Édition La Table ronde, quai Voltaire, 377 pages, août 2020.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch

Richard Russo est un auteur qui ne me déçoit jamais, souvent quand je lis vos billets sur cet auteur je me dis encore un roman à lire pour mon plaisir. Pourtant, sur Luocine je n’ai que « le déclin de l’empire Whiting » avec 5 coquillages, bien sûr. Je dois à ce roman une grande première pour moi, la fin que j’avais lu en premier ne m’a rien appris sur l’intrigue, et surtout il m’a démontré que je suis capable de supporter le suspens quand il est dévoilé petit à petit et qu’il rajoute à l’intérêt du livre.

Le roman commence par un prologue assez long où l’on voit des anciens amis étudiants , se retrouver dans une île au large du Massachussets, Martha’s Vinehard, très vite on apprend qu’en 1971, ils y avaient passé quelques jours en compagnie d’une fille dont ils étaient tous amoureux , Jacy.

Ils ont aussi tous les trois été marqués par la guerre du Vietnam, surtout Michael qui avait tiré le numéro 9 ce qui aurait dû ne lui laisser aucune chance d’échapper à la guerre. On comprendra peu à peu, la phrase mise en épigraphe du roman :

Pour ceux dont les noms sont sur le mur

Nous allons donc, peu à peu connaître Lincoln, le propriétaire de la maison sur l’île, Teddy propriétaire d’une maison d’édition qui ne s’est jamais autorisé à écrire « son » roman, Michael le chanteur de rock qui détient une grande partie des réponses que se posent ses deux amis.

Sans déflorer le suspens, car ceci nous l’apprenons très vite, Jacy qui devait se marier avec un homme du même milieu social qu’elle, quelque temps après le premier séjour dans l’îl, a rompu ses fiançailles et a disparu. Son souvenir plane sur leurs retrouvailles dans l’île. L’intérêt du roman, comme toujours chez cet auteur, vient de l’analyse très poussée de trois milieux sociaux nord-américains différents. Le roman joue avec deux temporalités, la jeunesse des étudiants et le WE aujourd’hui.

Lincoln, est le fils d’un père sûr de toutes ses valeurs et étroit d’esprit, la seule révolte de sa mère aura été de garder sa maison sur cette île où elle a passé de bonnes vacances enfant. Aujourd’hui Lincoln est à la tête d’une agence immobilière, a failli faire faillite pendant la crise des subprimes. Il a réuni ses amis dans cette maison qu’il pense vendre, grâce à lui (ou à cause de lui) la disparition de Jacy l’amènera à soupçonner son voisin, puis son meilleur ami.

Teddy, est le fils de deux enseignants d’anglais, et il a toujours eu beaucoup de mal à s’imposer. Il a été victime d’une chute lors d’un match de basket, les conséquences de cette chute, étofferont l’intrigue du roman.

Michael est leur ami alors qu’il vient d’un milieu social très différent d’eux, en effet tous les trois se sont retrouvés dans une université de la côte Est « Minerva collège », alors que Michael est fils d’ouvrier et n’hésite pas à faire le coup de poing. Il est devenu rockeur et conduit une grosse moto. Il est beaucoup moins simple que son apparence ne le montre.

Quelques personnages secondaires enrichissent le roman, le voisin qui veut acheter la maison et qui se fait un point d’honneur à choquer le voisinage par ses propos outranciers. L’ancien policier alcoolique qui lance Lincoln sur des pistes d’explications à la disparition de Jacy qui vont beaucoup troubler Lincoln et permettre au lecteur de voir les mêmes faits sous un angle différent.

Non, non, je ne dirai rien de la disparition de Jacy, qui quand à elle doit comprendre sa propre famille et son origine biologique, une partie des réponses viennent de sa recherche.

J’ai beaucoup aimé cette plongée dans la civilisation nord-américaine. Et Bravo, à cet auteur d’avoir vaincu mon impatience à connaître la fin avant de me lancer dans la lecture. Mais je dois avouer qu’une fois que j’avais toutes les solutions j’ai relu avec un très grand plaisir le roman : on ne peut jamais se refaire complètement !

 

Extraits

Début du prologue (de 35 pages).

 Les trois vieux amis débarquent sur l’île en ordre inversé, du plus éloigné au plus proche. Lincoln, agent immobilier, a pratiquement traversé tout le pays depuis Las Védas. Teddy, éditeur indépendant, a fait le voyage depuis Syracuse. Mickey, musicien et ingénieur du son, est venu de Cape Cod, tout à côté. Tous les trois sont âgés de soixante-six ans et ont fait leurs études dans la même petite université de lettres et science humaine du Connecticut, où ils ont travaillé comme serveur dans une sororité du campus

Analyse des études et des prof à l’université américaine.

 D’après les registres de l’administration, Teddy avait suivi plus de cours dans plus de matières que n’importe quel autre étudiant depuis la création de Minerva Collège. Tom Ford, son professeur préféré, lui avait dit de ne pas s’inquiéter pour ça, mais évidemment Tom Ford était fait de la même étoffe. Se qualifiant de « dernier des généralistes », il occupait la chaire des humanités et dispensait un cours sur les Grands Livres, mais il donnait également des cours « sur des sujets spéciaux » en anglais, philosophie, histoire, art et même en science. En fait, il inventait des cours qu’il aurait aimé se voir proposer quand il était jeune étudiant. Teddy en avait suivi tellement que Mickey disait pour plaisanter qu’il était le seul étudiant diplômé en Fordisme. Teddy avait découvert seulement en dernière année que son mentor était tenu en piètre estime par ses collègues. Il n’avait jamais dépassé le statut de maître de conférences car non seulement il ne publiait jamais rien, mais il voyait d’un mauvais œil ceux qui le faisaient. Leurs ouvrages, affirmait-il, apportaient la preuve de leur manque de savoir et de l’étroitesse de la sphère de l’heure connaissances. Plus que n’importe qui, c’était Tom Ford qui avait donné à Teddy la permission de satisfaire sa curiosité sans attendre en retour des bénéfices de réussite professionnelle. « Un jour » avait-il écrit en bas d’une de ses dissertations de Teddy, « vous écrirez peut-être quelque chose qui mérite d’être lu. Je vous conseille de retarder le plus possible ce jour « .

Compassion et pitié.

 Ses amis, pour peu qu’ils aient un peu suivi ce qui se passait, devaient savoir que Las Vegas avait été l’épicentre de l’ouragan financier des subprimes, mais comme il n’avait jamais laissé entendre que lui-même était menacé, ils avaient dû le croire à l’abri. Aujourd’hui encore, alors que l’agence avait enfin la tête hors de l’eau, il voulait leur cacher qu’ils avaient failli sombrer. Il ne craignait pas qu’ils s’en réjouissent. Au contraire, ils compatiraient. Néanmoins, la membrane qui sépare la compassion de la pitié est parfois fine comme du papier à cigarette et Lincoln -digne fils de son père, là aussi – ne voulait pas prendre ce risque.

Faire la guerre du Vietnam.

C’était donc ça. Son père, Michael Sr., un vétéran de la Seconde Guerre, avait détesté chaque instant passé sous l’uniforme, mais il était fier, avait-il expliqué à Mickey, d’avoir rempli son rôle.  » Quand on t’appelle, tu y vas. Tu ne demandes pas pourquoi. Ça ne marche pas comme ça. Et ça n’a jamais marché comme ça, mais. Ton pays t’appelle, tu y vas. » Tuyauteur de profession, Michael Sr. était de, de l’avis général un type carré qui n’aimait pas le baratin. Bourru et inculte, assurément, mais un gars bien.

