Éditions Grasset, 414 pages, janvier 2025.

Deux livres du même auteur à suivre, c’est un hasard mais qui montre aussi que j’aime beaucoup lire les romans de cet auteur dont voici la liste que vous trouverez sur luocine,

Il m’arrive parfois d’avoir de légères réserves, cela vient aussi du choc qu’avait représenté pour moi, « le Testament français », ensuite j’ai trouvé qu’il se répètait un peu, mais cette critique est injuste car si chaque roman de cet auteur était le premier que je lisais de lui , je lui attribuerais à chaque fois 5 coquillages. Ce que je fais pour celui-ci.
On pourrait sous titrer ce roman « les multiples vies de Lucien Baert », l’ouvrier communiste de Douai. Car cet homme va connaître un destin très particulier, tout cela à cause d’un voyage que le partit communiste organise en 1939 en URSS, pour contrecarrer la propagande capitaliste qui dit que les ouvriers russes sont malheureux, très pauvres, et vivent sous la botte d’un dictateur Joseph Staline. La Russie de l’époque sait parfaitement organiser des voyages de propagande où des convaincus pas trop curieux voient ce qu’ils veulent bien voir. (Ma génération a bien connu cela avec les retours émerveillés des convaincus de la Chine maoïste en pleine révolution culturelle !) .

Lucien rate son train dans une gare isolée de Russie, ses amis repartent sans lui, commence alors sa seconde vie, celle d’un supposé espion français dans les geôles de Staline, comme la guerre est déclarée on envoie des « volontaires » que l’on sort du goulag se faire tuer sur le front. Au milieu des horreurs de cette guerre, un soldat russe comprend que tant que cet homme gardera une identité française, il ne sortira jamais du goulag , il lui propose de changer d’identité s’il meurt avant lui. Lucien commence alors une troisième vie sous l’identité de Matveï Belov condamné politique . Lucien-Matveï est pris par les allemands , torturé, puis repris par les soviétiques de nouveau torturé et remis au goulag pour y finir sa peine. lorsque le rapport Kroutchev dénonce les crimes de Staline le régime du goulag s’allège un peu, malheureusement pour lui , il participe à une révolte donc est condamné à quelques années de plus. Enfin libéré, il commence une vie de « russe ancien prisonnier » dans la Taïga avec Daria un femme qu’il sauve d’une mort atroce . Ensemble, ils mènent une vie simple et sont presque heureux . Mais son passé français le hante et Daria le pousse à retrouver ses racines. il parvient à se sauver sur un navire français. L’indifférence des touristes occidentaux qu’il cherche à aborder à Léningrad est caractéristique de l’égoïsme des touristes qui ne veulent en aucun cas l’aider. Il parvient finalement à fuir l’URSS grâce à un capitaine d’ un navire français.

Commence alors une troisième vie, cette d’un transfuge des camps qui va éclairer les intellectuels français sur la réalité soviétique. Après une période d’engouement, peu à peu Lucien Baert n’intéresse plus personne et lui sent qu’il perd pied dans ce monde si futile, il devient infréquentable et pour tout dire un peu fou. Il retournera en Russie pour y finir sa vie auprès de Daria sous le nom de Matveï Belov et connaitra l’horrible période où son pays est livré aux mafia qui ne cherchent qu’à s’enrichir par tous les moyens.

Cette traversée dans un demi-siècle de nos deux société est une plongée dans un désespoir sans fond, sauf sans doute la sincérité de gens simples qui ne veulent plus d’idéologie et qui essaient de se construire un monde heureux à leur portée sans illusion sur les valeurs humaines. La description de l’intelligentsia française est sans complaisance et malheureusement assez réaliste, la colère de Lucien à une de leur soirée est méritée mais va l’enfoncer un peu plus dans son isolement.

En refermant ce roman , je me suis demandé ce qui était préférable pour l’auteur : la force brutale des Russes ou l’hypocrisie lénifiante des intellectuels français . Je ne sais pas si ce roman répond à cette question mais en tout cas depuis , elle me hante et comme la force des Russes est de nouveau aux portes de l’Europe , elle me fait aussi très peur.

 

Extraits.

Début du prologue.

 Écrasé sous le fardeau de sa vie un homme un fleur la miséricorde. Dieu le conduit à un amas où sont déposés les croix des destins. Le malheureux jette la sienne, en soulève une autre : non trop lourde  ! Et celle-ci. ? Ah, pleine d’échardes ! La troisième, la suivante, encore une … Enfin, au coucher du soleil, la croix qu’il choisit lui paraît lisse et légère.
  » Je la prends, elle ne pèse rien ! »
 » C’est celle que tu portais ce matin », lui répond Dieu .
J’ai pensé à ce vieux conte en feuilletant un carnet qui, à travers la Russie répertoriait des dizaines de noms : les futurs héros d’un documentaire conçu par Stas Podlaski, un cinéaste « franco-polonais » a-t-il spécifié. Des amis communs m’ont demandé de jouer les guides.

Début du roman.

 L’homme surgissait au soir, avançait sans hâte, mais ne se laissait pas approcher. Plus d’une fois, Matveï eut envie de le rejoindre, d’engager la conversation. La distance entre eux se réduisait, le vagabond semblait sur le point de se retourner. Et, soudain, il disparaissait au milieu des arbres.
 » C’est dans ma tête, tout ça. Je suis crevé, je dors peu, alors je vois ce fantôme qui me tient compagnie… » se disait Matveï, s’efforçant de chasser une idée insidieuse : l’inconnu qui le précédait était… Son double !

