Édition Gaïa

 

Tome 7 Les épreuves du citoyen

Toujours le même plaisir à continuer cette saga moins l’effet de surprise des premiers tomes . La famille de Karl est maintenant à l’abri du besoin, on peut même dire que la famille est riche. Mais elle ne le doit qu’à son labeur incessant : le travail de la mise en culture de Karl et celui de fermière de sa femme. Ils vivent pratiquement en autarcie, tout en retirant de leurs ventes de produits de la ferme un peu d’argent ce qui leur permet d’accéder à un certain confort.. Mais la santé de Kristina est fragilisée par ses grossesses. Elle sent qu’il ne faudrait plus qu’elle soit enceinte. Cette constatation la plonge dans un abime de dilemmes religieux. Peut-elle demander à Dieu de ne plus porter de bébés ? Peut-elle se soustraire au « devoir conjugal » ? Un médecin (un peu plus moderne que le vieux forgeron qui faisait office de médecin auparavant) lui donnera une parole simple : si elle est de nouveau enceinte, elle en mourra !

Mais ce tome est aussi celui où on voit la guerre civile américaine se développer et où le sort des Indiens réduits à la famine, annonce des violences inévitables. Karl veut absolument s’enrôler dans l’armée nordiste mais malheureusement pour lui, il boîte depuis un épisode où des malfrats ont essayé de s’en prendre à sa vie (dans le tome 3) . Il sera donc réformé pour sa plus grande honte. Le Minnesota devient un état de la confédération et Karl et Kristina sont donc citoyens américains. Karl a toute confiance en Abraham Lincoln qui comme lui a connu le statut de pionnier et a vécu dans une maison en rondins comme celle qu’il a d’abord construite pour sa famille.

Le pays se développe et avec ce développement toute une armée d’escrocs les plus divers prospèrent. Le paysan Karl n’a que mépris pour ces gens qui ne travaillent pas de leurs mains et quand ils sont victimes de faillites, ce n’est pour lui que justice. Il continue à défricher les terres autour de chez lui , il ne reste qu’un bois de chênes centenaire qu’il aimerait abattre pour le mettre en culture.

 

Extraits

Début le modernisme : la cuisinière.

Karl Oscar la vit pour la première fois en passant devant la devanture de la quincaillerie Newell, dans Third Street, entre Jackson Street et Robert Street, où elle était très en évidence. Elle portait fièrement, gravé dans son métal bien astiqué, le nom de « Queen of thé Prairie » et se voyait de loin.

Les spéculateurs.

Ceux qui avaient pour outil -assez léger- le papier s’enrichirent aux dépens de ceux qui en maniaient de beaucoup plus lourds et pénibles. Le spéculateur prit le dessus sur le cultivateur, les hommes d’argent devinrent riches tandis que ceux qui travaillaient restaient aussi pauvres qu’avant.
De tout temps, il y a eu des exploiteurs et des exploités. Mais rarement le temps et le lieu furent plus propices aux malins ayant plus de culot que de scrupules et s’y connaissant en paperasse.

 

Abraham Lincoln

L’homme au nez presque aussi gros que celui de Karl Oskar voulait libérer les trois millions d’esclaves des États du Sud qui, tels des bêtes, figuraient à l’inventaire des biens de leurs propriétaires pour un montant estimé à trois milliards de dollars. Kristina connaissait le sort cruel qui était le leur grâce au feuilleton « Cinquante ans dans les fers » qui avait paru, pendant plus d’un an, dans les colonnes de « La Patrie ». Fallait-il que ces hommes souffrent de la sorte simplement parce que Dieu leur avait donné une peau noire et non blanche ? (…)

Karl Oskar, lui, découpa le portrait de cet homme qui ne voulait plus qu’il y ait des maîtres et des esclaves.

Les arguments de Kristina contre la guerre.

C’était ainsi qu’il en allait en de pareille occasion : les hommes partaient , les femmes restaient à la maison avec les enfants, qu’elles devaient se charger de nourrir et d’éduquer. Les hommes partaient pour ôter la vie, les femmes restaient chez elle pour en prendre soi.. les hommes devaient être seuls de leur côté, privés de leur femme, les femmes devaient être seules du leur, privées de leur mari. Pourtant Dieu n’avait-Il pas créé l’homme et la femme pour qu’ils se prêtent mutuellement aide et réconfort ?

Spoliation des Indiens.

Il poursuivit en demandant à quel prix les Indiens avaient été contraints de céder leur terre aux Suédois et aux autres Blancs ? Combien le gouvernement leur avait-il donné pour toute la vallée du Mississipi ? Un dollar pour vingt mille acres ! Ou un deux centième de dollar, si on préférait ! C’était un prix ça ? Pour la terre la plus fertile du monde ? C’était du vol, voilà ce que c’était ! C’était pour ça qu’il avait pu l’avoir si bon marché, lui, Nelson ! Et les indiens n’avaient même pas vu la couleur de ce qu’il avait payé ! Tout ce qu’on leur concédait, c’était le droit de mourir de faim.

