Édition Pocket, 252 pages, décembre 2023

Voici un roman pour lequel je n’ai aucune réserve, il m’a permis de retrouver mon envie de transporter un livre partout avec moi, de grapiller tous les moments pour retrouver ma lecture là où, quelques instants auparavant, une activité quelconque m’avait obligée de le laisser.
Voici le fil narratif : Marwan est le frère jumeau d’Ali, les deux ainés de Foued. Ces trois garçons sont élevés par un couple de Marocains vivant à Clichy, leur père, Tarek, a un petit garage qui marche bien, et leur mère, qui sait à peine lire et écrire a réussi pourtant à avoir un petit emploi en France. Leurs parents élèvent bien leurs enfants et tous les trois réussissent leurs études. Ali est avocat, Marwan agrégé d’histoire et Foued encore à l’université.

Tarek meurt de crise cardiaque au premier chapitre, l’histoire peut commencer, à la grande surprise des enfants, leurs parents ont pris une assurance pour être enterrés au Maroc, eux qui se croyaient 100 pour cent arabe-français , ils vont devoir se découvrir français-marocain. Rien n’est gratuit dans l’intrigue, leur père avait tout prévu, ce n’est pas par hasard qu’il a choisi Marwan pour accompagner son cercueil en avion. Ses deux frères accompagneront leur mère en voiture. cela donne trois jours à Marwan, pour interroger Kabic qui l’accompagne car il est, le plus proche ami de la famille et visiblement, il sait tout sur le passé de son père.

Marwan vient de se faire larguer par Capucine, et cette rupture accompagne ce voyage dans le passé de sa famille. Marwan ne se souvient que d’une colère de son père, un jour Ali traitera son frère jumeau de « batard » , leur père, si doux d’habitude, laissera éclater une colère que seule sa femme réussira à calmer. Lorsque l’on referme ce livre , on comprend bien le pourquoi de cette énorme fureur.

Toute la tragédie, mais aussi la pulsion de vie de cette famille vient de la grand-mère, Mi Lalla. Tout le monde répète, qu’elle a été chassée de sa famille berbère d’une pauvreté extrême pour se retrouver à Casa, élevée dans la famille de Kabic. La vérité est autrement plus tragique.

Finalement, à la fin du roman Marwan comme ses deux frères, seront plus riches de leurs deux cultures, le Maroc leur a donné des racines et la force des liens familiaux , et la France la liberté d’être eux-mêmes loin des carcans qui emprisonnent les femmes et les rejettent quand elles ont le malheur d’être pauvres et violées par des hommes intouchables parce que très riches.

On découvre plusieurs aspects du Maroc, la présence des berbères avec leur langue et surtout la pauvreté dans laquelle les conditions climatiques réduisent ces populations nomades. La pratique chez la Marocains aisés d’avoir une fillette analphabète comme bonne à tout faire chez eux sans la payer, on n’est pas très loin d’une condition d’esclave, et la solidarité dans les quartiers pauvres entre populations de mêmes origines, et bien sûr la musique et la cuisine qui sont si caractéristiques du Maroc.

Un très beau roman qui fait découvrir le Maroc loin des images touristiques habituelles. Je me suis demandé comment les Marocains avaient reçu ce récit écrit par un « non marocain ».

 

Extraits

Début

Il a souvent fait ça : rentrer tard sans prévenir. Oh, il ne buvait pas et ma mère avait confiance, il travaillait. Il travaillait depuis trente ans, sans vacances et souvent sans dimanches. Au début c’était pour les raisons habituelles : un toit pour sa famille et du pain sur la table, puis après qu’Ali et moi avions quitté la maison, c’était pour ma mère et lui ; pour qu’ils puissent se le payer enfin ces vacances.

L’humour

À nous, les gosses, l’Aïd paraissait bien sanglant par rapport aux fêtes françaises ; celles que Sainte Laïcité à transformé en dessert – la galette des Rous, les crêpes de la chandeleur, les œufs de pâques, la bûche de Noël. Avec un régime pareil, comment aurions-nous pu nous sentir marocains ? La gourmandise est le plus grand des baptiseurs.

Une vision idéalisée (par le souvenir) ,de la misère.

 « On avait rien et quand on a rien, on joue au football à coups de pied dans une conserve vide et sous les cris de joie des copains. Une joie qu’on entendait jusqu’à l’océan. »

La honte de l’origine de son père.

Pourquoi ne l’ai-je jamais questionné sur son pays ? Je ne sais pas. J’avais honte ; de cette honte qui donne honte d’avoir honte. Comme lorsque je disais à mes camarades que ma mère était caissière alors qu’elle empilage des boîtes de conserve au supermarché. Mensonges minables de ceux qui ont vraiment honte.

Les femmes et la virginité.