La vision des prison russe en 1930 par les « bons » communistes français.

Elle cite le témoignage, dans « L’Humanité » , de Marie-Claude Vaillant Couturier qui vient de visiter Moscou : » Les condamnés en URSS touchent un salaire et peuvent tout acheter, sauf des boissons alcoolisées. Ils peuvent se payer une chambre individuelle, ils lisent, écrivent, voient des films, font de la musique… »

Les russes anciens prisonniers de guerre.

 Il est envoyé non pas dans le camp où il était emprisonné avant la guerre, celui de l’Oural, mais plus à l’ouest, à la construction d’une voie ferrée à travers la taïga et les marécages.
 Les raisons de poursuivre cette vie n’existent plus. Les moyens d’en finir sont abondants et le nombre de prisonniers qui se suicident le surprend. Souvent, ce sont d’anciens militaires qui ont eu le malheur comme lui d’avoir été arrêtés par les Allemands. Il connaît le verdict de Staline : « Je n’ai pas de soldats fait prisonniers. » Donc, capturé, on doit lutter et mourir.

Ce que savait l’Amérique du système totalitaire soviétique.

 C’est à Boston qu’il fait un constat stupéfiant : un universitaire qui n’a jamais mis le pied en Russie est plus renseigné qu’un prisonnier ayant passé de longues années derrière les barbelés. Ce professeur lui parle comme s’il s’adressait à un étudiant un peu lent à comprendre. Julia traduit :  » J’ai consacré mon doctorat au phénomène totalitaire et permettez-moi de vous signaler que dès les abus dès le début des années 30, les économistes américains, ignorant tout des camps soviétiques, en ont démontré la probable existence. Ils ont analysé le commerce des matières premières et les prix plus bas, qu’un simple « dumping », pratiquer par l’URSS. Cela supposait une main-d’œuvre quasi bénévole ou, plutôt, une masse d’ouvriers sans salaire. Bref un réservoir d’esclaves ! »
 Lucien s’empresse de partager cet avis : c’est vrai un prisonnier ne coûtait pas cher, travaillait douze heures par jour et mourait vite, ce qui évitait les éventuels frais médicaux et, plus tard, le paiement d’une retraite.
 L’érudition de ces « soviétologues » l’embarrasse : si grâce aux calculs financiers, on peut déduire l’existence des camps, a-t-on besoin des témoins comme lui ?

La fracture entre l’ancien prisonnier de Staline et des intellectuels parisiens.

 Toujours muet, il sait qu’aucun témoignage ne pourra ébranler les jugements paresseux qui circulent dans ce salon. Un récit s’égrène en lui : ses camarades des unités disciplinaires, les attaques qui ne laissaient que quelques survivants. Des visages qui disparaissaient avant qu’on puisse retenir leurs traits, des aveux dont le souvenir continuait à résonner en lui, sans qu’il sache qui les avait prononcés. Et d’autres visages, impossibles à reconnaître car trop défigurés par les blessures comme celui de Martveï Bélov. Et les débris des corps qui s’enlaçaient, mêlant leurs entrailles. Et ce cri « Pour la Patrie pour Staline ! », sortant des poumons de ceux qui haïssaient Staline mais qui, se jetant à l’assaut n’avait que ce cri pour défier la mort.
Ses mots silencieux expriment un constat qu’il pourrait adresser aux invités  : si vous êtes tranquillement assis dans ce beau salon, c’est grâce au jeune Altaï qui refusait de tuer ses semblables, même s’ils étaient allemands. Et aussi grâce à un soldat qui avant de mourir m’a offert son identité. Vous pouvez mener vos causeries d’intellos, désigner les ennemis du progrès, jouer à vos petites révolutions culturelles ou sexuelles, écrire dans vos journaux qui censurent tout ce qui ne vous plaît pas. Oui, c’est grâce à ce disciplinaire au visage arraché que vous pouvez boire, manger, fumer vos clopes qui endorment toute vérité gênante et puis aller copuler, à deux ou à plusieurs puisque la vie vous doit cela. Mais vous n’êtes pas des gagnants, non car vous êtes très laids. D’une laideur incurable ! En vivant, en mentant, en baisant comme vous le faites, on vit sans aimer… Donc on ne vit pas !

