Édition Zoé, 173 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

À ma grande surprise , cette écrivaine écrit en français, elle doit parler italien, anglais, allemand et donc français. comme je l’envie ! Ce roman raconte un enlèvement d’enfant par son père et leur dérive pendant deux ans. Tout est raconté du point de vue de l’enfant qui a 8 ans quand son père l’enlève et 10 quand elle retrouve sa mère. Son père est le fils d’une riche famille italienne et d’une mère fantasque qui habite dans un palais à Rome .

L’emprise de ce père sur cette petite fille est très bien racontée. Elle n’arrive pas à se défaire des phrases assassines de son père : « ta mère ne veut plus de toi ! » , « ta mère est méchante ».
Son père téléphone régulièrement à sa mère, le téléphone portable n’existe pas et ils vont de cabine téléphonique en cabine téléphonique. Le lecteur comprend que le père exerce un chantage sur son ex-femme pour qu’elle revienne avec lui. Son père boit beaucoup, même au volant et cela provoquera un accident qui aurait pu leur être fatal. L’enfant participe aussi aux malversations de son père et elle sent que ce n’est pas bien. Le seul moment où elle sera heureuse, elle le doit à une famille paysanne du sud de l’Italie avec laquelle elle participera aux travaux des champs.

Comme le récit n’est fait que par Ilaria, on ne comprend pas bien pourquoi la grand-mère ne cherche pas à entrer en contact avec la mère de l’enfant, ou peut-être est-ce la raison pour laquelle on l’envoie au Sud de l’Italie. Quand enfin elle retrouve sa mère et sa sœur, le récit s’arrête mais on sent très bien qu’elle doit maintenant faire sans ce « papa » qui a occupé deux ans de sa vie.
Le style du récit est très particulier, les chapitres sont brefs et apparaissent comme des fragments de la vie d’Ilaria , pour situer dans le temps le récit on écoute les informations de la radio qui parlent des années noires de l’Italie donc les années 80. Le style épouse bien le propos de l’écrivaine, l’enfant se sent un enjeu entre ses parents mais ne peut en aucun cas choisir. D’ailleurs elle ne saura quoi dire, à la fin, quand l’avocat lui demande son avis. Elle raconte bien ce qu’elle ressent mais ne peut pas analyser les enjeux du combat entre adultes pourtant, d’une certaine façon, elle comprend tout. D’habitude je n’aime pas trop les récits qui se place du point de vue de l’enfant, car on sent, évidemment l’effort que fait un adulte pour penser comme un enfant, et Ilaria, il est vrai, ne s’exprime pas comme une enfant de huit ans, mais pour une fois, cela ne m’a pas trop gênée.

Un livre original dans sa façon de traiter un problème si banal, des enfants au centre d’un divorce qui se passe mal et qui deviennent un enjeu de pouvoir entre adultes’, il est servi par une écriture efficace. Bref ce roman m’a beaucoup plu et j’en conseille la lecture.

 

Extraits

Début

Mai 1980
 À huit ans j’aime sentir le haut de mon corps suspendu dans le vide, le contact de mes genoux repliés sur le métal. J’aime l’instant où je ferme très fort les yeux, lâche prise et laisse le vertige me traverser. Quand mes mains sont à plat sur le noir de l’asphalte, c’est que j’ai dépassé ma peur. Et là l’image de ma gymnase préférée, Nadia Comaneci, arrive. Elle a les bras grands ouverts. Victoire.

Les mensonges de son père.

 Quand quelqu’un demande à papa ou nous nous allons, il indique une ville à l’autre bout de l’Italie. Quand on lui demande quelle est sa profession il dit entrepreneur, ingénieur, avocat… Un vrai homme orchestre qui parle tous les métiers, toutes les langues, tous les jargons. Papa ment avec naturel, très poliment, avec les yeux. Il donne un tas de détails comme s’il décrivait une image. Mais tous ses mensonges ne changent rien à ce silence qui grandit entre nous. Un vrai sac de nœuds.
 Pourquoi inventes-tu toutes ces choses ? 
 Qu’est-ce que cela peut bien leur faire où j’habite, ce que je fais ? Je suis avec toi, c’est le plus important. Papa me cherche des yeux. Je baisse les miens. . Ne t’en fais pas pour ses mensonges. Ce sont des petits riens du tout . Allez ! Allume la radio.

Le caractère de son père.