Tome 8 : La dernière lettre au Pays Natal

Voilà donc le dernier tome de cette Saga qui m’a occupée pendant plus d’un mois, évidemment l’effet de surprise est moins fort et je commençais à un peu m’ennuyée avec la famille de Karl. Il est temps que je vous parle aussi de l’auteur : Vilhem Moberg est aussi connu en Suède qu’au Minnesota, il a, d’ailleurs, sa statue dans le village où il a situé l’intrigue de sa Saga. Sur le lac de Chisago il existe même une autre statue représentant le couple du roman Karl et Kristina !
On y voit un Karl allant de l’avant et une Kristina regardant aussi vers la Suède pays qu’elle a eu tant de mal à quitter et dont elle parlera toujours la langue.
L’édition française que j’ai lue, explique dans un paragraphe final : « L’édition originale de la « Saga des émigrants » se termine par une bibliographie d’une cinquantaine de titres, reflet d’une douzaine d’années de recherches et d’écriture – commencé en 1947, le roman ne fut terminé en 1959. Comme il s’agit exclusivement d’ouvrages en suédois et en anglais (dont bon nombre d’inédits : journaux intimes, mémoires, correspondance privée …) il ne nous a pas paru indispensable de les faire figurer ici. Le chercheur et le lecteur intéressés sont invités à se reporter à l’édition suédoise. »
Je trouve ça un peu bizarre mais cela ne me fera pas lire l’édition suédoise !
Dans ce tome nous vivons une révolte des Indiens qui mouraient de faim et qui, en se révoltant, tueront plus de mille habitants, et brûleront toutes les fermes qu’ils trouveront sur leur passage. La répression sera sans pitié et ce sera la dernière révolte des Sioux dans cette région.
Kristina va mieux et elle retrouve sa confiance en Dieu et veut reprendre sa vie de femme avec Karl, elle mourra donc des suites d’une énième fausse couche. Karl se sent coupable et se referme dans un mutisme ravagé par la tristesse. Il entreprend quand même le dernier défrichage du bois de chêne et le dernier arbre s’abat sur lui. Il n’est pas mort mais il est fortement diminué .
Ses enfants sont totalement américains et le roman peut se terminer sur la dernière lettre à la famille suédoise qui annonce la mort de Karl.
J’ai eu plus de mal à finir ce dernier tome, et j’ai eu l’impression que l’auteur a eu aussi plus de mal à l’écrire.
La fin de Karl (qui meurt pendant une centaine de page) constitue une boucle par rapport à son point de départ. Il possède une carte qui décrit son pays natal et, alors qu’il souffre terriblement des conséquences de la chute de l’arbre sur son dos, il se remémore sa vie en suède et sa rencontre avec Kristina qu’il a tant aimé.
Il meurt avec ses souvenirs de Suède et satisfait de ce qu’il a construit dans le Minnesota dans le comté de Chisago.
Cette Saga est à lire pour tous ceux qui veulent mieux comprendre un des fondements des USA mais aussi pour se rendre compte de la misère qui régnait au XIX° siècle dans certains pays européens, misère qui a poussé des paysans à s’exiler de l’autre côté de l’océan pour y fonder une communauté réunie autour de la religion, l’égalité entre les citoyens et le travail de la terre. À travers cette Saga on voit que la religion ne restera pas un facteur d’unité car d’intolérance en anathèmes, les différentes obédiences se diviseront plus qu’elles ne s’uniront. On verra aussi que l’égalité ne concerne pas tous les habitants et que les Indiens sont totalement exclus de cette communauté enfin si le travail de la terre est bien une dynamique qui a permis aux premiers pionniers de s’enrichir, un pays très jeune et dont les lois ne sont pas encore bien établies fait naître aussi des possibilités trop faciles d’enrichissement et donc d’escroqueries.

Extraits

Début.

Les Suédois de la vallée de la rivière St. Croix étaient divisés sur le plan religieux. Au cours des dernières années, des communautés baptistes et méthodistes avaient vu le jour et plusieurs autres sectes tentaient de faire des prosélyte parmi les luthériens. Les plus nombreux étaient les baptistes.

Cause de la guerre indienne.

Par le traité de Mendota, le gouvernement s’était engagé à verser au cours de l’année 1861 la somme de soixante-dix mille dollars en or aux Sioux du Minnesota occidental. Mais cette dette ne fut pas honorée à échéance. Pendant ce temps, les tribus indiennes furent victimes d’une grave disette et leur situation encore aggravée par la rigueur de l’hiver. Leurs délégués tentèrent à plusieurs reprises d’obtenir des agents du gouvernement le paiement de ces soixante-dix mille dollars, mais revinrent les mains vides.

La religion au service du racisme.

Petrus Olausson ne manqua pas de souligner que les événements lui donnaient raison : il avait toujours dit qu’il fallait chasser cette racaille païenne du Minnesota. Car les Indiens n’étaient et ne seraient jamais que des bêtes sauvages impossibles à christianiser. Les paroisses luthériennes leur avaient pourtant envoyé de jeunes missionnaires et avaient fait procéder à des quêtes pour leur procurer des catéchisme, afin qu’ils puissent apprendre les dix commandements. Il avait lui-même donné de l’argent pour cela et savait que des chariots entiers chargés d’exemplaires reliés pleine peau du Catéchisme de Luther étaient partis vers l’ouest. À quoi cela avait-il servi ? À rien ! Et maintenant ces bandits remerciaient les généreux donateurs en les assassinant ! Les Blancs avaient apporté aux Peaux-Rouges l’ Évangile du Christ- et ces derniers répondaient à leur bienfaiteurs à coups de haches de guerre ! Ils écrasaient sous leurs tomahawks le crâne de nobles chrétiens qui n’avaient d’autre but que de les libérer de leur paganisme !

 


Éditions Seuil Cadre Noir, 299 pages, mars 2025

Reçu dans la cadre de Masse Critique Babelio

 

 

J’avais gardé un souvenir mitigé mais positif de « Pension Complète » , cela m’a donc fait plaisir de me lancer dans cette lecture. Je suis terriblement déçue , et j’avoue avoir lu en diagonale les trois quart du livre. Je ne l’aurais certainement pas terminé si je ne m’étais pas engagée pour Babelio.

Jacky Schartzmann, décrit une plongée dans la mouvance d’extrême droite qui a eu le vent en poupe lors de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour. Les personnages sont soit complètement caricaturaux soit à la limite de la caricature.

Pourtant ce roman répond à une de mes interrogations, comment l’extrême droite en France peut-elle penser un jour prendre le pouvoir ? Ce sont des gens très dangereux et capables d’actions très violentes, ils s’appuient sur des gros bras qui ne supportent plus la présence de musulmans noirs ou arabes sur notre territoire. Je sais cela, mais cela ne fait pas un bon roman.

Le roman noir, avec tous ses rebondissements classiques, et quelques touches d’humour, plaira peut être aux amateurs ou amatrices du genre. Je n’en fais visiblement pas partie.

Extrait.

Début.

Je suis un bâtard en retraite. J’étais commercial, dans un grand groupe. Mon job consistait à vendre très vite et très cher, afin d’augmenter nos marge et de gonfler notre trésorerie. Et c’est tout. Plusieurs révolutions ont secoué l’industrie ces trente dernières années : les chefs de service sont passées de la clope au running, de l’approbation aux infusions froides et du droit de cuissage au consentement.

Caricatural.

Exactement, Jean-Marc. Y a pas de slogans compliqués chez nous. C’est d’ailleurs pour ça que nous voulons tant qu’Éric Zemmour accède aux responsabilités, il est comme nous pas compliqué. Des constats simples, des actions simples.
– Simplistes aussi non ?
– Vous croyez ça, Jean-Marc ?
– Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes. 
– C’est là que vous vous plantez : il n’y a pas de « problèmes complexes » en réalité . Des étrangers prennent le pain et le travail des Français. Rien de plus simple.

