Édition Charleston, 437 pages, janvier 2024

Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

J’avais beaucoup aimé « Pour que chantent les montagnes » et j’ai donc lu avec intérêt ce deuxième roman qui a pour sujet l’après de la guerre du Vietnam ; L’écrivaine construit son roman sur plusieurs temporalités et plusieurs personnages qui vont se retrouver dans les deux derniers chapitres.

La temporalité la plus ancienne se passe au Vietnam en 1969, deux très jeunes filles veulent sauver leurs parents du poids d’une dette et pour cela vont quitter leur village natal pour devenir « hôtesse » dans un bar à Saïgon. La plus âgée pense vivre une vie amoureuse avec un officier américain : Dan, un pilote d’hélicoptère, Quand Kim (de son vrai nom Thran) lui annonce sa grossesse, Dan s’enfuit. Ces deux filles seront un des fils de l’histoire, le deuxième fil est constitué par Phong, un enfant métissé Vietnamien et américain noir, il veut absolument retrouver son père américain, enfin le troisième fil, c’est Dan en 2016, qui avec sa femme est revenue au Vietnam .

On voit donc que le sujet principal est le sort des enfants métissés au Vietnam. L’écrivaine connaît bien le sujet et fait preuve d’une grande objectivité, il n’y a pas des bons et des méchants, la guerre bouleverse toutes les valeurs et la population est victime. Les soldats américains sont évidement les méchants, mais ce sont aussi des pauvres gosses assez paumés conduits à faire des actes qu’ils seront amenés à regretter toute leur vie quand ils ont survécu. En tout cas c’est la cas de Dan. Nous apprendrons peu à peu la raison de ses cauchemars récurrents, mais jamais l’auteure ne l’excuse d’avoir laissé Kim se débrouiller seule avec ce bébé à venir.

Si les deux sœurs ont été amenées à se prostituer, ce sont pour des raisons économiques et on sent que pour les soldats ce sont des filles qui aiment ça , pour les Vietnamiennes c’est une façon de se sortir de la misère. quand elles commencent à croire à l’amour elles sont perdues car c’est toujours à sens unique.
Pour les enfants métis, c’est l’horreur car ils sont le témoignage vivant des conduites de leurs mères avec les soldats ennemis, on les appelle de toutes sortes de nom racistes mais de toutes façon ils sont pour tout le monde des « poussières de vie »  : Phong, qui a la peau noire est deux fois rejeté comme métis et comme noir. Mais les USA se sentant un peu coupable de leur sort permettra à ces enfants de faire une demande d’exil pour venir vivre dans un pays qui semble un pays de rêve pour le Vietnam qui est très pauvre . Le pauvre Phong sera deux fois victime d’une arnaque, la première fois une riche famille vietnamienne prétendra l’avoir adopté pour pouvoir partir tous ensemble en Amérique. La supercherie est découverte et sa demande est rejetée quand 10 ans plus tard, il renouvelle sa demande en ayant donné toutes ses économies à un escroc qui s’enrichit sur des naïfs du genre de Phong. Pourtant, il a réussi à construire sa vie grâce à la gentillesse de sa femme et il a deux enfants.

Enfin il reste le couple de Dan et Linda qui sont revenus au Vietnam, Dan pour retrouver si possible son enfant et Linda pour aider son mari à vaincre ses fantômes. Le couple aura du mal à ne pas se séparer lorsque peu à peu Dan révèlera son passé.

Pourquoi j’ai quelques réserves sur ce deuxième roman ? Je lui reconnais de grandes qualités d’objectivité, c’est que l’on sent trop l’envie de construire une histoire cohérente qui sans se finir par un happy end, se termine d’une façon optimiste Je reconnais que je n’avais rien lu sur les enfants métis de soldats américains au Vietnam mais cela n’a pas suffit à provoquer chez moi un enthousiasme que je pourrai partager avec vous.

Extraits

Début.