Sourire.

-Vous aimez les animaux ?
– Comme la plupart des flics, je les préfère aux gens. Encore jamais connu un qui mentait.

Le coup de poing.

 Son père, un bagarreur dans sa jeunesse, l’avait mis en garde contre la violence, ses dangers, mais surtout ses plaisirs. Quand vous décrochez un coup de poing, tout ce qui est enfermé en vous se libère, et il n’existe pas de sensation plus agréable.

Fatalité ou Destinée .

 Et comme l’avaient bien compris les Grecs, il n’était pas possible d’interrompre, ni de modifier de manière significative, l’enchaînement des événements une fois que l’histoire avait commencé. 


Édition Charleston, 437 pages, janvier 2024

Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

J’avais beaucoup aimé « Pour que chantent les montagnes » et j’ai donc lu avec intérêt ce deuxième roman qui a pour sujet l’après de la guerre du Vietnam ; L’écrivaine construit son roman sur plusieurs temporalités et plusieurs personnages qui vont se retrouver dans les deux derniers chapitres.

La temporalité la plus ancienne se passe au Vietnam en 1969, deux très jeunes filles veulent sauver leurs parents du poids d’une dette et pour cela vont quitter leur village natal pour devenir « hôtesse » dans un bar à Saïgon. La plus âgée pense vivre une vie amoureuse avec un officier américain : Dan, un pilote d’hélicoptère, Quand Kim (de son vrai nom Thran) lui annonce sa grossesse, Dan s’enfuit. Ces deux filles seront un des fils de l’histoire, le deuxième fil est constitué par Phong, un enfant métissé Vietnamien et américain noir, il veut absolument retrouver son père américain, enfin le troisième fil, c’est Dan en 2016, qui avec sa femme est revenue au Vietnam .

On voit donc que le sujet principal est le sort des enfants métissés au Vietnam. L’écrivaine connaît bien le sujet et fait preuve d’une grande objectivité, il n’y a pas des bons et des méchants, la guerre bouleverse toutes les valeurs et la population est victime. Les soldats américains sont évidement les méchants, mais ce sont aussi des pauvres gosses assez paumés conduits à faire des actes qu’ils seront amenés à regretter toute leur vie quand ils ont survécu. En tout cas c’est la cas de Dan. Nous apprendrons peu à peu la raison de ses cauchemars récurrents, mais jamais l’auteure ne l’excuse d’avoir laissé Kim se débrouiller seule avec ce bébé à venir.

Si les deux sœurs ont été amenées à se prostituer, ce sont pour des raisons économiques et on sent que pour les soldats ce sont des filles qui aiment ça , pour les Vietnamiennes c’est une façon de se sortir de la misère. quand elles commencent à croire à l’amour elles sont perdues car c’est toujours à sens unique.
Pour les enfants métis, c’est l’horreur car ils sont le témoignage vivant des conduites de leurs mères avec les soldats ennemis, on les appelle de toutes sortes de nom racistes mais de toutes façon ils sont pour tout le monde des « poussières de vie »  : Phong, qui a la peau noire est deux fois rejeté comme métis et comme noir. Mais les USA se sentant un peu coupable de leur sort permettra à ces enfants de faire une demande d’exil pour venir vivre dans un pays qui semble un pays de rêve pour le Vietnam qui est très pauvre . Le pauvre Phong sera deux fois victime d’une arnaque, la première fois une riche famille vietnamienne prétendra l’avoir adopté pour pouvoir partir tous ensemble en Amérique. La supercherie est découverte et sa demande est rejetée quand 10 ans plus tard, il renouvelle sa demande en ayant donné toutes ses économies à un escroc qui s’enrichit sur des naïfs du genre de Phong. Pourtant, il a réussi à construire sa vie grâce à la gentillesse de sa femme et il a deux enfants.

Enfin il reste le couple de Dan et Linda qui sont revenus au Vietnam, Dan pour retrouver si possible son enfant et Linda pour aider son mari à vaincre ses fantômes. Le couple aura du mal à ne pas se séparer lorsque peu à peu Dan révèlera son passé.

Pourquoi j’ai quelques réserves sur ce deuxième roman ? Je lui reconnais de grandes qualités d’objectivité, c’est que l’on sent trop l’envie de construire une histoire cohérente qui sans se finir par un happy end, se termine d’une façon optimiste Je reconnais que je n’avais rien lu sur les enfants métis de soldats américains au Vietnam mais cela n’a pas suffit à provoquer chez moi un enthousiasme que je pourrai partager avec vous.

Extraits

Début.

« La vie est un bateau, avait dit sœur Nhã la religieuse qui avait élevé Phong. Dès lors que ce bateau quitte son port d’attache qu’est le ventre de la mère, sa course se poursuit au gré des courants. Mais si le bateau renferme assez d’espoir, de fou en lui-même, de compassion, de curiosité, alors il peut affronter toutes les tempêtes de la vie. »

Un vétéran marqué par la guerre.

Dan ouvrit les yeux. Certains passagers riaient de soulagement. Les turbulences étaient passées.
 Il cligna des yeux, le visage brûlant de colère et de honte, puis secoua la tête pour tenter de chasser les images qui l’avaient assailli, mais dans son esprit tout était encore parfaitement vif : son mitrailleur, Ed Rappa, posté à la porte faisant le signe de croix et embrassant le sol après chacune de leur mission ; son chef d’équipe, Neil Hardesty qui mâchait son chewing-gum la bouche ouverte ; son copilote Reggie McNair, inspectant ses chaussettes porte-bonheur trouées par les mite, qu’il portait toujours en vol. Dan aurait aimé pouvoir leur dire combien il était désolé.
Pourquoi avait-il survécu et pas eux ? Cette question Dan se l’était posée un nombre incalculable de fois au cours des quarante-cinq dernières années.

Les enfants des vétérans.

 Beaucoup de vétérans refusent tout simplement de reconnaître leurs enfants quand ces derniers les retrouvent. Il peut y avoir de nombreuses raisons. Par exemple certains de ces hommes ignoraient qu’ils avaient engendré des enfants au Viêt Nam. D’autres sont traumatisés et ne veulent plus entendre parler de leur passé. Retrouver des membres de la famille est plus complexe qu’on ne le pense.

 

 


 

Édition livre de poche novembre 2023

 

Je ne note plus les blogs où je trouve mes tentations de lectures, j’espère que celui ou celle qui m’a tentée mettra un commentaire pour que je puisse mettre un lien vers son blog. Et voilà déjà Athalie , puis Keisha, et Ingannmic, et Je lis je blogue

L’autrice dit avoir été inspiré par « la vie mode d’emploi » de Georges Perec. C’est son idée de départ, mais cette écrivaine a son propre style et une façon toute personnelle de nous faire vivre avec les habitants d’une des tours des Olympiades dans le 13° arrondissement appelé fort injustement le Chinatown parisien. Injustement, parce que ce sont surtout des Vietnamiens, Laotiens ou Cambodgiens qui y ont été logés et qu’ils ont en commun d’avoir fui les communisme soutenu par la Chine. Peu importe pour les Français tous ces gens sont des « chintoks » !

Dan Bui est une romancière et une journaliste, et cela se sent dans son roman . Elle s’appuie sur des faits très documentés pour créer la vie des personnages dans cette tour. Elle connaît aussi de l’intérieur la vie des exilés vietnamiens. Cela donne un récit très riche et multiforme, un eu trop touffu pour moi, j’aurais eu un véritable coup de cœur, si je ne m’étais pas perdue dans les méandres de toutes les histoires et surtout l’utilisation de toutes les façons modernes de communiquer.

