Éditions La Manufacture de livres, 216 pages, Août 2019.

Ce livre est une lecture indispensable pour tous ceux qui, comme moi, ont des idées toutes faites sur la guerre d’Algérie . J’ai vécu dans une famille dans la quelle on pensait que les Algériens méritaient leur indépendance. On avait l’impression que les colons, ceux qu’on appelait « les pieds noirs » étaient des colons qui faisaient « suer le burnous . Albert Camus a été le premier à me faire comprendre que les français d’Algérie, n’étaient pas tous des riches colons. Mais les souvenirs de Thierry Crouzet à propos de son père m’a fait comprendre un autre aspect que j’avais occulté. J’ai gardé de cette guerre l’idée que l’armée française était vraiment peu glorieuse, des cadres alcooliques violeurs et surtout torturant sans aucun scrupule. Tout cela est vrai, mais là où ce livre m’a fait réfléchir c’est sur le rôle du gouvernement français de l’époque. Comment un soldat peut réagir quand le ministre de l’intérieur répète à tout va :  » L’Algérie c’est la France » et qui face à la résistance du FLN autorise officiellement la torture contre des militants du FLN. Cet homme, c’est François Mitterrand ! Le père de Thierry Crouzet sortira de cette guerre traumatisé parce qu’il a dû tuer, mais complètement dégouté par les hommes politiques qui l’ont envoyé faire ce sale boulot et qui ensuite ont complètement retourné leur veste.

Thierry a eu peur toute son enfance de cet homme, Jim, qui canalisait sa violence en s’adonnant à la chasse et à la pêche, après sa mort il a laissé une lettre que son fils a très peur de l’ouvrir. Remontant à la source de cette violence, on trouve la guerre et le le temps qu’il a passé à la frontière marocaine en Algérie pour empêcher les soldats du FLN de s’infiltrer avec des armes en Algérie. Il y est devenu tueur et n’oubliera jamais les horreurs qu’il y a vues . Il deviendra aussi raciste, car les Algériens n’étaient pas en reste quand des soldats français leur tombaient sous la main. Souvenir après souvenir, son fils comprend peu à peu que son père est victime d’un choc post traumatique qui n’a jamais été diagnostiqué. Il était donc capable d’accès de violence incontrôlés. Un jour, il a menacé sa mère et son fils de les tuer avec un fusil à la main. L’enfant ne dormira plus jamais tranquille. Il est certain de décevoir son père car il déteste la chasse et ne partage aucune de ses valeurs. Son père déteste tous ceux qui entravent sa liberté. Lors des attentats du 11 septembre sa haine contre les arabes remontent et il tient des propos d’un racisme insupportable pour son fils.

À travers, la tragédie de ce fils qui a peur d’être porteur lui aussi de la même violence que celle de son père, la guerre d’Algérie n’a jamais été aussi proche à mes yeux : plusieurs passages sont absolument insupportables. Le père et le fils n’ont jamais réussi à se retrouver mais ce livre lui rend justice et il m’a beaucoup touchée , d’autant que le style est simple et efficace .

 

En 2020 « Choup » a fait un billet et elle avait beaucoup aimé cette lecture.

Extraits

 

Début.

 Mon père était un tueur. À sa mort, il m’a laissé une lettre de tueur. Je n’ai pas encore le courage de l’ouvrir, de peur qu’elle m’explose à la figure. Il a déposé l’enveloppe dans le coffre où il rangeait ses armes ; des poignards, une grenade, un revolver d’ordonnance MAS 1874 ayant servi durant la guerre d’Espagne, une carabine à lunette, et surtout des fusils de chasse, des brownings pour la plupart, tous briqués, les siens comme ceux de son père, grand-père et arrière grand-père, une généalogie guerrière qui remonte au début du dix-neuvième siècle. Sur les crosses, il a visé des plaques de bronze avec le nom de ses ancêtres, leur date de naissance, de mort. Sur l’une, il a indiqué : « 1951 mon premier superposé, offert pour mes 15 ans ».

Les rapports père fils.

 Jim et moi ne parlions pas de nos émotions ou de nos préoccupations, de nos doutes ou de nos angoisses, de nos désirs ou de nos rêves. Depuis que je n’étais plus enfant et qu’il ne pouvait plus me punir en m’emmenant à la pêche ou à la chasse, nous ne faisions plus rien ensemble, sauf les après-midi juillet quand nous regardions le Tour de France. Durant les années où je travaillais à Paris, Jim me téléphonait pour me raconter la course. J’avais même fini par installer une télé dans mon bureau pour maintenir un lien avec lui.

Scène de chasse

(Son père est sur un bateau en train de pêcher et voit une laie avec deux petits dans l’eau.)
 Jim n’avait pas son fusil avec lui. Mais pas question qu’il laisse échapper les sangliers. Il a commencé par taper sur la tête de la laie à coups de rame. Elle vagissait, braillait, gargouillait, coulait et remontait pour respirer, ses pattes battant désespérément l’eau, pendant que ses petits s’enfuyaient. Jim frappait plus fort. Le sang aveuglait la laie, qui peu à peu manquait de force. Jim lui a passé une corde au cou et l’a attachée à un des tangons de la barque. Il a démarré son moteur, traînant sa prise derrière lui tout en poursuivant les deux marcassins. Il les a assommés avec la même fureur, les décapitant à moitié, puis, fier de sa victoire, il les a remorqués au port du village, accrochés à la suite de leur mère. Tout le monde le regardait. Il pavoisait. Durant des années, les témoins ont raconté son massacre : « Si nécessaire, il les aurait étranglés à mains nues. »
 Quand il est arrivé à la maison avec les cadavres, j’étais épouvanté. Il m’a dévisagé, défié du regard ivre de sang.

Les haines de son père.

 Des bureaucrates décident pour les autres de choses qu’ils ne connaissent pas. Depuis les premiers jours d’école, Jim les a toujours détestés. Et son aversion ne s’est jamais atténuée. Quand plus tard, alors qu’il sera à la retraite, les fonctionnaires de Bruxelles imposeront des quotas de pêche en Méditerranée, il n’en finira pas de les maudire. Il en voudra de la même façon aux écologistes des villes, ignorant tout de la nature. Il en voudra de la même façon à tous ceux qui n’ont pas navigué, qui n’ont pas rampé dans la poussière, qui n’ont pas passé des jours et des nuits tapis dans les gens à l’écoute du monde. Il en voudra à tous ceux qui font confiance aux chiffres. Il leur en voudra d’autant plus qu’il est capable de calculer plus vite qu’eux, et de fait il m’en voudra aussi car j’ai choisi la même voie qu’eux, celle d’un sédentaire qui use ses fesses sur une chaise, qui lit beaucoup et qui se croit autorisé à porter des jugements sur tout.

Mitterrand et la guerre d’Algérie

 Dire que le gouvernement a envoyé l’armée en Algérie pour maintenir la paix. Le slogan de François Mitterrand : » l’Algérie c’est la France. » Pas étonnant que Jim ait toujours détesté ce politicien. Il le méprisait et tous ceux qui ont voté pour lui lors des présidentielles de 981 et 1988. Moi, je ne comprenais pas cette haine, j’ignorais ce lien entre Mitterrand et l’Algérie. Pour les appelés sur le terrain tout était de sa faute. Il était ministre de l’intérieur quand il a autorisé la torture. Tous les moyens étaient bons pour celui qui plus tard se rachètera en faisant interdire la peine de mort.

Les conséquences de la guerre d’Algérie.

 Quelque chose c’est peut-être cassé au sens propre en Jim. Une fêlure jamais réparée, sinon par des bouts de sparadrap Les blessures les plus perverses ne se montrent pas.
Je m’en veux, je pensais que Jim devenait fou. Tout le travail que j’effectue aujourd’hui, j’aurais dû le faire quand il était en vie. J’aurais pu l’aider mais j’en étais incapable parce qu’il dispensait une énergie trop négative, qui me rendait malade moi aussi, et dont je devais me protéger, en gardant mes distances. Je l’ai laissé sombrer sourd à ses appels au secours .

 


Éditions Gallimard NRF, 146 pages, mars 2025.

Après avoir lu et apprécié, « le Mage du Kremlin« , je savais que je lirai cet essai dont j’entends parler un peu partout. Le jour où je rédige cet article je vois qu’il a déjà plus de 2500 lecteurs sur Babelio ! C’est donc un phénomène, je n’ai pas lu les critiques de Babelio mais j’en ai entendu quelques unes sur les ondes (je lirai les différents critiques après avoir écrit la mienne pour ne pas être trop influencée). Ce n’est certainement pas un aussi bon livre que le précédent, je suis bien d’accord. Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par les défauts : On a l’impression que l’auteur nous livre quelques moments de ses expériences en politique dans son pays et surtout à l’international. Ce sont de petits flashs sur des moments variés du monde qui nous dirige, il n’y a pas de liens entre eux, sauf à nous faire découvrir que nous sommes gouvernés par des hommes de piètre valeur et qui eux mêmes ont laissé le pouvoir aux puissants de la « Tech », qui à l’image d’Elon Musk sont capables de tout car ils n’ont aucun contre pouvoir. L’auteur nous donne l’impression de vouloir absolument nous dévoiler ce qu’il a vu, pour nous ouvrir définitivement les yeux, comme s’il voulait nous réveiller de notre torpeur bercée aux sirènes des réseaux sociaux et de l’IA.

