Éditions Agullo Noir, 394 pages, Septembre 2024
Traduit du Croate par Olivier Lannuzel
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
J’ai apprécié ce roman malgré l’enquête policière qui a finalement tellement moins d’importance que l’analyse de la vie en Croatie aujourd’hui à Split. Je lis peu de polars, mais je me demande si beaucoup peuvent à ce point transgresser les règles du genre : Le lecteur connaît très vite le coupable d’un meurtre horrible d’une toute jeune fille, la police préfère choisir un « coupable » idéal qui déjà été condamné pour viol malgré les doutes d’un policier plus tenace que la moyenne.
La construction du roman est originale, car nous sommes avec la famille du véritable coupable, et d’un autre côté avec la police et ses excès de confiance. Bref, un roman pas banal sans happy end .
On le sait la Croatie est une destination touristique ce qui permet de donner du travail aux Croates, dans l’hôtellerie et le commerce. Ines, travaille comme gérante dans l’hôtel de Davor son patron qui est aussi son amant. Elle sera victime de dénonciations sur Facebook de la part de la femme de Davor. Nous la voyons dans la première scène du roman, petite fille sur la plage, les parents sont morts d’inquiétude car Mario le petit frère a disparu. On le retrouvera, mais ce souvenir est resté marqué dans les souvenirs d’Ines.
Sa mère Katja est une femme malheureuse qui ne trouve de consolation qu’à l’église en priant « la mère de toutes les douleurs » (d’où le titre), son mari est mort d’accident de voiture, elle a dû élever seules ses deux enfants et est cordialement méprisée par ses beaux parents. L’église est un facteur de paix sociale, une paix qui s’apparente au » pas de vague » qui a couté la vie à deux professeurs dans l’éducation nationale française et à tant d’enfants harcelés. Le rôle des personnages lors du communisme influence encore leur comportement aujourd’hui.
Le policier qui aurait dû mener l’enquête Zvone est typique des policiers dans les romans, il a une vie personnelle de raté , il vit avec un père qui a connu la guerre de 1995, il en est revenu traumatisé et peu actif, sa femme est partie respirer avec un autre homme en Australie et Zvone doit donc prendre en charge son père. C’est un bon policier, c’est à dire qui cherchent à vérifier les faits plutôt que de suivre la pente trop facile du coupable idéal. Le roman se termine par une partie de pêche avec son père qui ressemble presque à un moment de bonheur
Et puis, il y a les anciennes usines communistes si polluantes, « pas de vague » non plus sur les conséquences des expositions aux polluants, car si les familles ont aujourd’hui des logements , elles le doivent aussi aux directeur d’usine.
Beaucoup de passe-droit, une police prête à tout pour charger un coupable idéal, des gens mesquins et très ramollis : cela ne donne pas une image sympathique de ce pays, mais, évidemment il ne faut jamais juger un pays à travers les romans policiers, même s’ils donnent une image réaliste de tout ce qui ne va pas dans un pays.
Extraits
Début.
Inès se rappelle ce jour-là. Le jour où elle a aimé son frère plus que jamais. Ce devait être en 2005 où 2006,. Ils étaient tous les deux des enfants. Elle avait neuf ou fix ans, Mario, pas plus de cinq. Son père était encore vivant. Il était comme il allait mourir : jeune, musclé, avec une mèche de sa crinière indomptable qui lui tombait sur le front.
Les nouvelles technologies.
Katja à peur du nouveau four parce que ce n’est pas des boutons mais un écran . Elle a peur de l’ordinateur à cause des virus. Elle va deux fois par an à l’agence de télécoms pour régler des formalités, et à chaque fois elle en sort désespérée. Quand après avoir longtemps attendu son tour elle se retrouve face à un employé, elle réalise vite qu’elle est incapable d’avoir une conversation avec lui. Il prononce des phrases qu’elle ne comprend pas, même si elle comprend chaque mot séparément. Au bout de quelques questions embarrassantes , elle se rend compte que le regard que l’agent des télécoms pose sur elle change. Il passe d’une serviabilité de façade à de l’ahurissement à peine masqué, mêlé à un sourire en coin moqueur. Katja comprend alors une chose : ce garçon n’est pas particulièrement intelligent, il n’a pas fait les grandes écoles. Mais il la regarde comme si elle était une gardienne de troupeau descendue de sa montagne à la ville dans sa cape de laine. Il la voit comme un fossile antédiluvien, pré technologique, ce que de fait elle est.
Un jeune raté.
Ce Mario à la peau épaisse qui ne laisse percer aucun indice de vie. C’est ce Mario-là qu’elle a devant elle maintenant. Il arrime les citrons et le buis sur le toit de la voiture et rien, absolument rien chez lui suggère qu’il entretient une relation quelconque avec ce qu’il fait : ni attirance, ni irritation, ni détestation. Ce que Mario fait, il le fait comme un âne ferait tourner la roue d’un moulin. Ça va bien finir par passer, voilà tout ce que le visage de Mario semble exprimer. Sauf que ce qui va finir par passer, c’est sa vie.