Éditions seuil, 363 pages, janvier 2013

J’avais choisi ce roman car j’étais dans ma veine « roman historique » et qu’après la plongée dans la Chine du 7°siècle je voulais en savoir plus sur la Russie du XVIII °. Je ne savais pas grand chose sur la tzarine Catherine II, donc c’était une bonne raison de lire un roman de Makine qui est un auteur dont je lis toujours les romans avec plaisir. Depuis « Le testament français », j’ai mis sur Luocine : « la vie d’un homme inconnu« , « le livre des brèves amours éternelles » , « L’archipel d’une autre vie » , « La femme qui attendait« .
J’aurais dû me douter qu’avec un tel auteur ce ne serait pas un roman historique classique et j’ai vraiment préféré ce style là au précédent . Cet écrivain porte en lui toute sa Russie natale et souffre de toutes les vicissitudes que ce pays génèrent pour ses habitants et hélas avec Poutine de nouveau pour les pays voisins.
 Pour nous faire connaître, à la fois la « grande Catherine » et la Russie d’hier et d’aujourd’hui, nous allons suivre la création d’un film sur la Tzarine par Oleg Erdman, un cinéaste qui a commencé son film sous le régime soviétique. Il a alors souffert de la censure et n’est jamais certain que son film arrivera à sortir. Puis, il crée une série télévisée sous l’incroyable période Eltsine avec un nouveau riche qui se croit le roi du monde avant de connaître la disgrâce et la ruine. Finalement il s’exilera repart en Allemagne pays d’où est originaire sa famille comme la Tzarine.
À travers ces difficultés et la description de l’enfer qui, comme celui de Dante , encercle de plus en plus le cinéaste, la vie de Catherine apparaît.
Suivant les époques il faut faire ressortir certains aspects du personnage plutôt que d’autres.
Sous les communistes, il ne fallait pas mettre en avant ses idées novatrices mais la présenter comme une tortionnaire du peuple, sous les oligarques il faut faire de l’argent avec la série et quoi de plus croustillant que tous ses amants que Catherine a consommé en grand nombre ?
Seul un historien non compromis, donc très pauvre, semble être intéressé par la vraie histoire de cette femme : elle n’a jamais été aimée sauf une fois, mais son amant est mort trop tôt, sa conduite sexuelle s’expliquerait sans doute par cet amour qui n’a pas pu s’épanouir.
Les violences de l’époque ne sont pas si différentes de celles que la Russie a connu du temps où elle s’appelait URSS, et le sort des opposante sous Poutine ressemble fort à ceux qui s’opposait à la Tzarine.
C’est un roman qui encore une fois me rend triste pour ce pays, la Russie a un plaisir à l’horreur peu commun et il sait aujourd’hui encore nous en faire la preuve. J’en ai aimé la construction et aussi la réflexion sur le pouvoir et l’amour : peut-on croire au sentiment amoureux quand on est au au sommet de la puissance ?
Mais la tristesse l’a emportée sur l’intérêt du roman .

Extraits

Début.

 Ce grand miroir s’abaisse, telle une fenêtre à guillotine. La femme qui vient d’actionner le levier sourit : chaque fois, un petit frisson. Et si le cadre heurtait le parquet et que le verre éclatait ? Mais le contact est feutré- le monde est coupé en deux. De ce côté-ci , un salon blanc et or . De l’autre, dissimulés par le miroir, une alcôve, une bougie, un homme nu qui halète.

Portrait de Pierre III.

  » Un crétin que Catherine épouse faute de mieux et dont elle se débarrasse à la première occasion. D’accord, il adorait ses petits soldats, mettaient ses chiens dans le lit conjugal, se soulait avec ses valets à qui il apprenait à marteler le pas à la prussienne. Quoi encore ? Ah oui ! Il ne pouvait pas copuler à cause de son prépuce ! Tu vas à nous pondre maintenant un traité de circoncision, c’est ça ? « 
 Oleg se souvient d’avoir tenté une justification inutile : Pierre III n’était pas du tout l’idiot dont parle les historiens. Plutôt un inadapté un faible un songe-creux et tout le monde punit toujours la faiblesse des rêveurs.

Résumé du règne de Catherine.

 Le favoritisme comme institution, le sexe comme forme de gouvernement, l’orgasme comme facteur de vie politique. Oui, cette alcôve qui permet à Catherine de conduire la marche de l’état sans interrompre ses ébats amoureux. 
Un raccourci rapide, mais historiquement vrai.

J’aime bien ce passage.

 Nous sommes bien plus ramifiés que ce petit moi auquel nous nous agrippons. Le moi des comédiens moins adhésif, a la capacité de migrer d’un personnage à l’autre. C’est pour cela que les artistes sont si égocentriques. Ils doutent de leur propre identité.

Les nouveaux riches époque Eltsine. Cela rappelle les hôtels de quelqu’un, non ?

Oleg découvre que la nouvelle fortune de son ami est fondée sur nombre d’activités très diverses, allant de la vente de l’acier cémenté jusqu’à la pèche des anguilles dans les marais salants de la Caspienne. L’une des entreprises de Jourbine produit des sèche-cheveux, une autre des réfrigérateurs, une autre encore des meubles et de la literie. La dispersion n’est qu’apparente car les anguilles sont livrées au restaurant de Jourbine, et sèche-cheveux vrombissent dans les chambres de ses hôtels tout comme les frigidaires. Bref les Chinois qui viennent acheter son acier dorment dans ses lits, mangent ses anguilles dans ses restaurants, sortent des canettes de bière de ses frigos.

Reprise du pouvoir par les vrais oligarques proches du Kremlin.