Coups de cœur et 5 coquillages

L’allègement des vernis (Paul Saint Bris)

Le fils du professeur (Luc Chomarat)

Tiotha ke et Kukum (Michel Jean)

Et vous passerez comme des vents fous (Essai) (Clara Arnaud)

Stupeur (Seruya Shalev)

Ce que je sais de toi (Eric Chacou)

Proust roman familial (Laure Murat)

Les exportés (Sonia Devillers)

Pour que chantent les montagnes (Nguyen Phan Que Mai)

Les âmes errantes (Cécile Pin)

Le soleil des Scorta et Terrasses (Laurent Gaudé)

La mémoire délavée (Natacha Appanah)

Par delà l’oubli (Aurélien Cressely)

L’enclave (Benoit Vitkine)

Croix de cendre (Antoine Senanque)

Deux été 44 (Metz 1744 Drancy 1944) (François Hellbronn)

Le nom sur le mur (Hervé Le Tellier)

L’ambition (Amélie de Bourbon Parme)

Le soldat désaccordé (Gilles Marchand)

Les yeux de Mona (Thomas Shlesser)

La mémoire retrouvée (Edmund de Waal)

Baumgartner (Paul Auster)

Les guerriers de l’hiver (Olivier Norek)

Houri (Kamel Daoud)

Le retour à Martha’s Vineyard (Richard Russo)

Lebensborn (Roman Graphique) (Isabelle Maroger)

Ceux que je suis (Olivier Dorchamps)

No Home (Yaa Gyasi)

L’internat des Cigales (livre jeunesse) (Julie Bonnie)

Moi Fadi Le frère volé (BD) (Riad Satouf)

La lumière Vacillante (Nino HaratischWilli)

Stasiland (essai) (Anna Funder)

Badjens (Delphine Minoui)

Nord Sentinelle (Jérôme Ferrari)

Deux dans Berlin (roman policier) (Birkefeld et Hachmeister)

Proust prix Goncourt , une émeute littéraire (Essai) (Thierry Laget)

 

et j’ai aussi beaucoup de romans avec 4 coquillages que j’ai beaucoup aimés

 

 

 

 

 

 

 

Édition du seuil, 281 pages, aout 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour ce roman, j’ai fait ce que je m’étais promis de ne jamais faire : abandonner la lecture ! Si je le mets sur Luocine, c’est que j’espère que l’un ou l’une d’entre vous l’avez lu et que vous viendrez m’expliquer qu’il est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.

Cette écrivaine tenait un bon sujet de roman : une famille rom vivait en Roumanie dans un delta, fait de lac et de nature sauvage. Malheureusement pour eux , cet endroit est très proche de Bucarest et le gouvernement décide d’en faire une réserve naturelle et chasse cette famille.
Voilà le sujet, la belle nature sauvage, les pauvres roms, chassés de leur habitat pour plaire à des riches touristes
J’i trop senti dès le départ la démonstration , et puis pas de chance pour moi Corinne Royer est aussi une poétesse et s’exprime en vers qui m’ont laissée totalement indifférente.
Bref j’ai calé, ça m’arrive, je serai ravie de lire que je me suis trompée et que je suis passée à côté d’un roman qui a intéressé quelqu’un !

Extraits

Début

 De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire ; et la toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
 Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait.

L’instruction et leur père

 Les connaissances que tante Marta lui avait enseignées, la géographie, les mathématiques, le français, l’histoire et les ravages du communisme considérés comme une matière à part entière, il en avait à son tour instruit ses frères et sa sœur, malgré la désapprobation du père affirmant que les foutaise écrites dans les livres allaient leur raboter le cerveau de la même façon qu’une varlope sur une planche vermoulue. On pourra allumer le poêle avec les copeaux de votre cervelle ! disait-il. La menace avait longtemps effrayé Naya.

La réserve naturelle

 Elle avait ajouté qu’en tout temps et partout on avait créé des réserves naturelles au détriment des indigènes qui y vivaient. Marta avait donné pour exemple parc national de Kaziranga, en Inde, où les habitants avaient été expulsés ; ceux qui se déplaçaient encore dans le parc pour cultiver la terre ou chasser du petit gibier s’exposaient au tir à vue, et plus d’une centaine de paysans étaient tombés sous des balles des gardes.
 C’est comme ça, avait dit tante Marta on ferme les yeux aux pauvres pour donner à voir aux touristes !

L’expression poétique.

C’est l’hiver.
Nous partons.
Si loin.
ÇA ne peut-être que l’hiver.
Le tremblement sous mes pieds
court jusque dans mes doigts
et ma salive est comme une pâte
épaisse sur la langue.
Goût amer.
Sang dans la bouche, chaud
comme une lave.
(et ça continue sur 10 pages !)

 

 


Édition Calmann Levy, 156 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai lu en une soirée ce très court roman, largement inspiré de la vie de cet auteur. Je l’ai oublié deux jours après donc il faut vite que j’écrive ce que j’en ai pensé pour qu’au moins mon blog s’en souvienne ! C’est un premier roman, et très classique dans le genre : cet auteur a besoin de nous dire d’où il vient. Il le fait avec une grande honnêteté, ce qui n’est pas déplaisant.
Ses parents sont divorcés et ce divorce a entraîné pour un temps un déclassement social. Son père est musicien et complètement asocial mais c’est un père gentil avec son fils, sa mère est courageuse et reprend des études pour sortir sa famille de la misère. Son frère aîné compose du rap et va connaître un certain succès, le roman est scandé par des textes écrits par ce frère. La fêlure sur laquelle se joue le passage à l’écriture de ce jeune homme, c’est sa position de troisième dans la famille il a l’impression de ne pas exister : d’être « l’ombre des choses ».

La description de son passage dans une cité d’urgence qui abrite la misère ordinaire, son dégoût pour sa ville de province d’origine,( Angers son château et sa tapisserie de l’apocalypse) ses rapports avec son frère et ses copains tout cela ne m’a pas beaucoup intéressée , mais attendons son prochain roman, on découvrira peut-être un romancier plus riche que cette première impression.

 

Extraits

 

Début

 J’étais donc là.
 Un enfant moyen dans une ville moyenne. Avec, au cœur de la ville, un château fort. Un vieux truc du XIII°siècle moyenâgeux. Dix-sept tours, hautes d’une trentaine de mètres. Mais les touristes n’avaient d’yeux que pour la tenture de l’Apocalypse, un ensemble de tapisseries médiévales, uniques au monde. Ça donnait un peu de fierté à la vie moyenne.
Ici, vu de l’extérieur, tout était parfait.

Honte de son père

 « T’as vu ? il y a un clochard devant l’école », me disait Dorian d’un air méprisant. « Non, c’est mon père. » Deux mois plus tard pendant la récréation, j’avais fini par frapper Dorian d’un coup de poing dans le ventre. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine avec une intensité inhabituelle qui semblait vouloir le faire sortir de mon corps. Les battements s’accéléraient et mes mains tremblaient de nervosité. Je découvrais la chaleur de la violence. Dorian pleurait de douleur et j’avais envie de pleurer avec lui.

un Rap , je suis vraiment incapable d’apprécier un tel texte

C’est tout pour la famille, tout pour la déter’

 Petit, laisse les parler, ils parleront jamais
des gens qu’y à derrière
 Et vas-y, fait un deux, c’est morts pour les ingrats 
Protégés par Dieu, j’peux assurer les fins de mois 
 Quand j’pense à ma vie, c’est abusé
 J’suis peut-être miraculé comme Santa Maria
D’ Guadalupe

 


Édition, les éditions de l’observatoire, 380 pages, mai 2021.