Mais c’est une excellente peinture de notre société actuelle et du choc qu’a représenté pour les Vietnamiens l’adaptation en France où ils ne se sont jamais vraiment sentis les bienvenus , la gauche ne les aimait pas car ils avaient fui ceux qui avaient vaincu l’impérialisme américain , la droite leur faisait la charité en leur faisant comprendre toute leur supériorité. Le quartier est très bien décrit ces tours qui ont défiguré Paris, au sous-sol les SDF qui squattent les garages, dans les étages les vietnamiens avec des parents qui vivent souvent très mal leur déclassement et qui n’ont jamais réussi à apprendre correctement le français, en particulier la famille Tuong qui sera le fil conducteur de ce récit. Il y a sans doute beaucoup de l’autrice dans leur fille Anne-Maï qui a failli représenter la réussite scolaire, gloire possible pour son père adorateur de Victor Hugo.

La description du bizutage en classe préparatoire est une pure scène d’horreur , il faut vraiment espérer que ce genre de pratique ait vraiment disparu. L’humiliation des filles obligées de se mettre à moitié nues devant des garçons hilares est écœurante et tout le monde savait que ça existait sans réagir.

Un personnage que l’on retrouve aussi, déjà dans cette scène puis tout au long du roman, c’est un pauvre type qui se prend pour le chien de l’écrivain Houellebecq et qui est totalement taré. J’avoue qu’il a fait parti des personnages que j’aurais bien supprimé . En revanche j’aime beaucoup le sénégalais Virgile et pas seulement parce qu’il est amoureux de Proust mais parce qu’il va réussir à s’en sortir en inventant des histoires crédibles pour l’OFPRA , et qu’à la fin, il ne saura plus très bien qui il est lui-même. J’ai aimé aussi Illina cette jeune Roumaine qui est la baby-sitter préférée d’une petite française mais qui ne le fait que pour permettre à sa propre fille Théodora de vivre mieux qu’elle même. J’ai beaucoup aimé les notes en bas de page, qui donnent un aspect plus véridique au récit (mais j’ai quand même vérifié sur Wikipédia si c’était vrai !)

 

Tous ces personnages ont des liens dans la narration et on s’y retrouve peu à peu. Je n’ai pas trop aimé la fin qui se situe en 2045 , mais je lui reconnais un certain panache !

 

Extraits

Le début.

De la rue de Tolbiac, on distinguait les deux escalators en panne qui menaient à la dalle, deux rubans de métal se frayant dans le béton, avant de se perdre dans l’obscurité. D’en bas, on ne voyait rien de la dalle. Les tours avaient l’air de flotter dans le vide, brouillant perspectives et point de fuite, un labyrinthe sans porte ni sortie.

Le minéral et les espaces verts.

 Le minéral l’emporta. L’architecte en chef l’avait martelé les espaces verts étaient ineptes, Paris c’était le béton. Les Olympiades s’épandaient en de longues surfaces vides et planes où s’engouffrait le vent. Sur le sol les par résonnaient la nuit, tac, tac, tac, comme dans les couloirs vides des tours.
 Pour pallier l’absence d’arbres, il y eut bien quelques jardinières. Mais les pousses mourraient, écrasées sous les mégots, les crachats, lurine. On abandonna les jardinières. Il y eut aussi d’éphémères bassins pour les enfants mais les habitants y baignaient leurs chiens, scandalisant ceux qui n’en avaient pas. Pour éviter les conflits, les bassins furent vidés. Et il ne resta plus rien. Ni sable, ni terre. Juste des bassins en béton. 

La langue française .

 Les français semblaient tellement obsédés par l’idée de sujet qu’il dictait sa loi à toute la phrase. Tel un roi Soleil, le sujet attirait tout à lui, qu’il fût masculin ou féminin, singulier ou pluriel. 
Plus déroutant encore, la « concordance » des temps. Les français avaient eu l’absurde et délicieuse idée de changer les temps lorsqu’on colle des phrases ensemble. Il n’y avait pas de « que » de « qui » en vietnamien tandis que le français avait besoin de complexifier, rajouter des vis, des boulons, des conjonctions. Comme la tour Eiffel, la langue française lui semblait une construction splendide et bizarre. Un jeu de Meccano qui échappait à la pesanteur, un miracle aérien s’élançant vers les airs.

Vieillir.

 En France, vieillir c’était déchoir, contrairement au Vietnam où les aînés avaient le privilège d’être choyés et entourés de leurs progéniture, toutes les générations vivant sous le même toit. En France, les vieux allaient mourir dans ce qui ressemblait à des prisons ,-lino au sol, ascenseur avec code, cantines où l’on servait du pain tout mou avec de la confiture et du fromage sous plastique. Pendant l’épidémie, les Tuong horrifiés avaient vue à la télévision les maisons de retraite mises sous cloche et les vieux interdits de visite pour éviter les contaminations.

Les cheveux.

Pour les femmes de couleur, la quête de la beauté était d’autant plus absurde qu’elle n’avait qu’une obsession : ressembler à des Blanches et avoir leurs cheveux. Les Noires se napalmaient la tête pour arborer des chevelures lisses, les Maghrébines tiraient sur leur boucle pour arborer des brushings impeccables, les Asiatiques s’infligeaient des permanentes et se débridaient les yeux. Toute s’enferraient dans cette détestation d’elle-même qui les conduisait en plus de vouloir ressembler à des femmes blanches, à ne vouloir plaire qu’à des hommes blancs, quitte à n’être pour eux que de objets exotiques de consommation. 

La couleur de peau.

 L’échelle de valeur de sa mère était corrélée à la couleur de peau. Le teint clair se conjuguait à la puissance. En Asie c’était évident : la minorité dominante des Han, chinoise, ou les Japonais, c’est à dire les plus clairs, avaient longtemps dominé. Quant aux Occidentaux, les tãy, Alice Truong les haïssait, mais elle les admirait aussi. Elle avait toujours respecté la force et la puissance, fussent-elles injustes. Les Blancs décidaient de l’avenir de la planète. La décolonisation ? Quelle blague. Les Blancs avaient gardé l’argent et le pouvoir. Leur supériorité innée était-elle que lorsqu’ils s’installait dans un pays étranger, ils n’étaient pas des « immigrés » mais des « expatriés », fêtés et flattés . Un jour dans un instant d’accablement Alice avait fait cet étrange aveu :
– Peut-être que nous avons fait quelque chose de mal dans une vie précédente pour avoir tant de malheurs et n’être pas aussi blanc qu’eux.


Édition Charleston février 2023. Traduit de l’anglais par Sarah Tardy

 

Moi qui pensais que nous étions les maîtres de notre destin, j’ai appris qu’en temps de guerre, les citoyens ordinaires ne sont plus que des feuilles balayer comme des milliers d’autres par la tempête. 

Je fais paraître ce billet le lendemain du roman de Cécile Pin : « Les âmes errantes » car ces ceux livres se complètent très bien. Ce roman nous décrit le Vietnam, pays martyre, du point de vue du Vietnam du nord. C’est pour moi une grande découverte, car j’ai déjà beaucoup lu sur le Vietnam du Sud et l’exode des Boat-People mais pas du tout sur le Vietnam du Nord. L’auteure se sert de l’histoire de sa famille et cela lui donne une base pour une grand fresque historique. La famille Tran est propriétaire d’un grand domaine qu’elle cultive grâce à des paysans qui leur sont très attachés.