 En fait c’est encore plus bête. Les cons de mon espèce ont mordu à l’hameçon. Allez, futurs capitalistes, sortez vos économies, investissez, vendez, revendez, travailler jour et nuit, enrichissez-vous et avec le pognon gagné, bâtissez vos holdings, d’anguilles salées, de palaces étoilés t d’alcool trafiqué. Des crétins comme moi y ont cru. On a bossé pire que les bagnards ! Demande moi de me rappeler une seule journée où j’aurais eu une heure à moi – zéro  ! Si je me rappelle les jours où je recevais des des oursons éventrés. C’est tout … On a amassé des fortunes, on se prenait pour des chasseurs de milliards ! Sauf que nous n’étions pas des chasseurs, nous étions des chiens qui traquaient la bête. Les chasseurs viennent maintenant, nous arrachent la proie et nous foutent dehors d’un coup de pied au cul. Car ils ont le pouvoir ! Ils sont au Kremlin, au Parlement, dans les ministères. Nous avons fait le sale boulot, eux ils boufferont la bête. Et si je commence à protester, une équipe de contrôleur vient, armée comme un commando d’assaut… Dans les ordinateurs qu’ils ont emporté le procureur trouvera de quoi m’offrir un long séjour derrière le cercle polaire … Lui aussi fait partie des chasseurs et la bête abattue c’est tout le pays !

Édition Noir sur Blanc, 229 pages, janvier 2024

Traduit du russe (Biélorusse) par Marina Skalova 

 

Que de dire de ce livre entre le roman et la biographie ? Qu’il est absolument insoutenable. Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. L’écrivain Bliélorusse raconte la vi, plus ou moins fictionnelle, d’un personnage qui a existé (ou aurait pu exister) Piotr Nesterenko, qui est directeur du crématorium de Moscou. Il est arrêté en 1941 et accusé d’espionnage

À travers six interrogatoires, l’enquêteur de la Tcheka, le KGB de l’époque, essaie d’étayer la thèse du complot et veut faire de cet homme un espion. C’est alors l’occasion pour l’écrivain de mêler le passé aventureux de ce personnage avec tout ce que lui a appris son travail au crématorium. Pour être rapide disons qu’il sait que tout le monde, absolument tout le monde peut finir avec une balle dans la tête , il les a tous vous défiler dans son crématorium, les acteurs célèbres, les poètes, les généraux, les bourreaux d’hier assassinés par de nouveaux bourreaux qui ne sont à l’abri de rien !

Son passé est celui d’un noble russe pris dans la tourmente de la révolution. On découvre que l’armée blanche ne valait guère mieux que l’armée rouge. Les populations qui ont subi les deux ont vu défiler des assassins et ont perdu confiance dans les valeurs de l’humanité. Et ce qui restait d’illusions au personnage principal est parti en fumée dans son crématorium ?

Cette lecture est éprouvante, on passe d’une horreur à l’autre avec un ton faussement dégagé qui m’a été souvent insupportable, si je ne m’était pas engagée à lire ce livre pour en parler à la bibliothécaire de Dinard, j’aurais abandonné cette lecture. Cela ne veut pas dire que ce roman ne soit pas intéressant, mais il est très difficile à lire car nous devons passer à travers les cerveaux tortueux de l’enquêteur et de Piotr Nestrenko qui connaît son sort mais joue avec les nerfs de son tortionnaire et hélas les miens aussi. Comment la Russie peut devenir autre chose qu’une usine à horreurs ? Il ont vraiment tout imaginé et hélas Poutine n’est qu’un avatar des dirigeants de ce pays d’où rien de bon ne semble possible de venir !

Extraits

Début.

 La perquisition et l’arrestation ont lieu le 23 juin 1941. En six heures l’affaire est pliée. Un travail de routine, mais tout le monde est sur les nerfs. La guerre a été déclarée depuis à peine vingt-quatre heures. Tandis que la forte terrestre de Brest résiste à la déferlante inouïe de la machinerie nazie la capitale de l’Union Soviétique est touchée par une vague de disparitions secrètes.

Exemple de purges.

 Le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement cent onze mille quatre quatre-vingt-onze citoyens).

Réussite en URSS en 1941.

 À l’heure où ses pairs partent mourir en rangs serrés dans les boucheries à venir, cette souris grise tamponne assidûment une condamnation à mort après l’autre. L’enquêteur Perepelitsa vient d’être récompensé par un appartement à Moscou rue Gorki. Il ne s’est pas battu pour rien.

Des horreurs présentées comme banales.

 Certains rapportent qu’après les exécutions il organise des beuveries (ce qui est vrai), d’autres qu’il s’approprie quelquefois les vêtements des condamnés (ce qui l’ est aussi). Quoi qu’il en soit, je ne vois rien de répréhensible ni dans le premier ni dans le deuxième cas de figure. Même en Union Soviétique, chaque produit a un coût. Tout travail mérite salaire. Il faut bien comprendre que, d’une part, Vassili Mikhaïlovitch fait un travail pénible (parfois il doit fusiller plusieurs centaines de personnes en une nuit) et d’autre part …est-ce vraiment si grave qu’un imperméable ou, disons, un joli gilet vivent leur meilleure vie sur ses épaules ou celle de sa femme ? « Pourquoi faire toute une histoire pour les affaires des autres ? ».me dis-je parfois.
S’il faut se soucier de quelque chose, c’est plutôt de la pénurie qui règne dans notre pays. Si Blokhine pouvait acheter ses jolis vêtements dans les magasins, les soustrairait-il aux cadavres pour les offrir à sa femme ?