 

J’avais dit à Sandrine que j’avais très envie de connaître la vie de Jean Roscoff universitaire, qui avait « fait une bien fou » à Ingannmic, (je me demande bien pourquoi ? car ce livre est d’une rare tristesse.).

Je suis beaucoup moins enthousiaste qu’elles deux, mais avant d’expliquer pourquoi je vous rappelle la trame narrative de ce roman.

Un roman original qui a le mérite de décrire beaucoup de travers de notre société, nous suivrons la destinée peu glorieuse d’un universitaire raté, Jean Roscoff, qui contrairement à ce que certains pensent n’est pas breton, (son nom est d’origine russe).
Il a eu un départ d’excellence puisqu’il sort de Normale sup.
Mais son parcours s’arrêtera là. Il refuse de passer l’agrégation et d’écrire une thèse. Il travaillera à l’université sans jamais devenir Professeur mais restera Maître de Conférence, et sera spécialiste du parti communiste américain mais sans faire de carrière prestigieuse.
Première catastrophe : il écrit dans sa jeunesse un livre qui occupera plusieurs années de sa vie sur les époux Rosenberg. Il y démontre que le procès qui les a conduits à la chaise électrique était totalement inique. Il était alors porté par l’intelligentsia française, – Sartre en tête- , prête à épouser toutes les causes anti-américaines. Son livre paraît quelque jours avant l’ouverture des archives de la CIA qui apportent la preuve irréfutable que les Rosenbetg était bien des agents du KGB.
Il restera donc définitivement le raté de service de l’Université.
Cet épisode permet à l’auteur de faire un portrait peu flatteur des intellectuels français de cette époque. Car personne ne défendra son livre alors que même si les Rosenberg était bien des agents du KGB, leur procès était inique et cela son travail le démontrait parfaitement.
Cela continue ensuite, car il s’engage à SOS racisme, organisation décrite comme le marche pied pour faire carrière au PS. Il fait une peinture du milieu des socialistes mitterandiens vraiment peu reluisante  : les militants sont des arrivistes qui ne cherchent que leur propre intérêt, et se fichent pas mal des causes qu’ils prétendent défendre.
Jean Roscoff aurait pu finir sa vie tranquillement. Bien sûr, sa femme, Agnès à qui il doit son confort de vie a divorcé, mais sa fille Léonie, qui n’est que gentillesse, lui aurait soutenu le moral. Mais il se met à écrire la biographie d’un obscure poète nord américain Willow qui est venu en France et a fréquenté Sartre et les existentialistes.
Celui-ci est mort d’accident de voiture non loin de la ville d’ Étampes où il s’était réfugié. (D’où le titre du roman)
Cette partie de sa vie permet à l’auteur de régler ses comptes avec le monde de l’édition. Mais surtout avec les censeurs du monde moderne qui s’expriment dans les réseaux sociaux.
Encore une fois son second livre soulève une polémique énorme : est-ce qu’un « blanc » peut décrire la vie d’un « noir » sans être raciste ? Car oui Willow était noir et Roscoff ne l’a pas assez mis en avant dans son étude. Pour lui c’est avant tout un poète peu importe sa couleur de peau, mais cela déplait totalement aux anti-racistes de notre époque. représentés par Jeanne la petite amie de sa fille Léonie.
La critique de la folie de l’emballement médiatique est le principal sujet de ce roman et décrit (hélas !) une réalité bien triste de notre époque..
La chute et la fin de Willow est étonnante mais fidèle aux règles de la blogosphère, je n’en dis rien.
J’ai cru pendant la moitié de ce roman lui mettre cinq coquillages et puis les règlements de compte à répétitions m’ont lassée. Trop c’est trop, et quelque soit le talent réel avec lequel Abel Quentin décrit, les mutants socialistes devenus de bons bourgeois, la mesquinerie du milieu universitaire, la lâcheté du monde de l’édition, les enragés du mouvement antiraciste, les fous dingues (ou folles) « ayatollahs » des réseaux sociaux (et j’en oublie peut être) on se dit que le monde n’est peut-être pas si noir que ça.
C’est cet aspect qui a fait que je ne lui laisse que trois coquillages – puis après réflexions et remarques de celles qui ont aimé, je lui en ai remis quatre ! Je suis très influençable ! !- Sandrine et Ingannmic m’avait donné très envie de lire ce roman, ce que je ne regrette absolument pas.

Extraits

Début.

-« Nous sommes tous des enfants d’immigrés » … Ça veut dire quoi, ça ? Vous pensez vraiment que vous pouvez ressentir le dixième de ce que ressent un immigré ? Vous ne pensez pas qu’il était temps de les laisser parler les « enfants d’immigrés » ? De ne plus confisquer leurs voix ?
 Jeanne la nouvelle copine de ma fille avait un regard dur, la bouche pincée. Elle me faisait penser à une puritaine qui aurait vécu dans l’Iowa, disons, en 1886. Sa mâchoire était contractée sous les faits d’une souffrance continue.

L’alcoolique .

 Possédé, les dents serrés comme un joueur qui ne parvient pas à quitter sa machine à sous. J’avais essayé de retenir Marc, malgré ses habitudes de pisse- froid, sa tempérance de « control freak ». Allez quoi ! J’avais haussé le ton. Peut-être même que Marc m’avait un peu bousculé en se dégageant. J’avais fait mon petit numéro de pochard avec une virulence où l’agressivité réelle n’était jamais loin, parce que l’alcoolique ne déteste rien tant qu’un camarade qui quitte le navire. Il se sait alors démasqué : le départ du buveur tempérant le renvoie à sa propre déchéance, à son addiction maniaque. Il y a de la jalousie dans cette fureur, l’envie du possédé pour celui qui conserve l’empire sur lui-même.

J’aime cet humour (Léonie est sa fille éternelle optimiste).

 J’en oubliais presque que j’étais vieux, et d’ailleurs je n’étais pas vieux, m’avait dit Léonie au milieu du mois d’avril. Elle avait lu quelque part qu’un senior de 2025 avait la forme physique d’un trentenaire sous Louis VI le Gros. J’avais souri. Elle m’avait appelé pour m’annoncer qu’elle avait emménagé chez Jeanne, elle était joyeuse et parlait de son amie avec une serveur inchangée. En raccrochant, je me demandais si les trentenaires sous Louis VI le Gros avaient envie de pisser quinze fois par jour eux aussi.

L’affaire Rosenberg sur laquelle le héros a écrit un livre.