Le roman suit plusieurs chronologies, celle de la grand-mère Diêu Lan qui élève sa petite fille Huro’ng, grâce à elle nous revivrons la présence des Français dont les Vietnamiens espèrent bien voir le départ. Hélas, les Japonais vont les remplacer et imposer aux paysans des cultures qui suppriment les traditionnelles cultures vivrières, une terrible famine va en résulter. L’auteure sait parfaitement rendre ce que représente la recherche de nourriture pour un peuple que l’on empêche de cultiver ce qui pourrait éviter à ses habitants de mourir de faim.

Le destin de cette grand-mère est incroyable, elle aurait dû mourir tant de fois : comme fille de propriétaire ennemi du peuple condamnée par les communistes, comme femme se débrouillant seule se heurtant à des brigands, comme mère de six enfants qui doit faire 600 kilomètres à pied pour sauver sa vie et celle de ses petits. Cette traversée du pays est inimaginable, on a vraiment une impression d’une hallucination au milieu de dangers mortels qui s’attaquent à elle et à sa volonté de survivre.

Ses enfants partiront à la guerre pour la réunification du pays, ils reviendront détruits moralement pour la mère de Huro’ng, sans ses deux jambes pour Dat, son fils Tuan est mort, un autre est revenu mais complètement asservi au parti communiste au grand désespoir de sa mère qui a gardé en toute occasion son esprit critique.

Nous suivons aussi le parcours de sa petite fille qui veut retrouver sa mère et son père, celui-ci ne reviendra pas et sa mère restera mutique et brisée jusqu’à ce que sa fille comprenne son drame. Nous la suivrons dans son parcours scolaire et dans son histoire d’amour. donnant lieu un rebondissement un peu trop étonnant (pour moi)

L’auteur utilise souvent le biais de lettres ou de journal intime pour nous donner le récit de différents personnages, par exemple le fils aîné qui a fui les communistes qui ont assassiné son oncle devant ses yeux, dans une grand lettre, il fera comprendre à sa famille ce qu’il a vécu. Le journal intime de la mère de Huro’ng qui lui permettra de casser la mutisme de sa mère.

En lisant ce livre, on se rend compte que ce qui a permis aux Vietnamiens de garder une unité morale, c’est la force des liens familiaux, peut-être aussi le culte des morts qui fait que l’on n’oublie pas ceux du passé. Ce lien très fort avec la famille élargie permet de résister aux assauts de la violence mais aussi à l’idéologie communiste. En tout cas c’est le cas de cette famille.

Ensuite, l’auteure a un véritable talent pour nous conduire à travers les différents épisodes du Vietnam et faire comprendre les retombées sur les populations. Il y a peut être un aspect trop « romanesque » dans cette fresque, je pense en particulier à une histoire de bijou perdu et retrouver de façon si miraculeuse pour la jeune fille, mais à la lecture je n’ai pas du tout eu l’impression que c’était trop romanesque, j’ai dévoré tous les épisodes et j’ai tellement admiré cette grand-mère capable de tous les efforts pour que les siens vivent correctement, même faire du marché noir au grand scandale de son fils devenu un membre du parti mais qui accepte quand même ses plats cuisinés avec tant d’amour.

 

Il me reste une question, ce livre est écrit en anglais, cette auteure vit-elle toujours au Vietnam et son livre est-il traduit en vietnamien ? C’est une telle critique du régime communiste que cela m’étonnerait mais cela me ferait aussi un grand plaisir.

 

Extraits

Début .

 Quand meurent nos ancêtres, me disait ma grand-mère, ils ne disparaissent pas mais continue de veiller sur nous. Aujourd’hui, je sens sur moi son regard tandis que je frotte une allumette pour faire brûler trois bâtons d’encens.

La présence française au Vietnam .

 Les Français occupaient notre pays. J’avais déjà vu des soldats battre des fermiers sur la route du village. Ils étaient même déjà venus chez nous, pour fouiller notre maison, à la recherche d’armes. Les cultivateurs et les ouvriers de notre provinces avaient même manifesté contre eux. Mes parents, eux, ne s’étaient pas joints à la protestation. Ils craignaient la violence et croyaient qu’attendre que les français nous rendent un jour notre pays éviterait un bain de sang. 

Les erreurs des Viet Minh communistes.

 Dans tes livres d’école, tu ne trouveras rien sur la réforme agraire ni sur les querelles intestines qui divisaient le Viêt Minh. Une partie de l’histoire de notre pays a été gommée et avec, la vie d’un nombre incalculable de gens. Il nous est interdit de parler des évènements liés aux erreurs du passé ou des méfaits commis par les dirigeants d’antan car nous réécririons l’histoire, ce faisant.

Le titre.

Grand-mère m’a dit un jour que les épreuves auxquelles le peuple vietnamien a fait face sont aussi hautes que les plus haute des montagnes. Je me suis tenue à une distance suffisante pour voir le sommet de la montagne, mais aussi suffisamment près pour ma percevoir que grand-mère est elle-même devenue la plus haute montagne : toujours présente, toujours forte, toujours là pour nous protéger.


Édition Stock août 2023. Traduit de l’anglais par Carine Chichereau

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce livre qui raconte l’exode des Vietnamiens après la fin de la guerre et l’installation du régime communiste, m’a beaucoup marquée .Ma génération n’a sans doute pas oublié les « boat-people » et les différents drames qu’ils ont connus. Les camps, les attaques des pirates Thaïlandais, le peu d’empressement des pays occidentaux à les accueillir. Mais la mémoire est ainsi faite, un drame en chasse l’autre et même si on se souvient, on est moins dans l’émotion.

Le livre de Cécile Pin qui se fonde sur l’histoire de sa propre famille, incarne cette immense tragédie et nous ramène dans ces temps horribles où si peu de gens leur venaient en aide. En France, la victoire des communistes semblait une cause juste et il a fallu du temps pour ouvrir les yeux sur la répression qui s’abattait sur une population déjà meurtrie par la guerre.

C’est un récit à plusieurs voix : une voix narrative qui suit le parcours de Anh et de ses deux plus jeunes frères Minh et Thanh . Les parents les ont envoyés vers Hong Kong quelques jours avant leur propre départ. La voix de l’écrivaine Cécile Pin quand elle décrit différents faits historiques qui ont marqué son pays d’origine, et enfin la voix du petit Bao qui tel un fantôme hante cette histoire.

Anh a seize ans quand elle quitte son village et sa famille, hélas ! le bateau qui devait conduire ses parents à Hong-Kong a coulé. Ses parents, le bébé et le jeune Dao sont morts noyés. On retrouvera leur corps sur une plage, alors, à 16 ans, elle devient chef de famille et nous fait découvrir au plus près de la réalité le destin des Vietnamiens, on les suit dans différents camps de réfugiés à Hong Kong puis au camp qui les attendait à Londres et enfin dans le petit logement social qui leur a été attribué à Londres. Son malheur , c’est qu’elle ne sait jamais si elle en fait assez pour ses deux frères : Minh ne réussira pas l’école et Thanh ne sera pas pris à l’université. Elle même reprendra ses études et se mariera avec Tom un homme originaire de Chine. Elle va fonder une famille solide, unie, bien insérée socialement, mais pour autant le poids des morts pèsera beaucoup sur ses épaules.