Mais, car il y a évidemment un « mais » et des raison à autant de succès , certaines de ses idées sont de fulgurantes évidences et devraient effectivement nous alerter. Celle que je retiendrai définitivement, c’est de se rendre compte que toutes les civilisations se sont effondrées, lorsque cela coutait plus cher de se défendre que d’attaquer. Aujourd’hui les démocraties occidentales mettent des sommes sommes importantes dans leurs différents moyens de défense, mais nous sommes menacés par des régimes beaucoup plus pauvres qui peuvent nous détruire avec des moyens tellement moins chers.

Ensuite plusieurs passages m’ont passionnée, même si c’est un peu décousu : la soi-disant gentillesse et amabilité du dirigeant de l’Arabie Saoudite : Mohammed Ben Salmane désigné par ses initiales MBS, la façon dont il a organisé une purge à son arrivée au pouvoir, et dont il a fait assassiner et dépecer le journaliste Kamal Khashoggi , en dit long sur le personnage devant lequel , les dirigeants des démocraties se prosternent .

J’ai beaucoup aimé aussi son analyse sur l’ère Obama et les différentes dérives des démocrates américains.

Mais le plus intéressant c’est évidemment l’analyse même si elle est succincte de la prise de pouvoir par les hommes de la « tech » à travers l’IA .
Certes ce n’est pas le livre du siècle mais il est facile à comprendre et il en dit tant sur notre monde et notre capacité à mettre à la tête de nos pays des gens totalement incapables, la prime revient aux USA avec leur Trump adulé par plus de 50 % de la population américaine. Pour moi il faut lire ce livre, ne serait-ce que pour en discuter.

Extraits.

 

Début.

 Quand les premières nouvelles du débarquement d’Hermán Cortés parvinrent à la capitale de l’Empire aztèque, Moctezuma II convoqua immédiatement ses plus proches conseillers. Quelle attitude adopter face à ces visiteurs inattendus arrivés d’on ne sait où à bord de curieuses citées flottantes ?
 Certains estimèrent qu’il fallait repousser les intrus sur le champ. Il n’aurait pas difficiles pour les troupes impériales de venir à bout de quelques centaines d’impudents qui avaient osé pénétrer sur les terres de la Triple Alliance sans y être invités. « Oui, mais » dirent les autres. D’après les premiers rapports sur les étrangers, ceux-ci semblaient dotés de pouvoirs surnaturels : ils étaient entièrement recouverts de métal, contre lequel se cognaient les fléchettes les plus acérées.

L’homme politique .

 Cela dit, en politique, il n’y a pas que la chute qui soit douloureuse : la vérité est qu’on souffre tout le temps. Il faut être fait pour ça. Comme ses poissons abyssaux, habitués à survivre sous la pression de milliers de tonnes d’eau de mer. 
 Prenez cet homme à la mine un peu hésitante à tabler dans la salle à manger des délégations, au quatrième étage du palais de verre à l’occasion d’un repas offert par la France en l’honneur de la Communauté du pacte de Paris pour les peuples et la planète. Il s’agit du nouveau premier ministre britannique, Keir Starmer : après les extravagances de Boris Johnson et le court mandat du premier chef de gouvernement britannique non blanc de l’histoire, voici cet avocat londonien, sexagénaire, grisonnant, poli, souriant, qui rappelle la phrase sur Louis Philippe  » Il marche dans la rue, il a un parapluie. »
 On ne peut pas dire qu’il ait eu des débuts faciles. Des gaffes, des émeutes, des coupes budgétaires et même un scandale à propos de ses lunettes qui lui aurait été offertes par un généreux donateur Résultat : deux mois après son triomphe électoral le Premier ministre britannique était au plus bas dans les sondages. Le fait est, quoi qu’en disent les populistes, que la politique est un métier parmi les plus difficile. Une activité qui expose en permanence au risque de se ridiculiser, de passer pour un imbécile surtout quand on ne l’est pas.

 

Le chef d’état des USA.

 Aujourd’hui nos démocraties paraissent encore solides. Mais nul ne peut douter que le plus dur est à venir. Le nouveau président américain a pris la tête d’un cortège bariolé d’autocrates décomplexés, de conquistadors de la tech, de réactionnaires et de complotistes impatients d’en découdre. Une ère de violence sans limites s’ouvre en face de nous et, comme au temps de Léonard (de Vinci) les défenseurs de la liberté paraissent singulièrement mal préparés à la tâche qui les attend. 

Le pouvoir.

Goethe raconte l’histoire de ce vieux duc de Saxe, original et obstiné, que l’on pressait de réfléchir de considérer, avant de prendre une décision importante.  » Je ne veux ni réfléchir ni considérer, aurait-il répondu, sinon pourquoi serais-je duc de Saxe ? »

Intelligence et politique.

Trump n’est au fond que l’énième illustration de l’un des principes immuables de la politique, que n’importe qui peut constater : il n’y a pratiquement aucune relation entre la puissance intellectuelle et l’intelligence politique. Le monde est rempli de personnes très intelligentes, même parmi les spécialistes, les politologues et les experts, qui ne comprennent absolument rien à la politique, alors qu’un analphabète fonctionnel comme Trump peut atteindre une forme de génie dans sa capacité à résonner avec l’esprit du temps.
 Que d’entrepreneurs richissimes, de technocrates globaux, d’intellectuels et de prix Nobel a-t-on vus s’infliger des humiliations cuisantes en essayant de transposer leurs triomphes professionnels dans l’arène politique.

 


Éditions Marchialy, 331 pages, août 2024

Traduit de l’anglais par Julie Sibony

 

Le lecteur ouvre le livre sur une carte impressionnante où l’on peut voir les 350 vols commis par Stéphane Breitwieser entre 1994 et 2001 en France, en Allemagne, en Belgique et en Suisse.

L’auteur analyse avec une grande minutie la psychologie de ce voleur et de sa complice, leur originalité tient au fait qu’ils n’ont jamais revendu une seule œuvre, ils les ont juste exposées dans leur chambre au grenier de la maison de sa mère. J’ai détesté ce livre, à cause du personnage Breitwieser et j’ai du mal à en donner une opinion objective. (Mais, après tout, ce blog est le reflet de mes humeurs). Une de mes activités préférées, est de me promener dans de petits musées de province où, souvent, j’ai la surprise de découvrir, un tableau, une petite statue, un bel objet qui me font du bien quand je les regarde. Certes, je le sais ces petits musées avec peu de moyens sont faciles à cambrioler, c’était encore plus évident dans les petites églises de Bretagne qui offrent souvent aux visiteurs un statuaire dont la naïveté et la beauté m’enchantaient. J’emploie le passé car des abrutis comme ce voleur font que maintenant toutes les églises sont fermées et il y a donc des heures d’ouverture souvent peu pratiques. Ce qui a provoqué ma colère contre cet homme, c’est la justification qu’il donne pour expliquer ses vols  : pour bien profiter d’une œuvre, il a besoin de la regarder de près, autant de temps, qu’il le désire, de la toucher et de se réveiller chaque matin en la contemplant. Mais justement, c’est le but des musées : permettre au plus grand nombre, dont moi de pouvoir profiter d’œuvres qui, avant la révolution française, étaient uniquement dans les châteaux des nobles ou dans des demeures des grands bourgeois. Il a fallu une révolution pour que « le bas peuple » dont je fais partie puisse lui aussi profiter de la contemplation d’œuvres d’art.

Et … cette mère totalement abrutie qui a jeté ces chef-d’œuvre dans la Meuse et brûlé les petits tableaux que plus personne ne pourra contempler, juste pour disculper son fils chéri, cela me dégoûte .

Pour faire ma photo, j’ai recherché le genre d’objets que ce voleur mettait si facilement dans sa poche, ils n’ont rien de précieux mais je détesterais qu’on les vole car un voleur saurait mieux les apprécier que moi ! Je crois que je pardonne plus à celui qui veut se faire de l’argent, je ressens une humiliation aux motivations énoncées par Stéphane Breitwieser.

L’auteur éprouve une certaine admiration pour l’habileté de ce voleur sans jamais rendre sympathique le personnage, mais moi, depuis que j’ai refermé ce livre, je ressens une colère qui ne se calme pas.

Extraits

Début

 Alors qu’il s’approche du musée prêt à se mettre en chasse Stéphanie Breitwieser attrape la main de sa petite amie, Anne-Catherine Kleinklaus, et, ensemble, ils se dirigent tranquillement vers l’accueil, disent bonjour, un charmant petit couple. Après avoir payé deux entrées en liquide, ils commencent leur visite.

Le « gentleman » cambrioleur.

 Ce n’est pas comme ça que travaille Breitwieser. Si dépravé que puisse être la morale d’un criminel, découper ou casser délibérément un tableau devrait toujours être immoral. Un cadre, bien entendu, peut rendre une œuvre difficile à manier et donc à voler. Par conséquent, après avoir décroché un tableau du mur. Breitwieser le retourne et défait soigneusement au dos les attaches ou les clous afin de le séparer de son cadre, qu’il abandonne sur place. S’il n’a pas le temps pour une telle délicatesse, il préfère renoncer, et même s’il a le temps, il est conscient que l’œuvre désormais aussi vulnérable qu’un nouveau né, doit être protégé contre tout risque d’égratignure, de gondolage, de pliure, et contre la poussière. 
 Les cambrioleurs du Gardner, du point de vue de Breitwieser sont des sauvages : ils ont vandalisé gratuitement des œuvres de Rembrandt. « Rembrandt ». Virtuose de l’émission humaine et de la lumière divine (…. ) Comme la majorité des voleurs d’art, les cambrioleurs du Gardner n’avait en réalité aucun goût pour l’art. Ils n’ont fait qu’enlaidir le monde.

