Édition Presse de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mon père, Roger Alphonse Franc était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.

Un fils vit à Londres loin de Montpellier où habite son père , il veut à travers ce texte le faire revivre alors qu’ils ont toujours eu du mal (et c’est peu de le dire !) à se comprendre.

Le drame initial, c’est le fait que sa mère est morte quelques jours avant que la maison que son mari, maçon, a construite pour elle. La famille ne s’en remettra pas, le narrateur qui ressemble si fort à l’auteur deviendra un enfant difficile et un mauvais élève. La petite sœur semble aller bien mais son silence aurait dû inquiéter sa famille. Le père est fou de douleur et comprendra encore moins son fils. Il y a une scène émouvante, l’enfant est tellement compliqué que son père décide de l’envoyer dans une école militaire pour le « redresser ». Au dernier moment son père le prend dans ses bras et l’enfant continuera sa scolarité plutôt mal que bien dans sa famille.

Si on remonte dans le passé de son père, on voit un enfant qui aurait dû faire des études, mais pour cela il fallait accepter qu’un « Monsieur » les aide, l’enfant de 12 ans travaillera dans la vigne. Très vite, il deviendra un ouvrier avec une conscience prolétaire et deviendra communiste. Pendant la guerre de 1940, il réussira à revenir et ensuite il s’installera comme maçon à son compte.

Cet homme sera amoureux de sa femme qui vient d’un milieu catholique, ils auront deux enfants, l’auteur et une petite fille. Quelques bons souvenirs à la plage avec des cousins.

Après la perte de sa femme il mettra du temps à retrouver une compagne qui l’aidera à vivre. Malheureusement, sa fille la jeune sœur de l’auteur était neurasthénique et se suicidera.

Voilà à peu près les faits mais cela ne dit pas tout, loin de là ! Tout vient de la façon dont l’auteur s’exprime, il a ce talent particulier de faire sourire souvent, mais aussi il raconte si bien la tristesse de l’enfant. Et enfin il rend un bel hommage à son père, cet homme, ouvrier maçon qui écrit des poèmes en langue occitane .

 

Extraits

 

Début.

 C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un un léger effroi m’a saisi.

La maison de retraite .

À son arrivée au « chenil » -il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course-, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour un de ces pauvres pyjama rayé dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
 » Au cas où le soir où il y aurait dancing » précisa-t-il .
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour.

 Bien raconté.

Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « …. et je vous aime mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Les désillusions de la politique .

 Les voyous du Parti, les braves gens amateurs de lendemains qui chantent, sont les cocus de l’histoire. Et oui ça sentait de plus en plus le chaud. Et derrière tous ceux là se lèveront, se sont déjà levés, d’autres apprentis cocus, crapules à la petite semaine, sans compter les saints, les vertueux puants, prêts à en découdre, les amis éternels autoproclamés, de la classe ouvrière.
Dont nous ne sommes plus. 
Dieu merci. 

Les silences père fils.

Je ne sais pas parler avec lui.
C’est ainsi.
Trop de silences ont sédimenté entre nous.
Parler. De quoi ? De nous ? Des tempêtes que nous avons traversées, qui nous ont faits tels que nous sommes.

 

 

Édition J’ai Lu

Après les déportations de masse, l’exportation de masse. Face à des chiffres spectaculaires, comment ne pas considérer que les communistes ont, dans les faits, achevé l’oeuvre des fascistes ? En débarrassant la Roumanie de ses juifs, ils sont parvenus enfin à ce que le maréchal Antonescu et son clan désignaient, en 1940, comme « le moment tant attendu de la délivrance ethnique ». une délivrance sans effusion de sans ; Un effacement corps et âme, doublé d’un juteux trafic.

Quel livre ! La journaliste a mené une enquête fouillée pour comprendre le sort des juifs en Roumanie. Elle mêle de façon très judicieuse la vie de sa propre famille d’origine juive roumaine et l’histoire du pays. Il faut vraiment lire jusqu’au bout ce livre, car les questions qu’elle se pose dans le dernier chapitre je me les posais tout le long du livre.

Anna Yes a aussi chroniqué ce livre et elle pourra voir combien ce livre m’a plu, (je l’avais lu une première fois sans mettre de billet )

Rappel historique, la Roumanie s’est retrouvée avec une forte minorité juive après la guerre 14/18 , car étant du côté des vainqueurs son territoire a été augmenté de provinces où vivaient de fortes minorités juives. Pendant la montée des nationalismes fascistes avant la guerre 39/45, ces minorités juives posent un problème important au régime nationaliste roumain. L’originalité de ce pays est de n’avoir pas déporté sa population juive de Bucarest. Ce que les archives montrent c’est que leur extermination était prévue mais le dirigeant de la Roumanie a compris que les Allemands pouvaient perdre la guerre , donc les neuf derniers mois de guerre ils ont changé de bord. La famille Deleanu, grands-parents de Sonia Devillers, était une famille juive très influente de Bucarest. Ils ont perdu tous leurs droits pendant la guerre mais pas la vie ! Ils épousent avec enthousiasme la cause communiste, et ne parlent jamais des exterminations qui ont eu lieu dans d’autres régions roumaines. Il faudra beaucoup de temps pour que ce pays accepte ses responsabilités sur l’extermination qu’elle voulue et organisée. Officiellement, la Roumanie voulait être le pays qui a défendu ses juifs.

Et puis, le communisme, a refermé le pays sur lui-même et la chasse aux juifs a recommencé. Mais, et c’est là le sujet du livre, il a su en faire une monnaie d’échange pour renflouer les caisses de cet état qui était très pauvre, car l’URSS leur a fait payer leur solidarité avec l’Allemagne. Le régime a donc échangé les juifs roumains contre ce qui manquait tant à ce pays : des cochons, des vaches, des fermes, des abattoirs …

Ainsi chaque juif qui est parti de ce pays peut savoir ce qu’il valait , car les comptes sont très bien tenus : tant de porcs pour le départ d’un juif.

À la tête de ce trafic humain, un passeur qui fait tout ce qu’il peut pour permettre aux juifs de sortir, Sonia Devillers essaie de cerner la personnalité de ce passeur, est-il un mafieux ou un sauveur ? Elle ne peut pas répondre à cette question.

La question qu’elle pose aussi à la fin de ce livre, qui lui a été suggérée par des lettres de Roumains, on peut être, choqué de voir que la vie de ses parents valait tant de porcs, ou de vaches, mais comme le disent les pauvres Roumains au moins, vous, vous pouviez sortir et vivre.

Ce qui est choquant aussi, c’est que tous ces faits ont été révélés depuis longtemps mais la presse française (elle cite Libération et le Monde) ne voulaient pas le dire car il y a eu si longtemps une Omerta sur la dénonciation de l’antisémitisme communiste. Il a fallu l’ouverture des archives de Roumanie, pour que ces faits choquants soient enfin révélés pour l’opinion publique européenne.

Il me reste aussi une question , échanger des êtres humains contre de l’argent que ce soit sous forme d’animaux ou de dollars, n’est ce pas ce que fait tout état pour récupérer des otages ? Il est vrai que ce qui est différent c’est qu’il s’agissait de Roumains persécutés parce que juifs donc otages dans leurs propres pays par leurs compatriotes.

Le livre est passionnant, et se lit très facilement mais il faut aussi savoir que c’est souvent insupportable en particulier les exterminations par les Roumains de la population juive sans aucune défense.

 

Extraits

Début.

 Ils n’ont pas fui, on les a laissés partir. Ils ont payé pour cela une fortune. Des papiers leur ont été accordés, puis retirés, puis finalement accordés. Ils ne voulaient pas quitter leur pays. ils ne voulaient pas mais ils n’avaient plus le choix.

La jeunesse de sa grand-mère.

La jeunesse de Gabriela, en revanche, on y avait droit, avec emphase et trépidation : sa famille remarquable, sa ville pimpante Bucarest dite le « petit Paris des Balkans » dans l’entre-deux-guerres. Ma grand-mère se targuer de trouver dans les librairies les romans français « ,le lendemain de leur sortie à Saint-Germain. »

En 1940 .

