Édition Philippe Ry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent

Deux énormes coups de cœur à suivre c’est rare et cela fait du bien !

Ce roman est absolument magique et très prenant. Il s’agit d’une histoire d’amour au sein d’une famille traditionnelle chrétienne de grands notables égyptiens. Tarek, fils d’un médecin reconnu du Caire, suit les traces de son père et obéit aux injonctions familiales en se mariant et en essayant de fonder une famille. Sa vie va être bouleversée par la rencontre d’Ali, un jeune prostitué musulman qui lui demande de soigner sa mère. Atteinte, on le comprendra petit à petit, d’une maladie dégénérative terrible, la maladie de Huntington. Un amour très fort unira les deux hommes, mais hélas, Ali disparait, et Tarek fuit au Canada. Il ignorait que sa propre femme était enceinte, il a un fils Rafik qui veut savoir, comprendre et connaître ce père dont personne ne lui parle dans sa propre famille.
La force du roman tient, bien sûr, à l’écriture absolument superbe et à la construction du récit. Dans la première partie nous suivons Tarek, on comprendra à la fin du roman l’utilisation du « tu » comme si Tarek se parlait à lui-même, on sent que ce personnage se cherche et on découvre tout le poids de l’Égypte, les notables, la misère et les traditions. Mais aussi la chaleur de cette famille qu’il va trahir en assumant d’abord sa sexualité puis en fuyant à l’autre bout du monde. Ensuite nous entendons, Farik son fils qui, par petites touches, essaye de comprendre cette histoire. Mais celle qui sait tout la mère de Tarek et grand mère de Farik, ne dit rien, elle sait trop de choses pour pouvoir parler. Heureusement, il y a la bonne Fateya, celle qui, par sa cuisine apporte de la douceur dans cette famille si raide, celle qui sait tout car elle écoute aux portes. Et enfin, nous saurons tout au sujet d’Ali qui a vraiment aimé Tarek, mais qui, s’il était resté près de lui entraînait toute cette famille dans l’opprobre du « quand dira-ton » égyptien qui fait qu’on peut utiliser les services d’un prostitué mais jamais au grand jamais avouer son homosexualité.

Un roman qui m’a emportée et j’espère que vous le lirez vous aussi

Extraits

Début.

Le Caire 1961
– Quelle voiture voudrais-tu plus tard ?
Il avait posé cette simple question, mais tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples.

La mort de son père.

 Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, et le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.

Le métier d’Ali.

 – Tu veux dire que toi… et lui… ?
 Il fit une moue faussement outrée.
– Tu crois que tu fais le seul métier où les gens acceptent qu’on les palpe ?
 Tu n’arrivais plus à contenir ton rire. L’image de ce magnat de coton craint dans tout pays et surpris par son amant au moment d’évoquer ces problèmes d’impuissance, était plus savoureuse que toutes les « nokats » égyptiennes que l’on avait pu te raconter.

La rumeur.

 Le bruit se répandit qu’un garçon de mauvaise vie t’assistait dans ta pratique médicale. Les gens aiment parler de « mauvaise vie  » : cela revient à dire en creux que la leur est irréprochable. Il est toujours commode de laver son âme au vice des autres. Tu n’aurais pas su dire les chemins que cette rumeur avait empruntés mais son origine était claire : elle portait la signature de d’Omar. Lui qui avait reconnu Ali dans ton cabinet quelques semaines au paravent connaissait bien cette règle élémentaire : qui n’est pas le chasseur devient rapidement la proie. Il avait donc tiré le premier coup

Ce que Tarek , médecin, sait de l’homosexualité.

 Tu ne savais pas grand chose de l’homosexualité. Il s’agissait pour les uns d’un motif de plaisanterie, pour les autres d’une perversion venue de l’Occident, mais rarement de thème dont on discute.

Un joli mot « déchagriner ».

 Tu faisais mine de t’attendrir de ses récits de jeune mère, d’avoir hâte de rencontrer celui qui partageait sa vie. Ce n’est pas tant que ses histoires t’importaient mais tu étais heureux de retrouver ta sœur d’entendre cette voix familière déchagriner son quotidien. Ce que vous vous disiez était finalement secondaire.