 Le lendemain de la sortie (de son livre) la CIA déclassifiait et rendait public les archives d’une gigantesque entreprise de décryptage des messages codés et émanant des services de renseignement soviétiques. Intitulé projet Venona, ce travail avait été mené patiemment entre 1940 et 1980 par le contre-espionnage américain. Verdict : les Rosenberg étaient bel et bien coupables d’espionnage pour le compte de l’URSS. Rideau. Mon bouquin était mort-né. Cinq ans de boulot minutieux balayé par un communiqué de presse lapidaire, et un grand éclat de rire dans la communauté scientifique. La presse de droite avait jubilé. Elle tenait son idiot du village, l’énième preuve que ceux d’en face niaient le réel -oubliant de préciser au passage qu’un consensus quasi général existait avant les révélations de la CIA sur l’innocence des Rosenberg, que des conservateurs comme Mauriac avait eux-mêmes mouiller le maillot pour sauver la tête du couple. Négligeant de mentionner, surtout, que mon livre s’attachait à démontrer que le couple avait été condamné sans preuve, au terme d’un procès inique, ce que n’infirmaient pas les révélations de la CIA : les Rosenberg avaient été envoyés à la chaise sur la base d’information classée secret défense auxquelles leurs avocats et à fortiori le public n’avaient pas accès. Mais tout cela était inaudible : j’étais triquard, un historien grotesque, un clown, la risée de l’Université française, le mec du bouquin sur les Rosenberg. Deux jours après la sortie, le livre était retiré des ventes.

 

Description tellement réaliste !

 Je reconnaissais l’un deux, militant à la Fédération syndicale étudiante, petit bonhomme acnéique que j’avais eu dans un de mes amphis -un genre de festivalier rennais dont la mise (casquette de marin et keffieh palestinien) trahissait une double allégeance au Hamas et au mouvement autonomiste breton.

Le père radin

C’est un truc de mon père : plutôt que de reconnaître la supériorité de certains produits jugés trop coûteux il a pris le parti de les dénigrer comme des fausses valeurs, des attrapes couillons surcotés, au fond un jambon industriel vaut bien vos « bellottas » et vos « pâta negra » et il transforme sa pingrerie en sagesse orientale. Les esthètes sont relégués au rang de pigeons, ou de snobs .

Description de la Fac aujourd’hui !

 La fac était le décor familier qui me déprimait autant qu’il me rassurait et c’était celui des ensembles en béton, de la morgue intellectuelle, des rétributions symboliques, des cols roulés, des publications pointues, des colloques jargonneux, des photocopieuses en panne, des jeux de pouvoir invisibles, ascenseurs vétustes et amiantés, chapelles, culte des titres, grades, étudiants chinois effarés, acronymes mystérieux, baies vitrées sales, syndicats sourcilleux, cartons de tracts crevés, tags fripons dans les chiottes, c’était cette vieille ruine au charme inaltéré : l’Université.

Le portrait d’une génération .

 Les voix épuisées, littéralement brisées par le tabac : tels sont ses hommes et ses femmes qui ont défilé entre République et Nation et que la vie a comblé de ces bienfaits. Lorsqu’on leur présente une tribune révolutionnaire signée de leurs mains du temps de leur jeunesse, ils ne disent pas : « je me suis trompé », ils disent : « j’étais jeune, j’étais intransigeant », plein d’amour pour l’image de leur jeunesse fanée. Présentez-leur un miroir, ils ne diront pas : « j’ai trahi », mais « j’ai appris, la vie professionnelle m’a donné le sens des réalités », plein d’indulgence pour les hommes et les femmes murs et lestés qu’ils sont devenus 


Édition Zulma, 267 pages, janvier 2023

Traduit du persan (Iran) par Christophe Balay

Dans ce roman, durant deux saisons, l’auteure va suivre les méandres des pensées de trois amies iraniennes : Leyla, Shabaneh et Rodja. Elles se sont rencontrées à l’université en spécialité mécanique. Chaque destinée est complexe, Leyla ne se remet pas du départ de son mari Misagh qui est parti au Canada. Elle n’a pas voulu le suivre, ou plus exactement quand elle a enfin compris que la décision de son mari était irrévocable, elle n’a pas pu le suivre. Obtenir des visas en Iran pour un pays occidental c’est très compliqué. Leyla est d’un milieu très riche et elle a mis trop temps à comprendre que son mari pouvait la laisser plutôt que de vivre en Iran. Elle est journaliste culturelle et son parcours permet de décrire les difficultés de la presse iranienne.

Shabaneh est empêtrée dans une histoire amoureuse avec un jeune homme qu’elle n’est pas sûre d’aimer, elle est aussi très sensible au sort de son jeune frère qui est handicapé mental, et qu’elle ne veut pas laisser seul avec leur mère dépressive et qui n’accepte pas le retard mental de son fils.

Rodja veut partir en France à l’université de Toulouse où elle a été acceptée. Grâce à son parcours, on comprend toutes les difficultés pour obtenir d’obtenir un visa (je doute que cela ce soit arrangé ! !)

Les trois destins s’entremêlent, et les pensées d’une fille à propos d’une autre éclairent la personnalité d’une façon nouvelle. La répression en Iran est présente mais ce n’est pas le sujet principal du livre. Par exemple, le journal dans lequel Leyla écrit et qui semble enfin lui apporter un certain bonheur est interdit de publication mais il semble que les journalistes pourront publier un nouveau titre et que la vie ne s’arrête pas. Le système de débrouille est la norme et oblige chacun à s’adapter sans cesse et à jouer avec la censure ou l’absurdité du système.

Rodja n’obtient passes papiers mais elle recommencera ! Shabaneh , c’est plus compliqué va-t-elle se marier juste parce que le garçon insiste et qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut vraiment ?

J’ai aimé cette lecture, mais sans enthousiasme, les pensées de ces trois personnages ressemblent à celles de toutes les jeunes femmes qui cherchent à s’affirmer pour exister . Il y a un aspect exotique car cela se passe en Iran mais sans la répression telle qu’on la raconte aujourd’hui, elles tournent en rond autour de leurs problèmes de couple, de relations à leurs parents, de soirées à organiser …, bref je crois que j’oublierai vite ce roman.

Extrait

Le début.

Je te cherchais, je courais. Sur le carrelage blanc glacial du hall de l’aéroport. Dans un silence de mille ans. À chaque foulée, ma respiration haletante bourdonnait à mes oreilles, de plus en plus fort emplissant ma gorge d’amertume. Les vols internationaux étaient à l’autre bout. Ce n’était pas l’aéroport Imam Khomeini. 

Réflexion de Shabaneh.

 Faire semblant d’être heureuse. C’est la seule chose que je sache faire. On a de l’entraînement dans la maison. Moi, maman, papa. À la maison il n’y a que Mahanqui a l’air d’être heureux pour de vrai. Comment savoir ? Il est incapable d’énoncer une phrase correctement. Peut-être fait-il lui aussi semblant comme nous tous. Comme la fois où maman était si déprimée que papa nous a emmenés faire un petit voyage pour nous détendre. Mahan a vomi tout le long du trajet, en salissant toute la voiture. Où bien la foi ou on est allé à l’école de Manhan pour l’écouter chanter avec ses camarades, aussi dérangé que lui, personne n’y comprenait rien, mais on les a écoutés et applaudis, sourires figés aux lèvres. Ou le jour où maman avait organisé une fête pour célébrer mon admission à l’université et qu’elle avait confié Mahan à grand’mère pour s’épargner la honte devant les invités. Il y a longtemps qu’on fait semblant, on s’échine à mimer un bonheur simple perdu dans une suite tragique de malheur sans fin.

