Édition le livre de poche , 347 pages, septembre 2021

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

Un roman chaudement recommandé par la blogosphère (par exemple Ingannmic , Je lis je Blogue ) et je comprends pourquoi. Nous allons suivre douze personnes indiennes ou ayant du sang indien, qui doivent se retrouver pour un grand « Pow-Wow » à Oakland. Je ne connaissais pas ces manifestations qui permettent aux Indiens de se retrouver entre eux en chantant et en dansant. Visiblement, ces manifestations ne sont pas uniquement folkloriques, elles font du bien aux participants qui ont si peu l’occasion de se sentir fiers de leurs origines.
Bien loin des images habituelles d’Indiens vivant dans les réserves en peine nature, nous sommes avec des urbains qui ont tous connu des graves difficultés. L’alcool, la drogue, la violence sont le quotidien des ces gens. À aucun moment, l’auteur ne cherche à simplifier les problèmes que ces êtres mal dans leur peau créent ou qu’ils rencontrent. Le passé est comme un poids énorme qui pèse sur leurs personnalités, cela permet à l’auteur de raconter les différentes exterminations dont les tribus indiennes ont été les victimes, et de faire prendre conscience que leurs difficultés actuelles, même si ces gens font parfois des actes violents cela est si peu de choses à côté de ce dont ont été victimes leurs ancêtres.

Mais si tous viennent à cette cérémonie dans un esprit de communion, malheureusement certains ont d’autres projets, et auront comme projet d’arriver avec des armes pour voler l’argent qui doit récompenser les participants aux différents concours de chants et de danses.

On suit au plus près le destin des jeunes qui souvent sont élevés sans père, ou avec des pères violents, des femmes qui ne sont pas capable d’être mères mais qui ont quand même des enfants. Comme Tony qui a été porté par une mère alcoolique et qui souffre donc du Syndrome d’Alcoolisation Fœtale, sa mère est en prison et hélas il va essayer de gagner de l’argent avec la drogue.

Chaque chapitre porte le nom d’un personnage qui va participer au « pow-wow » , positivement ou pour détruire. Tout le roman monte vers la catastrophe qui était annoncée dès le début. Un très beau roman, pour lequel j’ai une réserve car c’est compliqué de passer d’un personnage à l’autre puis de le retrouver. On passe, non seulement d’un personnage à l’autre, mais d’une histoire à une autre, cet éparpillement est à l’image de la façon dont vivent les Indiens d’aujourd’hui qui ne sont plus une communauté, ils vivent en effet en ville et le plus souvent dans des situation marginales ou la limite de la marginalité. Cet éparpillement ne facilite pas la lecture. J’ai dû faire de gros efforts pour garder à l’esprit l’engrenage fatal dans lequel l’auteur plonge son lecteur. Mais j’ai beaucoup aimé la façon dont chaque personnage est décrit.

 

 

Extraits

Début.

 Il y avait une tête d’Indien la tête d’un Indien, le dessin de la tête d’un Indien aux longs cheveux parée d’une coiffe de plumes d’aigle, dessinée par un artiste anonyme en 1939 et diffusée jusqu’à la fin des années soixante-dix sur tous les écrans de télé une fois les programmes terminés. Cela s’appelait la Mire à tête d’Indien. Si on laissait la télé allumée, on entendait le son d’une fréquence de 440 hertz -celle servant à accorder les instruments- et on voyait cet Indien, entouré de cercles pareils à ceux de la lunette de visée d’un fusil. Il y avait ce qui ressemblait à une cible au sens de l’écran, et des chiffres comme autant de coordonnées.

Exemple de massacres.

 En 1637 entre quatre cents et sept cent Pequots se rassemblèrent comme chaque année pour la Danse du Maïs vert. Les colons encerclèrent leur village l’incendièrent et abattirent tout Pequot qui tentait de s’échapper. Le lendemain, la colonie de la baie du Massachusetts organisa un banquet pour fêter l’évènement, et le gouverneur proclama un jour d’action de grâce. Ce type d’action de grâce survenait partout, chaque fois qu’il y avait ce qu’il fallait bien appeler « un massacre couronné de succès ». On raconte qu’au cours d’une de ces fêtes à Manhattan, les habitants célébrèrent l’évènement à travers les rues en donnant des coups de pied dans les têtes d’Indiens, comme s’il s’agissait de ballons.

Le Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.

 Devant la télé juste avant de l’allumer, j’ai vu le reflet sombre de mon visage. C’est là que je l’ai vu pour la première fois. Mon vrai visage, celui que voyaient tous les autres. Quand j’ai posé la question à Maxine, elle m’a dit que ma mère buvait quand j’étais dans son ventre, et m’a dit très lentement que j’avais le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Le titre.

 Cette citation est importante pour Dene. Ce « là, là ». Il n’avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer faire et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là :ici n’est plus ici.

Réflexion sur le temps.

 On ne l’a pas, le temps mon neveu. C’est le temps qui nous a. Il nous tient dans son bec comme le hibou tiens un rat des champs. On frissonne. On se débat pour qu’il nous relâche, et lui nous picore les yeux et les intestins pour se nourrir, et on meurt de la même mort qu’un rat des champs.