En 1940, la Roumanie en proie à un immense désordre, subit la pire des humiliations. Les belles provinces qui lui avaient été rattachées à l’issue de la Première Guerre mondiale lui furent brutalement retirées par le pacte germano-soviétique. Ces territoires largement peuplés de juifs, allaient donc passer aux mains des Russes. Et cela, on ne le pardonnerait pas aux juifs, traités de vermine invasive d’abord, de traîtres par la suite. Les youpins et les rouges allaient pactiser, c’était certain. L’exaspération nationalistes n’avait alors d’égale que la détestation du « judéo-bolchevisme ». La nation semblait menacer de désintégration. La psychose battait son plein.

Le silence de ses grands parents.

J’aurais voulu l’entendre de la bouche de mes grands parents. Obtenir une bribe, ne serait-ce qu’une bribe, de ce qu’ils avaient ressenti face à une telle démonstration de force, une telle légitimation de la rage antisémite. J’ai entendu parler un peu, enfant, de la Garde de fer, de sa révolte, de la rafle de mon grand-père. Mais les mots étaient lisses. Les mots étaient vides. Les mots étaient prononcés d’un ton détaché. Ils plantaient le décor sans autre émotion. Une anecdote de plus. Sans plus mes grands-parents ont tous vécu, presque tout dit, mais c’est comme s’ils n’avaient rien senti.

La Shoa organisée par les Roumains (les moyens d’exécution sont insoutenables).

 Enfin la tuerie du camp de Bogdanovka reste une des plus impressionnantes de toute la Seconde Guerre mondiale. En fait de camp, il s’agissait encore de batteries de porcs délabrées ouverte à tous les vents. Mais comme le disait le commandant alors qu’il gelait à pierre fendre : « la paille c’est pour les cochons pas pour les youpins ! » la décision d’en finir avec les huit mille détenus juifs fut prise en décembre 1941.

Négation de la Shoa sous le régime communiste.

 Au delà des procès, la Roumanie communiste avait proscrit le mot « juif ». L’ethnologue Andrei Osteanu constate qu’à l’époque le terme a été éradiqué des romans comme des textes de sciences sociales. Sous prétexte de prendre le contre-pied de la littérature et de la presse d’avant-guerre, obsédées par le péril juif, le Parti refuse de nommer les juifs pour ne pas les stigmatiser. Mais ce faisant, il finit par les effacer. Et Andrei Osteanu de rappeler qu’en régime totalitaire, « si on en parle pas, c’est que ça n’existe pas ».

La situation de sa grand-mère à Paris.

 Les exilés romains riches ne la recevaient pas parce qu’elle avait été communiste. Les intellectuels français, non plus. Ils étaient tous de gauche dans les années 1960 et 1970. Ils considéraient les communistes qui avaient fui comme des traîtres ou des fascistes déguisés. Gabriela ne se sentait aucune affinité avec une quelconque diaspora juive. Immigrée et sans travail, il était difficile de s’intégrer à la bourgeoisie parisienne. Gabriela n’avait sa place nulle part

Le troc.

 L’argent, tout l’argent des familles roumaines qui voulaient s’enfuir, les douze mille dollars que mes grands-parents mettraient une vie à rembourser, avait servi à acheter des porcs. Des bataillons de porcs, des élevages entiers de porcs. Attention, pas n’importe quels porcs, des porcs de compétition, plus précieux, plus productifs, plus rentables que es citoyens qui quittaient le pays. Depuis la nuit des temps, ceux-là profitaient beaucoup et rapportaient peu : les juifs

Perec en 1981 dit ce que c’est être juif pour lui.

 « Je ne sais pas très précisément ce que c’est qu’être juif, ce que ça me fait d’être juif. C’est une évidence, si l’on veut, mais une évidence médiocre, qui ne me rattache à rien. Ce n’est pas un signe d’appartenance, ce n’est pas lié à une croyance, à une religion, ou à une pratique, à un folklore, à une langue. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude. Une certitude inquiète derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme juif, et parce que juif victime, de ne devoir la vie qu’au hasard et à l’exil. »

Édition Points . Traduit de l’allemand par Nicole Bary

 

Ma quatrième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva 

 

En lisant les avis sur Babelio, j’ai vu que Aifelle avait beaucoup apprécié ce roman, et je suis d’accord avec ce qu’elle en dit.

La filiation et le poids des crimes d’un père sont les thèmes de ce roman. Konstantin et Gunthard Boggosch, sont tous les deux les fils de Gerhard Müller et de Érika Boggosch. Si les deux enfants portent le nom de leur mère c’est que celle-ci découvre horrifiée, que pendant la guerre 39/45, non seulement son mari était un Nazi convaincu mais, de plus, a commis des crimes si monstrueux qu’il a été jugé et pendu en Pologne à la fin de guerre. Le destin des deux frères va totalement diverger, et cela permet à l’auteur d’analyser les différentes façons de se construire avec le poids du passé quand on est allemand. L’ainé, veut absolument croire au passé glorieux d’un père militaire et il refuse de le voir en criminel, quelques soient les preuves à charge. C’est d’autant plus facile pour lui, que ses preuves sont fournies par les Russes qui sont détestés par tous les Allemands. Il y a aussi un oncle à l’ouest qui a entrepris de réhabiliter son frère. Cet aspect est très intéressant car on comprend, alors, combien les Allemands de l’ouest ont été plus enclins à oublier le nazisme que ceux de l’est.
le personnage principal du livre, Konstantin, sera comme sa mère hanté, par le passé de son père. Et surtout ce passé se dressera sur sa route dès qu’il voudra réaliser quelque chose de sa vie. Parce que son père était un criminel de guerre, il ne pourra pas aller au Lycée. Commence alors pour lui, un parcours incroyable, fait de coïncidences trop exceptionnelles, pour moi. Il va fuir en France, car son premier projet est de s’engager dans la légion étrangère. Il rencontre à Marseille un groupe d’anciens résistants pour lesquels il va travailler comme traducteur car grâce à sa mère il parle français, russe, italien, anglais. Un jour, il reconnaîtra son propre père dans une photo prise dans le camp de travail forcé où son employeur et ami a failli mourir.
Trop honteux de cette filiation, il repart en Allemagne et, le jour où, le mur empêchera à jamais les gens de se réfugier à l’ouest, lui, il va à l’est pour retrouver sa mère.
Il sera refusé à l’école de cinéma, toujours à cause de son père. C’est certainement l’aspect le plus intéressant du livre : cette ombre qui empêche à jamais cet homme de faire des choix librement. La description du régime de l’est et des éternelles suspicions entre collègues dans le milieu enseignant est aussi tragique que, hélas, véridique.
En lisant ce livre, j’ai pensé à « Enfant de salaud » de Sorj Chalandon , il est évident que les Français ont laissé plus de liberté aux enfants d’anciens collaborateurs. En Allemagne de l’Est qui est passé du Nazisme au communisme, les traditions d’espionnage individuel et de dénonciations n’ont pas permis aux enfants de Nazi de pouvoir oublier le passé de leur père. Mais on peut aussi se scandaliser de la façon dont à l’ouest on a si vite tourné la page qu’il suffisait de devenir anticommuniste pour faire oublier son passé nazi et antisémite.

J’ai lu avec grand intérêt ce roman, mais j’ai eu du mal à croire aux aventures de Konstantin. Il y a trop de hasards dans ce récit, en revanche la partie où il raconte ses difficultés pour mener une vie « normale » d’enseignant en RDA m’a semblé très proche de la réalité.
Il y a un aspect que je comprends pas, il revient en RDA pour revoir sa mère mais il ne la verra que peu souvent. Il s’offusque que son frère la fasse vivre dans la cave de sa maison, enfin dans un sous-sol, mais il ne la prend pas chez lui.

Ce ne sont là que des détails par rapport à tout ce que j’ai appris sur l’ex-RDA.

 

Extraits.

Première phrase d’un roman allemand . Un petit coup de nature…

 Les jeunes bouleaux semblait chuchoter leurs feuilles étaient violemment agitées, bien que l’on ne sentît pas le moindre vent. Sous le pesant soleil estival de cette fin d’après-midi le blanc cassé des troncs frêles à l’apparence fragile brillait de mille feux.