L’analyse de la personnalité de Breitwieser.

 Il n’est pas cleptomane. Même si le syndrome de Stendhal était une maladie reconnue, cela ne nous éclairerait guère sur ses crimes : de tous les cas recensés par la psychiatrie italienne qui a nommé le syndrome, aucun n’impliquait le vol d’œuvres d’art. Tout porte à croire que Breitwieser est atteint d’un grave trouble psychologique, une forme de folie criminelle. Anne-Catherine et lui ont commis des vols trois semaines sur quatre pendant six mois au bas mot, ce qui est insensé, et Breitwieser assure que ce rythme lui paraît naturel et parfaitement tenable, ce qui est encore plus. Peut-être qu’il pourrait être traité et guéri.
 Non répond le psychothérapeute Michel Schmitt il n’y a aucune psychose criminelle à traiter ni à guérir.

 

Éditions Champs histoire Flammarion, 323 pages ou 389 avec les notes, mars 2021

traduit de l’anglais (États-Unis) par Tilman Chazal .

 

J’ai oublié sur quel blog, j’avais remarqué ce titre, j’ai tout de suite pensé à ma sœur historienne qui lit beaucoup sur les deux dernières guerres mondiales. C’est un livre terrible car il raconte un épisode peu traité du nazisme : le sort des enfants handicapés.

Voilà le blog où j’ai noté ce livre : Mon biblioblog.

Je crois qu’après avoir lu ce livre, tous ceux qui parlent d’un enfant « Asperger » hésiteront à utiliser ce nom, car ce livre cerne au plus près la contribution de ce médecin autrichien au syndrome de l’autisme mais surtout à son rôle dans l’horrible institut du Spiegelgrund de Vienne , où les enfants handicapés étaient les cobayes d’expériences médicales et ensuite euthanasiés sans aucun scrupule dans le but de purifier la société.

L’auteur décrit très précisément pourquoi Vienne joue un rôle très particulier dans cette politique nazie. Et hélas, cela vient de la période de l’entre deux guerre où Vienne était la ville phare pour la recherche psychiatrique et psychanalyste grâce à Sigmund Freud. Des médecins très sensibles au sort des enfants ont organisé une évaluation des enfants en difficulté pour les aider à surmonter leurs problèmes. Ils ont essayer de repérer les familles d’où ils venaient. Lorsque tous les médecins, juifs pour la plupart, ont été écartés et que les idées du nazisme ont envahi l’Autriche puis quand le pays est devenu à son tour un régime nazi, les médecins dont Asperger avaient à leur disposition tout un dispositif prêt pour éliminer tous les enfants déviants.

Asperger ne travaille pas au Spiegelgrund et il saura très bien utiliser cet argument après la guerre pour prendre la position d’un anti nazi qui a essayé de sauver des enfants, alors que le travail sérieux de cette journaliste montre qu’il a envoyé à une mort certaine au moins 40 enfants.

Elle montre aussi que pour Asperger, seul les garçons peuvent être autiste, les filles sont juste hystériques et sont plus facilement conduites à la mort que les garçons. La façon dont cet homme a échappé au jugement après la guerre est vraiment injuste, mais il est vrai que ces pauvres enfants même rescapés de ces terribles institutions sont bien incapables d’expliquer ce qu’ils ont subi.

Ce livre est terrible et les souffrances des enfants sont absolument insupportables. J’ai eu du mal à lire certains passages et mon moral en a pris un coup, et il a fallu tellement de temps pour rouvrir ces dossiers qui avaient été bien enterrés. Les médecins qui n’ont pas directement assassiné des enfants ont continué à mener de très belles carrières dont ce triste sir pseudo scientifique : Asperger.

Ce n’est vraiment pas un livre facile à lire, car il s’agit d’un travail sérieux d’historienne et parfois j’aurais aimé un peu plus de rapidité dans l’analyse des faits. Mais la démonstration d’Édith Sheffer est implacable, justement grâce au sérieux de son travail.

Extraits

 

Quand une préface ne m’aide pas à comprendre

« …attirées tels des hétérogènes par une obreptice gloire. »

Dans l’introduction.

Asperger n’est ni un ardent partisan ni un farouche adversaire du régime. Il figure parmi tous ceux qui se sont rendus complices, il fait partie de cette majorité perdue de la population qui, tour à tour se conforme à la domination nazie, l’approuve, la craint, la banalise, la rejette pour finir par se réconcilier avec elle. Étant donné cette versatilité, il est d’autant plus frappant que les actes cumulés de millions de personnes agissant pour des raisons individuelles dans des circonstances particulières aient contribué à un régime aussi profondément monstrueux.

Début .

 Hans Asperger pensait avoir une compréhension unique du cerveau des enfants, ainsi qu’une réelle vocation à modeler leur caractère.Il voulait définir ce qu’il appelait l' »essence la plus profonde » des mineurs. Sa fille dira de lui qu’il se comparait souvent à Lyncée, le gardien de la tour dans le « Faust » de Goethe, qui chante seule la nuit tout en surveillant les alentours :
 Né pour voir
 Chargés d’observer,
Voué à cette tour
J’aime ce monde.
 À l’instar du gardien de Goethe, Hans Asperger évalue le monde depuis son service pédiatrique. 

Exercice de mathématiques sous le régime Nazi.

 « Un idiot en institution coûte environ quatre reichsmarks par jour. Combien cela coûterait il de le prendre en charge pendant quarante ans ?
Une autre question était plus directe :
 « Pourquoi vaudrait-il mieux que cet enfant ne soit jamais né ? »

Comment une volonté de s’occuper d’enfants difficiles porte en elle les germes des théories nazies .

 Le service dirigé par Lazar comportait tout à la fois des aspects libéraux et autoritaires. Il chercha à améliorer la prise en charge des enfants, mais, ce faisant il contribua involontairement à l’essor d’un système qui finira par contrôler et condamner les enfants « asociaux ».
 La terminologie de Lazar suivait les tendances en vigueur concernant le développement de l’enfant dans l’entre-deux-guerres, et associait jugements médicaux et sociaux. L’eugénisme offrit un prisme biologique pour expliquer l’organisation sociale et infiltra de multiples façons les pratiques viennoises de la protection sociale, depuis le test de dépistage psychologique jusqu’à la stérilisation 

Le sort des enfants handicapés.

 Une inspection menée en 1940 auprès de 1137 enfants jugea problématique la situation de 62 % d’entre eux, parmi lesquels certains avaient des « pieds complètement plats » (huit enfants), témoignaient d’une « faiblesse d’esprit héréditaire » (vingt-quatre enfants) ou avaient un « père alcoolique » (trois enfants).
 Ce catalogue des mineurs allait bientôt être mis à profit par le programme de mise à mort d’enfants qui démarra à l’institution viennoise du Spiegelgrund à la fin du mois d’août 1940, un mois seulement après la fin du mandat d’Asperger au service du Conseil motorisé. Sur l’ensemble des dossiers médicaux de Spiegelgrund, on estime que plus d’un cinquième des enfants avaient été ayant été tués – 22 % – venaient de la région du bas Danube qui comprenait la zone couverte par le programme de Hamburger.

Les fonctions d’Asperger dans l’Autriche Nazie.

 Le 1er octobre 1940, Asperger resserre ses liens avec l’État nazi, puisqu’il postule à la fonction d’experts médicales auprès de l’office de santé publique de Vienne, l’agence centrale du Reich qui évaluait pour le régime la valeur des individus et en fixait le destin. Asperger avec déjà commencé à travailler pour le gouvernement nazi dès après l’Anschluss – via le système judiciaire des mineurs et les écoles de redressement -, et son service était devenu un rouage important des opérations gouvernementales. Le 7 août 1940, le  » Neues Wiener Tagblatt » fait l’éloge de son service de pédagogie curative qu’il qualifie d' »organisme consultatif » pour la ville de Vienne, où les enfants en sont soignés en « très étroites coopération avec l’ensemble du département municipal des affaires sociales ». 

Bilan terrible.

Considéré dans son ensemble, l’histoire complète d’Asperger, de l’autisme et de Vienne révèle une trajectoire tragique. La génération des célèbres psychanalystes et psychiatres contemporains de Sigmund Freud enfanta l’une des générations d’enfants les plus surveillés contrôlés et persécutés de l’histoire. Les travailleurs sociaux de Vienne dans l’entre-deux-guerres établirent un système de protection social réputé qui aboutit à la destruction des enfants dont il avait la charge. Les éléments sombres de la psychiatrie et de la protection sociale viennoises passèrent r au premier plan, de sorte que de nouvelles normes créèrent sur le III° Reich un régime du diagnostic dans lequel la définition d’un nombre croissant de mesures invasives.
 Cette prophétie auto-réalisatrice se traduisit pour certains enfants par une intense remédiation et pour d’autre part l’extermination.