Il est nerveux. 
Il est en colère. 
Il va devenir méchant. 
 Depuis quelques semaines, papa s’excite pour un rien. Il dit qu’il ne supporte pas l’hiver, qu’il ne supporte pas le manque de lumière. Des fois, sa colère est-elle que je vois voler des boules de pétanque au-dessus de ma tête. Je frissonne, je me bouche les oreilles.

La fin.

 On ne parle pas de ce qui s’est passé. On ne me demande rien et je ne demande rien non plus. Le mot « Papa » est sous nos pieds. Un morceau de verre. L’éviter. Après demain, il y a l’école. Il faut penser au cartable aux chaussures, à m’acheter une veste. Maman a pris un congé pour faire des courses.

 

 


Éditions Fleuve

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Quelle lecture plaisir ! Ce roman apporte un excellent moment de détente et parfois c’est justement cela que l’on cherche. J’ai aimé le regard avisé et plein de tendresse de cette écrivaine sur les clients d’un restaurant parisien.

Le fils conducteur auquel on doit le titre, ce sont les efforts de Cyril, le serveur qui est amoureux de la serveuse Marion. Chaque chapitre est intitulé d’un plat que l’on peut commander au restaurant : « Hareng-pomme- de-terre à l’huile » « ris de veau sauce madère » … certains de ces chapitres sont consacrés aux pensées de Cyril et de Marion : compliqué d’être amoureux quand on est timide et qu’on a peur de blesser l’autre. Les autres chapitres sont consacrés à des couples qui sont à des moments différents de leur histoire. L’auteure nous donne toujours les deux versions : les pensées de la femme et celle de l’homme. Nous suivront par exemple un couple qui devrait commencer, mais ils se sont rencontrés grâce à un site de rencontre, ils se sont écrit de longs mails et cela ne les aide pas à trouver des façon de se parler. Nous suivrons aussi le couple bien installé dans la vie, lui il est médecin et se réfugie dans le travail car il fuit son épouse qu’il ne reconnait plus trop sûre de son rôle de femme de médecin. Nous aurons aussi le couple de l’éternel dragueur qui ne cherche qu’à coucher avec de belles femmes qu’il soumet trop facilement. Entre ses découvertes Cyril essaie d’avancer dans sa conquête de Marion. Tous ont vécu une scène initiale : une femme est debout, ne s’assoit pas à la table de son conjoint. Celui-ci lui parle d’un ton très dur et méprisant, elle hésitera longtemps, si longtemps qu’elle attire les yeux de tous les clients du restaurant. Elle finira au grand soulagement du lecteur qui a entendu tout ce qu’elle a dû supporter de son goujat de mari, par partir. Tous ces personnages sont émouvants, et nous les fréquentons dans notre quotidien mais tout le talent de Claire Renaud c’est de savoir nous les présenter de façon très vivante grâce à une écriture très moderne.

Un roman que je vous conseille pour vous détendre et aimer vos contemporains.

 

Citations

Un portrait réussi .

 Lui, ça fait quatre ans qu’il est ici. Au départ, c’était provisoire, un job étudiant. Puis c’est devenu un job tout court quand il n’a plus été étudiant. Il a arrêté d’aller à la fac de cinéma. il ne va plus au cinéma. Comme si Paris lui avait fait revoir toutes ses ambitions à la baisse. Il ne se reconnaissait pas dans ces cinéphiles prétentieux qui citaient toujours le seul film qui n’avait pas vu du réalisateur qu’il aimait biens. Il se sentait toujours en défaut, de culture, de niveau social, d’argent. Il n’osait ramener aucun pote de la fac chez lui, encore moins les filles, il avait honte.

Les avancées amoureuses.

 – Moi j’aime bien être seule. Ça ne me dérange pas, déclare-t-elle.
 Une autre info. Une touche supplémentaire de peinture sur la toile. Une autre pièce du puzzle.
 Et quelle pièce ! Elle est seule ! Pas de petit ami dans le paysage. Célibataire. Libre. Ils sent pourtant d’autres chaînes. 
Et une solitude pleinement assumée et consentie n’est-elle pas plus terrible que tous les bellâtres du monde en embuscade ? Il saurait mieux attaquer un rivale que franchir des barrières invisibles. Mais il n’a pas le choix.

Scène tellement vraie.

 – Alors, ma chérie ? Qu’est- ce qui te ferait plaisir ? Une salade pour toi, une entrecôte pour moi, c’est ça ?
Oui, c’est ça. Ou autre chose. Qu’importe.
 Je vais manger légèrement, pour conserver la ligne, pour te garder, la concurrence est rude, elle me maintient à un haut niveau de fruits et légumes, tandis que tu prendra de la viande, carnassier, prédateur, et toute la mythologie qui va avec. Ta signalétique est peu subtile.