Dans sa recherche historique, l’auteur rappelle des faits horribles qui se sont peut-être éloignés dans notre mémoire. Mais pourtant, c’est si important de se souvenir ! Dans ces textes nous trouverons l’origine du titre, lors de la guerre du Vietnam les américains n’ont pas manqué d’imagination morbide. Ils ont par exemple fait peur aux habitants en amplifiant des sons des mourants et en les envoyant dans la jungle. Mais aussi ce qui s’est passé avec les pêcheur Thaïs qui ont assassiné et violé des gens sans aucune défense .
Enfin la voix de Dao ce petit frère qui erre effectivement comme une âme qui ne trouve pas le repos.

Ainsi ce livre est un tout qui mélange le narratif et le récit historique et fait comprendre au plus près de la réalité ce que les Vietnamiens ont subi, le dernier épisode des 25 personnes mortes étouffées dans un camion sur une route anglaise montre que leur calvaire n’est pas terminé et rejoint celui des migrants contemporains.

 

Extraits

Début.

Novembre 1978- Vung Tham, Vietnam

Il y a les adieux, et puis on repêché les corps- entre les deux, tout est spéculation.
Dans les années à venir. Thi Anh laisserait les souvenir atroce du bateau et du camp s’en aller, goutte à goutte, jusqu’à n’être plus que murmures.

 

Le titre.

 Il leur a présenté un système de sonorisation en désignant la jungle toute proche. « Il faut aller là-bas poser l’engin pas trop loin du camp et appuyer sur lecture . » Il a sorti une cassette de sa poche avec une étiquette sur la tranche : « Cassette fantôme n° 10 » . Smith l’a insérée dans l’appareil et a jeté un coup d’œil aux deux soldats riant de leur perplexité.
« Opération Âme Errante » a-t-il dit pour foutre une trouille de tous les diables à ces niakoués. »

Les pêcheurs thaïs …

Il semblerait qu’environ cinq-cents pêcheurs Thaïs aient violé à tour de rôle trente-sept femmes sur Ko Kra pendant vingt-deux jours consécutifs ce mois-ci. Ces femmes étaient à bord de quatre bateaux différents et elles ont été amenées sur Ko Kra par les pêcheurs qui ont pris d’assaut leurs embarcations pour les empêcher de fuir.

Ce qui a aidé son frère en Angleterre.

Son voisin ne connaissait que le début, et bientôt il passa à « Yesterday » et « Hey Jude » puis une fois son répertoire des Beatles épuisé, il retourna dans le bungalow en disant à Thanh de l’attendre. Quelques minutes plus tard, il revint avec un morceau de papier où il avait noté des mots en anglais dont Thanh ignorait le sens : Pink Floyd, Led Zeppelin, Fleetwood Mac.
« Quand tu seras en Angleterre, il faut que tu trouves les disques de ces groupes-là. »

Le poids qui pèse sur les épaules de l’écrivain.

Je m’aperçois qu’il y aurait encore beaucoup à dire.
Je pourrais raconter aux gens les viols, les meurtres, les rumeurs de cannibalisme.
J’ai lu des témoignages, des livres, des journaux, des encyclopédies, et toute ces connaissances sont devenues un fardeau que je porte. Mais dans quelle mesure dois-je en parler ?

Les inquiétudes d’une mère .

 Elle s’était inquiétée à propos des drogues et de l’alcool, du racisme et de la violence, mais elle n’avait jamais craint que Platon et Aristote, Kant et Marx puissent lui ravir sa fille. Anh imaginait Jane traînant avec ses amis défoncés, débattant du sens de l’existence, de la vie après la mort, et elle songeait :  » Quelle perte de temps incroyable ». À ses yeux, la vie c’était la vie ; ce qu’il y avait après, c’était ce que vous vouliez. Mais elle taisait ses craintes. Elle n’avait pas envie de tomber dans le cliché – la mère immigrée, la mère-tigre. Ainsi encouragée par son mari, Android avait donné à Jane sa bénédiction pour aller faire ses études à Leeds, se préparant mentalement à ce qu’elle soit au chômage pour le restant de ses jours. 


Édition Robert Laffont, 361 pages, février 2024.

 

J’ai failli arrêter la lecture de ce roman au premier chapitre, j’ai eu beaucoup de mal à croire au coup de foudre qui y est décrit : une jeune fille de 17 ans, croise sur un trottoir de son village, un jeune homme très sale mais son sourire lui soulève le coeur. Et paf ! elle est amoureuse et lui aussi et cela pour toute la vie. Evidemment la famille de la jeune Victoria est très dysfonctionnelle, sa mère sa tante et son cousin son morts dans un accident de voiture. Son père est muré dans un silence douloureux, son oncle revenu blessé de la guerre est complètement aigri et se déplace dans un fauteuil roulant , son frère Seth est la méchanceté incarnée. Son grand amour s’avère être un Indien, dont elle aura un enfant. Et lui sera assassiné par le frère de son amante et un ami de celui-ci .
Dans la deuxième partie, on voit cette jeune Victoria accoucher seule dans la montagne et confier son bébé à une jeune femme qui est en train de pique niquer dans une clairière avec son mari et son propre bébé. Ensuite on suivra Victoria d’abord dans son retour dans son village qui doit être inondé par un barrage hydraulique, elle acceptera l’argent du gouvernement pour déménager et reconstruire une ferme dans une autre vallée. Elle sera aidée pour déménager ses merveilleux pêchers par un ingénieur agronome. La vie reprend donc des couleurs pour elle, il lui restera à retrouver son fils. Mais non, je ne vous dévoilerait pas la fin.

L’histoire s’étale de 1948 à 1971, et permet à l’auteur d’évoquer les différentes tragédies ou seulement différentes façon de voir le monde qui ont traversé les USA pendant cette longue période : le retour des hommes blessés pendant la deuxième guerre mondiale, le racisme contre les indiens, la protection de la nature, la guerre du Vietnam , le poids de la religion, la place des femmes …

À aucun moment, je n’ai pu croire croire à « l’héroïne inoubliable » que me promettait le « Sunday Express », pas plus qu’à son abruti de frère Seth qui est le diable incarné. Il y a tant de rebondissements (souvent très invraisemblables) dans ce récit que cela peut peut-être plaire à un certain public, je n’en sais rien. L’évocation de notre « mère  » nature est tellement américaine ! Bref une énorme déception pour un livre que je vais très vite oublier.

À ne lire que si vous voulez bien que je divulgâche ce roman

Lorsque Victoria a accouché seule dans sa cabane dans la forêt, elle réussit à réanimer son bébé puis part et se retrouve dans une clairière où un couple pique nique et la femme donne le sein à un bébé. Elle dépose son nouveau né sur la banquette arrière de la voiture. Cette femme avait elle même accouché, à l’hôpital deux jours avant dans des conditions terribles et n’aura pas d’autres enfants, or son mari voulait avoir deux fils.. Attendez, ! ce n’est pas fini, par le plus grand des hasards le couple n’avait pas encore déclaré la naissance, ils vont donc déclarer la naissance de jumeaux…

 

Extraits

Début .

 Le garçon ne payait pas de mine.
Du moins à première vue
 » Excusez-moi, dit-il, portant des doigts sales à la visière d’une vieille casquette rouge. C’est par là la pension ? »
Aussi simple que ça. Une question banale posée par un inconnu crasseux remontant la Grand-Rue, juste au moment où j’arrivais au croisement avec la rue North Laura.

Le coup de foudre.

 En quittant la ferme ce matin-là, j’étais une fille ordinaire un jour ordinaire. Si je n’étais pas encore capables d’identifier quelle nouvelle carte s’était dépliée en moi, je savais que je n’étais plus la même en rentrant à la maison. Je ressentais ce que devaient ressentir les explorateurs dont on nous parlait à l’école, lorsqu’ils apercevaient un rivage lointain et mystérieux dans une mer qu’il croyait sans fin. Devenu le Magellan de mon voyage intérieur, je m’interrogeais sur ce que je découvrais. La tête posée sur la large épaule de Will, je me demandais d’où il venait, qui il avait quitté, et s’il arrivait à un vagabond de rester longtemps au même endroit. 

Les femmes.

 Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.

L’amour…

 Une fille de dix sept ans peut être idiote, surtout si elle ignore tout du pouvoir extraordinaire de l’amour jusqu’à ce qu’il la submerge telle une crue soudaine. Mais mon intuition selon laquelle Will était proche et ma certitude de le trouver en train de m’attendre dans la propriété voisine où Ruby-Alice recueillait ses étranges créatures étaient parfaitement fondées.

Fin de son amoureux pas de son amour .

 Et pourtant… Je connaissais la vérité : le monde était trop cruel pour protéger un garçon innocent ou pour évaluer ce que l’on ait ou non capable d’endurer ; Will avait trouvé la mort au fond de Black Canyon parce qu’il était resté pour m’aimer. 

La survie dans la nature .

 Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.

Édition Gallmeister . Traduit de l’américain par François Happe

Je remarque que c’est la première fois que je lis : « traduit de l’américain » et non de l’anglais (USA) ou autre formule qui nous ferait croire qu’il n’y a qu’une seule langue pour ces deux pays et je trouve que François Happe a eu beaucoup de mérite à traduire ce texte .

 

Voici à qui Stephen Wright dédie son roman

Pour ceux qui ont été transformés en graphiques, tableaux, donnés informatiques, et pour tous ceux qui n’ont pas été comptés

Je dois à Keisha cette lecture qui m’a plombé le moral pendant deux semaines au moins. J’ai vraiment été soulagée quand j’ai refermé ce roman après les quinze méditations. Je ne suis pas certaine de bien vous rendre compte de ce roman tant il m’a déroutée. Nous suivons une compagnie chargée du renseignement au Vietnam, on imagine facilement les techniques utilisées pour obtenir ces renseignements. Et ne vous inquiétez pas, si par hasard vous n’en aviez aucune idée, ces techniques vont vous être expliquées dans les moindres détails, jusqu’à votre écœurement et certainement aussi celui des soldats. Pour supporter ce genre de séances les soldats se droguent et dans leur cerveau embrumé la réalité devient fantasmagorique, et le lecteur ? et bien moi je maudissais Keisha mais je ne voulais pas être mauviette ni faux-cul et passer ces passages. J’ai donc tout lu en remarquant que le soldait de base a des envies de meurtre sur son supérieur quand celui-ci tue son chien mais reste impassible devant la mort en série des Viets. Mes difficultés de lecture ne disent rien de la qualité du roman . C’est un texte très dense, construit avec des allers et retours continuels entre la vie au pays après la guerre et la guerre elle même en particulier la défaite américaine. Entre les rêves cauchemardesques nourris avec toutes les drogues possibles et la réalité de la guerre. J’ai retenu de cette lecture :

  • Que personne ne pouvait en ressortir indemne.
  • Que personne ne pouvait y être préparé.
  • Que même dans des moments aussi terribles, on peut tomber sur quelqu’un d’aussi borné que le sergent Austin qui semble n’être là pour rendre la vie encore plus difficile aux hommes sous ses ordres.
  • Que sans la drogue, les soldats du contingent n’auraient pas pu tenir très longtemps dans cet enfer.

 

Citations

Le bleu

Le seul personnage qui manquait encore dans leur film de guerre de série B était enfin arrivé : le gamin. Son passé comme son avenir était aussi clair, défini et prévisible que les taches de rousseur sur son visage lisse. Il n’était jamais parti de chez lui, il allait écrire à sa famille tous les jours et il s’endormirait en sanglotant tous les soirs. Il devient la mascotte souffre- douleur de la compagnie, on le charrie sans arrêt jusqu’à ce que le héros bourru, débordant de tendresse virile, le prenne en pitié et le protège d’une réalité plaisante en apparence, mais en fait une grande cruauté.

Le cerveau d’un drogué

Procédant par élimination, sa pensée se réduisit à un fil de divagation. L’os frontal se fragmenta en un tourbillon de particules de poussière d’ivoire, explosant les lobes du cerveau à la fraîcheur de l’air qui descendait. Une fission intime produisait des éclats de lumière à un rythme aussi imprévisible que les éclairs d’orage en été sur un horizon tout gris. Des rideaux de pluie électronique passaient en glissant comme de lourds rideaux de théâtre sur des rails bien graissés. Il sentit une main le pénétrer vivement et se refermer sur l’éponge molle de son esprit avec la force d’un point ganté . Un parasitage silencieux étouffa sa conscience…
…et les nuages passèrent lentement à travers le spectre de la lumière visible, et le soleil, gros et rond et rouge comme une boule de chewing-gum fit floc en tombant entre les lèvres humides de la mer et se mit à se dissoudre… en minuscules grains de sable enfoncés dans les craquelures du cuir de sa botte.

Genre de scènes qui coupent le récit

Dans l’aérogare près du terrain, les quelques hommes qui attendaient les avions qui allaient les emmener étaient trop fatigués pour faire autre chose que fumer des cigarettes et échanger quelques plaisanteries éculées. Aucun d’entre ne souhaitait entreprendre une conversation. Leurs yeux inquiets allaient de la surface sombre de la piste au ciel nuageux et inversement. Aucun d’entre ne regardait la pyramide de longues boîte étroites qui attendaient aussi un vol, le chariot élévateur et le retour à la maison dans un avion sans hublots.

Si vous avez le moral lisez ce passage

Il y avait le chef de la section des interrogatoires qui appelait cette dernière la Clinique dentaire et qui faisait des cours sur l’extraction d’informations vêtu d’un tablier à barbecue représentant un malheureux cuisinier de banlieue derrière son grill de jardin sur lequel des steaks fumaient comme une aciéries de Gary dans l’Indiana, au-dessus d’une pancarte portant la légende BRULÉ ou CARBONISÉ et qui, lorsqu’il n’était pas occupé à mettre au point des nouveautés aussi futées que celle qui consistait à placer de façon décorative des punaises à carte sur la surface de l’ œil après les avoir fait chauffer, pratiquait le jet d’eau orientale, une opération au cours de laquelle on bloque la bouche grande ouverte avec des cales de bois et on inonde la gorge ainsi relevée, les narines et les yeux de litres et des litres d’eau non potable jusqu’à ce que la nausée et l’étouffement qui s’ensuivent provoque l’expulsion incontrôlable de toute nourriture non digérée, de l’eau, des mucosités et des coordonnées géographiques précise du bataillon auquel appartient le patient.