 

 


Éditions Buchet-Castel, 234 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je sais que j’ai lu un ou deux billets qui étaient élogieux à propos de ce roman-essai, en particulier chez Sandrine . Je le dis d’emblée, je lui attribue un très grand coup de cœur. Et pourtant … j’en ai lu des romans sur la guerre 39/45 ! Et même sur ce sujet particulier, « les malgré nous », j’ai aussi beaucoup lu d’articles et d’essais.

Mais ce roman est unique, aussi bien pour la forme que pour le fond. Pour une fois la quatrième de couverture qui parle de la construction d’un puzzle de la part de Joël Egloff pour nous faire comprendre la vie de sa famille de Moselle pendant cette guerre, est exacte. Chaque pièce de ce puzzle permet de construire l’histoire de sa famille, en particulier de son père enrôlé dans l’armée allemande, tellement bouleversée par la grande Histoire. Celle qui a fait que cette région, française jusqu’en 1870, sera allemande jusqu’en 1918, puis de nouveau française jusqu’en 1941, allemande jusqu’en 1945 et française jusqu’à aujourd’hui.

L’auteur le dit plusieurs fois, les habitants se sentent souvent menacés et puisent leur force dans les liens familiaux et leur langue le « platt » qui ressemble à l’allemand sans en être tout à fait. L’engagement de son père dans l’armée allemande s’est joué à quelques mois près, il a en effet 13 ans au début de la guerre mais en 1943, il en a 16 et les allemands ont perdu tellement d’hommes qu’ils recrutent des soldats de plus en plus jeunes. Son fils cherche à comprendre pourquoi il ne s’est pas caché mais les exemples de familles déportées parce que leurs fils ont refusé de s’engager ont dû peser lourd dans la balance de la décision de son père.

Pour le style, l’auteur s’adresse à son père dans un dialogue qui inclut le lecteur sans aucun problème mais cela donne une impression de proximité incroyable, et puis il y a cet humour sarcastique, que j’avais trouvé dans le petit roman « l’étourdissement » , cela fait, parfois, du bien quand la réalité est trop dure. Et, évidemment, l’époque ne manque pas de cruauté. J’ai beaucoup apprécié la grande sensibilité avec laquelle l’auteur parle de tous les membres de sa famille.

Extraits

Début.

 Je voudrais retrouver cette lettre. Elle doit être quelque part dans la maison, c’est sûr. Où pourrait-elle être sinon ?
 Je l’ai eu entre les mains, pourtant, cela fait des années et c’est moi qui l’ai rangée, je ne sais où. Elle était à la cave, auparavant, dans une vieille boîte à chaussures sans couvercle au-dessus de l’armoire à conserves. C’est là qu’elle se trouvait depuis trop longtemps, livrée aux araignées. Je l’avais lue, puis l’avait remontée à l’étage pour la mettre à l’abri de la poussière.

La guerre.

 Trois guerres en moins d’un siècle. La même sinistre partie en trois manches. On en a vu défiler des soldats par ici. Au pas, ou en boitant, le torse bombé ou les pieds devant, plus ou moins fiers, plus ou moins vaillants, selon le sens dans lequel ils marchaient. Et des uniformes, de toutes les couleurs. Des bleu et rouge, des bleu- gris, des gris, des verts, des vert-de-gris. Et puis des noirs, aussi.

La souffrance et le travail.

 Il souffre de sa plaie, mais ce dont il souffre plus encore, en voyant ceux qui s’affairent, c’est de se sentir inutile. Cela lui coûte d’autant plus qu’on ne regarde pas quelqu’un qui travaille en restant là sans rien faire. Je le sais parce que tu me l’as dit, et si tu me l’as dit, c’est que ton père lui-même te le disait aussi, et qu’il tenait de son père, qui le tenait du sien. C’est pour ainsi dire une des lois de la famille. On ne reste pas les mains dans les poches à regarder quelqu’un qui travaille. Il faut aider, autant que possible, et prendre sa part d’effort toujours.

Les réfugiés et la langue.

 Le chemin longe un terril, sur les pentes duquel sont assis trois adolescents qui les surplombent et les observent. Soudain ils se mettent à les traiter de « Boches » puis ils s’enfuient. Alors mon grand-père et d’autres hommes du groupe se lancent à leurs trousses.
 Personne ne sait précisément d’où vous venez. Personne ne comprend vraiment qui vous êtes. Et vous-même le comprenez vous ?

La guerre à nouveau(et humour).

 Et voici le joli mois de mai, ses avions et leurs chapelets de bombes. Ils annoncent que l’ennemi est là, qu’il a contourné les murailles, qu’il a traversé les Ardennes qu’on disait infranchissables. Encore une fois, c’est la même porte qu’il force mais l’effet de surprise est intact. Il faut croire qu’on est bon public.

Chez soi.

« Chez vous », c’est là où sont nés vos parents et les parents de vos parents. « Chez vous », ce n’est ni l’Allemagne ni tout à fait la France. C’est à la fois plus simple et plus compliqué. « Chez vous » c’est là où vous serez en sécurité. Du moins vous le pensez. C’est votre maison, votre jardin, votre village, et votre clocher, ce sont les voisins d’en face et ceux d’à côté, ce sont les mines où vous vous épuisez, ce sont vos champs et vos bêtes cette vieille poutre en chêne qui vous sert de banc les soirs d’été Et par-dessus tout, « Chez vous », c’est votre langue, le « platt », que l’on parle ici depuis des siècles. Voilà votre refuge, votre véritable identité.

Munich aujourd’hui.

 Pourtant, de temps à autre la guerre balbutie encore. Sur le chantier, on a trouvé un stock de munitions que les démineurs ont fait sauter. Ici où là, la terre régurgite encore de vieilles bombes, des obus périmés. À l’autre bout de la ville, près de la gare l’an passé, sur un autre chantier, une bombe a explosé, faisant quatre blessés, comme une bombe à retardement avec un minuteur réglé sur soixante dix huit ans.
 La guerre est patiente, elle sait attendre et ne dort que d’un œil. Elle se tient toujours prête. Pour peu qu’on vienne l’asticoter au bout des dents d’une pelleteuse, la chatouiller de la pointe du marteau piqueur, pour peu qu’on vienne la réveiller, elle ne demande alors qu’à sauter dans ses bottes.

Humour sarcastique.

 On dit souvent des combats qu’ils sont rudes, âpres ou acharnés. Jamais rien de très original.
 D’aucune bataille, je n’ai entendu dire que les combats étaient animés mais sont restés cordiaux. Ainsi, à Wiener Neustadt, tout particulièrement parce que la seule motivation, maintenant, pour bon nombre d’entre vous, c’est de ne pas tomber aux mains des Russes. On ne se bat jamais mieux que lorsqu’il s’agit de sauver sa peau.

 


Édition Grasset, 264 pages, septembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

« Coupable à titre collectif, innocent à titre individuel »

J’ai vraiment hésité à choisir ce livre au programme de lecture de mon club de février 2025. Dans les derniers chapitres, l’auteur exprime parfaitement mon mouvement de recul :

« Et d’abord mes gens « n’en peuvent plus » de tous ces livres sur les nazis. »

Si vous avez le même recul que moi , sachez que cet auteur a su vaincre mes réticences. Contrairement à lui, je n’ai pas lu les mémoires d’Albert Speer, et donc je n’ai jamais été sous le charme de cet homme qui a réussi à se construire sa propre légende. Oui, il était le favori d’Hitler, oui, il a admiré cet homme plus que tout, oui, il a été son ministre de l’armement , et oui, donc, il est responsable du génocide des juifs comme tous les Nazis , mais « individuellement » il ne savait pas et n’a pas participé à leur extermination, explique-t-il ! et on l’a cru !

L’auteur cerne au plus près cette personnalité, cet architecte qui a su faire du National-Socialisme un spectacle à couper le souffle. Albert Speer est flatté d’être compris et apprécié par Hitler qui avant la guerre est, en privé, un homme « doux, respectueux » et avec qui il est heureux de partager son goût pour l’architecture grandiose. Speer semble mal supporter le petit cercle d’intimes d’Hitler, il juge ces hommes grossiers et pas à la hauteur de l’idéal de l’homme Aryen. Mais ce sont des propos écrits bien après les faits.

Il reconnaît avoir été antisémite, mais « comme tout le monde » à son époque, il a été aussi un partisan de la guerre car il était certain que son génial Führer les entraînerait vers la victoire. Il dit s’être séparé de lui lorsque Hitler lui a demandé de faire table rase de toutes les infrastructures allemandes pendant l’avancé des troupes alliées en 1944/1945. C’est ce qui le sauvera de la pendaison au procès de Nuremberg.

Il sera condamné à 20 ans de prison, période pendant laquelle il écrira ses mémoire « Au cœur du troisième Reich ». Et c’est là qu’il construit sa légende « responsable et coupable parce que Nazi mais pas coupable individuellement ».

Une historienne d’origine juive autrichienne et anglaise, Gitta Sereny essaiera de casser ce mythe et se confrontera à Albert Speer, mais celui-ci ayant déjà construit sa propre légende, elle aura bien du mal à lui faire dire la vérité sur sa participation à l’extermination des juifs. On sent alors que l’auteur est terriblement agacé par celui qu’il appelle « la star » et qui est devenu riche grâce à ses droits d’auteur : Hitler l’a donc enrichit une deuxième fois !