« La vie est un bateau, avait dit sœur Nhã la religieuse qui avait élevé Phong. Dès lors que ce bateau quitte son port d’attache qu’est le ventre de la mère, sa course se poursuit au gré des courants. Mais si le bateau renferme assez d’espoir, de fou en lui-même, de compassion, de curiosité, alors il peut affronter toutes les tempêtes de la vie. »

Un vétéran marqué par la guerre.

Dan ouvrit les yeux. Certains passagers riaient de soulagement. Les turbulences étaient passées.
 Il cligna des yeux, le visage brûlant de colère et de honte, puis secoua la tête pour tenter de chasser les images qui l’avaient assailli, mais dans son esprit tout était encore parfaitement vif : son mitrailleur, Ed Rappa, posté à la porte faisant le signe de croix et embrassant le sol après chacune de leur mission ; son chef d’équipe, Neil Hardesty qui mâchait son chewing-gum la bouche ouverte ; son copilote Reggie McNair, inspectant ses chaussettes porte-bonheur trouées par les mite, qu’il portait toujours en vol. Dan aurait aimé pouvoir leur dire combien il était désolé.
Pourquoi avait-il survécu et pas eux ? Cette question Dan se l’était posée un nombre incalculable de fois au cours des quarante-cinq dernières années.

Les enfants des vétérans.

 Beaucoup de vétérans refusent tout simplement de reconnaître leurs enfants quand ces derniers les retrouvent. Il peut y avoir de nombreuses raisons. Par exemple certains de ces hommes ignoraient qu’ils avaient engendré des enfants au Viêt Nam. D’autres sont traumatisés et ne veulent plus entendre parler de leur passé. Retrouver des membres de la famille est plus complexe qu’on ne le pense.

 


Édition Charleston février 2023. Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

 

Moi qui pensais que nous étions les maîtres de notre destin, j’ai appris qu’en temps de guerre, les citoyens ordinaires ne sont plus que des feuilles balayer comme des milliers d’autres par la tempête. 

Je fais paraître ce billet le lendemain du roman de Cécile Pin : « Les âmes errantes » car ces ceux livres se complètent très bien. Ce roman nous décrit le Vietnam, pays martyre, du point de vue du Vietnam du nord. C’est pour moi une grande découverte, car j’ai déjà beaucoup lu sur le Vietnam du Sud et l’exode des Boat-People mais pas du tout sur le Vietnam du Nord. L’auteure se sert de l’histoire de sa famille et cela lui donne une base pour une grand fresque historique. La famille Tran est propriétaire d’un grand domaine qu’elle cultive grâce à des paysans qui leur sont très attachés.

Le roman suit plusieurs chronologies, celle de la grand-mère Diêu Lan qui élève sa petite fille Huro’ng, grâce à elle nous revivrons la présence des Français dont les Vietnamiens espèrent bien voir le départ. Hélas, les Japonais vont les remplacer et imposer aux paysans des cultures qui suppriment les traditionnelles cultures vivrières, une terrible famine va en résulter. L’auteure sait parfaitement rendre ce que représente la recherche de nourriture pour un peuple que l’on empêche de cultiver ce qui pourrait éviter à ses habitants de mourir de faim.

Le destin de cette grand-mère est incroyable, elle aurait dû mourir tant de fois : comme fille de propriétaire ennemi du peuple condamnée par les communistes, comme femme se débrouillant seule se heurtant à des brigands, comme mère de six enfants qui doit faire 600 kilomètres à pied pour sauver sa vie et celle de ses petits. Cette traversée du pays est inimaginable, on a vraiment une impression d’une hallucination au milieu de dangers mortels qui s’attaquent à elle et à sa volonté de survivre.

Ses enfants partiront à la guerre pour la réunification du pays, ils reviendront détruits moralement pour la mère de Huro’ng, sans ses deux jambes pour Dat, son fils Tuan est mort, un autre est revenu mais complètement asservi au parti communiste au grand désespoir de sa mère qui a gardé en toute occasion son esprit critique.