 Dans une société où l’arrivée d’un fils est toujours fêtée et celle d’une fille est maudite, la virginité exerce une dictature à laquelle les femmes n’ont d’autre choix que de se soumettre. La tradition a la vie dure, et si le Coran recommande à tous l’abstinence jusqu’au mariage, celle-ci n’est imposée qu’aux femmes. Dans une paradoxale ironie, rester pure permet aux jeunes filles de manipuler le joug des hommes et de s’élever socialement même si, la plupart du temps leur père ou leur frère se chargeront de négocier leur virginité aux plus offrants. C’est la seule richesse qui ne se préoccupe ni de la naissance, ni de la fortune de celle qui la possède.

La pitié vue par des rescapés d’Auschwitz.

Ils savaient tous les deux que l’horreur dont ils sortaient à peine serait le ciment de leur résurrection. Qui d’autre pourrait comprendre ce qu’ils avaient traversé sans cet apitoiement dont ils ne voulaient surtout pas ? Et l’apitoiement a souvent vite fait de se transformer en justification pour minimiser la souffrance à coups de bien-sûr-c’est-effroyable-mais-ils-n’étaient-pas-les-seuls. Oh, pas pour atténuer l’insupportable, non, mais pour excuser les hommes et avec eux, notre propre humanité, pour occulter l’effroyable doute que, dans d’identiques circonstances, nous aurions nous aussi peut-être choisis le camp des tortionnaires.

 

 

25 Thoughts on “Ceux que je suis – Olivier DORCHAMPS

  1. J’avais retenu cet auteur avec Fuir l’Eden, qui me semble-t-il peut rentrer dans le cadre des lectures urbaines.. mais je ne l’ai toujours pas lu. A lire ton avis enthousiaste, c’est un tort !

  2. Tu es une grande tentatrice, quand tu aimes un roman !
    DE plus, j’avais beaucoup aimé Fuir d’Eden, du même auteur…

    • Quel plaisir de lire un livre qu’on n’a pas envie de déposer! Je me suis posé la même question que toi et je serais curieuse de savoir quel accueil ce roman a reçu au Maroc.

      • tu as donc lu ce livre toi aussi. Je ne note plus très bien les origines de mes tentations ! j’ai lu plusieurs auteurs d’origine marocaine qui ont un regard critique sur leur pays , mais c’est sans doute plus difficile à accepter d’un étranger , enfin je n’en sais rien.

    • je veux aussi lire « fuir d’Eden » il m’a beaucoup plu ce titre

  3. keisha on 16 septembre 2024 at 10:14 said:

    Là ma PAL va dire non! ^_^Même si tu es enthousiaste (5 coquillages)

    • je connais bien cette pile je suis en train de diminuer la mienne mais après mon anniversaire c’est un peu compliqué elle s’est alourdit de titres que je veux lire absolument.

  4. Je me lasse un peu des romans de retour au pays des parents avec secret de famille enfoui. Mais je note l’enthousiasme autour de Fuir l’Eden qui m’intéresse davantage.

    • je comprends bien le début de ton commentaire, oui les secrets de naissance ont donné tellement de romans, mais cela me fait penser à mes propres commentaires sur les romans polars : je dis souvent je lis peu de polars, ais quand il y a un plus dans le roman polar souvent je les lis avec grand intérêt . Pour moi ici il y a un plus : la misère dans le Maroc actuel surtout pour les femmes.

  5. Cet été j’ai relu à peu près tout Camus et les pages sur la Kabylie m’ont vraiment marqué je ne les connaissais pas du tout
    C’est l’Algérie certes mais je suis certaine qu’il y a une parenté entre ces peuples qui ont vécu des destins souvent difficiles où la famille tient une grande place mais où les origines viennent parfois réveillent de vieilles querelles

    • je pense que c’est grâce à toi que j’ai lu les articles de Camus sur la misère en Kabylie . là il s’agit vraiment de la misère aujourd’hui au Maroc et de la condition de la femme qui doit être commune aux deux pays.

  6. je ne connais pas l’auteur mais l’appel du Maroc est très fort…

  7. Pour découvrir le Maroc autrement, pourquoi pas. Mais j’aimerais avoir la réponse à ta question : comment les marocains eux-mêmes ont reçu ce roman ?

    • moi aussi, j’aimerais avoir cette réponse, car je sais que de ne pas avoir la légitimité de l’origine pour critiquer un pays rend l’accueil du livre plus compliqué

  8. Voilà bientôt un an que je suis retournée quelques jours en vacances au Maroc et depuis, je n’ai qu’une envie, c’est d’en savoir plus via la littérature. Les titres prometteurs, dont celui-ci, foisonnent…. Tout n’est qu’une question de temps !

  9. Je n’ai pas lu cet auteur, je note pour l’un ou l’autre titre. Ce serait intéressant aussi de savoir ce qui a incité l’auteur à écrire sur le sujet.

  10. J’avais, comme plusieurs, beaucoup aimé « Fuir l’eden »
    Tu m’encourages à relire l’auteur.

    • c’est sûr maintenant que je veux lire « fuir de l’Eden » et là sa double nationalité anglo-française doit rendre son livre trè sintéressant.

  11. ça donne envie de découvrir cet auteur !

  12. Bel enthousiasme, c’est noté.

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