Enfin, dans la dernière partie, l’auteur intervient dans son récit et réfléchit sur ce ce que veut dire écrire une biographie surtout de quelqu’un qui a déjà écrit sa propre autobiographie. Albert Speer, a su séduire tant de gens : un pasteur, un rabbin et même Simon Wiesenthal et surtout tous ceux qui voulaient s’intéresser au Reich, lui semblait toujours le mieux placé, pour parler d’Hitler donc cette biographie consiste essentiellement à détruire le roman que Speer a construit autour de sa propre personnalité.
Jean-Noël Orengo termine son travail ainsi :

Il ( c’est Albert Speer qui parle) constate que c’est Karl Maria Hettlage, son subalterne SS au bureau des constructions de Berlin, qui a mis le doigt sur la véritable nature de leur lien, quand au sortir d’une réunion, il lui déclare : «  Savez-vous ce que vous êtes ? Vous êtes l’amour malheureux d’Hitler. »
Et il confesse à l’historienne combien il s’est heureux d’entendre ça.

J’étais heureux, lui dit-il. Bon Dieu, qu’est ce que j’étais heureux !

Vous êtes senti flatté ?

Flatté ? Flatté ? Mais non ! Ivre de joie !

 

 

Extraits

Début

Juillet 1933, Munich
La première fois que l’architecte voit le Führer, il le trouve concentré à sa table, nettoyant un pistolet. Adolphe Hitler – le Führer, le guide – pousse les pièces détachées de l’arme et dit à Albert Speer -l’architecte, l’artiste- de poser les esquisses sur l’espace vacant. Il s’agit d’un projet concernant le premier congrès du parti national-socialiste depuis son accession au pouvoir, et qui doit se tenir à Nuremberg an août prochain. Une mise en scène, avec estrade, lumières, gradins. Pour l’architecte, c’est sa première commande d’envergure.

Le pistolet d’ Hitler : ce livre n’est-il qu’un livre de plus sur le Nazisme ?

Un des soldats rouges à dû s’emparer de l’objet déjà relique, déjà nimbé d’une patine malsaine et légendaire pour cette raison. Il y a quantité d’articles traitant de la question sur le Net. Avec la pornographie le nazisme génère un nombre incalculable de requêtes sur les moteurs de recherche. C’est là, dans cet abysse d’articles plus ou moins savants, que les internats passionnés de la Seconde Guerre mondiale et du III° Reich évoquent l’hypothèse du Walthet PPK.

Faire partie des intimes du pouvoir.

Avec le déjeuner, l’architecte entre dans le cercle des intimes du Führer. C’est une expression magique pour ses membres. Être choisi pour évoluer à ses côtés. C’est un phénomène commun à toutes les figures du pouvoir. L’architecte le sait, il n’est pas un néophyte. À son niveau, il l’a déjà vécu à l’Université technique de Berlin auprès de Tessenow, toutes ces manœuvres pour obtenir un poste, écarter les autres candidats. Intégrer le cercle des intimes d’un président, d’un chevalier d’industrie, d’un Führer, paraît obéir aux mêmes intrigues. Déférence, obséquiosité, flagornerie, soumission, crainte, tension pour séduire, toujours, séduire occupent la gamme sentimentale des courtisans. Dans les aparté d’un conseil d’administration d’une grande entreprise ou d’une faculté prestigieuse, devant les maîtres, on rampe, on s’élève ou on chute de la même manière que dans les antichambre d’une dictature. Auprès du guide, cette banalité du pouvoir est amplifiée au-delà de toute mesure. Les proportions différent et les conséquences morales aussi. Le guide parle et ses intimes se ruent dans la surenchère et la compétition pour traduire, chacun de leur côté, en ordre écrits ce qui est le plus souvent énoncé à l’oral.

La supériorité des Germains ?

 

Himmler adore ça, il finance un nombre incalculable de recherches dans tous les domaines, et l’archéologie le rend fou d’espoir. Il veut prouver que les Germains sont à l’origine du monde civilisé, prouver qu’ils ont inspiré les Égyptiens, les Grecs, les Romains, les Incas, les Chinois, les Japonais. Alors, il fait gratter le sol de la mère patrie en quête du moindre artefact Germain, il invite la presse dès qu’un bout de silex ou une poterie est extraite de la boue allemande, il s’extasie devant la présence de la croix gammée un peu partout sur la planète. Ce sont des objets assez minables et communs que les SS mettent au jour, tout le monde en convient, mais Himmler est si heureux que personne n’a le courage de casser son enthousiasme.

Speer et le génocide.

Cet article d’un survivant de la Shoah, spécialiste d’Himmler et des SS, avait presque tout saccagé. Jusqu’à sa publication, la star avait réussi à se façonner cette figure morale assumant la culpabilité entière du national-socialisme génocidaire en tant qu’un de ses dirigeants les plus notables, bien qu’il n’ait jamais participé aux crimes directement ni même été au courant. Presque un don de sou, un don sublime au peuple allemand et un acte chevaleresque aux yeux des victimes. Socialement et financièrement, il avait aussi remonté la pente.

Point de vue de l’écrivain.

Un autre type de livre m’est apparu possible. En considérant Albert Speer non plus seulement comme l’auteur de Mémoires falsificateurs, mais de l’autofiction esthétique et politique la plus radicale jamais écrite, j’avais trouvé un fil conducteur, et une dramaturgie progressive : l’émergence d’un mensonge extraordinaire et d’une guerre totale entre la Fiction et la Vérité.

 


Éditions MIKRÓS Littérature, 229 pages, mai 2024

Traduit de l’arabe (Égypte) par Marie Charton.

 

Sagesse d’une de ses tantes :

Les hommes, tu vois, c’est comme les tambours : ils sont vides de l’intérieur et il faut les frapper pour en tirer un son.

Quel humour ! Je vous promets quelques éclats de rire et une plongée dans la civilisation égyptienne que vous n’oublierez pas. Cette autrice tenait un blog où elle racontait ses déboires amoureux, le succès de son blog l’a amenée à en faire un livre traduit avec un grand succès en Europe et aux USA.

Elle a la plume d’une femme jeune et lucide qui ose se moquer de tous les travers de son pays. Une si grande liberté de ton, fait vraiment plaisir à lire dans un pays profondément musulman. Tout son problème vient de ce que, comme beaucoup de femmes de son pays, elle a bien réussi ses études et gagne bien sa vie, contrairement aux prétendants qui se présentent chez elle pour se fiancer. Elle dit que le problème vient de ce que les garçons sont souvent élevés comme des petits princes à qui on n’impose rien et ont donc un niveau d’études beaucoup moins élevé que celui des femmes. La description de la condition de la femme égyptienne, même si elle est racontée sur un ton humoristique, est certainement réaliste et profondément triste.

Le défilé des prétendants est très drôle, cela va du commissaire de police, qui a déjà établi des fiches de police sur toute sa famille , et qui fait peur à tout le monde, au croyant qui arrive avec soi-disant ses deux sœurs qui en fait sont ses deux femmes, en passant le candidat « presque » parfait qui revient d’Angleterre mais qui ne dit pas qu’il s’est marié à Londres, sa mère prétend que c’est un mariage blanc mais sa femme anglaise attend un bébé ….

Mais ce défilé ne raconte pas grand chose du talent avec lequel écrit cette autrice . J’espère vous en faire profiter à travers ces extraits :

 

Extraits

Début.

Allez-y, dites « Bismillah » et suivez moi pas à pas. Mais d’abord, mettons-nous d’accord sur le fait que parler du mariage, des « prétendants  » ou du recul de l’âge du mariage est très délicat en Égypte. Vous aurez beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui s’exprime librement sur la question. Et surtout parmi les filles qui ne sont pas mariées. Parce que, pour les gens, une fille qui en parle est soit mal éduquée et vulgaire, soit pressée de se marier. Ou alors, trop âgée pour trouver quelqu’un qui veuille l’épouser. 

La féminité .

Dites-moi : on est censé la trouver où, cette « féminité » dont ils parlent ? Ma mère, elle est toute la journée dans sa cuisine. Notre voisine, tante Souheir, passe son temps à laver et à étendre du linge. Quant à tante Amal, elle est occupée jour et nuit à hurler sur tante Souheir à cause du linge qui goutte sur son balcon – et aussi sur son fils parce qu’il joue dans la rue au lieu de faire ses devoirs de math.

Journée de la femme Égyptienne.