Réflexion sur le suicide des Indiens

Des jeunes sautent par la fenêtre d’immeuble en flamme et trouvent la mort. Et nous pensons que le problème c’est qu’ils sautent. Voilà ce que nous avons fait : nous avons tâché de trouver un moyen de les empêcher de sauter. Nous les avons convaincus qu’il vaut mieux brûler vif que s’en aller dès que les ennuis deviennent trop brûlants. Nous avons condamné les fenêtres et installer de meilleurs filets de protection pour les rattraper, nous avons trouvé de meilleures façons de les convaincre de ne pas sauter. Ils décident qu’il vaut mieux être mort et enterrer que vivant dans ce monde que nous avons façonné pour eux et dont ils ont hérité. 

Les pow-wows.

 Nous avons organisé des pow-wows parce que nous avions besoin d’un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d’argent et qui nous donne un but, l’élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.

24 Thoughts on “Ici n’est plus ici – Tommy ORANGE

  1. Je viens de lire à propos du génocide des tutsis, sur lequel on se demande souvent comment ça a été possible de massacrer ainsi ses voisins, et je constate que le phénomène a été le même ici. Il « suffit » de déshumaniser l’autre, de le rabaisser au rang d’être inférieur et de laisser libre cours à ses pulsions de violence. Les Amérindiens l’ont vécu et il n’est pas étonnant qu’ils en soient aussi traumatisés.

  2. Cet éparpillement, et cette multiplicité de personnages, est un reproche qu’on lui fait souvent, parce qu’il peut perdre le lecteur, et empêche, pour certains de vraiment approfondir chaque protagoniste. Je n’ai pas été gênée par cet aspect, et j’ai même apprécié la dynamique qu’il donne au récit. Et j’aime bien l’interprétation que tu fais de ce choix formel, en lien avec une communauté elle-même éparpillée..
    Cette lecture a été un coup de cœur, j’ai même fait figurer ce titre dans mon top 10 2023…

    • je vais mettre un lien vers ton billet , moi j’ai dû m’accrocher pour comprendre la construction du roman et je pense aussi, que c’est plus facile pour les Nord-américains qui ont plus de repères que nous.

  3. Il faudra que je me décide à le lire, peut-être en notant les noms des personnages pour m’y repérer ? J’avoue que j’en avais lu quelques pages et pas continué (ce qui m’arrive souvent, et ne signifie pas qu’un roman est mauvais, la preuve avec celui-ci !)

    • je me suis accrochée et je suis contente de l’avoir lu : une plongée dans les difficultés de vie aujourd’hui des Indien d’Amérique

  4. Ton dernier paragraphe me fait dire que je vais laisser ce roman de côté.

  5. Merci pour le lien. Je me souviens en effet d’avoir beaucoup apprécié ce roman même si j’ai eu un peu de mal à entrer dedans pour les raisons que tu évoques à la fin de ton billet. Mais ça valait le coup de s’accrocher, n’est-ce pas ?

  6. keisha on 28 juin 2024 at 12:05 said:

    Comme kathel, j’ai commencé et pas continué (pas le bon moment?) Merci pour ton billet.

  7. Une lecture qui m’a laissé un souvenir marquant.

  8. Je garde de ce roman un excellent souvenir, même s’il a fallu m’accrocher un peu au début pour bien repérer qui est qui dans cette histoire.
    Bonne nouvelle, Tommy Orange vient de publier un nouveau roman qui ne devrait pas tarder à être traduit en français.

  9. C’est vrai que ce roman a eu un beau succès, je ne l’ai pas lu mais je le note !

  10. Je suis complètement passée à côté de ce roman, je n’ai jamais réussi à entrer dans l’histoire. Je l’ai sans doute lu au mauvais moment…

    • il faut s’accrocher au début, cela vient du nombre de personnages qui au début n’ont aucun lien entre eux, ils se retrouveront dans le drame final.

  11. Comme Sunalee, je suis passée à côté … Les histoires des différents personnages qui finissent par construire ce puzzle étant très similaires, je ne les distinguais plus les unes des autres. Et puis, j’ai le souvenir d’une écriture qui sentait un peu « l’atelier » américain.

    • je comprends bien cette critique, mais le puzzle de personnages qui se ressemblent doit bien être à l’image des indiens aujourd’hui : il leur reste des miettes de vie. Le côte « academic whriting » est évident dans tant de romans américains. Cela m’avait tellement étonnée quand j’ai su qu’on apprenait à écrire des romans dans les Universités américaines mais comme toujours cela n’a été que la préfiguration de ce qui se fait en France aujourd’hui.

  12. un thème que l’on trouve souvent en ce moment dans les livres et sur les blogs

    • comme souvent maintenant que cette civilisation n’existe plus on laisse les descendants « s’amuser » à être « indiens » en Bretagne on a bien connu cela avec une langue qui a totalement disparu (il n’y a plus personne en Bretagne qui ne parle pas français) on laisse les « bobos » instruire leurs enfants dans une langue qu’ils n’utiliseront jamais dans la vie courante.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation