouvoir, qui a tenté de fonder un état religieux archaïque qui n’hésitait pas à assassiner tous ceux qui ne pensaient pas comme eux, sait de quoi il parle et cela donne un poids immense à ce livre. Il a été lui-même plongé dans l’horreur, il a certainement vu des amis disparaître ou se transformer en bourreaux, il lui a fallu une force morale étonnante pour faire mûrir en lui ce roman. Je pense que la noirceur du récit est à l’image des sentiments qu’il a éprouvés pendant cette période atroce pour le pays qu’il aime tant. Et revoir ses fous de Dieu repartir à l’assaut d’autres régions du globe à dû le conduire à mettre sous cette forme ce qu’il a alors ressenti. Comment alors puis-je être déçue par ce livre absolument essentiel ? Le début m’a saisie et je me suis retrouvée dans une lignée d’essais d’anticipation qui ont forgé mes réflexions : Candide, Le meilleur des Mondes et bien sûr 1984 auquel ce livre fait explicitement allusion. Tout l’aspect prise en main par des forces religieuses d’un peuple soumis est remarquable et nous amène à réfléchir mais l’histoire est de plus en plus embrouillée, se perd dans des cercles concentriques qui mènent vers l’enfer absolu. C’est tellement embrouillé que je me suis égarée au milieu de tous les personnages qui luttent tous les uns contre les autres. Et le dernier tiers du livre, j’ai quelque peu abandonné Ati à son triste sort au milieu de ces fous dangereux et stupides.

 

Citations

Métaphore

Dans la montagne, la descente n’est pas facile, elle est plus dangereuse que l’ascension, la gravité aidant on succombe facilement à la tentation de la précipitation. Les vieux routiers, sibyllins en diable, ne cessent de le dire aux novices courir dans le sens de la chute est un penchant très humain.

Des points communs entre la religion de 2084 et une autre…

Et toujours la formule qui ponctue chaque chaque phrase, chaque geste de la vie du croyant : »Yolah est grand et Abi est son Délégué ! »
..les prêches restés célèbres et les magnifiques formules chocs (comme ce remarquable cri de guerre : »Allons mourir pour vivre heureux », adopté depuis par l’armée abistanaise comme devise sur son blason) avaient levé d’innombrables contingents de bons et héroïques miliciens , tous bel et bien morts en martyrs lors de la précédente Grande Guerre Sainte.

 Tartufe n’est pas si loin

Le peuple découvrait que l’habit faisait le moine et que la foi faisait le croyant.

 

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Cela fait un moment que je n’ai pas mis de film sur Luocine. Cela ne veut pas dire que je ne vais plus au cinéma, mais il faut réagir vite pour écrire sur un film sinon, il ne passe plus en salle près de chez vous. Comme j’ai vu celui-ci en avant première à Dinard, je peux, peut-être, vous donner envie d’y aller à votre tour.

Farid Bentoumia signe là un excellent premier film (il animait le débat après la projection et il est très sympathique). Il a trouvé pour jouer le rôle du père un acteur non professionnel absolument magique et Sami Bouajila tient très bien le rôle principal. Pour reprendre les propos de quelqu’un que je connais bien, voilà enfin une comédie française où il se passe quelque chose, et je rajouterai où l’on rit sans pour autant être dans les platitudes ni la vulgarité. On suit avec passion plusieurs histoires qui s’entremêlent : celle réelle du propre frère du réalisateur qui a voulu représenter l’Algérie aux jeux olympiques de 2006 en ski de fond, qui pour les besoins du film est aussi le jeune entrepreneur fabriquant de skis au bord de la faillite, et celle de son père amoureux des arbres et de son Algérie natale. Si vous avez envie d’aller voir ce film, un conseil évitez la bande annonce qui divulgâche bien inutilement ce bon moment de cinéma.

Le film est très agréable à regarder et les regards croisés sur l’Algérie et la France ne sont ni superficiels ni trop pleins de lieux communs sur les pauvres immigrés et l’idéalisation de ce beau pays : l’Algérie. Farid Bentoumi nous a expliqué combien il se sentait bien dans sa peau avec sa double nationalité et combien il se retrouvait peu dans l’image qu’on donne habituellement de la communauté algérienne en France au cinéma.

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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

3
Quelle autre place pour ce livre que dans ma bibliothèque au milieu des livres de Camus ? Je me souviens très bien avoir demandé en classe de première, pourquoi « l’Arabe » de « L’étranger » n’avait pas de nom, je crois me rappeler que le professeur avait expliqué le caractère détaché de Meursault et que donner une identité à sa victime aurait affadi le propos de l’auteur. Peut-être, mais voilà qu’avec un talent complètement différent Kamel Daoud pose autrement la question et il nous entraîne dans le destin de l’Algérie. Cela le fait souffrir qu’un des livres les plus lus au monde soit un chef d’œuvre mais dont l’événement central soit le meurtre d’un homme dont on ne sait rien de plus sinon qu’il est « Arabe ».

Toute la première partie du roman, il voit dans cette absence d’identité un des malheurs de la colonisation, puis il nous entraîne dans les autres tragédies de l’Algérie dues le plus souvent à la religion. Mais tout cela ne dit rien du talent de cet auteur qui reprend à son compte le roman d’Albert Camus au point d’en faire un véritable pastiche. On retrouve tous les moments de « l’étranger » et on sent l’homme révolté poindre à travers tout ce long monologue. La colère de Meursault contre le prêtre qui veut le ramener vers Dieu avant sa mort , rejoint celle de cet Algérien qui veut vivre libre chez lui en s’affichant non croyant. On pense également à « La chute » à cause du monologue dans un café, et la mauvaise conscience du narrateur qu’il veut faire partager à son lecteur.

C’est un superbe hommage à Camus et à la littérature française. Pourquoi ne suis-je pas aussi enthousiaste que d’autres lecteurs de ce livre ? parce qu’il m’a rendu profondément triste. L’auteur réussi par la colère à transcender ses contradictions. Mais pour moi, sa colère a un une odeur de meurtre ; même si je comprends qu’elle lui a été nécessaire pour renaître.

Citations

 L’argument essentiel du livre

 Songes-y, c’est l’un des livres les plus lus au monde, mon frère aurait pu être célèbre si ton auteur avait seulement daigné lui attribué un prénom, H’med ou Kaddour, juste un prénom, bon sang.

Contradiction de l’Islam

L ‘autre jour un producteur de vin me racontait ses misères . Impossible de trouver des ouvriers, l’activité est considéré comme « haram », illicite. Même les banques du pays s’y mettent et refusent de lui accorder des crédits ! Ha, ha ! Je me suis toujours demandé : pourquoi ce rapport compliqué au vin ? Pourquoi diabolise-t-on ce breuvage quand il est censé couler à profusion au paradis ? Pourquoi est-il interdit ici-bas, et promis là-haut ?

 Un verset du coran, (malheureusement il y en a tant d’autres !)

Si vous tuez une seule âme, c’est comme si vous aviez tué l’humanité entière.

Les femmes

Elle appartient à un genre de femmes qui, aujourd’hui , a disparu dans ce pays : libre, conquérante, insoumise et vivant son corps comme un don, non comme un péché ou une honte.

On en parle

Quelques belles critiques sur Babelio.