 

28 Thoughts on “Ce que je sais de toi – Éric CHACOUR

  1. keisha on 1 février 2024 at 08:21 said:

    Tu me fais vaciller, là, ce bouquin est à la bibli mais ça n m’attirait pas. Alors, 5 coquillages…

  2. Comme Keisha, je n’étais a-priori pas trop attirée mais tu es très convaincante.

  3. aaaahh je suis contente que tu aies apprécié aussi ! Malgré un début un peu déroutant, j’ai trouvé ce roman sublime, très touchant sans être mièvre. Pour un premier roman, quel talent !!

  4. Pas trop tentée non plus, mais ta manière de le présenter me fait hésiter maintenant.

    • Si tu reviens sur Luocine pour lire ma réponse, dis-moi ce qui t’a fait hésiter, s’il te plaît. Je sais que les sollicitations se multiplient mais ce livre est vraiment à part. Il y a une intrigue très bien menée avec une révélation dont je ne peux rien dire, et une qualité d’écriture très au dessus de la moyenne.

  5. Ha mais, je suis tentée, contrairement aux copines, je ne lis que de bons avis, et je l’ai réservé à la médiathèque ! (5 coquillages « seulement » ? depuis qu’il t’arrive d’en distribuer 10…)

    • les 10 coquillages étaient exceptionnels car il y avait deux coups de coeur dans un seul livre , on redescend sur terre mais c’est très bien aussi .

  6. Le thème ne me disait rien d’emblée. J’avais l’impression de rien de vraiment original. Ton billet le présente d’une manière que je n’avais pas encore rencontrée et qui me donne franchement envie.

  7. Une lecture que je n’ai pas terminé : j’aurais aimé en savoir plus sur la mère et l’enchainement des poncifs ont eu raison de ma patience.

    • j’ai vu votre avis sur Babelio, moi j’ai jamais rien lu sur la grande bourgeoisie du Caire, bien sûr l’homosexualité est un sujet souvent traité mais ici ce qui rend ce roman unique à mes yeux c’est le point de vue du fils qui veut découvrir son père alors que tout lui avait si soigneusement caché . Le secret du départ de l’amant est aussi une révélation qui m’a marquée . J’aimerais savoir quels poncifs vous ont tellement gênés.

  8. vu à pas mal d’endroit j’étais sceptique mais à te lire je crois que j’ai fait erreur
    je note même si je ne le lis pas immédiatement j’ai une longue liste qui m’attend

  9. Un beau roman que j’avais beaucoup aimé aussi. Plus encore que le thème de l’homosexualité vécue en secret en pays musulman, c’est le parcours du fils parti à la découverte de son père qui m’a le plus ému.

    • comme je suis d’accord, et surtout que l’on ne comprend qu’à partir de la deuxième partie. beaucoup de commentaires sur Babelio disait que le « tu » les avait agacé sans comprendre (selon moi) que c’était le fils qui cherchait à comprendre ce père cela explique bien le style du début

  10. Bonsoir Luocine, je le note, je le note. Quel enthousiasme! Je ne connais pas du tout l’écrivain mais le sujet pourrait me plaire et si c’est bien écrit… Bonne soirée.

    • le succès de ce livre vient de son écriture et (pour moi) à la découverte d’une société que je ne connaissais pas : les notables chrétiens en Egypte

  11. Comme keisha, pas trop tentée à la base, mais 5* et ce roman est aussi à la bib de St lu… Donc pourquoi pas ?!

  12. Là encore j’hésitais mais tu es très convaincante !
    Anne

  13. Beaucoup aimé aussi. La deuxième partie m’a scotchée. Et j’ai eu la chance de l’écouter la semaine dernière. Très humain.

  14. Bonjour Luocine, merci encore pour ce conseil car comme le Laure Murat, j’ai acheté ce roman et je ne l’ai pas regretté. L’histoire est en effet prenante et c’est très bien écrit. Deux très bons conseils. Bises. Bonne journée.

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