 


Édition les Arènes, décembre 2023, 185 pages.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Voici un roman que je vous recommande sans aucune réserve , il m’a complètement séduite. Encore plus que « les loups » du même auteur qui était, pourtant, déjà passionnant. Ce court récit se passe au moment de la disparition de l’URSS, dans l’enclave de Kaliningrad. Un jeune délinquant sort de prison et veut retrouver sa mère. Ce trajet ressemble à un conte initiatique et de formation pour cette petite frappe. Au début, il ne comprend pas ce mot de « changement » que tout le monde prononce autour de lui. Le premier groupe qu’il rencontre ce sont des jeunes hippies qui vivent sur la plage et qui se permettent de tenir des propos d’une liberté qui le surprend, ils l’accueillent très bien sans lui demander d’où il vient, une jeune femme accepte facilement de faire l’amour avec lui, mais cela ne l’empêchera pas de leur voler tout leur alcool. Il repart et un paysan kolkhozien l’héberge, il y rencontrera le directeur qui est communiste et qui lui explique que les dirigeants communistes sauront très bien s’en sortir que tout est prêt pour l’après. Le Gris (c’est ainsi qu’il s’appelle lui-même) s’en ira en volant d’abord les économies du pauvre paysan kolkhozien qui l’avait aidé.

J’arrête de vous raconter l’histoire et des différentes rencontres de son trajet, je vous laisse découvrir, mais vous avez, je l’espère compris le principe, le jeune délinquant qui s’était formé dans les prisons soviétiques va au gré de ses rencontres se transformer peu à peu, sans jamais devenir un homme bon, la fin m’a surprise et désespérée. Il semble , un moment, aller vers la rédemption en sauvant un jeune garçon orphelin des griffes d’une bande de malfrats, il écoutera la sagesse d’un philosophe sur la liberté et la fameuse âme russe. Cela permet à l’auteur d’évoquer les différents aspects de la Russie actuelle. Le roman a été écrit en 2023, donc on ne peut pas parler parler d’un roman prémonitoire, mais d’une analyse exacte du régime poutinien.

Un livre efficace, prenant et qui fait beaucoup réfléchir.

(PS. Je pense que la couverture de ce roman aurait plu à notre regretté Goran)

 

 

Extraits

Début.

 Le Gris fait ses adieux en silence. Il se faufile entre les couchettes, tend la main à chacun des détenus, sans effusion. On entend tout juste quelques mots, le claquement des paumes qui se rencontrent. Les saluts sont virils, l’émotion absente. Le Gris ne sourit pas – dangereux, pas dans les mœurs. Pour les hyènes , les petites frappes qui forment le gros des troupes, sourire c’est déjà se faire baiser un peu. Si tu ouvres la bouche pour montrer tes dents c’est bien que quelqu’un a le droit d’y fourrer sa queue … Le Gris s’est adapté. Il a toujours su faire, il est malin. Pas assez pour éviter le trou – suffisamment pour deviner quel visage on attend de lui à chaque instant. 

Le changement .

 Il comprend le paysan : l’autre ne nie pas que des changements puissent advenir, il sait seulement qu’en pareil cas le mieux est de rentrer la tête dans les épaules et d’attendre de voir. Comme par mimétisme le Gris se tasse sur son siège. Il a appris la leçon depuis longtemps : lorsque les coups pleuvent, il n’y a rien d’autre à faire que de protéger sa tête. Seuls ces cons de hippies s’imaginent assez malin pour changer ça.

Les communistes et le changement .

– Le communisme n’est plus vraiment à la fête… Mais qui a dit que c’était un problème pour les communistes ? Tu crois qu’on n’a rien vu venir qu’on se retrouve à poil ? L’avenir comme tu dis, appartient à ceux qui ont des idées claires et un peu de capitale …
– Du capital, vous ?
– L’autre rigole encore
– Eh quoi ! Tu crois qu’on passe nos soirées à étudier Engels ? Ça fait des années qu’elle marche bizarrement, notre Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses réformes depuis un moment. C’est permis, maintenant, de s’enrichir, d’épargner, d’investir … Et encore, le capital, ce n’est rien ! Qu’est-ce que nous possédons, nous, les communistes ? Des connexions, des réseaux. Qui tient les banques ? Qui sont les directeurs d’usine, les juges, les responsables des achats dans les municipalités. Nous ne sommes pas le passé, fils détrompe-toi ! 

Le philosophe et la liberté.

 Notre pays reçoit la liberté, mais existe-t-il des gens libres pour la recevoir ? Nos compatriotes savent-ils seulement ce qu’est la liberté ? Savent-ils la protéger, la faire vivre ? La soumission est beaucoup plus simple et confortable… Être libre à de quoi désemparer les âmes les plus faibles et les moins préparées. Il est bien plus aisé de s’en remettre à un chef, à une idéologie, à des illusions, à des habitudes, aux limites bien connues de son petit potager. Tout plutôt que l’inconnu. Imagine ce qu’on demande à nos concitoyens, en ce moment : ils doivent accepter que toutes leurs vieilles croyances soient mises au rebut et accueillir avec autant de conviction les nouveaux dogmes du moment -et dans le même temps apprendre à gérer les mille exigences que requiert la liberté. Il y a de quoi devenir fou ..