Nous suivons aussi le parcours de sa petite fille qui veut retrouver sa mère et son père, celui-ci ne reviendra pas et sa mère restera mutique et brisée jusqu’à ce que sa fille comprenne son drame. Nous la suivrons dans son parcours scolaire et dans son histoire d’amour. donnant lieu un rebondissement un peu trop étonnant (pour moi)

L’auteur utilise souvent le biais de lettres ou de journal intime pour nous donner le récit de différents personnages, par exemple le fils aîné qui a fui les communistes qui ont assassiné son oncle devant ses yeux, dans une grand lettre, il fera comprendre à sa famille ce qu’il a vécu. Le journal intime de la mère de Huro’ng qui lui permettra de casser la mutisme de sa mère.

En lisant ce livre, on se rend compte que ce qui a permis aux Vietnamiens de garder une unité morale, c’est la force des liens familiaux, peut-être aussi le culte des morts qui fait que l’on n’oublie pas ceux du passé. Ce lien très fort avec la famille élargie permet de résister aux assauts de la violence mais aussi à l’idéologie communiste. En tout cas c’est le cas de cette famille.

Ensuite, l’auteure a un véritable talent pour nous conduire à travers les différents épisodes du Vietnam et faire comprendre les retombées sur les populations. Il y a peut être un aspect trop « romanesque » dans cette fresque, je pense en particulier à une histoire de bijou perdu et retrouver de façon si miraculeuse pour la jeune fille, mais à la lecture je n’ai pas du tout eu l’impression que c’était trop romanesque, j’ai dévoré tous les épisodes et j’ai tellement admiré cette grand-mère capable de tous les efforts pour que les siens vivent correctement, même faire du marché noir au grand scandale de son fils devenu un membre du parti mais qui accepte quand même ses plats cuisinés avec tant d’amour.

 

Il me reste une question, ce livre est écrit en anglais, cette auteure vit-elle toujours au Vietnam et son livre est-il traduit en vietnamien ? C’est une telle critique du régime communiste que cela m’étonnerait mais cela me ferait aussi un grand plaisir.

 

Extraits

Début .

 Quand meurent nos ancêtres, me disait ma grand-mère, ils ne disparaissent pas mais continue de veiller sur nous. Aujourd’hui, je sens sur moi son regard tandis que je frotte une allumette pour faire brûler trois bâtons d’encens.

La présence française au Vietnam .

 Les Français occupaient notre pays. J’avais déjà vu des soldats battre des fermiers sur la route du village. Ils étaient même déjà venus chez nous, pour fouiller notre maison, à la recherche d’armes. Les cultivateurs et les ouvriers de notre provinces avaient même manifesté contre eux. Mes parents, eux, ne s’étaient pas joints à la protestation. Ils craignaient la violence et croyaient qu’attendre que les français nous rendent un jour notre pays éviterait un bain de sang. 

Les erreurs des Viet Minh communistes.

 Dans tes livres d’école, tu ne trouveras rien sur la réforme agraire ni sur les querelles intestines qui divisaient le Viêt Minh. Une partie de l’histoire de notre pays a été gommée et avec, la vie d’un nombre incalculable de gens. Il nous est interdit de parler des évènements liés aux erreurs du passé ou des méfaits commis par les dirigeants d’antan car nous réécririons l’histoire, ce faisant.

Le titre.

Grand-mère m’a dit un jour que les épreuves auxquelles le peuple vietnamien a fait face sont aussi hautes que les plus haute des montagnes. Je me suis tenue à une distance suffisante pour voir le sommet de la montagne, mais aussi suffisamment près pour ma percevoir que grand-mère est elle-même devenue la plus haute montagne : toujours présente, toujours forte, toujours là pour nous protéger.