Les femmes iraniennes d’aujourd’hui .

On est des sortes de monstres, Shabaneh. On n’est plus du même monde que nos mère mais on n’est pas encore de celui de nos filles. Nos cœur penchent vers le passé et notre esprit vers le futur. Le corps et l’esprit nous tirent chacun de son côté, on est écartelées. 

 

 

Édition L’olivier, 211 pages, février 1999.

Je crois que je vais laisser pour un temps, mon envie de comprendre la passion de mes amies lectrices pour cet auteur. J’en ai ai un peu assez de ce Paul dépressif, toujours plus ou moins gravement malade, du personnage de dentiste pervers, de la femme Anna qui mourra dans un accident violent, de la tonte des gazons. Mais, car il y a un mais, j’ai bien aimé le passage sur la création en littérature, en effet le narrateur explique qu’aucun roman n’arrive à faire ressentir ce qu’éprouve vraiment une personne qui est terrorisée par un danger quel qu’il soit. Ici, Paul, qui a perdu ses parents depuis longtemps, a raté son mariage, est devenu écrivain et décide de partir en voyage , il fera des rencontres qui le rendront encore plus malheureux comme ces deux hommes qu’il avait trouvé assez sympathiques en Floride et assassineront de façon la plus horrible possible un homme qui n’avait qu’un défaut : être noir. Il retrouve l’endroit où son père se rendait une fois par un an pendant un mois pour pêche, l’ami de son père l’attendait et aussi une demi-sœur : son père avait donc une autre vie visiblement plus heureuse que celle qu’il a menée en France auprès de Paul et sa mère.. Près de ce lac où son père a disparu , il y a un bois réputé très dangereux où beaucoup de gens sont morts sans que l’on ne retrouve leurs corps, évidemment Paul le traversera et il reviendra en paix avec lui-même et son père.

J’oublierai vite ce roman sauf sans doute le passage sur la création romanesque , et je me promets de bien écouter mes amies pour comprendre leur plaisir à lire cet auteur dont elle ne rate aucun roman

Extraits

Le début une fois, encore météorologique.

 Il a neigé toute la nuit. Le jardin est si blanc que le monde a l’air neuf. Nous sommes le premier janvier, il fera bientôt jour. Je suis posté devant la fenêtre. Au-dessus des nuages, par une trouée, je distingue un avion. Il ne fait aucun bruit, et seules au bout des ailes, ses lumières clignotent. Il suit la route des oiseaux migrateurs, descend vers le sud, la chaleur du soleil. Je vis à la pointe du nord sur les terres du froid. Peu à peu j’apprends à endurer les rigueurs du climat et à différencier toutes sortes de neiges.

Un personnage positif, un maître d’œuvre avec lequel il a travaillé.

Da Rocha était l’un de ces êtres dont le hasard m’avait fait un temps, partager l’existence, et qui, par le seul souvenir, m’avait accompagné toute une vie. Des années plus tard, j’envoyais à cet homme un exemplaire de mon premier roman. Après l’avoir lu, il me retourna ce petit mot : « Tu as bâti tout seul ta première maison. Je suis certain que tu en construiras beaucoup d’autres, mais celle-là restera jamais dans mon cœur. » La fréquentation de Da Rocha, sa ténacité, son honnêteté professionnelle, son obstination à mener à terme un chantier dans les délais, m’ont appris davantage sur la manière de construire une histoire que tous les précis de littérature.

Écriture romanesque .

 Tandis que je contemplai cet orage, je songeais qu’un jour, si j’écrivais un nouveau livre, j’essaierai de raconter ce moment, d’en rendre l’intensité et la beauté. A présent, je mesure la vanité d’une telle ambition. Les mots quels qu’ils soient, n’ont pas l’humidité féconde que charrie le souffle de la tempête chargée de la multitude des senteurs dérobées à la cime des arbres et au sol des sous-bois. Comment restituer le bonheur de se sentir à l’abri lorsque sous le vent, battent les branches et que geignent les troncs courbés par les rafales ? Et dire cette angoisse ancestrale qui s’abat alors sur la forêt et tous ceux qui l’habitent ? Les livres ne sont qu’un tout petit miroir du monde où se mirent les hommes et l’état de leur âme mais qui jamais n’englobe la stature des arbres, l’infini des marais l’immensité des mers. Si beau que soit le texte, si attentif le lecteur de Melville, il manquera toujours à ce dernier l’émotion fondatrice, l’indispensable synapse avec le réel, ce bref instant ou surgit la baleine et où vous comprenez qu’elle vient « vous » chercher. Une chose est de lire la peur, une autre affronter. 


Édition Acte Sud, 196 pages, Avril 2024

Après ‘Augustin » qui m’avait tant plu, je retrouve cet auteur avec grand plaisir. L’écriture de ce roman s’inspire d’un fait divers tragique : un couple a disparu en montagne en tombant dans une crevasse d’un glacier dans les Alpes Suisse, en 1942, le glacier rendra leurs deux corps en 1972. Pendant ce temps leurs enfants grandiront sans la chaleur d’un foyer.

L’écrivain construit son roman, en imaginant un couple heureux, joyeux et amoureux. Lui, Joseph, est une force de la nature, cordonnier de son état, il chante tout le temps et rend tous les services qu’il peut à sa famille et aux gens de son village. Elle, Louise, l’institutrice est une femme remarquable, qui a eu le malheur d’être la fille d’une femme très originale, partie en Amérique, elle en est revenue avec un peu d’argent et une petite fille qu’elle a confiée à une cousine. Celle-ci a été assez bien élevée pour devenir institutrice, et se mariera assez tard avec cet homme d’une autre vallée, Joseph.

Ensemble, ils ont quatre enfants, et une fois par mois, Joseph monte dans les estives pour s’occuper de leurs quatre vaches, les traire et faire du fromage. C’est une maison très harmonieuse, où l’on chante car Joseph a une superbe voix, les enfants sont heureux et promis à une belle vie.

Mais voilà, Louise veut absolument, au moins une fois, monter dans les estives avec Joseph. Elle veut, elle aussi, voir cette montagne que son mari aime tant. La montée sera difficile, l’écrivain déploie tout son talent pour nous faire vivre cette ascension, et soudain le temps s’en mêle pour rendre la traversée du glacier impossible.
Joseph et Louise ne redescendront jamais de la montagne, laissant quatre orphelins dans un deuil impossible car les corps de leurs parents sont introuvables.
Les enfants seront en but aux rumeurs les plus folles sur la disparition de leurs parents, toute la générosité qu’ils avaient montrée pour les gens du village se retournera contre leurs enfants : ils étaient trop bien, trop heureux, ces gens, pour ne pas être jalousés, « ils ont dû s’enfuir pour profiter de leur argent. » , Voilà ce que les enfants entendront toute leur vie.