 


Édition points

Bravo Polina, que mon correcteur d’orthographe veut absolument corriger en Pauline ! ! Si votre livre a su séduire un si large public c’est qu’il raconte avec une verve originale, le passage entre la culture russe et la culture française. La lectrice que je suis a été amusée car ce récit est plein d’humour, attendrie aussi par cette petite fille qui affronte la « maternelletchick » en France sans comprendre un seul mot de français, sauf « Sava » . Mais comment comprendre qu’avec le mot « hibou » on demande des nouvelles à quelqu’un ? (« sava » en russe veut dire hibou !) . J’ai été si triste lorsque Pauline a dû affronter le décès de sa maman et j’ai partagé son envie qu’elle retrouve son prénom russe Polina, car elle nous fait bien comprendre combien cette double appartenance est importante pour elle. Polina Panassenko nous fait découvrir la vie des ses grands parents très attachés à leur pays, le plaisir d’aller dans la datcha pour préparer les conserves pour l’hiver. Mais elle n’idéalise absolument pas leur vie, ils ont peur de tant de choses et, hélas ! tout s’achète à coups de pots de vin même la sortie de la morgue, la messe et l’enterrement.
Le passage d’une langue à l’autre est vraiment passionnant, la réalité russe se dit mal en français. Par exemple tant que son grand père est « mort » elle ne ressent rien mais lorsqu’il est « ymep » alors elle comprend qu’elle ne verra plus celui qu’elle a tant aimé.

Un superbe premier roman que beaucoup d’entre vous ont déjà lu. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment cette écrivaine vit aujourd’hui la guerre qui détruit l’Ukraine.

 

Citations

Le Mac do et les frites.

 Depuis la veille ma grand-mère condamne l’expédition dans son ensemble par un mutisme ostentatoire. Au moment de notre départ assise sur le meuble à chaussures, elle fixe du regard la porte d’entrée. Une protestation silencieuse doit savoir se rendre visible
Au retour dans le deux pièces communautaire de l’avenue Lénine, le sachet de frites est froid et ma grand-mère n’est plus sur le meuble à chaussures. Ma mère envoie ma sœur annoncer que nous sommes rentrés. Ils l’ont entendu bien sûr depuis le bout du couloir mais l’annonce vaut aussi invitation.
 Lentement mon grand-père saisit un bâtonnet ramolli sur le sommet de la pile, le soulève du bout des doigts et l’observe à la lumière filtrant par le rideau de tulle. Sur la phalange de son annulaire droit, la boule de chair mauve qui couvre l’éclat d’obus contraste avec la frite. En deux poussées, il enfourne le morceau de kartofel dans sa bouche et lentement se met à mâcher, expirant l’air de ses narines par petits coups secs. Éclaireurs du goût. La mastication ralentit, la frite désolée vaincue par le dentier de fabrication nationale finit de fondre dans sa bouche. Un coup de langue sur les canines en acrylique et c’est la dégustation finale. Alors dit ma sœur. Alors c’est une patate froide, dit mon grand-père.

Le judaïsme de sa tante.

 Ma tante a le judaïsme clignotant. Chez elle « le peuple juif « oscille entre le « nous » et le « ils » . Elle est juive sans l’être. On dirait que c’est au cas où. Au cas où quoi, je ne sais pas mais si je pose une question sur le « nous », il faut y aller mollo sinon on a vite fait de rater l’embranchement et on se retrouve en plein « ils ».

Quel humour !

 Un matin l’annonce tombe. « Polina demain tu vas à la maternelletchik ». Quand ma mère ajoute « tchik » à la fin des mots c’est qu’elle cherche à le radoucir. Si c’est un mot inconnu ça ne présage rien de bon. Ma mère m’explique à quel point cette maternelletchik est nécessaire. Indispensable même. Sinon je n’apprendrai jamais le français. Qui a dit que je voulais l’apprendre ? Je ne suis même pas tout à fait sûr d’être au clair sur ce que c’est. Il semblerait que si jeudi Sava ?, l’autre va comprendre que je demande comment il se porte. Et si je dis Sava ! On comprendra que je vais bien. Je ne sais pas pourquoi à Moscou « sava » va dire « hibou ». Je ne sais pas pourquoi ici il faut dire « hibou » pour se donner des nouvelles.

Devenir bilingue.

 Russe à l’intérieur, français à l’extérieur. C’est pas compliqué. Quand sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l’enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l’ascenseur. Sauf s’il y a des voisins. Sil y a des voisins on attend. Bonjour. Bonjour. Quel étage ? Bon appétit. Il faut bien séparer sinon on risque de se retrouver cul-nu à l’extérieur. Comme la vieille du cinquième qu’on a retrouvé à l’abribus la robe de chambre entrouverte sans rien dessous. Tout le monde l’a vue. On a dit « elle ne savait plus si elle était dedans ou dehors ».

 

 

 

 


Édition Belfond. Traduit de l’anglais (Irlande par Jean-Luc Piningre

 

C’est ma troisième lecture de cet auteur irlandais, et si ce n’est pas mon préféré j’en ai, cependant, beaucoup aimé une grande partie. Cet auteur sait mieux que quiconque décrypter l’horreur de la tyrannie qu’elle soit soviétique ou américaine comme dans les saisons de la nuit, mais il est surtout, pour moi, l’auteur d’Apeirogon qui m’a tant bouleversée l’été dernier.