N-Q

N

Nakhjavani (Bahiyyih) (Eux&Nous 24 avril 2023)

Neville (Stuart) (Ratlines 14 aout 2024)

NG (Celeste) (Nos cœurs disparus 11 décembre 2023)

Nicoby (Le Monde de Sophie 28 décembre 2022)

Nicolo (Anatole Edouard)( L’ombre des choses 30 novembre 2024)

Niogret (Justine) (Quand on eut mangé le dernier chien 1mai 2024)

Nguyen Phan Que Mai (Pour que chantent les montagnes 6 avril 2024) (Là où fleurissent les cendres 30 mai 2024)

Nohant (Gaëlle) (le bureau des éclaircissements des destins 15 juillet 2024)

Norek Olivier (Code 93, Territoire, Surtension 27 avril 2020) (Les guerriers de l’hiver 14 octobre 2014)

O

O’Farrel (Maggie) (L’étrange disparitiond’Esme Lennox 21 novembre 2010) (I AM I AM I AM 21 octobre 2019) (Hamnet 30 mai 2022)

Ogawa (Ito) (Le restaurant de l’amour retrouvé 20 mai 2021)

Ogawa (Yoko) (La formule préférée du professeur 15 mai 2013) (Le petit joueur d’échec 15 septembre 2021)

Oiseau (Florent) (Je vais m’y mettre 1 janvier 2021)

Oksanen (Sofi) (Purge 22 septembre 2010) (Norma 20 mai 2017)

Olafsdottir (Audur Ava)(La vérité sur la lumière 14 avril 2022)

Olmi (Véronique) (Les évasions particulières 6 septembre 2021)

Omotoso (Yewande) (La voisine 10 mai 2021)

Orange (Tommy) (Ici n’est plus ici 28 juin 2024)

Orlev (Itamar) (Voyou 20 octobre 2020)

P

Paasilinna (Arto) (La Douce Empoisonneuse 25 mars 2017) (Le dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités 25 juin 2018) (Un homme heureux 17apout 2023)

Palomas (Alejandro) (Une Mère 1 janvier 2018) (Tout sur mon Chien 4 août 2018) (Le petit garçon qui voulait être Mary Poppins 30 novembre 2020)

Panassenko (Pauline) (Tenir sa langue 16 octobre 2023)

Pascal (Camille) ( L’été des quatre rois 30 septembre 2019) (L’air était tout en feu 28 mars 5023)

Patchett (Ann) (Anatomie de la stupeur 28 janvier 2021)

Paulin (Frédéric) (La Guerre est une Ruse 14 janvier 2019)

Pauly (Anne) (Avant que j’oublie 4 mai 2020)

Pavel (Ota) (Comment j’ai rencontré les poissons 20 septembre 2021)

Pennac (Daniel) (Un Amour Exemplaire 8 octobre 2015) (Mon Frère 26 novembre 2018)

Pera (Pia) (Ce que je n’ai pas encore dit à mon jardin 3 novembre 2022)

Perlman (Elliot) (La Mémoire est une Chienne Indocile 15 juillet 2018)

Perrin (Valérie) (Changer l’eau des fleurs 2 novembre 2020)

Petersen (Pia) (Un écrivain, un vrai 29 juin 2020)

Pin (Cécile) (Les âmes errantes 5 avril 2024)

Pivot (Bernard) (Oui, mais quelle est la question 11 décembre 2013)

Pivot (Cécile) ( les lettres d’Esther 27 février 2023)

Plamondon (Eric) (Taqawan 28 novembre 2019)

Pluyette (Patrice) (La Vallée des dix mille fumées 29 juillet 2019)

Pointurier (Sophie) (La Femme Périphérique 1 février 2022)(Femme portant un fusil 24 aout 2023)

Pontalis(Jean-Bernard) (Le Frère du Précédent 28 janvier 2019)

Pourriat Éléonore( Poupées 10 octobre 2022)

Postorino (Rosella)( La goûteuse d’Hitler 28 octobre 2019)

Poulin (Jacques) (La Volkswagen Blues 13 octobre 2014)

Prazan (Michaël) (Souvenirs du rivage des morts 3 février 2022)

Prudhomme (Sylvain) (L’enfant dans le taxi 26 octobre 2023)

Q

Quentin (Abel) ( Le voyant d’étampes 25 octobre 2024)

Quignard (Pascal) (Les solidarités mystérieuses 17 février 2020)

Quint (Michel) (en dépit des étoiles 10 mars 2013) (Apaise le temps 15 juin 2023) (Apaise le temps 17 juin 2023)