Les souvenirs .

Avec nos souvenir nous essayons de corriger les échecs de notre vie c’est pour cette seule raison que nous nous souvenons. C’est grâce aux souvenirs que nous nous apaisons vers la fin de notre vie. Ce sont les souvenirs terribles qui finalement nous permettent de faire la paix avec nous-même. Regardez les volumes de mémoires qui paraissent chaque année. Ce sont tous des personnages merveilleux. Des caractères magnifiques, sincères courageux. Intrépides, désintéressés, la justice en personne. Des types dont on aurait aimé être les contemporains. Le problème est qu’ils étaient mes contemporains, et ils n’étaient pas sympathiques. Et ne croyez pas que je veux vous persuader maintenant que mes souvenirs n’en sont plus exacts, plus vrais, plus dignes de confiance. Non, chère mademoiselle, moi aussi je vous raconterai ce qui correspond à l’image que je me fait de moi-même, que je veux faire miroiter aux yeux des autres. Je tairais bien évidemment ce qui me gêne dans ma propre personne. Et pour cela je ne devrais pas faire des efforts particuliers. Ce qui est dérangeant, ce qui ne me plaît pas, je ne devrais même pas le passer sous silence, ce n’est pas la peine. Je l’ai oublié depuis longtemps et même radicalement.

Le poids d’un père .

 Je ne pouvais pas m’installer en France, pas non plus en Angleterre, ou en Italie, ou en Pologne, ou en Union Soviétique, je tomberais partout sur des hommes de la « Résistance », sur des partisans, sur ceux qui avaient combattu Hitler. Je ferais leur connaissance, ils deviendraient mes amis, et un jour ils devraient apprendre que vi gt ans auparavant ils avaient été confrontés à mon père, le « Vulcan » craint de tous. Dans chaque pays je le trouverai sur ma route partout je serais le fils du  » SS Vulcan ».

 


Édition Metallié. Traduit de l’allemand par Alban Lefranc

Ma troisième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 , organisé par Eva 

 

 

 Un grand merci et cinq coquillages pour Anne-yes qui m’a permis d’aller vers ce livre, c’est une lecture indispensable pour mieux comprendre l’Ukraine d’hier avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui . La mère de Natasha Wodin, l’auteure, est d’origine ukrainienne, elle est née à Marioupol, son père bien qu’Ukrainien est de langue allemande . Ce livre, retraçant le destin douloureux de sa mère, se divise en quatre parties.

– La première est consacrée à la recherche sur Internet de sa mère dont elle ignorait tout, sauf qu’elle venait de Marioupol. Très vite elle obtient une réponse qui lui vient de Russie d’un homme qui sera son ange gardien dans ses recherches. Un certain Konstantine, et à sa grande surprise, elle découvrira que les mensonges qu’elle racontait quand elle était enfant sont en grande partie vraie. Elle s’imaginait princesse et elle découvre que sa famille d’origine italienne était une des plus riche de Marioupol et, qu’effectivement, ils habitaient un palais. Toute l’enfance de l’auteure, en Allemagne, elle s’est sentie paria ( elle dit même « un déchet » en parlant d’elle) car elle, et sa famille faisaient partie des anciens travailleurs de l’est pays qui sont devenus communistes (donc ennemis !) C’est l’aspect de ce livre qui m’a le plus passionnée, car je n’ai jusqu’à présent rien lu sur ce sujet  : que savons nous de ces milliers (peut être millions ?) de personnes déplacées pour servir d’esclaves au troisième Reich en manque de main d’œuvre ? Nous connaissons en tout cas le sort de ceux qui sont retournés sous le joug stalinien : fusillés comme traître ou envoyés directement au goulag.
– Son enquête avance grâce à Konstantine, et elle raconte dans la deuxième partie, le sort de Lydia la sœur de sa mère. Celle ci a écrit ses mémoires et on peut alors découvrir toute l’horreur des débuts du communisme en Ukraine jusqu’à la famine qui sera un des plus grand crime commis contre un peuple. Bien que condamnée au goulag, Lydia a survécu et sa mère qui était venue garder son enfant aussi, elle était arrivée en 1941 quelques jours avant l’invasion allemande et ne pourra plus jamais repartir. Natasha comprend en enfin pourquoi sa mère a été abandonnée par sa propre mère.
– Dans la troisième partie, grâce à ce qu’elle sait maintenant, elle cherche à comprendre pourquoi sa mère est partie en Allemagne à la fin de la guerre. Elle y rencontrera son père lui aussi travailleur déplacé qui l’a beaucoup aidée et lui a permis de survivre.
– Enfin dans la quatrième et dernière partie, on voit cette femme plonger dans une dépression terrible qui fera fuir son mari violent et alcoolique. La petite Natasha s’enfonce dans ses mensonges pour fuir cette chape de malheur qui tue sa mère à petit feu.

Tout l’intérêt de ce livre vient de ce que l’auteure sait nous faire découvrir la vie de sa mère au fur et à mesure de ses propres recherches. Elle n’avait qu’une très vague idée de qui était sa mère, elle lui en voulait d’avoir si peu su lui faire une vie heureuse et d’être éternellement cette femme déprimée. Mais, comme elle, nous sommes bouleversées de voir que son destin aurait pu être moins tragique si elle avait su que sa propre mère et sa sœur avaient survécu au goulag.
Historiquement, le destin de ces travailleurs venus des pays occupés par l’Allemagne Nazie est mal connu et terrible. Mal connu, car il pèse sur eux le jugement de collaboration avec le régime de l’occupant et personne n’a vraiment pris la peine d’analyser leurs souffrances, on sous entend souvent qu’ils avaient le choix de ne pas y aller. Ce qui est loin d’être vrai. En plus si vous aviez le malheur d’être slave alors vous faisiez partie de la race des esclaves et votre sort était plus proche de l’univers concentrationnaire. Le pire, pour ces hommes et ces femmes, est qu’aucun pays n’attendait votre retour. En France les anciens du STO sont rentrés sans gloire, certes, mais ils ont retrouvé une vie normale. Les Ukrainiens et les Russes étaient renvoyés chez eux à une mort certaine plus ou moins immédiate.

Un très beau livre, tout en émotion et qui nous fait revivre l’histoire si douloureuse de ce pays.

 

Citations

Travailleurs déportés .

Depuis de nombreuses années déjà, je cherchais en vain un livre écrit par un ancien travailleur forcé, une voix littéraire qui m’aurait permis de m’orienter. Les survivants des camps de concentration avait produit une littérature universelle, les livres sur l’holocauste remplissaient les bibliothèques, mais les travailleurs forcés non juifs, qui avaient survécu à l’extermination par le travail restaient silencieux. On les avait déportés par millions vers le Reich allemand ; des trusts, des entreprises, des artisans, des exploitations agricoles, des ménages privés dans tout le pays s’étaient servi à leur guise dans le contingent d’esclaves importés selon un programme d’exploitation maximale pour le coup le plus minime possible.

Le soleil se lève sur le lac.

 Des levers de soleil comme sur ce lac, je n’en avais encore jamais vu ailleurs. Ils s’annonçaient des trois heures du matin à l’horizon, d’abord comme un rosissement à peine perceptible du ciel au dessus de l’eau, qui se transformait progressivement en une orgie lumineuse d’une beauté irréelle. Je m’étonnais que tout le monde soit endormi, que personne à part moi ne semble assister à ce spectacle cosmique. Le ciel brûlait de toutes ces couleur du vert clair à l’or, du violet au rouge flamboyant chaque jour différent chaque jour nouveau : des spectacle de lumières des tableaux surréalistes que le soleil faisait surgir dans le ciel et donc je suivais la métamorphose minutieuse à partir de mon balcon comme d’une loge quelque part dans l’univers (…)

La tragédie des Ukrainiens.