Dans ce roman Colum McCann va faire revivre Rudolph Noureev, il prend un partie pris intéressant. Ce sont tous les gens qui l’ont connu et côtoyé de près qui vont faire son portrait. Peu à peu, nous aurons une idée assez précise de son parcours et de sa vie. La partie que je trouve passionnante se passe Oufa dans l’Oural. Le premier chapitre est consacré à la guerre 39/45 et les ravages dans l’armée soviétique. Puis l’enfant grandit et il a la chance de rencontrer une danseuse exilée à Oufa avec son mari et originaire de Léningrad, elle reconnaîtra son talent exceptionnel. Cette danseuse fait partie des gens « relégués » c’est à dire qui ont été jugés mauvais soviétiques par Staline et les habitants d’Oufa le lui font bien sentir..

Son père est un homme rude et bon communiste, il souffrira de voir son fils devenir danseur. Le jour de sa mort alors que Rudolph Noureev est un danseur étoilé mondialement connu, son fils pensera que son père ne l’a jamais vu danser.
En 1961,(on connaît l’histoire) Noureev choisit de rester à Paris, sa famille et tous ceux qui l’ont connu sont alors soumis en Union Soviétique à des interrogatoires sans fin. Et ses parents seront obligés de le renier, même sa mère qui adorait son fils.

La deuxième partie du récit montre le danseur étoile dans sa vie de prince en occident. J’avoue que cela m’a beaucoup moins intéressée. C’est une suite de soirées avec au programme, sexe, alcool, drogues… Ce n’est vraiment pas ce que je préfère dans la vie.

Gorbatchev l’autorisera à venir 48 heures en Russie pour voir sa mère mourante, on ne sait pas si elle a pu le reconnaître.

Quelque soit la vie folle, que mène le danseur, il a toujours envers lui-même cette incroyable discipline qu’exige la danse classique pour devenir ce spectacle défiant la loi de la gravité. Je pense que pour bien aimer ce roman il faut s’y connaître, plus que moi, en danse classique.
Je conseille donc ce livre pour la partie soviétique et la description de l’exigence de la danse classique sinon j’ai eu beaucoup de mal avec l’aspect orgiaque de la vie du prince de la danse, surtout quand on sait qu’il y trouvera la mort car finalement Noureev sera emporté par le SIDA à 54 ans.

 

Citations

La guerre 39 45 côté soviétique .

 Dans les bâtiments éventrés à la périphérie des villes, ils trouvaient d’autres morts dans des ravages de sang. Ils voyaient leurs camarades pendus aux réverbères, décoration grotesque, la langue noircie par le gel. Lorsqu’ils coupaient les cordes, des poteaux gémissaient, se courbaient, et la lumière changeait d’empreinte au sol. Ils tentaient de capturer un Fritz, vivant, pour l’envoyer au NKVD. On lui trouerait les dents à la chignole, on l’attacherait au pieu dans les congères, ou on le laisserait simplement mourir de faim, dans un camp, comme on faisait chez les Chleuhs.

Mépris pour les relégués.

J’avais pour voisins, dans la chambre à côté, un vieux couple de Leningrad. Elle avait été danseuse, et lui venait d’une famille aisée – c’était des exilés, je les évitais. Seulement, un après-midi, cette femme a frappé à ma porte et m’a dit que les volontaires faisaient honneur au pays, pas étonnant qu’on gagne la guerre. Elle m’a demandé si elle pouvait aider. Je l’ai remercié en déclinant, nous avions bien assez de volontaires. J’ai menti, et elle parut embarrassée, mais qu’étais-je censé faire ? C’était après tout une indésirables. Elle a baissé les yeux. Le lendemain matin, j’ai trouvé quatre miches de pain devant ma porte : « S’il vous plaît donnez les aux soldats ». J’ai jeté ça aux oiseaux du square Lénine, tiens. pas question de frayer avec ces gens-là.

Homosexuels à Leningrad .

 Dehors, le soir, dans le square Ekaterina, dans la poussière antique de Leningrad, une fois la ville et les réverbères éteint, nous arrivions, épars, silencieux et furtifs, des différents quartiers pour longer les arbres alignés du côté du théâtre. En cas d’interpellation par la milice, nous avions nos papier, un motif de travail, l’insomnie, nos épouse, et nos enfants chez nous. Parfois des inconnus nous faisait signe, mais nous n’étions pas fous et disparaissions vite. Les voitures de la perspective Nevski nous prenaient dans leurs phares, oblitéraient nos ombres, et il nous semblait un instant que celles-ci partaient à l’interrogatoire. nous nous imaginions déjà sur le strapontin du panier à salade, puis dépêchés dans les camps, car nous étions des « goluboy », des « bleu clair » des pervers. Toute arrestation serait forcément rapide et brutale. Nous gardions chez nous, au cas où, un petit sac prêt, caché.

Cet auteur sait rendre l’émotion .

 Il y avait à l’intérieur une minuscule soucoupe de porcelaine, de la taille d’un le cendrier. Très fine, d’un bleu pâle, avec un décor bucolique sur le bord, de paysans et de chevaux de trait. Je fus d’abord déçue, c’était une petite chose légère, fragile, qui semblait sans aucun rapport avec l’un ou l’autre de mes parents.
Elle a cent ans, me dit-il. Elle appartenait à ton arrière grand-mère maternelle. Ta mère l’a récupérée à Pétersbourg, après la révolution lui dans la cave où elle était cachée. Il y avait de nombreuses autres pièces. Elle voulait garder ce service. 
Qu’est-ce qu’il est devenu ? 
Il s’est cassé au fil de nos voyages. 
C’est tout ce qu’il en reste ? 
Hochant la tête il dit misère luxure maladie jalousie espoir. 
Pardon ?
Il répéta la misère la luxure la maladie la jalousie l’espoir. Elle a survécu à tout ça.
 Je gardais dans mes mains le minuscule objet de porcelaine et me mis à pleurer jusqu’à ce que mon père déclare, souriant, qu’il était temps que je grandisse.