Un jour le glacier rendra les corps, mais ce sera une bien piètre consolation pour des enfants qui, devenus vieux, ont construit une vie sans eux.

Un très beau roman qui se lit facilement, qui rend bien compte de la vie rurale dans un petit village Suisse au début du XX° Siècle, j’ai une petite réserve sur l’aspect pas assez incarné des deux personnages principaux, ils ressemblent plus à des types de personnages qu’à des gens réels.

 

Extraits

Début.

 Joseph a prévenu Louise, « Là où je t’emmène, il se peut qu’on ne t’aime pas », elle a répondu qu’elle s’en moquait pas mal, « on verra bien », et cette seule réponse l’a convaincu qu’elle serait la femme de sa vie. Il est allé la chercher en 1929 au loin, dans un autre village, plus fou encore, dans une autre vallée. Ce sont des choses qui ne se font pas. Plutôt épouser sa cousine qu’une fille d’ailleurs.

La ruée vers l’or.

 Nul n’est préparé à la violence indicible de la ruée vers l’or, personne ne l’a jamais été, personne ne le pouvait. On l’est encore moins quand on débarque d’un alpage et qu’on est une femme. Ernestine cumule les risques, les provoque presque, elle cherche les ennuis. Peut-être fallait-il être Ernestine pour en réchapper, pour ne pas disparaître au fond d’un ravin, dévalisée, déshabillée et violé aux confins du Colorado et de l’Idaho, près de North Fork, le long de la rivière de Cœur d’Alene, où son errance va la conduire en train, parce qu’il y a bien longtemps que l’or s’est évaporé en Californie, le journal leur avait menti. Peut-être le savait-elle, en embarquant au Havre que ce voyage serait bien plus difficile que celui vanté par la publicité mais qu’elle y parviendrait, qu’elle ne coulerait pas, qu’elle reviendrait, pas forcément riche à millions mais en tout cas bien plus qu’au départ.

Le couple.

 La vie de tous les jours les rattrape. La promesse qu’il a faite de lui fabriquer une nouvelle valise en cuir. Joseph l’a tenue. La valise trône au grenier, non, elle ne trône pas, elle moisit, elle prend l’humidité, elle ne sert à rien. Une princesse, Louise, vraiment ? Une princesse qui jamais ne sort du village, voit les mêmes têtes tous les jours, les mêmes gamines à l’école, ne va jamais à la ville, se tue à la tâche aux champs quand elle n’enseigne pas. À quoi cela sert-il de posséder une valise si grande, neuve, si on ne voyage jamais, quand on sait qu’on ne voyagera jamais ?

Août.

 Nous sommes au mitan du mois d’août, celui qui sert à préparer la guerre contre l’hiver. C’est le mois de la constitution du stock de bois, le moment où la commune attribue à chaque famille son lot de sapins déracinés par les avalanches ou frappés par la foudre. Août sert à faucher les regains, fabriquer d’autres souliers, réparer les attelages, préparer la maison pour l’hiver, retaper et consolider les portes les fenêtres, réparer les tables qui vacillent

Le mauvais temps sur le glacier un 15 août 1942.

 Puis tout va trop vite. Il fait sombre en quelques minutes, nous sommes le 15 août, il est à peine dix sept heures quinze mais il fait nuit, une nuit blanche. Le brouillard a tout envahi, tout camouflé. Plus rapide qu’un cheval au galop, il a surgi de la vallée en quelques secondes. Ils sont à quelques mètres l’un de l’autre, tenus par la corde et pourtant ne se voient plus. Il ne reste que la parole, la voix, les cris, les hurlements. « Tu es où ? » « Je ne te vois plus ! ». Elle s’agite à l’autre bout de la corde, voudrait aller dans un autre sens, n’importe où, elle veut fuir, Joseph lui dit « Ne bouge pas ! », « Mon Dieu mais tu es où ? », répète « Ne bouge pas ! » hurle encore. Elle pleure. Elle hurle. Un voile blanc épais comme un drap qui recouvre tout en l’espace de quelques secondes même pas le temps d’attraper le bras de son mari mais il y a la corde, leur vie qui ne tient vraiment qu’à ce fil.


Édition Quai Voltaire La table Ronde, 467 pages, paru en 1950 et réédité en mars 2022 .

Traduit de l’anglais par Denise Van Moppes

C’est un livre qui a enchanté plusieurs d’entre vous, si vous me le signalez, je mettrai un lien vers vos blogs.

Pour une fois, je peux raconter la fin, sans m’attirer le moindre reproche, puisqu’elle fait l’objet du premier chapitre. Une maison transformée en hôtel, a été complètement ravagée par l’effondrement d’une falaise qui la surplombait à l’arrière. Le pasteur qui doit écrire une homélie à la mémoire des disparus nous annonce que, le récit de ce qu’il s’est passé dans cet hôtel, lui a été fait par les survivants. Le récit, qui s’étale sur une semaine, suit les différents occupants de cette maison-hôtel,(on dirait chambre d’hôtes aujourd’hui) jour après jour, jusqu’à la catastrophe finale.

Un petit tour des différents protagonistes acteurs de cette histoire :

Mr. et MRS Siddal et leurs quatre garçons., Mr. Siddal est le propriétaire de la maison mais n’a jamais voix au chapitre, il est relégué au second plan dort dans un placard à chaussures parce qu’il n’ouvre jamais son courrier, il portera une lourde responsabilité dans la catastrophe que, pourtant, les autorités lui avaient annoncée.
Mrs. Siddal veut absolument avoir assez d’argent pour envoyer son plus jeune fils dans une bonne université. Elle n’aime pas son aîné, Gerry, médecin qui semble le seul à vraiment l’aider.

Nancibel une jeune fille du village qui vient aider.

Fred un homme à tout faire légèrement débile.

Ellis la cuisinière femme de chambre, colporteuse de ragots, la méchanceté personnifiée

Lady Gifford son mari Sir Henry Gifford et leurs enfants. La femme se prétend malade et veut être servie uniquement dans sa chambre, elle a visiblement quelque chose à cacher. Son mari a de plus en plus de mal à la supporter, leurs enfants, l’ainée Hebe, enfant adoptée jouera un rôle important dans l’histoire, Caroline leur fille, Luke et Mikael adoptés également

Mr Paley et sa femme Christina. Ils ont perdu un enfants et se sont enfermés dans une tristesse sans fond.