On croise l’armée française mais je n’ai rien trouvé à ce nom sur la toile

Là, faisant montre d’une superbe tout française, Jean-Paul Roichepeur, dégusta tranquillement une boîte de foie gras tandis que le plomb bourdonnait autour de sa tête comme des abeilles dans une vigne et que les explosions de mortier modifiaient la topographie de son poste de commandement, et lorsque les barbares du ViêtMinh furent à moins de cent mètres , se débarrassant de sa fourchette en argent et de ce qui restait du foie gras d’oie, il s’empala de façon théâtrale sur sa propre épée en s’écriant :  » Et voici comment la France a riposté à tous les despotes ! » Malheureusement déviée par une armure de décorations et de médailles tape à l’œil, la lame manqua les organes vitaux et il mit cinq heures à mourir et pendant toute son agonie Jean-Paul Roichepeur divulga involontairement tous les secrets militaires dont il avait connaissance. « Très déclassé » , murmura la presse parisienne.

La torture je déteste lire ça( mais je déteste encore plus que cela existe !)

Essayez les couilles dis-le capitaine Raleigh.
 Le sergent Mars déchira le caleçon noir du prisonnier en deux. Se penchant en avant entre les jambes du prisonnier, il fixa les câbles au scrotum.
Le lieutenant Pgan actionna la manivelle.
Claypool n’avais jamais entendu un tel cri, pas même au cinéma. Un cri qui transperçait la peau, qui se poursuivait sans interruption entre deux tours de manivelle. À un moment, le prisonnier parut admettre que oui, il était Viêt-cong, un lieutenant, un sapeur, mais ensuite il eut l’air de le nier. Puis il se mit à parler sans s’arrêter, un flot confus dans un Vietnamien haché s’écoulant par une brèche ouverte dans une digue.
-Je ne sais pas ce qu’ils racontent dit le sergent Mars avec dégoût.
– Il prie très fort, expliqua le lieutenant Phan, mais Bouddha pas répondre au téléphone.

Moment d humour…

Les hommes et les femmes ne voulaient toucher les hot-dog américain, croyant qu’il s’agissait vraiment de pénis de chien bouilli.

Le travail d un officier du renseignement

Griffin revint sur son travail depuis son arrivée en République du Vietnam. Tout d’abord, l’évaluation des dégâts causés par les bombardements ; maintenant, des études sur la défoliation. Il avait vu le pays se couvrir d’acné, maintenant il allait le voir perdre ses cheveux. Tôt ou tard, il se rendait bien compte que ce n’était qu’une question de temps, ils allaient lui demander de se mettre à quatre pattes, d’astiquer son squelette et de mesurer sa boîte crânienne avec un compas d’épaisseur en acier.

J’ai lu tous les livres de cette auteure, Jai rédigé un billet pour « Ru » et « Man ». J’aime beaucoup ses textes et celui-ci m’a donné envie de relire « RU » qui a connu un si grand succès. Vi explore encore une fois ses origines vietnamiennes et son adaptation à la culture occidentale . Cela passe par l’histoire de sa famille qui était une famille de riches notables intellectuels du Vienam . Sa mère est issue d’une famille de commerçants aisés et très travailleurs. C’est cet aspect qui la sauvera elle et ses enfants. (Le père n’a pas fui avec eux.) À Montréal sa mère avec un courage incroyable réussira dans la restauration. Vi, pourra faire des études et retournera au Vietnam dans le cadre d’actions humanitaires. Ce roman fait la part belle aux sentiments amoureux, de sa mère d’abord qui souffrira des infidélités de son mari sans jamais se plaindre, et puis de la jeune fille qui associe liberté intellectuelle et liberté amoureuse. On sent très bien dans ce livre que les traditions vietnamiennes ne résistent pas au monde occidental. Encore une fois ce roman se divise en de courts chapitres qui sont autant de courtes nouvelles qui dévoilent peu à peu les strates de la personnalité de Vi. Une lecture dépaysante et très émouvante comme tous les livres de cette auteure, on peut sans doute lui reprocher de se répéter un peu, mais, quand, comme moi on l’apprécie, c’est un plaisir à chaque fois renouveler.

 

 

Citations

 

 

Les « boat people »

Mon prénom ne me prédestinait pas à faire face aux tempêtes en haute mer et encore moins à partager une paillote dans un camp de réfugiés en Malaisie avec une dame âgée qui pleura jour et nuit pendant un mois sans nous expliquer qui étaient les quatorze jeunes enfants qui l’accompagnaient. Il fallut attendre le repas d’adieu à la veille de notre départ vers le Canada pour qu’elle nous raconte soudainement sa traversée. Ses yeux avaient vu son fils se faire trancher la gorge parce qu’il avait osé sauter sur le pirate qui violait sa femme enceinte. Cette mère s’est évanouie au moment où son fils et sa bru avaient été jetés à la mer. Elle ne connaissait pas la suite des événements. Elle se souvenait seulement de s’être réveillée sous des corps, au son des pleurs des quatorze enfants survivants.

 

Le Québec

 Nous sommes arrivés dans la ville de Québec pendant une canicule qui semblait avoir déshabillé la population entière. Les hommes assis sur les balcons de notre nouvelle résidence avez tous le torse nu et le ventre bien exposé, comme les Putai, ces bouddhas rieurs qui promettent aux marchands le succès financier et, aux autres, la joie s’ils frottaient leur rondeur. Beaucoup d’hommes vietnamiens rêvaient de posséder ce symbole de richesse, mais peu y parvenaient. Mon frère Long n’a pas pu s’empêcher d’exprimer son bonheur lorsque notre autobus s’est arrêté devant cette rangées de bâtiment où l’abondance était personnifiée à répétition : « Nous sommes arrivés au paradis au paradis.

20160307_145754Traduit de l’américain par Françoise Cartano.

Quand j’ai appris la nouvelle de la mort de Pat Conroy, je me suis sentie triste, et ne pouvant pas participer ni de près ni de loin au deuil qui doit toucher profondément ses proches, j’ai décidé de relire « le prince des Marées » ; roman qui m’avait profondément marquée en 2002.

4
Ma relecture attentive de ce gros roman (600 pages) m’a remis en mémoire tout ce que j’aime chez cet auteur. Tout d’abord, son formidable humour et j’ai encore bien ri à la lecture de la scène où sa grand mère entraîne ses petits enfants dans le choix de son cercueil, au milieu de tant de souffrances d’une enfance ravagée par la violence d’un père et de l’insatisfaction de sa mère, ce petit passage où Tholita (la grand-mère) finira par faire pipi de rire sur les azalées du centre ville est un excellent dérivatif aux tensions créées par les drames dans lesquels la famille Wigo est plongée.

J’ai de nouveau apprécié la construction romanesque : nous connaîtrons peu à peu les drames successifs de la famille à travers l’effort que doit faire le personnage principal, Tom, pour aider la psychiatre de sa sœur jumelle, Savannah, à s’y retrouver dans le délire psychotique de celle qui est aussi une poétesse admirée du tout New-York des lettres. Ce procédé permet de rompre la chronologie et de croiser plusieurs histoires. « Le prince des marées » est un roman foisonnant et généreux le drame est toujours mélangé à une énergie vitale qui permet de supporter les pires vilenies des humains. C’est peut être le reproche qu’on peut faire à ce livre , cette famille est vraiment touchée par une série de drames trop horribles. Parfois on se dit : c’est trop ! mais peu importe, c’est si extraordinaire de découvrir le Sud des États Unis sous plusieurs facettes : le racisme ordinaire, la religion, le côté bonne éducation, la force des éléments.

Enfin ce livre est un hymne à la nature et les descriptions vous emportent bien loin de votre quotidien. C’est le genre de roman que l’on quitte avec regret chaque soir et que l’on voit se terminer avec tristesse. Bravo Monsieur Part Conroy d’avoir su écrire sur l’enfance martyrisée en gardant la tête haute et votre merveilleux sens de l’humour ; et merci, vos livres ont fait voyager tant de gens vers un pays dont vous parlez si bien.