Un petit moment de danse.

 Pirouettes enchaînées. Il respire à l’aise, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, orteil droit distingue genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères, et il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au delà des mémoires gestuelles, un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient. 


Édition P.O.L

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Iegor Gran connait bien la Russie parle parfaitement le russe (sa langue maternelle) et y a de nombreux amis. C’est donc de l’intérieur qu’il peut nous décrire l’état de l’opinion des Russes et c’est absolument terrifiant. Tout le monde devrait lire ce livre avant de penser quoi que ce soit sur l’Ukraine. Pour Iegor Gran, les Russes sont dans leur immense majorité devenus des « Zombies » et boivent comme du petit lait les paroles du grand Zombie chef Poutine. Iegor Gran a un style très particulier dans d’autres livres, il m’a fait beaucoup rire (l’écologie en bas de chez moi , les services compétents, un peu moins drôle Ipso facto) mais ici il ne rit pas du tout et nous non plus !.

Il commence par nous citer les propos de Madame tout le monde qui reprend mot à mot les discours de Poutine et qui sera fière d’envoyer ses enfants à la mort pour sauver la Russie de la mainmise de l’OTAN et du Nazisme. Ensuite, il explique combien il était insupportable pour les Russes d’imaginer que les Ukrainiens pouvaient mieux vivre qu’eux. Car les Russes connaissent la misère, il raconte des faits incroyables, cela ne les gène pas plus que ça. Ils y trouvent même une source de fierté de pouvoir supporter cette vie si difficile. Et quand on leur montre leurs oligarques qui s’enrichissent ils sont fiers d’eux car ils les jugent plus malins que les occidentaux. Iegor Gran termine son essai sur cette idée, les Russes nous méprisent profondément car ils nous jugent mous et incapables de défendre nos valeurs.

La guerre en Ukraine n’a sans doute que cette simple motivation, il ne fallait pas que les Ukrainiens sortent de la domination russes et que surtout ce pays fasse la preuve qu’alors elle obtient un niveau de vie correcte pour sa population contrairement à son immense voisin victime de la corruption de ses dirigeants et d’une misère incroyable pour les gens ordinaires.

Citations

Un exemple de zombie.

– De quelle guerre tu me parles ? se braque Anna. il n’y a pas de guerre, c’est une opération militaire, ça n’a rien à voir. 
Son euphémisme ne la gêne en rien. 
– Pour ta gouverne, la Russie n’a jamais attaqué personne, poursuit-elle. C’est un fait historique.
 Celle qui me parlait naguère du printemps de Prague a brusquement purgé sa mémoire. Le 24 février à l’aube, l’hypnotiseur suprême a claqué les doigts et Anna s’est réveillée en zombie. Désormais elle est capable de repérer un « nazi » dans Zelinski (alors qu’il est juif), de prétendre que la petite Ukraine est une menace existentielle pour la culture russe « que les nazis cherchent à éliminer » de diagnostiquer des « fake news » dans chaque article de média occidentaux. Elle dit noir là où le blanc crève les yeux et elle rejette les faits avec cette assurance tranquille de camion-citerne face à une trottinette. Mon désarroi est d’autant plus grand que je ne m’y attendais pas. Anna est sur diplômée. Elle a beaucoup voyagé. Au Louvre, elle aime particulièrement Clouet et Georges de La Tour. Elle adore Amsterdam et le zoo de Berlin Ce qui ne l’empêche pas de m’asséner : 
– C’est le moment de régler la question de l’Ukraine qui a toujours été comme un furoncle. Ces types nous poussent à la guerre ! La preuve tu l’as dit toi-même : « guerre » …ils sont trop heureux d’être au centre de l’attention médiatique avec ces drapeaux bleus et jaunes que l’Occident s’empresse de pavoiser. 
J’en ai le tournis.

Paradoxe .

 Vous ne trouverez pas un seul zombie qui militerait pour la décroissance ou la limitation volontaire de la consommation personnelle pour protéger les ressources naturelles, limiter la souffrance animale ou réduire l’empreinte carbone. On vomit l’occident et on bave devant ses produits avec un élan identique et une sincérité que l’on pourrait qualifier d’enfantine, tellement la contradiction, pourtant flagrante, entre ces deux positions restent dans l’angle mort de la plupart des Russes.

Moqueries sur la France .

 Le cuir, réputé mince, de l’occident est un prétexte à une infinité de sarcasmes. « Privé de sa marque de PQ préférée, un soldat français ne tient pas une semaine au front ! » me disait un vieil ami peintre. Il n’était pas le seul. Que n’ai-je entendu ces dernières années ! « Au moindre petit soldat qui meurt au Mali toute la France défile avec une tronche triste alors que Poutine, lui gouverne »,  » Il suffit d’un islamiste avec un couteau de cuisine, et ça y est, l’Europe est paralysée par la peur »,  » Un flic a tabassé un manifestant – vite, ouvrons trois cellules d’aide psychologique, une pour le flic, une pour le manifestant, une pour le chien qui pissait pas loin ! »