Elle se lève le matin, prépare le petit-déjeuner, habille les enfants, les fait manger puis fait manger son mari. Elle part ensuite courir les rues : amener à l’école les enfants qui sont en âge, puis ceux qui sont trop petits chez leur grand-mère. Ensuite elle court au travail, arrive en retard et se prend une pénalité. Ensuite elle sort du boulot, va chercher la moitié des enfants à l’école et l’autre moitié chez sa mère, fait un crochet par le marché pour acheter les légumes, rentre à la maison en traînant derrière elle les enfants- quand ce n’est pas le contraire. Ensuite elle change les enfants, commence à cuisiner puis, une fois le repas prêt, elle doit le servir ; après avoir servi, elle doit faire la vaisselle puis préparer le thé et regarde s’il y a du linge à laver ou un endroit à nettoyer. Après avoir fini, elle s’occupe des enfants : elle en fait réviser un, gronde le deuxième parce qu’il a frappé sa sœur, hurle sur le troisième qui laisse traîner ses cahier et s’entête à vouloir dessiner sur le mur. Après ce marathon quotidien, le « bey » , dont les seules responsabilités dans la vie sont d’aller au travail, d’en revenir, de manger et de boire, rentre du café, regarde sa femme qui a trimé toute ka journée et lui balance :
 » C’est une dégaine avec laquelle accueillir son mari franchement ? Tu peux pas être plus souriante et t’habiller mieux que ça ? T’as rien à faire de la journée… »
Après ça, il s’étonne que sa femme lui ouvre le crâne à coups de pilon !

Est ce vrai qu’en Égypte ?

Il existe un autre principe : »pourquoi travailler plus quand on peut travailler moins ? » qui est très répandu chez les fonctionnaires et chez les joueurs de Zamalek .


Édition Coin de la Rue, 247 pages, septembre 2024

Régis Delanoë, trouve au décès de sa grand-mère, Augustine, des cahiers dans lesquels elle a raconté sa vie. L’auteur confronte les souvenirs d’Augustine avec la réalité telle qu’il peut la voir aujourd’hui, et il a utilisé le talent de Joëlle Bocel pour illustré son roman. Le pays breton d’où vient cette femme est assez peu raconté : elle vient d’Yffiniac dans la baie de Saint-Brieuc en plein pays Gallo. Sa famille au début du 20° siècle était suffisamment riche pour ne s’exiler ni dans une grande ville de la province , ni à Paris, ni au Canada ni aux USA. Comme tous les paysans de cette époque, ils assurent leur survie et travaillent comme des fous. La guerre 14/18 a été un premier choc terrible, toutes les familles avaient un fils, un père, un frère un oncle à pleurer. Augustine était une élève brillante, mais il n’est pas question qu’elle puisse faire autre chose que venir aider ses parents. Cela la marquera car lorsqu’elle aura ses enfants avec un homme qu’elle aimera beaucoup, ils les élèveront en respectant leurs choix d’études. La partie la plus importante c’est la modernisation de l’agriculture. Ils se lancent dans l’élevage intensif du porc et deviennent riches, mais évidemment, contribuent aussi à la tragédie des algues vertes qui souillent les côtes bretonnes aujourd’hui encore, et les produits qu’ils utiliseront pour les animaux et les cultures sans aucune protection seront sans doute responsable du cancer rare et très agressif du mari d’Augustine.

C’est un texte intéressant sans être passionnant. On voit à quel point la religion est importante même si l’église est souvent source d’injustice rien n’a ébranlé sa foi . Pour ceux qui ne connaissent pas la Bretagne et son agriculture, ce témoignage leur apprendra plus qu’à moi qui connaît bien cette région. Mais j’ai bien aimée cette Augustine et le regard de son petit fils plein d’amour et de respect pour celle qui l’a élevé.

 

Extraits

Début du premier chapitre.

 Toute la vie d’Augustine est donc là, dans ces trois cahiers posés sur mon bureau. L’un bleu, un autre beige, le dernier orange. Autour de moi sont entreposés toutes les boîtes contenant ses affaires. Sur un mur, j’accroche un grand panneau de Liège sur lequel je punaise des éléments les plus marquants retraçant son siècle de vie. Des noms, des dates et des photos, une frise chronologique, une carte IGN, des lettres… Autant de documents à confronter au terrain, à différents témoignages et aux archives que je compte dénicher. Voilà qui ressemble presque à une enquête policière

La Bretagne et l’exil.

Au début du XX° siècle, les trois-quarts des Bretons étaient des ruraux, contre la moitié à l’échelle nationale. La région était surpeuplée et touchée par une crise économique sévère, amorcée dans les années 1880 et qui poussait une partie des habitants à l’exil. Fuyez pauvre gens ! Rejoignez la ville, Rennes, Paris. Fuyez même en Amérique. Fuyez cette société archaïque et servile, quasiment médiévale, au service de notables qui profitent de la misère pour s’enrichir Fuyez ce monde cloisonné, renfermé, replié. Au recensement national de 1911, les Côtes-du-Nord figuraient tout en haut du classement de l’émigration.

Éducation dans les années 1930 extrait d’un livre d’olivier Galland .

« Le statut de l’enfance et de la jeunesse à bien changé. Longtemps, il fallait apprendre à l’enfant à accepter, dès son plus jeune âge, les contraintes qu’il ne manquera pas de subir lorsqu’il accédera au statut d’adulte. L’enfance ne préparait pas tant à la liberté et à l’autonomie mais à l’acceptation d’une condition donnée à l’avance.  » inutile de bercer d’illusions les enfants. Ils devaient très vite comprendre et admettre leur fonction utilitaire : paysans, ouvrier, ménagère, journalier. Puis quand venait leur tour, à eux de faire des enfants.
Déterminisme et reproduction sociale.

La mort et le deuil

Mes parents m’ont dit  » « Ta grand mère est morte, tu ne la verras plus jamais. On va la mettre dans la terre et les vers la mangeront. »
(…)
Dans tous les cas nous étions habillés de noir. Les hommes portaient un brassard noir le femmes de grandes capes avec capuchon. Puis pendant plusieurs mois, elles devaient rabattre sur le visage un voile de crêpe noir. Lorsque j’eus mon premier manteau à sept ans, c’était aussi un noir, en prévision de la mort de ma grand-mère que l’on jugeait proche. Mais elle est morte plus d’un an après.

L’essor agricole en Bretagne

Sans limite ni contrôle, le Bretagne se laissa gagner par ce dopage agricole aux résultats immédiats et spectaculaires. Entre les années 1960 et 1970, les fermés bretonnes multiplièrent par deux leur surface cultivée, par trois leurs achats de matériel agricole, par trois aussi les tonnes de porcs élevés, et même par quatre les hectolitres de lait produits. Il fallait faire grand et gros.

Édition Héloïse d’Ormesson, 358 pages, octobre 2023

 

je propose ce livre dans les feuilles allemandes, même si l’auteure est australienne le sujet est bien l’Allemagne : la RDA

 

Dès que vous, mes tentatrices, mettrez un commentaire je mettrai un lien vers votre billet. Quel livre et quelle horreur ! ! Oui il faut lire ce livre même si, parfois, il faut prendre son courage à deux mains. On peut se consoler en se disant que cet horrible régime a été soutenu par plus de 75 % de la population. Mais avant de lire mon billet écoutez la voie de Charlie Weber qui lui est mort dans les geôles de la Stasi en 1980 :

Dans ce pays

Je me suis écœure de silence

Dans ce pays 

Je me suis égaré, perdu

Dans ce pays

Je me suis tapi pour voir

Le sort qui m’attendait

Dans ce pays

Je me suis retenu

De ne pas hurler

  • – Mais j’ai fini par hurler, si fort

Que ce pays m’a répondu

En gueulant avec la même laideur

Que les maison qu’il bâtit 

Dans ce pays

Seule ma tête dépasse

De terre, comme un défi

Mais elle se fera tondre un jour.

C’est alors, et enfin, que je ferai partie 

De ce pays.

 

Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Anna Funder à enquêter sur la Stasi, mais son travail est remarquable et m’a sortie de ma torpeur sur ce sujet. Oui, je savais que la RDA était un état policier, et que la Stasi espionnait tout le monde, mais je n’avais aucune idée et sans doute ne voulais-je pas le savoir à quel point cela impactait la vie des habitants. Ma plus grande surprise a été de découvrir le nombre de gens qui ont travaillé pour la Stasi . Les raisons pour lesquelles autant de gens travaillaient pour ce service de police et d’espionnage sont à la fois incroyables et faciles à comprendre. Une partie des recrues de la Stasi travaillaient par conviction communiste  : rien ne leur semblait pire que le capitalisme de RFA, d’autres étaient tenues par la peur : la Stasi savait très bien exercer des chantages qui marchaient le plus souvent, et enfin d’autres se sentaient importants en connaissant de petits secrets que d’autres ne savaient pas !

L’auteure a d’abord découvert l’histoire de Myriam Weber la femme de Charlie, à 16 ans elle a essayé de fuir à l’ouest , et elle a été attrapée puis torturée. La torture la plus répandue était de priver de sommeil la personne pendant parfois plusieurs jours, il semble que personne ne résiste à cette torture. Elle est ensuite envoyée en prison pour dix huit mois. Elle a été totalement détruite moralement et c’est son mari Charlie Weber qui l’a aidée à se reconstruire. Mais lui aussi sera arrêté et il mourra en prison. C’est à partir de là qu’Anna Funder a voulu découvrir comment fonctionnait la Stasi et elle a eu l’idée de passer une petite annonce pour rencontrer des anciens de la Stasi. Et, elle en a rencontré qui n’ont pas hésité à lui expliquer comment ils recrutaient, comment ils espionnaient, comment ils tenaient les gens en leur pouvoir. Certains regrettent cette période où leur pays marchait droit et où la délinquance n’existait pas. Tous ont tourné la page et sont passé à autre chose, aucun n’exprime de regrets.
C’est une lecture éprouvante mais nécessaire, les rares personnes qui sont restée dignes dans ce pays l’ont payé très cher , mais comme le chanteur de rock dont le groupe a été dissous préfère ne pas avoir pu chanter pendant 17 ans plutôt que de s’être renié : quel courage !