Tamara avait été exilée de Kiev à Vienne à vingt ans pour travailler dans une conserverie. Après son retour en Ukraine, elle avait échappé au sort de ceux qui avaient été fusillés comme traîtres et collaborateurs ou transférés d’un camp de travail forcé à un autre, mais elle faisait partie de la majorité de ceux pour qui le travail forcé en Allemagne avait eu des conséquences à vie. Ceux qui étaient revenus, qui n’avaient pas réussi à s’opposer à leur déportation par l’ennemi, n’étaient plus acceptés dans la société, la plus part d’entre menaient une vie de misère et de privation jusqu’à leur mort. Pendant de nombreuses années, elle avait été forcée de laisser ses parents l’entretenir, eux qui souffraient de la faim. Finalement, un ami de ses parents est tombé amoureux d’elle, un professeur de biochimie vieillissant qui l’a demandée en mariage. Elle n’a pas répondu à ses sentiments, mais le mariage l’a sauvée, sa survie physique au moins était assurée. Son courageux mari, déjà discriminé en tant que juif, en supporta les conséquences. Pendant longtemps, il est resté le seul professeur de tout Kiev à qui n’avait pas été attribué des appartements et qui devait vivre avec sa femme et ses deux enfants dans un appartement communautaire .

La Russie post soviétique .

 Et en quoi tout cela me concernait, moi ce fiasco soviétique, et post soviétique le fatum sans fin de la Russie, l’incapacité à se réveiller d’un cauchemar collectif, l’emprisonnement entre soumission et anarchie, entre la patience vis à vis de la souffrance et la violence, tout ce monde inexpliqué et sombre cette histoire familiale faite d’impuissance, d’appropriation, d’arbitraire, de mort, cette Russie misérable, la Mater Dolorosa éternelle qui serrait impitoyablement ses enfants dans ses bras.

Les esclaves Ukrainiens.

Les Ostarbeiter représentent un dilemme insoluble pour les nazis. Ils sont indispensables au maintien de l’industrie de guerre allemande mais recouvrir à eux n’est pas compatible avec l’idéologie raciale nazie, cela met en danger la pureté raciale du peuple allemand. Les rapports sexuels avec des Slaves sont strictement interdits aux hommes allemands, et pourtant les viols font partie du quotidien du camp.

Quand l’image de sa mère venant d’un pays glacé se confronte à la réalité.

 Pour la première fois depuis sa mort, ma mère devenait une personne extérieure à moi. Plutôt que dans la neige, je la voyais soudain marcher dans une rue de Marioupol, vêtue d’une robe d’été légère et lumineuse, les bras et les jambes nus, les pieds dans des sandales. Une jeune fille qui n’avait pas grandi dans l’endroit le plus froid et le plus sombres du monde mais près de la Crimée, au bord d’une mer chaude du Sud, sous un ciel peut-être semblable à celui de l’Adriatique italienne. Rien ne me semblait plus inconciliable que ma mère et le Sud, ma mère et le Soleil et la mer. J’ai dû transférer toutes mes idées de sa vie dans une température différente, sous un climat différent. L’inconnu ancien s’était transformé en un inconnu nouveau.

 

Édition La Peuplade Roman

Traduit du roumain par F et JL Courriol

 

Quel roman ! c’est un mélange de passages superbes et de moments très pénibles, c’est très difficile d’en venir à bout et ceci pour plusieurs raisons :

 

  • la mise en page : c’est écrit en petits caractères, il n’y a pratiquement pas de paragraphes et les phrases peuvent être très longues.
  • La chronologie : le récit n’est pas linéaire et c’est très difficile de trouver les repères pour comprendre quand se passe le récit.
  • Le peu d’explications pour comprendre car le narrateur s’efface et nous voyons tout à travers le regard de gens qui parlent très peu.
  • Les exagérations qui parfois m’ont gênée.

Malgré cela il y a de très beaux passages qui m’ont permis d’aller jusqu’au bout de ce gros pavé, mais j’avoue avoir parfois lu en diagonale.

Il s’agit donc de la vie de cet homme Iochka qui est né en Roumanie avant la guerre 39/45 et qui finit sa vie dans une vallée peu accessible comme fabriquant de charbon de bois. Il a tout connu cet homme : la guerre, le goulag, mais aussi le plus beau des amours avec Ilona, la naissance de son petit garçon, et la mort de cette femme tant aimée. Dans cette vallée , Iochka a trois amis, le pope, le contremaître, et le docteur de l’asile, tous ces gens boivent à longueur de temps et se donnent du courage pour surmonter les difficultés de la vie, et, il y en a beaucoup. Une autre femme, celle qui partagera la vie du contremaître, Iléana, va devenir l’amie de Iochka et d’Ilona. Cette vallée est loin des turbulences de la société roumaine, ensemble ils font tout pour que cette vallée reste loin des autres hommes. Parfois les crimes arrivent jusque dans la vallée, comme cet homme qui a été tellement torturé qu’il finit dans l’asile du docteur. Les souvenirs des horreurs de la guerre qui ont traumatisé les différents protagonistes. hantent ce récit.

Il y a une telle pénétration de la nature dans la vie des habitants de la vallée que cela, m’a gênée comme cet amour physique entre Iléana et un loup . L’amour de Iochka et d’Ilona est superbe mais complètement hors de la réalité et évidemment la mort de la femme a plongé Iochka dans une forme de folie mais on sait qu’il va survivre puisque le roman débute par cet homme presque centenaire qui circule dans sa vieille voiture. J’ai noté beaucoup de passages pour ne pas oublier ce qui m’a plu dans ce roman. Mais je redis que cette lecture était parfois un pensum et je n’arrivais pas à retenir mon attention : je lisais mais ne retenais rien. Un roman étrange que je ne peux pas vraiment vous conseiller, à vous de voir.

 

 

 

Citations

La première phrase.

 Avec un vieux moteur de voiture allemande et une carriole à essieu renforcé, un volant de tracteur et une boîte de vitesses de camion, beaucoup de patience et non moins d’ingéniosité, Iochka s’était fabriqué une espèce de camionnette qui lui servait à monter dans les bois au-dessus de Roudaritsa pour en rapporter des chutes de branches de hêtres et de bouleau laissées sur place par les ouvriers de l’exploitation forestière.

La boue si célèbre depuis la guerre en Ukraine.

 Puis lorsque arrivait l’automne et que la steppe se transformait en une mer de boue qui engloutissait tout, chevaux, hommes, camions, canons et tanks, il ne sortait plus, des jours de suite, de sous sa bâche, restait là à contempler le brouillard épais et humide, une terrible nostalgie du pays montait en lui et que rien ne pouvait apaiser ni les doïnes entonnées par les soldats au coucher du soleil ni les maigres rations fumantes qu’on leur servait deux fois par jour, matin et soir.

Le destin d’un soldat Roumain fait prisonnier par les Soviétiques.

C’était dans un lieu tout pareil que la botte l’avait frappé en pleine tête, lui avait brisé le nez, mis les lèvres en compote le jour où, sans force après une semaine d’errance, il s’était assis sur une souche pour reprendre haleine et que le Russe, avec une haine qu’il n’avait jamais pu vraiment comprendre, l’avait violemment battu et l’avait obligé, couvert de sang, boitant le dos en capilotade, à rejoindre la colonne de prisonniers qui se dirigeaient vers un lieu inconnu à l’est où ils ne parviendraient qu’après une semaine de marches forcées, un camp de concentration où il passerait d’années dix année de sa vie, une sorte de village où régnait la famine et où les hommes travaillaient du matin au soir et dormaient entassés comme des bêtes sur des planches qui leur servaient de lit.

La terreur.

 Il se sentait de nouveau comme dans le camp, terrorisé, impuissant, jouet de bois entre les mains d’un destin impénétrable, il n’attendait plus que la petite détonation et de voir l’homme à genoux s’effondrer tête la première dans le lit du ruisseau, dans son esprit naissait l’image d’une flaque de sang s’écoulant du crâne pulvérisé par la balle, il serrait de toutes ses forces le cadre de la fenêtre et comme sur un signe, l’étranger et les deux soldats se sont tournés et ont regardé exactement du côté de Iochka. Il s’est glacé le sang s’est figé dans ses veines, il a retenu son souffle comme un animal pourchassé dont la fin est proche, la main qui tenait le pistolet s’est levé, est resté en l’air quelques secondes avant de descendre à une vitesse terrible pour frapper l’homme à la nuque

L’avenir radieux.