Mrs Cove et ses trois filles, Blanche, Beatrix et Maud , cette femme horrible martyrise ses enfants et ne pense qu’à l’argent

Mrs Wraxton le chanoine irascible et odieux avec sa fille Evangeline

Bruce secrétaire et amant de la vieille écrivaine Mrs Anna Lechene une femme aux mœurs dépravés et qui jouera un bien vilain rôle dans cette histoire.

Le drame va se nouer autour des enfants Cove qui rêvent de faire partie de la bande des enfants Gifford, les trois filles ont failli périr noyées pour le plus grand soulagement de leur mère qui ne rêve que d’une chose s’en débarrasser. Pour les consoler Christine Parley sortant enfin de son deuil et aidée par Evangeline Wraxton, va organiser pour les pauvres petites un festin (d’où le titre) en haut des falaises . Tous les gentils (ou presque gentils) de l’histoire s’y retrouveront et assisteront à l’effondrement d’une partie de la falaise sur l’hôtel tuant d’un seul coup les plus horribles des protagonistes du drame. L’intrigue du roman est remplie d’anecdotes tragiques, la pire sans doute est celle qui concerne Hebe que l’écrivaine aide à s’enfuir pour aller dans une communauté avec un vieux pervers qui veut abuser de la petite fille en la saoulant tout d’abord. L’horrible Mrs. Cove cette femme sans cœur essaie de faire de l’argent avec tout sans aucun scrupule, elle a essayé de rouler la grand-mère de Nancibel en lui rachetant pour trois sous un objet qui aurait pu en valoir 2000. Mais cette fois c’est elle qui sera trompée, sur la valeur de l’objet.

J’ai lu sans déplaisir ce roman, mais je me souviens d’avis enthousiastes, je suis beaucoup plus mesurée. D’abord cela m’a profondément agacée que les femmes soient celles par lesquelles tous les malheurs arrivent. La méchanceté voire la cruauté est essentiellement féminine, Ellis là colporteuses de ragots agit par pure méchanceté sans qu’on comprenne bien pourquoi, Mrs Siddal favorise outrageusement un de ses enfants au dépend de celui qui semble le seul prêt à l’aider, Lady Gifford est malhonnête et fait le malheur de son mari et de ses enfants, l’écrivaine célèbre est dépravée mais la pire de toutes c’est bien sûr Mrs. Cove.

Pour équilibrer, il y a le chanoine qui est colérique et empêche Evangeline d’être heureuse, et Mr. Siddal qui est paresseux et négligent.
Comme tous les méchants resteront sous les tonnes de cailloux on peut se dire que l’histoire finit bien.
Je n’ai pas pu croire à aucun des personnages proposés dans cette histoire, sauf Nancibel, qui est la jeune fille la plus sensée de ce récit. Le style de l’auteure est vieillot tout est exposé dans des dialogues et des réflexions intérieures des personnages sans nuance. J’ai eu parfois eu l’impression de lire un roman pour adolescent dans la forme et dans l’absence de nuance pour décrire la méchanceté. Un aspect m’a bien intéressé : les réalités économiques de l’Angleterre à la sortie de la guerre 39/45. Mais ce n’est vraiment pas le cœur du roman.
Bref, je suis contente d’avoir sortie ce roman de mes étagères, mais j’ai regretté de n’avoir pas ressenti l’enthousiasme que j’avais lu dans vos billets.

 

Extraits

Début du prologue.

En septembre 1947, le révérend Gérald Seddon, de St Frideswide, Roméo s’en fut comme chaque année passer quelques semaines chez le révérend Samuel Bott, de St Sody, Cornouailles.
 C’étaient de vieux amis et leurs vacances ensemble constituaient leur plus grand plaisir. Car Bott, qui n’avait pas les moyens de s’absenter, s’accordait une espèce de congé pendant que Seddon était chez lui. Il troquait alors la soutane qu’il portait en tout autre temps contre un vieux contagnel et un chandail et il s’en allait observer les oiseaux sur les falaises. Le soir, ils jouaient aux échecs. 

Les Paley.

 Les Paley donnaient toujours cet impression de tragédie momentanément suspendue Ils prenaient chaque matin leur petit déjeuner dans un silence farouche et concentré, comme pour se préparer à soutenir quelque énorme effort au cours de la journée. Quelques instants après, on pouvait les voir traverser la plage portant des livres, des coussins, et un panier de pique-nique. Ils marchaient l’un derrière l’autre, Mr Paley en tête. Ils montaient le sentier de la colline et disparaissait sur le promontoire. À quatre heures,caprès s’être, comme le disait l’impertinent Duff Siddal, débarrassé du cadavre, ils rentraient, toujours l’un derrière l’autre, prendre le thé sur la terrasse. On avait peine à croire qu’ils n’avaient rien fait d’autre de la journée que lire et manger des sandwichs.

La gouvernante , l’horrible Ellis.

 – Bon. Quand vous aurez fini le salon, vous irez aider à la cuisine. je descends tout de suite. »
 Ce questionnaire se répétait tous les matins et son caractère offensant était très net. Il sous-entendait que Nancibel n’avait ni assez d’intelligence pour se rappeler l’emploi du temps quotidien, ni assez de conscience pour le suivre sans qu’on l’y obligeât. Cela s’appelait Être-après-cette-fille et constituait, selon miss Ellis, sa principale fonction une tâche qu’on ne pouvait accepter pour moins de quatre livres par semaine.

Richesse et pauvreté après la guerre .

 Dans le wagon, les autres voyageurs se sentaient solidaires de la veuve, et l’image que renvoyaient les Gifford ne risquaient pas de les faire changer d’avis. Ils paraissaient particulièrement bien nourris, et aucune famille ne pouvait être aussi impeccablement habillée grâce aux seuls coupons de rationnement. De toute évidence, ils faisaient partie de ces gens qui se ravitaillement au marché noir, portaient des bas de contrebande et ne faisaient aucun scrupule, en temps de pénurie de prendre plus que leur part.
(…)
 Les nouvelles occupantes ne respiraient ni les dents rées du marché noir ni les cartes de rationnement textiles achetées à quelques femmes de ménage dans le besoin. Elles avaient l’air d’une illustration de propagande pour la campagne « Sauvez l’Europe ». Tout en elles était maigre. Les trois fillettes étaient longues et pâles comme des plantes poussées dans l’obscurité. Elles avaient des dents en avant mais ne portaient pas d’appareil dentaire ; leurs yeux bleu clair étaient myopes, mais elles n’avaient pas de lunettes. On leur avait coupé les cheveux au bol, et leurs robes de coton râpé couvraient à peine leurs genoux osseux.

La championne des ragots : la gouvernante miss Ellis.

 « Un jour, promit miss Ellis, je dirai à la jeune Hebe Gifford d’où elle vient. Gifford ! Elle ne s’appelle pas plus Gifford que moi. Ils l’ont adoptée. C’est une bâtarde, l’enfant d’une bonne probablement. Et c’est moi qui vide ses pots de chambre ! »