Citations

Sa rage contre les parent destructeurs

Les parents ont été mis sur terre dans le seul but de rendre leurs enfants malheureux.

Un des portrait de sa mère

Ma mère se baladait toujours comme si elle était attendue dans les appartements privés d’une reine. Elle avait la distinction d’un yacht – pureté de ligne, efficacité, gros budget. Elle avait toujours été beaucoup trop jolie pour être ma mère et il fut un temps où l’on me prenait pour son mari. Je ne saurais vous dire à quel point ma mère adora cette période… Maman donne des dîners prévus plusieurs mois à l’avance et n’a pas le loisir de se laisser distraire par les tentatives de suicide de ses enfants.

Folie de sa sœur

Depuis sa plus tendre enfance, Savannah avait été désignée pour porter le poids de la psychose accumulée dans la famille. Sa lumineuse sensibilité la livrait à la violence et au ressentiment de toute la maison et nous faisions d’elle le réservoir où s’accumulait l’amertume d’une chronique acide . Je le voyais, à présent : par un processus de sélection artificiel mais fatal, un membrure de la famille est élu pour être le cinglé et toute la névrose, toute la fureur, toute la souffrance déplacées s’incrustent comme de la poussière sur les parties saillante de ce psychisme trop tendre et trop vulnérable.

Portrait d’une méchante femme de sa ville natale

Ruby Blankenship pénétra dans la pièce, royale et inquisitoriale, ses cheveux gris brossés sévèrement en arrière, et les les yeux fichés comme des raisins secs dans la pâte molle de sa chaire. C’était une femme immense, gigantesque, qui faisait naître une terreur immédiate dans le cœur des enfants. À Colleton, elle était perçue comme « une présence », et elle se tenait sur le pas de sa porte d’où elle nous observait avec cette intensité singulièrement ravageuse que les personnes âgées qui détestent les enfants ont su élever au rang des beaux-arts. Une partie de sa notoriété locale était due à l’insatiable curiosité que lui inspirait la sante de ses concitoyens. Elle était l’hôte omniprésente de l’hôpital autant que du funérarium.

Dialogue avec sa mère

Je n’aurais pas dû avoir d’enfants, dit ma mère. On fait tout pour eux, on sacrifie sa vie entière à leur bonheur, et ensuite ils se retournent contre vous. J’aurais dû me faire ligaturer les trompes à l’âge de douze ans. C’est le conseil que je donnerais à n’importe quelle fille que je rencontrerais.
– Chaque fois que tu me vois, Maman, tu me regardes comme si tu voulais qu’un docteur pratique sur toi un avortement rétroactif.

Humour

Les enseignants américains ont tous des réflexes de pauvres, nous avons un faible pour les congrès et foire du livre tous frais payés, avec hébergement gratuit et festin de poulet caoutchouteux, vinaigrette douceâtre et petits pois innommables.

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Traduit de l’anglais (américain) par Isabelle MAILLET.

4
J’avais noté ce titre car « Wisconsin » est un mot qui résonne en moi : j’ai pendant toute ma carrière enseigné le français aux étudiants de Beloit College, petite université de cet état lors de leur semestre en immersion en France. De plus, Clara Brize et bien d’autres m’avaient fait noter ce titre, que j’ai ensuite oublié.

C’est un roman à plusieurs voix, chaque protagoniste du roman a, un moment, la parole. L’axe principal, c’est la violence perverse d’un père de famille John Lucas. Mais pour nous amener à supporter l’horreur dévoilée à petite dose, Mary Relindes Ellis remonte dans le passé des personnages et peu à peu le lecteur a l’impression de comprendre et d’évoluer dans une société dont il connaît les règles et les soubassements.

Tout commence par un père allemand, violent et alcoolique qui n’a su transmettre que des messages de construction d’une personnalité masculine méprisant la femme et cherchant à tout prix à s’affirmer par la force. Son fils commence sa vie d’homme par un énorme mensonge qui brise à jamais son estime de lui-même, tous ceux qu’il pourra faire souffrir paieront très cher d’avoir croisé sa route. Les deux fils de John préfèrent fuir chez leur voisin, chez qui l’amour et le respect de la vie sont de vraies valeurs. La femme et la mère de ces enfants, Claire Lucas a eu pour son malheur une éducation catholique rigoureuse qui en gros lui disait « supporte ma fille, ton bonheur est dans l’au delà », elle ne saura pas protéger ses enfants qu’elle aimait d’un amour sincère. Jimmy l’ainé, partira faire la guerre au Vietnam et Bill restera dans cette famille, lieu de souffrance absolue. Heureusement pour lui, il y a la nature et sa passion pour les animaux blessés qu’il veut sauver et y parvient souvent. Sans « divulgacher » la fin, il est bon de savoir que la famille des voisins, celle d’Ellis et de Rosemary apporteront l’espoir dans l’humanité.

La force du livre vient de la façon d’écrire de cette auteure, chaque morceau de son récit est comme une petite nouvelle dans un univers qui va mal, elle ne donne pas toutes les clés immédiatement mais nous laisse ressentir l’atmosphère qui emprisonne ou qui, au contraire, fait du bien à ses personnages. Ceux qui savent apprécier la nature si importante dans cette région du Nord du Wisconsin, sont un jour ou l’autre sauvés du désespoir causé par la cruauté du mâle humain dominateur sans limite quand s’y mêle la perversion, y échapper demande une force que peu d’entre eux sauront trouver.

Citations

Une citation qui hantera Ellis toute sa vie

Le printemps est la saison des femmes et de la naissance. L’automne est la saison des hommes et de la chasse.

Le poids du silence dans les familles

Mieux vaut vivre avec ses blessures que mourir étouffé dans sa coquille.

L’image du bonheur dans la famille d’origine allemande qui a forgé le caractère du père violent et sadique

Quand tu seras propriétaire de ta terre, ce sera toi le patron. Le secret , c’est de la (ta femme ) faire travailler pour toi. Comme ça, t’auras plus de liberté. Après, tu pourras partir pêcher et chasser tout ton saoul ! Tu seras heureux. Tu connaîtras la Gemütlichkeit ! avait-il lancé en lui donnant une bonne bourrade dans le dos.

Milieu allemand avant la guerre 39 45

John savait que son père ne l’aurait jamais laissé entrer chez eux s’il n’avait pas été médecin, car il était juif.

La perversité

Il a guetté ma réaction en se fendant de ce sourire qui ponctuait toujours ses tentatives pour me faire du mal. Sur un enfant, un tel sourire – manifestant la joie d’avoir accompli un exploit au prix de gros efforts, comme par exemple placer des blocs ronds dans des trous ronds – aurait été touchant ; sur un adulte, il paraissait sinistre et menaçant.

La douleur

Moi, j’ai beaucoup pleuré, comme bien des femmes ici. Mais même au plus fort de la douleur, nous gardons toujours espoir. Nous les femmes, nous manifestons notre chagrin à la manière des loups et des coyotes, hurlant à l’adresse de nos partenaires et de toute la meute. Quand les hommes pleurent, ils expriment une telle vulnérabilité, une telle angoisse, qu’ils semblent presque à l’agonie.

La nature

Les feuillages déclinant toutes les nuances du feu, que les premières tempêtes d’octobre emporterait comme de la fumée. L’étonnante beauté des branches nues dressées vers le ciel, comme si il les avait déshabillé pour les mettre au lit.