 Parfois dans la vallée arrivaient aussi des gens qui n’y tenaient guère, on les voyait descendre des camions avec l’aie penaud, mesurant de leurs regards perdus l’endroit comme si c’était une prison toute neuve, un beau lieu où on les aurait mis de force et d’où, même si on ne les obligeait pas vraiment à trimer, ils ne pouvait sortir qu’avec une autorisation spéciale et une heure de retour imposée. On leur disait, racontait-il, qu’ils devaient construire un avenir radieux.

Les grands chantiers sous le régime communiste.

 Mais, le plus clair du temps, la vallée ressemblait à une station de villégiature où les gens s’adonnait à la boisson et à ne rien faire, activités élevées avec le temps au rang de l’art. Il y avait une centaine d’ouvriers et normalement cette voie ferrée aurait pu être construites en quelques mois, un an maximum, mais le travail durait déjà depuis une dizaine d’années et il n y avait pas le moindre risque que les rails dépassent réellement un jour l’endroit où se trouvait la maison de Iochka et encore moins qu’il avance dans la montagne de derrière et qu’ils en atteignent le bout.

La liberté.

 Ces hommes étaient libérés de ce que lui n’avait jamais connu, personne ne les menaçait plus, personne ne mettait en danger leur vie et celle de leurs familles, ça il le comprenait, il était clair pour lui que, pendant la guerre, par exemple, il n’avait pas été libre de faire ce qu’il voulait, ni plus tard quand il était prisonnier. Des gens haut placés, pouvaient le condamner à tout moment à être fusillé, lui avait dicté ce qu’il devait faire et comment il devait vivre. C’était cela l’absence de liberté aurait dit le vieux Iochka si on le lui avait demandé. La liberté, selon lui, c’était de vivre sans être menacé de mort par les gens qui disposent de votre vie.

La fin des illusions.

 Ils avaient tous les deux milité dans l’illégalité, ils avaient lutté pour un monde meilleur qu’ils ne voyaient nulle part maintenant, ils avaient voulu que les paysans et les ouvriers ne connaissent plus la pauvreté et ils avaient juste réussi à les rendre plus pauvres, ils le savaient parfaitement, ils essayaient de faire le bien autant qu’ils le pouvaient par une bonne action pour un tel ou pour un autre. Impossible d’en faire davantage. Ils vivaient avec cette frustration comme ils respiraient, ils aidaient les gens autant qu’ils le pouvaient, ils défendaient leurs ouvriers chaque fois qu’il y avait un problème, le rêve pour lequel il avait vécu s’était évanoui pour laisser place à une misère plus terrible que celle d’avant. Les pauvres étaient encore plus pauvres, les riches n’avaient pas disparu. Et pourquoi tout ça ? Était-ce pour cette pauvreté qu’ils avaient lutté ?

Un paradis.

 Un paradis d’avant et d’après le désastre qu’est toujours la civilisation, un lieu oublié et pour cette même raison inoubliable, immortel et vivant dans la mesure seule où le vivant, dans ce qu’il a de plus essentiel, échappera toujours à la compréhension humaine. Un paradis qui attendait sa mort, rien de plus. Et les gens qui étaient en lui, vieillissant sans le sentir, attendaient leur mort, eux aussi.

Une idée.

 Est-ce que ce qui n’est pas pensé peut exister ? Y a-t-il au monde une chose vraiment historique si un seul homme ignore son existence ?

L’oppression.

 Car l’oppression ne vient pas que des grands de ce monde, on la trouve aussi à d’autres niveaux, si un satrape est maître absolu de ses ministres, de même ses ministres règnent sur leurs subordonnés et ainsi de suite jusqu’au dernier paysan.

L’alcool accompagne tous les moments du récit.

 Il était harassé, il s’est laissé tomber comme une grosse pierre, puis a attrapé la bouteille devant lui et a bu, avec une grande soif à même le goulot, oubliant l’usage des verres.
 Il a attrapé une autre bouteille dans le placard et deux petits verres propres ….
Le contremaître, le docteur et le pope vidaient verre après verre…

 

 

 


Édition Equinox (les arènes) 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Un roman thriller politique, écrit par un journaliste qui connaît parfaitement les dessous de la vie politique des années 90/2000 de l’ex-URSS et de l’Ukraine. Le style journalistique de l’auteur rend ce roman très facile à lire, les chapitres sont courts et contiennent chacun une information qui constituent une pièce de puzzle qui amènera la chute de la « chienne », et le recul des « loups » pour un temps de l’Ukraine. Ils rodent en meute encore chez le grand frère Russe avec à leur tête le chef du clan Poutine . Et l’on sait aujourd’hui que cette meute n’acceptera pas de se contenter de dominer le territoire russe qu’il lui faudra aussi revenir en force en Ukraine. C’est pourquoi je l’associe à la guerre alors qu’il se situe deux ans avant l’invasion de 2014.

Le roman se situe donc, en 2012, il met en scène une femme qui va devenir présidente de l’Ukraine, elle s’est taillé un empire grâce à une énergie et une absence totale de scrupules. Nous sommes dans les 30 jours qui précèdent son investiture, elle est menacée par un accord qu’elle avait conclu au début de sa montée en puissance avec les Russes. Ceux-ci la tiennent et veulent donc qu’elle se soumette. Le piège est admirable et le suspens est si bien mené que je ne peux pas en dire plus.

En revanche ce que je peux dire et cela vous le savez : l’Ukraine n’acceptera plus les manoeuvres des politiciens corrompus et cela deviendra insupportable pour les Russes qui comme le décrit si bien Iegor Gran dans « Z comme zombie » n’ont aucune illusion sur leurs dirigeants mais s’en accomodent très bien.

Une lecture facile et prenante, une pierre de plus dans ma compréhension de ce que les Ukrainiens vivent aujourd’hui et les raisons pour lesquelles nous devons être solidaires de leur combat.

 

Citations

Efficacité du style.

 La fille est suivi par quatre serveurs en costume blanc étincelant. Son travail à elle est de rouler du cul dans un pantalon de cuir, le leur est de ressembler à des matelot de « La croisière s’amuse ». Elle sans doute mieux payée qu’eux, d’ailleurs. Quelques centaines de dollars. C’est donc que les choses sont en ordre, à leur place. L’argent est le meilleur étalon, le plus incontestable des ordonnateurs. Pas un des convives ne songerait à remettre en question cette simple vérité

Vision de Vienne.

 Les Russes ne sont pas les seuls à avoir colonisé Vienne. Toutes les langues de l’ex- URSS s’y font entendre. Les mercenaires de Ramzan Kadyrov y donnent la chasse aux réfugiés politiques thétchènes. les Azéris ont noyauté les organisations internationales installées là, distribuant leurs valises de billets aux fonctionnaires internationaux. Les oligarques kazakhs en disgrâce cohabitent avec les officiels d’Astana qui cherchent à les descendre.
Les Ukrainiens ne sont pas en reste.

Efficacité d’Olena face à l’impuissance de Valeri, son mari.

 

 Peu à peu ses affaires ont gagné en organisation et en professionnalisme. Au lieu de ployer sous des ballots de plastique, elle remplissait les coffres de vieille Lada. Elle payait désormais le voyage d’autres femmes vers la République tchèque, l’Allemagne, en quête de nouvelles raretés et de ces jeans que la jeunesse et les nouveaux riches s’arrachaient. Valéri la regardait faire avec effroi, s’enfonçant encore un peu plus à mesure que sa femme sauvait sa peau, s’élevait au dessus du mouroir. Le pays qu’il voyait naître dans les yeux d’Olena n’était pas celui qu’il avait imaginé, attendu, pas celui que lui promettait les articles qu’il lisait à la fin de la décennie précédente. Il condamnait ses combines minable, amorales, mais n’était même pas capable de sortir de l’appartement.

Les enfants du communisme : passage clé pour comprendre les personnages du roman.

