Éditions L’iconoclaste, 247 pages, Août 2022.
Voici l’épigraphe du roman : un proverbe russe que tant d’hommes de toutes nationalités font leur.
« S’il te bat, c’est qu’il t’aime. «
Ce livre a reçu un coup de cœur, l’an dernier à notre club de lecture, si je l’avais lu et participé au débat, j’aurais émis des réserves. Cette autrice s’est emparée d’un tragique fait divers qui s’est passé en Russie en 2018, les trois sœurs (d’où le titre) ; Krestina, Angelina et Maria ont assassiné leur père : tyran, violeur et tortionnaire : Mikhaïl Khatchatourian. Dans cet essai, l’auteure raconte aussi son cas personnel, elle a été victime âgée de 15 ans d’un professeur qui se disait fou amoureux d’elle et qui cherchait à ce qu’elle devienne sa maîtresse. Heureusement, elle en parlera à sa mère et cela n’ira pas plus loin, mais cette histoire aura un fort retentissement dans la personnalité de Laura Poggioli. C’est ce professeur qui lui donnera le goût de la Russie et du régime soviétique, ce qui fera qu’à 20 ans, elle ira dans ce pays et y sera d’abord très heureuse puis très malheureuse. Mais aussi à cause de ce professeur, elle aura longtemps des relations toxiques avec des hommes plus âgés, et qui explique peut-être sa relation avec Mitia le Russe dont elle tombera amoureuse. Il deviendra violent et méprisant mais elle restera avec lui jusqu’à ce qu’il la quitte finalement quand elle était revenue en France pour l’été. Son parcours occupe à peu près la moitié du roman, l’autre étant sa recherche sur la vie de martyres des trois sœurs. Voilà d’où vient ma réserve, je trouve le mélange dérangeant sauf son aventure avec un homme Russe qui montre que la violence domestique est monnaie courante , comme le dit ce proverbe qu’elle cite souvent :
« S’il te bat, c’est qu’il t’aime. «
En recherchant sur internet, je vois qu’en 2023 leur témoignage est paru, je pense que leur livre est certainement plus intéressant que ce roman : »Nous, les 3 sœurs : histoire d’un parricide » auteures : Katchatourian, Maria – Katchatourian, Angelina. – Katchatourian, Krestina.
Extraits
Début du roman.
Un soir d’été 2018,Chaussée AltoufieoIl n’est pas grand l’appartement. Un salon avec cuisine, deux chambres, une salle de bains, des toilettes. La tapisserie n’a plus de couleur. Jaune- marron, elle n’a pas été changée depuis les années Gorbachev, quand c’était encore un appartement communautaire. Les rideaux en voile accrochés à la baie vitrée du salon aux l’atteinte du ciel blanchâtre des jours d’automne, du ciel qui porte la neige avant de la laisser tout recouvrir de Moscou.
L’attitude des autorités.
» Biot – zanatchit lioubit- S’il te bat c’est qu’il t’aime », ce n’était donc pas seulement pour l’amoureux, ça valait aussi pour le père. Et surtout il fallait que cela reste calfeutré à la maison. C’était ce que semblait penser tous les fonctionnaires et députés russes qui insistaient régulièrement dans leurs prises de parole sur le fait que les histoires de violence domestique relevaient de problèmes familiaux privés, et devait se régler en famille, parce que si l’État s’en mêlait, y regardait de trop près, ça risquait de mettre en danger l’équilibre même des familles et l’existence des valeurs traditionnelles.
L’auteure raconte sa propre histoire avec un Russe violent : le phénomène de l’emprise
Mitia me volait, me mentait, me tapait et moi je restais. J’étais sûre qu’il allait changer, redevenir mon prince russe, mon ange blond, je ne pouvais pas m’être trompée. Ses insultes résonnaient, je les entendais, je les comprenais, mais elle n’avait pas le même impact sur moi que leurs équivalents français. Dans ma langue maternelle ces insultes auraient fait écho à des scènes de violence qu’on m’avait racontées dans ma famille, à d’autres que j’avais vues à la télé, et j’aurais eu honte de baisser les yeux de ne pas me révolter. En russe ces mots ne percutaient pas la même mémoire, ne me renvoyaient pas aux mêmes limites : je les comprenais mais je les mettais à distance, ils ne s’imprimaient pas dans mon cerveau, et je restais.
Paradoxe.
Malgré mon mal de crâne, je me souvenais que l’homme qui m’avait ramenée s’était arrêté plusieurs fois sans broncher pour que je puisse boire sur le bas côté. J’avais vingt ans, j’étais belle, j’étais française, j’étais ivre morte. Cet homme ne m’avait rien fait, il m’avait protégée, il m’avait raccompagné chez moi.Dans cette Russie où j’habitais alors, la sécurité que je ressentais dans l’espace public différait en tout point de la violence que je vivais de plus en plus souvent avec le garçon que j’aimais. On ne parlait pas de ce qui se passait au sein du foyer une fois les portes de l’appartement refermées, il existait une frontière étanche entre la sphère familiale où les violences étaient communes et l’espace public au sein duquel les femmes n’étaient que peu agressées.