Je déteste ces mots là moi aussi. Surtout « mon coeur »

 « Tu prendras un dessert, ma chérie ? »
Chez les autres, je trouve cela ridicule voire odieux. Accoler les remarques les plus triviales à des mots doux me révolte. Les « passe-moi le sel mon cœur » et autres « descends la poubelle mon trésor » me donnent la nausée quand ils ne me font pas éclater de rire.

Les Éditions minuit 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Voilà un auteur qui écrit à la perfection, dans un style remarquable, une histoire triste à donner le bourdon à quelqu’un qui aurait un moral à toute épreuve ( ce qui n’est pas mon cas en ce moment !). Mais lisez aussi le point de vue de Krol qui a beaucoup aimé cet auteur et qui met bien en valeur les qualités de son écriture.

Je suis certaine que c’est un pur hasard mais ce roman m’a fait penser au scandale qui atteint Nicolas Hulot. J’explique : une jeune fille essaie de se reconstruire dans la ville bretonne du bord de mer où son père un ancien boxeur est devenu chauffeur du maire. Tout se tient dans cette histoire. La trop belle Laura a, quand elle avait à 16 ans, posé nue pour un magazine. Elle veut oublier tout cela. Son père a été un grand champion de boxe mais l’argent trop facile l’a entraîné dans une quasi déchéance. Il a retrouvé l’emploi de chauffeur personnel du maire à qui, hélas, il demandera une faveur pour sa fille : que celui-ci lui trouve un logement.
Laura sera logée au casino dirigé par Franck toujours habillé de blanc, personnage qui a ses petits arrangements avec le maire et dont la sœur, Hélène a participé à la descente aux enfers de son père.
Détail absolument horrible : le chauffeur du maire, donc le père de Laura conduira le maire à ses rendez-vous au casino pour satisfaire ses besoins sexuels sans qu’il sache que c’est sa fille qui est dans le studio au-dessus du casino.
Le roman est parfaitement construit, on entend la plainte de Laura auprès des gendarmes et ceux-ci se montrent assez compréhensifs mais quand les photos seront découvertes et que le maire sera nommé ministre, le procureur préfère classer cette histoire sans suite. Cela n’empêchera pas un drame d’avoir lieu mais comme je vous en ai déjà sans doute trop dit je m’arrête là.
Ce roman fait beaucoup réfléchir sur la façon dont l’emprise se construit pour une jeune fille face à un homme politique. Et aussi comment lui même peut se persuader facilement qu’elle est consentante.
Le nœud dramatique de ce roman est très bien imaginé, trop sans doute pour moi car je l’ai trouvé profondément triste. Mais que cela ne vous empêche pas de le lire, ce n’est absolument pas glauque c’est seulement humainement triste et comme je l’ai dit au début parfaitement écrit.

Citations

Portrait d’un élu

 Et d’avoir été réélu quelques mois plutôt, d’avoir pour ainsi dire écrasé ses adversaires à l’entame de son second mandat, sûrement ça n’avait pas contribué au développement d’une humilité qu’il avait jamais eu à l’excès – à tout le moins n’en n’avait jamais fait une valeur cardinale, plus propre à voir dans sa réussite l’incarnation même de sa ténacité, celle-là sous laquelle sourdaient des mots comme « courage » ou « mérite » ou « travail » qu’il introduisait à l’envi dans mille discours prononcés partout ces six dernières années, sur les chantiers inaugurés ou les plateaux de télévision, sans qu’on puisse mesurer ce qui dedans relevait de la foi militante ou bien de l’autoportrait, mais à travers lesquels, en revanche, on le sentait lorgner depuis longtemps bien plus loin que ses seuls auditeurs, espérant que l’écho s’en fasse entendre jusqu’à Paris, ou déjà les rumeurs bruissaient qu’il pourrait être ministre.

Le style de Tanguy Viel

 À Max donc il arriva donc d’en être, de ce monde inversé ou certaines femmes butinantes se glissent volontiers dans la corolle des hommes et les délestent alors de toutes leurs étamine, à ceci près que les étamines ici on a forme de billets de cent euros que par dizaines ils sortent de leur poche et distribuent sans compter – elles, guêpes plutôt qu’abeilles, qui ne pollinisent rien du tout, plutôt disséminent les graines au gré des verres, Hélène plus acharnée que toutes, ayant fait admettre cette loi tacite et inaliénable que c’était son prix et sa liberté à elle, la plus onéreuse et la plus libre des hôtesses.