 

 Ce qui est important ce n’est pas de savoir quelle enfant était Olena Hapko, ni si elle a changé plus tard, et à cause de quoi. Ce qui a changé, c’est le monde autour d’elle. Il n’a pas seulement changé, il s’est écroulé en un claquement de doigts. Ces gamins nous les avons élevés avec nos valeurs, et nos références. Et puis, lorsqu’ils sont devenus adultes, plus rien de tout cela n’avait le moindre sens. Ces valeurs qu’on leur avait inculquées sont devenues le mal, du jour au lendemain. Tout ce qu’on leur avait dit de respecter est devenu nul et non avenu. Pour nous aussi, ça a été dur. Avec l’écroulement de l’URSS, c’est comme si on nous disait que nous avions vécu toute notre vie dans l’erreur. Mais au moins nous étions des adultes. Nous avions eu le temps de constater l’hypocrisie du système soviétique, son cynisme. Nous étions blindés contre tous les grands discours. Tout ce qu’on nous demandait c’était de nous serrer la ceinture et de courber l’échine, une fois de plus, accepter que le passé était mort. Nous avons vu la violence des années quatre-vingt-dix comme un nouvel avatar de notre histoire dramatique, de notre destin. Qu’est-ce que ça pouvait nous faire, leurs « privatisations » à nous qui avions connu la collectivisation, les purges, la guerre, les camps … Mais imaginez ce qu’ont pu ressentir ces enfants qui arrivé à l’âge adulte à ce moment là, plein de confiance et d’allant. Eux ne connaissaient ni la violence de la cupidité ni les cadavres étendue en pleine rue. Ils étaient habitués à croire ce qu’on leur disait et surtout à croire en l’avenir. Comment comprendre le bien et le mal, comment savoir à quoi s’accrocher, en quoi garder la foi ? Qu’est-ce que ça veut dire dans le monde entier se met à tourner dans tous les sens, rester la même personne ou changer ?

 

Édition Liana Lévi Traduit du russe (Ukraine par Paul Lequesne)

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Kourkov devient un habitué de Luocine, il faut dire que l’Ukraine occupe beaucoup nos esprits en ce moment. Après le Pingouin et Les abeilles grises, voici donc ce roman dont l’auteur nous annonce qu’il aura une suite.

Je ne sais pas si le point de départ est véridique, mais c’est possible, Kourkov aurait eu entre les mains les archives de la Tcheka durant la période de la guerre civile en 1919. Et il dit lui-même qu’il devient un spécialiste de cette époque. À partir des documents de la police politique de l’époque, il va créer un roman dont le personnage principal sera un jeune lycéen qui a vu son père tuer d’un coup de sabre de cosaque. Lui-même aura l’oreille tranchée. En 1919 à Kiev dans un quartier que nous arpentons dans tous les sens, la population est soumise à des forces armées violentes et très hostiles. L’armée rouge, par deux fois a été repoussée d’Ukraine mais elle est en train de s’imposer. Il y a aussi l’armée resté fidèle à l’ancien régime et qui voudrait chasser les bolchéviques. Et comme souvent, quand il n’y a plus d’état pour protéger les populations, des forces venant d’un peu partout essaie de prendre part au conflit. Et au milieu de tout cela, la population qui voudrait tout simplement survivre. Le roman suit le jeune Samson qui va être enrôlé dans la milice. Il va se charger de découvrir les responsables des vols en particulier de l’argenterie et cela mettra sa vie en danger. Finalement, il réussit à comprendre les raisons de ce trafic. C’est assez bizarre de voir ce jeune homme à l’oreille coupée, dans un pays où tout le monde se tire dessus sans raison, vouloir absolument découvrir les dessous d’un trafic et mener une enquête policière assez classique. J’ai oublié un détail : l’oreille ! Il met son oreille coupée dans une boîte et celle-ci continue à entendre ce qui se passe autour d’elle : un peu de fantaisie macabre à la façon de Kourkov, comme dans « Le pingouin ». Et puis, c’est bien connu, dans les pays où la police politique est toute puissante «  les murs ont des oreilles » ! ! Ce roman nous permet de comprendre à quel point l’Ukraine en 1919 était dans un état de chaos incroyable et à quelle point la violence était de mise dans tous les camps.

La situation était très confuse et cela rend le roman difficile à lire et moins humoristique que « le pingouin ». L’auteur annonce une suite je ne suis pas certaine de m’y confronter.

 

Citations

Le poids d’une arme .

De retour au commissariat Samson et Kholodny se virent remettre à chacun un Nagant, avec sangle et étui en bois, une dizaine de cartouches ainsi qu’une autorisation écrite de porter l’arme.

 Samson ajusta l’étui à sa taille et sentit peser à droite, à sa ceinture un poids réconfortant. Désormais sa vie allait forcément changer. Elle change toujours quand on reçoit une arme.

Difficulté de s’y retrouver .

– Un défroqué ? Dit Tofim Sigismundovitch.
– Oui, il dit avoir abjuré Dieu et vouloir combattre pour l’ordre. 
– Vous devriez vous méfier de lui, intervint la mère de Nadejda, la mine soucieuse. Quand un homme devient son propre contraire, il risque de se perdre entre le bien et le mal.
– Tout le monde peut s’y perdre répondit son mari nous vivons à une époque où il est parfois impossible de comprendre où se trouve l’un et l’autre. Tiens, par exemple je sais déjà que les petliouristes sont un mal, mais concernant le hetman, je serai incapable de le dire. Et les denikinistes ? S’ils arrivent à Kiev, sera-ce un bien ou un mal ?

La présence de la mort.

 Sur quoi il entra dans le commissariat de pas résolu. Un moment plus tard deux coups de feu éclataient à l’intérieur.
Samson courut dans le bâtiment. Passetchny remonta déjà de la salle de détention, Mauser toujours au poing. Derrière lui, un bourdonnement de voix et des gémissements.
 » Comme ça, ils se tiendront tranquilles, dit-il en se dirigeant vers la porte d’entrée restée grande ouverte. Comme ça, ils auront un cadavre sous les yeux pour leur rappeler que chez nous la mort est bon marché, bien meilleur marché que la vie. »

La guerre civile.

 Le détenu abattu par le milicien était toujours étendu au milieu de la chaussée devant le commissariat. Et personne n’avait l’intention ni d’aller le ramasser, ni de le pousser au bord de la voie. Parce que les cadavres devaient être enlevés par le pouvoir. Or cette nuit-là le pouvoir se battait pour sa survie. Il était occupé à semer les cadavres, non à les récolter. La moitié des mort appartenaient au pouvoir, la moitié du pouvoir gisait mort.

 

 


Édition Belfond. Traduit de l’anglais (Irlande par Jean-Luc Piningre

 

C’est ma troisième lecture de cet auteur irlandais, et si ce n’est pas mon préféré j’en ai, cependant, beaucoup aimé une grande partie. Cet auteur sait mieux que quiconque décrypter l’horreur de la tyrannie qu’elle soit soviétique ou américaine comme dans les saisons de la nuit, mais il est surtout, pour moi, l’auteur d’Apeirogon qui m’a tant bouleversée l’été dernier.

Dans ce roman Colum McCann va faire revivre Rudolph Noureev, il prend un partie pris intéressant. Ce sont tous les gens qui l’ont connu et côtoyé de près qui vont faire son portrait. Peu à peu, nous aurons une idée assez précise de son parcours et de sa vie. La partie que je trouve passionnante se passe Oufa dans l’Oural. Le premier chapitre est consacré à la guerre 39/45 et les ravages dans l’armée soviétique. Puis l’enfant grandit et il a la chance de rencontrer une danseuse exilée à Oufa avec son mari et originaire de Léningrad, elle reconnaîtra son talent exceptionnel. Cette danseuse fait partie des gens « relégués » c’est à dire qui ont été jugés mauvais soviétiques par Staline et les habitants d’Oufa le lui font bien sentir..

Son père est un homme rude et bon communiste, il souffrira de voir son fils devenir danseur. Le jour de sa mort alors que Rudolph Noureev est un danseur étoilé mondialement connu, son fils pensera que son père ne l’a jamais vu danser.
En 1961,(on connaît l’histoire) Noureev choisit de rester à Paris, sa famille et tous ceux qui l’ont connu sont alors soumis en Union Soviétique à des interrogatoires sans fin. Et ses parents seront obligés de le renier, même sa mère qui adorait son fils.

