Édition points

Bravo Polina, que mon correcteur d’orthographe veut absolument corriger en Pauline ! ! Si votre livre a su séduire un si large public c’est qu’il raconte avec une verve originale, le passage entre la culture russe et la culture française. La lectrice que je suis a été amusée car ce récit est plein d’humour, attendrie aussi par cette petite fille qui affronte la « maternelletchick » en France sans comprendre un seul mot de français, sauf « Sava » . Mais comment comprendre qu’avec le mot « hibou » on demande des nouvelles à quelqu’un ? (« sava » en russe veut dire hibou !) . J’ai été si triste lorsque Pauline a dû affronter le décès de sa maman et j’ai partagé son envie qu’elle retrouve son prénom russe Polina, car elle nous fait bien comprendre combien cette double appartenance est importante pour elle. Polina Panassenko nous fait découvrir la vie des ses grands parents très attachés à leur pays, le plaisir d’aller dans la datcha pour préparer les conserves pour l’hiver. Mais elle n’idéalise absolument pas leur vie, ils ont peur de tant de choses et, hélas ! tout s’achète à coups de pots de vin même la sortie de la morgue, la messe et l’enterrement.
Le passage d’une langue à l’autre est vraiment passionnant, la réalité russe se dit mal en français. Par exemple tant que son grand père est « mort » elle ne ressent rien mais lorsqu’il est « ymep » alors elle comprend qu’elle ne verra plus celui qu’elle a tant aimé.

Un superbe premier roman que beaucoup d’entre vous ont déjà lu. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment cette écrivaine vit aujourd’hui la guerre qui détruit l’Ukraine.

 

Citations

Le Mac do et les frites.

 Depuis la veille ma grand-mère condamne l’expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d’entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre visible
Au retour dans le deux pièces communautaire de l’avenue Lénine, le sachet de frites est froid et ma grand-mère n’est plus sur le meuble à chaussures. Ma mère envoie ma sœur annoncer que nous sommes rentrés. Ils l’ont entendu bien sûr depuis le bout du couloir mais l’annonce vaut aussi invitation.
 Lentement mon grand-père saisit un bâtonnet ramolli sur le sommet de la pile, le soulève du bout des doigts et l’observe à la lumière filtrant par le rideau de tulle. Sur la phalange de son annulaire droit, la boule de chair mauve qui couvre l’éclat d’obus contraste avec la frite. En deux poussées, il enfourne le morceau de kartofel dans sa bouche et lentement se met à mâcher, expirant l’air de ses narines par petits coups secs. Éclaireurs du goût. La mastication ralentit, la frite désolée vaincue par le dentier de fabrication nationale finit de fondre dans sa bouche. Un coup de langue sur les canines en acrylique et c’est la dégustation finale. Alors dit ma sœur. Alors c’est une patate froide, dit mon grand-père.

Le judaïsme de sa tante.

 Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle « le peuple juif « oscille entre le « nous » et le « ils » . Elle est juive sans l’être. On dirait que c’est au cas où. Au cas où quoi, je ne sais pas mais si je pose une question sur le « nous », il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l’embranchement et on se retrouve en plein « ils ».

Quel humour !

 Un matin l’annonce tombe. « Polina demain tu vas à la maternelletchik ». Quand ma mère ajoute « tchik » à la fin des mots c’est qu’elle cherche à le radoucir. Si c’est un mot inconnu ça ne présage rien de bon. Ma mère m’explique à quel point cette maternelletchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n’apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l’apprendre ? Je ne suis même pas tout à fait sûr d’être au clair sur ce que c’est. Il semblerait que si jeudi Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! On comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi à Moscou « sava » va dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.

Devenir bilingue.

 Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. Sil y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit. Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul-nu à l’extérieur. Comme la vieille du cinquième qu’on a retrouvé à l’abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l’a vue. On a dit « elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ».

 

 

 

 

25 Thoughts on “Tenir sa langue. – Polina PANASSENKO

  1. Je l’ai lu récemment aussi (mais pas encore rédigé mon billet), et j’ai beaucoup aimé. C’est enlevé, drôle et en même temps très intelligent.

  2. J’ai été charmée moi aussi par ce premier roman.

  3. Entre le moment où j’ai repéré ce roman, et ton billet qui donne (très) envie de le lire, il est arrivé à la médiathèque ! Une bonne nouvelle pour un lundi matin, d’autant plus que ce n’est pas un roman déprimant, à lire les extraits !

  4. keisha on 16 octobre 2023 at 10:12 said:

    Je sens qu’on va réentendre parler e ce livre, tant mieux. Sorti en poche, je présume.

  5. J’ai lu ce roman l’année dernière et c’était également un coup de coeur pour moi

    • Et puis tous les romans qui permettent de comprendre que, même si c’est parfois difficile on vit bien ensemble quelle que soit notre origine nationale, religieuse ou ethnique.

  6. Je me souviens de très belles réflexions sur ses deux langues au moment du passage à l’âge adulte.

  7. j’ai beaucoup aimé ce livre qui parfois m’a fait tempêter face à la bêtise humaine mais je suis une grande paresseuse et n’ayant pas pris de note je n’ai pas fait de chronique. houuuuu

  8. J’ai beaucoup aimé ce livre l’an dernier et j’espère bien qu’elle va continuer dans cette veine-là. Nous sommes nombreuses à l’avoir déjà lu et aimé : http://legoutdeslivres.hautetfort.com/apps/search?s=Polina+Panassenko&search-submit-box-search-480750=OK

  9. J’avais vu l’autrice à 28 minutes sur Arte. Je lirais bien ce livre.

  10. Repéré depuis sa sortie sur la blogo, tu me le remets en mémoire !

  11. Je l’ai noté et surligné à sa sortie et puis, pfiou, aux oubliettes ! Merci pour ce rappel.

  12. Je n’avais jamais entendu parler de ce roman mais cette question de la double appartenance m’intéresse ainsi que le passage d’une langue à d’autre, certaines nuances ou concepts se traduisant mal voire pas du tout…
    Merci pour ton avis :)

  13. Cette lecture s’annonce à la fois touchante et joyeuse. J’avais repéré ce roman mais je vais le faire remonter en tête de ma PAL parce que l’ambiance générale étant assez morose, j’ai envie de lectures moins sombres.

  14. Pingback: Polina Panassenko, Tenir sa langue, Editions de l’Olivier – Mon Biblioblog

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