C’est vraiment intéressant d’avoir à la fois le point de vue des victimes et celui des bourreaux qui se sentent d’autant moins coupables qu’ils ont tous trouvé des postes intéressants. En effet connaissant parfaitement les habitants de la RDA (et pour cause !) , ils ont pu servir d’intermédiaires entre les entreprise allemande de l’ancienne RFA qui cherchaient à recruter une main d’œuvre dans l’ancienne RDA. Vous serez peut-être surpris du nombre de passages que j’ai recopiés mais Luocine, me sert aussi à ne pas oublier les livres qui me marquent et dans ce cas j’essaie vraiment de tout retenir ou du moins de savoir où je peux retrouver ce que je veux expliquer.

 

Et donc merci à Keisha, Ingannmic, Sacha, et Eva

Extraits.

 

Début .

 J’ai la gueule de bois. Dans la gare bondée d’Alexander-Platz, je dirige mon corps comme un véhicule. Plusieurs fois je n’évalue pas bien ma largeur et heurte une poubelle ou une borne publicitaire. Demain les bleus se développeront sur ma peau, comme une photo à partir d’un négatif.

Des employés de bureau surchargés de travail !

 L’adjoint de Scheller, Uwe Schmidt, était aussi présent à notre entrevue. La première fonction d’Uwe en tant qu’adjoint, est de montrer que Sheller est assez important pour nécessiter un adjoint. Sa seconde fonction est de paraître toujours très occupé et bousculé, ce qui est nettement plus difficile puisqu’il n’a pratiquement rien à faire. Sceller et Uwe sont tous deux originaires de l’ouest.

Prison communiste .

 Deux gardes, des femmes l’y attendaient. C’était le baptême de bienvenue. 
 C’est le seul moment où elle a eu peur de mourir. L’eau de la baignoire était froide, une garde la tenait par les pieds, l’autre par les cheveux. Elles lui ont longuement tenu la tête sous l’eau, puis l’ont ressortie par les cheveux en l’insultant bruyamment. Et elles ont recommencé. Totalement impuissante, elle ne pouvait plus respirer. Elles l’ont remontée : « Petite merdeuse ! Saleté ! qu’une traîtresse et une salope. » Et l’ont replongée. En remontant, l’air qu’elle respirait était lourd d’injures. Elle a bien cru qu’elles allaient la tuer. 
 La voix de Myriam s’est tendue, elle est bouleversée et je n’ose plus la regarder. En la tabassant ces femmes lui ont peut-être causé des dégâts de irrémédiables.

Triste Ironie !

 On m’a montré un jour une liste de sujets de dissertation provenant de la Faculté de droit de la Stasi à Postdam. J’y ai trouvé de mémorables contributions à l’avancée de la connaissance universelle telle que : « Sur les causes probables de la pathologie psychologique du désir de commettre des infractions frontalières ». Il était impossible de se défendre contre l’ État, car les avocats de la défense et tous les juges travaillaient pour lui.

Location dans l’ex Berlin-Est et humour.

 Dans ces circonstances comment en vouloir à Julia d’avoir gardé les clefs et de revenir à sa vieille vie de temps en temps ? Je m’accommode de chaque disparition inattendue : le tapis de bain en caoutchouc, la machine à café et maintenant les caisses en plastique. Je m’habitue à une atmosphère de plus en plus épurée. J’ai tracé un chemin dépoussiéré sur le linot qui va de la cuisine au bureau et de la salle de bains au lit.
 Dans le hall d’entrée, en passant devant l’emplacement où était la bibliothèque, je n’ai plus qu’un seul sentiment : celui de baigner dans le lino. Le lino a envahi ma vie. Je peux en compter cinq types différents dans l’appartement et ils sont tous sans exception, marron. Certes, il y a des nuances : marron foncé dans le hall ; moucheté dans ma chambre  ; lino peut-être à l’origine d’une couleur différente dans l’autre chambre, mais qui a succombé au règlement intérieur ; marron beige dans la cuisine et, mon préféré, lino imitation parquet dans le séjour.

Nombre de délateurs.

 Après la chute du mur les médias allemands en qualifié l’Allemagne de l’Est « le plus étroitement surveillé de tous les temps ». La Stasi, sur la fin comptait 97 000 employés – plus qu’il n’en fallait pour surveiller un pays de dix-sept millions de personnes. Mais elle disposait aussi de plus de 173 000 indicateurs dissimulés dans la population. Sous le troisième Reich d’hiver, on estime qu’une personne sur 2000 était un agent de la Gestapo dans, l’URSS de Staline une sur 5830 était agent du KGB. En RDA une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi si l’on compte les indicateurs occasionnels certains estiment que la proportion peut atteindre une personne sur 6,5. Pour Miellé, tout dissident était un ennemi, et plus il rencontrait d’ennemis, plus il embauchant d’indicateurs et de personnel pour les mater.

En 1988, la Stasi avait prévu d’arrêter 85 939 habitants (Petit moment d’humour).

 On prévoyait aussi de distribuer à chaque prisonnier, lors de son arrestation une liste d’effets à emporter :
2p. de chaussettes
2 serviettes
2 mouchoirs
2 sous-vêtements 
1 lainage
1 brossé à dents et dentifrice 
1 kit de cirage
Femmes :
Prévoir en plus des serviettes hygiéniques
 Incarcérés sans savoir pourquoi ni pour combien de temps, les prisonniers avaient au moins la certitude d’avoir des chaussures cirées, les dents blanches et un slip propre.

Un membre de la Stasi qui espère le retour du communisme .

 » Le capitalisme pille la planète -ce trou dans la couche d’ozone, l’exploitation des forêts, la pollution- nous devons nous débarrasser de ce système social ! Sinon la race humaine n’a plus qu’une cinquantaine d’années devant elle. « 
 C’est tout un art, profondément politique, de s’emparer de l’actualité et d’en attribuer la responsabilité à vous-même ou à votre opposition, orientant constamment la réalité vers des conclusions complètement inappropriées. Le discours de mon interlocuteur illustre bien ce fait : le socialisme en tant qu’article de foi, continue à vivre dans les esprits et les cœurs, sans se soucier des épreuves douloureuses de l’histoire. Cet homme est déguisé en Allemand de l’Ouest pour mieux se fondre dans le monde où il vit, mais plus il parle, plus il est clair qu’il attend secret le second avènement du socialisme.

La réalité et la RDA.

 En RDA on exigeait des gens qui les acceptent tout un tas de fictions comme la réalité. Certaines de ces notions étaient fondamentales, par exemple l’idée que la nature humaine est un chantier que l’on peut sans cesse améliorer, par l’intermédiaire du communisme. D’autres fictions étaient plus spécifiques : les Allemands de l’Est n’était pas les Allemands responsables de l’Holocauste (même partiellement) ; la RDA était une démocratie pluraliste ; le socialisme était pacifique ; il n’y avait aucun ancien nazi dans le pays ; et, sous le socialisme la prostitution n’existait pas.
 Beaucoup de gens se retirèrent dans ce qu’on qualifia d' »immigration intérieure ». Ils protégèrent leur vie privée, secrète, pour essayer de préserver leur espace personnel face au pouvoir.

L’architecture communiste.

 D’ici à Vladivostok, voici la contribution du communisme à l’art de la construction : linoléum, ciment gris, amiante, béton préfabriqué et toujours et encore des couloirs interminables et des pièces polyvalentes. Et derrière chaque porte, tout était possible : interrogatoire, emprisonnement, examen, administration, abri nucléaire ou, dans ce cas précis propagande.

Dans ce livre on va d’horreur en horreur.

 

 J’ai lu quelques articles sur le décès de Pannach dernièrement. Il est mort d’un cancer très rare, tout comme Jürgen Fuchs et Rudolf Bahro deux écrivains dissidents. Tous les trois avaient été incarcérés dans les prisons de la Stasi à peu près au même moment. Quand des appareils d’irradiation furent retrouvés dans une de ces prisons le Bureau des dossiers de la Stasi se mis à enquêter sur l’éventuelle irradiation de dissidents. Ce qu’elle découvrit choqua un peuple pourtant habitué aux mauvaises nouvelles.
La Stasi avait irradié des personnes et des objets qu’elle voulait traquer. Elle avait mis au point toute une série d’objets radioactifs, comme par exemple des épingles irradiées qu’elle pouvait glisser dans des vêtements, des aimants radioactifs à placer sur les voitures ou des granulés radioactifs injectées dans les pneus. Elle avait produit des aérosols pour les officiers et de la Stasi : ils s’approchaient de certaines personnes dans la foule pour les pulvériser ou ils vaporisaient secrètement le sol de leur foyer pour que les suspects laissent des traces radioactives ou qu’ils aillent…..

Pourquoi devenait on indicateur ?