La deuxième partie du récit montre le danseur étoile dans sa vie de prince en occident. J’avoue que cela m’a beaucoup moins intéressée. C’est une suite de soirées avec au programme, sexe, alcool, drogues… Ce n’est vraiment pas ce que je préfère dans la vie.

Gorbatchev l’autorisera à venir 48 heures en Russie pour voir sa mère mourante, on ne sait pas si elle a pu le reconnaître.

Quelque soit la vie folle, que mène le danseur, il a toujours envers lui-même cette incroyable discipline qu’exige la danse classique pour devenir ce spectacle défiant la loi de la gravité. Je pense que pour bien aimer ce roman il faut s’y connaître, plus que moi, en danse classique.
Je conseille donc ce livre pour la partie soviétique et la description de l’exigence de la danse classique sinon j’ai eu beaucoup de mal avec l’aspect orgiaque de la vie du prince de la danse, surtout quand on sait qu’il y trouvera la mort car finalement Noureev sera emporté par le SIDA à 54 ans.

 

Citations

La guerre 39 45 côté soviétique .

 Dans les bâtiments éventrés à la périphérie des villes, ils trouvaient d’autres morts dans des ravages de sang. Ils voyaient leurs camarades pendus aux réverbères, décoration grotesque, la langue noircie par le gel. Lorsqu’ils coupaient les cordes, des poteaux gémissaient, se courbaient, et la lumière changeait d’empreinte au sol. Ils tentaient de capturer un Fritz, vivant, pour l’envoyer au NKVD. On lui trouerait les dents à la chignole, on l’attacherait au pieu dans les congères, ou on le laisserait simplement mourir de faim, dans un camp, comme on faisait chez les Chleuhs.

Mépris pour les relégués.

J’avais pour voisins, dans la chambre à côté, un vieux couple de Leningrad. Elle avait été danseuse, et lui venait d’une famille aisée – c’était des exilés, je les évitais. Seulement, un après-midi, cette femme a frappé à ma porte et m’a dit que les volontaires faisaient honneur au pays, pas étonnant qu’on gagne la guerre. Elle m’a demandé si elle pouvait aider. Je l’ai remercié en déclinant, nous avions bien assez de volontaires. J’ai menti, et elle parut embarrassée, mais qu’étais-je censé faire ? C’était après tout une indésirables. Elle a baissé les yeux. Le lendemain matin, j’ai trouvé quatre miches de pain devant ma porte : « S’il vous plaît donnez les aux soldats ». J’ai jeté ça aux oiseaux du square Lénine, tiens. pas question de frayer avec ces gens-là.

Homosexuels à Leningrad .

 Dehors, le soir, dans le square Ekaterina, dans la poussière antique de Leningrad, une fois la ville et les réverbères éteint, nous arrivions, épars, silencieux et furtifs, des différents quartiers pour longer les arbres alignés du côté du théâtre. En cas d’interpellation par la milice, nous avions nos papier, un motif de travail, l’insomnie, nos épouse, et nos enfants chez nous. Parfois des inconnus nous faisait signe, mais nous n’étions pas fous et disparaissions vite. Les voitures de la perspective Nevski nous prenaient dans leurs phares, oblitéraient nos ombres, et il nous semblait un instant que celles-ci partaient à l’interrogatoire. nous nous imaginions déjà sur le strapontin du panier à salade, puis dépêchés dans les camps, car nous étions des « goluboy », des « bleu clair » des pervers. Toute arrestation serait forcément rapide et brutale. Nous gardions chez nous, au cas où, un petit sac prêt, caché.

Cet auteur sait rendre l’émotion .

 Il y avait à l’intérieur une minuscule soucoupe de porcelaine, de la taille d’un le cendrier. Très fine, d’un bleu pâle, avec un décor bucolique sur le bord, de paysans et de chevaux de trait. Je fus d’abord déçue, c’était une petite chose légère, fragile, qui semblait sans aucun rapport avec l’un ou l’autre de mes parents.
Elle a cent ans, me dit-il. Elle appartenait à ton arrière grand-mère maternelle. Ta mère l’a récupérée à Pétersbourg, après la révolution lui dans la cave où elle était cachée. Il y avait de nombreuses autres pièces. Elle voulait garder ce service. 
Qu’est-ce qu’il est devenu ? 
Il s’est cassé au fil de nos voyages. 
C’est tout ce qu’il en reste ? 
Hochant la tête il dit misère luxure maladie jalousie espoir. 
Pardon ?
Il répéta la misère la luxure la maladie la jalousie l’espoir. Elle a survécu à tout ça.
 Je gardais dans mes mains le minuscule objet de porcelaine et me mis à pleurer jusqu’à ce que mon père déclare, souriant, qu’il était temps que je grandisse.

Un petit moment de danse.

 Pirouettes enchaînées. Il respire à l’aise, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, orteil droit distingue genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères, et il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au delà des mémoires gestuelles, un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient. 

 


Édition Gallimard NRF

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Se souvenir de cette phrase

 La seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur.

Quel livre ! Comment peut-on ensuite avoir la moindre confiance dans la conduite des affaires de la Russie en Poutine, appelé le Tzar dans tout ce roman ? Et comment ne peut on faire autrement que de chercher à se défendre de lui ? Ce roman prend pour sujet des confidences que Vadim Baranov, personnage réel qui a été l’éminence grise de Poutine pendant vingt ans, auraient faites à l’écrivain qui connaît mieux que personne les dessous du pouvoir du Kremlin dirigé par Poutine de main de fer.

Nous découvrons que tout ce que l’Europe connaît comme conflits les plus horribles sont dues au désir de Poutine de redonner la fierté aux Russes que ce soit la guerre en Tchétchénie ou la guerre en Ukraine. Tout est venu de la fin du communisme période pendant laquelle la Russie a connu une période où tout était permis mais où, surtout, les dirigeants internationaux, en particulier les américains, méprisaient de façon ouverte les dirigeants russes. Il raconte comment le fou rire de Clinton devant les propos incohérents d’Elstine lors d’une conférence de presse à New York en 1995 a humilié toute une nation. Toute la conduite de Poutine est de faire peur aux occidentaux et peu importe les prix humains que cette folie de grandeur coûtera.
Ce roman, ou essai car on se demande ce qui est romancé dans cette histoire, est absolument passionnant. Le style de cet auteur est agréable à lire, on sent qu’il connaît très bien son sujet. On retrouve tous les évènements dont a plus ou moins entendu parler, la montée des oligarques et leur chute voire leur suicides « assistés » . La Russie s’est trouvé le maître qui lui convient, il flatte leur sentiment de supériorité et en les obligeant à se soumettre ils retrouvent la conduite de leurs grands-parents de ne plus rien critiquer et d’absorber la propagande servie par des médias au main de leur Tzar préféré . C’est d’une tristesse incroyable

 

 

Citations

J’ai envie de lire cet auteur que je ne connaissais pas.

Depuis que je l’avais découvert, Zamiatine était devenu mon obsession. Il me semblait que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. « Nous » ne décrivait pas que l’Union soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, les oligarques de la Silicone Valley comme les mandarins du parti unique chinois.

Les élites russes.

 Voyez-vous, l’élite soviétique au fond ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence. On échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les « opritchniki » des chiens de garde du tsar.

Moscou 1990.

 Moscou au milieu des années 90, était le bon endroit. Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous est-il arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles.

Comprendre Moscou .

Tout contribuait à alimenter la bulle radioactive de Moscou. Les aspirations accumulées de tout un pays, immergé depuis des décennies dans la sénescente torpeur communiste, convergeaient ici. Et au centre, il n’y avait pas la culture, comme le croyait les intellectuels convaincus d’hériter du sceptre et qui n’avaient rien hérité du tout. Au centre, il y avait la télévision. Le cœur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir. 
Convertir mon expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision fut comme passer du carrosse à vapeur à la Lamborghini.

Humour Soviétique.