 « De quels avantages bénéficiaient les indicateurs ? »
je veux savoir combien ils étaient payés.
 » C’était dérisoire, en réalité admet Bock. Ils touchaient trois fois rien. Il devait se réunir avec leur contact toutes les semaines sans être rémunérés. Ils percevaient de temps en temps un peu d’argent en récompense, s’ils fournissaient une information spécifique. Et on leur offrait aussi parfois un cadeau d’anniversaire.
– Dans ce cas, pourquoi acceptaient-ils de le faire ?
– Eh bien certains par conviction. Mais dans la majorité des cas je pense qu’ils le faisaient pour avoir l’impression de devenir « quelqu’un » . Vous savez on passait une ou deux heures par semaine à les écouter en prenant des notes. Ça leur donnait un sentiment de supériorité.

 Le côté charnel des autres dictatures, comme en Amérique latine par exemple, on leur donne à mon avis quelque chose de plus chaleureux et de plus humain. On peut plus facilement comprendre l’attrait des valises débordant d’argent ou de drogue, des femmes, des armes ou du sang. Mais ces hommes gris et obéissants qui rencontraient des indicateurs sous payés toutes les semaines, me semble encore plus sinistres et bêtes. Visiblement l’acte de trahison fournit sa propre gratification : la petite satisfaction profondément humaine de savoir des choses que les autres ignorent, d’être supérieurs à eux … un peu ce que ressent la maîtresse d’un homme. Le régime se servait de cette psychologie comme d’un carburant.

 

 

 

 

 

 


Édition Folio, 280 pages, (et une centaine de pages de notes) , août 2022, paru la première fois, en 2019, au Éditions Gallimard

Les derniers mots de cet essai sont, pour moi, comme un clin d’œil complice :
 Écrit à Saint-Énogat
Cent ans plus tard
Entre le jusant et le flot.
Je dois cette lecture à un de vos blogs (et à mon anniversaire cadeau de mon fils)et j’espère à mon tour donner envie de lire cet essai. En 1919, le jury Goncourt se réunit deux écrivains sont pressentis pour recevoir le prix : Roland Dorgelès pour « Les croix de bois » et Marcel Proust pour « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » . 1919, la grande guerre est à peine terminée , et tout le monde pense que le prix récompensera Roland Dorgelès ce valeureux ancien combattant qui a su si bien rendre l’esprit patriotique et l’horreur de la guerre. Mais à la surprise générale Proust l’emporte, l’éditeur de Dorgelès en est si furieux qu’il mettra ceci sur la couverture des « Croix de bois » « Prix Goncourt – 4 voix sur 10 » .
Se déchaîne alors une cabale incroyable, Thierry Laget, analyse d’abord les les obstacles au succès de Proust, les raisons de son succès et les conséquences . Je ne savais pas qu’au départ les Frères Goncourt, avait décidé de couronner une jeune écrivain . Proust a alors 48 ans. La guerre est si proche que l’opinion publique reprochera au jury de couronner un « planqué ». La somme non négligeable 5000 francs était dans l’esprit de beaucoup destiné à récompenser un écrivain pauvre, ce que n’était pas Proust.
Mais toutes ces raisons ne sont rien par rapport à la personnalité de cet auteur, considéré comme un dandy superficiel, fréquentant uniquement les salons pour rencontrer les gens de la noblesse, son homosexualité qu’il avait pris grand soin de cacher ne plaide pas en sa faveur, évidemment.. Et que dire de son style « illisible » pour tant de gens.
S’il a eu ce prix, c’est qu’en 1913, juste avant la guerre Proust n’a pas pu présenter « un amour de Swann » et que certainement le jury du Goncourt a deviné plus que vraiment compris que Proust était un auteur d’un grand talent littéraire. Un des membres du jury, Léon Daudet, mettra toute son énergie pour que le roman de Proust soit récompensé.
Les conséquences de ce choix seront incroyables, à lire certaines diatribes contre Proust on se rend compte que les réseaux sociaux n’ont rien inventé. C’était si facile de se moquer de cet homme qui n’était que politesse, raffinement et de plus déjà très malade, il ne pouvait guère répondre à ses détracteurs qui le plus souvent n’ont pas lu son oeuvre. Thierry Laget dit qu’il faudra attendre 1959 pour que l’opinion publique se retourne enfin complètement.
Et aujourd’hui ! ! tout le monde reconnaît enfin son talent, on le lit, on l’apprécie, et on peut comprendre son humour, la finesse de ses analyses sociologiques, et surtout son apport si original pour comprendre comment fonctionne la mémoire.
Comme tant d’autres parmi vous, j’aime cet auteur depuis longtemps, je trouve parfois que c’est un peu long à relire, mais je ne m’y ennuie jamais car j’y retrouve toujours de nouveaux détails. Cet essai m’a intéressée car je n’avais pas imaginé à quel point il avait pu être raillé de son vivant. Le jury, de cette année là, a eu du courage et de la clairvoyance. Quand on voit la liste des illustres inconnus qui ont reçu ce prix avant lui , Marcel Proust est le seul que la postérité a retenu. Lire cet essai si bien documenté permet aussi de relativiser les emballements médiatiques, il n’y avait pratiquement personne pour défendre Prouts en 1919 et il n’y a plus personne aujourd’hui, pour penser que Dorgelès est un meilleur écrivain que lui !.
Keisha a raison, c’est elle qui m’a tentée , merci.

Extraits

Début.

Le 15 février 1897 commence chez Drouot la dispersion de la collection des frères Goncourt. Trente-trois vacations suffisent à peine pour écouler le trésor accumulé en cinquante ans et, jusqu’à l’été, la corne d’abondance du Grenier d’Auteuil se déverse dans les salons de l’hôtel des ventes : meuble de Boulle, terres cuites de Clodion, sanguines de Fragonard, pastels de Watteau, estampe de mœurs d’après Greuze ou Boucher – « la Bouquetière galante, la Charmante Catin, les Hasards heureux de l’escarpolette »-, porcelaines de Saxe, tapisserie des Gobelins, de Beauvais, d’Aubusson, album japonais, coquilles d’œufs, ivoires, éventails, et des reliures de maroquin rouge, de veau fauve, des exemplaires des chefs-d’œuvre de la littérature romantique et naturaliste – Balzac, Hugo, Flaubert Zola-….

Un monde disparu .

La table chez Drouant est ronde, mais Hennique ne la fait point tourner. Il disparaîtra à la Noël de 1935, le même jour que Paul Bourget, si bien que sa mort, relégué au dernier plan, ne donnera lieu qu’à des entrefilets. Comme tous les naturalistes, il aimait les récits de funérailles : les siennes ne seront racontés par personne.

Une critique de 1919 qui rejoint souvent celles que j’entends encore aujourd’hui.

« La revue de Paris » du 15 juillet, sous la plume de Fernand Vandérem (qui avait « spécialement demandé » les derniers livres de Proust aux éditions de la NRF, sans attendre de recevoir le service de presse) , commence par un « éreintement carabiné » évoquant un roman « éléphantiforme », une « minutie qui dépasse en raffinement les pires tortionnaires de la psychologie », un « style, d’une correction presque toujours absolue, mais offrant des enchevêtrements, des puzzles tels que les plus aguerris s’y reprennent à deux fois sur chaque phrase » et des « négligences allant par endroit jusqu’au rabâchage ».

Opposition droite gauche .

Mais il est moins question de lui et de son livre que de ce que l’on voudrait que l’un et l’autre soient. Le prix Goncourt offre une occasion de poursuivre sous le rubrique littéraire, une lutte qui se déroule ordinairement dans les travées de la Chambre, dans les meetings, dans les échauffourées entre les Camelots du roi et Jeunes Gardes révolutionnaires. Mais, surtout, il permet à chacun de déclarer son allégeance à un parti.
La traditionnelle opposition entre gauche et droite étouffée pendant la guerre pour cause d’ « union sacrée », se réveille avec la paix.

Dans « Clarté » journal dirigé par Henri Barbusse.

Proust est  » l’homme bien élevé, bien habillé, bien pensant, l’homme qui ne s’est pas aperçu de la guerre, et qui continue son dix-neuvième siècle, en 1919″, « le dernier des Scudéry », « un céladon », « un snob, attentif, respectueux, bête comme de la pommade ». Lefebvre cherche dans les « Jeunes filles », une phrase à « montrer » à son lecteur : « Rien. Aucun style. Une fontaine dans un jardin de fleurs artificielle. Et impossible de l’arrêter. Il n’y a pas de robinet. Seule ressource : fuir. Parlons cru : M. Proust n’écrit pas. Et son genre est à gifler. »

L’académie Goncourt aujourd’hui.

( L’académie Goncourt) Elle a d’ailleurs laisser (le prix) celui-ci bourgeonner et se ramifier – en dépit des dernières volontés de son fondateur- et elle prime désormais par délégation ou en franchissage, en toute saison et en tout lieu -Pologne, Serbie, Tunisie, salon du livre, lycée, maison de retraite – la biographie, la nouvelle, les premiers romans. Elle compose enfin à son usage personnel des sélections à répétition, multipliant puis divisant à chaque étape le nombre des prétendants, déclenchant des la fin du printemps un compte à rebours qui doit durer jusqu’à l’automne, comme pour le lancement d’une fusée ou d’un pétard à mèche.

À propos du vote des femmes .

Emile Bergerat, écrivain « de gauche » livre à ce sujet le fond de sa pensée dans ses « Notes quotidiennes » : l’ennemi c’est le féminisme, soit la masculinisation du sexe faible, qui doit rester faible selon la loi de la nature et qui a sa tâche propre dans la besogne humaine ».