 « Sais-tu ce que disaient les Moscovites de la Loubianka à l’époque de L’URSS ? Que c’était l’immeuble le plus haut de la ville car de ses caves on voyait la Sibérie… »

 Staline dans les souvenirs des Russes.

 Vous, les intellectuels, vous êtes convaincus que c’est parce que les gens ont oublié. D’après-vous, ils ne se souviennent pas des purges, des massacres. C’est pourquoi vous continuez à publier article sur article, livre sur livre à propos de 1937, des goulags, des victimes du stalinisme. Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres. Parce que lui au moins savait comment traiter les voleurs et les traîtres. »
 Le tzar fit une pause. 
« Tu sais ce que fait Staline quand les trains soviétiques commencent à avoir une série d’accidents ?
-Non.
– Il prend Von Meck, le directeur des chemins de fer, et le fait fusiller pour sabotage. Cela ne résout pas le problème des chemins de fer, en fait cela peut même l’aggraver. Mais il donne un exutoire à la rage. La même chose se produit chaque fois que le système n’est pas à la hauteur. Quand la viande vient à manquer Staline fait arrêter le commissaire du peuple pour l’agriculture. Tchernov, l’envoie au tribunal et celui-ci, comme par magie confesse que c’est lui qui a fait abattre des milliers de vaches et de cochons pour déstabiliser le régime et fomenter une révolte.

Remarque que je trouve juste.

 J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchique sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face au phare des routiers.

 

 


Édition Christian Bourgeois traduit du croate par Chloé Billon

 

Roman très étrange où j’aurais bien mis cinq coquillages pour certains passages et deux dans d’autres. L’autrice se raconte elle même dans la première partie et la troisième. Dans la première partie elle raconte ses rapports très compliqués avec sa mère. Et dans la troisième elle explique le mythe de baba-yaga qui doit éclairer tout ce roman. J’avoue que je n’ai pas été intéressée par cette troisième partie, j’ai préféré la deuxième partie, celle où on voit trois femmes âgées venir dans le grand hôtel de Prague profiter des bienfaits d’une station thermale.
Le récit est très loufoque alors que la quatrième de couverture promettait « un roman érudit, hilarant et plein d’autodérision » .

J’ai des réserves sur l’humour croate mais parfois oui, c’est assez drôle, en revanche je trouve que la description de la vieillesse est sans pitié et je trouve même cela assez cruel. J’ai été plus intéressée par ce que ressentent les intellectuels des « ex » pays communistes. Ils ont été souvent des contestataires et le virage vers le capitalisme et la liberté les a rendus très amers. D’abord, plus personne ne s’intéresse à leur lutte, ils ont donc appris à se taire et en plus ils voient des médiocres réussir financièrement alors qu’eux-mêmes ont beaucoup de mal à vivre avec leur retraite. L’auteure souffre de voir que le nationalisme croate s’appuie sur des sentiments xénophobes, les mêmes qui pendant la guerre ont permis l’extermination des juifs.

Tous ces moments sont vraiment très intéressants : je ne savais pas qu’en Yougoslavie il y avait eu aussi un goulag. Je n’avais jamais entendu parler de l’île-prison de Goli Otok, Pas plus que du camp de concentration de Jacenovak créé par les croates en 1941 qui est considéré comme un des pires camps de concentration. J’ignorais que les Croates d’aujourd’hui étaient aussi intolérants vis à vis des autres nationalités qui composaient leur pays sous le régime communiste. Mais pour vraiment aimer ce roman, il faut aussi accepter le côté fable du récit que l’écrivaine explique dans sa troisième partie. Baba-yaga serait donc le symbole de toutes femmes qui ont été niées au cours des siècles et Dubravca Ugrešic termine son livre par un hymne à la gloire de toutes les révoltes féminines. Le récit prend parfois des allures d’épopée et est complètement fouilli : on s’y perd complètement, je pense que c’est voulu, mais c’était un peu trop fou pour moi.

 

Citations

Remarque à la première page qui m’a fait choisir ce roman à la médiathèque .

 Il y en a aussi qui sont encore « en forme » en robe d’été décolletée, une coquette bordure de plumes autour du col, en vieux manteau de fourrure d’astrakan à moitié mangé aux mites, des coulées de maquillages sur le visage. (Qui , d’ailleurs, est capable de se maquiller convenablement avec des lunettes sur le nez ? !)

La pauvreté dans les ex pays communistes.

 Sa retraite couvrait à peine les charges et la nourriture, et ses maigres économies avaient disparu avec la banque de Ljubljana une quinzaine d’années auparavant, quand le pays était tombé en morceaux et que tous s’étaient hâtés de se piller les uns les autres. Si elle avait voulu, elle aurait pu tirer de tout ça une amère satisfaction : ses pertes, comparées à celles de beaucoup d’autres, étaient négligeables, car elle n’avait tout simplement rien.

Le style particulier du récit sous forme de conte.

 Voilà, c’est tout sur Mr Shake pour le moment. Quant à nous, nous poursuivons notre route. Tandis que le cuisinier fait chauffer son chaudron, l’histoire a hâte d’arriver à sa conclusion.

Comportement face à la vieillesse.

Alors que les hypocrites d’aujourd’hui, qui se scandalisent du caractère primitif des us et coutumes d’antan, terrorisent leurs vieux sans une once de remord. Ils ne sont capables ni de les tuer, ni de s’en occuper, ni de leur construire des institutions dignes de ce nom, ni de leur proposer un personnel spécialisé convenable. Ils les laissent dans des mouroirs, dans des maisons de retraite où, s’ils ont des relations, prolongent leur séjour dans les services de gériatrie, dans l’espoir que les vieux casseront leur pipe avant qu’on ne remarque que leur hospitalisation était superflue. Les Dalmate sont plus tendres avec leurs ânes qu’avec leurs vieux. Quand leurs ânes vieillissent, ils les emmènent en barque sur des îles inhabitées, où ils laissent mourir.

L’espérance de vie.

Oui, l’homme avait conçu un terrible appétit pour la vie. Depuis qu’il était devenu certain qu’aucune autre vie ne l’attendait dans les cieux, que les critères d’obtention d’un visa pour l’enfer ou le paradis était pour le moins fluctuant, et que se réincarné en sanglier ou en rat était pas précisément le gros lot, l’homme avait décidé de rester là où il était autant que faire se peut, ou, autrement dit, de mâcher le chewing-gum de sa vie le plus longtemps possible, en s’amusant à faire des bulles au passage. À en croire les statistiques, la différence était vraiment impressionnante au début du xxe siècle, la durée de vie moyenne tournait autour de quarante-cinq ans, à la moitié du siècle, elle avait grimpé à soixante-six ans, pour atteindre aujourd’hui, au tout début du vingt-et-unième siècle, le chiffre honorable de soixante-seize ans, en cent ans seulement, les êtres humains avaient prolongé leur durée de vie de presque cinquante pour cent.

La Croatie pendant la guerre 39/45

 En avril 1941, la Croatie avait adopté une loi raciale, la dispositions législative sur la protection du sang aryen et de l’honneur du peuple croate.
Le port de l’étoile jaune était devenu obligatoire et rapidement la persécution des juifs avait commencé. Les parents et le jeune frère de Pupa avaient été déportés dans le camp de Jasenovac, où ils avaient été assassinés aux alentours de 1943. Pupa et Aron avaient pris le maquis avec les partisans fin octobre 1941, après que la synagogue de Zagreb avait été détruite avec la bénédiction des nouvelles autorités oustachies.

De l’humour (enfin !)

Le D. Topalanek, en créant son nouveau soin relaxant, s’était souvenu de sa grand-mère, chez qui ils allaient déjeuner tous les dimanches. La grand-mère , de peur de manquer de temps, commençait à préparer le déjeuner dès le matin, et quand la famille Topalanek arrivait, tout avait déjà refroidi sur la table. Chaque dimanche, sa grand-mère était dans tous ses états, et chaque dimanche, son père la consolait… 
« Allons, Agneza, calme-toi, tu sais bien toi-même qu’il n’y a rien de meilleur que les boulettes froides et… la bière chaude ! »